Chapitre 3 - Première Piste

"Le premier stagiaire est celui qui a découvert le corps," me fait Lyra en ouvrant la porte du commissariat de Ponyville. "Enfin, je devrais plutôt dire « celle »."

Des années que je n'avais pas approché ce bâtiment. Toujours aussi austère de l'extérieur, et aussi peu charmant à l'intérieur. Évidemment, c'est le soir, les lieux sont quasiment vides, si on excepte les quelques agents de garde alertés par l'affaire, en effervescence, peu habitués à devoir gérer toutes les procédures correspondantes.

Lyra et moi passons rapidement le hall et la réception pour aller plus loin, dans les pièces où l'on met les poneys en garde-à-vue. Peut-être sont-elles remplies de poussière tant elles ont peu l'habitude de servir ? Ah, tient, quelqu'un se tient devant l'une d'elle, la mine grave. Oh, je le connais même, ce vieux commissaire Whooves. D'ailleurs, il a l'air de me reconnaître. Et il n'a pas l'air d'apprécier.

"Qui t'as donné la permission de la mêler à cette affaire !?" tonne t-il immédiatement sur Lyra. "J'avais dit qu'on évitait d'ébruiter tout ça jusqu'à demain !"

"Sauf ton respect, Whooves, la moitié de la ville est au courant, y compris la princesse. Donc j'ai bien envie de dire que le contrôle de l'information t'as échappé, un peu comme celui de tes subordonnés."

Oui, c'est moi qui ai dit ça. Et de la manière la plus calme du monde. Ce n'est sans doute pas la réponse que Whooves attendait, et en aucun cas la meilleure façon d'entamer une conversation, mais c'est un peu une habitude de m'adresser à lui de la sorte. La preuve, cela l'énerve à peine.

"Ne viens pas te mêler de ce qui ne te regarde pas !"

"Un meurtre a eu lieu dans ma ville, cela me regarde. C'est la première fois depuis que toi et moi sommes en fonction, on parle d'une vie qui a été ôtée, et toi tu voudrais ralentir la progression de cette affaire par fierté ?"

"Tu insinues qu'on serait trop lent sans toi !?" bouillonne t-il.

"Simplement que chaque minute de perdue est une minute de plus avec un tueur en liberté. Mon aide ne peut pas être néfaste."

Il veut répliquer quelque chose, ça se voit. Mais il ne trouve rien. Il sait que j'ai raison. Ce cas unique nécessite toute l'aide dont il peut disposer, moi incluse. Il finit par lâcher un "C'est une collaboration à titre exceptionnelle," d'un ton dur, ce à quoi je réplique :

"Nous sommes d'accord sur ce plan là. Si je peux éviter d'avoir à faire avec toi ou tes subordonnés, cela m'arrange."

Je ne sais pas pourquoi. Je ne peux pas m'en empêcher. Il faut que je fasse une remarque blessante. Pas pour Whooves, ça je m'en fiche, mais pour celle à côté, qui n'ose même pas tourner le regard vers moi, ou faire mine d'avoir relevé mes propos. Que ça m'énerve qu'elle fasse semblant, comme s'il ne s'était rien passé.

"Où est la stagiaire ?" demande-je finalement, chassant mes émotions pour revenir à l'affaire en cours.

Whooves me jauge quelques instants, le regard sévère, puis énonce :

"La porte à ta droite. Évitez de la brusquer, elle a subit un grand choc."

"Merci."

Sans tenir compte de cet excès de reconnaissance de ma part, il fait demi-tour et nous laisse. Me tournant vers la porte, j'annonce à ma... comparse :

"Je m'occupe d'essayer de l'interroger. Reste en dehors, deux personnes à la fois pourrait l'intimider."

"Comme tu veux," répond t-elle d'une voix se voulant neutre.

Nous entrons dans le bloc, avec son habituel miroir sans teint. À travers, on aperçoit, effondrée sur une table, la première stagiaire en pleurs, Pinkie Pie.

Je la connais un peu, comme tout le monde à Ponyville en fait. Et j'en sais assez pour comprendre à quel point cette découverte a pu l'affecter. Mais vu l'importance de l'affaire, je ne peux pas attendre qu'elle se calme, surtout si ça doit lui prendre des jours. J'entre et referme la porte derrière moi.

Ses yeux rougis émergent d'entre ses sabots pour me regarder d'un air suppliant, quelques mèches de sa crinière dégonflée lui tombant devant le visage.

"Est-ce que tu viens me dire que c'était une mauvaise blague... ?"

Oui. C'est ce que j'aimerais pouvoir répondre. En fait, après avoir vu son visage, c'est la seule chose que je pourrais dire. Mais ce serait un mensonge. Alors je me tais, et je m'assoie en face d'elle.

"J'ai besoin de savoir ce qu'il s'est passé cet après-midi, Pinkie."

Ni trop brusque, ni trop doux. Je ne peux pas la laisser espérer que tout ça soit en effet une blague. Elle renifle lourdement, se mettant à trembler. Il faut que j’enchaîne.

"C'est vraiment important. Il faut que tu m'en parles si on veut empêcher que ça arrive à nouveau."

"P-Parce que ça va arriver à nouveau... ?" me fait-elle, de nouvelles larmes perlant de ses yeux.

Mauvais choix de mots de ma part. Je ne suis pas habituée à devoir les manier avec autant de précautions. Mais c'est encore rattrapable.

"Pinkie, dehors il y a quelqu'un. Quelqu'un qui a tué M.Cakes et qui est toujours en liberté. Et il n'y a que trois personnes qui peuvent avoir des indices sur lui. Lui-même, le second stagiaire... Et toi. Tu comprends ?"

Elle acquiesce en reniflant à nouveau, avec un petit couinement triste.

"Alors je t'écoute. Prend ton temps, ne t'en fais pas, l'important c'est que tu le dises... Sans rien oublier."

C'est à moitié vrai. Si elle pouvait se dépêcher, ce serait bien. La nuit est presque tombée, à ce rythme, on ne pourra pas aller voir le deuxième stagiaire avant demain.

Mais au moins, Pinkie commence son récit.

"L-La journée à débuter à six heure... M.Cakes se lève toujours... Enfin... Se levait..."

Sa gorge se noue sur la dernière phrase. Je lâche un "Pinkie," un peu sec pour qu'elle reste concentrée. Après un hoquet de sanglot, elle continue :

"I-Il se levait tôt, pour que même les habitants les plus matinaux aient de quoi petit-déjeuner s'ils passaient par là. Comme Mme.Cakes était absente, je devais l'aider, donc j'étais là, un peu fatiguée. On a servi plein de monde jusqu'à dix heures..."

"Qui ?" fais-je en profitant de sa pause.

"J-Je ne me souviens plus," fait-elle, troublée. "Il y avait... Derpy en première, qui a voulu un muffin je crois. Puis Cloud Chaser a pris deux cupcakes. Vinyl est venue prendre un gâteau qu'elle avait commandé. Twilight est venue, avec Applejack, pour manger un morceau et aussi venir me voir. Rainbow Dash les a rejointes un peu après."

Se concentrer sur sa liste lui fait un peu oublié le drame on dirait, elle est un peu plus à l'aise. Mais ça ne va pas durer.

"Sparkler est venue avec Twinkle. À dix heures, un poney de Manehattan est arrivé et a pris M.Cakes à part pour lui parler. Je ne sais pas ce qu'ils ont dit, mais le poney est ressorti avec l'air d'être en colère, et M.Cakes semblait contrarié..."

Pinkie s'arrête dans son récit, voyant que mon expression a brutalement changée.

C'est une piste. Mais pas de précipitations, Bonbon, ne loupe pas un élément important.

"Dis m'en plus sur ce poney."

"Il était bleu... Un licorne. Il a dit qu'il s'appelait Sweet Caramel."

J'entends la porte du bloc s'ouvrir à la volée. Lyra a dû partir prévenir Whooves. Je peux les laisser s'occuper de ça pour l'instant. Il faut que je continue à l'écouter, au cas où il y aurait d'autres pistes.

"Et ensuite ?"

"Ensuite, il y a eu Rose et Cloud Kicker. Puis Lyra, et enfin Daisy. J'ai fini mon service à midi, alors je suis rentrée chez moi."

Sa voix décroit sur la fin de sa phrase, ses lèvres se mettant à trembler. Je m'avance pour poser mon sabot sur le sien.

"C'est bon, Pinkie... Tu as fais ce qu'il fallait, c'est fini maintenant."

Elle me regarde, des larmes perlant aux coins de ses yeux.

"Pourquoi quelqu'un aurait fait ça... ? M.Cakes était tellement gentil... Il avait toujours le sourire... Il était doux avec ses enfants... Ils sont orphelins maintenant... Pourquoi... ?"

Elle fond à nouveau en larmes, enfouissant son visage dans ses sabots. Je soupire doucement. Moi aussi je me demande pourquoi quelqu'un ferait ça, Pinkie...

"Mais je te promets que je vais l'arrêter. Quoi qu'il m'en coûte."