Épisode 13 : Lis tes ratures

Un magnifique soleil s’était levé sur Poneyville, illuminant de ses rayons la paisible bourgade. Une légère brise rafraichissait l'air, cependant cela n'empêchait pas les poneys de déambuler dans les rues, joyeux et souriants, sous le jaune et l'orange des feuilles d'automne. Le Sugarcube Corner venait d’ouvrir et les premiers clients se pressaient afin d'y acheter leur pâtisserie préférée tout juste sortie du four. Dans les airs, les pégases de l’équipe météo rejoignaient leurs postes, prêts pour une nouvelle journée de travail.

Dans le château de Twilight, la bonne humeur régnait aussi. La maîtresse des lieux, les yeux encore ensommeillés, descendait tranquillement les escaliers, alléchée par la bonne odeur qui montait vers les chambres. Dans la salle à manger, la table était déjà mise. En tendant l’oreille, la jeune princesse pouvait entendre Spike s’activer dans la cuisine. Sans se presser, elle s’assit à sa place habituelle et se versa un grand verre de jus.

- Qu’est-ce que tu nous prépares de bon, mon petit Spike ? lança-t-elle joyeusement.

- Euh, je suis là, Twilight.

La ponette se retourna, étonnée. Spike était effectivement là, assis à côté d’elle. La jument leva les sourcils, surprise, puis tourna le regard vers la porte de la cuisine, d’où du bruit se faisait toujours entendre.

- Mais alors, qui est-ce qui…

- À table !

Max surgit alors, claironnant, avec dans les mains une assiette couverte d’une grande pile de crêpes. Il la déposa sur la table et, sans attendre, s’empara de l’assiette de Twilight pour la servir.

- Hem… que nous vaut cet honneur ? s’enquit la ponette.

- Quoi, je n’ai pas le droit de rendre service, pour une fois ? répondit calmement l’humain, tout sourire.

Sous le regard étonné de la princesse, il s’empara de l’assiette de Spike pour le servir à son tour.

- Tu as l’air… de meilleure humeur que d’habitude, fit remarquer l’assistant.

- Trois matins de suite que je me réveille sans le moindre mal de crâne ! déclara joyeusement l’humain. C’est dingue, hein ? J’avais même oublié l’effet que ça faisait !

Comme pour prouver ses dire, il prit aussitôt place et se servit une énorme assiette, qu’il attaqua sans attendre.

- Et bien, tant mieux pour toi, fit l’assistant.

- Oui, pourvu que ça dure, ajouta la ponette, sourcils toujours froncés.

Une fois le repas terminé, Max s’empressa de débarrasser la table et de ramener la vaisselle à la cuisine, toujours avec le même entrain. Quand il eut terminé de tout ranger, il attrapa le panier à commissions et, toujours guilleret, s’en alla vers la sortie.

- Je vais faire un tour au marché, annonça-t-il joyeusement.

- D’accord, si tu veux, répondit Twilight. Mais n’oublie pas que c’est aujourd’hui que...

- T’inquiète, je connais le chemin, l’interrompit l’humain. À toute !

Une fois dehors, il inspira un grand coup, les poings sur les hanches. La fraicheur de l'air, loin de le refroidir, le ragaillardissait, et les couleurs de l'automne lui mettaient du baume au coeur. Oui, ça allait être une belle journée. Sans cesser de sourire, il fit un pas en avant et…

… et un énorme paquet de neige lui tomba dessus et le recouvrit entièrement.

Il se débattit pour s’en extraire et parvint à dégager sa tête.

- Qu’est-ce que c’est que cette merde ?!

- Oups, désolée, fit une voix au dessus de lui. J’ai dû taper un peu trop fort.

Max leva les yeux et reconnut immédiatement Rainbow Dash. La pégase volait en surplace au dessus de lui, un nuage moutonneux à côté d’elle. Dans le ciel, d’autre pégases arrivaient, chacun poussant un nuage similaire.

- C’est quoi, ce cirque ?! vociféra Max en s’extrayant du tas.

Avant que la pégase ne réponde, Twilight arriva à son tour.

- Salut Rainbow. Je vois que vous avez déjà commencé.

- Commencé quoi, bon sang ?!

- L’installation de l’hiver, bien sûr, répondit simplement la pégase.

- Quoi ?

Il secoua la tête pour se débarrasser des morceaux de neige pris dans ses cheveux, mais déjà les premiers flocons tombaient. La température avait soudainement baissé et le ciel se couvrait de nuages.

- C’est de ça que je parlais il y a une minute, expliqua Twilight. Aujourd’hui est le jour où les pégases commencent à installer l’hiver.

- Ouais, on commence tôt cette année, ajouta Rainbow. Il faut que tout soit en place d’ici après-demain.

- Comment ça, « installer » ?

- Ici, ce sont les pégases qui organisent les changements de saison, en modifiant la météo, raconta l'alicorne. Aujourd'hui, c’est le jour du passage à l’hiver.

Max, les yeux ronds comme des billes, la fixait d’un air ahuri.

- Tu te fous de moi, là, pas vrai ?

- C’est écrit sur le calendrier qui est à la cuisine, je te signale.

- Mais je croyais que c’était une blague ! C’est n’importe quoi !

- Et je peux savoir comment vous faites pour changer les saisons, là d’où tu viens ? railla Rainbow.

- Mais on ne fait rien ! Il n’y a rien à faire, ça se fait tout seul.

- Mais oui, c’est ça, répondit la voltigeuse. Bon, moi, j’ai du boulot. A plus !

Dans une bourrasque, elle s’envola pour rejoindre les autres pégases. Twilight attendit qu’elle se fut éloignée pour se tourner vers Max.

- Écoute, je sais que c’est un peu étonnant au début, mais c’est comme ça que ça se fait ici, c’est tout.

- Ici ? Tu veux dire qu’il n’y a qu’ici que c’est comme ça ?

- Oui, ailleurs dans le pays ce sont les licornes qui contrôlent les saisons par magie. Il n’y a que dans les régions inhabitées qu’elles changent toutes seules.

- Mais c’est normal, ça ! Pourquoi vous ne faites pas pareil ici ?

- Parce que ce serait bien trop risqué, bien sûr. Tu imagines si on laissait l’hiver arriver et repartir tout seul, sans rien contrôler ?

Max se frappa le front. Sans rien dire de plus, il fit volte-face et retourna vers le château.

- Tu n’avais pas dit que tu allais faire des courses ? remarqua Twilight en levant le panier.

Max l'attrapa et le retourna au dessus de sa tête pour se protéger des flocons, avant de poursuivre son chemin. Dans le ciel, les pégases continuaient d’installer les nuages. Un mince pellicule blanche couvraient déjà la pelouse autour du château.

Il neigea tout le reste de la journée et une bonne partie de la nuit suivante, si bien que, le lendemain matin, une couche d’une quinzaine de centimètres couvrait la ville et les campagnes alentours. L’on entendait déjà, du côté de l’école, les cris des poulains qui s’adonnaient à leur première bataille de boules de neige de l’année.

Dans le château, Spike, sur la pointe des pieds, contemplait par la fenêtre le paysage enneigé qui s’étendait au dehors. Des bruits de pas du côté de l’escalier le firent se retourner. Max, vêtu d’une simple chemise, descendait les marches en direction du hall, l’air nettement moins joyeux que la veille.

- Salut, Max, fit l’assistant. Ça va toujours aussi bien, ton mal de tête ?

Le bipède se contenta de pousser un grognement. Sans s’arrêter, il s’avança vers la porte d’entrée, visiblement prêt à sortir.

- Euh, tu vas sortir comme ça, sans rien mettre d’autre ? s’inquiéta le petit dragon.

- Ouais, et alors ?

- Mais tu as vu que c’était l’hiver, dehors, non ?

- Non, ce n’est pas l’hiver. L’hiver, ça arrive tout seul, et pas parce qu’une bande de chevaux mutants installent des nuages dans le ciel.

- Si tu le dis, mais tu risques quand même d’avoir froid, comme ça.

- Ce n’est qu’une illusion, comme tout le reste. Allez, ciao.

Et il sortit en claquant la porte.

Twilight était à son bureau lorsque la sonnerie de l’entrée retentit. Quand elle ouvrit la porte, elle découvrit en face d’elle un des ouvriers de la ville, son casque encore sur la tête.

- Princesse Twilight Sparkle ?

- Oui, c’est à quel sujet ?

- On a trouvé ça près de la sortie de la ville, au bord de la route. Il parait que c’est à vous.

- À moi ? Mais de quoi parlez-vous ?

L’étalon fit un pas de côté pour laisser place à deux de ses collègues, qui tiraient un traîneau. Sur celui-ci était couchée une grande forme bleuâtre couverte de givre, dont le visage congelé serrait encore les dents sous l’effet du froid.

Enseveli sous une demi-douzaine de couvertures et autant de bouillottes, Maxime reprenait lentement des couleurs. Le bleu pâle du gel laissait peu à peu place à l’orange verdâtre de la fièvre, qu’accompagnait à intervalles réguliers le claquement des dents du malade. À côté du lit, Twilight et Spike attendaient le verdict du médecin, qui examinait le thermomètre.

- Je lui avais dit de ne pas sortir comme ça, fit remarquer l’assistant.

- Z’est bas réel, articula Max entre deux reniflements. Z’est gu’une illusion.

- Illusion ou pas, vous êtes bon pour garder le lit au moins une semaine, trancha le médecin. Repos complet. Et, bien sûr, pas de tests ni d’expériences, ajouta-t-il à l’attention de Twilight.

La ponette fronça les sourcils en direction de l’humain.

- Je vais finir par croire que tu le fais exprès.

Pour toute réponse, l’intéressé éternua. Le médecin, son auscultation terminée, bouclait sa sacoche et remettait son écharpe.

- Voilà ma note, dit-il en déposant un petit papier sur la table de chevet. Bonne journée, Princesse.

L’alicorne leva le papier et le lut avant de le plier en deux.

- Et je retiens ça sur ton argent de poche, ajouta-t-elle.

Cinq jours s’étaient écoulés depuis que la neige avait commencé à tomber. Maxime, toujours au lit, se remettait petit à petit de sa promenade dans la poudreuse. Toutes les amies de Twilight étaient venues le voir, à commencer par Rainbow Dash, qui ne s’était pas faite prier pour se payer sa tête.

- Tu sais, si tu cherchais un endroit pour hiberner, il suffisait de demander à Fluttershy.

- La ferme, crâne de piaf…

- Oh attends, ça y est, j’ai trouvé ! Tu as attrapé froid parce que tu n’as pas encore ton pelage d’hiver, c’est ça ?

- Va piailler ailleurs ! avait éclaté Max en lui lançant un des ses oreillers, que la pégase avait évité en riant.

Les autres visites avait été moins désagréables, même s’il avait fallu empêcher Pinkie de boire toute la bouteille de sirop pour la gorge. Le reste du temps, Max l’avait passé à feuilleter les livres que Twilight lui avait sélectionnés dans la bibliothèque, chose qu’elle semblait avoir l’habitude de faire à chaque fois qu’une de ses connaissances restait alitée. L’idée de se plonger dans la littérature équestrienne n’avait pas grand chose pour l’emballer mais, n'ayant rien d'autre à faire, il s’était résigné à y jeter un coup d’œil. Et, à son étonnement, il devait avouer que certains de ces bouquins lui plaisaient assez bien.

- Je t’avais dit que c’était impossible de ne pas aimer Casse-Cou, s’était gentiment moquée Twilight quand elle avait vu qu’il en était déjà au troisième tome.

- Mouais, ça se laisse lire…

La ponette, satisfaite, n’en avait pas rajouté. Max, lui, avait vite fini par réaliser que ce qui faisait le succès des best-sellers du monde équin n’était pas très différent de ce qui faisait celui de ceux du monde humain. Cette fameuse Casse-Cou n’était rien d’autre qu’un clone à quatre pattes d’Indiana Jones. À ce prix-là, les poneys seraient sans doutes prêts à gober les aventures de n’importe quel héros de fiction du vrai monde, pour peu qu’il soit maquillé en cheval.

Tête levée vers le mur d’en face, il reposa alors le livre sur la table. Un sourire se dessina sur son visage.

- Dis, Twilight, est-ce que je pourrais avoir de quoi écrire, aussi ?

Max était au lit depuis plus d’une semaine, désormais. Son état s’était beaucoup amélioré, cependant le médecin avait prescrit qu’il reste encore alité quelques temps, au cas où. Le bipède, loin de s’en plaindre, avait au contraire semblé ravi de l’apprendre. Depuis plusieurs jours, il noircissait des pages entières de son écriture illisible. Twilight n’arrivait toujours pas à comprendre comment une créature pourtant parfaitement outillée pour tenir une plume pouvait écrire aussi mal, sans compter les multiples taches d'encre qu'il faisait sur les draps. Lorsqu'elle avait essayé de déchiffrer l'une des feuilles, Max la lui avait aussitôt arrachée des sabots.

- Tu pourras regarder quand ce sera fini, avait-il annoncé. Apporte-moi encore du papier, en attendant.

La ponette s’était exécutée sans cherche à discuter. La table de chevet de l’humain était déjà couverte de feuilles et il semblaient loin d’avoir terminé. La ponette avait cependant décidé de ne pas s’en inquiéter ; au fond, elle était curieuse de voir de quoi il pouvait bien s’agir. Au moins, pendant ce temps-là, il n’était pas occupé à se saouler ou à mettre le feu au château. Il allait falloir passer à la papeterie pour faire le plein de papier et d’encre, après ça.

- Et voilà !

Maxime, désormais guéri, venait de poser triomphalement sa pile de feuilles sur la table de la cuisine. Spike et Twilight le regardèrent en silence, attendant la suite.

- Et… qu’est-ce que c’est, exactement ? finit par demander la ponette.

- Le prochain best-seller d’Equestria ! On va faire péter tous les records de vente, avec ça !

- « On » ?

- Ouais, jette un coup d’œil à ça ! répondit Max en lui fourrant un paquet de feuilles dans les pattes. C’est l’histoire d’un orphelin qui découvre qu’en réalité il est un sorcier et qui va faire ses études dans une école de magie. Il apprend à jeter des sorts, à faire des potions, il fait des duels, il…

- Mais ça n’a rien d’extraordinaire, ça, l’interrompit Spike. Des écoles de magie, ça existe pour de vrai. Qu’est-ce que ça a de spécial ?

Twilight semblait être du même avis. Max fronça les sourcils mais piocha aussitôt une autre feuille.

- Bon, c’est pas grave, j’ai autre chose. J’en suis encore qu’au deuxième chapitre, mais avec ça c’est le jackpot assuré. C’est l'histoire d’un seigneur des ténèbres qui avait été vaincu il y a très longtemps mais qui revient pour réduire le monde en esclavage, et le seul moyen de le vaincre c’est de retrouver un objet magique et de l’empêcher de mettre la main dessus. Donc, un petit bonhomme un peu maladroit retrouve la babiole, mais il se fait poursuivre, et ensuite…

- Ça ressemble vachement à Sombra et au Cœur de Cristal, tu trouves pas, Twilight ?

La jument approuva à nouveau. Max serra les poings.

- Bon, et ça, vous allez pas me dire que vous connaissez déjà, si ? s’énerva-t-il en brandissant une autre feuille. C’est une meuf un peu cruche qui tombe amoureuse du beau gosse de son école, mais ensuite elle découvre qu’en fait c’est un vampire, et puis elle…

- Un vampire qui brille au soleil ? fit Spike et attrapant la feuille pour la lire. C’est complètement nul, ça.

- Évidemment, c’est pour ça que ça va marcher ! On en fera même des films !

- Et c’est à écrire ce genre de trucs que tu as passé ta semaine ? soupira Twilight.

- Mais c’est de l’or en barre, ces histoires ! Et j’en ai encore plein d’autres !

- Tu te souviens de ce que je t’ai dit sur le fait de vouloir introduire des inventions de ton monde dans le nôtre ?

- Ouais, et moi je maintiens que c’est une bonne idée. Vous êtes juste trop coincés et trouillards pour vous en rendre compte, c’est tout.

- Tu ne peux pas prétendre avoir écrit quelque chose dont tu n'es pas l'auteur, de toute façon, déclara Twilight.

- Et qu'est-ce que t'en sais, que j'en suis pas l'auteur, en réalité ? Je pourrais très bien avoir inventé ça tout seul, de toute façon personne ne peut le vérifier.

La jument souffla par les naseaux, oreilles en arrière. Cependant, au lieu de lancer une réplique acerbe, elle tourna les talons en levant le museau.

- Bon, d’accord, fit-elle d'un air de défi. Envoie donc un de tes « best-sellers » à un éditeur, on verra ce qu’il répondra.

- Un peu, que je fais le faire ! répondit le bipède en ramassant ses feuilles. Et si ça ne marche pas, je lave le hall à la brosse à dent.

Et il s’en repartit en claquant la porte.

Plusieurs jours s’étaient encore écoulés. Au dehors, l’hiver semblait s’être définitivement installé. La couche de neige se maintenait, régulièrement entretenue pas les pégases, qui veillaient à ce que les températures restent négatives. Max scrutait chaque matin l’arrivée du facteur, jusqu’au jour où la lettre tant attendue arriva enfin. Avec fébrilité, il déchira l’enveloppe et parcourut la feuille des yeux, cependant, plus il progressait, plus son sourire s’effaçait, laissant place à une moue de déceptions. À côté de lui, Twilight savourait sa victoire.

- Allez, je vais être magnanime. Je t’autorise à utiliser la serpillière.

- C’est qu’une bande d’andouilles, grommela Max en chiffonnant la lettre. On leur sert la saga du siècle, et te la renvoient comme un vieux torchon.

Il marcha jusqu’au salon et jeta la boule de papier dans la cheminée. Spike, installé dans le fauteuil à côté du feu, leva les yeux de la bande dessinée qu’il était en train de lire.

- Tu devrais peut-être essayer les fanfictions, à la place, suggéra-t-il. Tu connais les Power Ponies ?

Il leva sa BD pour en montrer la couverture à l’humain. Celui-ci, après avoir observé le dessin, leva les sourcils, un éclair de génie dans le regard.

- Et des BD sur des petits bonzhommes bleus, vous en avez ? Parce que j’ai plein d’idées...