Everfree ne dormait jamais. Qu’importe le moment de la journée où vous vous y trouviez, il vous était toujours possible d’y entendre ce merveilleux concerto qu’est celui de la vie d’une forêt libre de toute contrainte, affranchie du sinistre joug équin. Les oiseaux chantaient, les insectes grésillaient et d’infortunées créatures laissaient échapper un dernier râle d’agonie alors que leur assassin donnait libre cours à l’euphorie de la victoire. Dans certains cas, il vous était même possible d’ajouter à cette symphonie vos propres hurlements s’il venait à l’un des nombreux prédateurs qui rôdaient ici l’envie d’essayer quelque chose de nouveau, histoire de changer un peu du quotidien.
Cette nuit-là était pareille à toute autre, ou du moins le semblait-elle jusqu’à ce qu’un massif bloc de granit, sis au sein d’un groupe d’arbres tordus, ne commença à luire d’une étrange lueur. L’iridescense qui s’y dessinait, partie du pied du roc, forma un demi-cercle légèrement oblong et, si l’on s’en approchait, il était possible de remarquer qu’elle se composait en réalité d’un entrelacs complexe de bandes lumineuses à la géométrie si inconcevable qu’il était impossible de la décrire avec des mots ; l’on aurait dit une fresque démente, dessinée dans un délire halluciné par un artiste dont la sensibilité à fleur de peau avait fini par se briser définitivement dans l’enfer des paradis artificiels.
Par contre, si l’on avait demandé son avis à mademoiselle Cherilee, elle aurait quant à elle plutôt utilisé comme élément de comparaison la production grotesque d’un poulain essayant désespérément de substituer une absence totale de talent par un zèle ubuesque. Au final, tout n’est qu’une histoire de point de vue.
La couleur de cette lumière exogène semblait elle-même sortir du cadre strict de la gamme chromatique ; si les bordures luisaient de nuances oscillant entre le pourpre et le violet, il était impossible de donner un nom à celle qui rayonnait au centre de ces ésotériques cordons. A vrai dire, il aurait sans doute été plus exact de parler d’absence de couleur, sans toutefois qu’il ne s’agisse de réellement de noir ; par ailleurs, elle se réfléchissait belle et bien sur les troncs et les feuillages de la sylve aux alentours, lui prêtant une atmosphère qui n’était pas ni de ce monde ni de cette dimension.
Puis une tâche d’une profonde noirceur émergea du centre de cette étrange figure, avant de se répandre comme une lèpre véloce sur toute sa surface, stoppant son expansion uniquement lorsqu’elle arriva au contact des traits luminescents. L’instant d’après, la roche souillée par cette obscure infection sembla disparaître totalement, ne laissant à la place qu’un trou béant à ce point ténébreux que la lumière elle-même semblait incapable de s’en échapper. La forêt fut alors gagnée par un irréel murmure pendant que la cavité aspirait l’air aux alentours ; l’on aurait dit la sinistre inspiration d’une entité antédiluvienne qui goûtait avec délectation et nostalgie ce simple plaisir, plaisir qui paraissait lui avoir été refusé depuis des éons.
L’inhalation cessa enfin et tous les animaux aux alentours retinrent eux aussi leur souffle, captivés autant que terrorisés par cet évènement surréaliste qui venaient troubler leur paisible existence. Alors émergea doucement de ce portail un être quadrupède, créature d’outre-univers dont l’apparence témoignait à elle seule de son absence totale de lien avec cette terre et les êtres qui y vivaient. Il s’arrêta puis regarda doucement de droite et de gauche, jaugeant son environnement, nimbé par l’aura indescriptible du portail.
Ce dernier se ferma alors soudainement dans un atroce chuintement, à ce point horrible qu'il fit s’arrêter le cœur de l’ensemble de la faune aux alentours l’espace d’un battement, et l’obscurité retomba dans la forêt. Le silence, quant à lui, semblait décidé à continuer son règne, les animaux étudiant avec crainte et mutisme ce nouvel arrivant ; il était possible pour ce dernier d’apercevoir des centaines d’yeux luminescents se détacher des ténèbres, braqués en sa direction.
La créature se mit doucement en route dans une direction visiblement prise au hasard et au bout de quelques pas, il y eut le bruit d’un petit choc, mat, accompagné d’un autre son, atroce ; un couinement surnaturel qui ne devrait jamais être émis par le moindre organisme vivant. Il y eut alors une courte pause avant qu’ils ne furent répétés une première fois et, après un nouveau silence, une seconde.
Suite à cette troisième tentative, l’étrange chose venue d’ailleurs sembla admettre que les troncs d’arbres étaient des éléments aussi solides qu’inflexibles et qu’il était impossible d’y passer au travers, même en forçant. Alors elle se détourna et prit la direction d’un autre chemin.
Cette portion d’Everfree était toujours plongée dans un mutisme terrorisé et ce ne fut qu’au bout de plusieurs dizaines de secondes que l’hideuse sonorité brisa à nouveau le silence, ici encore accompagné du bruit d’un léger choc.
Cette forêt était décidément pleine d’arbres.
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Il faisait un temps magnifique à Ponyville en ce matin-là, un soleil éclatant, sans aucun nuage, accompagné d’une légère brise qui vous rafraichissait juste comme il fallait. Cette météo, aussi agréable que propice à l’indolence, représentait parfaitement l’atmosphère dans laquelle vivait la bourgade désormais dominée par le massif château de l’Harmonie. En effet, quiétude et paix régnaient sur le territoire récemment annexé par Twilight Sparkle, rattachement qui s’était par ailleurs fait sans aucun heurt, ni même le moindre débat citoyen.
Pour ceux qui s’intéressaient à la culture d’Equestria, il était ainsi possible de déduire deux choses de cet évènement. Primo, que les poneys n’avaient au final qu’une conscience politique des plus limitées. Secundo, que leur code de l’urbanisme se montrait particulièrement laxiste avec les constructions fantaisistes à partir du moment où elles provenaient de la volonté d’un arbre magique.
Néanmoins, reconnaissons que c’est grâce à cette mentalité, que certaines mauvaises langues ne manqueraient pas de qualifier « d’apathique », que cette histoire s’établit dans un cadre où le bonheur règne. Jugez plutôt : cela faisait des mois que nulle entité démoniaque n’avait tenté d’infliger à la municipalité le poids de sa volonté machiavélique, qu’aucune créature d’Everfree n’était sortie des bois pour venir taquiner du poney, et à l’occasion en boulotter, et même plusieurs semaines que la jeune princesse qui régentait dorénavant ces lieux n’était pas rentrée dans une de ses légendaires crises psychotiques.
En un mot comme en cent, l’insouciance régnait donc à Ponyville.
Mais, car il doit forcément y avoir un « mais » sous peine de n’avoir aucune histoire intéressante à raconter, ce sentiment n’était pas partagé par tous. Quelque chose tracassait profondément Twilight Sparkle, la plus illustre habitante de cette riante cité.
L’alicorne était en ce moment même en train de faire les cent pas dans la salle du trône sinon déserte, maugréant, bougonnant et grommelant une frustration aussi sourde que lancinante qui la travaillait depuis des mois maintenant.
Tout était calme, bien trop calme. Depuis son combat avec Tirek, aucun ennemi d’envergure n’avait daigné paraître en Equestria et tout autre souci avait été réglé avec diligence, le plus souvent sans effusion de sang. C'était une chose relativement normale lorsque l’on avait pour principale fonction de transmettre le pouvoir de l’amitié et c’était un fait dont la princesse était parfaitement consciente. Après tout, s’il y avait bien un point sur lequel les nombreux ouvrages traitant de cette valeur fondamental qu’elle avait pu lire s’accordaient de façon unanime, c’était le suivant : il est particulièrement complexe d’établir une relation durable et fraternelle avec un autre poney si vous commencez par lui démolir le visage à coup de sabots.
Malheureusement, cela ne convenait pas à la jument royale, pas le moins du monde. Car Twilight Sparkle n’avait ces derniers temps qu’un seul désir : celui de détruire, de broyer, d’exploser, d’écraser… Bref, de botter des croupes.
Ce ressentiment était clairement apparu depuis le jour où elle avait dû absorber la magie de ses sœurs alicornes, initialement pour la cacher de Tirek avant de devoir l’utiliser pour l'affronter. La sensation de puissance qu’elle avait ressentie ce jour-là continuait depuis de courir dans ses veines et de légers frissons d’excitation venaient toujours la parcourir quand elle repensait à ce combat.
Cela avait été extatique, tout simplement, un condensé de destruction brute à l’intensité orgiaque qui balafrait encore le paysage aux alentours, cicatrices qui devenaient ainsi pour la princesse un cynique rappel de cette bien trop fugace jouissance.
Cette bataille avait par ailleurs donné fruit à de nombreux débats et à d’interminables polémiques, notamment celles d’une scientifique de San Flankisco, le docteur Manestein croyait se souvenir l’alicorne, qui ne cessait d’affirmer à qui voudrait l’entendre que Ponyville et ses alentours avaient été éternellement souillés par cet enchaînement de sorts d’une puissance gargantuesque.
Twilight n’avait toutefois pas de temps de à perdre avec de telles absurdités ; il y avait tant de choses à faire par ici. Par exemple trouver la source de cette étrange épidémie d’intense chute de crin qui touchait nombre des habitants de la paisible ville.
Perdue dans ses pensées, la jeune princesse n’entendit qu’au dernier moment l’arrivée d’un autre poney dans la pièce, ce qui ne l’empêcha pas de l’identifier instantanément à son odeur. Ce mélange de purin et de sueur avec une pointe de cannelle, c’était sans aucun doute possible Applejack.
« Hey Twilight, comment qu’va ? » l’appela la fermière de son impayable accent.
Le ressentiment qui taraudait l’alicorne disparut immédiatement de son visage, remplacé par une expression amicale parfaitement calibrée, fruit de ses progrès constant dans le monde de la politique.
« - Oh bonjour Applejack ! Comment vas-tu aujourd’hui ?
- Pas trop mal, Twilight… Ça pourrait être… Enfin non, ça va bien mais j’viens te voir parc’que j’voudrais t’parler d’un truc étrange qu’j’ai vu aujourd’hui.
- Un truc étrange ?
- Ouais. Enfin t’vois, j’étais partie faire une ballade dans Everfree avec les crusaders, ‘fin tu comprends bien… »
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de l’alicorne. Cela faisait combien de fois qu’Applejack essayait de perdre les cutie mark crusaders dans la forêt ? Trois fois ? Quatre fois ? La patience de la fermière avait trouvé ses limites depuis plusieurs semaines déjà, poussée à bout par les tentatives toujours plus burlesques, épuisantes, inconscientes et souvent lourdes de conséquences d’Applebloom et de ses amies pour trouver leurs cutie marks. Ce jour-là, elles croyaient s’être trouvé une vocation de tunnelier et avaient percé, personne ne comprenait comment, le sous-sol de Ponyville comme un gruyère.
Il ne fallut pas longtemps pour que plusieurs maisons s’effondrent dans ce sol désormais instable, causant quelques préjudices corporels mais surtout plusieurs dizaines milliers de bits de dégâts matériels. En conséquence de quoi la fermière, avec l’accord de Rarity, prit alors la décision que choisirait n’importe quelle grande sœur raisonnable : se débarrasser « malencontreusement » de cet encombrant trio.
Malheureusement, c’est à partir de ce moment que commença à s’exprimer ce qui semblait être leur vrai talent spécial, celui de toujours se sortir de situations les plus périlleuses qui soient et de retrouver leur chemin vers la ferme des Apple. Twilight Sparkle était d’ailleurs étonnée qu’un pot de colle ne soit pas venu désormais orner le flanc des crusaders.
« -Bref ! reprit vivement Applejack, qui avait visiblement deviné la nature des réflexions de son amie. Nous étions dans la forêt et à un moment j’ai cru voir un autre poney.
- Zecora ?
- Non s’tait pas Zecora, aussi sûr que la chenille s’fait manger par l’merle. L’portait pas d’breloques dorées et j’pense qu’il avait des ailes mais pas d’plumes.
- C’était peut-être un batpony alors ?
- Non plus, ‘fin j’sais pas. J’ai vu autant de batponies que l’Big Mac connait de mots mais s’tait sûrement pas ça. L’avait pas d’poils et un truc d’étrange sur la face. ‘Fin j’dis « il », j’sais même pas si s’tait un mâle ou une femelle.
- Mais tu es certaine que c’était un poney ?
- Sûre de sûre Twilight, ou en tout cas ça s’en approchait bien.
- Hum… »
Sur cette dernière parole témoignant d’un sens de la répartie admirable, l’alicorne porta l’un de ses sabots à son menton et commença à réfléchir. Visiblement, il y avait un nouvel équidé qui était venu s’installer ici et il n'était pas d’Equestria. En tant que monarque de ce territoire, elle n’avait pas vraiment envie que la forêt devienne refuge de l’immigration illégale et ainsi un terreau d’instabilité sociale. Il y avait certes déjà une zèbre, au demeurant très sympathique, qui vivait en ces lieux et avec qui les relations étaient plus que cordiales, mais comme le disait si bien Celestia en privé et d’un ton lourd de sens : « quand il y en a une ça va… ».
C’était donc décidé, il fallait aller à la recherche de cet étrange poney.
« Va donc appeler les filles Applejack » dit alors Twilight à l’intention de la fermière « Nous allons essayer de trouver cet inconnu. »
La fermère quitta la salle en galopant, laissant l’alicorne à nouveau seule avec ses pensées. Cela lui permettrait au moins d’occuper son esprit mais, avec un peu de chance, elle allait même pouvoir botter le train à des individus en situation irrégulière. Ce n’était certes pas encore broyer un pays complet sous ses sabots mais un petit plaisir de ce genre, cela ne se refusait jamais.
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Je n’ai lu qu’un seul livre du brave Terry (De bons présages) mais ce fut peu avant d’écrire Klutu, je dois donc bien admettre qu’il doit bien y avoir une certaine influence (même si j’étais déjà bien client de cet humour complètement barré). Reste que l’humour évoluera un peu au cours du récit, se détachant un peu de cette référence je trouve. Tu me diras ce que tu en penses.
Je ne suis pas un pro en littérature mais il me semble reconnaitre une certaine inspiration de Terry Pratchet au niveau du style d'écriture et de l'humour.
Je me trompe? :D
Je vais d'abord lire la suite avant de donner mon avis.
Bref j'adore cet humour noir ! Et accessoirement, j'ai découvert ce qu'est un éon.
Derpyna: #17235