Pensées

La jument au pelage mauve avait redouté bien des choses à la vue des larges étendues verdoyantes et s’était parée du mieux possible à toutes les éventualités. Pourtant le plus effrayant n’était pas la crainte de voir un de ces morts pour lesquels son arme de pierre attendait de servir, ou des bêtes probablement dissimulée dans les fourrés dont elle pouvait sentir la caresse sur son ventre. Non, le pire était surtout d’être seule avec elle-même.

Beaucoup de choses avaient occupé son esprit et fait éviter les questions et angoisses à propos de sa situation. Maintenant, Twilight n’avait pas d’autre choix sinon y faire face.

Le temps était long et les collines paisibles. Son pas était serein et elle profita tout d’abord de la brise pour se rafraîchir sous le soleil de plomb. La fumée était brièvement réapparue, dans le lointain, au bout d’une dizaine de minutes ; son objectif se dessinait clairement, avec la certitude de ne pas avoir suivi un bref feu de forêt ou autre phénomène spontané.

Son harnais en écorce la rendit particulièrement fière. Elle sentait son épée battre contre son flanc au rythme de ses pas, les silex attachés à son crin doucement sautiller non loin d’une de ses joues. Des petites distraction amusantes pour garder l’esprit loin d’autres pensées.

Au loin se projetait une destination, mais d’où venait-elle ? Il devait y avoir quelque chose avant son éveil dans la forêt. Les poneys viennent au monde avec une famille. Pourquoi ne pouvait-elle pas se rappeler de la sienne ? Sa famille…

Pendant un instant, une douleur lui empoigna le cœur ; elle sentit les larmes lui monter aux yeux, mais chassa bien vite les réflexions à l’origine de cette soudaine tristesse. Ce n’était pas le moment pour se mettre dans ce genre d’état émotionnel.

Mais pourquoi devait-elle ressentir ça ? Penser à son passé l’amenait à ressentir un certain malaise, une peur viscérale, comme si son inconscient cherchait à repousser ses souvenirs, à la protéger…

Sa respiration fut plus difficile. Son emprise sur la sphère remplie d’eau au-dessus d’elle se trouva plus incertaine ; le vide autour de la jument semblait l’oppresser, à l’image de celui de ses souvenirs. Cette absence, cette solitude… l’essentiel lui échappait et le lointain filet de fumée, seul élément extérieur pour la rattacher à la réalité commençait à s’étioler, disparaître… la laisser perdue dans le néant et la tristesse…

L’échine de Twilight fut parcourue d’un frisson glacé. En périphérie de sa vision, elle pouvait percevoir une forme noire. Équine. L’éclat sombre de ses yeux violets était perceptible et dirigé vers elle. Le corps de la jument se figea et son regard coula lentement vers la créature à l’allure familière. Les secondes flottèrent pendant lesquelles les deux paires d’yeux violets se toisèrent au loin ; la licorne, intimidée, n’arrivait pas à détacher son regard de l’énigmatique apparition.

Cependant, un battement de paupière suffit à l’ombre pour disparaître. Twilight se retrouva à nouveau seule dans l’immense plaine, en proie à de nouvelles craintes. Elle se souvenait parfaitement de cette chose, apparue au crépuscule pendant un très bref, sorte de jument noire élancée aux yeux comme deux flammes couleur améthyste. Les pensées de la licorne devinrent de plus en plus confuses…

Sa concentration manqua de se dissiper, mais elle assura sa prise sur la sphère d’eau au dernier moment. La licorne se sentit encore moins en sécurité, même si ce n’était déjà pas le cas auparavant ; la présence d’une entité capable d’apparaître et disparaître à sa guise… avec un sentiment aussi dérangeant à sa simple vue, comme si cette immense forme ténébreuses n’était pas censée être vue.

Il y avait de quoi douter même de son existence, mais Twilight était sûre de l’avoir vue. Elle devait avoir des certitudes, même si tout lui semblait inexplicablement faux et malgré sa mémoire défaillante.

Son obscur passé la préoccupait et lui revenait désormais à l’esprit le monde autour d’elle, accompagné de ses mystères. Cela formait un tout et même si elle semblait avoir toutes les connaissances et l’intelligence nécessaire pour évoluer au sein de ces terres, la licorne prenait conscience d’être démunie au point de suivre quelques traces de fumée, au loin, dans le ciel.

…

Les heures s’écoulèrent lentement sous son pas régulier, rythmé par la lente course du soleil. La jument appréciait la chaleur couplée à la douce caresse du vent et la quiétude des collines à l’herbe si douce. De rares papillons voletaient et parvenaient à distraire un peu la licorne, sans parvenir à totalement faire taire le brouhaha de ses pensées.

Une petite bulle d’eau se détacha de celle plus imposante pour permettre à Twilight d’y porter ses lèvres et se désaltérer. Le soleil était toujours vif, même s’il avait déjà bien entamé sa descente ; il n’était pas encore trop tard pour rebrousser chemin et rentrer avant la nuit. Quelque part derrière elle, un filet de fumée se perdait dans les nuages pour lui indiquer où aller pour retourner à son point de départ.

Peut-être devait-elle renoncer avant de ne pas pouvoir trouver un abri. Son pas ralentit. Elle montait en haut d’une colline et, quelque part, redoutait de seulement en découvrir d’autres, à perte de vue, entre des morceaux de plaines à l’herbe grasse. Tout semblait sauvage, uniquement habité par des insectes. Quelque chose soufflait encore une fois à l’esprit de la licorne à quel point le monde autour d’elle était factice ; il y aurait dû y avoir des rongeurs, des serpents, beaucoup plus de vie !

Elle ne se sentait pas en sécurité. Ses sabots étaient comme paralysés. Cette lande semblait si parfaite, dégageait une odeur de fleur agréable et entêtante… parfaite pour dissimuler des corps.

Les non-morts affrontés quelques nuits en arrière la hantèrent ; sa progression dans les hautes herbes ne lui avait pas fait découvrir de corps ou d’ossement mais tout était si grand… L’aura magique autour de l’eau s’agita. Elle voulait rentrer, s’enfermer dans sa cabane et rester protégée du monde extérieur…

Un air déterminé sur le visage, Twilight reprit sa progression. Rester piégée ne l’avancerait à rien. Elle devait désormais se le répéter, comme un mantra, sabot après sabot, pour chasser ses doutes. Ils étaient légitimes, mais elle avait besoin de comprendre, d’apprendre et de ne pas rester bloquée, seule.

Le monde semblait changer tout au long de son ascension, ou était-ce sa perception ? La licorne se frayait un chemin vers le sommet, entre les herbes sauvages et la confusion et, arrivée en haut, son cœur manqua un battement.

Un village.

Proche de l’horizon se dessinait plusieurs formes entourées d’une palissade. Twilight dut se faire violence pour s’empêcher de courir et parvenir à simplement marcher, afin d’éviter les dépenses d’énergie inutiles. Sa nouvelle destination était encore loin, très loin, même si le terrain était devenu bien plus plat, très légèrement vallonné.

La licorne n’était plus seule désormais. Devant elle se dressait une preuve concrète, un espoir de trouver des réponses, ou au moins un peu de compagnie. Elle prenait à peine mesure d’à quel point être solitaire lui avait pesé, depuis son éveil si peu de jours auparavant.

Pendant un long moment, la jument se posa de nombreuses questions, le regard toujours porté vers sa destination avec enthousiasme. Mais les heures s’écoulèrent et petit à petit, un léger malaise s’installa chez elle. Et s’il n’y avait personne ? C’était une pensée stupide, puisqu’elle avait vu de la fumée il devait y avoir des gens. Mais si ce n’était pas des poneys ? Si c’était un piège ? Son épée se trouvait toujours à ses côtés et sa magie serait prête.

Twilight sentit son esprit glisser à nouveau vers la panique… mais elle ferma les yeux et inspira profondément. Malgré son amnésie, elle savait être capable de se faire des amies, mais aussi affronter des dangers et faire face à des individus malhonnêtes. La jeune jument devait avoir confiance et mettre fin à ce voyage ; plus que quelques heures…

…

Les dernière centaines de mètres se firent au galop, sa sphère d’eau abandonnée sans remords. Le soleil était presque arrivé à l’horizon quand plusieurs cheminée se mirent à fumer et presque couché quand elle cavala pour atteindre la grande structure de pierre et chercher une entrée. C’était un très haut mur, fait de blocs de roches grossièrement taillés et assemblés au mortier ; il n’était pas plus haut qu’un mur de maison et les toits en chaume des quelques habitations étaient visibles.

Une seule question vint à l’esprit de Twilight : où ces pierres avaient-elles été extraites ? Son regard balaya les alentours, pour trouver de la plaine, avec quelques bois aux alentours, à une petite chevauchée de là. Une chaîne de montagne semblait se dessiner, au loin… trop loin. De nouvelles questions furent soulevées et découvrir une imposante herse fit s’accélérer un peu plus son rythme cardiaque.

De l’autre côté, elle put voir des chemins de graviers blancs s’élancer entre de la pelouse proprement tondue, afin de relier de petites chaumières étrangement familières. Il y avait beaucoup de choses, mais le regard de la licorne mauve s’arrêta surtout sur un détail : trois poneys en train de discuter paisiblement.

Twilight ne comprit pas pourquoi elle avait des larmes aux yeux. Elle voulut crier pour avertir ses semblables, mais aucun son ne fut capable de traverser ses lèvres, à cause de l’émotion ; heureusement une jument la remarqua et se tourna vers une de ses comparses, licorne. D’un élégant trot emprunt de raffinement elle approcha et fit briller sa corne blanche, après avoir remis en place d’un gracieux mouvement de tête sa belle crinière violette.

“Bienvenue à Ponyville, darling,” lui dit simplement la licorne blanche, avant de relever la herse pour laisser Twilight entrer.