Après avoir reçu cette terrible et funeste nouvelle, le monde autour de moi s'arrêta. La vie ne semblait plus vraiment avoir de sens. Après tout, même si je réussissais à trouver celui qui avait volé les pouvoirs de Haze, il n'y avait plus rien pour moi en revenant dans mon monde d'origine. Je ne sais pas combien de temps je restai dans cet état. Un mois, peut-être deux. Je me réveillais chaque matin avec toujours le même horrible sentiment de rancune envers moi-même. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'il s'agissait de ma faute si tout ça était arrivé. Si je m'étais opposé à Haze, si je n'avais pas suivi le petit jeu d'Avery dans les ruines du temple, si je l'avais empêché d'aller dans ce maudit souterrain... Si tant est que j'avais été là... Pourquoi le destin joue-t-il toujours avec la vie des gens ? Pourquoi étais-je si faible ? Tout semblait revenir à un même point : j'aurais pu et aurais dû empêcher cela d'arriver. J'avais d'abord essayé de rejeter la faute sur Haze, pour m'avoir enlevé à ma vie, puis à Avery, pour son imprudence constante, mais je ne pouvais pas me mentir. Tout ça était de ma faute.
Démoralisé, j'effectuai chaque jour le même trajet. Je me levais, soupirais en pensant à la journée qui allait passer, me rendait la face morne à la bibliothèque pour emprunter des livres et rendre ceux que j'avais déjà fini, avant de rentrer chez moi, en passant parfois au marché pour me réapprovisionner en nourriture. Je m'occupais comme je pouvais, tentant désespérément de chasser les idées noires qui se jetaient encore et encore dans mon esprit. Ma mélancolie ne passa bien sûr pas inaperçue et à peu près tout le monde me le fit remarquer et tenta de me réconforter, sans rien changer au final. Même Pinkie, qui n'aurait normalement jamais abandonné selon moi, préféra au bout d'un moment me laisser seul et tranquille plutôt que de me faire des fêtes. Je me reclus de plus en plus au fond de ma maison.
Un jour, cependant, je me réveillai pour la première fois depuis longtemps du "bon" sabot, si l'on peut dire ça comme ça. J'avais une sorte de bon pressentiment, comme si quelque chose au fond de moi me criait : « Tu vas voir, comme la journée va être belle. ». Par manque de pot, du petit matin au soir, il plut. Comme d'habitude, je partis pour la bibliothèque. Cependant, en entrant cette fois, je ne vis personne. Seul un silence m'accueillis. Une fois rentré, le vent ferma pour moi la porte et je reposai les livres sur un des bureaux de Twilight. Il me semblait que l'arbre lui-même me disait bonjour en son sein. Après tout, la bibliothèque avait été construite dans le tronc d'un arbre. Pour continuer dans le délire, je répondis :
- Bonjour à toi aussi...
Je reçus comme simple réponse le bruissement du vent brassant les feuilles et les branches. J'aurais parié que s'il pouvait me parler, il aurait dit :
- T'es toujours le bienvenu.
Je commençai à penser en riant que quelque chose n'allais pas avec moi. La tristesse ou le désespoir avaient sûrement modifié ma façon de voir le monde. Il semblerait que le temps avait fini par commencer à panser mes plaies pour que je recommence à avoir un peu de bonheur. Je décidai de me changer une fois pour toutes les idées. C'est ce qu'aurais voulu Avery, je pensais. Si elle m'avait vu dans un tel état, elle se serait soit mise à rire, soit mise à déprimer elle aussi. Une chose que je ne vous avais pas encore dite sur elle, je crois, c'est son empathie. Elle était capable de comprendre les émotions d'une personne seulement en se tenant à côté d'elle. Son père disait toujours que c'était du gâchis de ne pas se servir de ce don pour aider des personnes qui auraient pu en avoir besoin. Malheureusement pour lui, elle était bien plus aventureuse que n'importe qui dans notre monde. Penser à cette facette de son caractère me remit du baume au cœur.
Je m'approchai d'une des étagères et fouillai à la recherche d'un livre intéressant. Je tombai finalement sur un recueil de légende. Il était bien sûr écrit à l'intérieur de ce livre ces légendes, mais aussi une explication qui tentait de rapprocher des événements historiques à celle-ci. Une en particulier attira mon attention : La chute du chancelier Enigma. Etrangement ce fut la seule où il n'y était écrit que l'explication. La voici :
"Une des légendes les plus étranges et les plus énigmatiques qui existent à Equestria est celle du chancelier Enigma. Bien que tous les archéologues s’accordent à dire qu'il a réellement existé, à ce jour, aucune véritables preuves concrètes de ses actions n'ont encore été découvertes, provoquant le scepticisme de plus d'un. Son nom apparaît pour la première fois dans les restes d'un très vieux registre d'une prison. Un message a pu être identifié. Apparemment, il aurait trahi le roi actuel, faillit faire sombrer le pays dans le chaos, avant d'être arrêté et exécuté. Selon certaines rumeurs, un immense mausolée aurait été construit pour lui. Il est cependant assez improbable que l'on ait fait cela à un traître. Comme personne n'a jamais vraiment su ce qu'il avait fait, de nombreuses hypothèses furent évoquées lors de différent sommet sans que personne ne se soit jamais mis d'accord. Aujourd'hui encore, le mythe d'Enigma fait apparaître des théories dans l'esprit des conteurs qui s'amusent à lui inventer un passé pour le plus grand plaisir des enfants. Ne connaissant aucune histoire valable à son sujet, j'ai préféré laisser un blanc sur cette page. S'il vous vient l'envie d'en connaître une, vous pouvez toujours aller voir un conteur ou chercher dans un livre."
Je me rappelais de ce nom, Enigma. C'était celui du voleur de la dernière fois. J'étais prêt à mettre ma main au feu que ce n'était même pas son vrai nom. Il cherchait seulement à nous inquiéter, d'une manière bien étrange je suis d'accord, sans que cela ait vraiment marché. Je chassai ce passage de mon esprit avant de continuer ma lecture. Cependant, dans un fracas soudain, une vitre sembla éclater et une chose s'écrasa sur moi. Une fois que j'avais retrouvé mes esprits, je regardai ce qui avait causé tout ce boucan.
Devant moi se trouvait une jeune pégase d'une robe aussi verte que le jade. Elle haletait, comme épuiser et aux frontières que l'inconscient. Je touchai son front avec le mien pour découvrir une fièvre abominable. Je me rendis compte que si je ne faisais rien rapidement, il y avait un risque pour qu'elle subisse de graves conséquences. Je courus chez moi afin de chercher une cape avant de revenir à la bibliothèque et mettre la pégase sur mon dos, puis la cape pour la protéger de la pluie.
Je galopai sur cette même pluie battante aussi forte que les violents coups de marteau d'un forgeron, espérant arriver à l'hôpital suffisamment vite. Je traversai les rues, vide à cause du violent orage. Pour atteindre le bâtiment en moins de temps possible, il fallait traverser de nombreuses ruelles que l'on ne remarquerait pas habituellement. L'adrénaline qu'apportait mon sang à mon cerveau me permettait amplement de ne pas m'épuiser (ou du moins, de ne pas m'en rendre compte) et de réfléchir assez rapidement.
J'ouvris violemment les portes de l'hôpital en criant :
- S'il vous plaît, j'ai besoin d'un médecin. Cette pégase a pas mal de fièvre. Aidez-moi, s'il vous...
Je fus soudainement atteins de violents vertiges et sombrai moi aussi dans l'inconscience. Je me réveillai dans une des chambres de l'hôpital avec un mal de crâne très intense. Au bout de quelques minutes, un médecin entra dans la chambre.
- Bonjour. Vous vous sentez mieux ? Vous nous avez fait une de ces frayeurs en entrant comme ça avec cette pauvre jument sur votre dos avant de vous évanouir.
- Je sais pas bien ce qu'il s'est passé, constatai-je avec un trait d'incompréhension en moi, mais je crois que ça va mieux. Comment va la pégase ?
- Bien, grâce à vous. Vous l'avez amené à temps. Vous pouvez passer la voir si vous voulez, elle est dans la chambre voisine.
- Merci. C'est simplement pour savoir, je dois rester encore longtemps ? le questionnai-je.
- Oh, ne vous en faites pas. Vous avez seulement eu quelque vertige, sûrement après un changement de température trop brutal, bien que ce soit étrange qu'il ait eu tant d'effet. Vous pouvez partir quand vous le désirerez.
- Merci beaucoup.
Une fois que le médecin fut sorti, je me levai du lit avant de rendre une petite visite à celle qui avait pris la bibliothèque pour une piste d'atterrissage. Je la découvris en train d'étirer […] ses membres antérieurs et ses ailes. Je la saluai :
- Bonjour, tu vas bien ?
- Au poil. J'me suis jamais sentie aussi bien de toute ma vie. A croire qu'il me suffisait juste d'une bonne sieste. Mais au fait, tu es ..?
- Celui qui t'as amené ici. Tu as eu de la chance de tomber sur moi, sans mauvais jeux de mots.
- Excuse-moi, j'étais un peu pressée. Tu me diras combien je te dois pour la vitre.
- En fait, c'était pas vraiment chez moi, mais bon, je pense pas que la propriétaire t'en veuille vraiment.
- Ah, je vois. Bon moi je vais y aller.
- Tu dois aller voir quelqu'un ? Tu as dit que tu étais pressée tout à l'heure. Si tu veux, je peux t'accompagner.
- Ca serait sympa. Par contre, réfléchit-elle pensivement, je ne sais plus trop qui je dois rencontrer... Je suis encore embrouillée.
Son ventre grogna pour réclamer la pitance. Elle me regarda d'un air gêné et se tint le ventre comme pour le faire taire. Je regardai dehors. La pluie avait cessé de battre et il était un peu plus de deux heures de l'après-midi. Sachant que je l'avais emmené aux alentours de onze heures de la matinée, nous n'étions là que depuis trois heures. Je lui proposai :
- Tu veux que l'on aille manger quelque part ? Tu réfléchiras mieux le ventre plein.
- Assurément, confirma-t-elle avec entrain.
Alors que nous nous dirigions vers un des restaurants de la ville, je lui présentai les différents bâtiments. Elle semblait émerveillée par ce qu'elle voyait. Cela m'amusa. On aurait dit un enfant qui allait pour la première fois de sa vie dans un de ses parcs à thèmes. Une fois arrivés, nous nous attablâmes et elle commanda une somme astronomique de plat. Je pensais même à dire au revoir à ma bourse après ce repas tellement elle aurait été vidée. Une fois servis, elle se jeta sur la nourriture, engloutissant tout ce qui lui passait devant la bouche. Ca aussi me fit rire. Elle me rappelait beaucoup Avery. Il me semble qu'un psychologue avait étudié ce cas, quand une personne projette l'image d'un proche disparut sur une autre personne seulement parce qu'elle lui ressemble un peu.
Entre deux bouchées, elle arriva à placer quelques mots :
- Je viens de me rendre compte que je ne m'étais même pas présenté. Je suis Jade Dragoonmail, mais tu peux m'appeler Jade. Et toi ?
- Je suis Covert Mist.
Je ne sais pas vraiment si elle m'entendit, car elle n'avait pas attendu que je finisse pour reprendre son repas. Soudain, elle s'arrêta et me regarda, avant de me lancer :
- Par hasard, tu connaîtrais pas quelqu'un qui me ressemble ? Pas physiquement, je veux dire, mais dans ses habitudes.
Je fus surpris par cette phrase. Comment pouvait-elle savoir le fond de ma pensée, alors que je faisais tout pour le cacher, surtout devant elle. Je décidai de ne pas lui mentir :
- Euh... oui pourquoi ?
- Je sais pas, une sorte d'intuition. Depuis que je suis toute petite, j'ai un don pour connaître et comprendre les sentiments et les pensées des gens auxquels je parle. C'est un peu gênant voire handicapant, mais c'est utile selon moi.
Un poney qui souffrait d'hypersensibilité... Je n'imaginais même pas qu'une telle chose puisse arriver dans ce monde. Je m'étais déjà douté que cette pégase ne fût pas normale, mais de là à découvrir ça. Une idée, aussi improbable était elle, germa dans mon esprit. Et si, par je ne sais quel miracle ou sortilège, Avery, une fois morte dans notre monde, s'était réincarnée dans ce monde ? C'est vrai qu'elle avait environ le même comportement, mais pourquoi serait-elle tombé dans Equestria ? Et puis, Jade semblait déjà avoir vécu plusieurs années dans ce monde. Sachant qu'elle n'était morte que depuis deux mois, c'était impossible que ce soit elle. N'étant vrai pas sûr de moi, je comptai demander à Haze ce qu'il en pensait, la prochaine fois qu'il voulait bien me parler. Voyant les yeux de la pégase qui étaient toujours posés sur moi :
- C'est vrai que tu me rappelles quelqu'un de mon entourage. Mais bon, je ne suis pas non plus fou. Je n'ai pas besoin d'aide.
La jeune pégase sembla prendre conscience de quelque chose. Elle parut totalement effrayée. Soudainement, elle cria :
- De l'aide ! Voilà ce que je suis venu chercher ici, de l'aide. Mince, mince, mince. Le vieux Carrier va encore s'énerver si on se dépêche pas.
- Hein !? Mais de quoi tu parles ?
- Je fais partie d'une famille de marchand. On traversait un col pour se rendre à Ponyville et on a été pris dans un éboulement. Je suis partie chercher de l'aide et... la suite tu la connais.
Un éboulement ? Les récentes pluies avaient surement fragilisé le sol. Cependant, il n'était pas l'heure pour s'intéresser au problème géologique de la région. Il fallait les aider. Le principal souci était que, seul, je n'allais surement pas faire grand-chose. C'est alors que j'eus une idée.
- Bouge pas, je reviens dans quelque minute.
Une bonne demie heure plus tard, je courrai accompagné de Big Macintosh, le frère peu bavard mais fort d'Applejack. Si moi je n'avais pas assez de force, lui en avait suffisamment pour nous trois. Il avait étonnement accepté ma demande alors que je ne lui avais expliqué que les grandes lignes. En nous voyant arriver, un sourire grandit sur le visage de Jade. Elle avoua :
- C'est sûr qu'avec ça, on va mieux y arriver. Bon suivez-moi, je vous montre le chemin.
Elle s'envola ensuite en direction des montagnes. Même si nous galopions le plus vite possible moi et l'étalon à la robe rouge, la pégase semblait nous distancer en volant. Elle ne se fatiguait pas et fonçait tout droit. Nous la perdîmes de vue plusieurs fois avant qu'elle revienne vers nous en s'excusant, promettant toujours de ralentir cette fois. Après avoir escaladé un chemin de montagne escarpé, boueux et pentu, nous vîmes le lieu où avait eu lieu l'éboulement. Jade, d'un coup d'aile passa par-dessus pour les prévenir.
- J't'ai amené des personnes pour dégager la route.
- C'est pas trop tôt, l'engueula la voix rauque d'une personne âgée. Bien que le village le plus proche soit presque à côté, tu as encore une fois trouvé le moyen de trainer. Enfin, tu as quand même fait ce que je t'ai demandé. Vous là-bas, de l'autre côté, dépêchez-vous de libérer la voie.
Et voilà qu'il se plaint, maintenant, pensai-je avec sarcasme. Cependant, même s'il était désagréable avec nous, nous n'allions quand même pas le laisser comme ça. Alors que Big Mac (ce nom me donna étrangement faim) se préparait à enlever chaque pierre une par une, je l'arrêtai pour lui expliquer.
- Si on les enlève un par un, on va y passer la journée. Donc, il faudrait trouver le rocher qui soutient tous les autres, l'enlever et tous les blocs tomberaient en même temps. Compris ?
- Eeyup, me confirma-t-il.
J'observais l'éboulement, tentant de découvrir son point faible. Au bout de quelques minutes, je fus apte à indiquer quelle pierre enlever. Alors que je la lui pointais du bout de mon sabot, Big Mac mit toutes ses forces pour la retirer. Après un intense effort, le rocher céda et les autres blocs tombèrent au fond du ravin, n'ayant plus rien pour les arrêter. Je pus enfin voir à qui nous avions affaire. C'était un vieil étalon à la mine renfrogné et à la robe bleuâtre. Si Granny représentait le type de grands-parents que tout le monde aurait aimé avoir, cet étalon en était l'opposé, ou du moins, en apparence. Il nous remercia et nous invita :
- Monter sur notre carriole, on vous ramène. Mais ne touchez pas à la marchandise.
Sur le chemin du retour, il se présenta sous le nom de Carrier Coatless et nous expliqua qu'ils étaient une famille de marchand traversant tout Equestria afin de revendre des bijoux, des décorations, des tapis, etc. Après que je lui ai expliqué comment j'avais rencontré Jade, il nous parla d'elle :
- Ah je vois, c'est vrai que Dragy a toujours été un peu maladroite. Je me rappelle pas de toutes les fois où elle avait cassé un vase ou fait fuir un client par ses idioties. Elle fait donc office de livreuse.
- De livreuse, vraiment ? fis-je étonné.
- Absolument. Bien qu'un peu idiote, on ne peut pas lui reprocher d'être mauvaise quand il s'agit de voler vite. Regardez donc sa cutie mark.
Ah oui, les cuties mark. Je ne vous en ai pas encore parlé, mais, d'après ce que j'en avais compris, il s'agirait de la représentation graphique du talent ou de l'identité de son possesseur. Moi-même, jusqu'à l'incident avec le voleur d'il y a deux mois, je n'en possédais pas. Le lendemain au lever de soleil, je découvrais mon dessin : un masque de théâtre en verre. Pour ceux qui ne voient pas de quoi je veux parler, c'était une espèce de masque un peu rectangulaire avec trois trous (deux pour les yeux et une pour la bouche) et qui semblait avoir été taillé dans le verre. Du moins, c'est ce que l'on pouvait penser en voyant le dessin sur ma croupe.
Suivant les indications du vieil étalon, nous regardâmes la croupe de la pégase pour y voir un dessin de lettre ailé. Il continua :
- Elle a aussi un don de conteuse. Elle a retenu tous les contes que je lui racontai lorsqu'elle était petite. Elle nous fait donc gagner de l'argent en organisant des pièces de théâtre de marionnettes racontant ces contes.
Elle connaissait vraiment beaucoup de conte ? Dans ce cas, j'allais surement pouvoir connaître une des légendes au sujet d'Enigma. Je posai donc une question au vieux Carrier :
- Est-ce qu'elle connaît des histoires sur Enigma ?
- Enigma ? Mais bien sûr, c'est son conte préféré. Si vous voulez elle le jouera ce soir, pas vrai Dragy ?
- Bien sûr que je vais la raconter.
J'avais hâte que la soirée arrive. Cependant, quelque chose m'intriguait.
- Vous n'êtes que deux pour vendre et transporter toute cette marchandise ?
- Bien sûr que non. Les autres membres de la famille doivent déjà nous attendre à Ponyville. Généralement, ils partent un peu plus tôt que nous deux pour préparer les tentes, etc.
Je comprenais pourquoi j'avais vu des tentes aux abords du village ce matin. Durant le reste du voyage, nous discutâmes de tous et de rien. Le vieux Carrier nous décrivit tous les lieux par où il était passé un jour, passant de la montagne enchanteresse à la forêt sombre et lugubre. Cela m'intéressa au plus haut point et je pensai sérieusement à les traverser moi aussi un jour ou l'autre. Une fois rentré, ils partirent retrouver les autres membres de leur famille et nous donnèrent rendez-vous sur la place centrale du village vers neuf heures dans la soirée pour la pièce.
Je rentrai chez moi pour me jeter sur mon lit. La journée m'avait éreinté et je n'étais pas contre le fait de retrouver mon lit après avoir couru toute la journée. Je me reposais pendant plusieurs heures sans changer de position. Puis, après m'être fait tirer de mon doux repos par une plume d'oie vicieuse qui m'avait piqué l'un de mes naseaux, je décidai de partir pour retrouver Jade. Je regardai l'horloge posée sur le mur en face de la porte d'entrée : huit heures et quarante minutes. Je décidai d'y aller tranquillement, pour repenser à ce qui m'était arrivé durant cette journée. La rencontre avec la jeune pégase verte qui ressemblait étrangement à mon amie pourtant morte il y avait deux mois. Le plus étrange était qu'elle avait eu une existence ici, à Equestria qui avait duré plusieurs années. Haze allait devoir bien préparer ses réponses s'il ne voulait pas m'énerver. Après une dizaine de minutes à déambuler dans les rues, je me dirigeai enfin vers le lieu de rendez-vous. J'y découvris une foule de poney. Il y avait des enfants, des adultes, des filles, des garçons... Une bonne partie du village était présente. J'entendis Carrier m'appeler :
- Covert, viens par là, on t'attendait.
Je me frayai un chemin à travers la foule pour arriver devant le vieux marchand ambulant. Une fois que je l'atteignis, il reprit :
- Tu as pris ton temps, dis donc. Heureusement que je t'ai réservé une place sinon tu n'aurais rien pu voir. Bon viens t'asseoir.
Il m'amena à une place juste en face de la scène. C'était une construction en bois simple et comme on en voit partout. Cependant, je pouvais remarquer une sorte de gros théâtre de marionnette. Carrier s'assit à côté de moi et, voyant ma face incrédule, m'expliqua :
- Comme je te l'ai déjà dit, Jade raconte ses histoires par des marionnettes. Elle se tient sur la grande scène, racontant le conte en ajoutant des effets narratifs, pendant que de petites figurines sont contrôlées par deux autres de mes filles. Mais tu comprendras mieux quand ça commencera. D'ailleurs, elles ne devraient plus trop tarder.
En effet, le spectacle commença quelques secondes plus tard. Une explosion de fumée se produisit sur la scène et une pégase avec un étrange masque et un imposant livre dans un sac situé sur son dos apparut. Je reconnus immédiatement Jade et la plupart des adultes furent amusés par cette petite mise en scène. Les enfants, quant à eux, paraissaient à la fois étonnés, impressionnés et un peu effrayés. Tout à coup, d'une voix forte qui surprit ceux qui ne s'y intéressaient qu'à moitié, elle s'élança dans un puissant discours :
- Mesdames, messieurs. Enfants et adultes, Garçons ou filles. Bienvenue dans mon palais d'images et d'histoires. Ce soir, je serais votre hôte. Mais laissez-moi me présenter. Je suis la Narratrice, conteuse des histoires passés et écrivain des histoires présentes. Ce soir, l'histoire que j'ai choisie de lire est tellement étrange et énigmatique, que personne n'a jamais su dire si elle est vraie ou fausse. L'histoire que je m'apprête à vous conter, est celle du Chancelier Enigma. Vous avez peut-être déjà entendu son nom dans certaine légende et rumeurs. Voici donc son histoire, dans ce que j'en sais.
Les rideaux du petit théâtre de marionnette se baissèrent et les décors se mirent en place.
« Tout commença dans une immense ville. En réalité, tout le pays entrait dans cette ville. Dans cette cité si grande, de nombreuses différences se faisaient sentir. Les pauvres étaient pauvres et les riches étaient riches. Il n'y avait aucun milieu dans un tel univers. On aurait pu séparer la ville en deux tant ces différences étaient flagrantes. Dans la partie est de la cité, les habitants étaient réveillés par les doux chants des oiseaux le matin. Dans la partie ouest, les corbeaux dévoraient tous ceux qu'ils trouvaient en train de dormir. Dans la partie est, on connaissait tout le monde, on discutait durant la journée, on échangeait des ragots, des potins. Dans l'ouest, on ne se connaissait pas vraiment, on se méfiait de tout le monde et de sales rumeurs pouvaient trainer sur votre nom. A l'est, on mourrait heureux. A l'ouest, on mourrait poignardé. Je pourrais continuer à vous énumérer ces différences, mais il y en a tellement qu'il me faudrait la nuit pour le faire. Si vous avez compris cette partie, passons à la suite.
« Dans une des rues de la partie ouest, au fin fond d'une ruelle sombre, sous un tas de cartons et de vieux bibelots, se trouvaient un passage et, au bout de ce passage, une petite cavité. C'est dans cette cavité que vivait un petit poulain orphelin. Il était petit, faible, sans talent particulier, mais était rusé et malin. Il vivait en volant au plus idiot, en étant pris de pitié par les plus gentils et en exécutant toute sorte de service. Les gens qui le croisaient le traitaient bien de voleur, de vilain ou de petit démon, lui pensait être libre de faire ce qu'il voulait. En grandissant il se lança dans des entreprises de plus en plus dangereuses et un jour, alors qu'il venait d'amasser une petite fortune en volant dans la maison d'un bandit, il se fit arrêter par un garde avant d'être jeté en prison.
« Le seigneur de la ville, excédé par la criminalité présente dans la partie ouest de sa ville s'écria dans une rage folle :
- Ces ingrats n'ont jamais respecté mes lois. Si c'est comme ça, je ne respecterai pas leur vie. Gardes, à partir d'aujourd'hui, chacun des criminels que vous appréhenderez, vous devrez, quel que soit la nature de son crime, l'exécuter.
« C'est ainsi que notre jeune héros fut amené devant son bourreau. Heureusement pour lui, le bourreau voyait d'un très mauvais œil le fait que l'on tue comme ça, sans réelle raison. Il lui proposa alors un petit marché. Il allait lui soumettre une énigme, s'il répondait juste, il serait libéré. Le jeune voleur accepta et répondit à la question avant même que le garde eût finis de dire l'énoncé. Surpris, mais respectant son engagement, il relâcha secrètement le jeune homme et le fit passer pour mort.
« Les années passèrent et un jour le roi se rendit compte que ses sujets étaient assez mécontents d'être tué pour le moindre petit excès. Il abolit finalement cette loi et, dans la même envie de se réconcilier avec le peuple, organisa un tournoi. Mais pas n'importe quel tournoi, un tournoi d'énigme. Il promit au gagnant d'exaucer un de ses souhaits, tant que cela ne dépassait pas certaines limites. Le jeune homme, qui avait grandi et mûri depuis sa prétendu exécution, décida de participer à cet événement. Il s'inscrivit et passa un à un les tours, faisant taire chacun de ses adversaires. Il battit l'autre finaliste et se retrouva donc face au roi. Bien qu'il eût ses caprices, le roi de cette ville était réputé pour sa sagesse et son intelligence. Il posa une terrible énigme à notre héros qui ne réfléchit que quelques secondes avant de trouver une réponse. Ce fut alors au tour du jeune garçon. L'énigme qu'il posa rendit muet le roi qui ne savait pas quoi donner comme réponse. Il avoua sa défaite et demanda ce que voulait le champion :
- La place de chancelier, affirma-t-il la voix pleine de confiance. Et que, en raison de ma victoire, on me nomme Enigma.
« Le roi réfléchit quelques minutes, mais ne vit pas en quoi cela aurait été un problème. Il accepta légèrement à contrecœur. Les années passant, notre nouveau chancelier se révéla comme étant un véritable atout pour le souverain. Connaissant le quartier ouest, il travailla à une uniformisation de la ville, soi-disant pour tenter de rendre les habitants plus égaux. L'histoire aurait pu se terminer ici, sur une bonne fin. Malheureusement pour lui, sa fin était tout sinon bonne.
« Après dix ans de loyaux services, personne ne s'attendait à ce qu'il fomente une rébellion antimonarchique. En réalité, en uniformisant la ville, des criminels peu scrupuleux avaient pu atteindre les beaux quartiers. Enigma comptait faire croire que le roi allait les tuer et ainsi attiser leur colère. Il n'eut pas le temps de faire cela. Une bonne le surprit un jour et révéla tout au roi, qui fit emprisonner, jugé, puis exécuter le chancelier Enigma. Alors que sa tête franchement coupée roulait sur le sol, une voix macabre s'exclama :
- Misérable. Vous cachez ne serviras à rien. J'ai accompli bien plus que ce que je voulais faire. Vous n'êtes même pas capable de répondre à mon énigme. Ne croyez pas que cela se terminera. Tant que quelqu'un réfléchira à ma question, je ne pourrais disparaître.
« Tout son corps se mit alors à brûler, avant de disparaître sans laisser une seule cendre. Depuis ce jour, tout le monde tente de comprendre ses derniers mots et, plus spécifiquement, son énigme. Mais à ce jour, personne n'a jamais su qui il était vraiment. Un esprit ? Un simple poney ? Une créature maléfique ? Comment le savoir ? Il y a une dernière chose à savoir à propos d'Enigma. On raconte que, sur le flanc d'une des plus grandes montagnes, se trouverait son tombeau. A l'intérieur de celui-ci serait cachée la vérité sur qui était Enigma.
La Fin.
Quelle histoire ! Ce n'était pas vraiment comme les contes que j'avais l'habitude de lire dans mon monde. Celui-là se terminait... étrangement. Comme si la personne qui l'avait écrit s'était dépêchée de le finir. Mais, le secret est l'arme préférée des conteurs. Ils l'utilisent pour tromper l'auditeur et lui faire avaler des mots à double sens sans qu'il ne se doute de quelque chose. Je n'allais pas d’avantage réfléchir maintenant à l'histoire.
Moi, comme la plupart des poneys présents, avions été surpris que Jade ait tant réussi à nous transporter autant dans l'histoire. En même tant qu'elle avait parlé, les petites marionnettes s'étaient actionnées afin de donner un visuel de l'histoire. Je dois dire que cela rendait extrêmement bien. A la fin de la pièce, alors que tout le monde rentrait tranquillement chez soi, Carrier s'approcha de moi et m'avoua :
- Covert, je pense qu'il est tant que je te révèle la véritable raison de notre voyage ici.
- Que voulez-vous dire ?
- Il y a un mois, j'ai reçu une lettre anonyme me demandant de venir à Ponyville. Il voulait que tu rencontres Jade et, si tu l'acceptes cependant, qu'elle reste vivre avec toi.
- Comment ? m'écriai-je. Mais, je veux dire, c'est votre fille. Ca ne vous dérange pas de me dire ça ? Et puis comment pouvez-vous me demander ça comme ça ?
- Et bien, ça me fait mal de l'avouer, mais Dragy n'est pas ma véritable fille, comme aucun de mes enfants. Je l'ai recueillis il y a maintenant quatorze ans. Elle m'a toujours paru étrange, mais je l'ai aimé chaque jour de ma vie. La lettre parlait de son passé, de choses que j'étais censé être le seul à savoir. Elle faisait aussi mention d'un poney capable de chasser les démons enfouis au plus profond de son être. Je veux croire que cette personne est toi. Je t'en pris, promet de t'occuper d'elle comme de ta sœur.
- Je... hésitai-je longtemps avant de décider, d'une voix pleine de conviction : Je le jure. Je jure que jamais elle ne pleurera tant que je serais en vie.
- Merci beaucoup. Prend ça, ça pourra sûrement t'aider.
Il me donna une petite enveloppe avec écrit dessus : Si jamais elle ne va pas bien, donne-lui un truc de la liste. Il me salua :
- En espérant te revoir un de ces jours.
Il partit en direction de la pégase qui semblait raconter un autre conte à un petit groupe d'enfant. Il l'interpella et lui raconta tout ce qu'il avait à dire. De ce que je voyais, elle dut d'abord croire à une blague, mais devant la mine abattue du vieil étalon, elle comprit que c'était la vérité. Il lui montra la lettre et elle parut se résigner. Ils séparèrent la tête baissée et les yeux plein de larmes et rouge à cause de la tristesse. Je ne pouvais m'empêcher d'avoir des remords. J'aurais dû le convaincre de ne pas faire ça plutôt que d'accepter. Jade s'approcha de moi pour me dire :
- Alors, comme ça, tu vas t'occuper de moi maintenant, soupira-t-elle.
- Ouais... Je suis déso...
- Tu n'as pas à l'être, me coupa la jeune pégase. Ce n'est pas ta faute. Après tout, ce n'est pas comme si je n'allais jamais le revoir pas vrai, sourit-elle un peu pathétiquement. Bon et si on rentrait maintenant ?
- Jade...
Elle était forte, plus que n'importe quelle personne que j'avais déjà rencontrée dans toute ma vie. Ce n'était pas du tout Avery. Même si elle avait le même comportement, elle avait vécu dans ce monde plus longtemps que moi. Je lui montrais où j'habitais.
Elle parut enchantée par le lieu. Heureusement, il y avait une petite chambre d'invité, lui convenant parfaitement. Elle déposa ses affaires et, après une bonne tasse de tisane, nous partîmes nous coucher. Je l'entendis sangloter à travers la cloison. C'était bien qu'elle ne retienne pas ses larmes, car elle allait pouvoir se relever plus facilement. De mon côté, je m'endormis avec la forte envie de parler à Haze.
J'arrivai justement dans la salle blanche. Il se tenait devant moi, assis dans un gros fauteuil en cuir. Il me salua et m'indiqua un second fauteuil. Je restais debout, le visage renfrogné. Il fut celui qui brisa le silence.
- Allons bon Charles, on dirait que tu as vu un fantôme. C'est au sujet de cette pégase, Jade, non ? fit-il en souriant légèrement.
- Est-ce que, hésitai-je. Est-ce que Jade - je suis sûr que tu sais de qui je veux parler - est, d'une façon ou d'une autre, Avery.
Il semblait soudain devenir très sérieux. Il me répondit avec un calme :
- Tu veux vraiment savoir ? Oui, du moins je le pense. Ce n'est qu'une probabilité, mais je pense qu'elle est tombée je ne sais ni comment, ni pourquoi dans ce monde.
- Mais ça ne peut pas être une coïncidence.
- Il y a bien une possibilité, reprit-il toujours aussi sérieusement. Lorsque toi et Avery êtes entrés dans mon temple, elle a aussi respiré un peu de Brume. Les effets ne sont pas apparus tout de suite et ne se sont activés que lorsqu'elle est morte. Sûrement parce que toi aussi avais été transporté ici, elle a été, disons, réincarnée dans ce monde. C'est pourquoi elle possède un passé et qu'elle est un peu différente. J'ai pensé que cela te ferait du bien de la revoir. De plus, je pense qu'il est important que tu gardes un œil sur elle. J'ai répondu à tes interrogations ?
Je ne pouvais pas répliquer grand-chose. Ce qu’il avait dis était plausible. Cependant, je trouvais révoltant qu’il ne traite pas Avery/Jade avec un peu plus de considération. Je préférais ne pas en rajouter et répondit par l’affirmative. Je changeai de sujet :
- Haze, il y a une autre chose que je voulais te demander.
- Je t’écoute.
- Apprend-moi à contrôler la brume.
Il se releva brusquement avant de faire disparaître les deux fauteuils. Il me regarda avec un large sourire à faire un peu peur et me lança :
- Tu penses être vraiment prêt ?
- Oui, affirmai-je.
- Dans ce cas…
Il claqua des doigts pour faire apparaître une multitude d’objet dont j’ignorais encore l’utilité. Il reprit :
- Dans ce cas, on est partit pour la pratique.
Je ravalais ma salive. Je savais que je n'arriverai pas à faire ce que l'on m'avait demandé si je ne maitrisais pas ne serait-ce qu'un peu cette chose. Et puis j'avais tellement appris au niveau théorique. Je me serais senti un peu con d'abandonner si près du but. Je ne me doutais toujours pas quelle histoire j'allais être confronté, mais je savais que maintenant j'allais pouvoir compter sur un véritable soutient qu'était Jade. Cependant, si on m'avait dit que l'on me confierait ma première affaire dans une semaine à peine...
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