Octavia s’accroupit derrière le meuble-évier de sa cuisine afin de se faire invisible tandis qu’elle sondait les abysses obscurs de sa mémoire. Malheureusement, l’un des effets du Tord-boyaux Pan-équestrien était de retourner l’esprit de celui qui en buvait dans tous les sens possibles et imaginables. Sur la bouteille, en outre, figuraient diverses étiquettes au sujet des risques de possibles effets secondaires tels dommages au foie et diabètes de type 2.
Vinyl l’épiait depuis le salon, comme le silence depuis la cuisine indiquait qu’Octavia ne préparait aucunement le thé, et pouvait pourquoi pas avoir subi une dépression nerveuse et s’être coincée la tête dans le four. Bien que Vinyl fût un peu inquiète, elle préférait ne pas s’introduire dans la cuisine : elle pourrait juste trouver Octavia en train de passer la serpillière, faisant voler ses espoirs en éclats. Au lieu de ça elle décida d’assouvir ses idéaux bénévoles par la voix.
« Eh, Octy. Comment ça se passe avec euh… le thé ? »
Il y eut un tintement sonore, quelques bruits de sabots précipités sur le carrelage, et le son de poêles et de casseroles qui s’entrechoquent. « Ce sera prêt dans un instant ! »
« Cool ! Pourquoi tu utilises des poêles et des casseroles pour faire du thé ? »
Octavia sortit la tête de l’armoire, stoppée dans son effort pour paraître aussi occupée qu’elle le voulait. « Euuuh… j’aime le faire à l’ancienne, sur la plaque chauffante ! Ça rend le thé bien plus doux… tu ne penses pas ? »
Octavia eut droit à ce rictus agaçant de Vinyl qui commençait à ronger son esprit comme une tumeur. Elle ramassa le wok et la casserole à l’aide de ses pattes de devant, et les remit dans l’armoire.
« Je ne suis pas experte, mais je ne crois pas que t’ira loin avec ça. Je me demandais, tu dois trouver cette situation un peu embarrassante ? »
« En effet, mais ce qui m’agace le plus c’est que tu ne sembles pas plus affectée que ça. »
Vinyl disparut de l’embrasure de la porte avec un petit rire que le Tord-boyaux changea en migraine. Elle se reprit assez brusquement une seconde ou deux plus tard, et entra dans la cuisine.
« Oh, mais ce n’est pas la première fois que je me réveille avec la gueule de bois et accompagnée. Une ponette, et pas la moindre idée de ce qui s'est passé. » Elle soutint le regard mi-inquiet mi-caustique d’Octavia. « Eh, j’étais à la fac ! Combien de poneys n'ont jamais vécu ce genre de panique au réveil ? »
« Moi, c'est mon cas. Je suis allée à la fac pour étudier. »
« Ouais, c’est ce que je dis, t’as raté tout le fun ! Enfin, même bourrée, je crois que je passerais mon tour pour toi. » Elle fit un clin d’œil. La pensée d’Octavia s’orienta dans deux directions différentes.
« Permets-moi de te dire que je suis… très… séduisante… mais pour les étalons ! Pas pour les juments, oh non, pas du tout. »
« Je ne te juge pas, Octy. Je ne te juge pas. Tu peux être comme tu veux, tant que tu restes pure et coincée. Parce que c’est ça qui te rend drôle. »
« S'il y bien une chose que j’aimerais ne pas entendre, c’est une plaidoirie de ta part envers l'amour entre ponettes. Excuse-moi, je crois que le facteur vient de passer. » Octavia dépassa Vinyl avec un air profondément indigné, suscitant un nouveau rire douloureux chez l’autre ponette.
Elle partit chercher les lettres, factures, coupons, et… un magazine ? Manquant de le déchirer dans un rare accès d’immaturité, elle examina la couverture. Son visage prit une teinte remarquablement similaire au vert du redoutable Tord-boyaux.
« Eh, Octy, qu’est-ce qu– ohhhh, c’est nous ? »
« Pour l’amour de Célestia, j’espère que non. »
« Bon, on est célèbres au moins… je crois. ‘L’Artiste et le Charlatan’. Ça doit être moi l’artiste, non ? » Elle décocha un sourire en coin à Octavia, qui grommela dans sa barbe.
« J’en doute fortement, Mlle Charlatan. Eh voilà la raison pour laquelle je suis peu encline à ouvrir ça… » Elle pointa du sabot l’image d’un certain poney marron chocolat avec une marque de crème glacée imprimée au-dessus d’une vue d’artiste d’elle-même et Vinyl. Octavia devait bien le reconnaître : écrire, imprimer, et poster ça chez elle en une nuit avait dû requérir un travail intense. Soudain, elle ressentit le besoin urgent d’installer des verrous sur sa porte.
« Eh mais c’est elle ! La jument du bar ! »
« Oh, vraiment ? Comment aurais-je pu deviner sans toi, Vinyl. »
Vinyl fit mine d’avoir pris un coup en se tenant les côtes avec un sabot. « Ouille, Octy, monte pas sur tes grands chevaux. Allez, ouvre, je veux voir ce qu’elle a écrit ! »
Octavia eut soudain l’envie pressante de lancer le magazine aussi haut dans le ciel que possible, dans l’espoir qu’il atterrisse sur la Lune. Ou mieux, sur le Soleil.
« Je… ne pense pas que ce soit une bonne idée. »
« Alleeez, juste un coup d’œil. Ça peut pas être si terrible. »
« Non ! » Octavia serra le manuscrit fermement entre ses dents, grondant comme un chien terrier. « Je ne veux pas que tu le lises, et tu ne le liras pas ! »
« Tu oublies un détail, Octavia. »
« Vraiment, et quoi donc ? »
« Ça. »
Vinyl enveloppa le manuscrit de sa magie et l’arracha des dents d’Octavia tout en levant un sabot pour l’empêcher de le reprendre. Elle déchira le papier cellophane, et ricana lorsqu’une note tomba des pages.
« Ohhh, ‘À mes deux pouliches pleines d’avenir, amusez-vous, et plus important, amusez-vous ensemble. Voici deux réservations pour un restaurant, pour que mes deux pégases d’amour puissent prendre un bon départ !’ »
« Mais quelle perverse ! »
« Ouais. » Vinyl inclina la tête et secoua le magazine pour récupérer les deux réservations. « Mais attends, de la bouffe gratos ! Alors, son histoire est page sept… »
« Tu la lis ? »
« O-Ouais. »
« Veux-tu bien arrêter ? »
« Non… pas maintenant. Quoique là, je ferais jamais ça avec un tuba. Ça doit faire mal ! »
« Peux-tu arrêter ça, je me sens gênée d’être à côté de toi pendant que tu lis ça ! » Octavia sauta sur le magazine et fit des sabots et des dents pour le saisir. « Pourquoi lis-tu ces cochonneries ? »
« Petit a, c’est sur moi. Et petit b, je le lis pour l’histoire. »
« Je t’en supplie. Arrête, s’il te plaît. »
Vinyl leva ses yeux rubis de la couverture du magazine. « S’il te plaît qui ? »
« … S’il te plaît… Vinyl. »
« Puisque tu bats des paupières et que tu le demandes si gentiment, d'accord. Quand même, tu devrais garder ça quelque part, c’est bizarrement fidèle à la nuit dernière. Les images, par contre… passe-les. » Vinyl posa le magazine sur la table non loin et se tourna vers Octavia avec son petit sourire agaçant. « Mais la description de tes chaussettes est plutôt conforme à la réalité. »
« Où ça, fais voir ! » Octavia saisit le magazine, parcourut les pages du regard alors que son visage devenait de plus en plus pâle. « Célestia… c’est en effet une façon douloureuse de jouer du tuba. »
* * * * * *
Octavia entra dans petit appartement. Il n’était pas dans ses habitudes de s’introduire chez les poneys, mais pour sa défense Vinyl avait laissé la porte grande ouverte. Elle se fraya un chemin parmi les diverses formes de détritus qui jonchaient le sol. Sur la pointe des sabots, elle entra dans la chambre, pour y trouver sa proie endormie malgré l’heure avancée.
Octavia surgit près de la jument inconsciente, la poussant brusquement du sabot. Les poneys n'étaient pas réputés pour leur habilité à creuser, mais Vinyl trouva quand même le moyen de défier à la fois la nature et Charles Darwhinny en s’enfonçant plus profondément dans ses couvertures pour fuir Octavia.
« Franchement, Vinyl, veux-tu te lever ? Il est dix heures du matin ! »
Vinyl sortit la tête de son terrier sous les couettes. « Mais on est dimanche ! Aucun poney ne se lève tôt le dimanche, et je cuve toujours ce Tord-boyaux de l’autre jour. »
« C’était il y a trois jours, tu as vraiment un problème avec l’alcool. Allez debout ! Je vais à une audition aujourd’hui, et je voudrais que tu m’accompagnes. »
Vinyl quitta sa cachette de lin et se laissa tomber paresseusement sur le sol, avant de se hisser pour se remettre debout et de poser ses lunettes sur son museau. Au moins, elle cachaient les cernes de fatigue sous ses yeux.
« Pourquoi tu as besoin de moi ? Tu dis que j’y connais rien à la musique… et t’auras pas l’air fine avec moi. »
« Eh bien, peut-être que je t’emmène pour avoir l’air intelligente en comparaison. »
« Il est trop tôt pour se disputer, donc je vais faire comme si tu venais de dire un truc sympa. »
« C’est probablement ce qu’il y a de mieux à faire, Vinyl. Maintenant prépare-toi, nous allons côtoyer la haute société. Il faut que tu sois présentable. »
Vinyl se traîna dans la salle de bain, et le crépitement de l’eau qui sort de la douche se fit entendre. Curieusement, elle avait laissé la porte ouverte. Peut-être qu’Octavia devrait la fermer, pour être sûre. Mieux valait protéger l'intimité de Vinyl, après tout. Octavia trotta en silence vers la porte entrouverte, des volutes de vapeur s’en échappaient. Elle tendit un sabot pour—
La porte s’ouvrit tout d’un coup. Octavia tomba à la renverse sur le sol, et se retrouva confrontée à une Vinyl la toisant de haut avec le sourire le plus léger qui puisse se dessiner sur le visage d’un poney.
« Tout doux, Octavia. Je suis flattée, mais je n’aime pas qu’on m’espionne sous la douche, merci. »
Octavia toussa la poussière qui d'après elle traînait sur le tapis depuis des semaines. En faisant ça, elle éradiqua rapidement une colonie d’acariens doués de conscience sur le point d’envoyer une requête d’adhésion aux Nations Unies d’Équestria. Malheureusement, la ponéité perdit cette chance de se faire un allié avec qui combattre et partager son labeur, ou peut-être était-ce pour le mieux que cette civilisation naissante ait fini dans la trachée d’Octavia, plutôt que d’avoir à endurer pareil fiasco.
Octavia se reprit suite à cette expérience génocidaire involontaire. Elle se remit sur ses sabots pour éviter le nuage de poussière qui s’était soulevé du tapis après l’impact. « Espionnage ?! J’allais juste fermer la porte, pour sauver ta vie privée. »
« Quelle sainte tu fais, Octy. Bon, je sais qu’on est toujours à poil de toute façon, mais c’est quand même bizarre. Maintenant va te préparer quelque chose à manger, petite voyeuse. »
Avant qu’Octavia ait pu se défendre, la porte se ferma devant elle, et elle sentit ses joues s’enflammer en voyant ses bonnes intentions repoussées de la sorte. La meilleure chose à faire pour refroidir ses joues était de leur offrir quelque chose à manger, comme l’avait suggéré Vinyl. Elle ouvrit le réfrigérateur, pour trouver la province coloniale du royaume des mites régner sur un morceau de fromage potentiellement centenaire. Chaque légume à l’intérieur était depuis longtemps retourné à son état de vase primordial, et Octavia prit un moment pour se demander si Vinyl mangeait vraiment ça ou possédait le système digestif d’une vache.
Le réfrigérateur se révélant n’être qu’une boîte de Petri de la taille d’un poney, elle le ferma. Elle ouvrit les placards pour y chercher de la nourriture en conserve, comestible au possible. À la place elle en trouva un rempli de boîtes de céréales. Cheerileeos, Zeco Pops, et Scootabix peuplaient le placard ; des céréales qu’Octavia n’avait pas mangées depuis son enfance. Mais elle n’avait nullement l’intention de redécouvrir son passé culinaire pour l’instant.
Un autre placard révéla une étagère remplie de boîtes aux couleurs vives ; le jaune intense d'une boîte de pop-tarts aux pissenlits flatta sa rétine. Vinyl les lui avait recommandées plus tôt, certes, mais son palais méritait mieux que ça. Toutefois, c’était ça ou les céréales dans un bol de lait. Et puis qui sait, cette nourriture pourrait se révéler curieusement fine.
Octavia retourna la boîte et parcourut des yeux les instructions, avant de réaliser qu'elle examinait le met le plus enfantin qu'elle eût jamais essayé. Une paire de pop-tarts furent placées dans le grille-pain, puis elle patienta le temps nécessaire pour que les énergies magiques passent à travers les deux biscuits. Après un moment très ennuyeux, les pop-tarts furent éjectées avec force dans les airs, pour atterrir sur l'assiette qu'Octavia brandissait. Le paquet recommandait de les laisser refroidir un moment, donc Octavia leur laissa une poignée de secondes avant que l'arôme douceâtre n'eût raison d'elle. Elle mordit dans une portion du délectable aliment, qui était heureusement frais à l'extérieur. C'était de la nourriture pour poulains après tout, ils devaient la garder fraîche pour eux.
Ses dents découpèrent le biscuit, une giclée de confiture de pissenlit toucha ses papilles gustatives. Un moment de douceur et de félicité, puis une douleur ardente au niveau de sa langue. C'était chaud… très chaud.
Vinyl entendit le hurlement depuis la douche, malgré son habitude de chanter du Deadhor5 aussi fort que possible pour faire savoir à tous les poneys qu'elle prenait sa douche et ne voulait pas être dérangée. Elle bondit hors de la cabine, queue et crinière trempées, manqua de défoncer la porte, et fit irruption dans son salon. Octavia était assise sur le canapé, en train de se tâter prudemment la langue avec un sabot.
« Fes pohp hars font hrrulanhes ! » La langue d'Octavia était rouge et enflammée, tout comme les joues de Vinyl qui n'était pas parvenue à réprimer son rire. Elle s'écroula sur le sol, soulevant un petit nuage de poussière qui vint se mêler à son pelage humide, ruinant tout ce que la douche avait pu laver. Elle chassa une larme, ou une goutte d'eau, du coin de son œil, tandis qu'Octavia la dévisageait, la langue pendante comme celle d'un petit chiot.
« Oh, c'est génial de t'avoir, Octy. Je vais te chercher de la glace, et la prochaine fois je soufflerai sur tes pop-tarts avant que tu te fasses une vilaine brûlure. »
« Fas he fairre ferrer, Vihyl ! »
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