J'en avais assez de cette journée. La pâtisserie était déserte. J'avais aussi faim, mais même si la boutique était remplie de pâtisserie et de gâteau, ce n'était pas ce qui allait me nourrir.
J'étais affamé parce qu'il n'y avait aucun client aujourd'hui, la plupart du temps, j'arrivais toujours à me nourrir d'eux. Il y avait toujours une dizaine de poneys à venir manger ici, ce qui faisait que je pouvais prendre une petite quantité de sentiment sur chacun d'eux. Sugar m'avait conseillé ce travail, car elle considérait que ça convenait parfaitement à un changelin comme moi. Je n'avais jamais compris ce qu'elle avait voulu dire par « un changelin comme moi. »
Avant, je ne me nourrissais que de l'amour, mais à ses côtés, j'avais remarqué que je pouvais aspirer toutes autres émotions. Ça allait de la tristesse à la joie, la peur, l'envie, l’excitation, tout ce qui rendait ces mammifères si particuliers. C'était bien moins nourrissant que l'amour pur, mais pour un seul changelin et sur une douzaine de poneys, ça me permettait de tenir deux, trois jours.
Malheureusement, le Sugarcube Corner était désert depuis quelques jours et je ne faisais plus que des commandes. Cela ne me laissait donc plus le temps de récolter ce dont j'avais besoin. En cas d'urgence, j'avais toujours cette jument rose hyperactive, il fallait dire que c'était une vraie girouette, elle passait de la joie au doute en moins de deux secondes pour ensuite être triste en passant jusqu'au désespoir pour enfin à nouveau être heureuse comme tout, et tout cela simplement en surveillant la cuisson d'un gâteau !
Aujourd'hui cependant, elle n'était pas à la boutique, elle devait partir prendre le train pour se rendre quelque part dans le nord d'Equestria. Je n'avais jamais compris la raison de sa présence ici au magasin, est-ce qu'elle travaillait ici, était-ce juste le lieu où elle habitait ? Je n'avais jamais cherché à savoir, sauf le jour où je lui avais posé la question. Elle m'avait répondu : « Bah, ici aujourd'hui, et demain dans une autre ville. » Cela ne voulait absolument rien dire.
Au milieu de l'après-midi, c'était mon maître qui entrait dans la boutique, un terrestre jaune avec une crinière rousse, il observa les tables vides avant de forcer un sourire sur ses lèvres en me regardant. Je pouvais déjà sentir son anxiété.
« Bonjour Table Chair, on dirait qu'il n'y a pas eu beaucoup de monde aujourd'hui. »
C'était moi qui avais choisi mon nom. Selon Sugar, je ne pouvais pas utiliser le premier avec lequel je m'étais moi-même baptisé, alors il a fallu en trouver un autre. J'avais eu beaucoup de mal pour trouver quelque chose qui corresponde aux normes de cette race, c'était d'ailleurs pourquoi j'avais simplement choisi deux objets qui se trouvaient dans la cuisine lorsqu'il avait fallu donner une réponse. Elle n'avait pas été pour au départ, mais quand on s'appelait Sugar Free, on ne pouvait pas vraiment donner des leçons. Mon nom fonctionnait bien puisqu'il répondait à son utilité première, permettre aux autres de s'adresser à moi facilement.
« Non, monsieur Cake, il n'y a eu que trois clients aujourd'hui. La première était une jument beige à la crinière grise et elle m'a demandé une tarte à la pomme, la seconde était une pouliche rose qui voulait un cupcake, et la dernière était une pégase grise qui avait commandé une demi-douzaine de muffins. »
Monsieur Cake était mon maître. Sugar me disait que je ne devais pas l'appeler ainsi, mais je n'arrivais jamais à me rappeler du mot qu'elle utilisait.
« Ouah, je vois que tu es toujours pointilleux sur les détails. »
Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait dire. On m'avait déjà expliqué que je ne devais pas m'attarder sur des choses inutiles, que quand je devais parler, il fallait aller à l'essentiel, pourtant, je pensais qu'il était important de dire qui était venu à la boutique, c'était même une chose primordiale.
« Euh… madame Cupcacke est toujours au jardin d'enfants avec vos petits ? » La leçon dix-sept disait qu'il fallait toujours avoir un sujet de conversation, éviter tant que faire ce peu tout moment de silence lorsque votre interlocuteur était face à vous.
« Oh non, elle est allée voir une amie avec les jumeaux. Elle ne va pas revenir avant ce soir.
-Donc vous allez la rejoindre et me laisser surveiller la pâtisserie ? » Je préférais être seul. Même si je n'avais pas le temps de récolter la moindre émotion sur les poneys qui étaient passés, je pouvais toujours espérer voir un groupe qui viendrait manger sur place. Après tout il allait être bientôt quatre heures, et c'était toujours à ce moment-là que les poneys arrêtaient brusquement tout ce qu'ils étaient en train de faire pour se mettre à manger, comme s’ils ne pouvaient manger à un autre moment.
« Non, je pense que je vais te laisser ta journée. Je pourrai m'en sortir seul… et puis je n'ai certainement pas envie d'aller voir les amies de Cupcake.
-Quoi ?! N-non, c'est mieux que vous alliez la rejoindre. Vos petits ont besoin de vous, vous êtes leur père, vous devez les protéger des autres prédateurs. »
Monsieur Cake se mit à rire avant de secouer la tête. Je pouvais sentir que c'était un rire sincère et pas un rire gêné comme il avait l'habitude d'avoir quand je lui parlais.
« Ne t'inquiète pas Table Chair, les amies de Cupcake ont beau être des hyènes quand elles se mettent à rire, elles ne vont pas s'attaquer aux enfants.
-J-je dois passer le balai ! » J'essayais de trouver n'importe quelles excuses pour pouvoir rester.
« Tu l'as déjà fait ce matin, on va croire que je t'exploite si on te voit toujours en train de nettoyer la boutique. » Gloussa-t-il.
« Ce n'est pas grave, j'aime ça !
-N-non Table Chair, ça ira très bien sans toi. Tu fais du très bon travail, mais tu dois aussi te reposer. »
Je quittai ma place derrière le comptoir en espérant trouver une autre excuse pour rester encore un peu plus de temps. Face à lui, j’eus comme une révélation.
« Et si on mangeait quelque chose, vous vous occuperez de la pâtisserie pendant que nous discuterons de sujet divers pour accentuer notre relation au sein de notre travail. » Ça aussi c'était Sugar qui me l'avait appris.
« Je n'ai pas faim, merci quand même.
-Quoi ? Non, c'est impossible ! »
Il commença à me pousser vers la sortie.
« Non, vous devez manger, il est bientôt quatre heures ! »
Il me poussa alors brusquement dehors avant de claquer la porte derrière lui. C’était ingrat de sa part de me faire arrêter le travail ainsi, surtout que c'était très certainement pour aller dormir le reste de l'après-midi. J'étais pourtant un très bon ouvrier, plus il y avait de monde et plus j'étais efficace. Je n'étais pas au niveau de la terrestre rose qui était partout en même temps quand elle travaillait, mais je m'en sortais très bien de mon côté.
Plus de travail pour la journée, je n'avais plus rien d'autre à faire que de rentrer à la maison. Je ne passais pas beaucoup de temps à l'extérieur, car cela représentait toujours un danger pour moi. Quand on a une identité secrète qui nous mettait en danger si elle venait à être découverte, on évitait plus que possible le contact avec les poneys… même si on ne pouvait vivre que grâce à eux. Mon corps tout entier était en train de me hurler qu'il souffrait. Je pouvais rester deux à trois jours sans manger, mais tout dépendait des réserves que j'avais pu récolter avant. Heureusement, la pâtisserie ne fermait jamais, même le dimanche nous restions ouverts toute la matinée et il y avait toujours du monde. Pourtant cette semaine, le village était désert, c'était probablement dû aux jeux olympiques Equestrien. Je devais avouer que même ça, j'avais du mal à le comprendre. Comment est-ce que ces poneys trouvaient un divertissement dans le simple fait de regarder d'autres poneys faire de l'exercice ? Ça n'avait rien de logique, et pire que tout, rien d'intéressant.
Une fois devant la maison, je pris la clé qui était sous le paillasson. Sugar ne voulait pas que je l'emporte avec moi, car j'en avais déjà perdu une. Pourtant, je l'avais bien placée entre mes ailes pour pouvoir la mettre quelque part et ne pas la garder en bouche toute la journée, mais elle a tout de même réussi à tomber, et maintenant Sugar n'arrête pas d'avoir peur à chaque fois qu'elle se met à imaginer quelqu'un entrer à l'intérieur alors que je n'ai pas mon déguisement de poney.
C'était fatigant de garder l'apparence de ce pégase bleu à la crinière jaune. Déjà parce que je ne pouvais pas utiliser ma magie quand j'étais sous cette apparence, mais plus encore, car adopter cette forme me fatiguait jusqu'à la fin de ma journée. Pourquoi avais-je choisi de faire mon apparition à Ponyville sous cette apparence ? Simplement parce que Sugar était une pégase et donc je voulais pouvoir aller partout où elle allait. J'étais heureux de pouvoir le faire disparaître à la seconde où j'avais fermé la porte derrière moi.
J'allais pouvoir me reposer, mais ce n'était pas ma priorité, il fallait que je trouve un moyen de me nourrir. Malheureusement, la seule source d'émotion qui était à ma disposition était le chat de Sugar, mais elle m'avait fait promettre de ne pas le manger. Et de toute façon, il ne me donnerait certainement pas suffisamment d'énergie. Même s'il semblait éprouver beaucoup d'amour lorsque je le nourrissais, celui-ci était totalement faux et désintéressé. Absolument rien d'assez consistant.
Je passais donc un moment dans la cuisine à peler toutes les pommes qui restaient dans le frigidaire. Je savais que ça énervait Sugar, mais après tout, c'était l'occasion de lui donner quelque chose à grignoter quand elle avait trop besoin de manger et qu'elle n'arrivait pas à attendre jusqu'au soir. Elle comme tous les autres poneys étaient vraiment étranges avec leurs horaires pour se nourrir.
Une fois fini je pris un bol de cerise que j'emportai avec moi jusqu'au salon pour m'allonger dans le canapé. Leurs maisons aussi étaient très étranges. Chaque pièce avait une utilité propre et ne servait à rien d'autre. Cela dit, j'avais beaucoup de mal à juger de l'utilité de certaine. Ainsi il y avait la cuisine pour préparer la nourriture, mais on devait la manger à la salle à manger. Pourtant je pouvais bien manger dans la cuisine ou le salon que cela n'énervait pas Sugar. Le salon était un espace confortable avec des fauteuils et une bibliothèque ainsi qu'une petite table. On pouvait donc y venir pour discuter et lire, mais par moment, j'y dormais avec Sugar, alors qu'il était plus correct de faire ça dans la chambre à coucher. Il y avait aussi une pièce qu'on appelait « le placard » et qui ne servait qu'à ranger des choses qu'on n'utilisait presque jamais.
Par moment, j'essayais de me rappeler de mon ancienne vie, mais c'était comme si ma rencontre avec cette pégase blanche avait tout effacé. Bien sûr je me souvenais de certains détails, mais la grande partie de mes souvenirs avaient été totalement oubliés. Pour le moment, la seule chose que j'arrivais à ressentir, c’était la douleur que tout mon corps était en train de me hurler, comme une menace qui n'allait pas tarder à être exécutée.
Je mangeais avant tout pour essayer de contenir mon autre faim, bien entendu, cela ne fonctionnait pas indéfiniment, et après plusieurs dizaines de minutes de lutte dans le fauteuil, je me sentis tomber avant de perdre connaissance.
Ça m'était déjà arrivé, à peu près deux fois par mois. Je ne m'inquiétais pas plus que ça, c'était juste mon corps qui mourrait à chaque fois un peu plus. Il fallait que je me nourrisse pour cela, que je ne subisse aucun manque, mais même quand j'arrivais à me sustenter, ce genre de chose arrivait encore. Au début cela me faisait peur, ne plus être capable de pouvoir bouger, ni voir, ne pas tomber dans l'inconscience, être toujours là et écouter, mais ne rien pouvoir faire d'autre.
Je restai ainsi pendant plus d'une heure avant d'entendre le verrou de la porte se tourner lorsque Sugar ouvrit la porte. Je l'entendais déjà m'appeler alors qu'elle était dans la cuisine. Le sursaut que je ressentis en l'entendant arriver réussit presque à me faire me relever. Je ne voulais pas l'inquiéter avec ce genre de chose, j'allais très bien, c'était juste mon corps qui était dysfonctionnel. J'avais réussi à lui cacher ça jusqu'à maintenant, mes crises n'arrivaient en général qu'à partir du moment ou j'étais tranquillement allongé en train de me reposer, seul, au final ce n'était pas vraiment dangereux. Mais pour Sugar, il était clair que lorsqu'elle me trouva allongé au sol, les yeux ouverts, sans lui donner la moindre réponse alors qu'elle m'avait déjà appelé plus de trois fois, elle n'allait pas prendre la situation aussi bien que moi.
C'était peut-être d'ailleurs la raison pour laquelle elle me martelait la poitrine comme si mon cœur ne fonctionnait plus. C'était elle qui se chargeait de soigner ses semblables à l'époque, pourtant elle ne semblait pas trouver la chose à faire pour m'aider, cela aurait déjà été une bonne idée de vérifier l'état de mes organes avant d'essayer de me les broyer avec ses sabots. Son problème, c'est qu'elle n'arrivait jamais à rester calme dans les situations de crise. Du moins, pas quand elle était face à une personne qu'elle aimait.
C'était présomptueux de ma part, je le savais parce que c'était ce que m'avait dit Sugar le jour où je lui avais dit qu'elle m'aimait. Je sentais son amour, il me rentrait dans les naseaux presque en me giflant le visage tellement il était présent, pourtant, elle semblait ne pas vouloir l'avouer. Pour elle, les choses devaient aller moins vite, il fallait évaluer la situation avant d'avouer sincèrement ce que l'on pensait au fond de nous. Ces poneys étaient l'une des espèces qui éprouvaient le plus de sentiment, et pourtant, ils essayaient un maximum de les cacher.
Je la sentais essayer de me tirer, certainement pour me remettre sur le fauteuil. Après avoir vérifié que mon coeur battait toujours et que je respirais encore, elle avait dû penser que le mieux à faire était d'attendre. Elle était intelligente, et après ses premiers états, elle finissait toujours par se calmer puis évaluer la situation et agir rapidement. Elle ne pouvait pas prendre le risque de me conduire à l'hôpital, si je faisais le moindre pas dehors, je ne pense pas que je survivrai plus longtemps qu'un muffin au Sugarcube Corner.
Elle ne réussit pas à me tirer jusque sur le fauteuil, après tout, je faisais deux fois sa taille et donc j'étais bien plus lourd qu'un poney normal. Elle n’était pas petite : j’étais très grand, même pour un changelin normal. Moi-même j'avais mis beaucoup de temps à réaliser ce que j'étais devenu, et encore aujourd'hui je n'étais sûr de rien. Mon corps avait changé, je ne possédais plus des yeux composés, mais des yeux avec pupille et iris, tout comme ceux de mon ancienne matriarche. Je ne possédais plus de crête, mais à la place j'avais gagné une crinière verte foncée. Des crocs plus grands, plus de force, plus de puissance, j'étais devenu un alpha, mais je ne savais pas quoi faire de cela, ni même la raison.
Elle réussit à me décoller du sol en tirant sur l'un de mes sabots, pour me redresser à moitié, pour ensuite tomber sur le dos de Sugar qui était allongée à mes côtés. Il ne lui suffit plus qu'à se relever pour me jeter sans la moindre douceur sur le fauteuil. J'avais l'habitude de son manque de douceur, cela ne faisait aucune différence pour moi. Ma carapace était beaucoup plus dure que la sienne et donc je ne risquais absolument aucune lésion, même quand ma tête heurta l'accoudoir en bois du canapé.
Je sentais déjà mon corps s'activer à nouveau. C’était peut-être grâce à sa présence… Chaque fois qu'elle revenait à la maison, la faim se faisait moins sentir, mes craintes, mes besoins, tous mes problèmes disparaissaient dès l'instant ou je sentais son Parfum. Le Parfum était une représentation olfactive de la personnalité des poneys. Si les changelins partageaient tous le Parfum de leur matriarche, chaque poney avait un Parfum différent, rien ne permettait de reconnaître une famille, car aucun ne partageait la même trace.
Malheureusement, pour le moment, je ne ressentais que la peur et la tristesse qu'elle éprouvait. C'était des émotions appétissantes quand elles provenaient des poneys, mais avec Sugar, c'était tout simplement écœurant. C'était difficile à expliquer, mais les émotions avaient comme une consistance visible pour moi, et les émotions qui débordaient de la pégase à l'instant étaient comme une substance poisseuse qui collait à ma peau.
« Arrête de pleurer… tu sais que je trouve ça dégoûtant... » Articulai-je difficilement.
« Idiot ! Qu'est-ce que j'aurais dû ressentir en te voyant complètement paralysé au sol ? T'étais pas fichu de me répondre plus tôt ?
-Non, je pouvais rien faire. » Dis-je en secouant la tête pendant que j'essayais de me redresser, mais j'en étais tout simplement incapable.
« Qu'est-ce que tu as Unique ? Ça ne semble pas plus t'inquiéter que ça… Tu sais ce que tu as, n'est-ce pas ? » Elle avait son regard dur, celui qu'elle prenait à chaque fois que je faisais quelque chose de mal.
« Ce n'est rien de grave Sugar, juste de la fatigue, rien de plus.
-Unique, quand un poney est fatigué, il se contente de fermer les yeux et de dormir confortablement allongé dans son lit ou un sofa. Là, tu étais complètement étalé à terre les yeux grands ouverts, incapable de bouger ! Arrête de te moquer de moi, je te préviens !
-Je ne suis pas un poney ! » Rappelai-je comme si cela allait tout justifier.
« Peut-être, mais tu ne m'avais jamais fait ça avant, alors maintenant tu vas m'expliquer ce qui vient de se passer ou alors tu n'auras plus le droit d’éplucher les pommes et je ne te ferai plus de lecture ! »
Je me mis à gronder, pensant ainsi l'intimider pour qu'elle revoie sa punition à la baisse.
« Hey, pas de ça avec moi, hein ! Tant que tu ne m'auras rien dit tu ne bougeras pas d'ici, et pas besoin de grogner, même le chat fait plus peur que toi ! »
Je me mis à rouler des yeux en la voyant se renfrogner encore plus, elle détestait quand je faisais ça.
« D'accord, d'accord ! Pour faire simple, mon corps réagit négativement à un manque trop prononcé et prolongé.
-Un manque de quoi ? Tu manges à peu près un kilo de cerises par jour !
-Je suis un changelin Sugar... » Par moment, j'avais l'impression qu'elle oubliait ce détail, ou du moins, qu'elle faisait comme si je n'étais pas différent d'un poney.
Elle décida alors de se calmer lorsqu'elle comprit où je voulais en venir. Là, je pouvais sentir son inquiétude et comme d’habitude, son élan de compassion. J'étais peu à peu en train de capter son Parfum originel.
Je réussis enfin à reprendre possession de mon corps, malheureusement, je ne pouvais plus la fuir maintenant, elle savait tout. Je voulus néanmoins quitter le canapé, mais Sugar plaça un sabot devant moi pour me retenir.
« Je croyais qu'il y avait assez de monde au Sugarcube Corner pour que tu récoltes de quoi te nourrir sans blesser personne.
-Il y a des jours où il n'y a quasi personne à la boutique. Cinq ou six clients, et si je décide de drainer tout ce qu'il me faut ça laissera forcément des lésions.
-Mais je croyais qu'avec l'amour c’était amplement suffisant, même à petite dose.
-T'en vois beaucoup des clients qui se mettent à éprouver de l'amour pour un serveur dans une pâtisserie ?
-Moi c'est directement ce que je ressentirais. » Dit-elle en laissant un sourire étirer peu à peu ses lèvres.
Je lui rendis le même sourire en gloussant. Il m'avait fallu du temps pour comprendre ce qu'était l'humour et son utilité. Certain l'utilisaient pour mettre en confiance, ou simplement rassurer, d'autre encore pour partager leur bonne humeur, ou tout simplement pour rire. Sugar pouvait donner l'impression de faire ça pour m'aider, mais en réalité c'était encore pour cacher ses émotions à elle. Masquer sa peur.
« Les couples qui viennent déjeuner se font rares, et donc je dois me rabattre sur les autres émotions, les moins consistantes. »
Sugar s'installa alors sur le canapé juste à côté de moi et se mit à soupirer en faisant le tour de la pièce du regard.
« Et si…
-C'est hors de question !
-Mais attends une seconde, tu n'as même pas entendu ce que j'allais te proposer ! » Dit-elle en élevant le ton et en me pointant du sabot.
« Tu allais me demander que je t'utilise pour me nourrir. »
Elle baissa alors son sabot en détournant le regard.
« Je ne sais toujours pas pourquoi tu refuses de le faire, après tout ça serait bien plus pratique pour toi.
-Je refuse de te considérer comme de la nourriture et je ne veux surtout pas qu'il t'arrive quelque chose.
-Et bien tu en prendras juste un petit peu. » Rétorqua-t-elle en s'installant de l'autre côté du fauteuil.
« C'est moins facile que ça en a l'air. Quand c’est des couples qui s'aiment entre eux, c'est comme si je buvais à un ruisseau, mais quand c'est toi qui déverses ton amour sur moi, c'est l'équivalent d'une cascade qui me tombe dessus. Elle m'écrase et me fait suffoquer et la seule solution que j'ai pour m'en sortir c'est d'en absorber le plus possible pour calmer la pression que tu exerces sur moi.
-Oh désolé, je ne savais pas que je te faisais autant souffrir. Quand on s'était rencontrés, tu l'avais bien fait une fois.
-Oui et c'est justement pour ça que je suis au courant des risques maintenant. Vos souvenirs sont rattachés à vos émotions, tu te souviens de certains événements de ta vie parce que tu as ressenti une grande émotion à ce moment-là. À trop drainer les émotions, c'est tes souvenirs que je prendrai.
-Et tu penses tenir longtemps sans te nourrir suffisamment ?
-Le temps qu'il faudra, les jeux olympiques Equestrien ne se finiront que dans six jours. J'irai au cinéma pour me nourrir en attendant.
-Non ! » Dit-elle en fronçant les sourcils. « Le cinéma est bien trop dangereux, tu es obligé de changer de place à chaque fois pour pouvoir drainer les émotions et les spectateurs ont plus l'impression d'avoir affaire à un pervers qu'autre chose. Un jour il y en aura un qui avertira la garde, alors non, tu n'iras pas au cinéma !
-Mais je ne peux rien faire avec toi ! » répondis-je légèrement irrité par l’abus de contrôle qu'elle avait sur moi.
« Si justement, tu peux accepter mon aide ! »
Je fermai les yeux en soupirant avant de me caler un peu plus confortablement dans le canapé. Elle savait parfaitement ce qu'elle voulait et faisait en sorte que j'arrive à la même conclusion, elle pouvait être une peste quand elle le voulait. Nous restâmes silencieux pendant plusieurs minutes, Sugar avait résumé la situation, éliminé les options, interdit les délais supplémentaires. Il y avait moi, ma faim, cette unique pièce où j'étais enfermé, et elle.
« Tu veux absolument prendre le risque… Pourquoi il faut toujours que tu te sentes obligé de m'aider ? »
Sugar se mit à rougir avant de baisser les yeux. « Parce que c'est comme ça qu'on prouve son amour... »
J'écarquillai légèrement les yeux avant de reprendre un air sérieux lorsque je repensai aux conséquences de cet acte. J’aimais entendre ces mots, même si l'odeur de l'amour était mille fois plus appréciable je ne pouvais que me réjouir intérieurement en entendant cela. Cependant, cela me faisait encore plus mal quand je réalisais que j'allais me nourrir de cet amour, m'en servir comme énergie, de la simple nourriture. Vivre aux dépens des autres, c'était la malédiction des changelins.
Nous nous redressâmes chacun de notre côté du canapé, nous plaçant l'un en face de l'autre avant de faire le point.
« Donc, on va y aller doucement. Je ne le ferai qu'aujourd'hui et aujourd'hui seulement ! C'est un cas d'urgence et nous ne referons plus jamais ça par la suite, promis ?
-Promis ? » Répéta-t-elle comme si elle n'avait pas compris.
« Oui, c'est quand deux personnes s'engagent à…
-Non, mais je sais parfaitement ce que ça veut dire, c'est moi qui te l'ai appris ! Je trouvais juste que ça faisait un peu beaucoup pour un premier essai.
-Je suis très sérieux Sugar, je ne vais pas prendre plus de risque comme ça. On le fait cette fois-ci uniquement et puis après on n’en reparle plus jamais ! Alors, promis ?
-Oui, oui, promis. » Me répondit-elle quelque peu agacée.
« Une fois que tu feras déborder ton amour, essaye de ne pas le diriger sur moi, cela risque de devenir trop enivrant pour que je me retienne. Je me contenterai de prendre juste ce qu'il me faut, sans plus, au moindre vertige, tu hurles 'cerise' et je comprendrai que je dois m'arrêter.
-Pourquoi je dois utiliser un code ? Je ne peux pas juste te demander d'arrêter ?
-C'est plus rapide ainsi. » Dis-je en secouant la tête. « Aller vas-y, éprouve de l'amour. »
Sugar haussa un sourcil avant de trépigner légèrement sur ses sabots.
« Quoi, comme ça ?
-Oui oui, dès que tu es prête, pas besoin de me faire signe, je le sentirai aussitôt. »
Je la vis se mettre à faire à nouveau le tour de la pièce du regard avant de me regarder les sourcils froncés.
« C'est quand tu veux Sugar.
-Oui attends un peu bon sang ! » Répondit-elle sèchement. « Ce n’est pas facile tu sais, ça ne se commande pas ce genre de chose.
-Tu plaisantes j'espère ? T'arrêtes pas de me balancer ton amour à la face la plupart du temps, parfois je suis obligé d'attendre que tu t'endormes en première pour que ton amour arrête d'agresser mes naseaux. Et le pire c'est que c'est toi qui me réveilles le matin avec des sentiments tout frais qui viennent me fouetter le visage. Et c'est le jour où je décide de me nourrir de cet amour que tu as peur ?
-Dis d'un coup que je te gêne. Et je ne dirais pas que j'ai peur, c'est plus une panne dans l'idée.
-Au non Sugar, ça n'a rien à voir avec une panne, tu as peur. Une fois que tu dois montrer tes vrais sentiments, tu as toujours peur. »
Elle secoua la tête avant de lever les sabots devant elle.
« C'est bon, c'est bon, on va s'arrêter là parce que sinon on va y passer la nuit. » Elle parcourut ensuite la distance qui nous séparait et plaqua son visage contre mon poitrail pendant qu'elle passait ses sabots autour de moi.
« Qu'est-ce que tu fais ? » Répondis-je en baissant la tête vers la pégase.
« Ben… T-tu sens pas mon amour ?
-Euh non, sûrement pas, à la limite je ressens ta gêne, mais ce n'est certainement pas ce qui va me nourrir.
-Est-ce que tu arrives à ressentir toute l'exaspération que j'ai en ce moment ? » Dit-elle la tête levée vers moi en m'adressant un sourire qui ne se voulait pas chaleureux du tout.
« Il est clair que tu n'arrives pas à exprimer tes sentiments, Sugar.
-Je rêve, c'est un changelin qui va me dire comment éprouver des sentiments maintenant ? » Dit-elle en se reculant avant de croiser les sabots.
« Il faut que tu te souviennes des raisons qui te poussent à ressentir de l'amour pour moi, à force, tu laisseras déborder cet amour en me voyant face à toi.
-Je ne savais pas que l'amour était si compliqué... » Dit-elle avant de se mettre à réfléchir. Longtemps…
J'étais accoudé au canapé quand elle sortit de sa méditation après cinq bonnes minutes.
« C'est bon, je crois que j'ai quelque chose. » En effet je pouvais déjà sentir un léger parfum émaner d'elle. Ce n'était pas encore suffisant pour me sustenter, ni même pour être drainé, mais si elle continuait sur la même voie, elle allait réussir.
« Sugar, tu as besoin d'aide ? » demandais-je en baissant la tête vers elle. Elle se mit à me sourire avant de coincer ma tête entre ses sabots.
Elle approcha alors lentement son visage, je savais parfaitement ce qu'elle allait faire et pour cause, cela allait être un parfait déclencheur pour la laisser extérioriser ses émotions.
Bien entendu, Sugar ne faisait jamais comme je m'y attendais, et au dernier moment c'est une vague de crainte que je sentis presque me repousser de mon côté du sofa.
« Qu'est-ce qu'il y a encore ? » J'étais quelque peu à cran, mais c'était uniquement parce qu'elle mettait ma patience à l'épreuve comme son chat qui s'amuse à faire ses griffes sur les rideaux.
Elle me regardait, les yeux légèrement plissés, une étrange moue sur les lèvres. « J-je ne sais pas… je crois que c'est la première fois que j'essaye de t'embrasser… quand tu es toi.
-Et c'est quoi le problème ?
-Euhm… T'as de grandes dents »
Je me frappai le visage de mon sabot. Nous n'allions jamais y arriver.
« D'accord, et si je me change ?
-Tu sais, je ne crois pas qu'une chemise ou un gilet change quoi que ce soit.
-Mon apparence Sugar !
-Oh, ah oui, bonne idée. »
Je secouai encore la tête, me demandant comment cette jument avait pu me sauver plusieurs fois la vie. Je me contentai de prendre l'apparence que j'utilisais pour sortir, mieux valait prendre un visage connu.
« On peut en finir maintenant ! » M'exclamai-je en joignant mes sabots pour la supplier.
« Oh c'est bon. Moi quand je dois manger une tarte il faut bien quarante minutes au four. »
Elle ferma ensuite les yeux et se remit à repenser à différent souvenir que j'avais partagés avec elle. Je me doutais bien qu'elle devait repenser à nos premiers jours ensemble, lorsque j'étais blessé et qu'elle s'occupait de moi, ou encore notre arrivée à Ponyville, où on avait le cœur gonflé de doute et d'espoir. Les yeux toujours fermés, elle s'approcha lentement de moi, les sabots tendus pour sentir mon nouveau corps, plus petit, plus mou, plus fin. C'était certes moins intimidant, mais je ne pouvais m'empêcher d'être quelque peu jaloux de ces fichus déguisements qui avaient beaucoup moins de difficulté que moi à attirer Sugar Free. J'avais tout de même gardé la couleur de mes yeux verts, je voulais qu'elle garde à l'esprit qu'elle était en train de m'embrasser moi et pas un autre étalon sorti de son imaginaire. L'odeur de l'amour était de plus en plus en train de se faire sentir. Je n'avais pas souvent embrassé, mais je connaissais chaque étape que je me répétais mentalement.
« Se mettre un peu plus confortablement dans le canapé. Se pencher vers elle. Respirer lentement. Fermer les yeux. Ne pas avoir peur. Ne pas hésiter. Avancer lentement. Attendre qu'elle en fasse de même. Sentir son souffle chaud. Attendre encore. Avancer. Toucher ses lèvres. Lentement. Pousser un peu plus. Poser les sabots sur ses épaules. Attendre qu'elle en fasse de même sur mes côtes. Briser le baiser. Respirer plus fort. Ouvrir la bouche. Déglutir. Éviter de grogner. La serrer plus fort. La tirer vers moi. La soulever pour être à la même taille. Presser nos lèvres plus fort les unes contre les autres. Sentir l'amour. Inspirer profondément les vapeurs qui s'échappaient de sa bouche. Ouvrir les yeux. Croiser son regard. Caresser sa crinière. Passer la langue dans sa bouche. Ne pas trop saliver. Ne pas caresser ses dents. Tourner autour de sa langue. Retirer la langue. La sentir venir à son tour. La laisser faire. Presser un peu plus mon corps contre le sien. Capter ses émotions qu'elle évacuait. Ne plus la lâcher. Refermer les yeux. Me concentrer. Commencer le drain. Continuer à lui caresser sa crinière et son encolure. Tourner ma langue et attendre qu'elle fasse de même. Continuer le drain. Plus d'amour. Plus de contact. Plus de baiser. Moins de salive. »
Je pouvais remarquer chacun de ces détails. Ce qui était physique comme ce qui ne l'était pas. C'était la raison pour laquelle je ralentis mes mouvements quand je sentis une nouvelle odeur. Pourquoi était-elle triste ? J'ouvris les yeux et vis qu'une larme coulait le long de son visage. Si je lui demandais, elle allait me dire que tout allait bien, que c'est comme ça qu'elle éprouvait l'amour, mais je pouvais le sentir, elle n'allait pas bien. C'était mieux ainsi finalement, je ne risquais pas de drainer trop d'émotion dans une frénésie incontrôlable provoquée par l'amour si elle arrivait à changer aussi vite d'état. Le goût en devenait écœurant, j'avais l'impression d'être sale rien qu'en étant en contact avec ça. C'est pourquoi je m'empressai de récolter tout ce dont j'avais besoin avant de reculer brusquement. J'avais la nausée, ainsi que la tête qui tournait. Je m'affalai de l'autre côté du canapé et me mis à pencher la tête vers le sol en me mettant à tousser bruyamment.
« Oh arrête, fais pas comme si c'était mauvais… » Dit-elle timidement en rejetant une mèche de crin bordeaux qui était devant son visage.
« Pourquoi a-t-il fallu que tu pleures ? Pourquoi est-ce que tu es si triste avec moi ? » M'énervai-je, toujours penché vers le sol.
« Attends tu crois que c'est facile d'aimer ? C'est la première fois qu'on me demande d'aimer… parce que je devais le faire. L'amour ce n'est pas un but, c'est une conséquence. » Dit-elle sur le même ton que moi.
« Tu n'arrêtes pas de me mettre ton amour devant la face comme tu le ferais avec des croquettes pour ton chat, et quand il s'agit de me le donner tu n'as plus rien. À la place tu es triste. Tu es triste de faire ça pour moi. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas un poney ?
-Non, tu sais très bien que ça ne fait aucune différence pour moi.
-Alors c'est parce que je ne suis pas ton ancien époux ? » Je la vis se mettre aussitôt à secouer la tête avant de protester.
« Non ! Je… non…
-Alors pourquoi en plein milieu de notre séance il a fallu que tu te mettes à pleurer ? J'ai senti ton regret, tu sais. »
Elle resta face à moi, silencieuse, la bouche entrouverte prête à nier de nouveau, mais rien ne vint. J'avais raison, elle le savait et cette fois-ci, elle ne pouvait pas se cacher derrière son humour ou une autre émotion juste pour cacher ses véritables sentiments.
« Aller Sugar. Il n'y a aucun problème avec ça, tu peux m'en parler. »
En effet son ancien compagnon était peut-être le seul étalon envers qui je n'éprouvais aucune jalousie. Peut-être que c'était parce qu'il était mort, mais quoi qu'il en soit, je respectais ce mâle, mais pas tout autre poney qui essayerait de s'approcher un peu trop près d'elle. J'aimais Sugar, et je voulais qu'elle soit heureuse, et quand on ne se connaissait pas encore, c'était lui qui la faisait sourire, alors je ne pouvais tout simplement pas le voir comme un ennemi. Et peu importait les années, même si Sugar restait accrochée à son souvenir, je ne lui en voudrais jamais. C'était ce que je voulais lui dire, mais parler des morts était quelque chose d'impossible avec elle… comme avec tout autre equestrien.
« C'est compliqué. » Expliqua-t-elle comme si cela était suffisant. Elle ne voulait pas en parler, et déjà je pouvais sentir sa crainte quant à l'idée de poursuivre sur ce sujet.
« Je t'aime Sugar. » Fis-je aussi simplement, la voyant alors lever les yeux sur moi.
« Moi aussi Unique, je t'aime. »
Nous ne restâmes pas plus longtemps dans le silence pesant du salon. Elle devait encore préparer le repas, et moi j'avais encore un autre de mes besoins à satisfaire.
« Où est-ce que tu vas ? » Me demanda-t-elle lorsqu'elle me vit me diriger vers la porte d'entrée.
« Juste prendre l'air. » Mentis-je.
C'était quelque chose de très important pour moi, mais Sugar ne pouvait pas le comprendre, pour elle c'était juste quelque chose de ridicule que je devais m'enlever de la tête. Pourtant aujourd'hui, elle se contenta de ne rien dire, ne me posant pas plus de questions, elle retourna à la cuisine pendant que je quittais la maison après avoir récupéré ce dont j'avais besoin.
Je m'assis simplement dans le petit jardin qui était à l'avant. Sugar avait insisté pour prendre une maison isolée du reste des habitations. C’était une bonne idée, après tout, si on oubliait de fermer un rideau, n'importe qui pouvait me voir sous ma forme de changelin. Heureusement, il y avait très peu de circulation ici. La seule autre habitation était trois cents mètres plus loin et appartenait à la famille Apple, des poneys terrestres qui vouaient un intérêt tout particulier pour les fruits qu'ils récoltaient. C'était étrange pour moi. Mon espèce n'avait jamais cherché à se nourrir des produits de la terre. Il fallait dire que cela ne nous était en rien nécessaire. Même si manger de la nourriture conventionnelle m'aidait à calmer ma soif d'émotion, cela ne me permettait pas de survivre indéfiniment.
Je craquai une allumette et me mis à tirer sur la cigarette que j'avais entre les lèvres. C'était une chose que j'avais découverte par moi-même, sans l'aide de Sugar. Un jour une cliente était arrivée avec ce petit rouleau de papier qui brûlait au bout de sa bouche. Je lui avais sauté dessus de peur qu'elle ne brûle à son tour. Ça avait encore fait une scène à la boutique, mais la jument n'avait rien eu de cassé, elle avait même trouvé cela amusant. Il fallait croire que la naïveté était un atout chez les poneys. Par la suite elle m'avait expliqué ce que c'était et m'en avait proposé une. Septique au début je ne put m'empêcher de lui demander à quoi cela servait. la jument s’était remise à rire en me disant : « ça te brûle de l'intérieur, ça te fait tourner la tête, ça te bousille la santé. Mais tu es le seul à décider si tu veux le faire ou pas, et c'est cette liberté de choisir qui te rend accro. »
Elle avait raison. Cette cigarette était l'une des meilleures inventions equestriennes de tous les temps. Je pouvais décider de le faire ou non, et c'était ça qui me donnait envie d'en fumer. Elle me calmait, me détendait, je me sentais bien avec elle, et pourtant, elle me brûlait, me détruisait de l'intérieur. Pourtant, je me sentais libre avec elle.
Sugar arriva derrière moi, je ne l'avais pas entendue ouvrir la porte. Elle ne me fit aucune remarque. D'habitude, elle venait juste pour me dire d'arrêter de fumer, qu'elle ne m'avait pas appris ce genre de mauvaise habitude pour une bonne raison, mais aujourd'hui, elle ne disait rien, se contentant de venir s'asseoir à côté de moi pendant que j'amenais ma cigarette à ma bouche.
« Ça a été ta journée ? » Me demanda-t-elle pour briser le silence.
« Pinkie Pie est partie, j'arrive à entendre le silence sans elle, mais on dirait qu'elle a emporté tout Ponyville avec elle. Et toi ? Tu ne m'as encore rien dit sur ta journée d'essai au spa. C'était comment, tu es prise ?... » Les émotions qu'elle dégageait me firent comprendre que ça n'avait pas été aussi bien qu'elle l'aurait voulu, mais l'odeur se transforma très vite pour laisser place au calme, la sérénité. Elle n'allait pas se laisser abattre pour un autre refus, et elle gardait l'espoir de trouver un travail qui lui conviendrait. « Désolé. » Dis-je en expirant la fumer pendant qu'elle penchait la tête contre mon épaule.
« Bah, j'aimais pas vraiment ce travail de toute façon… En plus elles me trouvaient trop grosse, non, mais tu le crois ça ? » Elle leva les yeux sur moi et je m'empressais de lui répondre pour la calmer.
« C'est n'importe quoi ! Tu as de larges hanches, mais c'est justement ça qui te rend encore plus attirante aux yeux de tous les étalons, je le sens quand on marche en ville.
-T'es en train de me dire que tout le village me trouve trop grosse ?
-Euh… non attends, je… ce n'est pas ce que je voulais dire.
-T'as une drôle de façon pour consoler toi... » Gloussa-t-elle avant de se serrer un peu plus contre moi. « Tu mangeras quelque chose ce soir ?
-Ça dépend, qu'est-ce que tu prépares ?
-Gratin de brocoli. » Elle vit aussitôt sur mon visage que son menu ne me faisait pas particulièrement envie. « Oh arrête de faire l'enfant, si c'est toi qui décidais du menu on mangerait des cerises matin, midi, soir.
-Il est où le problème ? T'aime bien les cerises toi aussi, non?
-Oui, mais parfois, il faut savoir changer. »
Changer, j'en savais beaucoup sur le sujet. Changer de vie, de nature, de priorité, de compagnons, de maître… J'avais l'impression qu'à chacun de mes choix, je m'enfonçais un peu plus dans un gouffre, pourtant, j'étais heureux. Car c'était moi qui prenais mes décisions en toute liberté. Mais est-ce que Sugar était vraiment capable de faire ça, changer ?
« Tu as raison Sugar, il faut savoir changer. » Affirmais-je en lançant le reste de ma cigarette au loin.
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