Sa liste de choses à faire de plus en plus longue, couplée à un temps de plus en plus réduit pour la satisfaire, avait rendu Octavia quelque peu irritable. La nuit du Gala approchait, et elle était attendue avec son instrument dans moins d’une heure. Ainsi, c’est à son plus grand désappointement qu’elle trouva Vinyl endormie dans le lit, alors qu’elle devrait déjà être en train d’enfiler sa tenue.
Une salve de coups directs dans l’estomac remédia à cette situation, et Vinyl leva ses yeux troubles vers une Octavia plutôt indignée penchée sur elle.
« Vinyl, est-ce que tu dors ?! »
Un bref répit fut accordé par son regard furieux, et Vinyl se frotta vivement les yeux des sabots.
« Ouais… Je dormais, ça roule ? »
Octavia remit pratiquement Vinyl sur ses sabots elle-même, quelque peu pressée par un stress copieux, et un conducteur impatient qui attendait dehors pour les conduire au palais.
« Nous devrions être en train de rouler ! Allez ! Prépare-toi, habille-toi, nous partons dans quinze minutes. »
« Tu sais, je peux choper un taxi et te rej- »
« Non. Il faut que tu viennes avec moi, Vinyl. Tu es mon invitée, capische ? »
Les aptitudes de Vinyl aux langues étrangères étaient risibles. Dans son état actuel d’émergence vers le monde réel, son cerveau laissait simplement passer par une oreille et sortir par l’autre ce qui n’était pas équestrien.
« Attends… quoi ? Je vais… me préparer. T’as l’air en colère et fatiguée. »
« Tu as l’air mal lunée toi aussi Vinyl. S’il te plaît dépêche-toi, c’est important ! »
Octavia délaissa son expression volontairement froide, et fouilla partout pour trouver sa sacoche-selle avec sa robe à l’intérieur. Elle avait déjà fait un brin de toilette, et s’était débarrassée de son nœud papillon pour les besoins de la robe.
La marque de beauté de Toile Chatoyante – un morceau de tissu découpé en forme de poney par une paire de ciseaux – était incrustée sur la boucle du sac. Octavia n’avait pas pensé à l’ouvrir depuis qu’elle l’avait acheté. Dernièrement, elle avait passé sa vie à courir aux répétitions de dernière minute, passer du temps avec Vinyl, et – bien sûr – se rendre à l’Orphelinat avec elle une fois par semaine. Heureusement elles avaient réussi à faire les trois, et en étaient sorties intactes, quoique Octavia était sur des charbons ardents sur la fin.
Elle ouvrit le sac avec hâte, et fit un bond en arrière quand une forme grise et rose en surgit comme un diable. La robe fut catapultée dans les airs, avant de se jeter sur elle comme une nuée d’oiseaux affamés. Le vêtement s’accrocha à elle, s’enroula de lui-même aux endroits où il devait aller, et l’enveloppa dans son étreinte de tissu. Alors qu’Octavia reprenait son souffle, le petit collier de morganite flotta lentement vers elle et se referma autour de son cou, comme pour s’excuser du chahut occasionné par le processus d’habillage.
Octavia vérifia que tout était enfilé convenablement, et ne trouva aucun défaut. Un coup d’œil dans le miroir confirma ses observations, la robe était aussi parfaite que le jour où elle l’avait achetée. L’habillage automatique lui avait de plus fait gagner un temps précieux. Ça avait été l’avantage le plus traumatisant qu’Octavia ait jamais vécu, étant étrangère aux méthodes de la magie.
Il serait par ailleurs amusant d’oublier de prévenir Vinyl à ce propos.
Un moment plus tard, cette même licorne sortit de la douche en titubant, elle n’avait apparemment pas choisi de prendre une douche froide pour se réveiller. Un éclat de sa corne, et son corps émit un nuage de vapeur qui se dissipa aussitôt. Elle émergea de l’épicentre de sa technique de séchage rapide, secoua sa crinière pour la remettre en place, puis ouvrit sa sacoche pour exploser à nouveau dans un nuage de vapeur franchement moindre.
Alors qu’Octavia peinait à retenir un fou rire depuis l’embrasure de la porte, la robe de Vinyl finissait de se mettre en place. Octavia eut d’abord du mal à respirer après l’hilarité causée par Vinyl courant en cercle dans toute la pièce, tentant d’échapper à sa propre robe ; puis eut le souffle coupé par la vision de la jument devant elle. Vinyl pivota vers elle, une expression renfrognée sur son visage alors qu’elle gigotait dans sa tenue.
« Admets-le. J’ai l’air stupide, non ? »
Octavia réagit immédiatement en secouant la tête avec force.
« Bien au contraire. Ma foi, tu feras une excellente partenaire pour le Gala, ma chère Vinyl. »
La jument rougit, complétant les tons doux de sa robe avec un éclat de couleur. Elle vint devant le miroir, se tourna et se tortilla pour s’observer sous différents angles. Octavia remarqua un sabot qui lui tripotait les yeux inlassablement ; un nuage de magie souleva ses lunettes depuis la table de chevet, avant de les faire flotter devant elle avec hésitation, puis de les reposer.
« Elle avait raison, cette robe met mes yeux en valeur. »
« Vinyl, même sans robe tes yeux ont l’air charmants, mais ça accentue sans doute l’effet. »
Le rouge des joues de Vinyl se maria à celui de ses yeux, ce qui les rendait encore plus beaux pour Octavia. C’est uniquement parce qu’elle aperçut l’horloge du coin de l’œil à ce moment-là qu’elles purent par la suite arriver à temps au Gala.
« Oh, par tous les rayons de Célestia… Allez, Vinyl. Nous avons un Gala à conquérir. »
Vinyl suivit Octavia comme les deux descendaient au petit galop les escaliers qui les menaient à la charrette dehors. Le conducteur écrasa une cigarette, reprit ses rênes et se mit à gratter le sol comme s'il rongeait impatiemment son frein depuis tout ce temps. Il leur fit signe de monter, leur donna une minute pour se mettre à l’aise avant de démarrer sa course vers le palais à l’horizon.
Les premiers feux d’artifices s’envolèrent au loin, dérobant la grâce des étoiles et dominant leur beauté pour cette unique nuit. Un astronome plus attentif aurait remarqué que les étoiles brillaient plus fort qu’à l’accoutumée, une certaine princesse de la nuit s’étant efforcée de faire en sorte que les arts pyrotechniques ne volent pas la vedette à son travail.
Vinyl dévorait la scène avec des yeux ronds. Son premier Gala allait vraiment être mémorable.
* * * * * *
Vinyl passa l’intégralité du voyage à travers les jardins du palais à rester penchée par-dessus la fenêtre de la charrette comme un petit chiot, ce qui avait d’abord agacé Octavia avant qu’elle perde espoir de changer la situation. Chaque parcelle de la demeure royale semblait la fasciner, un monde entier s’étendait à l’intérieur des murs du château, et Vinyl n’avait jamais eu l’opportunité d’y jeter un œil.
Elles débarquèrent au bout d’une allée qui menait au palais, qui surgit devant elles dans toute sa défiance stoïque de la physique et son impossibilité architecturale. Le chemin s’étendait devant elles, ses pavés de grès simples recouverts d’un tapis rouge pour cette nuit. Octavia se dirigea vers le palais d’un trot résolu, tandis que Vinyl ressemblait à quelque chose entre un pégase en cage et une pouliche dans une confiserie.
Elles franchirent cependant la porte côte à côte, et furent accueillies par le sourire bienveillant de le princesse Célestia. Octavia fit une révérence, et Vinyl de même. Au moins sa partenaire avait un minimum le sens des convenances. La princesse du Soleil les remercia d’être venues, comme si les voir lui apportait la plus grande joie. Son visage de nacre se fendit d’un sourire chaleureux et naturel comme s’il était fait de porcelaine liquide, et ses manières étaient plus calmes et accueillantes que celles d’une mère. Octavia et Vinyl prirent congé avec l’impression d’entrer dans la maison d’un ami commun, pas la demeure d’une princesse.
Elles entrèrent dans la salle de bal, qui était toujours fermée au public avant que les préparations n’aient été achevées. Là se trouvait la Princesse de la nuit, Luna, qui s’assurait que les décorations étaient suffisamment raffinées. Vinyl se dit que le poney qui créait la tapisserie céleste de la nuit était qualifiée pour une salle de bal, et admirait alors qu’Octavia vint à la rencontre de ses pairs musiciens.
Vinyl resta un peu en arrière, et chercha un moyen de dérober un hors-d’œuvre protégé par un papier cellophane sans se faire remarquer par un domestique. Elle aperçut Octavia lui faire signe de la suivre, puis s’aventura dans la foule de poneys de la haute société.
Contrairement aux années précédents, les standards du Grand Gala Équestre avaient été revus à la hausse. Des critiques avaient été adressées aux orchestres par le passé – dont une allégation ayant détruit la carrière du pianiste du Gala de l’année dernière – qui leur reprochaient en général de ne pas satisfaire les attentes en matière de présentation qu’exigeait un événement aussi prestigieux.
En conséquence, l’ensemble était arrivé habillé de la même façon que ceux pour qui ils allaient jouer. Octavia avait naturellement prévu de jouer dans la robe qu’elle portait déjà, et Lyra était venue dans sa propre robe. C’était un habit flottant d’un blanc des plus purs, comme cousu à partir des nuages eux-mêmes, et qui paraissait deux fois plus lumineux alors qu’elle se mouvait dedans. Elle portait une selle bordée d’or, attachée autour de son cou et de ses épaules dans un style qui rappelait les anciennes toges Pégasopolitaines. Chaque sabot portait une chaussure de l’or le plus pur imaginable, et la lyre qu’elle tenait brillait d’une lueur éclatante.
Les deux autres musiciens étaient arrivés dans des tenues plus sobres et de moins bon goût. Étant des étalons, ils portaient des costumes noirs, et le pianiste avait opté pour un maillot rouge en contraste avec son pelage noir et blanc.
Vinyl fut distraite par une tape sur son épaule, et se tourna pour trouver Bonbon qui ricanait derrière un sabot chaussé. Sa robe était plus fidèle à Équestria, simple design de tissus roses et bleus profonds et de bordures à volants. Les bords de l’habit étaient décorés de petites images de bonbons là où l’étoffe bleue rencontrait les volants roses. Ce que Vinyl ne put s’empêcher de remarquer était la minuscule lyre dorée attachée à une de ses oreilles. Inutile de lui demander à qui elle rendait hommage.
« Tiens, tiens, tiens. Lyra et moi on se demandait si vous alliez venir. Contente de voir que tu t’es mise sur ton trente et un pour ce soir, Vinyl. »
Vinyl prit le sabot qu’elle lui tendait et le secoua fermement. Heureusement, elles n’avaient plus l’air de deux tribus en guerre déclarant la fin des hostilités. Elles ressemblaient mêmes à deux amies.
« Ouais, Octy et moi on a vu une jument à Canterlot pour les robes. Une française. »
« Toile Chatoyante ? »
Vinyl prit un moment pour décortiquer les mots. Même les noms devaient lui être retraduits.
« Ouais, elle. Quoi, toi aussi tu… ? »
Bonbon sourit, acquiesça et fit tournoyer sa robe. Vinyl ne put s’empêcher d’admirer la perfection avec laquelle elle se mariait avec son visage. Elle portait la marque évidente de la couturière.
« Elle fait des merveilles, et Lyra adore la robe, elle aussi. »
« Quoi, sa robe ? »
Bonbon rougit, et prit un air penaud qui se mua en un sourire timide sur ses lèvres.
« Non, la mienne. Enfin bref, qu’est-ce que tu as prévu de faire pendant que ces deux-là sont dans leur petite séance musicale ? »
« Chais pas. Rester là et… écouter, peut-être ? »
Bonbon écarta la proposition d’un geste du sabot.
« Ah, non. J’ai une tâche bien plus importante pour toi. Qui vient des plus hautes autorités dans tout Équestria. Disons qu’on va… mettre un peu de piquant dans cette soirée. »
Bonbon l’attira vers une table éloignée, tandis que leurs partenaires prenaient place sur scène et accordaient leurs instruments. Elle fouilla dans sa robe et en sortit plusieurs objets. Vinyl ne put s’empêcher de rire de l’immaturité de tout ça. Sauce piquante, poudre à éternuer, durcissant d’aile instantané, relaxant de corne. Bonbon avait l’intention de faire tourner l’événement le plus prestigieux de l’année en un théâtre de farces de niveau collégien.
Et Vinyl était bien plus que partante.
* * * * * *
« Alors, Octavia, n’est-ce pas bon pour nous deux d’être là ce soir ? »
Lyra fit léviter la petite cheville hors de la serrure sur sa lyre, chaque corde tendue à la perfection. Une chiquenaude du sabot fit sortir une note parfaitement haute de chaque corde de l’instrument.
« En effet. La rivalité laisse si peu de place à la camaraderie. »
« Nous sommes des musiciens, pas des soldats. De plus, la rivalité nous rend meilleures au final, non ? Eh, on est toutes les deux au sommet maintenant, et on a chacune une jument avec qui rentrer à la maison. »
Octavia se désintéressa de l’accordage et leva les yeux depuis son violoncelle.
« Tu dois avoir raison. C’est fou comme Vinyl présente bien dans une robe, étant donné son approche plus… rudimentaire de l’habillage. »
Lyra haussa les épaules et s’appuya nonchalamment sur son instrument qui flottait devant elle. Octavia ne pouvait s’empêcher de se dire que cela revenait à soulever son propre corps, quoique la magie des licornes semblait enfreindre toutes les lois que la science avait mises en place. Le pianiste et le saxophoniste avaient fini leurs préparations, et Octavia s’accroupit une fois de plus pour achever les siennes.
Un moment plus tard elle était debout à faire glisser l’archet avec satisfaction. Le la était légèrement en-dessous de sa tonalité, alors elle s’empressa de le corriger. Finalement, son instrument était prêt. Elle poussa un profond soupir d’anticipation et se prépara.
« Souviens-toi, Octavia. C'est un marathon, pas un simple sprint. Ce n’est pas un de tes petits concerts avant de prendre un whisky, nous sommes là pour une bonne partie de la nuit. »
« J’ai déjà fait ça, Lyra. Je vais bien. Je suis juste… un peu nerveuse, c’est tout. »
« Bien, efface-moi cette tête d’enterrement et prends ton air le plus pompeux. La Princesse est là avec ses premiers invités. »
Les portes à l’autre bout de la pièce s’ouvrirent en grand ; les portes immenses qui menaient aux Jardins Royaux de Canterlot, dans lesquels les invités avaient été priés d’attendre. La princesse Célestia s’avança d’un pas régulier et rythmique, dominant l’attention de tous les poneys dans la salle. Elle fit halte au centre de la salle de bal, et fit revenir à la vie les hauts chandeliers d’un éclat de sa corne. Les bougies brillaient plus comme un foyer que comme toutes les bougies que quiconque ait pu voir avant ce jour, baignant la pièce dans une lumière chaleureuse telle celle d’une cheminée par une rude nuit d’hiver.
« Mes loyaux sujets, soyez les bienvenus au Grand Gala Équestre. Je m’excuse pour les problèmes suscités par les changements dans le programme de cette année, mais ceux présents l’année dernière sauront exactement la raison de ces changements. Je vous souhaite de passer une bonne nuit, moi et ma sœur seront présentes si vous réclamez notre attention. »
Depuis derrière sa sœur, comme surgissant de son ombre même, la princesse Luna apparut. Personne ne l’avait vue entrer ou sortir de la pièce, et pas un poney ne pouvait dire comment elle avait pu apparaître en son centre aussi discrètement. Elle se tenait droite et fière, une posture que seuls les poneys se souvenant des temps anciens pouvaient encore imiter. Malgré son maintien assuré, sa voix ne l’était pas autant que celle de Célestia. Elle parla plus comme un leader hésitant qu’avec le ton autoritaire qui est d’usage dans de telles circonstances.
« Citoyens d'Équestria. Moi, la princesse Luna, déclare que ce Gala a commencé ! »
Elle revint aux côtés de sa sœur, et toutes deux se mirent à converser entre elles tout comme une mer de poneys de toutes espèces, couleurs, et métiers qui se mélangeaient. Les hors-d’œuvre furent découverts, et d’un signe vif de Hoofz Zimmer l’ensemble commença à jouer.
* * * * * *
Vinyl était en position, gonflant légèrement sa robe pour accentuer ses propriétés obscurcissantes. Bonbon, derrière elle, répandait discrètement du durcissant d’aile sur un plateau de jolis petits cupcakes. La poudre blanche était indiscernable au milieu du glaçage sur les gâteaux, surmontés de la silhouette d’un poney formée par des dragées comestibles. Bonbon toussa trois fois – le signal qu’elle avait fini – et les deux se retirèrent vers un endroit pas trop éloigné. Tout en dégustant une série de cupcakes non altérés, les deux farceuses attendirent avec impatience qu’une proie se jette sur les gâteaux.
Cela prit plus longtemps que prévu. Pour ne pas être vues, les deux juments avaient opté pour une table en bordure de la salle. Toute la petite noblesse de Canterlot s’était regroupée autour de la table centrale, cependant. Personne ne semblait venir, mais Bonbon soutenait que la patience était la clé. Elle ne connaissait évidemment pas assez bien Vinyl, et réalisa seulement maintenant que sa patience était très limitée.
« Allez, Bonbon. C’est barbant ! Je veux aller papoter ou n’importe quoi. »
Bonbon refusait d’abandonner, les premiers gourmands commençaient à approcher la table. Tout ce qu’il fallait, c’est qu’un pégase mange un cupcake, alors s’ensuivra un fiasco des plus embarrassants.
« Retiens tes chevaux, Vinyl. Tout cupcake vient à point à qui sait attendre, pas vrai ? Et puis, à qui tu parlerais ? Tu trouvais Octavia vieux jeu quand tu l’as rencontrée, et elle est loin d’être aussi arrogante que ces gens-là. »
Vinyl haussa les épaules, envoya le dernier cupcake dans les airs et le goba. Bonbon ne put s’empêcher de penser que des poneys paieraient pour voir un phoque faire ça avec un poisson.
« Ok, c’est vrai. Et puis, Octavia n’est plus si snob que ça. Elle est cool en fait quand on la connaît. »
Bonbon interrompit sa surveillance de sentinelle pour hocher la tête en signe d’approbation.
« Je ne peux pas dire le contraire. Par contre je dirais que c’est parce qu’elle t’a rencontrée toi. Il fallait que quelqu’un lui retire la balais qu’elle avait dans le derrière. Mais, ouais, maintenant que Lyra a arrêté de lancer des fléchettes sur une image d’elle- »
« Elle faisait ça ?! »
« Ça a été dur pour elle de perdre son boulot, fallait qu’elle en veuille à quelqu’un. Enfin, maintenant qu’elles s’entendent, moi je peux la supporter. C’est pas moi qui avait un problème avec Octavia, c’est Lyra. »
Bonbon parut s’alarmer, et tourna doucement la tête vers un trio de poneys en combinaisons moulantes qui trottaient vers les cupcakes piégés. Elle ricana, et attira l’attention de Vinyl sur les Wonderbolts. De toutes les victimes potentielles de la blague, celles-là étaient parfaites.
Une jument à la crinière d’un orange flamboyant prit un premier cupcake, et en dévora la moitié d’une seule bouchée. Un gémissement de contentement plus tard, ses semblables athlètes se ruaient sur les délicieuses gâteries sucrées. Bonbon débuta un compte à rebours, et pas avant qu’elle n’ait atteint zéro, les ailes de la jument se déployèrent en plein milieu de la conversation avec un son pareil à celui d’une couverture qu’on secoue au vent. Un réaction en chaîne s’ensuivit, et les ailes des deux autres pégases lui donnèrent une standing-ovation.
Plusieurs poneys aux alentours crièrent au scandale, faisant savoir aux pauvres victimes combien offensées ils étaient par ce spectacle, et combien les poulains et pouliches auraient été écœurés s'ils n’étaient pas interdits de cet événement. Le trio décida assez sagement de quitter la pièce, tandis que plus de poneys découvraient le groupe de poneys offensés, et se sentaient à leur tour offensés par combien les premiers poneys étaient offensés suite à l’incident, bien qu’ils n’en aient pas été témoins eux-mêmes.
C’est pour de telles raisons que les poneys se sentant offensés afin d’acquérir de la popularité et de l’attention finirent par entraîner la mise en place de lois du Poneytiquement Correct des années plus tard, qui – entre autres – bannit toute communication entre les individus pour que personne ne soit offensé. Heureusement, elles furent annulées une semaine plus tard par le parti ‘On est pas des bêtes’, chose qui n’a aucun rapport avec cette histoire.
Vinyl et Bonbon n’avaient pas rejoint les offensés – ni les offensés par l’offense – trop occupées qu’elles étaient à rire de combien offensive leur offense avait été. En effet, si un seul poney avait arrêté de s’épancher sur le déclin de la société assez longtemps pour entendre le rire rauque des deux juments, les offenseuses auraient été démasquées depuis longtemps. Heureusement, la haute société aime se plaindre par-dessus tout, et ce fut bien après les rires interminables qui s’échappaient des bouches de Vinyl et Bonbon que la foule se dispersa en papotant d’autres sujets.
Octavia se tourna vers Lyra, ayant assisté à l’événement depuis la conception du plan au résultat final avec un mélange d’horreur outrée et d’amusement réprimé. Elle fit de son mieux pour murmurer à la licorne tout en jouant, les juments étant les seules à vraiment pouvoir faire deux choses en même temps.
« Je n’aurais jamais pensé trouver un jour un poney qui ait de la mauvaise influence sur Vinyl. »
Lyra haussa les épaules, sa lyre restait en place devant elle dans une aura magique beige.
« Il a pas fallu longtemps pour la convaincre, à ce que j’ai vu. Eh, au moins ça les occupe. »
« J’espère seulement qu’elles ne vont pas se faire jeter dehors. »
Lyra gloussa en reprenant sa lyre entre ses sabots. Se tenir debout tout en jouant pouvait paraître bizarre, mais cela permettait à Lyra de jouer des séquences répétées avec les sabots, afin de laisser les notes plus délicates à sa magie. De cette façon, elle était quasiment aussi efficace que deux poneys. Elle s’imposait un régime strict de marche sur les pattes de derrière – ainsi que pour s’asseoir – mais la qualité résultante était plus qu’évidente.
Elle avait néanmoins des crampes occasionnelles qu’elle devait gérer, et elle se retrouvait ainsi à se dandiner légèrement sur ses sabots tout en parlant.
« Pfff, du durcissant d’aile ? Peu probable. C’est le relaxant de corne qui va faire du bruit. »
« Relaxant… de corne ? »
« Populaire dans les fêtes de fin d’année et auprès des poneys qui n’aiment pas les licornes. Drôle à regarder, mais pas à subir. »
La voix d’Octavia était chargée d’une nette inquiétude. La magie était quelque chose de trop capricieux pour qu’on puisse jouer avec, pour ce qu’elle y comprenait.
« Qu’est-ce que ça fait exactement, personne ne sera blessé ?
Lyra se tapota simplement le museau évasivement, et lui sourit avant de se tourner vers la foule qui grouillait devant elles.
* * * * * *
De la délicatesse. C’est précisément ce que la prochaine opération dans la chaîne des farces requérait. Étant donné ce prérequis, on pourrait raisonnablement se demander pourquoi Bonbon avait choisi Vinyl pour se charger de cette manœuvre. Surtout quand on sait que ni la subtilité ni la délicatesse n'étaient vraiment son fort.
Pourtant, Bonbon avait décidé de se soustraire à l’équation, au cas où quelqu’un remarquerait la prochaine étape plus risquée du plan. Vinyl procédait à verser avec précaution du relaxant de corne dans le punch, goutte par goutte. Un toussotement ferme perturba son intense et forcée concentration, et elle glapit, en laissant tomber la bouteille entière dans le punch.
Elle tourna sur ses sabots, certaine d’avoir été découverte. Au lieu de ça, elle trouva une grande licorne à l’air royal qui se tenait devant elle. Son manteau était d’un pur albâtre, sa crinière et sa queue dorées flottant telles une rivière de soie. Vinyl recula de quelques pas à l’opposé de son sourire, qui semblait bien plus effronté qu’elle ne l’aurait voulu.
« Bonsoir, paysa- je veux dire, madame. J’espère que vous appréciez cette soirée ? »
Vinyl se gratta la tête, et décida de jouer prudemment. Elle haussa les épaules, d’une façon qui allait très peu dans le sens des signaux de l’étalon.
« Appréciable, ouais. »
« Certes, votre manteau me rappelle un poney que j’ai rencontré à ce Gala l’année dernière. Une jument mémorable, si j’ose dire. Cependant, je peux vous assurer que vous ferez une bien meilleure concu- je veux dire, vous êtes une bien plus belle jument. »
Vinyl gloussa en rejetant le compliment d’un geste du sabot.
« Je suis… déjà prise. Le prenez pas mal. »
« Où est cet étalon qui vous convoite ? Dites-moi, que j’envoie mon majordome le provoquer en duel contre votre cœur ! »
« Ce ne serait pas à vous de faire ça, pour gagner le sabot d’une jument ? »
La licorne poussa un cri de stupeur et lança la tête en arrière d’une façon théâtrale.
« Je ne m’abaisserai pas à de tels actes. Pas comme le vandale qui vous courtise ! Moi, Prince Blueblood, ferai un étalon bien plus convenable ! »
« D’accord. Mon, ‘étalon’, est sur scène, au violoncelle. Donc, vous comprenez ce que je veux dire par : je ne suis vraiment pas intéressée. »
Blueblood observa l’ensemble de long en large, puis fit savoir sa confusion à Vinyl.
« Je ne comprends pas, cet étalon joue du piano. »
« C’est la jument devant, votre grandeur. Octavia Philharmonica, si vous préférez. Donc, comme je vous l’ai dit, vous n’êtes pas mon type. »
« Vous voulez dire que… Beuark ! J’ignorais que tant de… débauche s’était infiltrée dans le Gala ! Je ferai en sorte qu’on vous mette dehors… J’ose à peine croire que j’ai respiré votre air ! »
Vinyl haussa les épaules, et se déplaça pour laisser Blueblood voir le bol de punch.
« Je suis si désolée, votre grandeur. Je pense que rafraîchir votre gorge avec du punch devrait aider, le serveur m’a dit qu’il est délicieux. »
« Bien trop délicieux pour vos lèvres, catin ! »
Vinyl parvint à garder son sang-froid en s’éloignant. Elle lui adressa un dernier regard et un sourire suffisant, puis haussa la voix pour qu’il puisse toujours l’entendre.
« Oh, faites-moi confiance, Blueblood. Je n’en boirai pas une goutte. »
Vinyl galopa vers la table dans le coin de la salle, où Bonbon attendait, et prit rapidement un siège pour assister au fiasco imminent. Les minutes passèrent et Blueblood buvait verre de punch après verre de punch, minutes qui devinrent finalement une heure. Après qu’un temps considérable eut passé – durant lequel Blueblood avait harassé un autre couple de juments qui passait par là, et vidé l’intégralité du bol de punch – il partit, apparemment aveugle à la bouteille qui reposait au fond du bol.
Bonbon se tourna vers Vinyl, partagée entre la confusion et la suspicion selon des proportions égales.
« Tu, euuh, tu as toujours la bouteille, Vinyl ? »
« Non. Elle est tombée quand il m’a interrompu. »
Bonbon eut un hoquet d’épouvante. Elle agrippa Vinyl par les épaules avec une expression inquiète sur son visage.
« Tu veux dire… il a prit la bouteille entière en une dose ? »
« Ouais, c’est fort comment, de toute façon ? »
Bonbon se laissa tomber sur sa chaise, sourit, puis s’esclaffa à grands bruits.
« Oh-ho-oh. Largement assez, maintenant. Je crois que ce bon vieux Blueblood va faire du boucan. Plus la dose est forte, plus l’effet est lent et efficace. J’aimerais pas être près de lui quand il va se ramollir. »
Vinyl saisit l’allusion dans les yeux de Bonbon, la trouvant assez comique pour hasarder un gloussement elle aussi. Derrière elle, sur la scène, l’ensemble commençait à plier bagage pour laisser leur scène à un groupe de poneys massifs les pattes chargées de décorations et d’ornements. Vinyl trouva la transition soudaine intriguante, et sauta de son siège pour en avoir le cœur net.
« Eh, Octy, c’est quoi ce bazar ? »
Octavia leva les yeux, et sentit son irritation fondre comme neige au Soleil. Elle scella rapidement son étui avec la fermeture éclair, avant de le balancer sur son dos en faisant attention à ne pas froisser sa robe.
« Célestia merci c’est fini, nous avons été… chassés plus tôt que prévu. Apparemment les Hoofie Awards sont décernées à la fin du Gala cette année. Au moins on me paie autant pour moins de travail, je suppose. »
Vinyl saisit Octavia et la serra dans une étreinte naturelle mais étroite.
« Tu vois, ma bonne influence déteint sur toi ! Tu feras une excellente procrastinatrice un jour, Octy. »
« Je suis stupéfiée de constater qu’une telle expression est rentrée dans ton vocabulaire, elle semble trop longue. »
Vinyl sourit, réprima un rire avant de durcir son visage. Mais chaque fois qu’elle regardait Octavia, le rire tentait de s’échapper de sa bouche. Cela suscita évidement une certaine indignation de la part d’Octavia.
« De qui tu te moques comme une petite pouliche ? »
Vinyl essuya une larme au coin de son œil, elle avait finalement réussi à ravaler son rire. Elle cessa de se tenir les côtes, et s’efforça de rester au niveau des yeux d’Octavia.
« C’est… t’sais, c’est trop facile de te faire dire des trucs cochons. ‘Semble… trop longue…’ »
Octavia perdit Vinyl dont la crise de rire reprit, et qui s’effondra sur le sol en convulsant, tandis qu’elle-même se couvrait le visage et son propre rire avec un sabot. Cependant, il était très difficile pour elle de cacher le son de ses gloussements, ou les sursauts de ses épaules, ce qui ne rendait la scène qu’encore plus hilarante à ses yeux.
* * * * * *
« Ça va mieux ? »
« Ouais. »
« Tu as fini de rire ? »
« Ouais, ouais, je vais bien. Regardons les remises de prix. »
Octavia se mit plus à l’aise, tâchant d’ignorer les murmures agaçants de la foule qui grouillait autour d’eux, et se rassemblait devant la scène désormais fin prête. Vinyl épousseta sa robe qui était toujours aussi chatoyante. La couturière devait appartenir à quelque race d’alicorne adepte du Wicca pour avoir créé une robe qui ne se salit pas après que son possesseur s'est roulé sur le sol dans une crise de fou rire.
La scène s’illumina soudainement, éclairée par un projecteur éthéré que personne ne pouvait voir, d’une lumière qui émanait de l’air comme par magie. Un nuage de fumée voila l’arrivée de la jument qui sera l’hôte de la soirée. Son manteau semblait fait de poussière d’étoiles, scintillant d’une lueur enchanteresse qui sublimait sa couleur supposée blonde. Sa crinière noisette était à la fois coiffée et libre, cascadait sur ses épaules, mais étalés en frange. Elle sourit, puis salua le public d’un grand geste du sabot, avant d’utiliser sa corne pour créer un collier de magie couleur émeraude autour de sa gorge.
« Bonsoir, juments et étalons du Grand Gala Équestre ! Mon nom est Champagne Supernova, et je suis ici pour vous présenter les Hoofie Awards de cette année ! »
Champagne se caressa la gorge du sabot, le ruban de magie brilla plus fort alors qu’elle augmentait le volume de son sort de porte-voix.
« Nous décernons des prix à toutes les catégories, pour vous et vous seuls, ce soir, nos plus chers invités. Les nominés ont été sélectionnés, et invités conformément aux conditions requises. Ce soir, nous vous présenterons des talents de tous les horizons, des comédiens aux acrobates, sans oublier les musiciens et notre toute nouvelle catégorie : les ‘films’. »
Champagne se tut, de toute évidence son script lui demandait de se taire pour laisser le public applaudir. Rien de tel ne se produisit, donc elle improvisa et continua malgré tout.
« Commençons avec le prix du meilleur acteur. Parmi les candidats se trouvent Robert Whinny Junior pour avoir joué dans Iron Stallion, Leonardo Dicantero pour son rôle dans Trotter Island, et enfin George Cloney, nominé pour Les Chèvres de l’Hippodrome. »
Une enveloppe s’éleva du pilier devant Champagne dans une délicate aura magique émeraude. Elle commença à se disputer calmement avec l’enveloppe pour l’ouvrir. Vinyl se tourna vers Octavia en inclinant la tête en direction de la remise des prix.
« Alors, qui tu voudrais voir gagner ? Moi je vote pour George Cloney, j’adore ses films. »
Octavia haussa les épaules et balança la tête en signe d’indifférence.
« Ses films sont tous pareils. De toute façon, je suis fatiguée… Si on rentrait plutôt ? »
« Hmmm, non. Restons là pour… voir quelques prix de plus, ok ? »
Octavia plissa les yeux et fit de son mieux pour deviner ce qu’elle préparait. Vinyl ne s’était jamais intéressée à la culture ni aux arts, pas depuis qu’Octavia la connaissait, du moins.
« Alors comme ça tu es une grande fan de films ? »
« Ouais, bien sûr ! Ils rendent bien sur mon home-cinéma. Avec système audio en cinq point un ! »
« Celui qui est composé uniquement de subwoofers ? »
« Et un au centre. C’est pour ça qu’on dit cinq point un, tu vois ? »
Octavia rit et regarda Whinny Junior trotter sur la scène, puis commencer son discours heureusement plutôt concis et accepter son prix. Il ne remercia que trois cent membres de l’équipe de tournage, ce qui fit gagner beaucoup de temps par rapport à la durée habituelle de ces procédures.
« Bien sûr, c’est certainement stupéfiant. Les poneys à Neighjing doivent parfaitement entendre tes enceintes, au milieu des tremblements de terre qu’elles leur causent. On peut rentrer, maintenant ? »
« Pfff, qui écouterait dans les aigus de toute façon ? »
Octavia attendit la réponse à sa dernière question, et constata rapidement qu’elle n’allait pas arriver. Elle se tint devant Vinyl pour lui bloquer la vue.
« Qu’est-ce que tu mijotes, Vinyl ? Pourquoi tiens-tu tant à rester là ? »
« Euuh, crois-moi, ça va te plaire quand tu comprendras. »
« Je préférerais encore qu- »
Vinyl siffla à Octavia de se taire. Elle tourna vivement la tête vers la scène, où Champagne venait juste de remettre le prix de la meilleure actrice à sa gagnante professionnellement larmoyante. La présentatrice sortit une nouvelle enveloppe, et s’éclaircit la gorge pour entamer la prochaine étape de la cérémonie.
« Pour changer de ton et de milieu, passons au prix du meilleur musicien. Choisis par le poney, pour le poney, ce sont les musiciens qui ont touché le plus de poneys grâce à leur art. Les nominés sont ; Whisper Echo, pour son album Clouds over Canterlot, MC Col-7, pour sa tournée Thunder and Lightning, et enfin, Octavia Philharmonica, pour ses concerts classiques. »
Octavia pivota très lentement vers Vinyl, dont elle trouvait le sourire rayonnant plus exaspérant que ravissant.
« Tu veux dire, j’étais nominée… et tu savais ? »
« Ben, en gros. Je voulais que ça soit une surprise ! »
Octavia se mit à paniquer et à respirer bruyamment, tout en essayant de comprendre ce qui se passait. Vinyl fouilla dans sa robe et sortit une lettre avec le nom d’Octavia et sa marque de beauté imprimée sur le devant.
« C’était dur de te la cacher tout ce temps. J’étais vraiment heureuse qu’on reconnaisse ta musique, tu sais. Je savais que tu serais là de toute façon, donc je l’ai cachée pour te faire la surprise… une bonne surprise j’espère, si tu gagnes ! »
« Mais je n’ai pas de discours, comment suis-je censée… attends, c’est facile. Je ne risque pas de ga- »
« … Et le gagnant est, Octavia Philharmonica ! »
« C’est quoi ce bo- !? »
Le juron d’Octavia fut étouffé par un tonnerre d’applaudissements. Elle salua timidement la foule autour d’elle, puis remarqua Champagne qui l’invitait à monter sur scène. Elle la laissa s’installer sur le piédestal devant le micro pour parler, bien que ses cordes vocales fussent toujours paralysées.
« Je… hé hé, c’est une surprise. Une bonne surprise. Malheureusement, je n’ai pas préparé de discours. Euh… »
Champagne bondit à côté d’elle pour venir à son secours. En partie par souci d’entraide, en partie parce qu’elle devait lui faire dire quelque chose de digne d’intérêt pour le montage.
« Parlez-nous de votre inspiration. Qu’est-ce qui vous aide à faire cette musique qui captive tout Canterlot ? »
Octavia rougit et sourit à Vinyl dans la foule.
« C’est une de mes meilleures amie. Mlle Vinyl Scratch, qui a été… eh bien, très proche de moi ces dernières semaines, et m’a appris beaucoup de choses sur la musique et la vie. »
Champagne haussa un sourcil, puis adressa un sourire complice à l’intention d’Octavia.
« Pourquoi ne pas la faire venir ? Montez, Vinyl, l’inspiration est aussi essentielle que l’exécution. »
Vinyl se retrouva brusquement sous les feux des projecteurs, et entourée de caméracolts qui la bombardaient de flashs d’appareils photo pendant qu’elle gravissait les escaliers. Elle finit son voyage à côté d’Octavia à sourire maladroitement, plus nerveuse que jamais. Champagne lui plaça le micro sous le museau, arborant son sourire de journaliste.
« Alors, qu’est-ce que ça fait d’être la source d’inspiration d’une musicienne aussi excellente ? »
Vinyl toussa, et sentit un torrent d’embarras lui monter aux joues.
« C’est, euh… c’est ce qu’il y a de mieux au monde. J’ai toujours pensé qu’Octavia était géniale, même si elle était trop snob pour laisser quelqu’un le lui dire. Je suis heureuse qu’elle en pense autant de moi. »
Le micro revint lentement à Octavia, dont les joues étaient roses depuis le compliment auquel elle était loin de s’attendre.
« Eh bien, je dois dire, j’ai remué terre et ciel, et il n’y pas un autre poney comme toi. Pas un étalon ou une jument aussi idiote, aussi bornée, et pourtant… capable de me faire sourire. »
Le micro disparut lors que Champagne le replaçait sous son propre museau. Elle sourit aux deux juments un instant puis se tourna vers le public.
« On applaudit bien fort Octavia, et sa petite copine, Vinyl Scratch ! »
Un tonnerre d’applaudissements couvrit leurs bégaiements confus, et Champagne les guida hors de la scène. Elles se tournèrent une dernière fois vers son sourire rayonnant avant de quitter la scène.
« Quoi ? Ce n’est pas comme si je ne voyais pas que vous êtes ensemble. Vous me rappelez moi quand j’ai rencontré Morning Glory, ah, elle a toujours le même sourire que je vois sur vos visages. Oh, attendez, le show doit continuer ! »
Champagne retourna à son piédestal et remit sa crinière en place avec le professionnalisme d’une présentatrice. Elle rit, légèrement exaspérée, avant de commencer à annoncer les prochains nominés. Pour une raison ou une autre, elle se dit que le prochain discours sera sans doute moins mièvre cette fois.
Vinyl fit volte-face et commença à partir, Octavia dans son sillage. Elles croisèrent la Princesse Célestia, qui leur sourit au passage. Après qu’elles l’eurent perdue de vue, elles entendirent par hasard le rapport d’un garde royal qui s’était précipité vers elle.
« … Il a complètement disparu, parti avec ces acrobates de Neighjing pour intégrer leur cirque. Nous pensons qu’il est devenu fou, votre Majesté ! Nous avons trouvé une bouteille de ces narcotiques dans le punch, de sa possession en apparence… »
La princesse Luna apparut à l’autre bout de la salle, et vint hâtivement à la rencontre de sa sœur suivie de quelques-uns de ses gardes aux ailes de chauves-souris. Elle s’arrêta devant Célestia alors que le garde – à cours d’oxygène, son manteau gris virait au violet – continuait de transmettre son rapport sur l’incident.
« Sœur, j’ai rassemblé la garde. Dites-nous, où devons nous amorcer les recherches ? »
Princesse Célestia bailla en s’étirant un peu plus théâtralement qu’elle en avait l’intention.
« Oublions les recherches pour ce soir, le temps ne nous est pas favorable. »
Les fenêtres du château laissaient voir une belle nuit sereine et sans nuages, dont la voûte céleste était dominée par une pleine lune.
« Sœur ? Nous ne pourrions pas rêver d’une meilleure nuit pour ce genre d’entreprise. »
« Vraiment ? Ah, non regarde… quel horreur. »
Célestia fit une grimace agacée alors que de lourds nuages gris se formèrent dans le ciel, sortant de nulle part apparemment. La Princesse sourit, et fit un clin d’œil à Luna avant de s’éloigner au trot. Elle tourna la tête et lança une dernière phrase par-dessus son épaule.
« Je suppose que nous ferions mieux de remettre ça à demain, ma sœur. »
Octavia et Vinyl avaient assisté à l’échange, et riaient entre elles en silence alors qu’une princesse Luna toujours un peu confuse décida d’engloutir le reste des hors-d’œuvre. Octavia se dirigea vers la porte, avant de se rendre compte que Vinyl était restée en arrière. Elle fit demi-tour, et remarqua un rictus nerveux peu caractéristique sur son visage.
« Vinyl, tu viens ? »
« Oh, ouais. Mais sortons par là, plutôt, Octavia. Je pense… que c’est un raccourci. »
Octavia considéra la porte latérale avec confusion, puis décida d’accepter la requête de Vinyl. Celle-ci avait toujours d’une démarche peu assurée cependant, alors qu’elle trottait vers la porte pour l’ouvrir à Octavia.
Le jardin derrière la porte semblait être le foyer de tous les triomphes que la Nature avait jamais engendrés. La faune et la flore dans toute leur beauté occupaient tout l’espace, tout en laissant assez de place à deux poneys frappés d’émerveillement de flâner en son milieu. Vinyl trouva ce qu’elle cherchait, une clairière au centre du paradis végétal, assez grand pour qu’un groupe de poneys puisse s’y installer confortablement. Elle guida Octavia vers celui-ci, quelque peu moins subtilement qu’elle l’aurait voulu. Octavia sourit en se laissant doucement conduire à l’intérieur de la clairière.
Elles se regardèrent un moment, Octavia nota la manière dont Vinyl se dandinait légèrement sur ses sabots. C’est ce qu’elle faisait toujours quand elle était nerveuse, avait-elle fini par comprendre. Son regard était baissé, ses sabots agités, et elle ne cessait de se mordre la lèvre.
« Je dois dire que ce relaxant de corne était plutôt… spectaculaire. »
« Oh, ouais. C’est cool, non ? Hum… »
Octavia prit Vinyl par le menton, et leva sa tête pour la regarder dans les yeux. Elle lui sourit, et cela sembla faire partir légèrement sa nervosité.
« Tu m’a amenée ici pour une raison précise, n’est-ce pas, Vinyl ? »
Vinyl se gratta la tête, ses yeux vagabondèrent le long des arbres chargés de décorations florales et d’oiseaux exotiques. Elle toussa pour s’éclaircir la gorge, avant de recentrer son attention sur Octavia.
« Tu te souviens de cette nuit, quand tu m’as demandé ‘où allons-nous avec ça Vinyl ?’ »
« Oui, et je me souviens que tu n’avais pas la réponse cette nuit. »
Vinyl gratta le sol avec un sabot, son regard passait de la terre au poney terrestre devant elle.
« J’y ai réfléchi depuis. Je pense… Je pense que je sais où nous allons. »
Elle plongea son regard dans les yeux d’Octavia. Les éviter aggravait sa nervosité, les regarder la balayait.
« On va prendre une maison toutes les deux. Avec un grand jardin pour prendre le Soleil et avec un potager, et une chambre d’amis si on a des invités. Il y aura une jolie cuisine, pour qu’on puisse cuisiner les trucs du jardin, et pour chacun… »
Octavia rit à cette déclaration. Elles savaient toutes deux laquelle devrait être légalement autorisée à faire la cuisine.
« Octy, allez… bon, et on aura une véranda sur le devant. Comme ça plus tard, quand on sera vieilles et rouillées, on pourra s’asseoir là sur des rocking chairs et faire des signes avec nos cannes aux pouliches qui passent, en se plaignant parce qu’elles grandissent bien. »
« J’adorerais voir ça, Vinyl. »
Vinyl sourit en retenant les larmes qui assaillaient les coins de ses yeux. Elle n’avait jamais été du genre émotive, c’était nouveau pour elle.
« Je t’ai pas encore dit le meilleur. Le meilleur, c’est qu’on ne va pas louer la maison ou je ne sais quoi. Non, on l’achèterait, pour qu’elle soit à nous pour toujours. »
Elle s’assit à terre, essaya de s’éclaircir la gorge. Elle avait ressassé ce moment à chaque fois qu’elle n’était pas avec Octavia, et ça ne lui facilitait même pas les choses.
« O-Octavia Philharmonica, je… je veux être avec toi, pour toujours, si tu le veux bien. »
Elle sortit une boîte de sa robe, et défit doucement le verrou du bout de son sabot. Le couvercle pivota, et révéla une ravissante paire d’anneaux dorés de la taille d’une patte de poney. L’un était orné d’une clef de sol, découpé dans une solide améthyste. L’autre avait une note de musique d’un noir d’onyx. Octavia se couvrit la bouche d’un sabot, le visage baigné de larmes de joie. Vinyl s’efforçait de retenir ses propres larmes, elle ne pouvait pas les laisser ruiner son récital. Elle s’éclaircit la gorge avant de réciter son dernier couplet.
« Puissent les Princesses nous bénir,
Pour le meilleur et pour le pire,
Nos âmes liées en cet instant,
Et ce jusqu’à la fin des temps. »
Vinyl trouva le courage de lever les yeux, pour trouver Octavia qui pleurait d’incessantes larmes de joie. À ce moment-là, elle ne pouvait plus retenir les siennes plus longtemps.
« Alors… veux-tu m’épouser ? »
Octavia sauta au cou de Vinyl pour lui offrir une étreinte débordante de larmes et de baisers. Elle se fit violence à travers ses émotions pour murmurer à l’oreille de Vinyl alors qu’elles s’étendaient ensemble sur l’herbe.
« Comment pourrais-je seulement dire non ? »
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