Si le tristement célèbre Massacre de Ponyville ne pouvait pas, officiellement du moins, être incombé à l'un des deux camp, les événements de Sweet Apple Acre venaient eux d'un ordre direct des hautes instances de l'Empire. Bien entendu, si l'action avait porté ses fruits, il n'y aurait eu aucun témoin et l'affaire, ainsi que la guerre, en seraient restés là, mais l'échec d'Heartless avait permit de donner une nouvelle et puissante arme aux forces lunaires : la vérité sur l'Empire Solaire. Les rebelles, jusque-là vus avec méfiance et suspicions, eurent une preuve écrite dans le sang et les flammes de la cruauté de l'Empire, et de plus en plus de poneys comprenaient désormais la défection de Luna.
Des manifestations eurent lieu un peu partout dans le pays, prémices de ce qui donnerait la grande révolte de Manehattan. De vielles affaires étouffées remontèrent, comme le mystérieux silence radio de Las Pegasus ou la répression contre les bisons dans la région d'Appleloosa, dont la version officielle fut sérieusement remise en cause. Les autorités ne tardèrent pas à réagir, et de nombreuses unités de Licornes du Soleil furent envoyé pour faire taire les mécontents. Loin de les dissuader, cela leur donna le courage de franchir le cap, et rejoindre les forces rebelles.
Ce fut donc une vague de volontarisme à laquelle durent s'adapter les partisans de la princesse déchue. Les vols de matériel solaire se firent de plus en plus nombreux et plus audacieux, jusqu'au point critique : les lunaires furent trop nombreux pour continuer leur action comme auparavant, et il était temps de déclencher la guerre totale.
Deux événements marquèrent cette date d'une pierre rouge. Le premier fut le déploiement magique colossal de la princesse de la nuit, qui lutta contre le contrôle de sa sœur sur le soleil pour le faire descendre, tout en levant son propre astre. La princesse Celestia ne manqua pas de réagir, et ce fut alors que commença le terrible duel mental qui durerait des années, peignant le ciel d'une sinistre couleur sanguine.
L'autre événement qui fut la véritable déclaration de guerre de Luna contre sa sœur fut la tentative d'assassinat sur la Bouche de Celestia, son neveu le prince Blueblood. « La balle qui a déclenché la guerre ».
Ciel Rouge, par True Story, 53 E.S.
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Stalker frissonna. Sur les hauteurs de la montagne, il faisait froid, et il ne pouvait pas se réchauffer au risque de trahir sa position bêtement en allumant un feu. Cependant, même à ces hauteurs, il ne mourrait pas congelé s'il s'asseyait un peu pour se reposer. Il sortit sa montre. Le discours du Prince allait débuter dans six heures. Il avait le temps, mais il savait mieux que quiconque que ce temps pouvait partir très vite.
Surtout quand il fallait escalader une gigantesque montagne, seul, avec ses sabots et un équipement d'escalade qui, s'il était efficace, n'en était pas moins fatigant à utiliser. Mais c'était le lot de tous ceux qui voulaient être discrets. Arriver en amont de Canterlot en montgolfière aurait été malvenu.
Il sortit un brin de paille, le mit au coin de sa bouche et regarda le paysage. Equestria était un pays magnifique. Même si la vue de Canterlot, sur l'autre versant, donnait une meilleure appréciation de la richesse de cette contrée, ce que voyait le tireur valait le coup d'avoir des yeux. Des prairies vertes à en faire pâlir de jalousie Windvision, de petites villes poussant çà et là augurant d'un bon accueil, des champs de blés jaunes s'étendant à perte de vue, des vergers resplendissants...
Mais la guerre qui s'annonçait allait ronger cette tranquillité. Les champs de culture allaient être transformés en champs de bataille. Il pouvait le sentir. Tout le monde pouvait le sentir.
En parlant de champs, Stalker prit le brin et l'ôta de sa bouche. Il regarda fixement la plante jaune. Quand avait-il prit cette habitude de constamment mâchouiller de la paille ? Il savait que certains fermiers le faisaient, pour s'entretenir les dents notamment. Mais lui, il le faisait parce que ça lui permettait de réfléchir, de se poser, d'être en paix intérieurement. Comme si le petit brin aspirait toute son agitation et la détruisait au fur et à mesure que le poney réduisait en charpie le végétal innocent. Finalement, il le remit dans sa bouche, coupant court à toute digression. Il avait pris cette habitude, et maintenant, ça faisait partie de lui. Shadow Stalker sans brin à la bouche n'était pas Shadow Stalker. Ou alors c'est qu'il était en train de combattre. Et encore. Il ne mourrait pas d'une addiction, de toute façon.
Machinalement, il mit le sabot à son fusil. Il observa l'engin cracheur de mort. C'était le même qui lui avait permis d'obtenir sa Marque, quelques temps plus tôt. Il l'avait lourdement amélioré, ajoutant une lunette d'excellente qualité, rallongeant le canon, augmentant la taille de la chambre pour permettre d'y loger des balles de plus gros calibre, plus à même de faire des dégâts importants, et un moyen de fixer un silencieux. Il avait ajouté une batterie de moyens de stabilisation : trépied rétractable, sangle, crosse plus confortable. Un engin de mort parfaitement adapté à son maître.
Il songea à Derpy. Normalement, une opération comme celle-ci nécessitait deux personnes, pour l'observation, la couverture, et autres joyeusetés. Cependant, lors de la planification de la mission, ils s'étaient heurtés à deux problèmes : la distance à la cible, et la difficulté d'accès au poste de tir. Pour la première, les deux seuls tireurs ayant les capacités de réussir un tir d'une telle difficulté étaient Derpy et lui-même. Mais depuis Sweet Apple Acre, la pégase refusait hystériquement de toucher, ou même de poser son regard de façon prolongée sur une arme. Sans parler des fusils à lunettes.
Rien ne pouvait la calmer. Stalker l'avait même surprise à rôder autour des quartiers de la Princesse, une arme au sabot. Elle semblait ne pas savoir quoi faire, regardant l'arme, puis la tente, et faisait les cents pas, marmonnant des paroles incompréhensibles. Lorsque Stalker s'était approché, elle l'avait visé, en proie à la panique. Puis, reconnaissant son chef, elle avait baissé son arme, sans toutefois la ranger. Son regard, la direction générale du moins, allait souvent vers la tente, puis par terre. Il n'avait pas fallu faire preuve d'un grand génie pour comprendre ce qui se tramait dans sa tête. Mal à l'aise, l'étalon lui avait alors parlé, tentant de la dissuader de faire une idiotie sous le coup du chagrin. Cela avait suffit à faire céder la pégase, qui s'était effondrée, en pleurs, répétant le nom de sa fille disparue.
Puis elle avait soudainement mis le canon de son arme sur sa tempe.
Stalker ne se rappelait pas avoir un jour réagi aussi vite, ni frappé quelqu'un aussi fort. Derpy avait volé en arrière, en lâchant son arme sans que le coup n’ait le temps de partir. Il lui avait ensuite hurlé dessus, montrant une colère rare chez lui. Mais à travers ses paroles, c'était aussi une véritable inquiétude qui transparaissait. Derpy était plus qu'une collègue au talent hors-pair, c'était une amie, gentille et affable, qui remontait le moral des autres quand le besoin s'en faisait sentir. Elle, moins que tous les autres, ne devait pas mourir, pas d'une façon si stupide.
Elle l'avait regardé un moment, sans voix, puis, les larmes ruisselants sur ses joues, elle avait demandé pardon. D'autres lunaires s'étaient approchés pour voir d'où venait ce vacarme, et elle leur avait demandé pardon à eux aussi. Puis, lorsque Luna elle-même était sortie de sa tente, elle s'était jetée à son cou.
La Princesse n'avait pas très bien compris ce qui lui arrivait, mais avait rendu l'affection de la pégase sans poser de question.
L'incident clos et Derpy mise sous surveillance, l'étalon rouge était parti du camp, à la recherche du compagnon de la jument. Trouver ce fameux docteur avait été rapide, deux jours à peine, le temps de mettre son réseau d'information en marche. Il ne l'avait jamais utilisé pour des raisons personnelles, mais il s'était justifié à lui-même en se disant que Derpy avait tout de même projeté d'assassiner Luna.
Il n'avait jamais vu des personnes aussi heureuses de se voir l'une et l'autre. Derpy n'avait plus jamais rien tenté depuis. Elle avait retrouvé une occupation de distribution de courrier, ce qui lui rappelait sa vie d'avant-guerre. Son compagnon veillait attentivement sur elle.
Cependant, il avait appris dans le même temps une information très grave. Celle qui lui valait désormais de monter seul sur cette foutue montagne.
Ceci étant, il aurait pu être accompagné de Windvision et de ses yeux d'aigle, mais celle-ci s'était rendue coupable d'être incapable d'escalader sur une telle distance. Malgré les protestations des différents partis, notamment de la Princesse qui détestait l'idée de ce qu'il allait faire, il avait décidé d'y aller seul.
Quelque part, c'était peut-être mieux. Qu'il soit le seul à porter la responsabilité de ce qui allait se passer.
Il cracha son brin de paille, ramassa son fusil et l'accrocha solidement, fixa les crochets à ses sabots et reprit l'escalade.
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Il lui fallut deux heures de plus pour atteindre l'endroit prévu. La corniche était assez grande, peut-être même pouvait-il faire un feu sans être repéré. Mais il ne devait prendre aucun risque, surtout pas maintenant. Néanmoins, il put s'installer tranquillement. Il regarda en contrebas avec des jumelles. Il ne vit d'abord qu'un flou, et régla le focus. Enfin, l'image se dessina.
Les préparatifs pour le discours du Prince allaient bon train. L'estrade était déjà installée, et les chaises étaient apportées par des poneys courant dans tous les sens. Autours, on faisait venir des barrières, pour encadrer l'endroit où se tiendraient les spectateurs. Satisfait, Stalker baissa ses jumelles, se leva et revint vers son sac qu'il avait laissé au milieu de la corniche. Cette mission comportait un risque, celui que le discours se passe dans un endroit camouflé par les nombreux toits de Canterlot. Heureusement le Prince était trop vaniteux pour ne pas parler sur la place centrale, et la vue était parfaitement dégagée. Pour le reste, c'était une question de talent.
Le tireur sortit sa cape de camouflage. Elle ne lui servirait en rien pour ce but, mais elle avait l'avantage de le tenir au chaud. Lady Rarity avait fait du bon boulot, comme toujours. Il sortit un thermos de son sac, l'ouvrit, et sentit le café. Il était encore chaud. Les licornes qui avaient inventé ce truc permettant de garder les liquides au chaud sur un temps prolongé étaient géniales. Il but une gorgée de café qui lui réchauffa la gorge, puis descendit jusqu'à son estomac, d'où la chaleur se répandit dans tout son corps. Windvision avait un paquet non négligeable de qualités, et faire le café en était un des principaux. Dommage qu'escalader les montagnes n'en fasse pas aussi partie.
Réchauffé, il se rendit de nouveau au bord de la corniche. Il n'avait pas le vertige. Tout en lui hurlait qu'il était fait, qu'il avait été conçu pour ce genre de travail. Et pourtant, il était né en période de paix, ce qui lui faisait demander si une espèce de destin n'avait pas joué dans cette histoire, si la guerre n'était pas inévitable, annoncée par la naissance de ce tueur-né...
Il secoua la tête. Depuis quand était-il vaniteux au point de se croire la cause de la guerre ? Sans compter que les derniers qui avaient parlé de destin reposaient en ce moment sous une pierre d'un certain poids. Il était né pour tuer ? Bien, alors il tuerait. Sa cuisse le démangeait.
Il prit son fusil, et se coucha au bord du gouffre. Il s'installa le plus confortablement possible, mit sa cape sur lui, et prit ses jumelles. Maintenant, il fallait juste attendre.
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-Non ! Non ! Ça ne va pas !
Fancy Pants soupira. Qu'est-ce qui se passait encore ?
-Mon discours se doit de se dérouler dans un environnement grandiose !
Le noble poney tourna son regard vers l'auteur de ces bruits. Le Prince Blueblood était en train de malmener un jardinier :
-Ces fleurs n'ont rien à faire là ! Elles ne s'accordent pas avec ma crinière ! Et vous, dit-il en pointant un autre poney du sabot. Qui vous a permis de mettre ces chaises si près ? Je ne veux personne à moins de dix mètre de l'estrade, sinon, ils ne pourront pas me voir dans toute ma grandeur !
Fancy Pants roula des yeux. Et l'écouter alors ? L'entendre déclamer des discours passionnés, énergiques, remplis de mots justes qui touchent au fond des âmes ?
Ah ! Oui, c'est vrai, c'était lui les avaient écrits. Fancy Pants s'écarta, laissant le Prince à ses futiles considérations esthétiques. C'était déjà un miracle que le poney classieux ait réussi à lui faire accepter que la « plèbe » participe au meeting.
Aujourd'hui était une journée trop importante, ce séminaire trop plein de symboles, pour qu'ils rechignent à rassembler le plus de monde possible.
Le regard de Fancy Pants se perdit dans les montagnes qui surplombaient la ville et son château. Toutes ces années, il avait écrit des dizaines et des dizaines de discours pour Blueblood, porte-parole de la Princesse Celestia. Ses discours tenaient en haleine le peuple, ravivaient le fanatisme, poussaient les gens à se battre. Une part du travail revenait aussi, il fallait l'avouer, au Prince lui-même. Sa capacité à s'écouter parler lui avait donné un sens de la mise en scène des textes très surprenante.
Malgré tout, il aurait été un pantin inutile sans Fancy Pants. Le regard de la licorne continua de balayer doucement les montagnes.
Un pantin inutile, si Fancy Pants n'avait pas écrit ces textes.
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Stalker regardait Fancy Pants droit dans les yeux. L'espace d'une seconde, il crut que la licorne l'avait vu. Mais non, la coqueluche de la haute société ne faisait que contempler la montagne.
Le tireur englouti une autre gorgée de café. Les préparatifs étaient presque finis. Le temps passa, lentement, tandis qu'il gardait ses yeux derrières les lentilles de ses jumelles, scrutant le moindre mouvement. Le Prince était parti se préparer pour le discours, Fancy Pants surveillait donc les poneys qui mettaient la scène en place. Le poney à moustache semblait plus permissif que le membre de la royauté. Le jardinier en charge était même revenu mettre les fleurs que le Prince semblait avoir dénigrése.
Au fur et à mesure que l'heure fatidique approchait, sa concentration grandissait. Il sentait de moins en moins le froid, sa posture ne lui faisait plus de crampes. Il oubliait progressivement tout ce qui pouvait le déconcentrer. Les seules choses auxquelles il portait attention étaient la scène en contrebas, son fusil posé à côté de lui, avec lequel il avait fait quelques essais de positionnement, et le thermos de café presque vide. Il avait également grignoté quelques feuilles pendant son attente.
Plus que deux heures. Il se mit un brin de paille dans la bouche.
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Plus que deux heures. Fancy Pants commençait à faire entrer les premiers invités. La noblesse et la haute bourgeoisie de Canterlot arrivèrent en premier, et s'assirent sur les sièges installés aux premiers rangs. Les invités défilèrent pendant une bonne heure, se présentant au célèbre poney, discutant de choses et d'autres, sur des sujets étonnamment éloignés de la guerre. Il semblait au poney à la crinière bleutée que les hautes strates de la société ne se rendaient même pas compte, malgré les quelques années écoulées et la soudaine recrudescence de violence ayant fait suite au massacre de Sweet Apple Acre, de l'horreur qui se passait au pied de la montagne. Tous applaudiraient au discours. Pas un ne l'écouterai vraiment.
C'est pour cela que Fancy Pants tenait à ce que des poneys de plus basse extraction soit présents. Eux comprendraient le message. Eux sauraient ce qui se trame. Eux percevraient l'ampleur de ce qui se passerait ce soir.
Une fois tous les poneys « importants » installés, Fancy Pants fit ouvrir les grilles. Des poneys plus ou moins bien habillés, peu ou pas maquillés, aux mines sombres et ravagées par des cernes, passèrent les grilles. D'autres, à la mine plus joyeuse, entraient en regardant avec des yeux brillants d'excitation les contreforts du château. Ceux qui venaient étaient ceux qui souhaitaient entendre les paroles réconfortantes de la Bouche de Celestia, le prince Blueblood, à savoir les désespérés et les fanatiques.
C'était caricatural, mais après tout, ce monde virait de plus en plus vers la radicalité en ce qui concernait les psychologies. Fancy Pants n'était finalement pas si loin du compte.
Les poneys moins aisés n'avaient pas de bancs. Malgré ses efforts, la Princesse n'avait jamais su faire sauter la barrière entre poneys riches et poneys du peuple, et les récents déboires économiques de l'Empire Solaire n’arrangeaient rien. En vertu de quoi, le Prince, dans sa mansuétude, avait accepté qu'ils assistent à son discours, mais pas qu’ils aient de bancs.
Finalement, le temps passa rapidement, à installer tous les convives. Il devait y avoir une centaine de poneys assis, et plus de deux cents debout. Et d'autres écoutaient sûrement hors des barrières.
Tout était prêt. Fancy Pants se plaça à côté de l'estrade. Derrière le rideau, le Prince vérifiait une énième fois que sa mèche tombait pile au bon endroit. Puis il tendit la patte vers Fancy Pants. Celui-ci lui donna son texte, et le Prince prit son inspiration. Il avait répété toute l'après-midi. Il était prêt. Une lueur sauvage lui traversa les yeux, et il s'élança sur la scène.
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Ça commençait. Le Prince s'était avancé, la royauté et l'arrogance pouvant se sentir à chacun de ses pas. Il s'était dirigé vers le pupitre sous les ovations des puissants, et quelques-uns des poneys debout lui faisaient des grands signes, comme hystériques. Il s'installa au pupitre, et les autres notables vinrent se poster prêt de lui, de part et d'autre. Fancy Pants était juste à côté, à gauche de Blueblood, donc à droite pour le tireur.
Shadow Stalker baissa ses jumelles. Il cligna plusieurs fois des yeux. Rester aussi longtemps les yeux collés aux lentilles les lui avait desséchés. Il parcouru rapidement du regard les environs, faisant faire une série de mouvement rapide à ses organes de vision. Une fois la douleur passée, il reposa ses jumelles, et prit son fusil. Il le cala dans le creux de son épaule. Stalker se mit à se demander qui avait créé ces engins de mort, surtout pendant la paix ? Il n'en avait aucune idée, et n'en avait cure non plus. Seul importait maintenant la cible. Il mit son œil à la lunette, et régla la lentille. Il avait enlevé le brin de paille de sa bouche.
Il était à plus d'un kilomètre de la cible, et pourtant, il la voyait parfaitement. Le Prince était là, tout le monde était là.
Et tout le monde allait voir.
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Fancy Pants écoutait le Prince débiter son discours. Cela ne l'intéressait plus depuis un moment. Son esprit était ailleurs, préoccupé par la suite des événements. Soudain, Blueblood se mit à vociférer et à faire de grands gestes. Il attaquait la partie la plus véhémente du discours.
Bientôt, il attendrait la partie concernant le zèle des troupes, comment il fallait le cultiver, pourquoi il fallait châtier les traîtres qui outrepassent leurs paroles, et pourquoi ils devaient mettre un terme à cette ridicule République Lunaire, pourtant dirigée par une Princesse, déchue de surcroît, qui avaient, sans honte, profité de la générosité d'une famille de fermier pour les doubler, obligeant les forces solaires à sévir.
Un hommage direct et une complète négation d'un quelconque tort dans l'affaire de Sweet Apple Acre.
Il avait envie de vomir.
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Stalker avait la tête du Prince juste devant le réticule, et pouvait toujours voir la tête de Fancy Pants sur le côté de sa lentille. Il décala légèrement la visée au-dessus de la tête du Prince, pour palier à la gravité.
Il respira doucement. Depuis deux heures, son corps se préparait pour cet unique instant. Des petits fanions indiquaient un léger vent qui allait vers sa droite.
Il avait le prince juste en dessous de son réticule.
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Fancy Pants entendait le Prince débiter des horreurs patriotiques. Des horreurs que lui avait écrites. Il n'en pouvait plus. Il en avait assez de jouer ce rôle. Il était temps de mettre fin à tout ça.
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Shadow Stalker vit Fancy Pants faire un mouvement de tête. Comme s'il s'étirait le cou, le poney fit trois tours.
Le signal.
Il vida ses poumons, bloqua sa respiration, et appuya sur la détente.
La balle mit légèrement plus d'une seconde à atteindre sa cible. À cause du vent, elle vira d'une dizaine de centimètres.
La tête de Fancy Pants explosa.
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Les soldats de Celestia ne trouvèrent rien à l'endroit d'où provenait le tir. L'assassin n'avait pas laissé de traces. Une aptitude que Stalker avait travaillé avec soin pendant cinq ans. Il s'autorisa une pause à mi-chemin de la descente. Il faudrait du temps avant que les pégases ratissent le secteur.
Il sortit son étui et y prit un brin de paille, mais s'arrêta en plein mouvement. Il ne lui en restait presque plus. Il en avait déjà tant pris ?
Les minutes qui avaient suivit l'assassinat repassèrent dans sa tête. Au moment où il avait touché Fancy Pants, il en avait pris un. Quand il avait rangé son matériel en hâte, il en avait pris un. Quand il avait entamé la descente, il en avait pris un. Tout au long de sa route, il les avait enchaîné, à un rythme qui ne lui ressemblait pas.
Et là, alors qu'il était sur le point d'en prendre un autre, il vit que sa patte tremblait.
Il se sentait mal. Il ne s'était jamais senti mal après avoir tué quelqu'un. Il n'avait même pas raté sa cible. Les solaires penseraient le contraire, que l'assassinat du prince Blueblood avait raté, mais il n'en était rien. La cible n'était pas Blueblood. C'était Fancy Pants.
L'agent double le plus efficace des rebelles lunaires.
Un poney intègre, pacifiste et fidèle à ses convictions, connu de Lady Rarity. Stalker était entré en contact avec lui très tôt après le début de la rébellion, et il s'est avéré que les capacité du poney mondain à se faire accepter par la plupart des cercles de la haute société pouvait faire de lui un très bon agent infiltré. Il avait donc pénétré de plus en plus profondément dans les hautes sphère de l'Empire, jusqu'à devenir suffisamment proche du prince Blueblood, de la Princesse elle-même, et même, dans une certaine mesure, de Twilight Sparkle, lui donnant accès à des informations capitales pour les lunaires.
Cependant, il lui avait fallu une couverture suffisante pour camoufler ses actes, et il s'est rapidement retrouvé responsable de l'écriture des discours de la Bouche de Celestia. Ce fut alors une longue descente en enfer pour l'ancien militant de la paix, qui se retrouvait d'une part responsable de la propagande de l'Empire, qui justifiait des actes atroces, camouflait des crimes contre des communautés entières et enjoignaient des centaines de jeunes poneys à rejoindre l'armée, et de l'autre, fournisseurs d'informations qui se soldaient par des assassinats, des sabotages ou des raids sanglants.
Jusqu'à récemment, où il s'était fait grillé à tenter de prévenir les lunaires de la venue de Heartless. Les autorités de l'Empire attendaient juste le bon moment pour lui tomber dessus, car l'affaire s'était très peu ébruitée, même dans leurs rangs. Il fut alors décidé de tenter une opération d'exfiltration pour le tirer de ce guêpier.
Mais Stalker reçut un ultime message de sa part. « Tuez-moi ».
Le reste du parchemin détaillait son dégoût pour ce qu'il était devenu, la honte qui l'empêchait de regarder ses amis et sa femme dans les yeux, ainsi que les implications politiques qu'auraient sa mort, et surtout, le moment de sa mort. Pour le public, il s'agirait d'une tentative d'assassinat ratée de Blueblood, montrant à tous que les rebelles étaient prêts à tout pour venger le massacre de Sweet Apple Acre, et de faire triompher la vérité sur les mensonges de l'Empire. Et pour ceux qui connaissaient le véritable rôle du poney à moustache, le message serait clair : « nous n'hésitons pas à tuer les nôtres pour nous couvrir ».
Le tireur avait proposé le plan à la Princesse, qui, à force de négociation, avait fini par accepter, la mort dans l'âme. Il était temps de déclencher la guerre, et ce serait le signal. Platinum Armor avait validé à son tour, et commencé à rassembler les officiers pour établir un plan d'action.
La seule à avoir catégoriquement refusé était Rarity. Malheureusement pour elle, malgré son aide et son importance, elle n'avait pas voix au chapitre.
Stalker posa les yeux sur sa cape de camouflage. Il souffla devant l'ironie de la situation. Elle allait le détester pour ça. Lui-même ne savait pas vraiment quoi en penser. Tuer des ennemis ne lui posait aucun problème. Tuer des alliés ou des innocents apparemment beaucoup plus.
Il lui faudrait beaucoup, beaucoup de paille à l'avenir.
Il leva les yeux au ciel. Il s'était teinté d'une lueur rouge macabre, comme un présage des temps à venir. La Lune et le Soleil étaient tous deux présents, telle une confrontation céleste entre les deux astres.
Il sortit un nouveau brin de paille, qu'il mit dans sa bouche, et reprit sa descente.
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