Littera Inkwell

Je rencontrai Twilight pour la première fois. Elle était très déconcertée par ma présence, mais une pointe de curiosité l'animait, elle me questionna :

- J'ai bien eu la lettre de Celestia te concernant mais j'avoue être un peu perdue sur ton rôle ici. Tu pourrais me dire de quoi il retourne exactement ?

- Bien sûr, je suis chargée d’accueillir les « intrus » et les renvoyer ou non d'où ils viennent. Vous n'êtes pas sans savoir que plusieurs mondes coexistent sur différents plans. Vous vous êtes vous-même rendue dans l'un de ces plans, c'est d'ailleurs celui qui est le plus accessible. Il se trouve que des portails magiques existent aussi dans leur monde et de puissants sorciers et chamans les auront activés. Celestia avait trouvé la parade pour ouvrir les portails et renvoyer les humains indésirables ou qui ne voulaient pas rester, mais cela l'épuisait considérablement. Le portail que vous avez créé vous a logiquement rendue responsable de cette tâche.

- Je vois. Et ce pégase est donc une humaine ?

Avana examinait ses plumes sans avoir écouté un traître mot de ce que je venais de dire, je la rappelai à l'ordre :

- Hé miss l'humaine tu pourrais écouter ce qu'on va faire de toi, tu te contempleras plus tard.

- Quoi ? Oui, pardon, on fait quoi alors ?

- On te renvoie chez toi.

- Déjà ? Mais je sais même pas voler !

Cette humaine me désespérait. Je préférais m'occuper des intrus violents ou gênants, mais elle elle avait l'air gentille, innocente et faite pour ce monde. Sur tous les profils types d'humains qui avaient débarqué ici, seuls quatre étaient restés dans ce monde, dont moi. Cependant elle semblait jeune et avait sûrement une famille qui l'attendait. Je m’enquis de la manière dont elle était arrivée dans ce monde :

- Bon, tu te baladais chez toi et t'es tombée dans l'eau ? T'as voulu récupérer un truc qui brillait dans un trou ? Comment t'es arrivée là l'humaine ?

- Alors déjà, c'est Avana, pas « l'humaine ». Et je sais plus trop moi, j'étais dans la forêt, et j'ai entendu du bruit.

- C'est tout ?

- Hum... Nan, je me souviens juste que j'ai vu un animal, que j'ai suivi, et quand j'ai entendu le bruit je me suis laissée porter jusqu'à lui, devant une grotte. J'ai trouvé l'instrument qui faisait du bruit, j'ai vu de la lumière et paf je me suis retrouvée sur un nuage !

- Un instrument ?

- Oui, un maracas avec des dessins bizarres.

- Quel genre de dessins ?

- Je sais pas, il faisait noir !

- Si tu le voyais, tu le reconnaîtrais ?

- Oui, je crois.

Je demandai à Twilight de me fournir de quoi dessiner et montrai le papier à Avana :

- C'était ce maracas ?

- Oui !

Je savais à présent que sa présence n'était pas accidentelle, et le coupable n'était pas un enfant de chœur. Je pris congé de Twilight, lui promettant de revenir bientôt et emmenai ma petite humaine. Elle ne tarissait pas de questions et me cassait les oreilles :

- Alors t'es un peu la brigade des extraterrestres quoi ? Mais moi j'ai rien demandé, c'est quand même bizarre que je me retrouve ici.

- C'est très rare de se retrouver ici par hasard en effet, la plupart des humains qui viennent y arrivent après de très longues recherches et de grands efforts. Soit pour nous détruire, soit parce qu'ils sont nos « plus grands fans ». Cependant ton arrivée n'est pas accidentelle, et je vais lui demander pourquoi il a fait ça.

- Qui ça ?

Je n'eus pas le temps de lui répondre, Discord s'était matérialisé autour de mon encolure :

- Littera, ma vieille amie !

- Discord, justement je te cherchais.

- Ah, tu as reçu mon petit cadeau ! Tu aimes ?

- On envoie pas des gens en cadeau mon pote ! Et pourquoi je devrais apprécier que tu me colles une gamine dans les pattes ? Elle connaît pas notre monde contrairement aux autres fanatiques que je vois d'habitude, en quoi je devrais être contente ?

Discord leva un de ses épais sourcils et examina Avana sous toutes les coutures, avant de disparaître dans un flash qui le fit instantanément réapparaître auprès de Littera, à peine un mètre à coté :

- Ce peut-il que je me sois trompé ? Dites ma chère, quel est votre nom ?

- Heu, Avana.

- Oh ciel ! C'est pas la bonne ! Tant pis, je ferai mieux la prochaine fois !

- Il n'y aura pas de prochaine fois Discord, je suis sûre que tu n'aimerais pas que Celestia ou Twilight apprennent ce que tu viens de faire.

- Ce serait... gênant en effet. Moi qui voulais être gentil envers une si bonne amie, voilà comment tu me remercies !

Discord se mit à bouder, il me tournait le dos, les bras croisés. Avana le scrutait, perplexe :

- Mais je t'ai déjà vu ! La tante a fait une sculpture grandeur nature de toi ! Alors là c'est sûr je suis en train de rêver.

- Comment ça ta tante a fait une sculpture de lui ?

- Oui elle a plein de poneys comme toi et d'autres animaux chez elle...

- Attends c'est qui ta tante, tu viens d'où exactement ?

- De la montagne à Madagascar, la grotte tu te rappelles ?

- Madagascar ? Ta tante c'est Doria ?

- Ah parce que tu la connais ? Remarque ça a du sens.

Discord était assis sur un fauteuil noir avec des petites lunettes triangulaires retenues par une chaîne autour de son cou, il nous observait soigneusement. Je compris alors qu'il n'avait pas voulu amener Avana dans ce monde, mais Doria. Tout s'expliquait, je lui avais dit que ma vieille amie me manquait et encore une fois, partant d'une bonne intention, il avait gaffé.

***

- Tu pourrais raconter comment tu connais la tante parce que là c'est pas clair.

- AAAH ! Tu m'as fait peur, depuis quand t'es aussi discrète en vol ? J'y venais de toute façon, retourne jouer avec les nuages.

***

Je vais vous raconter mon histoire dans les moindres détails...

Mon nom est Klarin Littwel, je suis née aux États-Unis en 1958. Je voulais devenir une grande exploratrice ! En 1978, lorsque j'ai eu vingt ans, j'ai décidé de partir à la rencontre du monde et de ses terres inexplorées. Avec le financement de mes parents qui étaient alors aisés, je me lançai à la conquête de mon rêve. Je voyageais et découvrais des cultures toujours plus différentes. Je me suis fais un nom en écrivant quelques articles que je faxais à un ami journaliste qui les faisait publier sous mon pseudonyme : Littera Inkwell, l'anagramme de mon nom. Je passais ma vie en véritable nomade, tantôt chez les péruviens, tantôt dans les mystérieuses montagnes japonaises. Je m'éloignais graduellement de la civilisation pour explorer des régions reculées et quasi-inhabitées. Lors de mon voyage en Afrique, en 1979, je bifurquai vers l'île de Madagascar où les mythes et légendes m'attiraient particulièrement après la découverte des sorciers africains aux rites étranges. Ma passion pour l'écriture était alors à son apogée, les sujets étaient si divers et innombrables ! À la capitale, on me dirigea rapidement sur le nord de l'île, dans les contrées montagneuses où l'on disait que les sorciers s'étaient retirés. Il fallait que je les rencontre. On m'indiqua un guide sur place qui avait fait ses études à la ville et qui parlait américain. Elle s'appelait Doria, une belle jeune femme de vingt-quatre ans dont la gentillesse et la connaissance des choses me séduisirent immédiatement.

Un jour, alors que nous marchions le long d'un pan rocheux en forêt, je lui demandai si nous pouvions nous aventurer dans l'une des grottes qui perçait la montagne. La cavité ne semblait pas profonde et j'étais déçue lorsque nous arrivions devant une impasse dont la paroi lisse marquait la fin de cette phase spéléologique, mais c'est alors que la roche s'illumina pour former un grand portail de lumière. Sans réfléchir je m'y étais engouffrée tirant Doria par le bras.

Ce fut le plus grand choc de notre vie, être transformées en poneys et voir mon amie en zèbre a bouleversé notre existence à jamais. Je vous laisse imaginer les cris qui suivirent la découverte de notre don de parole.

La princesse Celestia ne mit pas longtemps à nous tomber dessus ! Il semblait que ce n'était pas la première fois qu'elle rencontrait des intrus et savait quoi faire : nous laisser vivre ici si nous respections les règles ou bien nous renvoyer d'où nous venions. Je voulais rester, mais Doria qui émettait plus de réserves se laissa finalement séduire. C'est ainsi que nous passions un an et demi dans ce fabuleux monde où je me mis rapidement à écrire, quel sujet plus merveilleux que la découverte d'un nouveau monde ! Lors de notre arrivée, des cutie mark étaient apparues sur nos flancs : un livre surmonté d'une plume pour moi et un petit burin sur une pièce de bois pour Doria. Cette dernière avait le mal du pays et avait demandé à la princesse si elle pouvait rentrer chez elle. Celestia lui accorda congé et je m’apprêtais à dire au revoir à celle qui était désormais ma plus chère amie. Je lui confiai mes écrits et lui demandai de les envoyer à l'adresse de mon ami journaliste et Celestia lui confia elle aussi quelque chose, un livre. La magie de Celestia ne permettait pas aux intrus d'utiliser à nouveau le portail par lequel ils étaient entrés. Les yeux mouillés je la regardai s'évanouir dans un nuage de fumée jaune avant que la princesse ne me pose un sabot compatissant sur l'épaule et de me donner à moi aussi un livre, le même qu'avait emporté Doria. C'était un livre magique, par le biais duquel nous pouvions nous écrire. C'est Doria qui m'apprit que mes écrits avaient provoqué l'hilarité dans la presse, mais aussi inspiré un dessin animé, en 1981, pour promouvoir des figurines de poneys pour les enfants. Bien plus tard, avec la popularité naissante d'Internet, mon histoire fut reprise et les fans grandirent essayant toujours plus de trouver le moyen d'entrer en contact avec ce monde. Je régule depuis longtemps les allées et venues des intrus, les laissant raconter nos aventures et diffuser l'harmonie qui règne ici. Doria m'a même appris qu'il y a un an, un site internet ouvrait à mon effigie et rassemblait toutes sortes d'histoires sur ce monde. Si un jour mon histoire doit être racontée aux hommes, je veux évidemment que ce soit sur ce site !

***

- Dis Littera, t'es sûre que je dois rentrer ? J'aimerais rester ici, je pourrais écrire à Doria pour lui dire que je vais bien.

- Non Avana, tu ne peux pas, tu ne vas pas me le demander à chaque fois que tu viens !

- Allez s'il te plaît, le mois dernier je suis restée une semaine entière, je suis sûre que tu voulais que je reste !

- Doria ne l'approuve pas ! Tu as la vie devant toi. Et que dirait ta mère si tu l'abandonnais ? Il est temps, Twilight va activer le portail, n'oublie pas l'article, tu as promis de le publier pour moi.

- Oui Littera, je le ferai. À bientôt.