Whitepath ouvrit lentement les yeux. Il pensait que la moindre lumière lui serait insupportable à voir, mais cela ne fut rien, car la première vision qu’il eut fut celle de l’espace, des étoiles et formations stellaires à perte de vue. Il bougea son bras droit et sentit qu’il était sur une surface rocheuse extrêmement poussiéreuse. Cette révélation lui fit légèrement pencher la tête sur le côté.
Le sol était d’un blanc-gris surprenant. Il semblait luire de sa propre lumière. Tout à coup, la réalité vint le frapper, comme cette découverte le tira de sa semi-torpeur. Il se releva en vitesse et fut bien vite sur ses quatre pattes. Il allait visiblement bien, et son baladeur n’était même pas cassé. Par contre, il était bien dehors, et certainement pas dans la boutique. Mais ce qui l’inquiétait le plus, c’est qu’il n’avait jamais vu de dehors comme celui-ci.
La figure terrible et cruelle qu’il avait tenté pitoyablement d’assommer lui revint en tête. Était-ce un genre de dimension parallèle ? Alors qu’il s’interrogeait et que la crainte d’être perdu loin de tout et de tout le monde lui faisait monter quelques larmes aux yeux, une voix d’une certaine prestance et d’une pédanterie certaine lui adressa la parole : « Excusez-moi, gentleman. »
Il se retourna aussitôt et l’espoir qu’il avait ébauché une demi-seconde s’écroula littéralement devant l’apparence improbable de l’individu qui se tenait devant lui. Un poney de taille considérable au pelage gris et aux terribles yeux jaunes avec des pupilles taillées en amandes lui faisait face. Il avait des ailes membraneuses et ses oreilles se terminaient par des touffes de poils en bataille. La rencontre aurait pu être simplement terrifiante, si quelques caractéristiques physiques ne lui avaient pas donné un aspect qui tenait plus du surréalisme.
Ce pégase aux ailes de chauve-souris avait le regard calme, et un magnifique monocle d’argent ornait son œil droit, sa crinière était grisonnante mais impeccablement coiffée, et il portait un smoking qui laissait ressortir ses ailes qui se plaquaient avec une élégance certaine sur son corps. Or, vous admettrez avec moi qu’une rencontre si peu banale dans un lieu inconnu après des émotions d’une force considérable ne peut que troubler celui qui est concerné par la rencontre en question. L’excentrique pégase reprit de son accent irritant mais terriblement subtil : « excusez-moi, gentleman ? » Et le pauvre Whitepath, dérouté et qui se croyait sans doute fou à cet instant même, de reprendre : « gen…gentleman ?
-Oui, vous ! Il me semble que nous sommes bien les deux seules personnes présentes ici !
-Ici ? Quel est cet ici ?
-Oh… Un nouveau, je vois. Eh bien, mon cher, si vous n’êtes pas au courant, vous voici présentement sur la Lune.
-La … La Lu…. La Lune ?! » Whitepath faillit partir dans un éclat de rire, plus nerveux que sincère.
« -Eh ! Oui, la Lune, pardi ! Si le registre que je tiens ici dit vrai – à cet instant, il sortit une pochette, et de la pochette, une feuille de papier de format officiel – vous êtes actuellement banni pour faute grave sur la Lune. Eh bien, mon cher, vous en faites une tête ! » En effet le visage de la licorne traduisait actuellement un désarroi en accord complet avec l’amertume de ses pensées. Et quoi de plus normal après tout ! L’exil semble une bien amère récompense pour avoir mis juste un peu plus de cœur à faire son travail.
« Non, non, ce doit être un rêve – il se mordit la lèvre pour le prouver – aïe ! Bon, ce n’en est pas un.
-Hé bien… Vous me semblez bien amoché.
-Amoché ? J’aimerais vous y voir ! Je bosse, un voleur pénètre là où je travaille, je tente de l’assommer, et paf ! Je me réveille ici !
-Ah, c’est une agression, donc.
-C’est une erreur !
-Il est tout à fait possible qu’un de nos agents qui descendent parfois en Equestria pour seconder la police equestrienne se soit faufilé, mais cela ne vous laisse en aucun cas le droit de lever le sabot sur eux. Qu’en pensez-vous ? ».
Comme il ne répondait guère, hypnotisé par toutes les choses qu’il avait quittées en même temps que la terre, le pégase crut bon de reprendre : « Aussi, afin de faciliter votre insertion dans ce nouveau milieu, il est de rigueur que je tienne une fiche sur chaque nouvel arrivant. Puis-je compter sur votre bienveillante collaboration ?
-Mmmm… approuva Whitepath, toujours perdu dans ses pensées.
-Nom ?
-Whitepath.
-Âge ?
-Dix-neuf ans.
-Vous venez de ?
-Manehattan.
-Profession ?
-Balayeur.
-Bien, juste un dernier détail. Donnez-moi une description de votre Cutie Mark s’il vous plaît. »
Si Whitepath avait pu pâlir il serait devenu au moins aussi blanc qu’il était d’ordinaire. La question de sa Cutie Mark était devenue une douleur sérieuse depuis son adolescence, et l’avoir en tête, pire, y être confronté était une gêne suffisamment grande pour les détourner de ses pensées adressées à une famille qu’il ne reverra plus. Il balbutia : « Euh… Je…
-Oh allons, ne soyez pas timide.
-Cette information… est obligée d’être prise en compte ?
-Impérativement, jeune homme.
-Hé bien…
-Allons, si c’est le ridicule qui vous dérange, dites-vous que j’ai vu forcement pire.
-Ce… ce n’est pas ça….
-Bon, refus de collaboration, je suis sincèrement désolé. » À peine le pégase eut-il fini de parler qu’il lâcha sa feuille, la laissant tomber à terre. Il arriva en un éclair devant Whitepath, et, d’un revers de sabot, il le mit à terre sur le flanc. Ce dernier ne bougea pas, non à cause de la douleur mais de la stupeur engendrée par la surprise de voir ce fonctionnaire ridicule le mettre à terre sans aucune difficulté. Le pégase releva le manteau qui couvrait l’arrière de la licorne avec son sabot. Le flanc de Whitepath était aussi immaculé que la couleur de sa fourrure, qui lui avait d’ailleurs donné son nom.
« Oh… Ce n’est que ça ? Un blanc-flanc ? Vous êtes bien paniqué pour si peu, jeune homme », dit-il en revenant de façon monotone à sa fiche et en notant avec indifférence la honteuse information sur cette fiche qui semblait porter à elle seule le poids de toutes les fatalités du monde. Un brin d’agacement avait saisi sa voix alors qu’il se relevait, essuyant la poussière de son manteau en tremblant, encore choqué de sa chute : « Vous en voyez souvent, des blanc-flancs de presque vingt ans ?
-Jeune homme, sachez que nous, les bat-ponies, habitants de la Lune, n’avons pas de Cutie Mark. Votre arrivée ici n’est pas nécessairement un mal.
-Et ma famille ? Et ceux que je ne reverrai plus ? Je n’ai même pas le droit à un procès ?
-Pour ce qui est de votre condamnation, les détails sont à voir au siège de l’ambassade équestrienne, qui sait, peut-être s’agit-il d’une erreur, cela s’est déjà produit par le passé. ».
À ces mots, l’espoir reprit racine dans les tripes de Whitepath, comme une braise presque éteinte sur laquelle on aurait versé de l’huile. Un enthousiasme modéré par la brutalité dont venait de faire preuve le fonctionnaire prit place en lui : « Bien, où est-ce ?
-Eh bien, jeune homme, puisque vous voilà redevenu raisonnable, je vous suggère de me suivre. » Tout en disant cela, il pointait du sabot un véhicule que Whitepath n’avait pas remarqué, mais encore une fois, il déchanta vite. C’était un char stylisé aux affreuses membranes qui composaient les ailes de ce fonctionnaire à monocle. À l’attelage, deux bat-ponies, encore plus imposants que le premier, attendaient, le regard dur, fixant le vide d’un regard de défi tout en restant immobile avec une discipline de fer. Ils arboraient des armures d’acier violet sombre qui reprenaient encore le motif de cette damnée membrane. Whitepath demanda, inquiet : « Ce sont ces deux bêtes de guerre qui vont nous tirer jusqu’à l’ambassade ?
-Nous tirer ? Oh ! Oh ! Oh ! Non, mon cher, ce serait bien trop long, ils vont voler jusque là-bas ! » Le cœur de Whitepath, s’il eut un tant soit peu de force, eût jailli hors de sa poitrine, mais par chance, il était très peu actif d’ordinaire, ce qui ne le conduit qu’à la limite fébrile entre la conscience et l’évanouissement. Quand il s’agit de se forcer à se jeter dans le vide, il y deux types de peur. La première consiste en des hurlements et débattements grotesques qui ne mènent qu’à un affolement encore plus grand. La seconde est plus calme est silencieuse et ne dépasse pas le cadre du gémissement, en ce cas, la personne se laissera glisser, quasiment paralysée par sa frayeur. La peur de Whitepath fut la seconde, lui qui, dans sa vie, n’avait jamais tenu à plus d’un mètre de hauteur sans se croire au bord du plus profond précipice, allait connaître un voyage qui mêlerait non seulement la hauteur, mais également le mouvement et, pis que tout, la vitesse.
Avant qu’il n’ait eu le temps de rien faire, le pégase à monocle le poussait dans le char et l’attachait avec une ceinture composée de câbles molletonnés ultrasolides. Maintenant, et pour nous éviter une description aussi pathétique qu’inutile sur le trajet de notre malheureux héros, il est temps de toucher deux mots à son sujet.
Ses parents l’avaient appelé ainsi en hommage à sa couleur, et ils avaient espéré sincèrement que ce nom soit également synonyme d’avenir radieux pour le petit. Le destin, dans l’une de ses farces ironiques et les plus cruelles, l’avait rendu signe de néant, d’effacement, de vanité. Car, en effet, bien des disciplines furent parcourues par cette pauvre âme avant de tomber dans une certaine forme de pragmatisme : il n’avait et n’aurait pas de destin ni ce petit quelque chose qui fait que nous est réellement nous. Il avait essayé la musique et les belles sonorités le fuyaient comme la peste. Il avait essayé le sport, et le moindre petit effort ridicule le brisait. Il avait essayé le dessin et même un artiste contemporain n’y aurait pas vu trace d’avenir. Les mathématiques broyaient ses neurones et n’en tiraient rien, la science était pour lui un langage inaccessible. Est-ce qu’il mit des efforts à essayer de corriger sa destinée déviante ? C’est là tout le drame, voyez, d’un être qui a pour seule mais infranchissable barrière le flétrissement naturel et absolu de sa volonté. Car Whitepath n’était ni particulièrement stupide ni malingre, il n’était pas maladroit, mais paresseux à souhait et, comme par une maladie incurable, sa volonté ne le mena pas plus loin qu’à sa cafetière, seule idole de sa vie, qui, à son goût, devait être la seule chose de l’univers à contenir autant de magie que devait en contenir la Corne de Celestia. Cela passa le long de son enfance, mais arrivé à l’adolescence, il devint passivement anathème de la société la plus cruelle de ce monde – derrière celle des changelins, tout de même –, celle des lycéens. Le destin le laissa tout de même souffler en lui faisant rencontrer des gens aux esprits plus ouverts que les autres, et qui formaient le fond silencieux et génial des solitaires consciencieux, pur de toute violence et de toute raison et prêts à partager par pure compassion. Des personnes chez qui l’instinct se nomme « morale » et l’idéal « vertu ». Aussi étaient-ils les seules choses auxquelles sa faible volonté aurait pu céder, voire donner plus que tout ce qu’il avait mais pour son malheur, ils ne lui demandèrent jamais rien. Ces gens, ils les appelaient par les deux mêmes phonèmes par lesquels il était lui-même appelé par eux. Ces deux petites syllabes, qui, si elles avaient dans la réalité le pouvoir qu’elles ont sur l’esprit conscient, changeraient une flaque en océan et les nuages en laine : ami.
Ainsi il put s’accrocher à quelque espoir d’avoir un substitut à sa destinée. Après une éducation médiocre mais juste suffisante pour quitter le lycée, il eut la peine incurable d’apprendre qu’il ne trouverait pas d’emploi dans sa ville, qu’il quitta pour Manehattan, où il recevait un salaire amoindri en raison de sa condition de blanc-flanc, mais un travail était le bienvenu, et cela constituait la dernière corde qui le rattachait à l’espoir de pouvoir construire autre chose. Aujourd’hui, il en était de nouveau arraché, et pour quelque chose de plus sordide encore. Nous avons passé le pont de l’apparence et du passé, mais celui des sentiments est encore à venir.
Ce que nous allons évoquer ici découle directement de ce nous avons déjà dit. Un mal de volonté terrible avait saisi cette licorne, et ne lâchait pas sa proie, jusqu’aux tréfonds de ses pensées. Il était conscient de son défaut, mais faute d’y remédier, il plaça une barrière pour s’en séparer : l’indifférence. Il se mettait à perdre petit à petit intérêt à tout. Il n’écoutait plus que de la musique et ne jouait sur son ordinateur que par réflexe, sans y prendre de réel plaisir, juste être là, faire, combler un vide. À la barrière de l’indifférence vint s’ajouter celle de la communication.
Ses amis étaient devenus ses seuls véritables interlocuteurs, et progressivement sa famille mit en relation son mal et le soudain mutisme qu’il avait développé de façon cruelle vis-à-vis d’eux. Lors du départ, son inattention à tout ce qui l’entourait était devenue un syndrome de quelque chose qui s’approchait d’un genre d’autisme. Il s’était à peine rendu compte que sa mère était en larme quand celle-ci l’accompagna avec son père pour lui faire ses adieux sur les quais qui indiquaient le train à destination de Manehattan. Quand il remarqua ses larmes, juste avant de monter, il demanda, presque naïvement : « Que se passe-t-il, maman ? » Les sanglots éclatèrent, ce qui lui valut de la part de son père une gifle des plus légitimes. Depuis lors, ses rapports aux autres se limitaient strictement aux formules de politesses, à l’affirmation ou à la négation. Les seuls dialogues qu’ils faisaient étaient internes, avec lui-même.
Il avait fallu le choc de ce bannissement et de cet étrange pégase pour que sa langue retrouve un mouvement digne d’une personne normale. Voici à peu près pourquoi il était un être non pas simple, mais primaire, qui avait peur lorsqu’il fallait avoir peur, prendre l’air triste quand il fallait l’être. Il n’était pas non plus stupide et mettait toute sa réflexion sur son café, car jamais il n’avait cessé de s’y raccrocher, et son travail, qui fournissait l’argent nécessaire à la consommation du café susdit. En un mot, s’il fallait récapituler ce qu’il était, nous trancherons sans appel. Ce poney était paumé.
Comme le char finissait sa course, Whitepath avait, durant toute la durée du voyage, vu sa vie défiler devant ses yeux, un peu comme nous venons de le faire, sans la conclusion finale, bien entendu. Cette activité mentale l’avait donc coupé de ce qu’il aurait dû voir en arrivant et ce que quand le bat-pony au monocle lui lança un cordial : « Bienvenue à Manemoorne ! » Qu’il remarqua le sol bétonné et les gigantesques bâtisses autour de lui.
S’il faut donner une idée de ce qu’est Manemoorne, nous dirons qu’elle a d’ombre tout ce que Manehattan a de lumière et de bureaucratie tout ce que Manehattan a de chaos. Le fait est que les bat-ponies ont occupé la Lune depuis l’émergence de la princesse Luna, qui fut considérée de facto comme leur reine. Mais régner la moitié du temps sur Equestria a limité les contacts avec son peuple, et les choses ne s’arrangèrent pas lorsque Discord ou le roi Sombra détournèrent les regards de Luna vers Equestria de façon quasi-permanente. L’avènement de Nightmare Moon aurait dû, en toute logique, la rapprocher de son peuple, mais la personnalité mégalomane de Luna ne fut pas reconnue par son peuple, qui affronta donc son destin par lui-même et constitua une oligarchie au sein de Manemoorne, capitale de la lune, située dans le plus grand cratère du globe.
C’est seulement depuis peu que Luna y tenait son palais, maintenant que les grandes familles s’étaient inclinées devant elle, et comme elle ne prenait aucune décision majeure, personne ne voyait son couronnement d’un mauvais œil. Il prenait même des airs de renouveau pour cette culture inconnue de tous, mais fort peu efficace. En effet, si un gouvernement de substitution s’est installé, il se fit de façon tardive, et l’incompétence des premiers occupants fit que, pour s’organiser, ils durent mettre beaucoup de ressource dans une bureaucratie aussi chère qu’inutile, et qui, au lieu de guérir les maux de l’état, connaissaient une situation qui relevait de l’absurde.
Les premiers systèmes s’essoufflèrent bien vite, et les poneys en place du pouvoir décidèrent de la fondation d’une administration secondaire afin de soulager la première, mais elle s’enraya à son tour et une troisième fut créée, et cætera. Lors de l’arrivée de Whitepath, on devait dénombrer à peu près une vingtaine de ces mêmes administrations imbriquées les unes dans les autres et on affirme même qu’une vingt et unième fut créée car le rapport fait sur Whitepath n’entrait en rapport avec aucune de ces nobles institutions, qui avaient pour grande vertu d’entretenir un état de plein emploi permanent.
La place qui est donc dédiée à ces bâtiments est à peu près égale à la superficie de la ville. Manehattan se devait de mettre à disposition au moins un cinéma, un opéra et un théâtre dans tout quartier décent, Manemoorne ne tenait qu’un seul bâtiment culturel sobre en périphérie de la ville, regroupant à peu près toutes ces fonctions et plus encore. Il était rarement rempli et pour ainsi dire presque déserté par le peuple, qui avait l’air de craindre comme la peste ce qui est étranger à l’ambiance bienveillante de leurs bureaux étriqués. Du dessus absolument tout est gris est carré, comme si cette ville se réclamait d’un créateur mathématicien dont la vision du monde parfait serait un diagramme géant en trois dimensions. Que des gratte-ciels. Seul le nouveau palais de Luna, encore en construction et dont on avait au moins achevé le musée tranchait de par ses courbes et son bleu sombre la monotonie de Manemoorne.
L’inauguration future de ce même musée plongeait en ce moment la ville dans une sorte de prise de conscience – tardive, comme absolument tout sur la Lune – vis-à-vis des arts. Cette inauguration en elle-même ne représentait rien. Mais le fait est que Luna insista sur la présence des grandes familles à l’événement, ce qu’elles ne pouvaient pas décemment refuser. Aussitôt après avoir appris la nouvelle, chef de bureau, chef de services, premiers secrétaire et vice-chefs de bureau et vice-secrétaires, bref, tout ce qui se croyait important se sentait obligé d’être présent lors de la soirée, juste pour faire valoir leur pseudo-importance et leur grande science qui consistait généralement à poster des lettres sans se tromper de boîte. Toute la ville était en ébullition et la tension était vive dans les bureaux. Les salles du bâtiment culturel (il ne portait pas d’autre nom) commençaient à se remplir, sans pour autant générer un enthousiasme spectaculaire.
C’est dans une de ces administrations que nous avons évoquées plus tôt, dans le « bureau des services des organismes non-luniens trouvés » ou dans le « sous-sous-service de renseignement sur les ébauches de justice » (oui, ils existent) qu’entra notre héros, que nous avons peut-être abandonné trop longuement.
Whitepath entra donc dans le bâtiment, qui, par un miracle de conception, était aussi gris à l’intérieur qu’à l’extérieur. Une large salle d’accueil presque entièrement vide de toute personne en demande par cette administration faisait sentir à Whitepath, qui s’avançait timidement, mi effrayé, mi impressionné, que toute personne en dehors du personnel n’était guère bienvenue en ces lieux où règnent le papier, l’encre, et les imprimantes qui marraient administrativement les deux.
Le terrible fonctionnaire au monocle le devança, adressa un signe de tête à une bat-pony qui se tenait au bureau d’accueil, laquelle le lui rendit avec un regard enjoué et des joues vermeilles. Whitepath le suivit, pressant son pas et essayant de tenir la vitesse de marche du pégase au monocle, sans pour autant y arriver. À son crédit, la fatigue qu’il avait encaissée avec le sortilège qui l’avait banni et la course aérienne l’avait épuisé, et c’est seulement par pur espoir de mettre un terme à ce cauchemar qu’il puisait dans ces réserves. Pour un poney de sa trempe, cela virait à un exploit digne d’une épopée.
Maints couloirs monochromes d’un gris uniforme menèrent ces deux personnes en face d’une vielle bat-pony, qui portait une crinière courte ébouriffée de part en part, une petite paire de lunettes ridicules à laquelle pendait une petite chaînette. S’il n’eût pas été renversé plus tôt par un employé qu’il avait jugé ‘’à l’œil‘’, Whitepath aurait certainement esquissé un sourire devant cette vision absolument ridicule. « C’est pour quoi ? » demanda la petite secrétaire, sans salutations et d’une voix grinçante qui la rendait encore plus risible. Le bat-pony prit la parole : « C’est pour ce jeune homme, il semble qu’on nous l’a envoyé en bannissement.
-Étrange… Aucun courrier de l’ambassade solaire ne m’est parvenu.
-Alors il doit s’agir d’une demande venu d’un autre office. Voici les papiers, dit-il en tendant le terrible formulaire à la vieille.
-Merci. Elle le parcourut rapidement des yeux. Deux secondes, messieurs, juste le temps que j’entre les données dans l’ordinateur. » La pression de chaque touche se ressentait dans le cœur de Whitepath qui suait à grosses gouttes de fatigue et de peur. « Ah. Effectivement, ce n’est pas Celestia qui a fait la demande, mais j’ai bien un rapport au nom donné dans mes archives. Encore un instant, je vous prie. » Whitepath prit le poney au monocle à part. « Il y avait mon nom d’office ici avec un dossier ? Que signifie ce formulaire que vous avez rempli ?
-Ah, oui, très juste, cela mérite explication. Voyez-vous, lorsque des bannis arrivent sur la Lune, ils ne peuvent arriver à un endroit prédéfini, cela est aléatoire. Ils y a divers nœuds de magie tout autour de la planète, ce qui fait qu’il n’est pas impossible de ne pas prévoir une arrivée. Par mesure de sécurité, on place un véhicule et un agent de sûreté, ce que je suis, par nœud, afin de rapatrier et de prendre directement en charge les bannis. Et si je vous ai fait remplir ce formulaire, c’est que nous avons un dossier d’office, mais pas de quoi reconnaître les bannis. Cela semble absurde, mais je vous assure que cela fonctionne. » Whitepath faillit trouver comique tout ce déploiement de sécurité qui débouchait sur l’interception d’un petit balayeur, malheureusement, ce balayeur, c’était lui.
Soudain une exclamation quelque peu grossière sortit de la bouche de la vieille. « C’est la princesse en personne qui nous a envoyé ce banni !
-Ah, c’est tout de même Celestia finalement ? demanda le pégase d’un ton léger.
-Non, LA princesse ! Notre princesse ! s’écriait furieusement la secrétaire, qui prenait maintenant des airs de gargouilles en regardant Whitepath.
-Hum, jeune homme, il semble que vous soyez dans une situation pire que je ne me l’étais représenté », dit le pégase avec un air de menace. La vieille regardait toujours l’écran, bouche bée et yeux écarquillés. Une seconde injonction, plus répugnante et horrible que la première sortit de cette bouche vénérable. « La… La princesse ! Ce misérable a frappé la princesse ! » Les regards des deux agents luniens prirent un air vindicatif en se tournant vers la pauvre licorne qui ne venait qu’à peine de comprendre l’étendue de sa faute. Un grand frisson remonta son échine en un éclair. Il avait le souffle coupé et était quasiment paralysé. Il se sentait défaillir et mobilisa le peu de force qui lui restait à éviter les regards qui planaient sur lui. Mais en vain, car les cris de la petite vieille avaient attiré l’attention d’autres employés, qui le regardaient avec autant de fureur. Si ces poneys avaient été des fauves, une semi-seconde lui aurait suffi pour être déchiqueté par leur haine.
« C’est, c’est une méprise ! souffla-t-il avec peine, sans que personne ne l’écoute. Elle était dans la librairie… elle était au mauvais endroit… je croyais à une intrusion… »
Reprenant son empire sur ses émotions, le pégase au monocle renvoya les curieux à leurs postes, non sans que ceux-ci prennent le temps de jurer mille malheurs sur la crinière du malheureux Whitepath. Celui-ci était apathique, plongé dans ses pensées. Tout prenait du sens sur l’identité de son agresseur. Ce flot bleu sombre et argenté devait être l’aura réputé dont la légendaire Luna s’entourait. Ces deux yeux qui brillaient menaçant dans le noir… La téléportation qui soulignait que l’être qui s’était introduit était puissant… Et qui de mieux placé que la princesse de la nuit pour bannir quelqu’un sur la Lune ? Mais est-ce que cela rendait son bannissement légitime ? Mais ces pensées désespérées furent coupées par le sabot du terrible fonctionnaire, qui faisait signe avec l’autre d’écouter la vieille, qui ne parlait plus qu’en grinçant des dents et sans adoucir son regard : « Vous, Whitepath, êtes condamné par présente au bannissement sur la Lune pour une durée définie de vingt et un ans, sans possibilité d’allègement de peine.
-On va me loger dans un cachot ? demanda timidement la licorne qui sentait les larmes lui venir aux yeux.
-Oh, j’aimerais, mais non. En vertu d’une réforme de la loi d’ostracisme vieille de trois ans, vous serez placé dans un appartement doté d’un confort raisonnable. Ceci à certaines conditions qui vous seront expliquées précisément par l’agent Strongeye ici présent. Maintenant, foutez-moi le camp, régicide ! ».
Le pégase au monocle, que nous connaissons à présent sous le nom de Strongeye, fit un signe de tête à Whitepath, façon de lui demander de le suivre, ce qu’il fit. Une fois dehors, ils remontèrent sur le même char qui avait vu leur arrivée, toujours tiré par les même bat-ponies, qui avaient toujours l’air remplis de haine et de vigueur, comme si c’était leur état naturel. Cette fois, ils montèrent simplement. Pas de ceinture, pas de décollage. Le char parcourait les rues grises et faisait trembler le corps épuisé de la licorne aux yeux verts qui somnolait en regardant vaguement le firmament. En continuant de regarder, la vision la plus cruelle qui aurait pu apparaître en cet instant apparut : la Terre. Il la voyait, cette sphère verte bleu et blanc, avec ses deux côtés, l’un dans l’ombre de la nuit, l’autre exposé à la révélation du jour. Dans ce dernier, il apercevait, chose encore plus insoutenable, le continent d’Equestria. Sa maison, ses anciens amis, son travail, revenait à sa mémoire. Penseraient-ils à lui dans quelques jours ? Sûrement, même si au fond il savait qu’il ne le méritait pas. Il se mordit la lèvre et de généreuses larmes roulèrent sur ses joues. Strongeye l’avait remarqué, mais ne marquait aucune forme de pitié.
Vingt minutes plus tard, la voiture s’arrêta devant un bâtiment en tout point semblable à celui qu’elle avait quitté. Whitepath, les yeux toujours rouges mais retenant ses larmes à grande peine s’adressa à Strongeye : « Vous ne m’avez toujours pas donné les conditions que je dois remplir pour être logé. » Strongeye lui tourna le dos. « Oh, mais c’est très simple … » Il se mit à ruer, lui bottant les fesses, l’éjectant ainsi du char et imprimant la marque de son sabot plein de poussière lunaire sur l’habit de Whitepath. « Trouve-toi juste du travail. » Le char repartit. Whitepath se leva péniblement et marcha à la façon des gens qui vont littéralement tomber de sommeil. Il entra dans la grande tour devant laquelle on l’avait déposé et où il était écrit en gros caractères « Office pour Emploi Lunaire ».
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Comme l'a dit brocco, le style est parfois un peu trop ampoulé, mais ça va de mieux en mieux, malgré quelques petites imperfections et fautes de tournure.
A part ça, je trouve que tu gères très bien le rapport description/action, et que le suspense est bien dosé aussi.
Ah, et l'univers me plait :)
Je file lire la suite :D
A la limite, il y aurait bien quelques coquilles et redondances à corriger çà et là donc si tu veux une relecture avant publication, je pourrais m'en occuper avec plaisir.