Plus occupée à autre chose, Rainbow n'avait pas vraiment regardé le carnet. Elle était à la lisière de la forêt Everfree, adossée à un rocher. La lumière du jour brillait à travers les lianes caractéristiques des arbres d'ici. Elle était suffisamment en périphérie pour être tranquille.
C'était un petit calepin avec une couverture rose très pâle. Même s'il était moins épais que celui bleu de Pen, il avait pas mal de pages, qui étaient très fines.
De plus elles étaient totalement blanches, contrastant avec les sept anneaux couleur de jais, et légèrement froides au toucher. Elles n'étaient nullement endommagées ou simplement salies. Ce carnet était impeccable, avec ses couleurs unies bien définies, et les feuilles restantes formaient un bloc parfaitement homogène.
Oui, feuilles restantes. C'était cela qui faisait la particularité de l'objet : il y avait des pages qui avaient été déchirées au début, formant des accros irréguliers détruisant l'ordre. Et ce n'en était pas que quelques une qui étaient ainsi. Plus de la moitié avait été enlevée, presque les deux tiers. Et encore, ce n'était pas tout.
Les page suivantes, qui étaient intactes, étaient vides, immaculées, uniformes. Si bien que la pégase se douta de la présence d'une quelconque histoire. Et après avoir parcouru les feuilles jusqu'à se couper dessus, elles faillit sauter en voyant la première avec des mots.
FLAMMES FLAMMES DÉTRUISEZ RÉPAREZ DÉMOLISSEZ INCENDIEZ MON ÂME JE VOUS EN CONJURE SUR CETTE ÂME SI IMPURE S'IL EXISTE UNE DÉESSE QUE TOUT CELA CESSE POURQUOI AS-TU FAIS ÇA BÂTARDE POURQUOI POURQUOI
...
Cette première page était couverte de mots similaires.
La suivante aussi.
C'était des mots écrits en majuscule, chaotiquement placés sur le papier et pas très bien tracés, contrastant beaucoup avec l'aspect général du carnet. Si cette première page ressemblait à un brouillon couvert de gribouillis informes, cela se calma au fil des pages. Rainbow ne savait pas du tout quoi penser.
Il y avait beaucoup de colère. Sans blague. Pourquoi avoir écrit cela ? Ce n'était pas censé être une histoire ? Une fois, on lui avait dit que certains poneys, souvent calmes, aimaient extérioriser leurs ressentis par écrit. La pégase n'était pas comme cela, préférant se défouler par l'acte. Elle ne connaissait pas personnellement Pen, mais elle l'avait vue furieuse plusieurs fois, c'était terrifiant. Elle n'allait pas croire que l'écrivaine devenait tout calme dès qu'elle notait ses états d'âme.
En réalité, si ce texte était aussi violent, qui savait comment dans quel état son auteure avait pu être. Une furie tellement violente qu'elle aurait pu se tailler les veines et écrire avec son sang. Mais en constatant l'encre noire brillante, Rainbow conclut que cela n'avait pas été le cas.
Il y avait quelque chose qui lui perturbait sérieusement, sans qu'elle pût mettre le sabot dessus.
Finalement, l'histoire, qui ressemblait à un poème, commença. Cette fois-ci, l'écriture était très belle, arrondie et claire, qui ne la troublait pas. Toutefois, on ne s'était pas embarrassé d'écrire droit, ce qui rendait les vers légèrement penchés par rapport au papier. Comparé à... quoi que ce fût tout à l'heure, cela demeurait la plus jolie mise en page jamais vue.
Cette jument à l'âme si pure
Aux pâles yeux de frimas azur
Cœur de cristal gracieuse allure
Elle était appelée ###### Irazure
Drôle de nom.
Sa délicate fourrure neige
Légèreté de flocons de beige
Beauté élégante d'un arpège
Digne des plus gracieux florilèges
Ses sibyllins yeux couleur de mer
Coulent de tendresse cœurs de fer
Ses prunelles d'immaculé verre
Sont pareilles aux joyaux les plus chers
Ses nombreuses venteuses pensées
Chants d'argent sans tempête insensée
Ni vanité qui la fait danser
Pas le moindre vice recensé
Derrière ses iris impassibles
Irisées larmes inintelligibles
Une limpidité infaillible
Et ########## spiritualité sensible
Elle comprenait que c'était un poney qui n'avait pas de défaut. Cela faisait étrange, certes un personnage parfait était cool, même s'il y avait quelque chose qui manquait... bien sûr c'était plus amusant d'en écrire pour se flatter que d'en lire.
Irazure sans une rature
Que la vie a jeté en pâture
Dans une impitoyable nature
Avant ########## d'atteindre l'âge mature
Bien obligée de porter son rôle
Se prosterner sans hausser parole
De névé à boue poreuse au sol
Soumise maintenue au licol
Donc cette Irazure semblait être une esclave, ou du moins avoir un métier très ingrat, comme le laquais de quelqu'un. La suite confirma ce qu'elle soupçonnait...
Ange magnifique or famélique
Aimant son statut de domestique
Sa condition sans la moindre éthique
Qu'elle exécute l'air pathétique
Elle avait l'impression qu'elle n'allait pas beaucoup apprécier ce personnage. Elle accrochait difficilement à ceux au profil "victime".
Son maître fourbe et acariâtre
Plus indigne qu'horrible marâtre
Vieillard tyrannique ancien bellâtre
Fou de colère et jamais folâtre
Noble resté à l'ancienne époque
Regarder souffrir autrui évoque
Pour lui du ravissement sans choc
Envie de rouille orgueil de coq
Celui-là non plus.
Irazure jument si gentille
Sans erreur ou le moindre acte ## impie
Le sadisme du maître elle fais fis
Servir ce monstre sans ressenti
Il la regarde l'air supérieur
Il la déteste et veut qu'elle meure
Châtiments ####### injustifiés chaque heure
Qu'elle accepte en disant mon seigneur
De coups la pauvre est souvent rouée
Splendide dos souillé par le fouet
Elle refoule haine et profonds souhaits
Gardés au fond d'elle cœur noué
On la réveilla une nuit noire
Dépourvue de brillant accessoire
La lune bien peu ostentatoire
Seul éclat qu'on pouvait entrevoir
Ce doux instant fut lapidation
Sang stellaire de flagellation
Étoiles giclées avec passion
Forment macabre constellation
Irazure dépourvue de défense
Dépourvue de tout dont de la chance
Vivant une existence si rance
Résumée en maltraitances intenses
Une autre fois devant faire des courses
On railla son manque de ressource
On ne lui avait donné de bourse
Mais son maître avait appétit d'ours
Il ne se montra pas indulgent
Bien qu'il n'avait pas donné d'argent
Il n'était pas très intelligent
Croyant qu'il n'était pas négligent
Il reporta la faute sur elle
Qui reçut un petit rappel
Sur cicatrices versez le sel
Balafres encor peu superficielles
En parallèle on ouvrit ses plaies
Ses douleurs devaient être triplées
Et qu'importait combien elle hélait
On avait l'ordre de la fêler
... Les pages suivantes avaient le même schéma, les concepts identiques. Irazure pauvre martyre malheureuse et des descriptions allégoriques de ce qu'elle endurait, en appuyant à chaque fois sur son malheur et son impuissance. Les seules variations provenaient de l'écriture s’enlaidissant et les biffures qui se multipliaient à vue d'œil.
Mais fait quelque chose idiote ! Résiste ! Rainbow Dash n'aurait pas cru avoir eu une haine si profonde envers un personnage fictif. Peut-être qu'elle aurait pu, si elle ne reposait pas les livres dès que le protagoniste principal, le leader, l'as de l'aventure, commençait à lui devenir insupportable.
Les tortures infligées ne paraissaient pas moins douloureuses... et aussi très lointaines. On avait beau lui dire que c'était triste, le sang avait bien beau coulé, elle ne se sentait pas vraiment concernée.
Elle continua donc de lire, mais en diagonale, en abandonnant la moindre idée de cohérence. Elle n'aimait pas trop ce mot, mais son absence crevait les yeux.
L'infortunée Irazure était frappée en public par des gardes. L'infortunée Irazure devait plongée dans de l'eau glaciale. L'infortunée Irazure marchait sur des braises fumantes. L'infortunée Irazure était écrasée par plusieurs poneys. L'infortunée Irazure était face à des bêtes sauvages. L'infortunée Irazure écorchait son maître avec une lame.
...
"... Hein ?"
La pégase ouvrit grand ses yeux, qui étaient lentement obscurcis par ses paupières tombantes. Elle relit le passage concerné avec grande attention.
Un jour Irazure prit couteau
Poignarde ##### son maître allegretto
Qui toujours vivant mais aussitôt
Se vit enlever son cher manteau
Elle le dépeça avec soin
La peau de son visage chafouin
Celle de sa partie aux besoins
Méticuleux labeur sans témoin
Le maître dépouillé de son cuir
Criait à défaut de pouvoir fuir
Les froids rayons du jour faisaient luire
Ses muscles tremblants encore à nuire
Les filaments de chair écarlate
Retirés peu à peu sans grande hâte
A la précision d'un automate
Sans le tuer ####### pour qu'il se débatte
Ce ne fut pas en perdant matière
Que trépassa cet être si fier
Il décéda en autre manière
Noyé dans son sang sans sa barrière
... Rainbow n'avait pas d'empathie. Nul personnage ne méritait son affection dans... ce texte. Mais elle sentait un malaise désagréable à travers la lassitude. Cette exécution avait été décrite – presque - sans rature, une rareté par rapport aux strophes précédentes, mais l'écriture était restée sauvage et pas très ronde. Écriture qui recommençait à la perturber un peu comme au début.
Elle au dû avoir affreuse attente
Même elle veut vengeance tranchante
Quatre coups elle a rendu quarante
Mais au fond elle reste innocente
Cette volonté n'est pas lubie
Normal de payer ce qu'on subit
Désir d'or de liquide rubis
Qui malgré le temps ne s'affaiblit
Elle a vécu une peu doux enfer
Marquée à jamais de douze fers
Sa triste existence est à refaire
Au moins libre de se satisfaire
C'était une plaisanterie ? Une mauvaise et cruelle plaisanterie ? Ce fut surtout le mot "innocente" qui l'indignait. Non, on n'était sûrement pas dénué de responsabilité après avoir accompli un acte pareil, aussi justifié fût-il.
Ce qui suivit était similaire à ce qui se passait avant le meurtre : la "pauvre" Irazure qui était si pure et que le monde entier semblait vouloir tourmenter.
Rainbow, pour la première fois, se demanda ce que pensait Pen en écrivant quelque chose de pareil. Ces passages étaient-ils censé être ironiques ? Genre il était dit que cette jument était amicale et douce et tout sarcastiquement ? Dans ce cas elle avait dû louper quelque chose.
Sans spécialement l'attendre, le deuxième crime ne la surprit pas.
Irazure rencontra quelqu'un
Qui avait un rêve bien équin
Voler gracieusement au matin
Frôler les nuages de satin
Elle fit honneur sa fantaisie
De la méthode la plus aisée
Inébranlé par l'argent alizé
Une planche à l'écorce bronzé
Sur laquelle il se démenait
De sa voix criarde il s'époumonait
Mais aucune aide ne fut amenée
Sa libération pouvait commencer
D'abord elle purifie son dos
Consciencieusement legato
Sarcle son inutile fardeau
La fourrure cet épais rideau
Ce coffre-fort vivant de viande
Renferme les plus belles ailes du monde
Rien de plus qu'une menue offrande
Pour les obtenir sur commande
Une ligne sur chair dénudée
A défaut de pouvoir le traverser
Le solide peut être éludé
Inutile de ressouder
Elle ouvre la porte du trésor
A chaque sabot un lambeau de corps
Elle contemple plumes d'ivoire
Maintenant il faut prendre l'essor
Telle licorne devenant princesse
La grandeur apparaît manifeste
Les côtes hors de leur forteresse
Hors de la cramoisie bassesse
Le poney laisse un cri noble d'aigle
Irazure le perche au ciel
Comme une élusive crécerelle
Supportée par de longues poutrelles
Pour que son vol soit éternel
Rainbow avait la nausée. Elle serait presque dégoûtée de ses propres ailes. Pourquoi Pen, pégase elle-même, avait fait cela ? Aller jusqu'à souiller l'image du vol, l'équivalent de la liberté de leur race ? Ces détails étaient simplement atroces.
C'était sans compter cette gêne inexplicable en voyant la graphie, qui désormais ne pouvait plus vraiment s'apparenter à celle d'un écrivain qui s'y était entraîné.
Le passage suivant enchaîna immédiatement avec Irazure qui pelait lentement un poney vivant. Et en dépit des figures de style odieusement positives, tout était décrit avec une précision sinistre. Elle dut se forcer à ne pas sauter de vers, et put au moins appréhender les suivantes.
Une raideur de chirurgienne
Et grâce zéphyrienne
Décortiquait son épiderme
Sous la voile toile ferme
Palpitait vie luciférienne
La graisse jaunâtre
Sorte de beurre âcre
Tissu gélatineuse tremblante
Enlevé au couteau nacre
Substance ocre glissante
En ôtant dévoilait le muscle
Rouge de sang bleu de peur
Les veines étaient saillantes
Le poney hurlait
Ses poils et sa peau épluchés
Méthodiquement le couteau
Encore enduit de gras
S'enfonçait dénoyautait
Étoiles de vision
Les perles roulaient sur le côté
La lame s'enfonçait
Dans les orbites trous noirs
Ruisselants de noirceur rouge
Les veines violettes tubes enflés
Étaient milliers de fois éraflées
Peu à peu elles se dégonflaient
Partout elles tuniques soufflaient
Elle n'aurait pas cru qu'un texte lui aspirât autant de mal-être. Finalement, elle vomit, chancelant sur place. Plus que cette bile puante, elle avait l'impression d'avoir perdu quelque chose, encore. Elle s'en voulait d'avoir encore laissé la curiosité l'envahir. ...Un regret supplémentaire dans la liste des remords. Quelle joie.
Paradoxalement, ce genre d'histoire ne devait pas tant la toucher. Elle avait déjà entendu des histoires de feu de camp un peu "gores", seulement racontés lors des soirées de camping entre adultes audacieux. La réalité lui faisait plus peur que de simples mots pour papier. Mais dire que ce texte ne lui faisait rien serait un gros mensonge supplémentaire.
Le pire, c'était que Pen, comme si elle se rendait compte de ce qu'elle avait écrit, tentait encore de racheter la vision qu'on avait de son personnage. Or nul n'était dupe de l'image inoffensive et gentille qu'elle agitait encore dans le vide. Des strophes de louanges peu utiles, avec des détails un peu plus intrigants. Rainbow ne les remarquèrent jamais, dédaignant des pages entières.
Elle remarqua que les ratures recommençaient à proliférer et que cela commençait à devenir n'importe quoi sur la forme : des strophes de cinq à sept vers, des mots qui ne rimaient même pas... des majuscules partout, des mots tracés brutalement. Et cette écriture qui la stressait vraiment, la raison s'échappant à chaque fois que la jument tentait d'y penser.
La succession de compliments laissa place à une succession de meurtres, de tortures de la même rengaine que la précédente. Tenant à elle-même, Rainbow survola la majorité. Des mots n'échappèrent pas à ses yeux aiguisées, la faisant crisper et grincer des dents.
En plus de faits qu'elle aurait préféré ne pas connaître, la vraisemblance inexistante allait de mal en pis. Cela av ait le mérite d'aller au plus profond de l'absurdité quand il faudrait sérieusement arrêter de créer une telle chose.
Elle n'avait jamais compris les bouquins faits pour "dénoncer" quelque chose. Pour un elle, un livre n'était qu'une pile de feuilles reliées. Ici, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser "Mais pourquoi ? Où est-ce que tu veux en venir ? Pourquoi as-tu pris le temps d'écrire un truc pareil ?"
###### ##### ## Irazure avait-elle raison ?
Non
Oh ! Par Célestia ! Quelque chose de raisonnable !
La suite fut moins ardente qu'elle devint incompréhensible. Rainbow pouvait au moins relire sans crainte de dégoût, car toutes ces métaphores, métonymies et périphrases obscures lui échappaient. La lecture en devenait ennuyeuse.
Houloux sans courroux tracé dans l'air
Tantôt de padoue tantôt de vair
Vain croquis de flammes
Dans la brise brisée brume fade
Bise peu propice à la balade
La dernière page était probablement la plus mystérieuse. Les phrases, peu en rapport avec l'intrigue ensanglantée, n'étaient pas que des mots jetés au hasard. Contrairement à la cacophonie visuelle très aléatoire précédente.
Irazure trahie par son cœur
Par l'espoir qui était comme sœur
Espoir d'un paradis de blancheur
Paradis sa maison de bonheur
Et alors que la foudre s'abat
Une dernière fois
Illuminant le ciel azuré d'une ultime esquisse
La forêt centenaire malmenée par le mistral irisé
Prend feu
Les feuilles sont réduites à de la cendre
Emportée par le vent
Un bleu firmament et un sol noir
Ont succédé aux douloureuses flammes
Il ne reste plus qu'un peu de pluie
Un peu de pluie
Un peu de pluie
.
C'était fini.
Ordinairement, lorsqu'elle avait fini un livre, Rainbow s'exclamait "Extra ! Génial ! Mieux que ce que j'attendais !" avec enthousiasme. Au pire, elle était légèrement déçue de la fin. Quand elle arrivait au bout de la dernière phrase, cela voulait dire qu'à aucun moment elle n'avait reposé le livre parce qu'elle s'ennuyait, qu'elle trouvait le moment un peu guimauve, sauf exception. La pégase était très exigeante dans ses lectures.
Elle n'avait pas aimé le seul long roman à la fin tragique qu'elle avait lue en entier. En louant certes son génie, elle s'était énervée et avait eu l'impression qu'on s'était joué d'elle. Elle avait détesté voir les personnages qu'elle appréciait souffrir.
Quand à la fameuse conclusion douce-amère, où les protagonistes avaient gagné mais ne pleuraient pas que de joie, elle ne l'avait jamais croisée.
Ce petit carnet rose... elle ne savait réellement pas comment le juger.
Elle était totalement répugnée par ce qui s'était passé dedans, ces descriptions lugubres, et confuse par le caractère trop bizarre et excentrique de cette sorte de poème macabre.
En général, elle ne réfléchissait pas trop à l'auteur à moins qu'elle connût celui-ci en personne. Elle avait rencontré Pen, et l'idée que cette dernière avait seulement envisagé cette horreur l'effrayait. L'écrivaine n'était clairement pas une jument très nette.
C'était évident. Mais l'étrangeté qu'elle dégageait était d'un ordre différent. Plus loufoque que malade, elle ne paraissait pas si malsaine, si malveillante. Pen avait de terribles colères, sans être sadique. Elle serait incapable d'exécuter ces tortures. ... N'est-ce-pas ?
Alors pourquoi ?
Rainbow décida de penser. Déjà, quelle fut la raison pour que quelqu'un écrivît ? En général, il rédigeait ce qu'il aimait. Elle aimait les aventures, donc quand elle le devait elle décrivait des aventures. Logique. Il fallait l'admettre, elle avait tendance à légèrement exagérer dans l'action, en particulier pour l'auto-glorification. Mais Pen ? Son dada serait-il les massacres en étant une jument respectable ?
Impossible de le croire.
Pas après avoir lu.
Et puis ? Pen n'avait-elle pas dit qu'elle adorait surtout les leçons d'amitié ?
Dans le meilleur des cas, elle avait voulu tenter d'écrire l'opposé de ce qu'elle appréciait, en mettant du sang partout. Cependant, cela restait une "fausse" explication pour la pégase, ayant du mal à croire qu'on pût rédiger cela avec flegme. Quoique... en feuilletant quelques pages, cela n'avait pas été entièrement le cas, ou c'était juste Pen.
Et puis il y a probablement des centaines d'univers sur ce schéma là. Les mots de Pen, en parlant des dimensions sanglantes revinrent avec violence. Rainbow se rappelait douloureusement de cette dispute. Elle n'avait jamais vu la jument si froide et insensible, se comportant comme si c'était normal.
Ce fut alors qu'elle "comprit". Il y avait plusieurs univers atroces que Pen avait sûrement vus, sans lever le sabot à cause de son stupide code. Même si on admettait qu'elle fût choquée au début, la répétition, la routine avait aliéné cette horreur en banalité naturelle. Rainbow n'était pas trop convaincue de cette explication. Elle admettait mal l'idée qu'on pouvait changer d'opinion drastiquement sur un sujet aussi sérieux, même après avoir vu des dizaines, des centaines de fois la même chose.
Cependant, cette interprétation avait au moins le mérite de justifier – un peu – l'existence du petit carnet rose.
La pégase continuait de jouer avec les pages distraitement, cherchant autre éclaircissement qui lui paraissait plus juste moralement.
Lorsque son visage blêmit, ses yeux s'écarquillèrent et sa bouche s'ouvrit. Des sueurs froides coulaient au long de sa colonne vertébrale. Ses ailes tendues se dressèrent de son corps paralysé. Toute son attention était centrée sur la relecture du texte, en particulier des pages "carnage" vers la fin. Plutôt, elle regardait l'écriture.
Elle ressemblait trait pour trait à la sienne.
Dès qu'elle le comprit, ce fut comme si des engrenages s'actionnaient à toute vitesse dans sa tête. Pourquoi elle se sentait si mal à l'aise, sans en avoir la raison qui paraissait désormais évidente. Qui d'autre ne serait pas terrifié de lire des infamies qui semblaient avoir été écrits par soi ?
Et surtout, que se passerait t-il si quelqu'un d'autre le lisait ?
Pas n'importe qui, ses amies. Elle pouvait presque les voir horrifiées, la regardant d'un tout autre œil, alors qu'elle gémissait que ce n'était pas elle qui l'avait écrit. La vérité elle-même était trop incroyable pour être crue. Pas de doute, qu'importe les circonstances, avoir ce carnet avec elle n'allait que lui amener du tort. Sa situation risquait de s'empirer.
La solution serait d'en débarrasser.
Elle était à la lisière de la forêt Everfree. Cela ne serait pas trop dur de le faire. Par exemple elle pouvait le lancer vers la gueule d'un monstre, l'enterrer le plus profondément possible dans les bois. Elle pouvait aussi le déchiqueter en minuscules pièces, le brûler. Le papier avait un nombre gigantesque d'ennemis.
Hélas, quoiqu'elle imaginait, quelque chose... la bloquait.
Comme si le calepin avait une propriété magique qui rendait inconcevable l'idée de le détruire. Mouiller les feuilles pour que l'écriture disparût, sécher le tout pour avoir un carnet vierge paraissait également inacceptable. De même que simplement le laisser sur le sol ou faire mine de le lancer. Rainbow tenait malgré elle à conserver cette horrible histoire, probablement à cause d'un sortilège.
Que c'était affreux ! Tant qu'elle avait ce document, hors de question de rentrer. Mais il lui fallait revoir ses proches, et impossible de se libérer du carnet. C'était un sentiment qui lui tordait le ventre, comme si un lien s'était créé à son insu dès qu'elle l'avait ouvert. Elle détestait cela.
...
Pen était là.
Cette impression, irrationnelle, s'imposa soudainement en elle comme une évidence. La pégase eut beau se dire que c'était stupide de le croire tout à coup, mais ce fut comme si elle venait de voir l'écrivaine. De plus elle savait sa position comme si elle y était elle-même. Pen était là.
Elle allait bientôt venir.
***
Pen avait arrêté de procrastiner. Autant c'était douloureux de l'admettre, autant elle était en tort. Si ce fut la seule raison, elle aurait poursuivi son errance parmi les univers, elle aurait oublié de s'excuser, ce qui n'aurait pas été grave. Elle maintenait que Rainbow avait fait l'erreur d'insister sur un voyage et que c'était à elle d'assumer.
Mais son lien avec le carnet la tiraillait impitoyablement vers lui. Elle ne se rendait jamais compte de sa présence, ne voyait sa couverture rose que lorsqu'elle refaisait ses stocks de cartouche d'encre. Le manque au contraire assaillait ses pensées chaque seconde. Cela finit par être impossible d'écrire lorsqu'elle s'arrêtait devant une scène intéressante..
Cela lui prit un peu de temps de localiser l'univers. C'était comme tourner des centaines de pages à l'affût d'un détail invisible à l'œil nu. En effet, si ceux qui avaient regardé dans ses yeux pouvaient la traquer dès qu'elle pénétrait leur dimension, l'inverse était impossible. C'était incommode et sans raison. Elle ne savait pas pourquoi ses yeux faisaient cela.
Finalement, elle la trouva, qui regardait le carnet.
Ce ne fut pas sans effort. Elle ne l'avait pas vue immédiatement après être sortie de la tache. Elle avait dû fouiller partout jusqu'à la trouver, comme à chaque univers où elle passait, sentant ou non une variation obscure des lois indiscernables du multivers.
Elle se laissa tomber vers la destination, étendant seulement ses ailes pour amortir la chute, adoucie de plus par un tas de feuilles sèches craquantes au sol. L'arrivée n'était guère discrète. Rainbow, qui était dans une profonde réflexion, tourna la tête. Elle paraissait tantôt stupéfaite, tantôt peu étonnée. Elle s'était sûrement surprise à avoir pu prédire sa venue.
Pen ne perdit pas son temps.
"BonjourRainbowjesuisvenueprésentermesexcusescarvoilàjemesuiscomportéemalettouttuascompris. Et maintenant, peux-tu me rendre mon carnet ?"
L'autre jument ne comprit pas la première partie. Elle n'en tint pas compte et lança l'objet avec ravissement, le lien semblait s'être rompu au passage. Pen la rattrapa de ses deux sabots, et le tint avec de la joie dans ses yeux, comme si cela faisait des décennies qu'elle ne l'avait pas vue. Maintenant qu'elle s'était excusée et qu'elle avait ce carnet, elle pouvait rentrer !
Son impression de vide se dissipa au contact du calepin. Elle alla jusqu'à faire une embrassade à cet objet, comme un ami très cher qu'elle avait perdu de vue. Rainbow la regardait manifester ces gestes d'affection avec un certain dégoût.
"Tu as dit que tu ne l'as jamais relue ?"
Elle était tentée de fausser compagnie à la pégase, mais un minimum de courtoisie ne ferait pas de mal. Elle ne ferait que répondre à ses questions.
"Non, je ne me souviens plus de son contenu. Je ne l'ai jamais achevé en tout cas.
- ..."
Rainbow était à nouveau plongée dans ses pensées.
"Donc je suppose que maintenant tu vas continuer à explorer les univers, et moi je vais mener ma vie. Je vais revoir mes amies, leur dire des mensonges. Tout le monde sera content.
- ... Rainbow... ? Qu'il y a t-il ?" demanda Pen soupçonneuse.
La pégase elle-même ne le savait pas. Elle se montrait mécontente alors qu'elle n'avait plus de raison de l'être. Et vu ce qu'elle avait pu imaginer, passer encore quelque temps avec Pen n'était pas la meilleure chose à faire... Mais... en voyant cette jument qui ne paraissait pas méchante, agaçante parfois mais pas diabolique, ses doutes fondaient.
Comment sa double, aux yeux étranges et à l'accoutrement pas plus banal, aurait pu écrire cette horreur ? Elle avait du mal à le croire, et commença même à douter qu'elle en fût réellement l'auteure.
Le soleil brillait, elle n'avait plus le carnet, elle allait recommencer sa vie et faire attention à ne plus négliger ses proches. Et trouver son rêve. Cette partie était la plus gênante. Elle ne savait pas du tout comment l'exécuter.
... Elle eut alors une idée, plutôt une réalisation.
"Pen, je pourrais continuer de voyager avec toi ?"
Cette demande était si déplacée, si audacieuse qu'elle laissa la voyageuse bouche-bée.
"Je sais que je me suis mal comportée. Mais je promets que cette fois-ci, je serai sage." supplia Rainbow comme une pouliche qui avait fait une bêtise.
Et quelle grosse bêtise, que Pen ne pardonnerait pas. Rainbow faisait des yeux de chiots, peu convaincants pour une jument qui avait pu voir de l'adorable des centaines de fois. La fin logique de la discussion serait qu'elle refusât d'un bloc, la laissant toute seule, bête d'avoir fait une proposition stupidement irréalisable.
L'écrivaine soupira. Rainbow voulait encore l'importuner. C'est-à-dire faire toutes sortes de sottises, bouleverser l'ordre naturel des univers qu'elles visiteraient. Et discuter, discuter avec elle pour la convaincre de la garder un peu plus longtemps. Surtout discuter. L'empêcher de devoir choisir des poneys de confiance à qui parler pour remplir ses besoins sociaux, lorsqu'elle n'était pas d'humeur à côtoyer ses deux seules amies.
...
Tu as l'air de beaucoup l'aimer !
Juste pour cette fois, elle admit que sa meilleure amie n'avait pas totalement tort. Plutôt, elle aimait la discussion , et pas particulièrement sa double (pour ne pas vulgairement dire générateur de discussion portable). Tout simplement car elle aurait très bien pu être remplacée par n'importe quel autre. Traversant les univers alternatifs, elle avait plus que conscience des "autres moi".
La seule particularité de cette Rainbow était de la connaître. Sinon elle n'avait rien de spécial. Rien qui ne la différenciait des autres univers.
En voyant Spark, on pouvait dire que cette singularité ne tenait pas à grand chose, mais Spark était Spark. Et puis elle choisissait ses amies comme elle le voulait.
"Bon... donne-moi une raison de t'emmener encore. Une seule, mais une bonne." soupira t-elle en tournant la tête, comme exaspérée.
En réalité, elle avait déjà pris sa décision, mais elle ne voulait pas paraître trop facile à céder rapidement. Elle-même n'aimait pas cette image et se mentait en disant que Rainbow devrait réellement mériter cet autre ticket pour le multivers.
"... parce que c'est ma destinée ?" proposa lamentablement la jument.
Seul son ton était pathétique. Pen sursauta, pour de vrai. Elle ne s'y était pas attendue.
"Comment ?
- Et bien, peut-être que c'est mon histoire ? D'un jour rencontré une double qui peut aller dans des univers alternatifs et de l'accompagner dans son aventure !
- Écoute Rainbow, dit sérieusement Pen. Si le destin te prévoit une péripétie à travers les dimensions. Ce ne serait certainement pas avec moi. Je ne fais que regarder la vie d'autres poneys qui vivent leur récit."
Pour une bonne raison. Cette raison qu'elle ne pensait jamais. Elle savait qu'elle ne devait pas se prendre au sérieux, de faire comme si elle allait vivre ce petit quelque chose que connaissaient ceux qui avaient leur univers. A la rigueur, elle ne le pouvait le faire qu'à ces occasions pas vraiment joyeux.
"Raison de plus ! insista Rainbow. C'est l'histoire d'un être qui peut voyager à travers les univers et qui regarde ce que leurs habitants vivent. Un jour il rencontre sans faire exprès un des leurs, qui a tendance à agir avant de réfléchir, et... !
- C'est bon, c'est bon. Le méta me fait mal à la tête. Tu m'as convaincue."
Ce n'était pas le cas, mais le choix avait été fait depuis longtemps.
"Pen, pourquoi j'ai pu savoir que tu venais ? demanda Rainbow qui y repensait.
- Ceux qui ont regardé mes yeux peuvent savoir où je suis dès que j'arrive dans leur univers, répondit distraitement la pégase avant de maugréer. Tu aurais pu me chercher.
- ... Ce n'est pas très pratique. Pourquoi ?
- Figure-toi que ça m'embête beaucoup ! Et je ne sais même pas d'où ça vient."
L'écrivaine tira une gerbe d'encre vers le haut. La flaque s'étendit sans goutter sur le feuillage versatile, comme elle l'aurait fait sur un plafond bien dur. Elle avait mis par inadvertance un peu plus d'encre que d'habitude, mais cela ne changeait rien, elle le croyait.
"Oh ! Je dois faire un dernier truc ! s'exclama brutalement Rainbow.
- Tu n'aurais pas pu le faire plus tôt ? gronda furieusement la voyageuse.
- Ne t'inquiète pas... Ça ne prendra que dix secondes chrono."
***
Twilight Sparkle n'avait pas dormi de la nuit. Elle somnolait toute seule au-dessus de ses fiches. Ses obligations étaient trop ancrées en elle pour profiter de cette phase de demi-repos, mais elle était trop fatiguée pour travailler correctement.
Être professeure dans l'école des licornes surdouées ne voulait pas dire seulement enseigner aux jeunes générations prometteuses (et jouir d'une certaine réputation). En réalité chaque classe ne l'avait que deux – maximum trois – heures par semaine. Et le reste du temps elle faisait de la recherche. Elle avait de la chance : elle aimait faire les deux.
Mais la Princesse Célestia ne lui demandait pas de simples thèses sur de quelconques propriétés mathématiques. Elle se montrait justement exigeante, cernant le haut potentiel de son ancien élève. Elle lui demandait d'étudier la magie, plus précisément des sortilèges de haut niveau. Elle n'avait pas la cruauté de lui demander d'en créer un, mais la licorne était souvent amenée à traîner dans les rayons secrets de la bibliothèque, garnis de parchemins enchantés pas très légaux.
Elle devait rendre des rapports à des dates régulières à la princesse. Cette dernière se contenterait largement d'un "Nous n'avons fait aucune avancée" (Twilight travaillait souvent toute seule, mais elle utilisait la première personne du pluriel pour paraître sérieuse). Or la professeure tenait à chaque fois à communiquer une nouvelle trouvaille. Elle ne s'accordait pas de jour de répit.
Même lorsqu'elle n'était arrivée à Ponyville seulement la veille, alors qu'il faisait nuit noire. C'était à l'origine pour parler personnellement Rainbow Dash. Quelle angoisse avait-elle eu en apprenant que cela faisait deux jours qu'elle avait disparu. Si elle s'était écoutée, elle serait immédiatement partie à sa recherche. Mais ses amies et Spike avaient été plus sages et avaient montré qu'elle n'avait aucune raison de paniquer.
Elle s'était rendue chez Zecora à l'aube pour parler de ses craintes. Un conseil évasif de Fluttershy qui mystérieusement semblait être très gênée. Twilight lui aurait demandé ce qui n'allait pas si Applejack ne lui avait pas lancé ce regard noir. Rainbow allait bien, elle était partie, mais reviendrait sans aucun doute.
"Twilight !"
La jument souleva d'un coup sa tête fatiguée. Elle plissa ses yeux cernés à cause de la lumière intérieure qui paraissait plus vive que d'habitude. Enlevant sa salive dégoulinante d'un sabot, elle comprit qu'elle faillit s'endormir. Spike l'avait sortie de sa torpeur.
Épuisée, elle dictait ses mots à Spike. Elle le faisait habituellement seule, mais vu l'état où elle était, elle n'aurait pas été soignée dans l'écriture. Le dragon, ne pouvant plus être exactement appelé bébé, était devenu un adolescent mature. Il avait grandi au point de la dépasser en hauteur et avait maigri. Toutefois, il s'était gardé de l'avarice caractéristique de son espèce et avait conservé sa personnalité enjouée d'enfant.
"Oh, Spike désolée... souffla la jument d'une voix légèrement pâteuse. Où est-ce que j'en étais ? Ah oui. Cette pierre a des propriétés particulières. Comme nous l'avons découvert précédemment, il a eut une réaction étrange lorsqu'on a versé deux millilitres d'eau à sa surface. Mais il est resté intact au contact d'une étincelle d'origine non magique."
Elle continua avant de remarquer que son assistant ne prenait plus en note ce qu'elle disait et que le manuscrit avait été posé sur une commode.
"Spike. Qu'il y a t-il ?
- Twilight... franchement tu devrais aller dormir un peu, tu n'es pas en forme.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça voyons ? interrogea la licorne avec un sourire forcé. Je me sens parfaitement bien.
- ... J'ai parfaitement compris ce que tu as dit. Tes recherches sont toujours illisibles pour ceux qui ne sont pas scientifiques."
Twilight ne put réprimer un bâillement, donnant raison à son ami. Elle devait étudier une mystérieuse pierre rose pâle – à peine enterrée - trouvée dans une forêt par des civils. Cette sorte de matière peu comparable aux minéraux dégageait des radiations magiques importantes, excluant toute manipulation par ses pouvoirs de licorne à cause des risques. C'était un véritable casse-tête pour elle, ce qui n'avait pas vraiment aidé pour son anxiété générale.
Évidemment, elle n'avait pas emmenée un objet si dangereux avec elle. Mais elle avait retenu les données de ses expériences. Néanmoins, ce serait si terrible si elle se trompait à cause de la fatigue et qu'elle inscrivait des informations erronées.
Sans compter qu'elle avait autre chose à faire. Passer du temps avec ses amies : Applejack, Fluttershy, Pinkie à qui elle avait demandé de reporter sa fête de rebienvenue à plus tard, et Rainbow, elle l'espérait...
Elle avait aussi de la paperasse à remplir. Des documents qui justifiaient un nouveau séjour dans le Golden Oak alors que celui-ci était redevenu publique. Faisant peu honneur à sa méticulosité habituelle, elle avait organisé son voyage dans la précipitation. Elle n'avait pas pris le temps de régler tous les papiers. Rien que d'y penser lui donnait des maux de tête.
"... Tu as raison Spike, une petite sieste ne me fera pas de mal..."
Elle se leva enfin du tabouret auquel elle s'était assise pendant elle ne savait combien d'heures. Elle éteignit la lampe et monta les escaliers qui menaient vers son lit à l'étage.
Soudain un son de tonnerre résonna et pénétra la pièce.
Twilight se pétrifia, les oreilles et la queue dressées vers le haut. Elle resta ainsi pendant un bout de temps. Elle se précipita ensuite vers la fenêtre ouverte.
Le ciel était clair et il n'y avait trace d'aucun nuage.
Spike, qui l'avait suivie, pointa de sa griffe un point au dessus de la forêt Everfree. Quelque chose que Twilight n'aurait pas cru voir.
Un cercle prismatique s'étendait sur la voûte céleste. Ses couleur chatoyantes embaumaient les cieux. Elle aperçut une fine traînée multicolore, qui descendait vers les bois, derrière quelques arbres.
Oubliant sa torpeur, sa fatigue, elle se téléporta avec le dragon devant la forêt. Sans attendre que son ami dît quelque chose, elle galopa vers le lieu qu'indiquait encore l'arc-en-ciel, ou plutôt longea jusqu'à y parvenir.. Celui-ci n'était pas enfoncé au cœur de la forêt.
Mais arrivée à destination, elle ne trouva personne. En levant la tête, elle vit de l'encre sur le feuillage d'un arbre. Elle la prit pour une quelconque boue spéciale d'Everfree. Elle ne pensait pas à cela, plus préoccupée par les lumières prismatiques qui s'évanouissaient dans l'air.
Rainbow lui avait fait un signe.
***
Cela faisait longtemps que la pégase n'avait pas accomplit le légendaire Sonic Rainboom. Pour une raison obscure, elle ne le faisait pas souvent. Néanmoins, des années de pratique, régulière ou non, l'avait aidée à maîtriser sa technique.
En prenant son essor dans le ciel, elle voulait au moins montrer à ses amies qu'elle était encore là, qu'elle reviendrait bientôt. Mais elle avait peur que Pen ne changeât brusquement d'avis et ne partît seule. Donc elle avait décidé de ne pas lui laisser de choix.
Elle n'avait pas hésité une seconde à foncer vers le sol à toute allure, malgré le danger. Elle aurait pu se tuer stupidement sur le coup. Mais elle pouvait se déplacer à sa guise, même à une vitesse folle. Jusqu'à maintenant elle n'avait pas trouvé de véritable utilité à cette capacité. Se vanter avec était le geste le plus idiot qu'elle aurait fait.
Elle pouvait voir Pen en train de scruter le portail, se demandant si finalement elle devait la laisser ou pas. Prestement, la pégase remonta avant de toucher le sol et traça une courbe vers le portail. Elle saisit au passage le foulard de Pen.
"Hé mais Rainbow ?! Lâche-moi tout de suite !"
L'écrivaine se serait sûrement dégagée rapidement si elle n'était pas légèrement plus lente que sa double. Sentant l'encre poisseuse sur son pelage, elle ne put que se fier à son instinct et imaginer de dernière seconde un univers qui leur serait favorable. Pas le temps de penser à une destination précise.
***
Princesse Luna était tranquillement assise parmi les coussins gris de son salon aux teintes outremers. Un immense lustre de cristal irradiait l'espace d'une lumière bleu clair. Il était ancré au centre d'un disque de verre dans le plafond, laissant la princesse voir le firmament nocturne
Auprès d'elle se trouvait Fenrir, un Phantix de compagnie. Les Phantix étaient le spectre de phénix morts tragiquement. Ils ressemblaient à ces beaux oiseaux majestueux, mais de couleur turquoise avec des yeux d'argent.
Ils étaient plus rares et habitaient dans les pôles les plus glacials. Sans être totalement inoffensifs, leur corps étaient très fragiles, et avaient tendance à s'évaporer dans l'air si on les frappait trop brutalement, ou s'ils étaient confrontés à une température trop haute.
Fenrir s'était bien adapté au climat tempéré d'Equestria, et dormait sur son perchoir tranquillement, la tête sous son aile bleutée.
Princesse Luna écrivait un message à sa chère élève Trixie avec une plume de son oiseau. L'ambiance était calme et la lueur des étoiles brillait à travers la vitre. La jument était parfaitement détendue, plongeant de temps à autre la plume dans un petit pot d'encre ébène.
Une douce quiétude en cette nuit tranquille.
Malheureusement, le silence ne dura pas.
Le récipient en verre se renversa, déversant tout son contenu sur le tapis mauve. Princesse Luna se mit debout par réflexe et lâcha sa plume, car elle n'avait nullement touché le pot.
La tache noire redoubla d'épaisseur. Soudain il se troubla - si ce terme pouvait bien être utilisé - et deux formes commencèrent à y sortir, comme des poneys qui remontaient d'un lac. L'alicorne suivait la scène des yeux écarquillés, sans intervenir. Même si elle se montrait toujours prudente, elle ne put empêcher cette étrange chaleur mêlée de crainte pénétrer dans son cœur.
A travers les clapotis, deux formes émergèrent. La première ressemblait à cette jument qui tantôt l'effrayait tantôt la fascinait. Mais ce n'était pas elle. La seconde...
"Pen."
Sa voix, grave et majestueuse, résonnait dans cette pièce isolée. L'écrivaine, qui semblait se noyer dans sa propre encre, arrêta de se débattre et leva la tête, ravie que, parmi tous les univers, elle tombât heureusement sur un poney qui la connaissait.
L'alicorne l'avait vue plusieurs fois, et contrairement à celle-ci elle ne l'oubliait pas à chaque visite. Elle l'accueillait souvent pour un phénomène pareil, si bien qu'elle avait fini par trop en savoir sur cet être à l'apparence d'une pégase souriante.
"Howdy Luna."
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