« Aucune des deux graphies [ni l'ancienne ni la nouvelle] ne peut être tenue pour fautive. »
Déclaration précédant les listes du Dictionnaire de l'Académie française (9e édition en cours de publication) dans les fascicules du Journal officiel de la République française depuis le 22 mai 1993.
Voilà, ça fait un bail que je n’ai rien posté (que ce soit en termes d’articles ou de fictions), et, avec tout le tintamarre que cause cette « nouvelle » réforme sur les réseaux sociaux, j’ai pensé que c’était le moment opportun pour m’y remettre.
Déjà, que ressentez-vous vis-à-vis de cette réforme ? Êtes-vous plutôt d’accord avec celle-ci ou avec ses détracteurs ? (Avant de répondre, gardez bien à l'esprit que les plus bruyants sont toujours les moins pertinents. [© System])
Ceux qui me connaissent de longue date savent à quel point je suis pointilleux, voire impitoyable, en matière d’écriture et de justesse. Oui, c’est grave de ne pas savoir quand utiliser l’imparfait et le passé simple. Oui, c’est grave de ne pas savoir quand doubler le « n » dans un adverbe. Oui, c’est grave de ne pas mettre d’espace avant un point d’intonation. Je caricature, mais je dois plus ou moins ressembler à ça de loin.
Je ne le dirai jamais assez : nous avons la chance d’être sur internet et d’avoir, outre des ressources quasi illimitées, un correcteur automatique intégré à la plupart des applications modernes. Ce n’est pas parfait, mais c’est bien assez pour s’insurger lorsqu’une personne veut partager du contenu qui s’apparente à un torchon sur MLPFictions. De toute façon, un manque de rigueur dans la forme, c’est symptomatique, dans 95 % des cas, d’un manque de rigueur dans le fond.
Pour revenir au sujet qui nous intéresse : pourquoi estimé-je que toute personne défavorable à cette réforme en 2016 est ignorante ?
1990. Voilà, c’est la vraie date de la réforme. Mais si, vous savez, ce petit lien « Résumé de la réforme orthographique de 1990 » qui traîne sur ma fiche utile depuis l’ouverture du site... Se révolter en 2016 pour quelque chose qui a été décidé voilà presque trente ans, c’est se foutre de la gueule du monde. Je sais que, en France, c’est monnaie courante comme pratique (on fait grève, on manifeste, on fait des pétitions), mais ça ne fait pas avancer le schmilblick. Ce sont surtout ceux qui prennent part à l’une de ces trois activités – aujourd’hui devenues bénignes – qui causent/trouvent des problèmes là où ils n’ont pas lieu d’être.
Des réformes orthographiques, il y a en a eu un certain nombre (un nombre certain) ; environ dix réformes majeures ont été validées et appliquées depuis 1694. Est-ce pour autant que notre langue est atroce ? Pour un puriste du XVIIe siècle, à n’en pas douter, mais pas pour nous. Ce que j’essaie de vous dire, c’est que vous êtes en train d’assister, impuissants, à l’avancé d’un concept qui sera encore là quand vous n’y serez plus, et ça, ça en dépasse plus d’un : vous n’êtes pas même morts et enterrés que l’on ménage déjà le terrain pour les générations à venir sous votre nez. Bienvenue ! Vous êtes sur Terre. Vous vous souvenez peut-être de ces moqueries que vous avez lancées à l’encontre de vos aînés en leur montrant votre tout nouvel iPhone (qui est obsolète depuis) ? Préparez-vous, car vous allez passer du statut de bourreau à celui de victime avant même de vous en rendre compte.
Si vous avez été attentifs jusqu’ici, vous aurez sûrement remarqué que j’applique les règles traditionnelles à la lettre (règles qui, avant 1990, s’appelaient les règles de la réforme de 1935 – subjectivité, quand tu nous tiens). Suis-je donc contre cette réforme ? Oui et non.
La première chose que je garde à l’esprit lorsque je me pose cette question, c’est que les académiciens et leurs collaborateurs sont des gens que nous admirons sous leurs identités littéraires. Ce sont des amoureux de notre langue et ils la manient avec une finesse que jamais je ne rêverais ne serait-ce que d’égaler. En résumé, personne n’est mieux placé qu’eux pour dire ce qui ne va pas dans notre langue ainsi que ce qui doit y entrer ou en être retiré. Pourtant, ils souffrent de ce que je viens de baptiser, là, à l’instant où je rédige cette ligne, le syndrome du flic : on les aime, mais seulement lorsqu’ils ne sont pas en uniformes en train de faire leur devoir.
L’autre chose que je prends en compte, c’est une distinction fondamentale que n’importe quel étudiant en lettres ou en langues doit assimiler. Il existe deux entités majeures : les grammairiens et les linguistes. Dans mon cours, le premier était défini comme « prescriptif » (celui qui dit comment les choses doivent être faites) et le second comme « descriptif » (celui qui dit comment les choses se passent en réalité). Les deux ont une manière différente de fonctionner, mais ils travaillent de concert pour faire avancer la langue ; on pourrait croire qu’un certain antagonisme les sépare, mais il n’en est rien. Cette réforme de 1990 est un savant mélange de prescriptions fondées sur des observations essentiellement linguistiques. Chaque proposition est réfléchie et a du sens, mettez-vous ça dans la tête avant de tweeter quelque chose de drôle mais stupide.
Bien évidemment, je serai le premier à ne pas appliquer ce qui est proposé dans la réforme, et c’est pour cette raison que mon article commence par une citation qui va dans ce sens. Néanmoins, je comprends chaque choix que les académiciens ont fait – contrairement à ceux qui beuglent sur Facebook –, et c’est pour cette raison précise que j’ai décidé de respecter le passage de ces rectifications. Le changement des manuels scolaires reste discutable : il aurait été plus intelligent de laisser s’écouler une période transitoire durant laquelle les deux orthographes ou règles modifiées auraient coexisté plutôt que de tout changer sans état d’âme, mais il est certainement sage de ne pas alourdir les cours des plus jeunes.
Si je vous disais que j’ai le pouvoir de vous rendre plus raisonnés et censés que 99 % de la population nationale en l’espace d’un article, me croiriez-vous ? Si vous êtes prêts à manger un peu d’étymologie et un micmac de souvenirs que j’ai gardé de mes cours, c’est pourtant faisable.
Pour commencer avec un exemple populaire, on va aborder le problème des accents circonflexes. Tout d’abord, voici ce que dit la modification :
« L'accent circonflexe disparait sur les lettres i et u (ex. : nous entrainons, il parait, flute, traitre).
Exceptions : le circonflexe est maintenu, pour sa fonction analogique ou distinctive,
Vous l’aurez compris, les deux publications qui circulent sur les réseaux sociaux (« Je vais me faire un petit jeune/Je vais me faire un petit jeûne » et « Je suis sûr ta sœur elle va bien/Je suis sur ta sœur elle va bien ») viennent de se prendre une patate de forain académique vieille de 26 ans dès l’introduction de la règle sur l’accent circonflexe ; même pas besoin d’aller dans les annexes contenant la liste complète des mots concernés pour le savoir !
Tant qu’à souligner le ridicule des gens qui font circuler ces conneries, j’espère que vous avez également remarqué qu’il suffisait d’employer des virgules pour résoudre le problème du deuxième exemple (le premier exemple montre bien que ce n’est pas toujours possible, mais ça reste généralement possible).
Problème suivant, qui fut le sujet de mon tout premier cours magistral de linguistique : pourquoi « nénufar » ? (Oui, deux heures de nénufar !)
Ce n’est pas à la portée de tout le monde, mais n’importe quel helléniste aurait pu vous le dire : « ph » est un graphème exclusivement réservé à la retranscription du « phi » grec. « nénufar » étant l’approximation d’un mot turc, « nénuphar » est et a toujours été la forme fautive. Jusqu’en 1935, « nénufar » était bien la forme la plus employée, mais les écrivains du XXe ont commencé à modifier la graphie du mot au point d’imposer la leur comme unilatéralement correcte jusqu’en 1990.
Dans un registre similaire, le problème du mot « oignon ».
Le Wiktionnaire résume très justement ce que l’on vous apprend dans des cours de linguistique et de phonologie : « En ancien français, le graphème <ign> notait le n palatal : besoigne (« besogne »), estraigne (« étrange »), montaigne (« montagne »), etc. avant d’être simplifié en <gn>. Nous gardons trace de l’ancienne notation dans seigneur et oignon. Les rectifications orthographiques de 1990 recommandent d’écrire ognon sur le modèle de agneau ou rogne. »
Vous l’aurez compris, « oignon » est un des rares vestiges d’un temps révolu. C’est pour cette raison qu’il a été décidé que, tant qu’à virer une règle, autant ne garder aucune exception.
Vous en voulez d’autres ? J’en ai tout un stock (théoriquement, je pourrais tous vous les justifier un par un).
Allez, on va faire encore plus drôle : on va parler des modifications qui sont déjà employées par tous, y compris ceux qui s’indignent.
Maxima, scenarii, supernovæ, barmen, länder... De nos jours, qui penserait à écrire ces termes en lieu et place de maximums, scénarios, supernovas, barmans, lands ? Cela ne fait que 26 ans que ces orthographes sont recommandées, et, pourtant, elles ont pratiquement fait disparaître les pluriels traditionnels – le Français moyen, dans le doute, met un « -s » au pluriel. Quand il s’agit d’oignons, un terme tout à fait courant, il est facile de se souvenir de l’exception orthographique, lorsqu’il faut se souvenir des pluriels propres à chaque langue d’emprunt, le Français dit fuck this et préfère ne pas se plier à chaque exception. Amusant, non ?
Un autre des problèmes soulevés est celui des mots composés ; le sujet est tellement épineux qu’il est impossible de ne fâcher personne. En guise de consolation, on peut se dire que c’est un de ces problèmes qui est commun à toutes les langues « occidentales » : on ne sait jamais quand mettre un trait d’union, une espace ou rien du tout. Il existe deux types de mots composés : ceux qui se font à partir d’un mot et d’un préfixe (rétro-, anti-, quasi-, ré-, etc.) et ceux qui sont issus de l’assemblage de deux mots ou plus.
Globalement, on a toujours hésité entre le trait d’union et rien du tout (un mot composé dont les composants sont séparés par une espace sont généralement considérés comme des expressions figées et non des mots à part entière). Pour faire simple, on a tendance à mettre un trait d’union dans les mots composés « nouveaux » ou récents, mais à coller les mots lorsqu’il n’y en a que deux et que le mot composé est ancien, attesté.
Sur ce constat, « porte-monnaie » et « extra-terrestre » deviennent donc « portemonnaie » et « extraterreste » afin de montrer que ces mots composés ont été longuement éprouvés (mais aussi pour faciliter la vie des locuteurs : si les deux formes sont acceptées, il n’y a plus de faute possible). Bien évidemment, l’ancienneté d’un mot reste à l’appréciation de chacun, et c’est pour cette raison que certains mots n’ont pas été affectés par la réforme tandis que d’autres semblent n’être aucunement justifiés. Cela dit, il semblerait que « porte-monnaie » ait gardé tellement longtemps sa forme « néologisme » que sa forme sans trait d’union a du mal à passer... tout est affaire de dosage. Quant aux mots composés d’un préfixe, ce sont pratiquement toujours des néologismes, ils sont donc traités d’une manière spécifique ; pour plus de détails sur leur emploi, je vous renvoie au lien « Préfixes et traits d’union » de ma fiche utile.
On peut également aborder rapidement le cas des mots qui ont besoin d’un ajustement, car leur prononciation a changé mais pas leur graphie.
« Événement » et « réglementaire » sont les deux exemples les plus probants. Ce n’est peut-être pas le cas partout, mais, chez moi, ils se prononcent « évènement » et « règlementaire » (ces changements de prononciation ont eu lieu sous l’influence d’« avènement » et de « règlement »). Il est donc tout à fait justifié d’adapter l’orthographe à la manière dont ils se prononcent le plus communément.
Bien d’autres modifications sont apportées à travers cette réforme (pour ne citer qu’elles : la règle des traits d’union et des numéraux, le pluriel des mots composés, l’emploi du tréma, l’annulation du doublement de consonne des terminaisons « -otter » et « -oller »), mais il faut y voir un mal pour un bien. Ce n’est pas un signe de la dégradation de notre langue, bien au contraire, c’est un signe d’évolution ; souvenez-vous qu’une langue qui n’évolue pas, c’est une langue qui meurt.
En ce qui vous concerne, je ne souhaite pas que vous soyez confus ou partiaux quant à cette réforme, vous pouvez en penser ce que vous voulez et faire comme bon vous semble. Cependant, dans le cadre de MLPFictions – ou tout autre cadre « sérieux »–, je vous encourage fortement à suivre des règles uniformes, c’est-à-dire de ne pas faire cohabiter des règles récentes avec des règles traditionnelles – c’est là que naissent des confusions, racines de la contre-productivité.
L'article a été visualisé 910 fois depuis sa publication le 05 février 2016. Celui-ci possède 30 commentaires.
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Pour moi, les personnes de la génération actuelle continueront d'écrire de la façon dont ils l'ont appris à l'école. Évidemment, personne ne les blâmeras pour ça ! Et tant mieux ! Je veux dire... Qu'il y ait une réforme de mille mots où de tout le dico pour moi c'est sans doute aux instituteurs et aux générations suivantes de retenir ces nouvelles conjugaisons... Et comme je le disais, les personnes déjà encré dans notre orthographe depuis le CP vont avoir du mal à assimiler les modifications apportés par la réforme...
Voilà !
Ps : Oui je n'ai rien de mieux que ça à faire à 01h15 du matin... (What is life)
pps : To put in a nutshell, everyone should better speak english... To my mind, there is no need to have so many differents languages and ways of speech... One universal language could be more efficient, in therms of politic, sociology and many others domains. And if the futures generations learn it, sarting in CP for exemple, they will be able to communicate with everybody ! ^^
Tout ça s'apprend, il y a d'excellents résumés sur internet (peut-être qu'il y a des choses de ce genre dans ma fiche utile) qui peuvent t'aider à te poser les bonnes questions face à toutes les situations narratives avec un verbe. Il suffit d'accepter de faire un peu de travail extra-scolaire et tu y arriveras aussi bien que n'importe qui.
Je sais écrire des histoires, certe, mais à quel moment on utilise l'imparfait et le passé simple, c'est mon plus gros handicap T^T
Abidbol: #34040Je doute qu'ils gueuleraient aussi fort au point de faire l'impasse sur les problèmes plus importants que @BroNie rappelle assez justement si dans le font ils n'estimaient pas avoir besoin de râler, même si c'est plutôt exagéré. Vraiment exagéré, en fait.
Je suis sinon aussi favorable à cette réforme. Déjà parce qu’une langue, ça évolue et ce, qu’on le veuille ou non. Mieux vaut donc accompagner le processus du mieux possible. De plus, il faut quand même être honnête : le français est rempli ras la gueule de règles et d’exceptions qui n’ont de nos jours presque plus aucune raison d’être, en dehors du "parce qu’on a toujours fait comme ça" ; comprendre "parce que j’ai toujours fait comme ça". Faire un peu le ménage là-dedans n’est donc pas forcément un grand mal. Oui, cela peut paraître contre-intuitif voire laid mais ce n’est au final que subjectif. Notre français moderne paraîtrait "laid" à une personne de XVIeme siècle.
Mais globalement, ce qui m’emmerde le plus avec cette "polémique", c’est ce qu’elle dit de notre société et de sa capacité d’indignation. Voir un tel remue-ménage sur un truc vieux de 25 ans, au final anecdotique, alors que s’accumulent dans le même temps des nouvelles autrement plus inquiétantes me déprime.
PenseeDesLumieres: #34037@GhostPonyRider, ça vaut aussi pour toi : « Comme quoi, il n'y a pas que la langue qui évolue. »
@Plénitude, je partage totalement ton point de vue – point de vue qui est digne de celui d'un linguiste, au passage. La langue est au service du peuple et non l'inverse ; un outil a besoin d'être régulièrement remis à niveau pour continuer d'exprimer les nouvelles tendances (notion que j'avais abordée dans mon article sur la ponctuation).
Que je sache, on peut aussi bien écrire "cuillière" que "cuiller". Donc clairement, y peuvent bien réformer autant qu'ils le veulent, je pense que les générations qui ont appris jusqu'à la réforme appliqueront ce qu'ils ont connu avant et basta.
Je suis plus circonspect en revanche, sur le veto de la modération. On peut quand même débattre d'un sujet d'actu littéraire/orthographique, sur un site d'expression littéraire, nan ?
Abidbol: #34031Après la réforme date de 1990 et je ne sais pas si elle est encore tout à fait valable vu que la langue a énormément évolué en 26 ans, surtout avec l'émergence d'internet. La langue n'attend pas les décisions de l'académie française pour évoluer et la majorité des gens continueront à faire des fautes et se moquer ou non des règles. Ce pourquoi on peut se poser des questions quant au bien-fondé de certains points vu qu'ils sont dans l'absolu là que pour un souci académique plus que pratique.
@Plénitude Je suis totalement d'accord avec toi, globalement cette évolution est nécessaire puisque la langue de toute façon évolue que l'académie change quelque chose ou non. La rendre plus pratique est une bonne idée mais les gens se sont surtout arrêté au fait de changer la graphie de certains mots sans qu'ils ne comprennent pourquoi et enlever un accent qui était superflu mais faisait parti de mots qu'ils avaient l'habitude d'utiliser ou de voir. On touche justement à l'outil de communication des gens et ils ne comprennent à priori pas pourquoi on devrait changer, ce avec quoi je suis d'accord en parti ; à quoi bon rectifier l'anomalie qu'est oignon alors que tout le monde en a l'habitude et l'accepte comme tel ? Je comprend la logique de la correction mais pas la nécessité de le faire.