Abysse - Chapitre 4

“Alors comme ça, vous êtes des pirates ?”

A la question, Lix éclata de rire et se détourna de la griffonne pour aller inspecter les environs. Les deux perroquets musclés s’échangèrent un regard amusé, comme si c’était évident, et le dernier répondit par un caquètement enthousiaste.

Gilda se fendit d’un sourire insolent et leva un sourcil exagérément interrogateur.

“Vous avez pas l’air bien menaçant. Qu’est-ce que vous auriez fait, si j’avais refusé de coopérer ?”

Boyle croisa les bras et gonfla un peu la poitrine pour ajouter à son imposante carrure, mais jeta surtout un coup d’œil vers le seul de son camarade, dont le bec arborait déjà un air inquiétant.

“On a tendance à préférer éviter d’avoir à combattre et simplement partir avec ce dont on a envie, mais s’il le faut, on peut se montrer plus… persuasif…”

Discrètement, Mullet s’était avancée sous le regard captivé de Gilda et, une fois sa phrase ponctuée par un léger silence évocateur, le perroquet s’accroupit pour bondir vers son interlocutrice. Avant de lui laisser le temps de s’en rendre compte, le pirate était au niveau du sol, tête sous son buste et les serres emprisonnées entre ses pattes. Elle allait protester quand elle le sentit imprimer un coup d’épaule ; le paysage devant ses yeux, partiellement obstrué par la crête rouge du perroquet, bascula sur le côté.

Elle était sur le flanc et tenta de se débattre, mais des griffes se saisirent de ses pattes félines. Ainsi bloquée et vulnérable, la griffonne fut tentée d’asséner un puissant coup de bec dans le dos du pirate borgne, mais une sensation lui parcourut l’échine et… elle se mit à pouffer, avant de partir dans un fou rire.

De sa seule serre valide, Boyle chatouillait avec délicatesse leur captive, un air malicieux sur le visage. Après un long moment à rigoler jusqu'à lui faire avoir un peu de mal à respirer, le perroquet bien bâti se recula.

“Alors ?

- Okay, okay, j’abandonne !!” s’écria Gilda, avant d’être libérée. “Mais j’attend toujours de voir le côté “redoutable” qu’on prête aux pirates.

- J’te l’ai dit petite,” reprit Mullet, “c’est mieux si on a pas à se battre, tu trouves pas ?”

La réponse à la question ne vint pas, car la capitaine sortit brusquement de la taverne, l’air furieux. Les pans de son manteau claquèrent au vent et les pirates se réunirent autour d’elle. Quand Capper arriva à son tour, le regard fier et pimpant, l’équipage préféra ne pas dire un mot ; exception faite de Lix.

“Alors comme ça, on va se trimballer l’autre matou ?

- Oui, et il va se tenir à carreau” lâcha Celaeno avec un ton glacial. “Boyle ! Mullet ! Je veux un topo sur la situation !”

Les deux concernés approchèrent de la capitaine pour discuter à l’écart. Capper offrit un petit clin d’œil à Gilda et ne prêta pas attention à la perroquet au plumage rose, dont la serre l'agrippa par le col et le descendit pour avoir ses moustaches au niveau de l’expression furieuse de son visage.

“Si tu nous roules ou fait quoi que ce soit de travers, je m’occuperais personnellement de ton cas, petit minet !”

Sans ménagement, Lix repoussa Capper au point de le faire tomber sur le postérieur. Sans plus de cérémonie, elle continua à observer les environs.

“T’es sûr de toi ?”

Le filou abyssinien saisit la serre tendue amicalement par Gilda et se releva pour épousseter son manteau. Avec un air assez énigmatique, ses yeux d’émeraude se posèrent sur les trois pirates en pleine conversation, puis les deux autres en train de guetter les environs.

“Oui, je tiens vraiment à faire partie de leur bande,” répondit-il simplement. “Merci de me donner un coup de pattes.

- C’est normal, entre félins ; même si je le suis qu’en partie !” La griffonne eut un petit rire. “Et puis je te dois bien ça.”

Les deux amis échangèrent un regard complice, avant de se reporter vers Celaeno dont les yeux magenta étaient rivés vers eux, un air toujours aussi sérieux et contrarié sur le visage.

“Gilda, tu peux nous mener jusqu’à l’endroit où vous avez fait tomber la statue ?”

Avec un hochement de tête, la concernée fit signe à la petite troupe de la suivre.

…

La paix revint rapidement dans la taverne, ou du moins les discrètes querelles habituels, après le départ de la bande d'étrangers. Le serveur semblait plus détenduvet comptait les pièces récoltés par les commandes lancées brusquement lors du combat improvisé.

Le Grand-Duc ne releva pas immédiatement le bec quand on passa la porte de son établissement, mais une fois ses grands yeux levés, leurs pupilles s’étrécirent. Deux griffons, épées au flanc, s’avancèrent pour laisser la place à un troisième ; tous les clients s’étaient tournés vers les nouveaux-venus et le silence se jetta sur l’assemblée quand le svelte et musculeux griffon progressa calmement jusqu’au comptoir. Ses mouvements lui donnait l’allure d’une panthère, accentuée par son corps entièrement noir, à l’exception de ses serres avec lesquels il déposa une pièce d’argent sur le comptoir et de son fin bec jaune fendu en un sourire mielleux.

“Ne prend pas la peine de me servir de ta pisse de renard, Galen, ou même d’ouvrir ton clapet bon à bouffer des rongeurs avant que je t’ai expliqué comment ça va se passer. Des étrangers sont venus ici et c’est visiblement pas des touristes. Ils sont organisés, intelligents et je veux savoir tout ce que tu leur as dis et tout ce que tu as entendu, sinon on va s’occuper du surprlus de gras sur ton postérieur à poils bouffants. Vu ?”

Le tavernier déglutit et acquiesça poliment.

…

Arrivés au bord de l’Abysse, Celaeno commença à observer le vide étalé sous ses yeux et dû maintenir son couvre-chef en place avec une de ses serres à cause du vent. Derrière elle, Mullet commençait déjà à sortir l’équipement acheté auparavant, avec l’aide de son ami Squabble.

“Vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop dangereux !” s’écria Gilda.

“C’est gentil poulette,” lui répondit poliment Lix avec un grand sourire, “mais laisse-nous faire. Les rafales, les cordages et tout ça, c’est notre domaine. Va plutôt jouer avec ton copain et une pelote de laine.

- Des tas de gens ont péri dans les tréfonds de l’Abysse,” renchérit froidement Celaeno. “ Je ne veux pas faire courir de risque à mon équipage, alors on va descendre au plus près de la statue. C’est plus sûr. Et si vous n’êtes pas contents, on ne vous retient pas.

- Mes dames oiselles, s’il vous plaît,” intervint Capper avec un grand sourire affable, “pas la peine de s’énerver. Gilda essaye de vous aider, elle a conscience du danger dans lequel vous foncez, mais on ne va pas vous empêcher de vous y essayer. Elle et moi allons plutôt vous attendre devant l’entrée de l’Abysse, comme ça vous pourrez nous rejoindre si vous échouez pour essayer notre idée, ou nous narguer si vous trouvez la statue. Qu’en dis-tu, capitaine ?”

Le félin offrit une patte amicale à Celaeno, mais celle-ci la rejeta d’un mouvement de serre dédaigneux. Avec un soupir, Capper épousseta son manteau et tourna les talons, à la suite de la griffonne dont la tête haute jetait des regards désapprobateurs aux pirates.

Une fois entre perroquets, Boyle ne put contenir une moue triste, les yeux d’ailleurs tournés vers l’Abysse, puis la capitaine.

“Je comprend que Capper vous agace, mais vous n’êtes pas obligée d’être aussi dure.

- Je veux juste en finir au plus vite avec cette histoire,” lâcha la pirate à la prothèse de cristal. De l’inquiétude apparut sur son visage. “Nous ne sommes plus dans notre élément depuis le crash de notre aéronef et nous avons beaucoup perdu…

- C’est pour ça que l’aide de Capper peut avoir son utilité. Même s’il a l’air d’un bouffon, il sait se débrouiller avec un rien.

- Boyle a pas tort,” ajouta le pirate borgne, sans cesser de solidement nouer la corde à un arbre. “Même avec un nouvel aéronef, on va avoir besoin de temps pour se remettre d'aplomb et on aura jamais trop d’un membre d’équipage comme lui.

- Très bien,” concéda Celaeno, “mais d’abord on sort cette statue de l’Abysse, histoire de lui défriser les moustaches !”

Avec un caquètement jovial, Squabble signala être prêt à se lancer. Solidement arnaché et équipé d’un casque flambant neuf, il laissa son sac après en avoir extrait une pierre transparente comme du cristal ; un des rares trésors sauvés du crash, capable de produire une lumière magique, même au sein des ténèbres les plus sombres, et désormais entre les serres d’un perroquet très enthousiaste, dont les yeux semblaient regarder à deux endroits différents en même temps.

Mullet indiqua avoir fini d’attacher la longue corde, en deux points : autour d’un tronc pour pouvoir contrôler la descente en la faisant coulisser, puis autour d’un énorme rocher pour le retenir si jamais les pirates lâchaient par accident. Une simple précaution.

Tout l’équipage était derrière leur compagnon, à tenir la corde et la faire coulisser au rythme de sa descente. Sans crainte il s’était lancé, prêt à braver les bourrasques. Petit à petit, il cherchait des prises, descendait avec précaution pour ne pas se blesser ; ses serres étaient résistantes, mais le vent avait rendu beaucoup d’aspérités semblable à des rasoirs.

Il progressa pendant de longues minutes, passa juste à côté de corniches et put voir un crâne immense sur l’une d’elle ; Squabble savait être sur la bonne voie. La lumière se fit de moins en moins présente, au fil de sa descente, et le vent se faisait de plus en plus fort. Il rugissait, s’infiltrait entre ses vêtements… et puis sa serre dérapa sur une pierre un peu humide. Dans une tentative de se rattraper, il se coupa et dû tout lâcher.

La corde balota dans tous les sens et les pirates s’affollèrent, au sommet de l’Abysse. Il se mirent à tirer de toutes les forces, avec rapidité, pour secourir leur compagnon ; il ne leur fallut pas longtemps, surtout grâce à la poigne de Boyle, mais ils purent constater tristement l’état de leur compagnon et, surtout, de son casque complètement cabossé. Ses jambes et bras tremblaient sous la douleur.

“Rien de cassé,” signala Lix, après un examen minutieux. “Il a dû prendre la majorité dans la tête.

- Je crois que vous allez devoir présenter quelques excuses, capitaine.”

Avec une moue énervée, Celaeno se saisit du sac de Squabble et attendit patiemment d’avoir l’accord de Lix ; une fois leur ami rétabli, elle allait devoir une fois de plus admettre son échec devant Capper…