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MAI - My Arcane Intelligence

Une fiction écrite par lnomsim.

Chapitre 10 - Green Pasturges - Retrouve Moi

Note de l'auteur: Puisque le chapitre précédent n'apparaît pas dans les mises à jour, il s'agit ici de la deuxième partie du chapitre 10. La première est disponible au chapitre précédent Green Pasturges - Première nuit.

Chapitre 10 - Green Pasturges - Retrouve Moi

Le regard fixé sur le ciel étoilé, j'observe la planète solitaire subir les assauts incessants du nuage jaune. D'un simple revers de la patte, je m'essuie le sang coulant de mon museau, la douleur est presque supportable, même apaisante en comparaison de ce que je viens de subir. Au moins, mon sabot gauche est de nouveau en bon état. Je le fait taper légèrement contre le sol blanc poussiéreux et me soulage à l'absence de fente ou de mauvaise sensation.

La plainte des ruines derrière moi me fait me retourner. Elles sont là, comme à leur habitude, squelettes de métal et de béton, montant dans le ciel pour tenter d'en attraper les astres, projetant leur ombre au soleil sur des centaines de mètres dans le paysage dévasté. Je ne peux m'empêcher de repenser aux arbres de cristal et à l'herbe immaculée flottante, scintillante et chantante au grès du vent, maintenant disparus pour ne plus laisser que poussière et pierre.

Les murs d'eau embellissant les tours colossales sont redevenus de simple gravats écrasés dans les rues, plus d'engins volants, plus d'herbe sur les trottoirs et avenues. Seulement des ruines, de l'abandon, il ne reste plus rien du rêve de Luna. Seulement mon cauchemar, la solitude et la décadence.

Néanmoins ce paysage désolé offre des possibilités merveilleuses et innombrables. Ce n'est rien d'autre qu'un tableau vierge, des multitudes d'opportunités, la possibilité de reconstruire, de créer un nouveau monde. Un monde meilleur, plus solide, plus resplendissant. Je frémis à l'idée de pouvoir à nouveau entendre les engins glisser dans les cieux, voir les colosses de métal tenir fièrement au milieu de la prairie blanche, ou encore ces rues inondées de poneys et autres espèces.

"Si c'est ton rêve, il ne tient qu'à toi de faire en sorte qu'il se réalise", me dit calmement l'alicorne sombre assise à côté de moi. Comme je le faisais il y a quelques instants, ses yeux blancs fixent le ciel à travers son casque.

"Ce n'est pas mon rêve", je réponds en me tournant vers elle avant de me rassoir à sa gauche. "Vous le savez bien."

"Je ne me rappelle pas avoir vu son rêve dans cet état", dit-elle en montrant les terres désolées s'étendant à perte de vue devant nous.

"Alors peut-être est-ce le vôtre ?"

"Ou le tien", dit-elle en baissant la tête vers moi, ses yeux brillants entrant en contact avec les miens. "Parce que tu refuses la vérité, ne veux pas dire qu'elle est fausse. Tu l'as dit toi même, c'est un tableau vide, un monde qui n'attend qu'un seul poney pour le façonner. Pourquoi ce poney ne serait pas toi ?"

"J'ai déjà du mal à faire ce qu'on attend de moi dans mon propre monde", je réponds en pointant la planète jaune du museau. "Comment pourrais-je construire un monde ici ?"

Elle laisse échapper un petit rire, faisant claquer les plaques de son armure avant de répondre. "Tu n'y arrives pas ou tu ne le veux pas ? Tu as à ta disposition deux des groupes les plus puissants du monde, il te suffit de savoir les utiliser. Avec les bons outils tout est possible."

"Vous ne semblez pas savoir qui utilise qui. Comment pourrais-je les utiliser, ils sont puissants, ils sont partout, et je ne suis-"

"Oui, oui, je connais la chanson", m'interrompt-elle ennuyée. "Tu n'es qu'un pantin parce que tu as choisis de l'être, il te suffirait simplement de vouloir pour pouvoir. Tu n'es qu'un poney peureux et lâche, tu ne penses qu'à toi."

"Et alors ?" je demande à mon tour ennuyée.

"Et alors ?" répète-t-elle en haussant un sourcil. "Regarde autour de toi", dit-elle en tournant sur elle-même, pointant dans le désert blanc et les ruines. "C'est ça que tu veux, tu ne rêves pas de plus de grandeur, de beauté, de puissance ?"

Elle arrête de tourner lorsque nos regards se croisent. "Je peux t'aider à les créer, te prêter des pouvoirs dont tu n'as pas idée, te former. Avec moi, tu n'aurais plus à craindre les Me ou les Princesses, tous tes désirs seraient enfin accessibles, améliorer ton monde ne serait rien d'autre qu'un jeu enfantin."

Je la regarde platement avant de lâcher un soupir. "Au final vous ne valez pas mieux que les autres, vous voulez seulement m'utiliser."

"Je ne veux pas t'utiliser", répond-elle en fronçant légèrement les sourcils. "Je veux t'aider. Je ne veux pas que tu œuvres pour moi mais avec moi."

Elle marque une pause et tourne à nouveau son regard vers le ciel. "Tu ne comprends pas ? Nos deux mondes sont liés, tu ressens la douleur du tien ? Tu le vois se faire ronger par ce fléau ? Si tu ne fais rien, c'est ce qui l'attend, c'est ce qui t'attends."

Elle se retourne vers moi, ses yeux blancs m'éblouissant avant que leur éclat ne s'éteigne, pour laisser place à deux yeux félins, aussi bleus que le ciel nocturne. "Cette douleur c'est aussi celle que je ressens pour ce monde. Le tien se meurt, le mien est déjà mort, il ne me reste plus que de la poussière et des ruines à contempler. Tu peux encore agir pour sauver le tien, mais tu n'y arriveras pas seule."

Je continue à soutenir son regard sans qu'aucune de nous deux ne prononce un mot. Finalement, c'est moi qui romps le silence après m'être essuyé le sang qui ne cesse de s'échapper de mon nez. "Et si je n'avais pas envie de le sauver ? J'ai toujours eu une vie tranquille, sans personne pour me remarquer... Sans personne pour faire attention à moi. Je vois ce qui ne va pas, j'y ai contribué, et pourtant, aucun autre poney ne semble s'en soucier. Ils sont tous heureux, ils vaquent à leurs occupations, font leur travail avec le sourire. Pourquoi est-ce que je devrais changer ça ? Pourquoi est-ce que je devrais continuer à souffrir pour changer ça ? Je n'ai même pas commencé, et je me suis déjà faite enlever, séquestrer, torturer, je suis morte. Si je n'avais pas failli me faire violer par ma... 'Protectrice', je ne serais même pas là. Ce serait une nuit comme les autres, sans rêves ni soucis. Mais non, je suis là à discuter avec vous. Vous qui comme les autres, pensez que c'est à moi de porter le poids du monde. Je refuse. Si vous voulez sauver votre monde faites-le, mais sans moi", je termine à bout de souffle.

Elle baisse la tête quittant mon regard, et laissant le sien vagabonder sur le sol blanc. "Je ne peux pas", finit-elle par admettre avant de relever les yeux. "Je ne suis qu'un rêve, un songe, un nom que nombreux ont oublié. Je suis incapable de faire quoi que ce soit dans ce corps ou cette forme. Tu es la seule à être parvenue jusqu'ici. Tu as même réussi à pénétrer le rêve de Luna. Ne le cache pas, je sais que tu as aimé ce que tu y as vu. Nous voulons la même chose : que la souffrance s'arrête et que nos mondes soient sauvés. Mais nous n'y arriverons pas si nous restons chacune de notre côté. J'ai autant besoin de toi que tu as besoin de moi."

J'hésite un instant avant de répondre. Je doute de pouvoir réussir ce qu'on me demande seule, ou même avec l'aide de Night Stalker, je ne sais même pas si je continuerai la route avec elle après ce qui vient de se passer. Est-ce une raison pour accepter l'aide que me propose l'alicorne ? Je ne suis même pas sûre de savoir qui elle est, elle ressemble à Luna, même apparence et cutie mark, mais sa forme est plus massive, guerrière et son expression agressive. Son pelage est plus sombre, presque noir.

"Vous êtes Nightmare Moon", je dis en pointant l'évidence.

Elle rigole légèrement avant de répondre. "Oups, je suis démasquée. Mais qu'est-ce que ça change ?" demande-t-elle plus sérieusement.

"Si nous sommes où je le pense, ne serait-ce pas plutôt à Luna de s'occuper de la Lune et non à moi ?"

Son visage semble se tendre un instant avant de reprendre sa pose décontractée. "Luna est... trop occupée avec les affaires terrestres pour s'occuper de notre Lune. Elle a perdu le goût de la nuit. Tu l'as vu comme moi, ces immondes choses qui viennent polluer le ciel après le coucher du soleil. La lumière des villes continue d'éclairer le ciel comme si le jour ne s'était jamais terminé. Mais elle refuse de le voir, elle vit dans une illusion, elle pense que rien n'a changé, qu'il suffit de se débarrasser de quelques individus pour que tout redevienne normal.

"Peu importe que tu n'en aies pas la motivation ou le talent, rends-toi à l'évidence, tu es la seule à faire quelque chose pour changer. Nous avons toutes les deux à y gagner, je ne fais que proposer mon aide, libre à toi de l'accepter ou de la refuser."

"Je ne suis intéressée par rien de ce que vous pouvez m'offrir. À moins de pouvoir me rendre ma vie d'avant, cette discussion est terminée."

Nos regards continuent à se croiser un moment, tous deux neutres, sans laisser passer la moindre émotion. N'ayant plus rien à nous dire, nous nous tournons vers le ciel, toujours occupé par le soleil et ses innombrables frères et sœurs, ainsi que la planète solitaire. Le nuage jaune continue de l'envelopper et la presser, s'entortillant en ouragans gigantesques pour en aspirer le peu de vie qui lui reste.

Je regarde le spectacle morbide, chancelante et me berçant au chant des poutres de métal dans les restes de la ville derrière nous. Une légère brise commence à se lever, faisant danser la poussière dans la plaine, avant de se rapprocher en virevoltant. Elle nous dépasse comme si nous n'existions pas pour aller se déposer au pied des ruines ou à nos pattes.

Mes paupières sont lourdes, je me sens tomber au sol lorsque mes pattes se dérobent. Je n'ai même plus la force de tenir mon propre poids. La vue brouillée par la fatigue et la poussière qui me rentre dans les yeux, je vois le nuage jaune se dissiper lentement, laissant derrière lui une terre noire, dévastée, vide de toute vie, verdure ou océan.

"C'est donc ce que tu as choisis ? Regarde-toi, tu es pathétique. Accepte mon aide, je peux mettre fin à tes souffrances, ensemble nous pouvons empêcher ça."

Elle peut toujours parler... Elle n'est guère en meilleure posture que moi. Sa voix sort comme un souffle, m'atteignant tout juste à travers le rugissement du vent qui nous entoure. Son visage est crispé sous la douleur et ruisselle sous l'effort que lui demande son corps pour ne pas s'effondrer. Un liquide écarlate s'échappe de ses narines pour venir tacher le sol blanc à ses sabots, aussitôt recouvert par une nouvelle couche de poussière.

Elle ne tarde pas à s'affaler à son tour, me rejoignant au sol, pantelante. Nos deux respirations saccadées et sifflantes disparaissent bientôt dans la tempête. Les ruines derrière nous ont totalement disparu, les monolithes sont tombés au sol depuis longtemps pour être recouverts par les dunes de poussière. Elle va dans toutes les directions, dans l'air, au sol, dans nos yeux, nos oreilles.

La poussière s'infiltre partout et se dépose, recouvrant le paysage pour ne laisser qu'un tableau blanc et vierge. Il n'y a plus de plaines, il n'y a plus de ciel, il n'y a plus de villes, il n'y a plus personne, juste du blanc, qui peu à peu finit par lui aussi s'assombrir. Finalement le vent se calme, les derniers grains tombent pour recouvrir ce qui reste de nos corps.

Le ciel est vide, le soleil et les étoiles ont été effacés, comme la planète solitaire. L'obscurité s'approche lentement, avalant la plaine à chacun de ses pas. Je vois sa mâchoire s'ouvrir une dernière fois avant de se refermer sur moi en un lourd claquement.

*****

Je me réveille en sursaut avant de retomber sur le lit, le choc me coupant le souffle. J'ai le cou en feu et je peux entendre la plainte de chacune de mes vertèbres. J'ai l'impression d'être passée sous un rouleau compresseur et que ce dernier a fait plusieurs passages avant de s'attaquer à ma tête.

Et cette fichue lumière ! "Quelqu'un peut éteindre le soleil ?" je demande la voix rauque en me passant un sabot abîmé devant les yeux. Je n'ai pas le temps de faire attention au bandage qui l'entoure qu'une réponse interrompt mes grognements.

"Je doute que ce soit possible", dit la voix venant de ma droite. "Il était temps que vous vous réveilliez", reprend-elle plus brusquement.

Je me retourne vers la voix, et prend connaissance de la pièce dans laquelle je me trouve pour la première fois. C'est une sorte de grand studio. Près de ce qui semble être la porte d'entrée se trouvent deux fauteuils et un canapé recouverts de tissu, tous trois autour d'une petite table basse en bois.

Et entre eux et le lit sur lequel je me trouve, il y a une ponette. Du moins c'est ce que laisse penser sa taille, elle doit faire une tête de moins que moi debout et paraît plutôt jeune. On se regarde dans les yeux un long moment, je peux entendre les mouches voler.

Elle a les yeux bleus aussi clairs que de l'eau, je pourrais presque m'y noyer. Son pelage blanc cassé ne contraste avec la couleur des murs jaunes qu'à l'aide de la lumière tamisée du soleil passant à travers les rideaux de la baie vitrée derrière moi. Sa crinière est coiffée en arrière, passant derrière ses oreilles pour retenir ses mèches bleues et grises. Ou du moins tenter de le faire, à chaque seconde de silence qui passe, elles continuent de glisser pour finalement tomber devant son visage.

"Qui êtes vous ?" je lui demande platement sans quitter ma place dans le lit.

"Blue Key", répond-elle rapidement en soufflant sur sa mèche pour l'écarter de son museau. "Quick Fix", ajoute-t-elle aussi rapidement en optant finalement à se passer un sabot pour remettre la mèche en place. "Blue Key, c'est mon nom. Mais on m'appelle Quick Fix... Debout maintenant."

Sans trop comprendre ce qui se passe, j'essaie de me lever et de quitter le lit double, encore tâché de sang et de sueur, avant de grogner de douleur. Je me demande si tous mes os sont en place, mon sabot gauche me fait nettement moins souffrir en comparaison.

"Doucement", dit-elle en me tendant une patte pour m'aider.

Je recule instinctivement en la voyant approcher, soudainement prise de panique. Elle n'a même pas avancé de quelques centimètres pourtant j'ai déjà le souffle court et le cœur palpitant. "Ne m'approchez pas !" je crie sans même m'en rendre compte.

Les événements de la veille me reviennent en un bloc compact pour exploser dans mon crâne endolori. La faible lumière du soleil est remplacée par l'obscurité, les yeux bleus de la ponette en face de moi se transforment en fentes et sa patte devient noire et chitineuse, absorbant toute chaleur autour d'elle.

"Reculez ! Éloignez vous de moi !" J'essaye de m'écarter de la chose qui s'est maintenant figée, mais qui continue de me fixer de ses yeux brillants, pour me retrouver de nouveau bloqué par la tête de lit.

"Hé ! Du calme ! Tout va bien. Ce n'est que moi, Quick Fix, Blue Key. Du calme, tout va bien."

Non, tout ne va pas bien, qui est Blue Key ? Je ne connais personne qui s'appelle Blue Key. Où est-ce que je suis ? Pourquoi est-ce que j'ai mal partout ? Pourquoi ma mémoire est si confuse, je n'arrive pas à me souvenir sans que cette migraine ne vienne m'écraser le crâne. Et cette chose... Cette chose... Où est Night Stalker ?

Je me roule en boule pour fuir le regard perçant et attendre que la lumière revienne, mais rien ne se passe. Il n'y a plus d'autres sons que mes sanglots et mon corps tremblant, et pourtant, je n'arrive pas à me calmer. La douleur dans mon cou pulse à chaque tremblement ne faisant qu'augmenter ma panique qui ne semble pas vouloir s'arrêter.

"Pourquoi est-ce qu'il a fallu que ça tombe sur moi ?" j'entends murmurer la chose irritée.

*****

J'ai dû m'endormir, ou perdre le fil du temps. Il fait encore jour quand je relève la tête de mes flancs. Je pense que je n'ai jamais été aussi sale de ma vie. À la suie, la terre et la poussière se sont ajoutées ma sueur, mon sang et mes larmes. Il ne doit pas y avoir une seule parcelle de mon corps qui soit encore propre.

L'autre ponette ne semble plus être dans la pièce. Il n'y a personne à côté du lit ni dans les fauteuils, mais la porte derrière ces derniers est entrouverte, semblant donner sur une autre pièce. Je regarde par la fenêtre sur ma gauche, en levant légèrement le rideau de mon sabot bandé. Le soleil est haut dans le ciel et éclaire des montagnes bordées de sapins se perdant dans les hauteurs. Hauteurs nues et vertes où l'herbe se mélange à la roche d'où s'échappe de nouveaux nuages.

Même en gardant la fenêtre fermée, la vue m'apporte la fraîcheur dont j'ai besoin. Oui, une douceur froide et un grand bol d'air me feront le plus grand bien. J'ouvre les rideaux en dentelle brodée décrivant un paysage forestier avant de faire de même avec la fenêtre. Pour un bol d'air frais, c'est un grand bol. Je crois que je n'ai jamais senti d'air aussi pur. Pas d'odeur de gaz, de charbon ou de résidu de mana, juste de l'oxygène mélangé à l'odeur de l'herbe et des pins.

Je laisse ma crinière souillée flotter dans le courant d'air en penchant ma tête sur le rebord de la fenêtre en bois blanc, attendant de trouver la motivation pour me lever. Je me perds dans le ciel bleu et la fine couche de nuage qui couronne le sommet de la chaîne de la Foal Mountain. J'arrive même à supporter la lumière du soleil. Si Elysium existe, j'y suis probablement arrivée et j'espère ne jamais avoir à en partir. Je suis sûre qu'une fois propre et le lit refait, il sera bien plus confortable. Imaginer le reste de ma vie allongée ici à contempler le paysage est la chose la moins difficile qu'il m'ait été donnée de faire ces derniers jours.

Depuis quand mes ambitions ont-elles cessé de se porter sur mon confort et ma lassitude ? Je soupire avant de me relever, tentant d'ignorer la plainte de mes muscles et mes os. En face du lit, sur le mur adjacent à la fenêtre, se tiennent trois portes. Dans ma quête pour trouver une éventuelle salle de bain, j'ouvre chacune d'elle ; la première donne sur une garde-robe gigantesque, à vue d'œil elle est plus grande que la chambre que m'ont cédée les Me. Elle est éclairée par une simple lampe dans son applique au plafond, et plusieurs bandes LED le long de chaque étagère. J'ignore qui peut bien posséder assez de vêtements pour remplir une telle pièce. Pour le moment elle n'est occupée que par les quelques affaires que nous avons amenées de Canterlot : la malle possédant nos deux combinaisons et nos appareils.

La deuxième porte donne sur un simple placard, vide lui aussi. Quant à la troisième, c'est la bonne. Comment ont-ils réussi à faire rentrer une telle pièce dans le si petit espace qu'il reste entre le mur extérieur et les deux placards ? La salle d'eau est aussi grande que la chambre derrière moi, et la baignoire plus grande que le lit. L'édifice en marbre noir prend le quart de la pièce dans le coin qui me fait face, encastré derrière ce qui doit être le placard et la garde-robe.

La pièce fait un énorme contraste avec la chambre, un frisson me parcourt le dos lorsque mes sabots touchent le sol carrelé, froid et aussi sombre que le bassin. Heureusement que les quelques bandes blanches qui parcourent les carreaux au sol et aux murs éclairent la salle en reflétant le soleil passant par la fenêtre. Je peux y voir le même paysage que depuis la chambre, ainsi que la buée s'y accumuler tandis que la baignoire se remplit d'eau chaude.

Je sens enfin mes muscles se détendre lorsque je m'y plonge, la sensation d'écrasement disparaissant peu à peu. Je me laisse couler avant de remonter pour flotter à la surface. C'est ça qu'il manque chez moi, je serais prête à tout donner pour rester comme ça jusqu'à la fin de mes jours-

"Attention, température élevée, fort niveau de stress, risque d'hyperthermie. Pensez à vous hydrater régulièrement." Oh, bonjour la voix. Non, laisse-moi encore en profiter un peu. C'est comme un jour de vacances, un vrai jour de vacances. Si je n'avais pas toutes ces choses qui se bousculaient dans ma tête et cette migraine, ce serait un jour parfait. Ou encore cette impression qu'une abomination va à tout moment surgir des carreaux noirs pour m'emporter dans les ténèbres.

Ténèbres qui se font de plus en plus épaisses au fur et à mesure que la vapeur s'échappant de mon bain s'élève pour obscurcir la fenêtre, privant la pièce de toute lumière. Je sens à nouveaux tous mes muscles se contracter et le stress monter. Une vive douleur me fait porter un sabot au cou, où je peux sentir deux trous, d'où s'échappent l'air lorsque j'expire, augmentant à son passage le pic de douleur.

"Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah!!!!" je m'écrie en m'affalant dans la baignoire, me débattant contre un ennemi invisible en essayant de m'échapper de l'eau brumeuse. Où est passée la lumière ? D'où vient le souffle qui frotte contre ma peau ? Je continue à me débattre, envoyant de l'eau dans toutes les directions, sans jamais réussir à trouver le bord de la baignoire. Il doit bien être quelque part !

J'entends la porte s'ouvrir brusquement et quelqu'un entrer précipitamment. "Qu'est-ce qui se passe ?!" demande la silhouette sur la défensive. "Mais c'est pas vrai !" s'écrie-t-elle en tournant sa tête dans ma direction.

Je la regarde avec horreur s'approcher, essayant de m'éloigner d'elle avant qu'elle ne referme ses dents sur... ma crinière. Elle tire de toutes ses forces pour m'attirer vers elle tandis que de mes sabots glissants j'essaye de partir dans l'autre sens, tombant et m'affalant à plusieurs reprises dans le bassin.

Finalement, au bord de la noyade après avoir plusieurs fois bu la tasse, je tombe à bout de forces et me laisse emporter vers le quelconque destin morbide que me réserve la chose. Un destin sec et râpeux, qui frotte contre tout mon corps, me séchant peu à peu et me laissant frissonnante de peur au milieu de la salle de bain et du courant d'air venant de la fenêtre maintenant ouverte.

"Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?" demande la ponette tricolore aux yeux bleus avant de m'aider à me relever et me mener dans la pièce adjacente à la chambre. Après avoir traversé la porte derrière les fauteuils, nous débouchons sur une grande salle tout aussi claire au milieu de laquelle trône une large table. Nous la longeons et elle m'assied sur une banquette faisant face à un grand écran, toujours emmitouflée dans la serviette.

"Pour m'être redevable, elle va m'être redevable", grogne-t-elle en se tournant vers l'écran.

Mon regard s'embrume et je me sens divaguer avant de finalement retrouver mes esprits. Toujours assise sur la banquette. À la seule différence que la serviette pend maintenant sur mes épaules. Mon sabot gauche est de nouveau bandé. J'ai aussi un autre bandage autour du cou, du moins c'est ce que je sens en faisant passer mon sabot droit là où j'ai senti les deux trous.

"Qu'est-ce que vous faites ?" je demande encore hébétée et la voix rauque au postérieur blanc qui me fait face. Sa queue bleue et grise balançant pendant qu'elle se dandine, révélant sur sa croupe une clef à molette sur un écrou bleu. Ah.... Blue Key, je comprends maintenant.

"De retour parmi nous ?" demande-t-elle en se retournant pour me faire face, lâchant le tournevis qu'elle tient dans la bouche.

Je hoche lentement la tête pour répondre, luttant contre vertige pour ne pas tomber à la renverse.

"Je vois..." dit-elle sceptique avant de reprendre l'outil et continuer son bidouillage sur le téléviseur. "J'essaie d'établir une liaison avec le QG, reste assise et... reste assise, je ne pense que j'aurai la patience si tu me fais encore une scène."

"Quel QG ? Où est Night Stalker ?" Je regarde autour de moi, la première chose qui retient mon regard est la porte d'entrée dont la serrure et une partie du montant sont fracassées. À l'autre bout de la pièce, de l'autre côté de la table, se trouve une grande cuisine, séparée du salon par un bar. En dehors de la porte, tout semble être en ordre, mais il n'y a aucune trace de la pégase.

J'entends le tournevis tomber par terre et lorsque je me retourne je fais face à un visage ennuyé. "Sérieusement ? Après tout ce cinéma, c'est tout ce que tu trouves à demander ? Où est cette stupide changeline ?!" s'écrie-t-elle en fronçant les sourcils et se penchant au-dessus de moi. "Pas un merci, plusieurs coups de sabots dans le visage, je me fais mordre, et tout ce que tu demandes, c'est où est la changeline ?!"

Je recule m'enfonçant dans la banquette, essayant de fuir son regard enragé. Mais à chaque mot, elle s'approche un peu plus, toujours plus prêt, trop prêt... Sans même m'en rendre compte, je donne un coup de mes quatre sabots, envoyant la jument voler pour s'écraser devant l'écran. Action que je regrette immédiatement en sentant la douleur traverser ma patte gauche pour revenir exploser dans mon sabot.

Elle ne tarde pas à se relever, avançant de nouveau vers moi menaçante. Elle lève un sabot, je tente de me protéger le visage, mais je l'entends prendre une forte inspiration. Je baisse ma garde pour la voir reposer son sabot au sol et me fixer un instant.

"Ok, je suppose que j'ai mérité celui-là..." dit-elle en baissant les yeux sans que j'arrive à comprendre si c'est à moi qu'elle parle ou à elle-même. "Écoute, je sais que la nuit dernière a dû être éprouvante pour toi, mais je ne sais pas comment t'aider ni n'aie la patience.... Alors essaie juste de rester tranquille."

Elle reprend son travail sur l'écran et je me redresse lentement sur la couche, la serviette ayant glissé de mes épaules. "Hum, alors, où est Night Stalker ?" je lui redemande hésitante.

Elle soupire et répond avec le tournevis toujours dans la bouche. "Je me suis occupée d'elle, pour le moment elle est dans l'une de nos cellules, tu ne crains plus rien. Tu ferais mieux de l'oublier, tu t'en porteras mieux."

"Je ne peux pas, elle doit m'accompagner, elle a dit qu'elle me protégerait et qu'elle répondrait à mes questions. Où est-ce qu'elle est ?"

"Te protéger ? Ouais, ça j'en doute, si je n'étais pas arrivée à temps hier soir, je ne sais pas dans quel état je t'aurais trouvée. Estime-toi heureuse que Sapphire m'ait envoyée à ta rencontre et que je n'étais pas loin. Tu lui es probablement autant redevable qu'elle ne l'est envers moi. Quant aux questions, disons que pour le moment c'est elle qui répond aux nôtres. Du moins je l'espère pour elle. Pour être allée aussi loin, elle n'a pas dû manger depuis plusieurs jours, si elle veut survivre, elle ferait mieux de coopérer."

"Pour être allée aussi loin ? Où est-ce qu'elle est allée ? Elle aurait pu prendre un snack avant de partir, j'espère qu'elle ne mettra pas trop de temps pour revenir, on doit encore aller à Green Pasturges...."

Chaque mot m'arrache un nouveau tournis et ma voix semble si distante, si vide. Est-ce que ces idées vont arrêter de se bousculer dans ma tête ? Je n'arrive pas à voir clair, pas plus dans mes souvenirs que ce qui se passe devant moi. Je ferme les yeux pour tenter de faire le vide, mais la migraine incessante m'en empêche, je réussis juste à gagner un nouveau grognement de douleur. Lorsque je les rouvre, des yeux bleus incrédules les accueillent derrière les mèches rebelles bleues et grises.

"Tu es sérieuse ? Prendre... un snack ? Non oublie, ce n'est même pas le plus important, je parlais de ce qui s'est passé hier soir. De ce qu'elle a fait, tu te souviens ? Oh, et puis laisse tomber, si tu ne te rappelles pas, je suppose que c'est le mieux qui puisse t'arriver."

"Mais Green Pasturges-"

"Ouvre les yeux ! On est à Green Pasturges ! La montagne, la prairie, l'air frais, ce sont de bons indices non ?!"

"Oh... tant mieux", je réponds faiblement, me sentant légèrement vaciller. "J'espère que Night Stalker ne tardera pas à rentrer, elle pourra répondre à mes questions et m'aider, je ne me sens pas très bien", je termine en commençant à tourner de l'œil.

Elle se passe un sabot sur le visage en grognant avant de remarquer que je me suis effondrée sur la couche. Tout bourdonne et tremble, c'est comme si la pièce avait décidé qu'elle avait besoin de se mettre à danser et que la seule piste qu'elle ait trouvé était dans ma tête.

"Hé, ça va ?" me demande-t-elle en se rapprochant.

"Non..." je réponds dans un souffle, épuisée. "J'ai mal partout et la tête qui tourne, je crois que j'ai besoin de me reposer."

"Fais donc ça, le temps que je joigne Sapphire et que je sache ce qu'on doit faire."

Je l'entends continuer à trifouiller sur ma droite tandis que je regarde avec béatitude les étoiles danser devant mes yeux, essayant d'en attraper quelques-unes avec mes sabots, sans grand succès. C'est drôle, je ne peux pas m'empêcher de ricaner bêtement à chaque fois que j'en vois une passer à travers ma patte malgré l'impression que mes tempes vont exploser que cela me donne.

La sensation est étrange, j'ai l'impression que mes muscles sont montés sur ressorts. Chaque mouvement semble contre-nature, mes tendons luttant contre chacun de mes gestes, les accompagnant de légers picotis désagréables. Sentant la fatigue m'emporter, je ferme les yeux pour échapper à un autre vertige. Je n'ai pas le temps de me laisser aller qu'une paire d'yeux en fentes me fixe avec avidité à travers mes paupières fermées.

Je rouvre les miens et me relève avec sursaut avec un cri de terreur.

"Quoi encore ?" demande Quick Fix exaspérée en se tournant vers moi.

"Rien..." je réponds après une quinte de toux. "Je crois que j'ai fait un cauchemar..."

"Comment est-ce qu'on peut cauchemarder éveillé ?" grommelle-t-elle. "Au moins tu es réveillée. J'ai réussi à établir la connexion avec le QG, je pense que Sapphire voudra te parler."

Elle se retourne vers l'écran maintenant allumé sur lequel danse la neige indiquant l'absence de signal. Elle remet le tournevis dans une poche de sa veste avant de sortir un petit appareil d'une autre placée sur sa poitrine. Comment est-ce que j'ai fait pour ne pas voir qu'elle portait une veste ? C'est un petit gilet utilitaire avec quelques poches sur le haut des pattes avant et la poitrine, toutes à portée de bouche. Je l'ai probablement manquée en raison de sa couleur qui se marie parfaitement avec sa robe blanche.

Elle ouvre le clapet de son téléphone avant de taper sur les touches avec une dextérité qui me laisse sans voix. Non sérieusement, je suis sûre qu'il est physiquement impossible pour un poney terrestre d'utiliser des touches aussi petites, il faudra qu'elle m'apprenne à faire ça.

Elle pose le téléphone devant la télévision et la neige disparaît pour laisser place à un écran noir, sur lequel une barre verte clignote au rythme de la tonalité. Puis j'entends décrocher à l'autre bout de la ligne, sans que l'écran ne change.

"Agent Quick Fix, qu'est-ce que je peux faire pour vous ?" demande une voix démodulée à travers les speakers.

"J'appelle pour rendre compte de ma mission. Clean Hooves est disponible ? Elle m'a demandé de lui faire mon rapport en visio", répond la ponette blanche devant moi.

"Attendez un instant, je vous la passe."

On attend un instant sans qu'il n'y ait aucun autre son. Puis l'image clignote pour laisser apparaître une licorne bleue à la crinière coiffée en tresses couleur ocre.

"Quick Fix, comment se passe la suite des opérations ?"

"Moins bien que je ne le pensais", répond la ponette en soupirant. "Mais il semblerait que les Richs ne se soient rendus compte de rien, sinon je suppose qu'à l'heure actuelle ils seraient déjà intervenus. Je pense que la suite de la mission ne devrait pas poser de problèmes. À un détail près..."

"Free Will ?" demande la licorne, plus par rhétorique que par curiosité, comme le laisse entendre sa voix.

"Oui..." répond Quick Fix en baissant la tête et soupirant à nouveau.

"Comment va-t-elle ?"

"Je vous laisse voir par vous même", dit-elle en s'écartant, me laissant voir l'écran en entier et l'air attentif de Sapphire Night.

"Hé, Sapphire, vous êtes à la télé", je la salue avec un rire débile en secouant mon sabot gauche. Je ne me sens vraiment pas bien, je crois que je vais me rallonger- Ah, pas la peine, c'est déjà fait...

"Elle doit encore être sous le choc", fait remarquer Sapphire.

"À vous de me le dire, c'est vous la doctoresse. Elle est comme ça depuis qu'elle s'est réveillée. Ça a commencé avec des accès de panique et elle est comme ça depuis que je l'ai tirée du bain brûlant dans lequel elle était en train de se noyer." La ponette blanche prend une pause avant de reprendre hésitante. "Elle n'a pas l'air de comprendre ce qui lui est arrivé, elle n'arrête pas de demander à voir la changeline. Je ne pense pas qu'elle puisse continuer la mission dans cet état. On devrait abandonner cette partie du plan et passer directement au raid, laissez-moi m'occuper du transmetteur. De toute façon, je me débrouillerai mieux qu'elle, quel que soit son état."

"Non", répond Sapphire sévèrement. "C'est à elle de le faire. On a peut être le moyen d'arranger les choses. Scarlet s'est rendue à la cellule, rejoignez-la là-bas avec Free Will, elle vous expliquera la suite des opérations."

"Quoi ?!" s'exclame la ponette outragée. "Comment est-ce que je suis censée l'amener à la cellule avec moi ? Elle peut à peine marcher ou tenir debout, j'ai déjà eu du mal à la tirer de la baignoire !"

"Débrouillez-vous, si vous étiez à votre poste, vous seriez arrivée à temps et rien de tout ça ne serait arrivé. Vous avez vos ordres, agent. Je vous conseille de ne pas trop faire attendre Scarlet, elle vous attend."

Puis la neige vient remplacer la licorne à l'écran avant que celui-ci ne se fissure sous l'impact d'un téléphone lancé à pleines dents par une ponette blanche énervée. Ses mèches tombant devant le visage, elle me regarde le visage furieux, respirant bruyamment.

Et comme si rien ne s'était passé, elle se calme soudainement, prenant de grandes inspirations et remettant ses mèches bicolores derrière ses oreilles. "Quelle journée de merde."

*****

Pourquoi faut-il toujours que les repères des méchants soient dans des souterrains froids, humides et mal éclairés ? Pourtant, de prime abord la cellule Me dans laquelle m'a amené la ponette blanche n'avait rien d'extraordinaire, bien au contraire. C'était un banal petit immeuble de deux étages adossé à un rocher à flanc de montagne. Sa couleur beige orangé ne le différenciait pas des autres bâtiments que j'avais pu entre-apercevoir de Green Pasturges.

Une double porte vitrée coulissante menait dans un hall des plus simples dans lequel s'alignaient des bancs et deux-trois chaises, une sorte de salle d'attente, où les poneys assis feuilletant leurs magasines ou comptant les minutes le regard vide... attendaient.

Au bout du hall, derrière un comptoir collé au mur et les yeux fixés sur un écran, une jument grise portant des lunettes et à la crinière coiffée en chignon – laissant montrer son implant à la base de sa nuque – était assise sans bouger. À un détail près : ses yeux allant de gauche à droite de l'écran avant de descendre légèrement pour remonter une fois en bas. À l'absence de tapotement et du fait que c'était une terrestre, je pouvais facilement deviner qu'elle utilisait l'ordinateur à l'aide de son implant et non d'un clavier. Voilà, c'est comme ça que tout le monde devrait utiliser un appareil électronique, pas avec ses sabots, et peu importe si la ponette qui m'aide à avancer y arrive, pour moi ça reste une aberration.

Mais pour le moment, ses sabots sont plus occupés à me soutenir pendant que nous avançons dans le tunnel de maintenance sous l'immeuble. Ma patte avant gauche passée autour de son encolure et la tête lourde posée contre son cou, j'avance à trois pattes, le claquement de nos sabots résonnant contre le long couloir de béton parvient tout juste à couvrir ses jurons et mon souffle difficile.

J'ignore depuis combien de temps nous avançons, mais chaque barre de néon qui éclaire tout juste le sol scintillant sous l'humidité, et projetant les longues ombres des tuyaux qui nous accompagnent dans notre progression semble se répéter à l'infini. La faible lumière est déjà de trop pour mes yeux fatigués. La brume qui flotte dans ma tête vient se coller contre mes pupilles et j'hésite à chacun de mes pas, manquant à plusieurs reprises de m'effondrer. À chaque fois, je suis retenue de justesse par Blue Key qui lâche une nouvelle série de jurons, montrant tout l'amour qu'elle porte pour les princesses, Scarlet, et la plupart du temps, moi.

"Je n'ai jamais mis autant de temps pour traverser un si petit couloir," ronchonne-t-elle en réajustant mon poids d'un coup d'épaule. "Tu ne pourrais pas faire un peu plus d'effort ? Et quand on aura fini, faudra sérieusement que tu songes à faire un régime, jamais vu une jument aussi lourde."

"Grmbl..." C'est tout ce que j'arrive à bafouiller en guise de réponse. Avec les deux dernières semaines qui viennent de s'écouler et au régime militaire auquel m'a soumis Night Stalker, je doute que si j'ai un problème de poids, ce soit pour autre chose que du muscle. Ce ne peut-être que ça, pas vrai ? Il n'y a pas moyen que je sois grosse, hein ? Aouch, il faut que j'arrête de me poser des questions, elles viennent s'accumuler au chaos qui règne en maître dans ma tête et ne font rien pour arranger mes migraines... Il faudra juste que je demande confirmation à Night Stalker, je sais qu'elle ne pourra me donner qu'une réponse honnête. Après tout, elle a promis de me donner les réponses une fois à Green Pasturges. Et on est à Green Pasturges, pas vrai ?

"Pour la énième fois, oui, nous sommes à Green Pasturges, et non je n'ai absolument aucune idée quant à savoir si elle répondra à tes questions," répond la ponette blanche ennuyée en soufflant pour relever une mèche bicolore de son visage.

Est-ce que j'ai pensé à voix haute ? Pas étonnant que j'aie ce marteau qui frappe contre mes tempes.

"Et vu la facilité avec laquelle j'ai pu la maîtriser et le peu de résistance qu'elle a montrée lorsque nous l'avons amenée, je doute fortement, qu'elle soit en état de répondre à qui que ce soit. Pour ce que j'en sais, elle est dans un pire état que toi. Maintenant tais-toi et avance."

"Continuez sans moi, je vais juste faire une petite pause," je lui réponds en me laissant glisser au sol. C'est froid et légèrement mouillé, mais je m'en moque, c'est toujours moins désagréable que devoir marcher sur trois pattes dans ce couloir sans fin.

Elle s'arrête à son tour et tape du sabot sur le sol dur. Le faible choc se propageant dans le béton et l'écho viennent m'arracher une grimace de douleur. "Hors de question, ça fait déjà cinq minutes qu'on est ici et on n'a même pas fait vingt mètres, la cellule est juste derrière cette porte," dit-elle en pointant du sabot l'autre bout du couloir. Juste derrière, elle est drôle, tout ce que je vois c'est un couloir s'étendant vers l'infini. À chaque pas que nous avons fait, je suis sûre que la porte s'éloignait de plus en plus. Il est hors de question que je continue d'avancer vers un objectif inatteignable, ce n'est qu'une perte de temps et ça n'a aucun sens.

"Ce qui n'a aucun sens c'est que je sois obligée de t'entendre raconter n'importe quoi et devoir te trimbaler pendant un temps fou alors qu'on devrait déjà être arrivé depuis au moins une heure !"

"Tant que ça ?" je lui demande en relevant difficilement la tête et en plissant les yeux. Elle est en plein dans l'alignement d'un néon, la lumière est aveuglante et le regard noir qu'elle me lance est accentué par les ombres de son visage. Je n'attends pas sa réponse pour laisser ma tête retomber lourdement sur mes pattes.

"Tant que ça, maintenant bouge-toi le cul, relève-toi et avance !" crie-t-elle à nouveau. Je n'ai pas le temps de faire autre chose que de plier les oreilles, mais ça ne suffit pas pour couvrir sa voix stridente.

Voyant que je ne bouge pas, elle passe derrière moi et je sens le dessus de sa tête pousser contre mon arrière-train. Elle a peut-être raison, je devrais faire plus attention à mon poids, peu importe la force qu'elle met, je ne bouge pas d'un centimètre, pourtant le sol a l'air assez glissant.

"Allez ! Fais un effort..." grogne-t-elle en continuant de pousser sans que j'avance plus. "Tu veux revoir la chang- Night Stalker ? Elle est derrière la porte, alors si tu veux la revoir et qu'elle réponde à tes questions, bouge-toi."

Mes oreilles se dressent à ces mots et la brume semble s'évaporer de ma tête l'espace d'un instant, juste le temps d'essayer de me relever. Puis elle revient en trombe en explosant contre mon crâne me faisant de nouveau tomber à la renverse. Je ne sens le vertige qu'une fois au sol, mes côtes s'imbibant à nouveau de la surface froide.

"Mais c'est pas vrai ! Tu te fous de moi !" hurle-t-elle en donnant du sabot contre le mur. "Puisque c'est comme ça..."

Elle ne prononce pas les mots suivants, et pour cause. Elle prend ma queue dans sa bouche et la passant autour de son encolure commence à me tirer le long des quelques mètres interminables qui nous séparent de la porte surmontée d'une petite lumière rouge, au bout du couloir.

Aïe, aïe, aïe, je ne sais pas ce qui va lâcher en premier, l'obstination de la ponette à me traîner centimètre par centimètre au prix d'un effort qui lui semble sur-équestre, ou ma queue, que je sens se tendre douloureusement à chacun de ses pas. Mais peu importe la douleur, je n'ai même pas la force de relever mon visage du béton, le laissant frotter contre la paroi et mon pelage s'imbibant lentement mais sûrement du liquide froid qui le recouvre.

Sérieusement, je ne peux pas être si lourde, après tout Night Stalker arrive à bien à me porter quand elle vole. Et je ne suis pas arrivée seule dans notre suite à l'hôtel... à moins que ce soit le cas, je n'arrive plus très bien à me souvenir de ce qui s'est passé quand nous sommes arrivées. Quoique maintenant que j'y pense, je ne me souviens plus de grand-chose de ce qui s'est passé depuis ma dispute avec Night Stalker... Rha ! Si cette brume pouvait disparaître et arrêter de me tambouriner le crâne !

Aouch ! Encore un centimètre, et je suis sûre qu'une de mes vertèbres vient de craquer, ça va lâcher, je le sens, ça va lâcher ! D'un autre côté, rien d'étonnant à ce que la ponette ne puisse pas me porter contrairement à ma compagne et malgré le sol glissant. Après tout, elle n'a certainement pas la même stature. La pégase noire est grande et forte. Son allure robuste ne cache rien de sa forte musculature que je peux voir bouger à chacun de ses mouvements... oh, tiens, ça a eu de l'effet, j'ai un peu moins mal à la tête, même si je dois avoir un sourire complètement béat inscrit sur le visage... mais je divague. La ponette blanche est bien plus petite, je dois faire une demi-tête de plus qu'elle, et je suis sans aucun doute plus costaude qu'elle. Du muscle et des os assurément, ça ne peux en aucun cas être du gras ou un trop de chair, j'en suis persuadée.

"Ouais, ch'est cha ma groche, continue à pencher cha shi cha te fait plaigir," dit la ponette en question entre ses dents toujours en me tirant douloureusement par la queue. "Excuge-moi de ne pas être ta Nig't Shtalker, mais en attendant, sh'il faut un boney bien bâti pour te porter, ch'est bien gue t'as un problème," finit-elle en grognant.

Oh, et il va falloir que j'arrête de penser à voix haute. Mais c'est comme si mon cerveau était arrivé à capacité maximum. Plus rien ne semble vouloir rentrer, une fois arrivées à la frontière du chaos, tout fait demi-tour et sort par ma bouche sans même que je m'en rende compte.

"Et tu as une vie passionnante, maintenant ferme-la, et par pitié, fais un effort..."

Finalement, au bout de quelques minutes qui semblent interminables – à moins que ce ne soient des heures – nous finissons par arriver à la porte. Ou alors, elle a fini par arracher ma queue et courir les derniers mètres pour aller toquer à la porte. Et accessoirement chercher de l'aide pour me tirer à travers le seuil. J'aurais du mal à dire, la douleur est telle à la base de mon dos que je pourrais presque oublier celle de ma tête.

Le teint rouge au-dessus de moi me fait plutôt pencher pour la première proposition, bien que la forme colorée soit un peu trop grande pour être la simple lumière au-dessus de la porte. Elle a aussi une crinière flamboyante, et la seule lumière semble venir de ses yeux incandescents d'où brille un léger brasier. Hm, même avec le voile qui brouille mes yeux, je n'ai pas de mal à reconnaître ma ponette préférée.

"Hé, Scarlet," je la salue en levant mollement un sabot bandé pour qu'il retombe douloureusement au sol.

Elle me regarde l'espace d'un instant du coin de l'œil sans même baisser la tête et se passe un sabot sur le visage. "C'est encore pire que ce que je pensais," dit-elle à l'attention de Blue Key qui a enfin fini par lâcher ma queue de sa bouche.

"À... qui... le... dites-vous..." répond-elle à bout de souffle.

"Hé ! Allez me cherchez une civière et amenez-la aux cellules !" ordonne Scarlet en se tournant derrière elle. "Vous auriez pu demander de l'aide plus tôt," dit-elle calmement à l'attention de la ponette blanche en se retournant.

"J'ai eu une longue journée..." répond-elle en continuant à prendre de grandes inspirations et remettant une mèche derrière son oreille.

Je n'ai pas à attendre longtemps avant de me sentir soulevée par une aura bleue et placée sur une surface en tissu, qui à son tour se soulève sous le son de deux poneys étouffant leur grognement d'effort. Puis un faux plafond en pâte cartonnée se met à défiler au-dessus de ma tête, faisant apparaître par moments un plafonnier éclairant la pièce d'une lumière diffuse.

L'endroit n'a rien d'exceptionnel, c'est vraiment ce que je m'attendrais à trouver au bout d'un couloir de maintenance. On dirait une grande buanderie, il y a de grosses machines et des réservoirs au milieu de la pièce et sur la plupart des murs courent des tuyaux de différentes tailles et couleurs. Chacun rejoint un réservoir ou une machine en passant par une valve et une série de jauges de pression. Les seules choses qui différencient la pièce d'une buanderie normale sont l'étrange propreté du sol, des murs et du plafond, ainsi que le nombre de poneys qui circulent sans arrêt pour aller d'un coin à un autre de mon champ de vision.

Les plaques de carton qui recouvrent le plafond n'ont pas la moindre tache laissée par l'humidité et aucune des valves ou tuyaux n'a de peinture caillée ni de trace de graisse ou d'huile. Tout est immaculé, du sol au plafond, et il y a cet étrange silence... est-ce qu'autant de machines ne devraient pas faire plus de bruit ?

"Qu'est-ce qu'elle a ?" demande Scarlet à l'attention de Blue Key qui marche à ses côtés.

"Je ne sais pas," répond cette dernière en haussant les épaules. "Sapphire pense que ce doit être à cause de ce qui s'est passé hier, elle doit essayer de bloquer ses souvenirs."

"Et... c'est pour ça qu'elle parle toute seule ?" demande la ponette rouge avec une forte nuance de doute.

"Euh... non, ça c'est depuis qu'on est arrivés ici, quelque chose comme quoi sa tête serait trop pleine. J'ai pas compris grand-chose à ce qu'elle marmonnait."

"C'est peut-être un défaut avec son implant. Il arrive encore que certains surchargent l'esprit de l'utilisateur, j'ai déjà vu ça, même pire parfois. Il a peut-être été endommagé pendant les événements d'hier ?" pointe Scarlet.

"Non," répond Blue Key. "J'ai vérifié, son MAI fonctionne parfaitement bien. La connexion avec son cortex n'est pas endommagée et le flux d'information était stable avant que je la déconnecte du Grand Réseau. Quant à l'implant en lui-même, je n'ai vu aucun défaut, il est toujours bien logé dans sa cervicale. Hum... même le lien avec l'endoctrinement avait l'air de fonctionner... Vous êtes sûre qu'elle est immune ?"

"C'est ce qu'elle dit," répond simplement Scarlet. "Et c'est aussi ce que semblent penser Clean Hooves et les princesses, et je fais confiance à la première," ajoute-t-elle avant de prendre un ton songeur. "Ça voudrait de dire que la changeline a raison..."

"Pardon ?" demande Blue Key.

"C'est pour ça que je vous ai fait amener Free Will ici, la changeline dit qu'elle sait ce qui se passe, et qu'elle peut arranger les choses."

"Et vous lui faites confiance ?" demande la ponette blanche incrédule. "Ce pourrait être un plan pour qu'elles puissent s'échapper toutes les deux, on parle de deux... poneys sur notre liste noire."

"Vu leur état, je doute qu'elles soient capable de faire quoi que ce soit dans ce genre," lui répond Scarlet en me jetant un regard en coin.

"Quand bien même ! Si elles sont hors d'état de nuire, on devrait les laisser comme ça ! Ce sont des épaves, c'est l'occasion rêvée de se débarrasser d'elles !" dit Blue Key en s'arrêtant et accompagnant son haussement de voix d'un coup de sabot au sol. "Vous savez que je peux mener à bien cette mission, nous n'avons pas besoin d'elles !"

Un lourd silence ne tarde pas à s'installer, et c'est comme si tous les regards s'étaient tournés vers elle. Même ma civière a arrêté d'avancer et je suis tentée de tourner la tête pour voir ce qui se passe.

Les yeux de Scarlet Day se sont enflammés et je peux sentir sa chaleur de ma position allongée à quelques centimètres sur sa droite. Oh... j'ai déjà été à l'autre bout de ce regard, et je ne voudrais être à la place de la ponette blanche sous aucun prétexte. Et apparemment, il en est de même pour elle et tous les poneys dans la pièce. Sa certitude et sa suffisance ont disparu de son visage aussi vite qu'elles étaient apparues, et elle a beau se replier sur elle-même, les mèches bleues et blanches qui lui tombent devant le visage ne suffisent pas à la cacher de la furie de Scarlet.

Cette dernière prend de grandes inspirations et tente de contrôler avec difficulté le volume des mots qui quittent sa bouche pour répondre à l'impertinente. "Est-ce que vous osez remettre en doute mes décisions, agent Quick Fix ? Dois-je vous rappeler que si elles sont toutes les deux en nos murs, c'est peut-être grâce à vous, mais aussi à CAUSE de vous. Vous aviez une simple tâche, les surveiller, et où étiez-vous hier matin quand elle s'est fait attaquer ?!" demande-t-elle en me pointant du sabot. Hein ? Qui s'est fait attaquer ?

"Et où étiez-vous hier soir ?! Si vous étiez à votre poste, peut-être que rien de tout ceci ne serait arrivé ! Vous avez failli et vous voulez que je vous confie la mission ? Ce n'est pas une simple question de capacité, mais aussi de confiance. Comment voulez-vous que je vous donne une telle responsabilité si je ne peux même pas être sûre que vous suivrez mes ordres ?

"Nous allons voir la changeline, si elle peut arranger la situation, tant mieux, je confierai la mission à Free Will, sinon... j'envisagerai éventuellement de nous débarrasser d'elles. Mais quoi qu'il se passe, vous aurez des explications à me donner. Me suis-je bien fait comprendre ?" siffle-t-elle.

"Oui, Scarlet," répond fermement la ponette blanche. En revanche, son regard ne reflète plus simplement la peur, mais aussi-

"Et faites partir cette suffisance !" tonne Scarlet. "J'ai l'impression que vous ne comprenez pas l'importance de ce que nous faisons ici. Est-ce que vous saisissez seulement que la vie de nombreux poneys est en jeu ? Nous œuvrons pour la liberté, pour Equestria. Chacune de nos opérations doit se dérouler parfaitement, et encore une fois, si vous aviez été à votre place nous n'aurions même pas cette conversation et l'opération serait déjà en cours."

"Et s'ils nous voulaient pas ?" murmure Blue Key. Oh, je crois que je commence à l'aimer.

"Hors de ma vue !" hurle Scarlet en cabrant et frappant de tout son poids ses deux sabots au sol. "Je ne veux plus vous voir tant que je ne vous aurais pas fait demander. Vous êtes consignée à vos quartiers d'ici là !"

Elle ne se le fait pas dire deux fois et part au trot en tournant sur ses pas.

Le silence recommence à prendre place, puis la vie ne tarde pas à prendre son tour. Sans qu'aucun autre mot ne soit prononcé, tous les poneys témoins de la scène retournent à leurs va-et-vient tandis que ma civière recommence à bouger jusqu'à passer le seuil d'une porte pour entrer dans une pièce légèrement plus sombre.

"Vous n'auriez peut-être pas dû être aussi dure," indique un des deux poneys qui porte ma civière avec hésitation. "Vous savez que nous avons besoin d'elle."

"Vraiment ?" demande sèchement Scarlet. "Je commence à me poser la question. Clean Hooves a beau lui accorder toute sa confiance et vanter ses mérites, on ne peut pas se permettre d'avoir des dissidents dans nos rangs. Surtout pas maintenant," termine-t-elle en baissant la tête dans ma direction, toute trace de flamme ayant disparu de ses yeux.

"Nous y voilà," ajoute-t-elle quelques instants plus tard. Je l'entends frapper contre quelque chose de métallique avant de reprendre. "Night Stalker, on l'a amené comme vous l'avez demandé, n'oubliez pas qu'au moindre geste suspect, nous vous avons à l'œil."

À ces mots, je me sens emplie d'une nouvelle énergie et sans attendre que la civière soit posée au sol, je suis de nouveau sur mes sabots. En face de moi, une longue grille métallique sertie de gros barreaux sépare la pièce en deux, et derrière, plusieurs cellules. L'une d'entre elles retient plus mon attention que les autres encore vides.

À l'intérieur, une forme sombre allongée relève sa tête cornue et ouvre des yeux du même bleu grisé qui s'échappe de son abdomen. Je sens un long frisson me courir le long du dos et ma vue se brouiller en la voyant battre frénétiquement ses deux ailles membraneuses transparentes en essayant de se relever.

Je m'apprête à faire demi-tour et prendre les jambes à mon cou tandis que l'horreur commence à se peindre sur mon visage, mais me retrouve bloquée par Scarlet Day qui regarde la créature dans la cellule avec un regard neutre. Elle me retient tandis que deux poneys armés de lances électriques – à ce qu'en montrent les étincelles bleutées qui dansent à leurs bouts – ouvrent la porte de la cellule et tiennent la créature en respect du bout de leurs armes.

Ils ne semblent pourtant pas avoir grand-chose à craindre, la créature noire tient tout juste debout sur ses longues pattes chitineuses qui tremblent sous son poids. Elle a la tête basse, pendant au bout de son long coup et ayant du mal à garder l'équilibre sous sa longue corne tordue. Son regard est vide et décrépit, en revanche, il semble s'illuminer en se posant sur moi.

Un nouveau frisson d'horreur vient me secouer et la douleur dans les deux trous sur mon cou – masqués par le bandage qui les recouvre – revient comme une vague déferlante de feu. Ma vue déjà embrumée et assombrie par la peur commence à se distordre sous les larmes de crainte qui s'échappent de mes yeux.

"Ne crains rien," me dit Scarlet calmement en me saisissant par les épaules, puis elle fait un signe de tête vers la créature.

Je tourne la mienne dans sa direction à mon tour, et tout à coup, elle disparaît dans une brume bleue grisée. Les deux gardes se raidissent, et un instant plus tard, la brume disparaît pour laisser place à une grande jument noire ailée, fine et musclée, elle se tient droite et majestueuse, un sourire chaleureux sur ses lèvres et la malice que je connais si bien dans ses yeux aussi gris que les miens.

Toute la peur et la crainte se dissolvent et fondent en moi, ils sont remplacés par une douce chaleur qui vient peu à peu apaiser le chaos dans ma tête, sans pour autant le faire disparaître.

Sans même réfléchir, mes pattes me portent vers Night Stalker, une fois devant elle, j'hésite un instant, et sans que son sourire ne me quitte, je saute à son cou, enfouissant mon visage dans sa crinière et laissant couler mes larmes de joies.

"Je savais que vous n'étiez pas allée si loin !" mon cri de joie étouffé dans son cou.

Je la sens hésitante, mais elle finit elle aussi par m'enlacer. Un nouveau frisson vient me parcourir lorsque ses deux pattes viennent se rejoindre dans mon dos. La sensation d'écrasement revient dans mes poumons, mais ce n'est rien comparé à la chaleur que je ressens lorsque nos deux poitrines entrent en contact, se gonflant et dégonflant au rythme de nos respirations.

"Je suis là," répond-elle faiblement au-dessus de moi. Puis elle déploie ses ailes et m'enveloppe dans ces dernières.

"Comment va ta tête ?" me demande-t-elle.

"J'ai juste du mal à penser et une petite migraine, mais ça va mieux maintenant que je vous ai retrouvée," je lui réponds en relevant ma tête de son cou pour la fixer dans les yeux. Son regard achevant de me calmer.

"Hum, pas que je veuille interrompre ce moment, mais faites ce que vous avez à faire, j'ai déjà perdu trop de temps," intervient Scarlet derrière moi.

"Oui," lui répond Night Stalker. "Tu es prête ?" me demande-t-elle en fixant dans les yeux.

"Prête pour quoi ?" je lui demande sans comprendre la question.

"Détend-toi," dit-elle calmement.

Je continue à la fixer sans bien saisir ce qu'elle attend de moi. Peu à peu son visage se rapproche de moi, sa joue gauche vient frotter contre la mienne, et c'est à son tour de glisser son visage dans mon cou. Je sens son souffle chaud dans ma crinière et le bandage recouvrant mon cou tomber au sol. Son visage continue de descendre vers les deux trous au travers duquel passe ma respiration qui se fait de plus en plus courte et rapide. Puis je sens deux pointes venir frotter contre les deux plaies, et c'en est assez.

La panique et la douleur reviennent me submerger en bloc. Je relâche ma pression sur ses épaules et commence à la tambouriner pour la repousser tandis que deux crocs viennent s'empaler dans les deux trous.

"Arrêtez-la !!" je m'égosille en essayant de la repousser du peu de forces qui me restent. "Arrêtez-la !!! Ça fait mal !! Arrêtez ça !!"

"Arrêtez-la !" reprend la voix de Scarlet Day. "Faites-lui l'injection !"

Je sens deux paires de sabots me saisir par les épaules, et alors que les crocs commencent à sortir de leurs orifices, une vive douleur prend place dans ma patte droite. Je tourne la tête vers la patte en question pour y voir une seringue dans la bouche d'un des deux poneys qui portait une lance électrique. L'autre bout enfoncé dans ma patte.

Le liquide n'a pas le temps de quitter la seringue en entier que la pièce disparaît dans les ténèbres, les crocs à nouveau profondément enfoncés dans mon cou.

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shuryt
shuryt : #3629
J'adore :)
je suis impatient de lire la suite
Il y a 4 ans · Répondre
Machica
Machica : #2314
Wow, avec ce dernière chapitre, la fiction prend un tournant inattendu.
J'attend la suite avec impatience ^^
Il y a 4 ans · Répondre
Br0hoof
Br0hoof : #2303
a la fin du chapitre 9 j avais quelque doute en rapport avec la personnalitée de Night Stalker maintenant celui si n'est plus permit ^-^
Il y a 4 ans · Répondre

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