12 h 61, le 20 Oratala, an 2236, Ère V
Ainsi, presque 3 ans durant, le professeur Tinsk était anéanti, et mû par une motivation que l'on pouvait qualifier d'effrayante... il se consacrait corps et âme à son projet, l’œuvre de sa vie, qu'il aurait voulu montrer à sa fille qui est morte en voyant le jour. Elle aurait bientôt eu 3 ans, dans deux mois, en ce dernier jour d'Oratala. Il délaissait sa propre santé, une seule chose comptait pour lui... l'avenir qu'il aurait voulu donner à sa défunte fille. Cela se voyait par quelques kilos qu'il avait pris, une mine rongée et une hygiène négligée.
Il travaillait énormément sur les sujets eux-mêmes, surtout sur celui dans le quatrième incubateur, qu'il jugeait, pour reprendre ce qu'il disait à son équipe, comme «trop immature, inabouti, en retard de développement». Il travaillait ainsi huit fois plus qu'auparavant, et ce sur tous les domaines déjà couverts par les autres scientifiques. Stabilité, magie, savoir... il supervisait et travaillait, seul, tout particulièrement ces aspects sur le quatrième sujet, qui finissait pratiquement à sa seule charge.
Les 5 étalons ainsi que la jument de son équipe s'inquiétaient beaucoup pour sa santé, et sur ses motivations qui les laissaient dubitatifs. Mais il semblait faire un travail plus qu'exemplaire malgré que le professeur semblait leur cacher toute donnée ou implication possible sur le quatrième sujet... ils laissèrent couler, connaissant Tinsk pour être un véritable génie prévoyant énormément sur le long terme.
Ce qui les surprit davantage, ce fut, quand, deux jours auparavant, soit le 18 Oratala, ce fut au tour de son épouse de succomber à une rare tumeur, engendrée par la fausse couche, et empirée par la dépression... et pourtant, le professeur surmontait sa peine, continuant de travailler d'arrache-sabot malgré une perte qui l'avait mentalement détruit à ce moment là... il continuait, toujours mû par la même envie, la même passion pour son projet dont il était si pris... il avait tout perdu, il ne lui restait plus que ça. Son projet était sa vie... il jouait absolument tout là-dessus, porté par la peine et la solitude, travaillant sans relâche même bien après que son équipe soit partie pour les nuits... chaque soir, il continuait de travailler, souvent retrouvé endormi sur les claviers de commandes, le lendemain matin. Et c'était ainsi depuis longtemps, la perte de son épouse n'ayant fait que confirmer son acharnement.
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Il faisait sombre... des sons flous, incompréhensibles... la seule chose reconnaissable étaient des battements venu du plus profond de soi. Quelles étaient ces sensations indescriptibles, comme une prison dénuée de ses sens ? Recroquevillée, la petite jument grelottait, dans le néant.
Un bruit lourd semblait laisser entrer des sensations... le devant s'écartait, laissant progressivement des éléments être perçus... le carrelage froid et dur, de la brume évacuée du néant avec la petite jument... puis les dizaines et les dizaines de lignes du dit carrelage, les murs, la multitude d'outils et d'appareils partout autour d'elle... la lumière dont elle ne ressentait nulle gène... puis enfin, devant elle, alors qu'elle se relevait péniblement, un grand étalon de couleur sombre, habillé d'une blouse, l'air très négligé, discernant de nombreuses imperfections à des zones très précises de sa coiffure brune, de sa peau, des cernes sous ses yeux, de l'état déplorable de sa corne... et enfin vinrent des sons, des sons clairs, compréhensibles, alors qu'un large sourire était reconnaissable sur le grand étalon, une chose qui ne semblait pas avoir été formée depuis longtemps sur ce visage...
La petite jument, d'une envergure égale à une enfant de trois ans, se hissait faiblement et maladroitement sur ses sabots translucides pourpres, alors qu'elle ouvrit faiblement des yeux d'un iris bleu, mais de pupilles claires, vides... sa courte crinière éthérée, blanche, flottait paisiblement alors qu'elle déploya naturellement les ailes, sans bouger, tandis aussi que sa corne crépita autant calmement que brièvement.
Le son était celui d'une voix féminine, une jument, qui s'approchait de la pouliche, que cette dernière fixait avec de grands yeux curieux cette immense personne habillée.
«Professeur... vous êtes fou. Vous avez perdu la tête... vous avez... donné à l'un des sujets une apparence d'enfant. »
«Mala, je vous l'ai dit... il faut un échantillon varié sur les quatre sujets, se justifia l'étalon en gardant un large sourire. Et regardez comment elle est adorable !»
«Tinsk... je me dois de m'insurger, cette fois-ci. Vous avez travaillé tout ce temps, avez dépensé toute cette énergie... à faire un sujet de nébuleuse à l'apparence juvénile. Elle ne peut pas remplacer une pouliche que vous n'avez jamais eue, aussi triste et tragique soit votre situation familiale !»
«PAPA !!» finit par s'écrier la petite alicorne au corps translucide et coloré, fait de nébuleuse, allant se lover contre les sabots de l'étalon.
«Professeur... elle... elle vous a appelé «papa»... reprit l'Ingénieure Mala. Votre désespoir est sans nom... vous lui avez crée des sentiments, des sensations...»
«Mala, arrêtez de dramatiser ! finit-il par reprendre. Zeta accusait d'un sérieux retard de maturité... et comme je l'ai dit, l'échantillon se doit d'être aussi large que possible.»
Alors que la jument soupira, commençant à trouver le débat stérile tellement Tinsk était buté, il souleva la pouliche de nébuleuse à sa hauteur, alors que cette dernière le cajolait fort. La scène aurait pu être touchante, mais l'équipe de Tinsk était terrifiée de ce que dernier avait donné à cette petite fille créée artificiellement.
«Regarde Zeta, déclara-t-il en désignant trois autres juments de nébuleuse toutes avec une apparence plus adulte mais des tailles différentes, tu n'es pas toute seule. Voici tes grandes sœurs ! Elles sont sorties juste avant toi !»
Effectivement, la plus grande était Alpha, première jument de nébuleuse, également une alicorne, et dont la hauteur dépassait allègrement n'importe quel individu dans le monde, au point que sa longue corne taperait presque contre le haut des portes. Son corps était d'un rose nébuleux et translucide, tandis que sa longue et flottante crinière éthérée était d'un intense rouge, et ses yeux aux pupilles claires étaient dotés d'un bel iris vert.
La seconde, Beta, de la taille d'un individu normal, était une pégase, la première au monde, qui n'était composé que de licornes. D'une robe de nébuleuse d'un bleu nuit, elle avait une crinière courte et lisse, également éthérée, de couleur jaune. Ses yeux aveugles avaient un bel iris doré.
Et enfin, la troisième, Delta, un peu plus petite que la seconde, était une licorne, d'une robe luisante cyan et d'une longue crinière tombante, lisse et éthérée de couleur verte, et d'yeux d'un iris rouge assez léger.
Les trois autres juments, contrairement à la petite Zeta, étaient particulièrement inexpressives, se contentant de regarder leur quatrième représentante. Mala, quant à elle, soupira une nouvelle fois, sentant la situation s'enfoncer, du fait que Tinsk présenta les trois autres sujets comme des «sœurs» du quatrième. Pour la jument, mélanger créations artificielles douées de vie et sentiments n'était clairement pas une bonne chose...
Les autres scientifiques étaient toujours aussi effarés de la tournure qu'avait pris le projet... le quatrième sujet de nébuleuse, Zeta, était doté d'une conscience propre et de la capacité à ressentir, en plus de son apparence juvénile, à un âge tel que la fille du professeur aurait dû avoir si elle avait survécu. Désormais cette pouliche active, l'étalon se sentait revivre, il avait l'impression qu'une part de sa vie lui était rendue. Alors que ce dernier continuait de cajoler la petite pouliche artificielle, il commençait à pleurer d'un bonheur qu'il n'avait ressenti depuis des années.
« Pourquoi tu pleures, papa ? Demanda la pouliche de manière complètement innocente. Tu es triste ? »
« Non, Zeta... Papa est content. Papa est tellement, tellement content... Content que tu bouges, que tu parles, que tu souris...»
« Mais papa, c'est normal de sourire et de bouger... pourquoi ça te rend si content ? »
« C'est pas grave, Zeta... c'est pas grave... » finit-il en continuant de savourer cet instant, gardant la pouliche cajolée contre lui.
L'équipe scientifique de Tinsk s'éloigna plus loin, sortant du laboratoire, afin de statuer sur la situation à l'abri d'éventuelles oreilles, tandis que les trois autres sujets de nébuleuse regardaient la scène d'une manière pratiquement indifférente.
« Étalons... ça va mal. Je crois que nous avons psychologiquement perdu le professeur... » commença Mala.
« Et dire que nous lui avons aveuglément fait confiance depuis qu'il a perdu sa fille... sans jamais voir venir qu'il tenterait quelque chose d'aussi désespérément mièvre. » continua Helvor.
« Il va sans dire que sa lubie risque de compromettre le projet dans sa globalité, reprit la jument. Faire un des sujets à l'image d'une pouliche, travailler à son émulation des sentiments, la doter d'une propre conscience plus aboutie que ce qui était convenu... quelle folie ! »
« Regardez la joie qui l'envahit... lança à son tour Torah, il n'avait pas même pleuré à la mort de sa fille et de son épouse, pourtant on l'a tous vu extrêmement affecté... et là, sa joie est si immense qu'il en pleure... d'un coté, est-ce vraiment si mauvais si le reste du projet suit son cours normalement ? Ne peut-on pas voir en Zeta comme un juste retour des choses pour les avancées majeures encourues grâce à lui ? »
« Si seulement, Torah... reprit encore Mala. Si seulement la nature même du projet et son importance pouvaient le permettre, rien ne me soulagerait plus que de le revoir heureux. Seulement, on parle d'une pouliche qui a un foutu réacteur nucléaire à fusion en guise de cœur, et qu'il a doté de sentiments. Comment ne pas appréhender les risques pour le futur ? »
Alors que les scientifiques débattaient toujours, Alpha prit la parole, d'un ton neutre et pratiquement monocorde, mais clair.
« Professeur, Zeta utilise de manière répétée un pseudonyme non reconnu officiellement dans notre savoir. Après recherche et consensus avec Beta et Delta, doit-on également, nous aussi, vous appeler « Père » ? »
« Oh... fit l'étalon simplement en séchant ses larmes pour se calmer. Bien sûr Alpha, si c'est ce que vous voulez ! Vous avez amplement le droit de m'appeler « Père » si tel est votre souhait ! »
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Surtout que techniquement, la "fin" est déjà connue, pour ceux qui, comme toi, ont lues les Chroniques... reste à savoir comment tout cela va y mener !
Anyway, c'est triste pour le prof ce qui lui arrive :/