Chapitre 2 - Le Premier Crime de la Décennie

"Ça fait une demi-heure que le corps a été découvert," énonce le stagiaire. "La cause du décès semble être l'asphyxie suite à un étranglement provoqué par une corde, ou objet similaire, non présent sur les lieux du crime."

L'endroit empeste le brûlé. Alors cette odeur venait de là. Le pauvre pâtissier est étendu devant son four, l'expression classique de la surprise et de la peur sur son visage. Il n'a pas vu sa mort venir. Pauvre de lui.

"Où est sa femme ?" fais-je. "Et ses enfants ?"

"Mme.Cakes serait en livraison à Canterlot pour la journée, et les poulains dorment à l'étage. Il faudra attendre les résultats de l'autopsie, mais la mort a probablement eu lieu dans l'après-midi."

"Il y a deux heures environ."

Le stagiaire me regarde, surpris. Je m'explique, lasse de constater que personne ne sait cela.

"Ce qu'il préparait nécessite de baisser la température sur la fin de la cuisson. À en juger par le thermostat, il est arrivé au bout, et au vu de la carbonisation de son plat, et de l'odeur qui règne en ville, cela fait deux heures que la cuisson aurait dû prendre fin. De plus, il était devant son four, donc à attendre quelque chose. Soit il venait de mettre le thermostat, soit il s'apprêtait à sortir le plat."

C'est le premier meurtre à Ponyville depuis des années. C'est troublant et inquiétant. Mais au delà de ça, ce crime m'affecte. Le meilleur pâtissier d'Equestria. Peut-être un crime de la concurrence d’ailleurs ? Une première piste.

Et ces idiots qui me regardent, impressionnés. Voilà les forces de l'ordre de notre ville. Le commissaire Whooves a dû se faire plaisir, envoyer autant d'agents et aller jusqu'à dénicher le seul particulier de la ville. Pour une fois qu'il se passe quelque chose, ce n'est pas étonnant qu'il veuille faire du zèle.

Seule Lyra, à qui je tourne volontairement le dos, ne me regarde pas avec cet ébahissement. De ce que je sais, elle ne me fixe pas, mais je sens parfois son regard se poser sur moi, l'espace d'une seconde.

Un des officiers soupire.

"Si seulement sa jument avait été là, peut-être que..."

"Peut-être qu'il y aurait deux corps au lieu d'un, réfléchissez un peu à ce que vous dites."

Je suis sans doute un peu sèche de le couper ainsi, mais ce genre de suppositions vaseuses sur un événement passé m'horripile au plus haut point. Ce qui compte, ce sont les faits, pas ce qui aurait pu être.

"De ce qu'on sait, leur magasin embauchait deux stagiaires," explique Lyra. "Nous allons vérifier leur alibi."

J'examine la scène, m'approchant du comptoir pour y déceler une quelconque trace d'indice.

Quelques friandises dans un joli panier d'osier, diverses pâtisseries dans la vitrine. J'ouvre la caisse. Pleine. Le vol n'est donc pas le motif. Pourtant, un détail attire mon attention. Parmi les pièces, un petit bonbon, similaire à ceux dans le panier, est anormalement présent.

Je fais un signe de tête à Lyra pour qu'elle vienne le prendre sans abîmer les éventuelles empruntes. Elle obtempère sans oser croiser mon regard et j'ai tôt fait de détourner le mien pour m'occuper du corps, qu'ils ont enfin fini d'examiner.

Mr.Cakes. Il porte clairement des traces de suffocation : ses yeux sont injectés de sang, une marque fine de ce qui l'a étranglé est visible sur son cou. La chose était aussi épaisse qu'un cheveux. Peut-être un fil de nylon, ou de pêche, et il a été serré avec une telle force que la chaire est entaillée. Son assassin lui en voulait sérieusement à ce brave pâtissier pourtant sans histoires...

Mais étrangement, il y a de nombreuses marques. Le fil a glissé plusieurs fois avant de parvenir à l'étouffer. Il s'est débattu, alors qu'il semble avoir été pris par surprise. Quelqu'un d'un tant soit peu doué l'aurait eu d'un coup au vu de sa force, mais ici, on dirait presque que l'agresseur a hésité à y aller franchement dès le début. Un remord ? Les autres traits sont peu creusés, ce qui semble confirmer cela...

"Bon," fait Lyra en se tournant vers ses subordonnés. "Toi, tu vas chercher des renforts pour évacuer le corps, toi tu restes ici et moi je vais interroger les stagiaires."

"Je vous accompagne."

Lyra s'arrête alors qu'elle marchait vers la sortie. Visiblement, elle n'apprécie pas mon vouvoiement, et c'est un peu le but.

"Si ça ne vous dérange pas," ajouté-je.

"Non," répond t-elle finalement sans même se retourner. "C'est bon, vous pouvez venir."

Elle s'avance vers la porte et sort, laissant soudainement entrer un brouhaha qui était en fond depuis tout à l'heure. Une foule de badauds est assemblée devant le magasin.

D'ailleurs, sortie de la populace, elle se fraye un chemin vers nous.

"Princesse," faisons-nous en nous inclinant devant Twilight Sparkle.

"Expliquez-moi," nous presse t-elle, soucieuse. "J'entends toute sorte d'histoires, certaines parlent même d'un meurtre..."

Elle prend ça pour une rumeur. Et mieux vaut ne pas trop l'ébruiter devant cette assemblée murmurante.

Mais notre silence vaut toutes les réponses du monde. Son visage se voile, blessée par cette atroce nouvelle dans sa pourtant sympathique bourgade. Comme je la comprends

"Nous allons chercher les stagiaires."

Sans autre formalité, Lyra passe devant la princesse, moi à sa suite. Nous l'abandonnons à sa détresse, avant de la voir rentrer dans le magasin, hésitante.

Alors que la foule s'écarte sur notre passage, elle s'ouvre en même temps sur une jument turquoise tirant une charrette vide. Il y a quelques secondes, elle arborait un sourire intrigué devant toute cette foule devant chez elle. Mais elle l'a perdu bien vite en nous voyant, nous et nos airs graves et amères, l'uniforme de Lyra complétant le tout.

Désormais, elle est horrifiée, et si Lyra ose lui adresser un regard compatissant, je n'ai pour ma part pas le courage de croiser ses yeux.

Elle abandonne son bagage sans même s'en préoccuper et se jette à travers la foule, poussant quiconque la gêne entre elle et sa demeure, la peur sur son visage.

"Allons-nous en," fais-je en reprenant la route d'un pas pressé. "Vite. La nuit va bientôt tomber."

Je n'aime pas les scènes de pleurs...