Encore une fois, la jeune licorne déambula dans l’obscurité, au sein d’un boyau où seul le clapotis de l’eau à ses côtés brisait le silence. Elle pouvait voir, à la faible lumière de sa corne, comme le chemin avait été creusé dans la roche, sans doute pour suivre la rivière dont le lit avait dû se créer naturellement. Ce n’était pas régulier, les marques grossières d’outils étaient bien visible ; un frisson parcourut la nuque de la jument quand cela lui évoqua une tentative désespérée d’échapper à la caverne glacée.
Le temps donnait le sentiment de se distendre au fil de sa progression. Une simple ligne droite, légèrement en pente pour suivre la rivière au cœur même des ténèbres et de l’inconnu… Les minutes puis les heures s’écoulèrent, jusqu’à laisser entendre une chute, au loin.
Le tunnel débouchait à quelques mètres au-dessus d’une sorte de lac, dans lequel se jetait le cours d’eau de Snowdin. Un étroit escalier était creusé à même la paroi, jusqu’à se perdre dans les petites vagues créées par la cascade. La nappe souterraine semblait immense, au point de totalement se perdre dans les ténèbres… hormis une ligne de pierre lumineuse, au plafond ; son reflet semblait tracer un chemin pour traverser les eaux.
Après une courte hésitation, la jument osa plonger ses sabots dans l’abîme… et ne ressentit pas le froid auquel elle s’était attendue. C’était frais, mais bien loin du froid hivernal de la grotte laissée loin derrière elle. L’eau lui arrivait aux genoux et, incertaine, la licorne blanche commença à avancer, sa corne éteinte pour mieux suivre les reflets bleutés des cristaux au-dessus d’elle.
Au bout d’une longue heure, le chemin semblait toujours continuer dans un silence parfois troublé par le bruit lointain d’une invisible cascade, perdue dans les mêmes ténèbres où elle avançait. Car si elle suivait une douce lumière, c’était au sein de l’obscurité. Seuls les cristaux étaient visibles, au-dessus et devant elle. Il n’y avait aucune paroi alentour et rien ne permettait même de savoir si son prochain pas ne risquait aucunement de la précipiter dans les profondeurs du lac.
Ses pattes tremblantes et ses regards furtifs de chaque côté trahissaient cette crainte d’être à un sabot des abysses. Ou peut-être était-ce pour les créatures probablement cachées dans l’obscurité de cette fosses, sous le Tartare. Sa propre lumière s’était tue pour avancer avec plus de clarté au sein des eaux, mais peut-être aussi pour ne pas risquer d’avoir l’irrésistibilité d’une flamme pour un papillon des profondeurs.
La peur ne retenait toutefois aucunement ses pas, comme si elle s’était déjà retrouvée seule, ceinte par l’incertitude. Sa détermination était palpable à chacun de ses mouvements, aussi emprunts de peur pouvaient-ils être la petite jument n’avait aucune hésitation. Et quand une lueur apparut au bout du chemin, ses pas furent plus assurés sur le bout du chemin encore à parcourir.
…
Un petit escalier aux marches parfaitement découpée accueillit les sabot de la licorne, pour accéder à un tunnel soigneusement creusé dans la roche. Des petites alcôves se trouvaient à intervalles réguliers, juste à la hauteur d’yeux de la jument, chacune remplie d’eau et d’une pierre lumineuse. La progression de la nouvelle venue en ces lieux se fit dans une troublante clarté, entre les ombres et la lumière projetées sur les murs d’un gris acier, jusqu’à rapidement déboucher sur une nouvelle étape des Basses-Fosses.
Sa bouche s’entrouvrit d’un certaine émerveillement quand elle découvrit les maisons de pierre construites sur plusieurs niveaux d’une caverne, au centre de laquelle reposait un petit lac couvert de nénufars et rempli de pierres lumineuses. Il y avait beaucoup de bacs en roche fleuris, de ces étranges cristaux plongés dans divers récipients d’eaux pour amplifier leur pouvoir et, surtout, les bâtiments décorés semblaient parfaitement entretenus ; des humains devaient vivres ici…
Pourtant, il ne semblait y avoir personne. Le regard de la licorne capta quelques mouvements, des formes sombres dans les hauteurs de la ville promptes à retourner dans leurs maisons. Des bruits de portes et de volets fermés résonnèrent pendant un moment, avant de laisser régner le silence. Il n’en fallut pas plus pour faire comprendre à la jeune jument ne pas devoir insister et elle progressa timidement dans l’endroit immense, l’air méfiante ; on lui avait dit de craindre les humains, mais ceux-ci semblaient déterminer à se cacher d’elle… avaient-ils peur ?
Sur la plus haute terrasse se trouvait une sortie, encadrée de lumières. Lors de sa progression dans les escaliers entre les terrasse, la petite licorne aux crins roses prit le temps d’observer plus en détail les habitations creusées dans la roche. Elles avaient des gravures, comme celles des ruines, mais semblaient bien plus abstraites et simplement faites pour être jolies au lieu de représenter des histoires.
Lorsqu’enfin elle domina la petite cité, la jument put dénombrer une soixantaine d’habitations. L’endroit était beau dans sa sobriété, tout d’eau, de granit et de lumière, mais emprunt d’un silence perturbant. Avec une légère hésitation, elle s’arracha à cette contemplation pour plonger dans le nouveau couloir offert à sa vue.
Quelque chose capta rapidement son attention du coin de l’œil, sur le mur à sa gauche : une série de plaques s’y trouvait alignées. Elle approcha et son museau se fronça en une expression confuse. La plaque, un peu haute car à hauteur d’humain, était bleue et vissée au mur, avec un long message gravé dessus dans le langage vu dans les livres de Faust… mais aussi en Equestrian.
Les Humains sont venus par les mers depuis des terres gelées, le ventre vide, des terres stériles derrière eux. Une nouvelle contrée accueillit leurs familles, abondante, mais déjà habitée.
Les plaques étaient à une dizaine de mètres les unes des autres, le long du couloir. Toutes comportaient un texte en humain et en equestrian. Consciencieusement la jeune jument s’appliqua à lire les inscriptions, les sourcils froncés en une expression inquiète.
Les Poneys offrirent de la nourriture aux Humains, mais cela ne leur suffisait pas. La Loi du plus fort allait permettre de nourrir convenablement tout un peuple, sans avoir à partager.
L’art de la guerre était maîtrisé par les Humains et leur corps exempt de magie empêchait les Licornes de les blesser ou de les affecter ; seuls les boucliers magiques étaient efficaces, jusqu’à céder sous les coups de l’acier.
Les souveraines d’Equestria tentèrent de repousser les Humains jusqu’au Tartare, sans pouvoir les y contenir. Alors les basses-fosse furent créées dans les entrailles de la terre, ceintes par un bouclier magique.
Pris de remords, les poneys ouvrirent aussi un passage à sens unique pour délivrer des vivres aux Humains. Ou était-ce pour les humilier ?
Une sortie avait été laissée par les souveraines d‘Equestria, au cas où les prisonniers des basses-fosses changeraient. Mais avec le temps, elles devinrent le foyer de ses habitants.
Le cœur des Humains resta perdu dans les ténèbres, privé de liberté. Pendant des générations ils furent livrés à eux-mêmes, puis Elle est apparue…
Quand elle voulut lire la toute dernière plaque, la petite jument plissa les yeux. Une de ses oreilles tiqua et ses sabots la portèrent vers la précédente inscription, comme pour vérifier quelque chose avant de lire la toute dernière plaque… et ses soupçons semblèrent trouver une confirmation lorsque ses pas lui firent revenir à sa lecture : le métal utilisé pour graver la partie finale de l’histoire était d’un bleu légèrement différent des autres…
La Reine a voulu nous faire aimer les ténèbres pour mieux nous y enfermer. Sa traîtrise ne sera pas oubliée, pas plus que notre Histoire. Les Poneys nous ont enfermés ici par crainte de notre force et ils avaient raison.
Un frisson parcourut l’échine de la licorne, dont la bouche se tordit en une moue de dégoût. Le règne de cette mystérieuse Reine avait été effacé… mais pas la rancœur des humains. Un visage fermé accompagna la suite de son voyage, assez court puisque le couloir déboucha très rapidement sur les hauteurs d’une nouvelle caverne construite en terrasses, avec de petits cours d’eau et cascades à l’origine de l’aspect en cuvette, jusqu’à un canal en son centre. Il devait y avoir tout un réseau de grottes comme celle-ci et la précédente, creusées par l’érosion.
…
A son approche les humains fuirent à nouveaux pour se réfugier chez eux, mais la jeune jument n’y prêta pas attention. L’endroit était bien plus grand et toujours aussi beau, empli de lumière et d’une eau claire, limpide… mais elle était à nouveau seule. Le silence prit sa place une fois terminé le concert des portes et volets claqués, comme pour soutenir le son de ses sabots solitaires.
Au bout d’une centaine de mètres à avancer à la recherche d’une sortie, cette dernière apparut au loin. A une cinquantaine de mètres se trouvait un autre tunnel entouré de cristaux pour le mettre en évidence… et au centre duquel se dessinait une silhouette. Surprise, la joie rayonna sur le visage de la licorne. Mais quelque chose la dérangeait, au point de la pousser à la prudence. Elle s’arrêta et plissa les yeux… puis sursauta quand un projectile en bois se brisa contre le mur d’une maison proche.
Il n’en fallut pas plus à la petite ponette pour rebrousser chemin, mais au terme d’une courte galopade apparut une autre silhouette dans l’encadrement du tunnel d’où elle venait. Le regard paniqué et les oreilles plaquées vers l’arrière, elle embrassa la caverne en forme de croissant et les terrasses en escalier, pour trouver une échappatoire ; jusqu’à voir une porte s’ouvrir avec fracas en face d’elle.
D’une maison sortit un humain recouvert d’une armure en plaques de métal, avec un étrange instrument entre les mains. Par réflexe, la jument terrorisée se jeta au sol, à temps pour esquiver un projectile tiré par l’arme ; cela ressemblait à une flèche, plus courte et épaisse. Les sabots tremblants, la licorne se jeta sur le toit d’une maison en contrebas, puis se réceptionna maladroitement sur la terrasse d’en dessous. A la fois sonnée et paniquée, elle avait toutefois du répit pendant le temps nécessaire à l’humain en armure pour recharger son arme à projectile ; ou pas, car l’ouverture tonitruante d’une nouvelle porte plus haut sur sa droite lui laissait bien peu de temps pour trouver une solution…
Des larmes perlèrent le long de son pelage nacré… mais son regard s’éclaircit quand il se perdit dans les gouttes lorsqu’elles touchèrent le sol. Peut-être lui restait-il une chance. Elle inspira profondément et se planta fermement sur ses pattes pour en chasser les tremblements. Un projectile ricocha contre le sol non loin, mais elle prit le temps de reculer… avant de galoper et bondir dans les airs.
L’eau du canal amortit sa chute, mais pendant quelques instants ses repères se perdirent. Tout se mit à tournoyer, emporté par le courant malgré ses tentatives pour essayer de se diriger. Finalement elle parvint à sortir la tête de l’eau, pour prendre une grande bouffée d’air sans pour autant pouvoir lutter ; dans le sol, en contrebas de la sortie, les eaux de la caverne finissaient en une cascade souterraines, afin d’emporter les eaux de la caverne loin dans les profondeurs.
C’était sa seule issue et la jument ne lutta pas contre le courant, sinon pour garder la tête hors de l’eau. Un projectile passa à quelques centimètre de sa tête avant de plonger lui aussi dans la tourmente glacée et, l’espace d’un instant, le regard magenta de la petite jument transie de froid croisa celui de l’humain ; ou plutôt de l’humaine, dont le casque avait dû être jeté plus loin. Ses yeux brûlaient de haine et ils furent la dernière chose aperçue par la jeune licorne avant d’être emportée à nouveau dans les ténèbres.
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