Manehattan est une grande ville. Bien grande pour l’âme champêtre extraite de son repaire campagnard qui ne souhaite qu’un peu d’exotisme sans partir à l’autre bout du monde. C’est un labyrinthe de béton et de verre à ciel ouvert qui laisse filtrer les espérances et les rêves à travers les rares lambeaux célestes que l’alliance perfide des nuages et des gratte-ciels laisse apercevoir, comme une passoire laisserait des gouttes d’eau brûlante s’enfuir ou s’évaporer. Au début, la foule compacte et les visages radieux des citadins semblent exprimer la fierté d’amadouer la curiosité des petits provinciaux, mais il s’avère souvent que ce sont des rictus d’amertumes et de moquerie.
La soi-disant diversité dont se targuait volontiers l’élite culturelle de la ville donnait l’effet d’une épilepsie sauvage et inattendue, agressant et déchirant les pupilles des curieux par sa richesse qui la rendait indigeste, tant l’excès dans les possibilités et le manque de temps pour toute les essayer donnait une sorte de malaise, un dégoût, un regret d’avoir fait le mauvais choix qui détruit le plaisir pris dans n’importe quelle distraction. Cinémas, théâtres, stades et salles de concerts étalent de manière alléchante toute la somme des frasques que l’on donnait à ceux qui refusaient de trouver matière à se divertir entre eux. De la plus précieuse à la plus vulgaire, dans un catalogue décousu et démesuré de choix improbables. Mais il n’y a pas que le divertissement, non.
Même dans cette arène houleuse qu’est une grande ville, il y a quelques îlots spirituels où la marque de la tranquillité s’inscrit dans toute sa bienfaisance, souffle d’air frais dans une fournaise. La librairie « Au Lecteur Ferré » fait partie de ces quelques rares sanctuaires, mais ce n’est pas elle ni son propriétaire –un poney fort honorable, au passage- qui nous intéressent ici. Parmi les travailleurs les plus humbles, donc les plus discrets, un petit élément pour le moins perdu, mais qui, pour quelques raisons que nous développerons, se trouve être digne d’intérêt.
Son nom était Whitepath, en hommage à la couleur immaculée de son pelage. Il était une licorne à la longue crinière noire et aux yeux verts. Après une enfance dans une ville perdue, quoique d’une certaine importance, au centre d’Equestria, il avait cru utiles de tenter quelques études, qui furent achevées précocement par sa fainéantise, aussi partir et trouver un petit travail sans ambition était pour lui la plus formidable des victoires. Il n’avait jamais cru utile de faire preuve de courage et d’ambition, considérant la vie du bout de sa tasse de café matinale. Même ses connaissances magiques ne dépassait pas le stade oh combien primaire de la télékinésie, ce qui lui restait malgré tout utile, son travail consistant à balayer le sol des rayons, en pleine nuit, avant d’assurer la fermeture complète.
Toute sa physionomie tendait tour à tour vers la timidité, la lassitude physique et le flegme je-m’en-foutiste des auteurs qu’il appréciait et qu’il tentait en vain d’imiter, quand son désir d’écrire prenait instinctivement le dessus de sa paresse. Il avait un salaire suffisant pour assurer sa survie et tout le superflu qu’un jeune poney de dix-neuf ans est en droit d’exiger. Il habitait chez un oncle, qu’il essayait de déranger le moins possible, et ils restaient en bonne intelligence. La seule once de regret qu’il eut pu éprouver fut celle de laisser ses amis dans sa ville natale, mais le travail, aussi maigre et peu important soit-il, a la vertu de stimuler l’esprit de celui qui l’a bien réalisé. Ainsi donc, une nuit de printemps, cet individu pour le moins flou et inintéressant balayait mollement la réserve située juste derrière la boutique à proprement parler, traînant confusément avec sa magie son balais de la droite vers la gauche sans bien faire attention à ces gestes dont il avait pris l’habitude. Et comme d’habitude il laissait traîner un écouteur qui sortait de la poche de son large manteau dans son oreille, bien que celui-ci ne sort plus aucun son depuis une heure, comme d’habitude, sa longue crinière est en bazar et son œil a l’air alourdi par le poids de poches violacées et pendantes.
C’était un soir ou tout était comme d’habitude, et où tout aurait dû le rester. Car c’est ce bruit si particulier, un bruit de *zap*, caractéristique d’un sort qu’une licorne jette, qui interrompit la transe somnolente de Whitepath. Dans un réflexe de peur, il se cabra de façon extrêmement silencieuse au bruit de ce son qui n’avait pas sa place et tenta en vain de se calmer et cherchant à se résumer la situation mentalement : « Les employés sont censés être partis depuis au moins trois heures, et même, aucun d’entre eux ne lance de sorts la journée… ». Une raie de lumière bleue sombre passant légèrement sous le seuil de la porte qui menait au centre de la boutique le fit frémir. Un cambrioleur, et un magicien, une licorne se sera sûrement téléportée, ce qui expliquerait le bruit, mais pas la lumière étrange. Techniquement, son travail consistait également à garantir la sauvegarde de la marchandise ainsi que de la librairie en l’absence de tout autre membre du personnel. Il s’en rappela juste avant de crier au secours, ce qui de toute façon n’eut pas d’autre utilité que de le faire repérer.
Il focalisa toute son attention et sa magie sur le balai qu’il tenait encore grâce à cette même magie. Il dirigea le manche vers l’interrupteur de la pièce, mêlant rapidité et silence du mieux qu’il put, ce qui coûta à cette âme habituellement indolente un effort suréquestre. Puis, avec ce même manche, il poussa lentement, très lentement la poignée de la porte qui le séparait de la boutique vers le bas. Il remercia intérieurement Celestia tout en pensant que le dernier huilage les gonds de cette porte datait de la semaine dernière. Durant le processus, il entendait le bruit intenable des sabots de l’intrus qui parcourait la pièce, se dirigeant surement de façon feutrée vers la caisse. La pensée de l’intérêt, d’une éventuelle prime ou récompense suite à la protection de la librairie succéda immédiatement à cette pensée, lui donnant ainsi une certaine forme de courage. Il n’en oublia pas moins la prudence. La porte s’ouvrit et ses yeux qui s’étaient à peine adaptés à l’obscurité voyaient désormais devant eux un spectacle hypnotique et surréaliste : des centaines de petites lumières semblables à des paillettes d’argent flottaient dans ce qui semblait être une sombre lueur bleue de nuit. Tout à coup, comme balayé par un souffle de vent, la couche fantastique se retira, laissant Whitepath voir les formes du magasin tel qu’il les connaissait de jour. Les rayons de bois correctement rangés. La caisse près de la porte d’entrée, dont l’ombre découpée par les lampadaires du dehors semblait presque menaçante. À l’extérieur, la rue était déserte. Lentement, Whitepath balaya la pièce du regard jusqu’à tomber sur la terrible et redoutée ombre qu’il s’attendait à voir tôt ou tard.
Il n’y reconnut personne qu’il ne connaissait. Étrangement, l’ombre ne semblait pas prendre d’intérêt particulier ni pour la caisse, ni pour les livres. On aurait dit à ses mouvements un simple client qui fait remarquer son indécision dans sa physionomie afin de demander passivement qu’un vendeur vienne l’aider. Il observa plus attentivement la forme de l’ombre, une licorne, visiblement enveloppée dans un gros manteau. Elle s’était donc bien téléportée, aucun signe de dégradation des vitres ou de la porte étant notable. Whitepath n’y tenait plus. S’il devait y avoir confrontation, il devrait faire face à une magie de haut niveau, lui qui tolérait à peine la torture que consistait le réveil en fin d’après-midi et le café froid. Il devait donner un coup, un seul, et bien placé. Il s’avança à trots de velours, et il concentra toute sa magie dans son balai pour ce coup. Il ne fut pas assez fort.
Voyez, mesdames et messieurs, la princesse de la Lune est de sortie cette nuit ! Milles années d’exil forgent une attende bien longue, et, bien que tempérée par la patience, Luna libérée de sa malédiction restait au fond une fille espiègle, aimant briser l’interdit par pur amour du risque. Au reste, des bêtises sans grande méchanceté, il s’agissait juste chaque nuit de choisir une bâtisse où s’introduire, faire sursauter les occupants, et repartir aussitôt, toute fière et le cœur battant de son courage immature. Les actions se sont multipliées en campagnes, ce qui fait que les villes n’y étaient pas familières. Et c’est cette raison, ajoutée à une ambition de réaliser la farce parfaite qui poussaient désormais Luna vers Manehattan. Durant un mois, trente pauvres âmes recevraient la terreur de leur vie, ainsi qu’un pin : « Luna was here », cerise qu’elle ajoutait volontiers au gâteau de ces farces adolescentes, et qui avait su flatter l’égo de quelques poneys dont un des désirs caché était de croiser cette princesse de la nuit ignorée pendant un millénaire, ce qui n’empêchait pas d’autres de maugréer et de pester contre une déesse qu’ils jugeaient désormais irresponsable.
Les paysans n’avaient jamais le temps de réagir, vu leurs obligations, mais les gens de la ville, eux, auront le cran et un week-end pour déposer une doléance auprès de Celestia. Cette contrainte, Luna l’avait jugée, et même approuvée. Après tout, plus le risque était grand, plus palpitante était l’aventure. Elle avait mis ce soir-là un large manteau aux couleurs de minuit qui laissait dépasser ses larges ailes d’alicorne. Elle arriva au-dessus de la cité où des gratte-ciels sans poésie déchiraient les nues de leurs pics glacés. Que tenterait-elle ? L’appartement de luxe d’un riche commerçant, imbu de chiffres et d’importance ? Terrifier un paisible solitaire dans une location qu’il assume à peine ? Ou alors serait-elle originale ? Effrayer le gardien de nuit de la Statue de la Ponéité serait une option de choix. Mais non, ce soir, la prudence prendra le dessus. Pour prendre la température, un test sur un échantillon modeste est de mise. Oh ! Justement, une lueur provenant d’un petit local juste derrière cette librairie. Une victime toute désignée, mais chut ! Silence !
La princesse de la nuit veut faire son effet, jouer des tours, certes, mais de façon royale ! La voilà qui se pose, légère et gracieuse, les plis de son manteau dansant au rythme de ses mouvements dans l’air nocturne. « Au Lecteur Ferré ». « -Hum… Pas très original, mais la lumière provient bien de là. Allons, Luna, au travail ! » Se dit-elle en elle-même devant le seuil de ce noble temple de la littérature. Elle se concentre, un mouvement de corne, et zap ! La voici à l’intérieur, le pin au sabot et souriant déjà de sa malice enfantine. Ho ! Un mouvement derrière la porte, la future victime se prépare, mais inutile d’aller la chercher tout de suite, elle a toute la nuit. Non, elle décide en attendant le dindon de sa farce de se balader lentement dans les rayons déserts. La librairie est très bien fournie et la moquette sur le sol est étonnement agréable pour les sabots. Tient, la lumière s’est éteinte… Des pas dans la pièce de derrière, la victime approche. Luna retient son hilarité. Comment ce pauvre hère va réagir ? Sursautera-t-il ? Criera-t-il ? Ho ! Elle voudrait déjà jubiler mais elle se retient ! Il ne faudrait pas gâcher une si belle farce ! Il ouvre la porte lentement. « Oh ! Par ma sœur qu’elle grince fort ! Mais assez, faisons celle qui n’a rien entendu. ». Il ne bouge pas. Réflexe classique, il attend son courage, le pauvre ! Ah ! Chut ! Chut ! Il avance. Un pas. Deux pas. Trois pas... Oh douce Celestia, il est tout près ! Que va-t-il faire ?
Mais ! Oh ! La princesse de la nuit ressent une terrible douleur à l’arrière son royal crâne ! Elle paye les malheureuses conséquences de son entreprise sans sérieux. Mais non ! Non ! Pas un de tous les mortels qui peuplent ce monde n’est digne de blesser une déesse ! Pas un ! La haine l’envahit. Elle sent qu’elle ne se maitrise plus. Elle se retourne vers son agresseur, elle voit sa tête. Ce n’est qu’une simple licorne au pelage blanc et aux yeux verts. Ses yeux semblent exprimer la crainte, ils demandent la pitié. Mais une haine nerveuse affecte l’alicorne de la nuit. Il faut le punir. Oui, ça y est, elle a trouvé le châtiment. « Décidément, chère sœur, tes idées ne cesseront de m’inspirer », se dit-elle tout en contemplant avec cruauté le pauvre jeune étalon qui semble dépossédé de toute force devant le regard de la déesse. Il ignore tout de la furie qui le menace. Et il a tort. Luna fait résonner en sa corne la puissance divine qui est en elle, sa justice doit se faire, car elle a marqué d’anathème cette âme innocente. Un vortex d’énergie argenté se forme tout autour de lui…
Whitepath ne comprend pas. Une lumière argenté se forme autour de lui, ça le pique, ça le brule. Il a l’impression d’être emporté comme s’il était balayé par un courant d’une force phénoménale. Tout devient noir autour de lui. Il hurle, il pleure, il voudrait pouvoir bouger mais n’y parviens pas. Tout est noir autour de lui. Il s’évanouit.
Le pin qu’elle laissait tomber habituellement ne sera pas ramassé, cette nuit-là, il tomba tout simplement et silencieusement sur la moquette de la librairie, dans les ténèbres.
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Je suis quand même bien curieux de voir la suite.