La Reine Rouge

Les yeux levés vers le plafond de cristal, il regardait le soleil s’élever de plus en plus haut, désormais proche du zénith. Ce plafond, comme les murs et les poutres du grand château d’améthyste, avait quelque chose de spécial. Logiquement, un rayon de lumière, qu’il soit solaire ou artificiel, qui passe dans un élément transparent comme ce lieu, devrait voir sa lumière se séparer en plusieurs ondes de différentes couleurs. Ce château devrait être un prisme géant.

Mais fort heureusement ce n'était pas le cas, imaginez un peu l'enfer que ça serait si toutes les pièces étaient éclairées à coup d'arc-en-ciel, ce serait épuisant pour la vue, et franchement pas pratique si quelqu'un devait distinguer la couleur d'un objet. Pourtant, celui qui siégeait actuellement sur le trône de cristal, taillé dans le même minéral, orné par de grands cristaux pointus et formant un cercle hérissé tout autour de celui qui avait le privilège d'y siéger, se souvenait de cette époque où l'édifice n'était pas plus grand qu'un arbre quand il était en construction.

Le bâtir avait pris des décennies entières, des années de calculs et des mises aux points pour que tout soit parfait. Mais ils y avaient eu des anecdotes qui avaient provoqué des dégâts, désormais devenues d'assez bon sujets pour raconter une bonne blague. Lors des premiers mois, on avait enregistré presque une dizaine de poneys ayant fait une crise d'épilepsie à cause de toutes les couleurs qui décoraient les lieux quand le soleil était en forme.

Par temps de canicule, on dit que la Reine Rouge avait retrouvé ses œufs brûlés après les avoir laissé trop longtemps au soleil dans la salle à manger, et bon nombre de poneys se sont vus le pelage carbonisé s'ils avaient le malheur de rester un peu trop longtemps sous une voûte transparente. Mais le plus marrant, c'était qu'à une certaine heure de la journée, des rayons convergeant en un point sur les parois du château, à cause de sa forme arrondie vers l'intérieur, avaient fait « fondre » des maisons.

Le plus miraculeux dans toutes ces anecdotes, c'est qu'aucune victime ne fut à déplorer. Et en l'espace de quelques semaines, on avait trouvé une multitude de moyens pour que tous ces incidents cessent. La composition des murs et des plafonds avait été changée à l'aide d'un sort de la Reine pour ne plus avoir de problème de chaleur et d'arc-en-ciel, les multiples surfaces du château avaient étés polies pour le rendre moins brillantes et donc éviter les soucis de convergence.

Tout ça, Athéon, Roi de l'Empire de Cristal, souriait rien qu'en y pensant. C'était l'époque des découvertes, des nouveautés, des révolutions. Tout avait été stabilisé maintenant, et les seuls problèmes à régler étaient les hostilités extérieures qui menaçaient chaque instant de dévorer ce si bel endroit. Ce vieux poney de cristal dont l'éclat était faible mais encore bien présent, caché dans sa longue et grande barbe blanche et sous ses tuniques royales beiges afin de mettre en valeur sa sagesse, gardait bien au chaud le trône de cristal, mais pour combien de temps encore ?

Depuis la perte de sa femme, celle que l’on appelait la Reine Rouge due à son pelage et son regard rubis mais aussi à sa façon de gouverner, l’avait quitté il y a désormais une année, c’était à lui que revenait l’intérim de reprendre le pouvoir en attendant qu’un successeur digne prenne sa place. Et il devait le trouver vite, car Athéon le savait, le temps était compté.

« Majesté ? »

Un garde au pelage blanc et à l’armure de quartz demandait de l’attention aux vieux poneys croulant sur son siège. Celui-ci leva un sabot pour l’autoriser à parler, même si ses yeux étaient ailleurs… Ou nulle part. Son regard était vide, tout comme son visage dénué d’expression et vieilli par les rides.

« Nous avons le rapport de ce qui se passe à l’extérieur, fit le garde.

-Laissez-moi deviner soldat, répondit à son tour Athéon d’une voix rocailleuse et lourde. Chaos, ténèbres, guerre, famine… »

Et la liste pouvait être encore longue. Chaque fois que le Roi avait eu des échos venant de l'extérieur du bouclier, c'était à chaque fois des mauvaises nouvelles. Pendant une dizaine d'années, on ne cessait de parler d'un draconnequus du nom de Discord qui semait le chaos, rien que pour s'amuser, sans se soucier que derrière son passage, des poneys souffraient et mourraient à la louche. Ça ne pouvait pas être pire qu'avant la réunification des races, ou lorsque Tirek avait tenté d'éliminer toute vie sur la surface du sol.

« Il semblerait que le calme soit revenu mon Roi. Deux alicornes auraient vaincu Discord et rétabli l’équilibre dans tous leurs royaumes, ainsi que la paix.

-Et pour combien de temps ? demanda soudainement le seigneur même si cette question n’avait pas de réponse. Chaque fois que le calme vient, s’ensuit la tempête.

-Pourtant les choses n’ont jamais été aussi bien. Et ce sont à elles que l’on doit à nouveau le cycle du jour et de la nuit.

-Celestia et Luna, cita Athéon. J’en ai suffisamment entendu parler comme ça pour me faire une idée. Certes, elles ont sauvé leurs terres à de multiples reprises, mais le calme est à chaque fois de courte durée. Je sais où vous voulez en venir, garde.

-Je… je ne fais que passer le message. Ce sont les conseillers qui veulent…

-Qu’ils viennent eux-mêmes, votre rôle soldat n’est pas de jouer les messagers mais de protéger l’Empire. Allez me chercher mon second et la prochaine fois, faites appel à un vrai messager. »

Sans broncher, le garde se courba puis prit le chemin de la sortie tout en commençant à donner des ordres à ses camarades. Le Roi soupira sans se cacher, à chaque fois c'était la même chose, et plus le temps passait, plus on insistait sur les faits extérieurs, tout ça dans un seul et même but. Depuis que sa femme était partie, la gouvernance sur l'Empire était moins ferme, plus libérale. Le conseil, un groupe de poneys élus par les habitants, avait une certaine valeur et leurs demandes ne pouvaient pas simplement être « renvoyées » comme les caprices d'un poulain voulant son jouet. Ils devaient être écoutés, puis parfois il fallait exécuter leurs souhaits. C'étaient les voix du peuple en même temps.

Depuis la mort de la Reine Rouge et la prise du pouvoir d'Athéon, on avait rendu le passage entre le monde extérieur et le bouclier plus libre. Plus de poneys étaient autorisés à sortir même si dehors ce n'était que froid et désolation, ainsi que l'accord à des nouveaux poneys d'entrer dans l'Empire de Crystal

Encore que sur ce point, il fallait que quelqu'un connaisse l'existence de l'Empire. À ce jour, on ne comptait que deux poneys ayant trouvé ce lieu, et ils n'étaient jamais repartis, laissant encore cette terre dans le mystère.

« Vous m’avez demandé mon Roi ? »

Une voix masculine, grave mais moins sombre que celle du dirigeant, le sortit à nouveau de ses réflexions, mais à la différence du garde, à la seconde ou les iris beiges du régent se posèrent sur l’origine de cette voix, son visage s’illumina.

« Sombra ! s’exclama-t-il. C’est une grande joie de te voir mon ami. »

Avec une vigueur qu’il ne pensait plus avoir, Athéon descendit de son trône et alla à la rencontre de cet étalon au pelage aussi sombre que son nom. C’était la seule licorne mâle de tout l’Empire.

« Je suis très heureux de te revoir, marche avec moi.

-Très bien mon Roi, acquiesça-t-il sans discuter. De quoi avez-vous besoin ?

-Dites-moi d’abord comment tu vas et j’en viendrai aux faits. »

Tous les autres poneys de cristal, gardes comme civils, pouvaient voir le Roi sortir de son château. C'était une chose rare ces derniers temps, toujours une surprise si bien que certains habitants en oublièrent de le saluer à son passage. Heureusement pour eux, Athéon n'était pas autant à cheval sur les règles stipulant qu'un poney ne se courbant pas devant son Roi ou sa Reine devait être mis aux fers jusqu'à ce qu'il soit pardonné de sa faute.

Par contre, ce n'était pas rare de le voir converser avec Sombra. Cet étalon, en plus d'être le seul cornu avec un gabarit dépassant largement celle du Roi, était aussi le seul à être classique, ne brillant pas comme les autres habitants. La raison était simple : il était aussi le seul poney extérieur à avoir découvert l'existence de ce lieu, lui et...

« Votre femme, comment va-t-elle ? demanda le souverain.

-Karan ? À merveille. Je ne l’ai jamais vue aussi heureuse, depuis que nous sommes ici elle a retrouvé la joie de vivre. Et devinez quoi ? Elle a découvert les joies de jardiner et je vous assure qu’elle se débrouille comme une reine, je lui demanderaide vous faire un bouquet rien que pour vous. »

Le Roi lui renvoya un sourire. Normalement citer le mot « Reine » était assez tabou en ce moment, mais venant de cet étalon ça n’avait rien d’intentionnel. Il l’appréciait tellement qu’il le laissa parler librement, sans demander la permission. Cependant, il ne l’avait pas fait venir juste pour parler de la pluie et du beau temps.

« J’ai une question : depuis combien de temps sommes-nous ici ? Trois ans c’est ça ?

-Vous visez juste mon cher. Et votre question nous amène à ce dont je voulais aborder avec vous. »

En regardant devant lui, Sombra vit alors que le Roi l’avait amené au Cœur de Cristal, sous le château. Le joyau ne cessait de tournoyer, envoyant des impulsions à un rythme régulier pour alimenter le bouclier. Tous les poneys pouvaient le sentir, même l’étalon d’ébène. Il sentait comme un tressautement dans son cœur dès que celui de l’Empire battait, et ça a chaque fois qu’il se trouvait à proximité.

« Ma chère femme y avait mis tout son âme et son coeur pour créer cet artefact, d’où sa forme, ricana le Roi. Sans lui, notre empire ne peut être à moins qu’une licorne soit au pouvoir pour l’alimenter, mais c’est très périlleux.

-Votre femme était la plus talentueuse des licornes que j’ai pu connaître. Si seulement Equestria l’avait connue, sa connaissance en magie aurait pu tout arranger et faire de cet endroit un lieu ressemblant à tant d’autre.

-Sauf que sa captivité ici n’était pas non plus involontaire, ne l’oublions pas.

-Et c’est bien pour cela que je l’appréciais beaucoup, enchérit la licorne. Sa façon de gouverner d’un sabot de fer tout avec une sagesse capable d’apaiser quiconque faisait d’elle une parfaite Reine. Elle était capable de donner un rôle à chaque poney suivant sa stature. Certain désapprouvait sa façon de « sélectionner » les sujet, mais il n’y a qu’à regarder ce que l’Empire de Cristal est devenu. C’est à elle que nous devons cette protection, ce magnifique château, ainsi que tout le reste…

-Vous savez, j’avais tendance à vous jalouser pour l’amitié que vous aviez avec ma Reine.

-Comment oserais-je !? s’écria-t-il. J’ai une femme et je l’aime ! Je tuerais pour elle !

-Calmez-vous mon chère, rigola le vieux poney. Je ne faisais que de plaisanter. Tout le monde aimait notre Reine. Les autres à l’extérieur ne le savent pas mais je l’estime comme la plus puissante des magiciennes qu’Equestria n’a jamais eues. Croyez-le ou non. »

Puis soudainement, la mine du Roi s'affaissa. Il baissa même la tête en soupirant sans le cacher. Il avait quelque chose à dire, d'assez gros pour l'empêcher de l'avouer directement, jusqu'à tourner autour du pot en changeant de conversation. Sous l'œil inquiet de Sombra, Athéon se mit à regarder autour de lui, veillant bien à ce que personne ne soit dans les parages. Il y avait encore des poulains en train de jouer, et des passants détournant la marche dès qu'ils croisaient le regard du Roi et de son second discutant devant le joyau.

« Le cœur se meurt, fini-t-il par sortir. Depuis que la Reine est morte, il perd en énergie chaque jour. Heureusement que la joie des habitants est là pour le maintenir en marche, mais ce n’est que temporaire. Normalement, elle avait rendu cet objet incassable et inépuisable mais… j’ai bien peur que sans souverain, et surtout une licorne, le cœur ne soit efficace qu’un temps.

-Je sais mon Roi, et je travaille sans relâche chaque jour pour trouver une solution. C’est bien pour cela que vous avez fait de moi votre second. Si j’y arrive, vous serez en mesure de canaliser l’énergie du cœur sans même avoir besoin d’une corne sur la tête.

-Sombra, je suis mourant aussi. »

Cette fois l’étalon noir ne répondit rien. Son visage par contre suffit à faire comprendre au Roi que cette nouvelle l’avait abasourdi, le faisant soupirer à nouveau.

« Je sais ce que tu te dis mon ami, que normalement la Reine m’a donné le pouvoir de ne pas vieillir comme elle. Mais regarde-moi, fit-il en passant un sabot sur ses rides et sa barbe. Ma femme aussi devait être immortelle mais si c’était le cas elle n’aurait pas fabriqué le cœur et accordé autant de confiance à toi et ta compagne ; tout comme moi je l’ai fait envers toi.

-Que voulez-vous dire ? demanda-t-il avec un certain stress dans sa voix.

-Il faut une licorne au pouvoir pour que le cœur puisse fonctionner, tu le sais, et je n’en connais que deux, déclara-t-il en posant un sabot sur l’épaule de celui à qui il faisait allusion.

-Mon… Mon Roi je… Vous n’y pensez pas !?

-Ai-je le choix ? Ou plutôt l’Empire ? continua le Roi. Même le conseil ne pourra qu’acquiescer. »

À cet instant, l'esprit de Sombra n'avait ni haut ni bas. Il n'était là que depuis trois ans, avec rien entre ses sabots mis à part son savoir. Lui et sa femme avaient fui les malheurs de Discord au péril de leurs vies. Et par miracle, ils étaient tombés sur ce dôme de magie perdu dans les montagnes de cristal, tout au nord d'Equestria, où un peuple caché les avait hébergés et nourris, puis aidés, jusqu'à ce que lui aussi les aide pour accroitre les connaissances en magie, en gagnant la confiance de la Reine Rouge.

Et maintenant, il allait en être le souverain. C’était tout bonnement inimaginable pour lui.

« J’ai du mal à croire que le conseil veuille laisser un poney qui ne soit pas d’ici devenir souverain, s’entêta Sombra en tournant en rond. La Reine Rouge n’en était pas une non plus mais elle a fondé cet Empire et y était déjà depuis des centaines d’années. Moi je ne suis là que depuis trois petites années…

-Et en trois ans tu t’es implanté plus vite que n’importe qui, insista le souverain. Regarde-toi, dit-il en pointant la cutie mark en forme de cristal noir de l’étalon d’ébène. Tu t’es tellement investi pour aider notre royaume que cela fait de toi un poney de cristal plus que les habitants eux-mêmes. Tout le monde t’aime bien ici, et vu la situation je ne vois pas qui serait opposé à ce choix. »

Sombra ne répondit rien, il ne pouvait pas remettre en doute les paroles de son Roi. Il avait raison sur un point : sans souverain licorne, le cœur ne tiendrait pas longtemps, et même si sans lui l’étalon de jais pouvait dresser un bouclier par sa seule force magique, il ne le ferait pas assez longtemps.

« Tu es jeunes Sombra, et je peux affirmer une chose : à ton âge même ma femme n’était pas aussi douée en magie, je n’ai l’ombre d’aucun doute que tu suivras le même chemin qu’elle. Tu seras peut-être plus doué qu’elle, tu vivras encore plus longtemps avec ta force magique.

-J’ai une autre solution ! s’écria l’étalon cornu en même temps qu’il eut un éclair de génie. Je travaille sur une solution qui permettrait à un poney de canaliser la magie du cœur sans qu’il soit sur le trône, ni besoin d’être une licorne. Je vous en ai déjà parlé n’est-ce pas ?

-Nous manquons de temps mon ami...

-Laissez-moi un peu de temps et je trouverai la formule. Ainsi vous pourrez mettre au pouvoir un poney plus en âge de gouverner !

-Voyons Sombra, tu es sur ce projet depuis que tu es arrivé ici je crois. Tout le monde rêverait d’être à ma place ici, et toi aussi j’en suis sûr.

-Vous vous trompez, nia-t-il.

-Il est vrai qu'une fois que nous y sommes, ce n'est pas si bien qu'on le pense mais si les désirs du souverain ne sont que la protection et la sécurité de ses petits poneys de cristal, alors ce n'est plus un fardeau. Ça ne changerait pas de ton quotidien en regardant bien...

-Je… je ne sais pas mon Roi je…

-Allons, rassura Athéon en tapotant le poitrail de l’étalon noir. Nous avons encore le temps devant nous, du moins je l’espère pour moi, gloussa-t-il. Mais réfléchis-y mon ami. Si vous tenez à cet Empire autant que moi et ma défunte femme, alors le choix ne devrait plus en être un. »

Sur ses dernières paroles, le Roi s'éclipsa en marchant vers les maisons de cristal, toujours sous l'œil médusé des passants à qui il n'hésitait pas à dire bonjour et d'en venir aux nouvelles. Quant à Sombra, il était toujours sur place près du cœur, la tête remplie de question. Il mit plusieurs minutes à pouvoir véritablement réaliser ce que le souverain voulait de lui, mais même pendant sa marche vers ses quartiers où il étudierai encore la magie du Cœur de Cristal, son choix n'était pas fait, et ça malgré les paroles d'Athéon.

****

Tulipes, jonquilles, roses, géraniums et pâquerettes tapissaient toute une cour à l'arrière d'une petite maison composée de minéraux. Bien que la bâtisse avait la même apparence que toutes les autres de la ville, cette habitation se trouvait aux limites de l'Empire. Une ponette allongée, le ventre sur l'herbe, manipulait des outils de jardinage avec sa magie. Son crin rose, bien que terne si on le comparait avec celui des autres juments de cristal, était remis en valeur grâce aux bijoux qu'elle portait dans sa chevelure et autour de sa queue. Son pelage blanc, à première vue banal, avait parfois une couleur bleutée lorsque le soleil brillait fort sur le château, renvoyant des rayons lumineux partout dans la ville.

Lorsqu'elle ne jardinait pas, Karan avait une tâche bien particulière au sein de l'empire : médecin. Grâce à son appendice frontal, elle pouvait utiliser des outils dangereux sur des blessures profondes, et ce, avec une précision inégalable. Pas même un poney de cristal pouvant tailler des gemmes avec rigueur avait le don d'imiter ses gestes. Aussi, sa gentillesse sans frontière était-ce qu'il y avait de mieux pour apaiser un malade ou un blessé.

Pourtant, sa cutie mark n'avait aucun rapport avec sa profession, ni son passe-temps. Des lauriers dorés, ce n'était ni un symbole médicinal, ni quelque chose qu'elle faisait pousser. Une petite voix dans sa tête lui disait que cela était quelque chose de plus grand, qu'elle avait obtenu après avoir foulé ce lieu après seulement quelques jours. Puis Athéon lui avait rendu visite, parlant d'elle et de son mari comme les prochains souverains de l'Empire de Cristal. Quelle blague ! Elle n'était même pas une jument de cette espèce, et sa connaissance en magie n'allait pas plus loin que de bouger des objets.

Puis être Reine voulait aussi dire protéger cet endroit de l'extérieur glacial et sombre. Elle n'avait qu'à regarder à travers le bouclier pour comprendre que tout ça la dépassait largement. Comment pouvait-elle créer un sortilège capable de faire en sorte que ses fleurs collées au dôme, à quelques centimètres du froid intense, ne puissent pas subir cet éternel blizzard ? Histoire de se tourmenter encore plus dans ses réflexions, elle s'approcha de cette protection puis y passa son sabot à travers. Les êtres vivant pouvait passer, mais pas le reste. Elle sentait le gel qui agressait sa patte, mordant sa chair, mais qui disparaissait aussitôt dès que sa peau retrouvait l'air pur et tiède de l'Empire.

La Reine Rouge avait rendu ce dôme permanent grâce au Cœur pour ne pas avoir à l'alimenter sans cesse. Mais depuis sa mort, plus personne n'était là pour ressourcer cet « amplificateur ». C'était comme ça qu'elle l'appelait, un moyen de faire passer de la magie dans cet artefact pour la rendre encore plus grande, plus puissante. Elle pouvait dire merci à son mari pour les explications, c'était un comble pour elle d'être une licorne douée en télékinésie, mais qui ne comprenait pas un traître de mot lorsque cela devenait un peu plus complexe.

Le bruit d'une petite explosion sourde la sortit de ses pensées, suivit d'une porte s'ouvrant avec quelqu'un en train de tousser. Elle n'eut aucun mal à deviner d'où et de qui venait ce bruit. Sans même se retourner, Karan savait que son époux venait encore d'échouer un sort qui lui avait sauté à la figure, l'obligeant à sortir de son laboratoire envahi de fumée noire.

“Encore raté, dit Sombra d’un ton neutre alors qu’il se trouvait juste derrière sa femme. Le labo est maintenant sans dessus dessous en plus.

-Tant que tu ne fais pas sauter notre maison je n’ai pas à me plaindre”, ricanna-t-elle en se retournant pour découvrir un étalon recouvert de suie.

Et pas que. Sa crinière déjà d'ébène était hérissée vers l'arrière à cause de l'explosion. Sur son visage, on ne distinguait plus que ses grands yeux rouges contrastant avec l'ensemble de son corps d'origine sombre, autant que le nom qu'il portait. Mais fort heureusement, sa personnalité, quant à elle, était aussi rayonnante que le soleil qui illuminait la cité de cristal. Sombra se laissa débarbouiller sans grogner une seule fois, surtout que Karan n'y allait pas d'un sabot mort.

« Je commence par croire qu’Athéon a raison, nous allons devoir monter sur le trône si je ne trouve pas rapidement un moyen de faire en sorte que le cœur soit alimenté en magie sans qu’un souverain s’y trouve.

-Pourquoi ne l’alimentes-tu pas directement ? Tu m’as bien expliqué qu’il suffisait juste de lui donner un peu de magie pour qu’il marche non ?

-C’est bien plus difficile que ça..., soupira-t-il par épuisement d’avoir raté une nouvelle fois pendant qu’il se faisait toujours nettoyer. Avant de mourir, la Reine Rouge a donné au Roi assez de magie en lui pour que le cœur puisse marcher le temps qu’il trouve un nouveau souverain. Le Cœur de Cristal est bien plus qu’un objet, il ne prend la magie que d’un poney avec assez de puissance pour maintenir ce dôme. Le Cœur prend compte aussi que celui qui est capable d’une tel chose doit forcément être souverain.

-Pourquoi ne pas faire semblant ? demanda-elle alors qu’elle passait ses sabots dans son encolure pour le recoiffer. Faites une fausse cérémonie devant lui puis… »

Sans la prévenir, Sombra se mit à rire, de plus en plus fort jusqu’à se tenir l’estomac et tomber par terre, roulant dans l’herbe en se tenant les côtes. Il était littéralement mort de rire. La licorne sombre savait que sa femme n’y connaissait pas grand-chose en sorcellerie complexe, mais à ce niveau…

« C’est bon, j’ai compris, bouda-t-elle en roulant des yeux mais en ne baissant pas son sourire en voyant son poney vraiment très spécial aussi heureux. Je ne vais pas t’embêter plus longtemps.

-Pas si vite ! »

Alors qu’elle s’apprêtait à s’en aller, une aura rougeâtre s’empara de sa queue pour la tirer en arrière, assez fort pour l’amener directement sur Sombra encore allongé sur le dos. Elle s’y attendait un peu, et ce n’était pas déplaisant. En fait, c’était dans ces moments-là que Karan se disait à quel point elle avait de la chance d’être ici avec celui qu’elle aimait plus que tout.

« On ne peut pas mentir au cœur, il ressent tout ce qui se passe ici. Il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons. Faire une cérémonie de couronnement en se disant que tout ça est faux, il le saura, même si nous nous forçons à penser que c’est un vrai couronnement. On ne peut pas le tromper, et je ne veux pas imaginer ce qui se passerait si jamais on oserait faire une chose pareille.

-C’est un peu comme une relation en fait, conclu-t-elle avec un sabot sur son menton alors qu’elle était toujours allongée sur le ventre de Sombra. Tu ne voudrais pas savoir ce qui se passerait si jamais tu me trompais n’est-ce pas ?

-Cela ne me viendrait même pas à l’idée. »

Pour confirmer ses propos, il ne résista pas une seconde de plus à prendre le visage de la jument entre ses sabots pour l'amener près du sien afin de l'embrasser. Ils restèrent longtemps allongés dans l'herbe à s'étreindre, sans se demander une seule fois que l'un allait salir l'autre à cause de la suie. Sombra n'aurait jamais imaginé un jour atteindre un niveau de bonheur aussi grand. Il était avec la plus magnifique et la plus gentille des juments qu'il ait jamais vue de ses propres yeux, dans un endroit plus loin que l'horizon, sortant tout droit d'un rêve.

Il n’aurait jamais envisagé en arriver là quelques années plus tôt, lui qui était né d’un couple vivant dans la folie et le chaos que Discord avait abattus sur Equestria. Sa folle de mère n’avait pas hésité sur le choix du nom en voyant qu’elle avait mis au monde un poulain au crin noir et au pelage gris : Sombra.

Avec un nom pareil, il était pratiquement impossible de s'en sortir socialement au fur et à mesure qu'il grandissait. Les autres petits poneys se moquaient de lui, les professeurs le regardaient tout le temps d'un sale œil et avec des parents dévorés par la démence, comme la moitié du royaume, cela ne pouvait que le rendre méprisant. Sombra avait un comportement très varié, trop. Il pouvait être sage comme une image puis être turbulent dans la seconde suivante. Et même si cela n'avait rien d'anormal, quand un poulain avait ce genre d'agissement dans une époque de malheur telle que celle de Discord, sachant qu'il était né de parents fous, on pouvait très vite le désigner comme un étalon perdu d'avance par la magie sombre du draconnequus, à un poney portant en lui une part de chaos.

À un enfant de Discord.

Le cauchemar dura beaucoup de temps pour lui, et pas seulement comme une impression, car suivant les lieux, l'esprit du chaos s'amusait à changer le déroulement temporel. Pour certain, le passage de Discord ne dura que quelques mois tandis que pour d'autre, ce fut plusieurs générations. Sombra avait été de cela, si bien que lorsqu'il décida de fuir ce pays aux mille malheurs, le draconnequus était encore souverain même quand l'étalon avait enfin trouvé une vie calme et équilibrée à l'Empire de Cristal.

La rencontre de Karan se fit par le hasard sur sa route alors qu'elle était en danger. Des créatures du Tartare, qui ne devaient être que des animaux classiques, mais transformées à cause du chaos, avaient anéanti tout ce qu'elle avait construit, et presque sa vie. Plus rien ne la protégeait et ne la retenait ici, n'étant pas assez forte pour se défendre même avec sa magie habille, elle ne pouvait s'en remettre qu'à ce Sombra avec qui elle se lia beaucoup. Le destin avait fait tout le reste pour qu'ils deviennent mariés.

Sombra devait parfois rester sur ses gardes contre lui-même. Parfaitement conscient de ses faits et gestes, il savait qu'une part de chaos résidait en lui, que sa magie qu'il avait maîtrisée sur tous ses aspects au point de devenir un talentueux magicien, pouvait à tous moment exploser. Avec le temps, il avait réussi à trouver le juste-milieu. Néanmoins, il refusait d'admettre que Discord l'avait rendu comme tel. Pour lui, il s'agissait uniquement de son comportement « lunatique », et qu'il était possible de tomber dans la mauvaise magie lorsqu'on avait atteint un autre niveau de maîtrise, comme toutes les licornes surdouées.

Il ne le disait pas à sa femme, mais depuis que Sombra travaillait sur un sortilège pour réécrire la magie du Cœur de Cristal, ne pas basculer vers le côté obscur n’avait jamais été aussi éprouvant. Par contre, cela se voyait..

« Ta corne est devenue bizarre », dit-elle soudainement alors qu’ils étaient encore allongés dans l’herbe.

Par réflexe, le concerné tâta son appendice avec ses sabots. Rien d'étrange à première vue, mais il avait l'étrange impression que celle-ci s'était un peu courbée, la pointe remontant vers le haut. Sombra se leva pour observer son reflet sur un mur – comme quoi ça pouvait être pratique une maison en gemme – son visage n'avait rien, ni son corps, mais sa corne elle avait bien changé : légèrement courbée, devenue plus pointue. Il resta un moment à s'observer.

« Que s’est-il passé ? demanda Karan avec un ton plus sérieux.

-Aucune idée. J’ai probablement trop dosé sur ma tentative de sortilège…

-Tu sais très bien que c’est dangereux pourtant. Tu sais que quelque chose se trouve en toi. Que…

-On n'en est pas sûrs, coupa-t-il. Ce n'est pas ma faute si cela est plus difficile que je ne le pensais, mais si ça nous évite de gouverner un Empire qui n'est pas le nôtre, il faut que je prenne des risques. À quoi bon ne pas se servir de ma magie pleinement à ma guise si j'en ai beaucoup en moi, il faut bien que je parvienne à repousser les limites si un jour je veux pouvoir préserver le Cœur de Cristal.

-Je ne veux pas te perdre, supplia-t-elle en collant son front contre celui de son époux. Je ne serais pas capable de vivre sans toi. Promets-moi de rester toi-même quoi qu’il en coûte.

-Tu as ma parole », répondit-il après avoir posé un baiser sur sa tête.

***

Les jours passaient, et les résultats n'avaient pas changé. Chaque fois que Sombra effectuait une tentative, son travail lui sautait à la figure. Il restait de plus en plus tard dans son labo, ne comptant plus les nuits blanches. Karan le retrouva, à plusieurs reprises, endormi sur sa table de travail, une plume encore posée sur son carnet de notes alors que la phrase n'avait pas été achevée.

Rien, c'est tout ce qu'il put dire à Athéon lorsque ce dernier lui demanda l'avancement de ses recherches. Le Roi trouvait ça dommage qu'une talentueuse licorne comme lui ne parvenait pas à modifier la composition du Cœur de Cristal. En même temps, qui dans l'Empire ou dans Equestria pouvait égaler la puissance magique de la Reine Rouge ? Sombra était encore un jeune magicien, très doué certes, mais qui n'avait pas l'expérience dans ce genre de sortilège aussi complexe.

De toute façon, Athéon n'avait pas à s'inquiéter plus que ça car même si Sombra ne parvenait pas à ses fins, l'idée de le mettre sur le trône était encore là. Elle était loin d'être mauvaise à ses yeux, peut-être même que cela changerait l'Empire comme jamais. Des bruits courant comme quoi Equestria était redevenue en paix et en harmonie arrivaient de plus en plus aux oreilles de ses sujets, donnant l'envie aux habitants de s'ouvrir au monde, de faire disparaître ce blizzard pour enfin montrer l'existence des poneys de cristal au monde. Et avec un poney comme Sombra qui venait d'ailleurs, Athéon n'avait pas de souci à se faire. Il saurait anticiper les risques.

Puis autre chose allait le forcer à passer la couronne : il était devenu faible. La magie que son épouse lui avait donnée était en train de s'en aller à cause du Cœur de Cristal, prenant avec elle son essence vitale. Pour se déplacer, un garde se tenait toujours à côté de lui, le retenant lorsqu'il trébuchait. Il avait réduit ses visites jusqu'à ne plus en faire, indiquant à tous que le Roi allait rejoindre son épouse.

Athéon allait mourir, l'heure était pour lui de rassembler le conseil afin d'en décider sur le futur règne de Sombra. À la veille de la réunion, les conseillers se renseignèrent sur l'opinion des habitants si ce devait être lui ou un autre qui serait en mesure de gouverner et par-dessus tout faire en sorte que cœur de la citadelle soient encore en marche. Sur ce point, ils savaient tous que Sombra étaient le seul en tant qu'unique licorne des environs... À moins qu'il ne trouve le moyen de détourner cette condition en un temps record.

La nuit fut très mauvaise pour tout le monde, et pas seulement à cause de la météo désastreuse. Ce bouclier ne laissait pas passer le blizzard, mais permettait à certains nuages de verser un peu d'eau pour hydrater le sol bien verdoyant de l'Empire. Certains faisaient des cauchemars, ou d'autres ne parvenaient pas à fermer l'œil à cause de cette obscurité opaque et terrifiante quand les éclairs n'éclairaient qu'en partie les lieux, renvoyant des ombres en forme de pique à cause de l'architecture minérale de l'Empire.

Tout le monde s'était senti comme oppressé, dérangé par quelque chose. Tous sauf un qui travaillait encore sur un sortilège. Sombra n'arrêtait pas de faire apparaître un cristal sur sa table pour y concentrer sa magie, il n'y avait que de cette manière qu'il pouvait tester ses sorts.

Après avoir invoqué l'une de ces pierres, il jetait un sort similaire à celui de la Reine Rouge pour reproduire une réplique miniature du Cœur de Cristal, et ainsi tester ses sortilèges sans risque d'abîmer l'original. Il était facile de reproduire la magie de l'ancienne dirigeante pour une licorne douée comme Sombra, mais elle avait des bases solides.

Construire une tour est difficile, la refaire est plus simple une fois les plans en sabots, mais la démonter sans la détruire…

Il avait beau insister, les explosions se répétaient sans cesse, jusqu’à lui-même imploser en envoyant ses maigres résultats contre un mur d’un revers de sabot.

« Non non non ! répétait-il férocement. Il faut que je trouve un sortilège avant demain ! »

À nouveau, il fit apparaître un cristal sur la table avant de recommencer son rituel. Cette fois, il changea de stratégie en faisant passer l'aura de sa magie du rouge au noir. Plus il insistait, plus des arcs électriques verts et violets pétillaient sur les côtés, tout comme ses yeux qui dégageaient une fumée violette. Il avait tout essayé, même en passant par ce moyen à petite dose jusqu'à se courber la corne, mais pas avec de la magie noire sous sa forme à l'état pur. C'était facile à utiliser, sauf que Sombra sentait que des choses changeaient en lui à la seconde où il était en train de l'employer. Immédiatement, il stoppa son sort, reculant vivement de la table le plus loin possible, reprenant son souffle.

« Non ! Si je fais ça je vais… »

Son regard rencontra alors la gemme sur laquelle il avait jeté sa magie, et contrairement aux autres, elle n'avait pas sauté. Mieux : au lieu de ressentir une distorsion qui était aussitôt rejetée, la magie était restée dans le cristal, supportant parfaitement le sortilège.

Sombra se rappela alors que la Reine Rouge dû utiliser sa magie noire pour arriver à un tel résultat, d'où l'explication de pouvoir reproduire son sortilège sans difficulté. Mais passer par la simplicité avait un prix, et l'ancienne souveraine en portait des traces : être sous son régime n'avait pas été rose, mais en attendant, vivre dans l'Empire de Cristal était signe de longévité, de sécurité et d'innovation. C'était ça ou partir à Equestria.

Au final, si Sombra savait se servir de la magie noire sans se laisser déborder, il parviendrait à trouver le moyen de contrôler le cœur sans être Roi. À plusieurs reprises, il se regarda dans un miroir afin de voir si ça ne changeait pas son corps. Mais après chaque essai, enchaînant les succès, en plus de ne pas voir un seul crin changer de couleur ou sa corne se déformer plus, cela ne pouvait que l’encourager à continuer.

Ce qu'il ne savait pas, c'était que la nuit devint si sombre que même les éclairs ne parvenaient plus à imposer leur lumière. Un voile de ténèbres s'était abattu sur l'Empire de Cristal, disparaissant au moment même où l'orage s'était dissipé, lorsque Sombra quitta son labo afin d'aller rejoindre sa femme au lit.

Le réveil fut très dur pour tout le monde, si bien qu'une tension entre les conseillers étaient bien visible alors que la raison n'y était pas. Car tout le monde allait se mettre d'accord sur un point : Sombra allait être le prochain Roi. Ce qui n'allait pas, c'était la condition que chacun exigeait lorsqu'il serait sur le trône, et chacun d'entre eux avaient un point de vue presque différent.

Six poneys de cristal étaient présents autour d'une grande table ronde faite de quartz. Aucun d'entre eux n'avait de siège, ils étaient debout sur leurs quatre fers, montrant qu'ils ne faiblissaient pas devant le septième poney qui lui était bien assis sur son grand trône. Parce que c'était le Roi, Athéon faisait ce qu'il voulait. Mais tous savaient que ce dernier se mourait petit à petit à mesure que les secondes passaient.

Il y avait quatre étalons et deux juments, tous d'un âge assez mûr : Améthyste, Géode, Émeraude, Diamant, Rubis et Pyrite. Chacun d'entre eux avait une voix au nom du peuple, c'est-à-dire une bonne centaine de poneys par conseiller. L'Empire de Cristal avait beau être une grande et majestueuse cité, elle ne faisait que quelques milliers d'habitants.

« Je crois que nous pouvons être d’accord sur un point », fit Pyrite, un étalon au pelage doré mais à la crinière noire.

Tous hochèrent la tête en même temps, confirmant pour de bon que tout le monde savait la raison de cette réunion. Seul le Roi, assis dans son trône de cristal, n'avait pas fait le moindre mouvement, prouvant pour sa part qu'il était de plus en plus épuisé. Ce fut Améthyste, une vieille ponette au crin pâle recouvrant son dos au poil magenta qui ouvrit la parole.

« Sommes-nous certain que Sombra acceptera de répondre à nos exigence ? Qu’il parviendra à satisfaire le peuple ?

-J’ai souvenir que notre Roi l’a consulté sur ce point, fit un étalon entièrement noir portant quand même un regard rose persan. Il semblerait que ce dernier se refuse de prendre le trône.

-C’est compréhensible mon chère Géode, lui dit Emeraude qui portait bien son nom avec son corps entièrement vert. Sombra n’est pas un poney de cristal et n’est ici que depuis trois ans. Il revient tout juste de l’enfer du chaos et on lui donne déjà une couronne.

-Moi et une partie du peuple avons mis du temps à accepter qu’une licorne venue d’ailleurs puisse diriger nos pas, déclara une jument aussi rouge que l’ancienne Reine. Mais je vous repose la question mes frères : êtes-vous sûr que ce soit une bonne idée qu’une licorne venue d’un royaume corrompu doive prendre la place de notre bien aimé Athéon ?

-Avons-nous le choix ? intervint soudainement Athéon. Dois-je vous répéter que si personne n’alimente le Cœur, notre superbe Empire ne sera plus que ruine et froideur abyssale ? Nous avons déjà réglé cette question il y a fort longtemps, je vous prierais de passer le sujet et d’en venir à ce que vous prévoyez pour votre futur Roi. »

La plupart des conseillers se mordirent la lèvre inférieure. Ils avaient, sans le vouloir, fait perdre patiente à Athéon qui en avait marre de les voir tourner sans cesse en rond. Un étalon entièrement blanc, presque transparent, ouvrit la parole afin d’en venir au fait.

« Nous devons nous rendre à l’évidence, qu’il soit bon ou mauvais nous ne pouvons que nous en remettre à lui, déclara Diamant. Tous ce que nous pouvons faire, c’est l’aider dans ses directives. De mon côté, le peuple n’attend plus qu’une chose : retirer ce blizzard pour enfin nous montrer sous notre meilleur jour.

-Mais y a-t-il un moyen de s’en débarrasser ? demanda Améthyste. Cette neige est bien là à cause du chaos extérieur ? Des légendaires Windigos ?

-Pas que…, répondit immédiatement Géode. Souvenez-vous des livres d’histoires que vous avez lus, lorsque Tirek est arrivé avec ses manifestations funestes. Notre Reine a invoqué les Windigos afin de nous dissimuler d’Equestria et de ses milles malheurs.

-Avec une licorne aussi douée que Sombra, ajouta Émeraude, ce ne sera pas un problème pour lui de les chasser. Et s’ils persistent, nous pourrons faire appel aux pégases pour chasser le reste des nuages. »

Tous acquiescèrent en hochant la tête. Finalement, cette réunion se passa sans encombre comme tout le monde l’avait prédit. Les minutes suivantes, ils se mirent également d’accord pour faire don de leur savoir pour de futurs échanges avec les autres peuples, surtout si l’Empire demandait de l’aide pour la météo.

« J’ai également pensé qu’il faudrait revoir la politique de sélections sur nos habitants avec les tâches que chacun doit apporter, intervint alors la même jument qui se demandait comment enlever la tempête de neige extérieure. Nos poneys veulent plus de libertés sur leurs avenirs, sur leurs choix. Ils ont l’impression d’être esclaves de leurs destins.

-N’est-ce pas de cette manière que nous sommes arrivés à faire prospérer l’Empire, fit Pyrite qui montrait un peu d’opposition.

-Seulement pour le bâtir, corrigea Émeraude. Cela fait bien longtemps que cette méthode est désuète. Je rejoins Améthyste sur ce point.

-De même, enchérit Diamant. Cela fera probablement accélérer les choses si nous avons des poneys heureux de faire des professions qui leurs plaisent. »

Très vite, l’assemblée se mit d’accord sur ce point. Athéon, assis profondément sur son trône, souriait en voyant ses sujets s’entendre à un meilleurs avenir. Il ne pouvait pas rêver mieux : des conseillers en harmonie dans leurs choix, une perspective d’avenir déjà structurée ne prévoyant que du positif, et enfin un Roi à la magie adéquate pour faire tourner ce nouveau régime.

« Alors c’est comme ça que vous comptez faire pour faire prospérer l’Empire !? »

C'était Sombra, il avait surgi de nulle part et s'était mis à hurler. Les gardes à l'entrée l'avaient laissé passer, ne sachant pas s'ils le pouvaient ou non en tant que futur Roi. Visiblement, l'étalon sombre était en colère, mécontent de ce que l'on prévoyait pour lui. Qui sait depuis combien de temps avait-il écouté la conversation. À croire que tout le monde autour de la table était tellement captivé par le débat qu'ils en avaient oublié leur entourage.

« On peut dire que vous tombez à pic, lança Émeraude pour détendre l'étalon. Après tout, c'est vous et de votre destin qui êtes ici remis en question, n'est-il pas normal que vous soyez tenu au courant ?

-Vous parlez déjà comme si j'étais déjà Roi alors que je travaille sans relâche à une autre solution !

-Il se trouve que... Sombra... Nous sommes très reconnaissants de vos effort que vous avez faits pour cet Empire afin de trouver une solution qui arrangerait tout le monde mais... »

La jument de cristal au pelage rouge s'était écartée de la table pour rejoindre directement le concerné, jusqu'à approcher son museau au plus près de son oreille afin de lui chuchoter quelque chose.

« Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre plus longtemps... Le Roi...

-Je suis peut-être mourant mais pas sourd ! cria ce dernier. Soyez clair et honnête avec moi s'il vous plaît. »

Rubis s'éloigna de Sombra en courbant l'échine vers le souverain, consciente d'avoir manqué de respect à Athéon. Le Roi se décrassa ensuite la gorge puis se remit un peu plus droit afin de ne pas paraître trop faible. Donner une dernière image de lui-même d'un vieux poney fatigué n'avait rien de réjouissant. Il voulait cependant être écouté, ses idées étaient encore claires.

« Mon ami, nous en avons déjà parlé, probablement plus de fois que les fois où nous avons entamé le sujet qui nous rassemble aujourd'hui, ricanna-t-il avec une petite grimace de douleur. Ton intervention ici nous confirme bien ton dévouement pour cet Empire, c'est une qualité que je n'ai pas vue dans la chair de quelqu'un depuis... Ma femme. Elle était peut-être ferme sur ses méthodes, mais la sécurité de ses sujets était-ce qui comptait avant tout. »

Il fit une pause. Parler autant l'épuisait à vue d'œil, tout comme se remémorer du passé jadis. Mais il le fallait pour résonner une bonne fois pour toute un étalon qui avait entre ses sabots le sort de tout une nation.

« Parfois, elle en faisait des insomnies, elle en pleurait. Imaginer ce qui pouvait se passer s'il arrivait quelque chose à son peuple lorsque Equestria était en danger lui retournait le cœur. Ainsi, elle en fit un en cristal pour supporter ce poids à sa place, bien qu'il faille le faire battre. Et seul le plus dévoué pour l'Empire le peut. Je ne vois personne ici autre que vous pouvant supporter ce fardeau, mon ami.

-Faite honneur à notre ancienne Reine, Sombra, ajouta l'un des poneys de l'assemblée.

-Sauf qu'à vous entendre on dirait que votre seul but est de réduire ses efforts à néant ! vociféra le centre d’intérêt de tous les poneys présents.

-Vous vous trompez, fit Pyrite. Il est justement question de la faire perdurer.

-Et que croyez-vous qu'il se passera lorsque le bouclier sera levé en ouvrant nos portes au monde ? N'avez-vous pas compris ce pourquoi j'ai fuis jusqu'ici ?

-Nous le savons, soupira Améthyste. Sauf que vous devez savoir aussi que les choses vont désormais pour le mieux sur les terres des sœurs alicornes.

-Et pour combien de temps ? Hein !? insista-t-il en montant le ton. Est-ce que les choses sont restées bonnes lors de la réunification ? Et combien de temps a-t-il fallut à ces... Princesses pour se débarrasser de Discord ?

-Dix ans, répondit Émeraude avec un grand naturel. Nous le savons autant que vous...

-Non ! Dix ans peut-être pour vous mais pour moi et trop de poneys, cela a duré le double voir plus. Je suis né sous son règne, regardez mon âge ! Nous n'avez aucune idée de ce que moi et tout un peuple avons enduré ! Et dix ans, ça reste trop long !

-Et nous en sommes parfaitement conscients mon ami. Vous avez connaissance des risques qui se trouvent derrière le dôme. Vous saurez mieux que quiconque comment nous faire connaître au monde. »

Même à travers son pelage gris foncé, il était possible de voir son visage tourner au rouge. Ne voulaient-ils donc rien savoir ? Après tout ce qui s'était passé à Equestria, ils voulaient quand même ouvrir leurs frontières... Sombra allait devoir se retrouver avec un peuple à gouverner qui n'était pas le sien, s'exposant à des dangers qu'il n'aurait jamais voulu revoir, ni entendre de nouveau parler un jour.

« Le peuple veut une chose qu'il ne connaît pas..., souffla l'étalon pour reprendre son calme. Combien de temps avez-vous survécu durant le régime de la Reine Rouge ? Combien de crise de grandes ampleurs avez-vous eues ? »

Personne ne répondit, certains baissèrent même la tête en signe d'approbation bien que leur désir d'appliquer les demandes de la population étaient grandes. Eux aussi le voulaient en fait, pour une raison bien précise.

« Sombra, épela Rubis. N'avez-vous pas pensé qu'un jour les poneys puissent... Étouffer au bout d'un moment ? Je veux dire... Ils vivent sans arrêt de la même façon, voient toujours les mêmes connaissances, et ne voient que le même paysage chaque jour.

-Vous ne manquez de rien ici. Il suffit de voir ce que le quotidien a fait de cet Empire en regardant les maisons et ce magnifique château, et je préfère regarder un paysage enneigé plutôt que des cités dévastées par la discorde. Et pour les nouvelles connaissances, c'est peut-être exagéré vous ne croyez pas ?

-C'est vous qui exagérez sur le quotidien, intervint Diamant avec plus de fermeté. N'avez-vous jamais songé que le danger pouvait venir de l'intérieur ? Que le peuple peut exploser à force d'être étouffé ? Votre montée sur le trône est un nouvel espoir, vous savez ? Un sentiment de nouveauté !

-Qui va faire conduire l'Empire de Cristal à sa perte ! J'en ai assez entendu comme cela ! »

L'un d'entre eux voulu le raisonner à nouveau, un autre en savoir plus sur ses intentions de prendre la couronne ou non, mais l'étalon avait déjà pris la fuite. Durant les secondes suivantes, tous les poneys présents dans la grande salle se regardaient entre eux sans cacher leurs embarras. La seule licorne capable de faire marcher le cœur avec en plus une connaissance affûtée sur les risques de l'extérieur, n'était pas en accord avec les conditions et les demandes du peuple. C'était une situation plus que gênante.

Seul Athéon ne regardait pas les choses de la même façon, il avait vu quelque chose d'autre dans le regard de Sombra, quelque chose qu'il n'aurait jamais voulu voir.