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Les jours heureux

Une fiction écrite par Vuld.

Derrière l'horizon.

Elle avait toujours su où ses efforts devaient la mener. Où était sa place, quelle rôle elle avait à jouer. Quelle était sa destinée.

Et elle se sentait inutile.

Impuissante, vaincue et brisée, chaque fois qu'elle y pensait la licorne se sentait monter une rage nouvelle, mais son corps portait encore les traces de toutes ses tentatives. La cage de verre refusait de céder. Le verre épais, derrière sa blancheur presque solide, ne laissait filtrer que les ombres du rideau dans lequel le changelin l'avait empaquetée. Y penser lui mordait le coeur plus fermement encore que la pensée de ses amies, ce qui pour elle était une autre source d'effroi. À nouveau elle se leva, à nouveau elle marcha contre le verre, s'y frappa la tête et ses pattes épuisées en frottèrent seulement la surface.

Le rideau en paquet étouffait tout, mais même si elle avait pu crier, elle aurait échangé un changelin contre un autre. La jeune licorne avait espéré voir repasser la vache, puis s'était traitée d'imbécile. Elle contemplait à présent cet infime reflet d'elle-même dans la blancheur, qui la regardait tristement sans savoir ce qu'il y avait encore à tenter. D'un petit geste las, elle lui sourit et la salua, la regarda sourire et saluer.

Au travers du monde obscurci elle ne pouvait ni entendre ni sentir les cahots du train. Le temps en semblait figé. Tant mieux, se dit-elle. Le monde n'avait plus rien à offrir.

« J'avais une vie... j'avais un rêve... j'avais des amies, j'étais une élève… Tout cela maintenant qu'est-ce qu'il en reste ? »

Son reflet murmurait tristement avec elle.

« Je passais mes journées avec elles sans fin, aux étoiles nées j'étudiais le confin, tout ça finalement le destin le déteste ? Quel crime ai-je enfreint, quelle erreur ai-je faite, et quel sort à la fin réserve ma défaite ? Est-ce réellement un châtiment céleste ? Où est la princesse pour protéger nos terres ? Où est la noblesse, la garde salutaire ? Ou je suis la dernière, et ceci est ma geste ? Une jument persiste, il faut garder espoir et qui peut bien savoir si une autre résiste. Autour de moi pourtant tout et plus le conteste. Je veux croire… »

Même en perçant l'épaisseur blanchâtre de la sphère, au-delà des couches de tissu épais et de la sacoche, il n'y avait que le flou indistinct, ombragé du wagon vide. Elle fit tomber son sort l'instant d'après, dégoûtée à l'idée que le changelin le perçoive.

Il n'y avait plus rien à faire. Plus rien à faire.

« Je veux croire… » Souffla-t-elle en fermant les yeux.

Quand elle les rouvrit, ce fut sous un martèlement furieux.

D'abord elle n'y répondit pas, parce que cela venait du monde extérieur, et Twilight Sparkle ne voulait plus y avoir affaire. Ce ne pouvait être que cette maudite créature qui voulait lui soutirer un peu d'amour. Ou alors ce pouvait être une jument venue la sauver. Puis une pensée vint tout balayer : qu'est-ce qu'elle avait à perdre.

Le monde réapparut nettement autour d'elle et, à son plus grand déplaisir, le changelin dans son apparence de citadine la serrait contre lui. À son plus grand plaisir, il semblait effrayé.

« Quoi ?! » Lui lança-t-elle.

« Le train est attaqué ! »

Elle ne comprit pas tout de suite. À présent que la réalité avait repris ses droits, elle put percevoir le grondement des rails, le bois grinçant et dehors le défilement des plaines recouvertes par une herbe jaunie et brûlée, piquetée de grands arbres tordus, d'arbustes et de buissons morts. Au loin les formations rocheuses avaient toujours la rougeur brûlante du désert, mais offraient quand même, partout où la pierre ne s'était pas imposée, la même végétation improbable.

Tout cela fut interrompu par un choc brutal qui avait secoué tout le train, venu des wagons plus avant. Il y eut d'autres éclats de voix venant de la porte fermée, panique des passagères par-dessus les ordres du garde. Puis, par les fenêtres, Twilight les vit enfin. Deux bisons qui galopaient, lentement distancés par le train, qui s'approchèrent pour frapper de l'épaule la voiture et faire glapir le changelin.

Les bisons.

Et ils attaquaient les changelins.

« Tu dois nous aider ! » Supplia l'insecte équestre.

Twilight se détourna de lui et se mit à hurler : « Eh ! Par ici ! Il y a une jument en détresse ! »

« Qu'est-ce que tu fais ?! » Paniqua son geôlier.

« Qu'est-ce que tu crois ? Je m'évade ! » Et, plus fort encore : « Au secours ! »

Le rideau vint s'enrouler autour de sa sphère pour la faire taire, jusqu'à étouffer presque complètement ses cris que la sacoche renferma à son tour. Sa corne luisit, le sort de vision lui projeta difficilement le wagon où le garde avait surgi, le temps de demander ce qui se passait, puis de presser la changeline de les rejoindre à l'avant. Les sacoches dans sa gueule, cette dernière obtempéra.

Tous les autres s'étaient réunis dans le wagon juste avant la locomotive, dont la carrure métallique était visible par la petite fenêtre de la portière même depuis le plancher où Twilight atterrit. La changeline se plaqua à son tour contre la paroi en serrant les sacoches contre elle tandis que le garde vérifiait une dernière fois que personne ne manquait.

« … restez calmes… » parvint-elle difficilement à atteindre.

« Pourquoi ils… » dit une autre passagère, et le reste fut trop indistinct.

Un nouveau choc fit sursauter toute la troupe, et seule la présence calme du garde leur évita de perdre la tête. Ce même calme au contraire rendait Twilight nerveuse. Elle avait vu quelle machine se trouvait à l'avant : un monstre à trois cheminées, sans doute bien plus puissant que tout ce qu'elle avait connu. Les bisons ne pourraient peut-être pas rivaliser.

Comme pour lui répondre, le sifflet se mit à retentir à l'avant. Tout autour du wagon les passagères devaient pouvoir entendre le galop écrasant des bovins dont Twilight ne percevait qu'un faible tremblement.

Le garde se précipita par la porte menant à la locomotive, seulement pour reculer face au bison qui y apparut. « Plus personne ne bouge ! » Beugla-t-il, juste avant que les motrices ne se bloquent et que les freins ne déchirent l'air de leur son strident. Dans la bousculade, le bison se retrouva sur le ventre, sabots tendus, et le garde passa à côté de lui pour disparaître par la porte avant. Le freinage cessa et un contrecoup indiqua au contraire qu'ils reprenaient de la vitesse.

« Non ! Relève-toi ! » Supplia Twilight pour l'assaillant affalé.

Ce dernier se secoua, se releva enfin et regarda autour de lui les passagères qui n'avaient pas bougé. Il se retourna vers la porte et reçut un second bison dans le visage, son compagnon ayant culbuté droit dans le wagon pour y finir sur le dos. Les changelins ne purent s'empêcher de lancer un cri de joie à cette vue, et Twilight un gémissement.

Peu après, le sifflet se remit à retentit et les freins à hurler pour arrêter la masse de la locomotive plus que les wagons eux-mêmes.

Quand le train fut tout à fait arrêté, les deux bisons remis de leur malheur se mirent à beugler : « Descendez ! Allez ! » Et les passagères, la tête basse, obéirent sans discuter. Twilight se sentit soulevée, regarda le changelin enfiler les sacoches puis, rapidement, sous le regard noir des bisons, se précipiter avec les autres par la portière extérieure.

Dehors, une vingtaine de bovins entouraient l'équipage du train, dont le garde toujours cuirassé et libre qui attendait déjà, assis et résigné. Twilight avait du mal à tout distinguer à travers l'épaisseur du rideau enroulé mais elle saisit quand même la vache, dans sa tenue de conductrice, en train de discuter avec un bison incrédule.

« Assis ! Assis ! » Beugla le bovin le plus proche en défilant devant ses prisonnières. « Pas d'illusions ! Reprenez votre vraie apparence ! »

Une à une dans le désordre les changelines obéirent, garde compris, et il n'y eut plus qu'une troupe d'insectes. Le bovidé les toisa durement, puis se détourna pour discuter avec les autres. Twilight ne parvint pas à entendre ce qu'ils disaient.

Quand il revint, il lança : « Vous allez tous venir avec nous ! »

« … les partir... » Cria le garde.

« Tout le monde ! » Répéta le bison avec force.

Un autre approcha avec de la corde en bouche, et tous deux discutèrent un moment avant qu'ils ne hochent la tête. Les changelins se virent attachés un à un par le cou, assez lâchement, jusqu'à former une file indienne. Ce n'était pas vraiment contraignant, se dit Twilight, mais le simple nombre de bisons suffisait à garder les changelins en respect.

Elle se retourna ensuite, tandis que la petite troupe se mettait en marche, pour voir les bovidés se presser tout le long du train et se mettre à pousser. Les wagons tombèrent les premiers, puis avec plus d'efforts la lourde locomotive bascula à son tour dans un vacarme qui atteignit la jument jusque dans sa prison de verre.

« Eh ! Eh je suis là ! » Cria-t-elle, mais même Buzzy, même le changelin qui la portait ne semblait pas l'entendre.

Quand ils eurent fini de triompher sur le train renversé, les bisons ordonnèrent le départ. Twilight tenta encore de se faire entendre, puis baissa la tête et les oreilles. Ni sa voix ni son éclat de magie ne perçaient jusqu'à eux. Elle remarqua, tandis que la colonne prenait la route, la vache restée près de la locomotive d'acier, l'air perdue, qui se mit ensuite à les suivre sans conviction.

L'herbe sous les sabots avait quelque chose de craquant, un petit bruit froissé qui, une fois le calme revenu, à mesure du chemin interloqua la jeune jument. C'était une herbe comme brûlée par le soleil mais qui persistait là où aurait dû être un désert de roche. Tout le peu de végétation alentours semblait dépérir sous la chaleur, tirer des ombres malheureuses à leurs petits branchages et ici ou là côtoyaient les seules plantes vraiment à leur place, d'épais cactus en fleurs.

Au final, se dit-elle, ce n'était pas plus étrange que les étoiles insistantes dans le ciel.

Devant et derrière elle les changelins murmuraient, comme si leurs geôliers ne pouvaient pas les entendre, et Twilight n'en entendait que des rumeurs aussi infimes que le bruit des cordes et le souffle des naseaux. L'air lui sembla lourd, les bisons ne parlaient pas. Elle regardait le plus proche d'entre eux, une bisonne au duvet assez clair pour être crème, et qui avait ramené son poil le plus long en deux broches derrière ses oreilles. Il lui semblait que cette guerrière faisait exprès de ne pas regarder la sacoche, et cela la frustrait.

La plaine s'éleva un peu, une crête effaça un temps les rails, puis au loin la locomotive affalée redevint visible, éclat métallique dans la distance, avant de se laisser absorber à nouveau comme un mirage, à l'occasion de rochers aux interstices desquels survivaient des plantes plus vertes, mêlées à la mousse sèche.

Un ordre sec arrêta la troupe, et les bisons ordonnèrent aux changelins de s'asseoir. Buzzy obtempéra et Twilight nota qu'il tirait sa langue fourchue d'épuisement. Soudain, comme si le déclic ne s'était pas fait avant, en voyant deux bisons distribuer un bol d'eau, elle réalisa qu'il faisait chaud. Vraiment chaud. Peut-être même que la carapace des changelins rendait la chose encore pire pour eux.

Avant que la licorne ne se laisse absorber par cette considération, elle vit le changelin juste avant le sien faire la grimace et se mettre à se plaindre. Impossible de comprendre ce qu'il disait, mais le bison lui fit signe de boire et le changelin, un peu effrayé, s'y plia. Quand ce fut le tour de Buzzy, enfin Twilight vit l'aspect de l'eau, d'une couleur vert sale qui la renfrogna. Puis elle songea qu'elle aussi aurait voulu boire. Elle n'avait… rien bu depuis… pourquoi n'avait-elle pas faim ?

La sphère qui l'emprisonnait, lorsqu'elle relâcha quelque peu son sort de vision, ne lui répondit que par sa surface translucide.

Ce fut soudain un malaise pour elle. La jument se sentit trépigner, se mit à inspecter son corps comme s'il s'y était caché quelque bête. Elle n'avait jamais su ce que cela pouvait faire, de ne plus sentir la faim, la soif ou le froid, mais à présent qu'elle le vivait c'était détestable, l'impression d'un manteau invisible jeté sur elle et qui l'aurait fait frissonner presque. La tiédeur de la sphère lui redevint détestable. Sortir. Elle voulait sortir. Elle retourna frapper sur la paroi pour que quelqu'un, dehors, l'entende et la libère.

Dehors, les bisons semblaient se disputer. Elle entendait des bribes disparates, assez fortes pour qu'elle y sente surtout de l'indécision. À l'arrière de la troupe, la vache discutait également, mais plus avec curiosité, et semblait laisser perplexe ceux autour d'elle. Enfin ce fut elle qui sembla l'emporter, et les bisons la quittèrent pour aboyer aux changelins de montrer leurs affaires.

Enfin !

Le tassement du changelin à ses côtés n'aurait pas pu faire plus plaisir à Twilight Sparkle. Elle se remit à trépigner, d'impatience cette fois, tandis que les changelins protestaient, ainsi qu'un ou deux bisons, puis que les rares sacs et sacoches s'ouvrent à la file. Quand ce fut le tour de Buzzy, le changelin eut un mouvement de recul qui lui serra la corde, et les bisons lui firent signe de se tenir tranquille. On lui prit ses sacoches, Twilight se laissa bercer par ce ballotement, puis on ouvrit.

La bisonne qui avait fourré son museau dans la sacoche en ressortit éberluée.

« Y a des lucioles ! »

Un sabot sur le visage, Twilight se répéta d'être patiente.

« Tu fais du marché noir de lucioles ? » Gronda un bison de l'autre côté de Buzzy, qui se fit tout petit.

« Lovely Horns, » s'exaspéra le portrait craché de ce même bison un peu plus loin, en s'approchant, « ça n'existe pas le marché noir de lucioles. »

Les deux bisons se toisèrent, comme prêts à en découdre, puis celui appelé Lovely Horns grogna et se détourna. Pendant ce temps, la bisonne s'était remise à fouiller et avait enfin extrait le rideau avec ses dents, pour découvrir l'orbe de verre et à l'intérieur, une Twilight Sparkle surprise par l'éclat vif du soleil, bien plus fort qu'avec son sort de vision.

« Ah ben ça ! Y a aussi un poney ! »

Toutes les têtes se tournèrent. Puis ce fut la cavalcade, des bisons comme des changelins, pour se presser autour de la sacoche et découvrir de quoi elle parlait. Enfin une bisonne beugla : « Reculez ! Tous ! » Et elle frappa le sol si fort que chacun, après encore une hésitation, suivit son ordre. La bisonne, presque noire de suie et frappée d'un cercle blanc à l'oeil, s'approcha de la sacoche et fit signe à sa compagne de sortir l'orbe. Bientôt Twilight se trouva à l'air libre, entre deux sabots, devant trois dizaines de paires d'yeux incrédules. Plus une paire d'yeux simplement curieux, ceux de la vache restée en arrière et qui semblait la regarder comme on regardait passer les trains.

La jeune jument offrit à tout ce monde un petit salut de la patte. « Bonjour tout le monde. »

La bisonne noire, en réponse, tapota sur le verre, puis recula comme choquée : « C'est impossible ! C'est vraiment un poney ! »

« Tu fais aussi du marché noir de poneys ?! » Enragea Lovely Horns en faisant sursauter Buzzy. Personne ne leur prêta d'attention.

« Comment t'appelles-tu, petit poney ? » Demanda la bisonne noire en s'approchant à nouveau, émerveillée.

« Twilight Sparkle, enchantée de vous rencontrer. J'ai été capturée par ce changelin, là, » dit-elle en désignant Buzzy avec un petit dédain triomphant, « qui voulait me manger à Hexapoda. »

Pas tout à fait exact, se corrigea-t-elle mentalement, mais le sentiment y était. Et puis, pas inexact non plus. Elle obtint l'effet voulu, un souffle d'épouvante chez les bisons et, étonnamment, aussi chez les changelins. La protestation de Buzzy s'étouffa. Tout autour d'elle il y avait des « c'est ignoble », « c'est horrible », des « c'est impossible ». La bisonne noire leva la patte et restaura le calme.

« Je suis Knowitall. Les poneys sont nos amis. Accepterais-tu de rencontrer nos cheffes ? »

« J'en serais très heureuse ! » Se réjouit Twilight. « Et j'aimerais encore vous remercier pour m'avoir sauvée. »

« Est-ce que… » hésita la bisonne crème à côté, « … est-ce que la sphère est normale ? »

« Assez de discussions ! » Intima Knowitall. « La pause est finie ! En route ! »

Il y eut des plaintes, mais bien peu, et toutes les rumeurs qui reprirent, bien audibles désormais pour la licorne, étaient pour cette ponette qu'ils venaient de découvrir. De l'incrédulité, de l'incompréhension, de l'excitation. Les regards ne cessaient de revenir sur elle, sur son orbe que la bisonne crème avait placée sur sa bosse, entre les deux épaules, et qui surplombait ainsi la troupe. À la cordée des captifs, tous semblaient désormais vouloir éviter Buzzy comme la peste.

« Alors tu es un poney ? » Demanda la bisonne crème en levant la tête, sans pouvoir vraiment saisir l'orbe du regard. « Tu es vraiment un poney ? »

« En chair et en os. » Confirma Twilight, amusée.

« Est-ce que ça veut dire que les poneys vont revenir ? »

Un grognement intima à la bisonne de se taire, et Twilight elle-même ne sut pas quoi répondre. La réponse avait eu l'effet d'un coup de sabot. Le rappel douloureux de sa réalité. Ce qu'elle avait pu chasser à nouveau. Elle sentit la tristesse revenir, mais plus faible, à mesure qu'elle se faisait à l'idée. Les bisons disaient la même chose que les changelins.

À son tour Twilight aurait voulu poser mille questions, sur le monde, sur ce qui était arrivé, sur ce désert qui n'en était plus un. Sur ses amies. Mais il s'était créé une distance désarmante pour elle, et à sentir ses pattes soudain tremblantes elle ne se sentit pas prêt à affronter ce monde.

Puis la curiosité la poussa à demander où ils allaient, et elle apprit qu'ils faisaient une grande boucle pour éviter Appleloosa et en gagner le campement bison, sur les hauteurs proches. Twilight n'était plus revenue à Appleloosa depuis ce qui lui sembla une éternité, probablement plus encore qu'elle ne le réalisait vraiment, mais elle se rappela ces fameuses hauteurs d'où les bisons, à l'époque, avaient chargé. Elle s'attendit à visualiser un souvenir qui ne vint pas.

À la place apparurent, au loin, les premières tentes et avec les tentes des bisons comme des points de couleur au loin, mêlés aux arbustes rêches. Le campement était prolifique, pareil à un village, avec des petites tentes hasardeuses autour d'autres plus grandes et élaborées, grimpant même à deux étages, avec leurs tentures décorées de lierres et de fleurs de cactus. Une entrée arbitraire était précédée par un portique de bois sur lequel, elle le vit à leur approche, avait été rayé le nom d'Appleloosa.

Les deux bisons de garde à cette entrée ouvrirent grands les yeux en découvrant le contenu de la sphère sur le dos de la bisonne. Le même choc se propagea comme la foudre et, tandis qu'ils s'engageaient parmi les tentes, on sortit de partout pour observer non pas leurs prisonniers mais ce tout petit objet comme s'il avait été un soleil.

Probablement, se dit Twilight, que le verre du reste aveuglait l'assemblée.

Elle-même découvrait ce village plus qu'un campement, des bisons qui avaient formé des jardins verdoyants derrière des alignements de petites pierres blanchies, et décoré ceux-ci de totems. Elle vit un bison jeter un plein seau d'eau fraîche sur la tenture, puis se faire bousculer et regarder à son tour défiler la troupe, avant de découvrir l'orbe et de lâcher son seau. Deux jeunes bisons le dépassèrent et se pressèrent pour percer la foule déjà restée derrière, que Twilight regarda disparaître.

Knowitall arrêta sa troupe, ordonna aux changelins d'entrer dans une large tente et Twilight regarda Buzzy disparaître avec les autres, avec contentement. On peignit l'entrée de la tente d'une lamelle de peinture verte puis un bison se posta devant, et Knowitall fit signe à la bisonne beige de la suivre. Le reste de la troupe, au lieu de se disperser, s'entêta à la suivre, sauf la vache qui demanda si elle pouvait partir, à la surprise générale. On lui dit que oui et, comme si elle n'avait attendu que cela, elle salua tout le monde et repartit.

La bisonne crème soupira. « Des fois, j'aimerais avoir leur sagesse. » Dit-elle et Twilight supposa qu'elle se parlait à elle-même.

Lorsqu'elles furent devant la plus grande tente du village, suffisamment ample pour avoir deux balcons, la bisonne noire annonça leur trouvaille puis fit signe à sa camarade d'entrer. Elle-même restait dehors, ce qui frappa Twilight, et elle regarda la foule de bisons pressés sur la place d'herbe jaunie derrière elle, rassemblés et aux yeux brillants.

L'ombre de la tente la recouvrit. Les rumeurs à l'intérieur se turent. Elle se retourna, découvrit un intérieur sobre, décoré de fleurs aux piquets et le long de cordes. La lumière venait de petits bols autour desquels virevoltaient les lucioles, et qui devaient être emplies de sucre. Contre les tentures étaient étendus divers objets, comme des reliques, et le sol lui-même était couvert de tapis colorés avec, à côté de chacun, un bol d'où fumait comme un encens.

À peu près au milieu de la pièce, formant comme un demi-cercle, étaient couchées trois bovines âgées et ornées de fleurs, de plumes, de colliers et d'ornements, qui firent signe à l'intruse de s'arrêter.

« Qu'est-ce qui t'amènes, Wool Wallow ? » Demanda l'une des vieilles bisonnes d'une voix légèrement chevrotante.

« On a trouvé, enfin, il y a une, je veux dire » se perdit l'interpellée, avant de présenter sa bosse, « on a une invitée. »

Elle se coucha, se pencha pour rattraper l'orbe et la poser sur un des tapis, puis se retira. Il ne resta que Twilight avec les trois bisonnes sans voix.

« Bonjour, » reprit la jument enjouée, « je m'appelle Twilight Sparkle. »

Le silence qui suivit la laissa inconfortable. Les bovines ne disaient rien, se regardèrent puis celle au centre du demi-cercle se releva légèrement et dit avec une voix usée par l'âge :

« Bonjour, Twilight Sparkle. Le conseil des bisons te salue. »

« C'est très gentil de votre part. » Remercia la jeune jument. « J'ai été capturée par les changelins, mais Knowitall et les autres m'ont libérée. Je vous suis infiniment reconnaissante pour ça. »

La bisonne de droite se leva et s'approcha, curieuse.

« Excuse mon impolitesse, » elle hésita, « mais où es-tu ? Cette orbe sert-elle à communiquer ? »

« Non non non ! » Corrigea Twilight avec empressement. « Je suis enfermée dedans. Je ne sais pas bien comment d'ailleurs, mais j'étais la prisonnière des changelins, donc je pense que ce sont eux qui ont fait ça. »

La bisonne s'arrêta net, puis tourna un regard comme effrayé à la doyenne du centre qui se contentait de froncer les yeux.

« Ce que tu dis est grave… » Résuma cette dernière. Elle voulut se lever, mais ses pattes tremblantes l'en empêchèrent, et la bisonne se contenta de soupirer. « Est-ce que tu arrives bien à me voir ? »

Twilight, surprise par la demande, le confirma. La lumière était bien suffisante pour distinguer tous les traits des trois doyennes. À dire vrai, elle devinait à présent que celle du centre devait être la vraie cheffe, les deux autres s'en remettant à elle, mais elle songea aussi que… le chef bison... Thunderhooves, voilà, était absent. Et elle se sermonna d'avoir oublié un instant son nom.

La doyenne reprit, de sa voix usée. « Tu amènes beaucoup de questions, Twilight Sparkle, mais l'eau ne s'écoule que dans un sens. Si tu es prisonnière, nous devons d'abord te libérer de cette prison. »

« Comment faire ? » Demanda celle qui s'était approchée.

« Faisons appel à l'apaisement. »

« Oh ! » S'exclama la troisième, restée tranquille jusqu'ici et qui des trois semblait la plus jeune. « Tu veux dire un rituel ! Je me charge de la cire d'abeille ! »

La jeune jument, derrière la sphère vitrée, regarda ces trois bisonnes se chamailler sur les détails et apporter menus objets et ingrédients, saupoudrer l'orbe de ceci, l'entourer de cela, agiter un collier de bois et se mettre à chanter d'un chant grave et profond. C'était… assez différent de la magie dont elle avait l'habitude, mais Twilight se borna à leur faire confiance. La cire luisait, la poudre fumait et enfin, elle espéra quelque chose. Deux longues minutes durant, elle espéra quelque chose, jusqu'à ce que le chant s'arrête.

« C'est bien la première fois que je vois un objet solide dans le monde des esprits. » Chevrota la bisonne à côté de Twilight.

« Cela défie la compréhension… » admit l'autre en face. « Ce n'est pas de la magie changeline en tout cas. »

« Dis-moi… » la vieille bisonne hésita, « … Twilight Sparkle, as-tu senti quoi que ce soit ? »

La jument secoua la tête. « Rien du tout. J'aurais dû ? »

« Peut-être qu'en faisant appel à l'esprit de Great Gallop… » songea l'autre bisonne à voix haute, le sabot au menton. « Elle voudra bien nous aider, si c'est pour un poney. »

Et elle tourna la tête, comme pour demander l'avis, plutôt la permission à leur consoeur qui, restée couchée sur son tapis au centre de la tente, secoua lentement la tête.

« Nous l'emmènerons à Everfree… » décida-t-elle enfin après un temps de silence. « Elles sauront l'aider. Mais avant, Twilight Sparkle, les bisons ont à nouveau besoin de ton aide. »

« Bien sûr ! » Se réjouit Twilight. « Je ferai tout pour vous assister ! Enfin, du mieux que je puisse. »

Et elle tapota le verre avec frustration, ce qui fit glousser les deux bisonnes à côté d'elle. La troisième, depuis son tapis, sourit également et l'apaisa.

« Je dois d'abord te demander, Twilight Sparkle. Annonces-tu le retour des poneys ? »

Ce fut au tour de Twilight de se taire. Elle avait envie de répondre oui. De répondre non. Puis elle se sentit irritée par la question même.

« Je n'en sais rien. » Avoua-t-elle avec force. « Je ne comprends rien à ce qui se passe, j'ai l'impression de ne rien savoir du tout. Mais je sais une chose. Je vais retrouver mes amies, ça vous pouvez en être certaines ! »

La doyenne hocha la tête avec contentement. Elle semblait si sage, si détachée. Son crun orange, lui, brûlait sous les lucioles. Les plumes lui donnaient l'aspect d'une guerrière abattue par le temps.

« Je te souhaite de réussir. » Reprit-elle. « Twilight Sparkle, je requiers ton aide car bisons et changelins sont sur le point d'entrer en guerre. »

« Nos guerriers s'assemblent aux Grass Grounds et veulent reprendre Appleloosa par la force. » Rumina la seconde doyenne en retournant à sa couche.

« Les changelins se sont emparés d'Appleloosa ? C'est terrible ! » S'exclama Twilight.

Les doyennes la regardèrent, surprises.

« Terrible ? » Répéta celle à la voix chevrotante.

« Eh bien, oui ? Ils se sont aussi emparés de Ponyville, et j'ai peur pour Canterlot. Heureusement que vous avez pu leur échapper. »

Les doyennes se taisaient toujours.

« Je veux dire, ils ne rêvent que de s'emparer de votre amour. Si on les laisse faire, » elle balbutia devant leur silence, « ils vont s'emparer de tout Equestria ! »

Pas un mot. Les bisonnes s'étaient figées sur place. Puis, pour seule réaction, celle au centre ferma les yeux. Twilight se sentit comme un courant électrique dans tout le corps.

« Vous n'allez quand même pas abandonner ? »

« Mais les changelins ne sont pas nos ennemis. » Souffla la doyenne la plus jeune, encore sous le choc.

« Mais si ! » Insista Twilight. « Ne croyez pas leurs mensonges et leur mise en scène ! Ce sont eux qui ont capturé mes amies, j'en suis sûre ! »

« Voyons, c'est absurde. » Chevrota l'autre.

« C'est la vérité ! Ils dévorent l'amour et enferment les poneys dans des cocons, et ils vous dévoreront aussi si vous vous laissez faire ! »

« Tu ne peux pas dire ça… » Chevrota encore la bisonne, comme suppliante. « Tu es une ponette, tu ne peux pas dire ça… »

« Les changelins sont nos amis, » insista l'autre en s'approchant, le sourire mal assuré, « nous avons toujours partagé Appleloosa… »

« Non ! » Cria Twilight, presque hystérique. « Non non non ! Ce sont de sales bêtes qui ne vous veulent que du mal ! Ils manipulent, ils jouent sur les émotions, ils vous trompent et vous infiltre et ensuite ils, ils, ils détruisent tout ! »

« Tu ne peux pas dire ça… Toi, entre toutes, tu ne peux pas… »

Étendue sur son tapis, la dernière bisonne grogna juste : « Silence. » Et toutes la regardèrent à nouveau.

La doyenne gardait toujours les yeux fermés, renfrognés, comme chargés de colère. Elle retenait des émotions dont Twilight Sparkle n'en devinait pas la somme. Elle devait lutter. Lutter contre les mensonges des changelins. Le coeur de Twilight bondit et elle supplia, pendant cette fraction de seconde qu'on lui laissa, la bisonne de se reprendre. S'enthousiasma pour ce combat qui prit fin brutalement. Le regard qu'elle offrit avait quelque chose de brisé, d'indescriptible.

« Tu as fait ton choix. J'ai fait le mien. Tu es une menace à la paix entre nos deux peuples. Nous n'avons d'autre choix que de te traiter en ennemie. »

La jeune jument s'assit, incrédule, se sentit monter des larmes. Elle n'était pas l'ennemie. Elle n'était pas l'ennemie. Elles devaient l'écouter, les changelins… mais ses premières protestations furent rejetées fermement.

« Que faisons-nous d'elle ? » S'inquiéta la plus jeune doyenne.

« Ce n'est pas un poney, » énonça l'autre en refermant douloureusement les yeux, « c'est un artifice, un objet enchanté pour causer la discorde. »

« Non ! Non, vous devez m'écouter ! » Cria Twilight. « Vous êtes sous le contrôle des changelins, vous devez résister ! »

« Dehors. Dehors ! » Cria la doyenne et sa voix usée reprit vie un instant, assez pour saisir le coeur de Twilight et le serrer, comme si elle venait de perdre une amie chère.

Sa gorge enrouée fit le reste. Alors qu'on entrait, qu'on soulevait l'orbe pour l'emporter, la jeune licorne voulut s'approcher encore du verre, hurler, mais en vit la paroi s'éloigner comme à l'infini, et ses hurlements se réduisirent en pleurs. Tout virevolta autour d'elle. Elle cria aux bisons qui la regardaient passer, que les changelins étaient l'ennemi, que leurs cheffes étaient sous leur contrôle, mais c'était comme si plus personne ne pouvait l'entendre et elle entendait, en retour, le décret répété partout, qu'elle n'était qu'une machination. Les regards devinrent hostiles, puis les bisons se détournèrent.

Elle hurla encore. Leur hurla de l'écouter. Les parois semblaient un horizon inaccessible, d'où elle percevait à peine ce qui se faisait. Elle reconnut tout juste la tente où les changelins avaient été enfermés. On l'emmena dans la tente d'à côté, parmi les sacs et sacoches des captifs entreposés avec d'autres affaires. On posa un coffre de bois à côté, ainsi que des chaînes. On posa l'orbe dedans. Le couvercle fut rabattu, le monde devint noir, elle entendit le bruit des chaînes et du verrou, puis les pas de sabots s'éloignant d'elle.

Ensuite, elle n'eut plus la force de se soucier de rien.

**** **** ****

« Une jument persiste… » Chouina Twilight, le museau entre ses pattes. « Il faut garder espoir… » Elle laissa passer un autre sanglot, se serra un peu plus en boule. La blancheur n'était pas moins sombre pour elle que l'avait été la réalité.

Elle aurait voulu, elle aurait voulu, elle ne savait pas quoi, pouvoir donner un grand coup de sabot à tout ça, se battre, se démener, mais à chaque fois le verre l'en empêchait et elle regardait cette fausse Equestria se moquer d'elle. Les bisons, trahis par leurs propres cheffes, qui se laissaient faire. Elle songea aux guerriers bisons qui se battaient encore et se sentit un pincement plus douloureux encore à ce faux espoir. Elle en avait assez des faux espoirs. Elle voulait juste que quelqu'un vienne la sauver.

C'était injuste ! C'était si injuste. Pourquoi avait-elle repris conscience dans cette orbe. Pourquoi devait-elle subir tout ça, regarder un autre peuple sur le point d'être dévoré. C'était si injuste. Elle devait les sauver, sauver les bisons, mais sa magie semblait si inutile.

Elle était seule. Elle était seule. Elle était seule.

Ses larmes avaient cessé. Le temps lui semblait infini et pourtant elle savait, comme dans le train, que le monde n'allait pas partir sans elle. Sortir de l'orbe. Avertir les bisons… Avertir…

Il lui vint une idée affreuse. L'idée que c'était ce qui avait pu arriver, voilà longtemps. Peut-être avait-elle voulu avertir les poneys de Ponyville de ce qui se tramait. De ce qu'allaient faire les changelins. Mais trop tard. La maire était déjà sous contrôle. Ses amies aussi. Plus personne ne l'écoutait. Peut-être que la princesse elle-même… Ils l'avaient enfermée dans cette orbe, pour la faire taire, et ensuite… ensuite… C'était un scénario si misérable qu'elle le chassa de sa tête.

Enfin, dans le silence, Twilight se remit à réfléchir aux moyens de s'échapper.

Elle dressa soudain les oreilles. Il y avait eu comme une rumeur, et elle regarda les parois parfaitement blanches autour d'elle, comme si le monde avait pu percer jusqu'ici. Le silence fut percé, à nouveau, par une rumeur inaudible qui la fit se lever, puis se baisser un peu à la faiblesse de ses pattes, mais se tourner sur elle-même. Quelqu'un l'appelait, qu'elle n'entendait pas mais quelqu'un l'appelait.

« Il y a quelqu'un ? » Appela-t-elle, et en réponse :

« Twilight… »

Quelqu'un l'appelait. Son coeur bondit, quelqu'un l'appelait ! Et une voix familière, encore trop faible pour être certaine mais familière ! Elle s'écria : « Je suis là ! » Et la voix en réponse devint plus forte, plus audible, plus proche, et la jument se retourna encore.

« Twilight ? Twilight ! » Appelait Spike.

Elle se retrouva face au jeune dragon et son étrange gri-gri à la patte. Elle se sentit désemparée. Puis l'instant d'après n'y songeant plus elle se jeta sur lui pour le saisir et l'embrasser, le traversa.

« Qu'est-ce qui se passe ? » S'affola-t-elle.

« J'allais te demander la même chose ! » S'agita Spike. « Tu as disparu depuis deux jours, tout le monde est à ta recherche ! »

« Disparu ? » Répéta Twilight, comme si tout venait brutalement de s'inverser. « J'ai disparu ? Et tout le monde… est à ma recherche ? »

« C'est ce que je viens de dire, oui. » Reprit le petit dragon inquiet. « Twilight, où est-ce que tu es ? Il s'est passé quoi, tu as lancé un mauvais sort ? Tu viens de me traverser comme un fantôme. »

Et Spike de s'effrayer soudainement, comme si Twilight Sparkle avait été un véritable fantôme. Elle dut le rassurer, elle n'était pas morte, elle était… elle ne savait pas où elle était. Mais pas morte. Spike soupira et, la patte toujours tendue à agiter son gri-gri, il répéta : il s'était réveillé au matin, elle n'était plus dans le lit, et depuis, mystère.

Elle était sauvée, se dit Twilight.

Elle était sauvée, tout n'était que mensonge, elle n'était pas dans un futur catastrophique où les changelins dévoraient tout le monde. C'était un mensonge, créé par l'orbe, s'il y avait seulement une orbe et à mesure qu'elle remettait les pièces en place elle le réalisait, depuis le départ elle avait abordé le problème complètement à l'envers.

« Je suis si bête ! » S'exclama-t-elle joyeusement.

« Euh, pas d'accord ? » Demanda Spike.

« Ce n'est pas important. » Reprit-elle avec confiance. « L'important maintenant est de revenir. Comment tu as fait pour me retrouver ? »

« Zecora m'a donné ce truc. » Admit Spike en désignant le gri-gri qu'il agitait. « J'ai passé la matinée à l'agiter dans toute la bibliothèque. Owloviscious n'a pas aidé. » Grommela-t-il.

C'était si bon de le revoir.

« Attends que je te raconte ce que j'ai vécu moi. » Fit-elle mine de se plaindre. « Assez perdu de temps. Dépêche-toi d'avertir les autres, et remercie Zecora de ma part. »

« D'accord. Mais tu ne bouges pas, hein ? » Frémit Spike. « Tu es là à mon retour ? »

« Je ne vais nulle part. » Lui sourit-elle.

Il se détourna, la regarda encore puis s'éloigna et elle le vit se faire engloutir par la blancheur. « Je n'ai pas vraiment le choix. » Rumina-t-elle. Et comme pour la détromper, l'instant d'après le monde se rappela à elle. On avait secoué l'orbe, ou plutôt le coffret qui contenait l'obre, et elle en avait ressenti les légers chocs. La blancheur laissa place au translucide, puis au sort de vision, et elle vit Buzzy en train de mordiller les chaînes.

Comment le changelin avait pu se faufiler hors de la tente et dans celle-ci, Twilight n'aurait pas su y répondre, avant de se rappeler que c'étaient des tentes. Elle fronça les sourcils. Les bisons auraient pu mieux les garder. Mais enfin, le changlein ne risquait pas de pouvoir ouvrir les chaînes, et il n'avait pas la clé du cadenas. À la place, il fit signe aux lucioles autour de lui et plusieurs allèrent filer dans la serrure. L'instant d'après, il y eut un déclic. Et une sorte de haine secrète de la part de Twilight Sparkle pour cette fausse réalité.

Le coffret s'ouvrit. Twilight projeta cette haine sur une Buzzy souriante.

« On s'évade. Tu viens ? »

Sa voix avait dû porter dehors. Un bison demanda « Qui a dit ça ? » La seconde d'après, il y eut un tumulte, une cavalcade de la tente d'à côté puis un cri d'alerte : « Les prisonniers s'échappent ! » Le changelin n'attendit pas plus longtemps, saisit l'orbe par la gueule, sans même songer aux sacoches sur son dos, puis fila par la déchirure dans la tente.

Dehors, les changelins couraient dans tous les sens, sans se donner la peine de se déguiser, et les bisons leur tombaient dessus de tous les côtés. C'était une cohue sans nom, un désordre dans lequel Buzzy se jeta à toute allure. Twilight regardait se dérouler tout cela et ne savait plus ce qu'elle pensait. Tout semblait trop réel, et elle n'était pas sûre ni de vouloir s'échapper, ni de vouloir rester prisonnière. Mais enfin, elle était du côté des bisons, et à chaque fois qu'elle en voyait un saisir un changelin elle s'enthousiasmait. L'idée que tout cela n'était qu'une vaste illusion s'était perdue dans l'action.

La bisonne crème surgit devant eux, formant un barrage de tout son corps, cornes pointées sur le changelin qui, ouvrant les ailes, bondit soudain, et retomba sur la tête de la bovine, puis sur sa bosse et alla rouler de l'autre côté du dos par terre. Il n'eut que le temps de se secouer, de pester entre ses crocs ouverts et de repartir aussi sec. La bisonne cria « il emporte le poney ! » Et Twilight vit un autre bison s'arrêter près d'elle, la corriger, puis repartir à leurs trousses. Tout le village sortait pour les arrêter.

Les plus jeunes les regardaient passer depuis la tente, tandis que leurs parent s'élançaient. Ils plongèrent dans une autre, corne de changelin pointée en avant pour trancher la tenture tandis que derrière trois bisons venaient se prendre dans la toile et faire s'écrouler le tout sur eux comme un filet. Le changelin était malin, se dit Twilight, et elle regarda derrière la gueule ouverte les yeux effrayés et les gémissements de Buzzy. Non, elle n'avait même pas fait exprès se dit-elle encore en secouant la tête.

Sa course était désespérée. Deux bisons la chargeaient à présent de face. Si elle ne s'arrêtait pas, elle allait se faire écraser. Et Twilight avec. La jument prit peur.

« Arrête-toi ! » Cria-t-elle pour Buzzy.

Cette dernière n'écouta pas, mais à la surprise de la jeune jument les deux bisons obtempérèrent, freinèrent net et virent passer le changelin entre eux deux bêtement. Ils se regardèrent, crièrent « Eh ! » et regardèrent passer tout le troupeau des poursuivants, avant de s'y joindre.

Deux pas de côté pour éviter une autre bisonne, et soudain Buzzy surgit hors du village. Devant elle le désert se déroulait à plat, sans cachettes que des rochers épars et des troncs maigres et rares. Derrière sa cavalcade surgirent les bisons, d'entre toutes les tentes, vingt et trente et plus encore qui faisaient trembler l'herbe et la roche. Nulle part où aller, alors la changeline galopa droit devant, dans le désert, poursuivie par cette masse bien plus endurante. Même si elle avait réussi à sortir du village, elle ne semblait pas capable de s'envoler, elle les perdrait à l'usure.

Près de quarante minutes plus tard, ce furent les derniers bisons qui cédèrent au loin.

Twilight se sentait à bout de souffle, comme si elle-même avait couru le marathon, et pourtant elle était restée sans bouger dans sa boule de cristal. La changeline, elle, respirait avec tant de mal que ses souffles semblaient des râles. Lorsque les bisons disparurent, elle se laissa effondrer sur l'herbe sèche et lâcha l'orbe pour respirer avec force. Twilight déjà remise la regarda sans y croire.

Quarante minutes. Cela avait semblé une éternité et pourtant, maintenant à l'ombre des rochers rougis qui leur servaient de couvert, et où l'herbe était un peu moins jaune, la changeline avait réussi à tenir jusque-là.

Même en utilisant le pouvoir de l'amour ou quoi que ce soit, cela n'avait pas de sens. La jeune jument observa sa geôlière de la corne jusqu'au bout des pattes. Il y avait forcément un secret. Puis elle regarda les lucioles qui, un peu à la traîne, revenaient virevolter autour de Buzzy. Celle-ci sourit et Twilight, une seconde, ressentit comme une pointe de tendresse pour cette attention, avant de se rappeler sa haine.

« Je te déteste. » Dit-elle simplement, et la changeline, à court de souffle, lui fit juste un signe du sabot. « Toi, les tiens, ce ciel, ce monde, je vous déteste tous ! Et tu sais quoi ? Bientôt je n'aurai plus jamais à te revoir. Parce que je vais m'échapper. Partir. Et peut-être même que je reviendrai avec toute une armée pour libérer ce monde de votre emprise ! »

La changeline s'était remise sur le ventre et la regardait en haletant encore. Son regard insectoïde aussi était détestable.

« J'ai entendu les bisons. » Dit Buzzy, avant de souffler, puis de reprendre. « Tu n'es qu'un objet détraqué. »

« Même pas vrai ! » S'insurgea Twilight. « Je suis Twilight Sparkle, combien de fois je devrai le répéter ! »

« Twilight Sparkle était l'amie des changelins. » Trancha Buzzy avec sa voix aiguë.

Non ! Non, non, non non non non et non, non non non de non. Non ? Pourquoi non ? Twilight regarda la changeline. Cela n'importait plus, pas vrai ? Ses amies n'étaient pas dans ce monde, qui était faux, alors cela n'importait plus, si elle y croyait à nouveau ?

Il y avait cette douleur, ce souvenir de Buzzy la trahissant. Mais il y avait aussi la mémoire de Buzzy donnant de l'amour, de la Buzzy se souciant des larves. Le souvenir des doyennes endoctrinées. C'était tout à fait impensable. Bien sûr que les changelins étaient des ennemis. Et Twilight Sparkle se sentait le droit de savoir ce que Twilight Sparkle pensait.

« Tu y crois dur comme fer, à cette légende, hein ? »

Buzzy se renfrogna. « Ce n'est pas une légende. Et toi, je devrais t'enterrer et t'oublier dans le désert. »

« Alors vas-y ! » La défia-t-elle, moqueuse. « Pourquoi tu ne le fais pas ? »

Buzzy détourna la tête, coupable.

« Parce que tu as faim, c'est ça ? C'est tout ce que les changelins savent faire, dévorer l'amour… »

« Tais-toi ! » Glapit Buzzy. « Tais-toi tais-toi tais-toi tais-toi ! »

Et pour la première fois, Twilight vit une changeline pleurer.

Elle n'y ressentit aucun plaisir. Elle n'eut même pas la pensée que ce soit pour la manipuler. Elle regardait juste les lucioles buter sur la carapace pour consoler l'insecte en pleurs. Et la jument se sentait mal. Horriblement mal.

« Qu'est-ce qui se passe ? » Demanda-t-elle maladroitement. « Pourquoi tu pleures ? Qu'est-ce que j'ai dit ? »

« Tais-toi ! » Lui cracha la changeline entre deux sanglots.

Comme un ordre, sur le coup de son coeur qui sombrait, Twilight se tut, s'assit et la regarda pleurer. C'était de la culpabilité qu'elle ressentait. De la honte. Du remords. Parce qu'elle était équine, c'était dans sa nature. Elle n'osait presque plus regarder son oeuvre à présent. Et elle ne comprenait pas. La jeune licorne n'arrivait pas à comprendre, absolument pas à comprendre ce qu'elle avait pu dire pour causer cette crise.

Les lucioles s'étaient collées sur Buzzy et semblaient la câliner.

« Les poneys sont gentilles. » Gémit Buzzy. « Elles sont nos amies. Elles veulent notre bien. Leur princesse veille sur nous et nous protège. Et rien de ce que tu dis ne changera ça ! »

Cette dernière phrase avait été criée avec rage, avec un nouvel accès de larmes qui secoua la licorne.

« Parce que même si c'est pas vrai ! Même si c'était pas vrai… » Elle se remit à sangloter en silence.

« Buzzy, je ne comprends pas. » Tenta piteusement Twilight.

« Bien sûr que tu ne comprends pas ! » Lui cracha la changeline. « Tu n'es qu'un objet détraqué ! »

Puis elle redressa la tête, inquiète tout d'un coup, et, les yeux encore embués, se força à se lever, reprit Twilight pour la jeter dans la sacoche. La jument ne lança même pas de sort de vision, encore secouée, et se contenta de sentir le léger galop.

Qu'est-ce que ça lui importait, désormais, à Twilight, d'avoir tort ou raison. Bientôt elle serait de retour chez elle. Bientôt Spike reviendrait, avec ses amies, avec Zecora, et elles trouveraient un moyen de la faire revenir. C'était sans doute pour le mieux.

Elle mit un peu de temps avant de projeter son sort et d'observer le désert défiler. L'herbe jaunie était déjà devenue normale, et elle s'amusa presque à l'idée, après toute cette aventure, de retourner à la vraie Appleloosa être surprise par la roche et le sable. Au loin les formations rocheuses, plates et larges, donnaient l'impression d'un monde coupé au couteau. La lune en haut se rapprochait du soleil, ce qui devait signifier que le soir approchait à grands pas.

Elle se demanda si la changeline, qui avait ralenti le pas, était toujours fâchée.

Puis elle soupira. C'était la première fois que Twilight avait affaire à des ennemis aussi… amicaux. Sa raison reprit le dessus. Pourquoi la manipuler ? Depuis le départ, cela n'avait que peu de sens. Peut-être pour briser sa volonté. Pour la maintenir prisonnière de la sphère, l'empêcher de retourner chez elle. Ce monde était hostile, c'était tout ce qu'elle savait, et pourtant… non. Ce monde était juste triste.

Elle saisit soudain, sur la gauche, comme un mirage de végétation plus dense. La changeline semblait ne pas s'en être aperçue. Twilight tapa sur le verre, contre le flanc de chitine. Buzzy ne réagit pas d'abord, puis à coups redoublés tourna enfin la tête encore marquée par ses larmes. La sacoche ne lui répondit pas, mais alors qu'elle se détournait elle aperçut l'oasis à son tour, en prit le chemin.

C'était plus qu'une oasis. C'était un jardin de cactus dont les plus hauts culminaient à bien deux dizaines de mètres, à en faire tourner la tête, et qui baignaient dans de vastes mares d'eau verte. L'herbe à mesure verdissait, devenait un peu spongieuse et se couvrait bientôt de fleurs. Le visage rembruni de la changeline laissa place à une mine enjouée, et elle se rapprocha de l'eau pour lécher et se lécher les crocs.

« Toujours aussi sucré ! » Se réjouit-elle.

Il restait une dernière trace enrouée dans ces mots, déjà évanouie. La changeline détacha les sangles, laissa les sacoches derrière elle et les lucioles n'eurent que le temps de s'enfuir avant qu'elle ne plonge dans la mare. Et ne découvre qu'elle était profonde, au mieux, que de trente centimètres.

« Allez ! » Dit-elle en faisant mine de gicler les lucioles. « Venez, c'est délicieux ! »

Les lucioles se gardèrent bien de suivre, et Buzzy ne s'en souciant plus se vautra dans l'eau verte un peu collante avec une joie toute enfantine.

Twilight la regardait faire, ennuyée d'abord puis amusée. Elle aurait sans doute fait de même sous un soleil de plomb. Ce dernier commençait à s'étirer, arrachait des ombres toujours plus longues aux cactus. La jument ne pouvait qu'imaginer la senteur des lieux.

Quand Buzzy ressortit de son pataugement improvisé, Twilight hésita à l'interpeller. Elle se rappela sa honte, n'en fit rien.

Plus loin dans le jardin de cactus, une étrange structure attira leur attention à toutes deux. Une sorte de derrick, un puits de pompage qui ne pompait rien, vieux et rouillé, et qui semblait perdu là au milieu d'une mare. La changeline alla trotter dans la mare pour s'en rapprocher et lire le panneau de fer qui, en bas, avait inscrit dessus à la craie : « Propriété de Skinny McColt ». Buzzy approcha le sabot d'un boulon mal fixé qui céda avant même qu'elle le toucha, faisant glisser la plaque et révélant un autre panneau, en bois, avec : « Propriété de Fatty Hooffield. » Un autre panneau encore était caché derrière, et la changeline n'eut aucun mal à arracher le bois pourri pour lire : « Propriété de Skinny McColt. » Elle secoua la tête, les yeux en l'air, et Twilight ne put s'empêcher de glousser dans son orbe.

Du derrick partaient deux tuyaux, usés et percés depuis longtemps, qui filaient côte à côte jusqu'à une citerne cachée à l'ombre d'un cactus large comme une maison. La citerne, toute cuivrée, sifflait doucement et tant la changeline que la jument, en en faisant le tour, purent voir derrière les planches de bois d'un autre âge des bombonnes métalliques dont l'une relâchait un petit jet de vapeur.

Deux bombonnes de plus reposaient sur un petit chariot en ruine.

Enfin quelqu'un avait installé une plate-forme, de bois également, en hauteur contre le cactus, avec une cabane à laquelle on accédait depuis une corde suspendue que Buzzy préféra ne pas toucher. Les lucioles allèrent grimper là-haut, visitèrent un peu puis redescendirent virevolter devant le museau de la changeline tout déçue.

Quand la lune commença à recouvrir le soleil, que le ciel rougit et que les ombres commencèrent à se confondre à la lumière, Buzzy enfin choisit un endroit où s'installer en boule et, délaissant les sacoches sur le côté, caler sa tête opur dormir.

« Bonne nuit les amies. » Dit-elle de sa voix aiguë.

Twilight ne dit rien.

Soudain elle frissonna. Elle se retourna, dressa l'oreille. Les parois translucides semblèrent s'éloigner indéfiniment et la jument se remit à trotter, à appeler : « Spike ? Spike c'est toi ? » Puis elle entendit cette voix familière, puis cette voix devint distincte, puis elle entendit : « Twilight, allez, montre-toi ! »

Spike surgit presque devant elle, le gri-gri entre les griffes, et dès qu'il l'aperçut il fit deux pas pour la toucher, vit sa patte la traverser. Un instant de tristesse passa après lequel, résigné, il se retourna pour triompher : « Je vous avais dit qu'elle était là ! »

Personne ne lui répondit, et il sembla déchanter.

« Mais si ! Elle est juste là ! »

« Spike ? Je ne vois personne. » Nota Twilight.

Le bébé dragon, pris entre deux feux, s'éloigna et revint en semblant tirer quelque chose, mais il n'y avait toujours rien.

« Et là, tu la vois ? »

Twilight secoua la tête, jusqu'à ce que Spike, frustré, se tourne vers elle et constate l'échec. Il soupira.

« Je n'ai pas pu trouver Zecora, mais toutes les autres sont là. Rainbow Dash demande si c'est bien toi. »

« C'est bien moi, Dash. » Soupira Twilight.

« C'est bien elle, Dash. » Répéta Spike, puis après deux secondes. « Elle veut que tu le prouves. »

« On n'a pas le temps, Spike ! Il faut qu'on trouve le moyen de me faire revenir ! En commençant par recueillir tous les ouvrages traitant de téléportation. »

Spike hocha la tête : « Ouais, c'est bien toi ! On a une plume et du parchemin, tu dictes ? »

« À qui tu parles ? » Demanda une voix extérieure.

Twilight sursauta presque et se retourna, se retrouva face à la changeline au-dessus de la sacoche ouverte. La changeline la regardait de ses grands yeux insectoïdes.

« À personne ! Laisse-moi tranquille ! »

« C'est qui à côté de toi ? » Continua Buzzy, surprise.

Twilight sursauta. Elle se retourna, entendit Spike dire quelque chose qui venait de s'évanouir, ne vit plus que l'ombre d'un souvenir là où son assistant numéro avait été il n'y avait pas quatre secondes.

« Je l'ai fait disparaître ? » S'inquiéta Buzzy avec sa voix aiguë. « C'était quoi ? Un lutin ? »

« Referme la sacoche et laisse-moi tranquille ! » Exigea Twilight.

La changeline la regarda un instant, s'apprêta à refermer, la regarda encore. Se lécha les babines. Puis se mordit la langue et, avec une grimace, referma la sacoche et replongea Twilight dans l'obscurité. La jeune jument soupira et se remit à appeler : « Spike ? Spike ? » Mais personne ne lui répondit.

La changeline avait tout gâché.

Elle pesta sur cette occasion manquée, mais n'en prit pas ombrage. Spike ne l'abandonnerait pas. Il continuerait à vouloir la contacter, et elle n'avait de toute manière pas le loisir, depuis sa prison, de refaire la liste mentalement de tous les ouvrages en bibliothèques sur les sortilèges propres au transfert de matière. Elle n'était même pas sûre de savoir de quel sort il s'agissait vraiment.

Un sourire naquit à son visage. Dash restait Dash. Elle imaginait toutes ses amies autour de Spike se disputer sur la marche à suivre, puis réfléchir à un plan. Le temps jouait pour elle, même si elle aurait voulu avoir faim.

Alors, sans plus d'inquiétude, la jeune licorne se coucha à son tour pour la nuit.

Le sommeil ne venait pas.

Elle se retourna, vivement, sur la surface dure et tiède du verre. Son corps la dérangeait, la piquetait, à force de penser à tout ce qui semblait en suspens chez elle. Il y avait, surtout, un tourbillon dans sa tête. Les changelins. Les bisons. Les vaches. Cette vache qui semblait ne se soucier de rien fut, de tous les événements et tous les coups durs, ce qui lui resta le plus en tête. Elle aurait voulu avoir cette sagesse. Regarder passer le monde sans se soucier de rien. Elle n'aurait pas mal au crâne.

Impossible, de toute manière, de dormir. Trop chaud. Le corps la démangeait trop. Elle se sentait lasse, l'esprit lourd, mais rien à faire. Elle se frotta la tête, marmonna. D'un oeil entrouvert, elle maudit la lumière de la fenêtre. Referma l'oeil. Les rouvrit grands.

C'était le Golden Oak. Sa chambre. Son lit. la jeune jument venait d'en rabattre la couverture, le souffle court, comme échappant d'un cauchemar. Le panier de Spike était vide. Le télescope à la fenêtre, le même que dans ce faux palais… Twilight se leva, toucha le bois, entendit le bois du plancher et craignit un instant que tout disparaisse mais non, elle était chez elle. Elle se précipita à a la fenêtre, découvrit dehors le ciel seulement orné de la demi-lune et de ces étoiles dont la jument connaissait chaque constellation. Dehors la Ponyville de toujours paraissait aussi paisible que jamais.

« Spike ? Spike ! » Se mit-elle à appeler en revenant vers le panier, puis vers les marches pour descendre, se diriger vers la porte de la chambre. Un hululement la fit se tourner. Owloviscious tournait autour d'elle avec agitation et elle tournait la tête pour la suivre, se mit à rire, vit la chouette se poser sur sa crinière et lui donner des coups de becs affectifs. « Eh, arrête, c'est bien moi ! » Owloviscious roucoula presque et battit des ailes, toute en fête.

« Qu'est-ce qui se passe là-haut ? » Demanda la voix de Spike de derrière la porte, dans les escaliers.

« Spike ! Je suis rentrée ! »

« Twilight ? »

La porte s'ouvrit. Spike la regardait avec de grands yeux. Puis, sans plus réfléchir, le petit dragon se précipita sur sa patte pour la serrer. Elle lui tapota la crinière, se sentit venir une émotion intense qu'elle se permit de tenir en respect, pour ne pas briser l'instant.

« J'y crois pas ! Comment t'as fait ? » Demanda-t-il en se détachant.

« Je ne sais pas non plus. » Admit Twilight. « Je me suis juste… endormie. »

« Endormie ? » Et spike, après avoir sourcillé, se mordit le pouce, grogna en secouant la patte et la regarda : « Bon ben c'est pas un rêve. »

Elle gloussa : « C'est la rêveuse qui est censée faire ça. » Et elle se donna un petit coup à la patte, en sachant bien qu'elle sentirait la petite douleur, qui fut au rendez-vous. Tous deux se retrouvèrent à rire bêtement.

« Pas question de se relâcher par contre. » Se ressaisit Twilight. « Le phénomène peut se reproduire à tout moment et je n'ai pas envie d'être ramenée dans une boule de verre ! Prends du parchemin, Spike, on a du travail ! »

« Oh, et il faudra avertir les autres ! »

Twilight hocha la tête, gagna la porte, craignit un instant que le monde de l'autre côté disparaisse. Mais la grande salle de la bibliothèque surgit derrière, encore illuminée dans le soir. Owloviscious fila devant elle la première.

« Je ne me reposerai pas avant de savoir exactement ce qui s'est passé ! »

« Twilight ? »

Elle frémit. Elle n'aimait pas le ton de Spike. Mais la jument se retourna et fut apaisée de le voir toujours bien là, dans la chambre toujours bien là, qui la regardait avec deux brassées de parchemin. Puis Spike lui fit signe de regarder le plafond. Elle regarda le plafond.

« Oh non. »

Il n'y avait pas de plafond. Seulement une surface translucide donnant sur l'obscurité d'une sacoche.

Ses yeux retombèrent sur Spike. Toujours là. Le plafond. Toujours l'orbe. Toujours Spike. Le Golden Oak était dans l'orbe. « Oh non. » Répéta-t-elle d'une petite voix. Le bébé dragon, lui, s'était rapproché avec le parchemin, se permit de faire remarquer que c'était pas normal, et elle le trouva presque anormalement calme, avant de se rappeler à quel point il lui faisait confiance. Tant qu'elle resterait calme, il resterait calme également.

Mais ensuite quelque chose lui vint en tête, et elle retourna au galop jusqu'à la fenêtre. Dehors Ponyville s'étendait aussi loin qu'elle pouvait voir, sans la moindre surface vitrée que les fenêtres endormies des maisonnées. La jument repartit en sens inverse, suivit à grandes foulées par le bébé dragon et son parchemin, jusqu'en bas des escaliers et par la porte grande ouverte. Le ciel de Ponyville, obscur et glorieux, s'étendait au-dessus d'elle sans fin, sans la moindre orbe, sans rien.

« Twilight ? » S'exclama la voix de Dash.

Son amie pégase fut sur elle en un instant, se posa juste devant son museau et, comme fâchée :

« Mais où t'étais bon sang ? On se faisait un sang d'encre ! »

« C'est une longue histoire ! » S'excusa Twilight. « En fait, c'est une histoire qui n'est pas- »

Elle fut interrompue par la pégase qui la serra entre ses pattes puis, se détachant d'elle l'air de n'avoir rien fait : « Disparais plus comme ça, d'accord ? »

« D'accord. » Rougit Twilight.

Spike fit remarquer qu'il y avait toujours un plafond de verre dans la chambre. Rainbow Dash demanda de quoi ils parlaient. Elle les écouta sans plus vraiment écouter. Elle était chez elle. Mais Twilight ne se sentait pas chez elle. Pas avec cette porte ouverte sur un monde dont elle ne voulait plus entendre parler. La pégase partait déjà chercher leurs amies, qui ne pouvaient « pas être bien loin », et elle se retrouva songeuse aux côtés de Spike, à regarder le ciel et les maisons alentours, à soupeser Equestria.

« Twilight, ça va ? » C'était un doute qu'elle avait depuis le réveil. L'idée qu'elle pouvait se tromper. Mais bien sûr que c'était chez elle. Twilight se traita d'idiote. Il lui suffisait de couper les derniers liens avec l'étrange sort qui l'avait enfermée dans cette sphère, et il n'y aurait plus de plafond de verre dans sa chambre, et tout retournerait à la normale.

Plus de locomotive fumante. Plus de village empli de totems. Plus de changeline à lucioles.

« Twilight ! Eh, réveille-toi ! »

« Oh, excuse-moi Spike, j'étais ailleurs. »

Spike secoua la tête à son choix de mots. « Qu'est-ce qu'on fait pour le plafond de verre ? On va quand même pas laisser la chambre dans cet état ! » Et il bougonna : « Je refuse de dormir dans une chambre hantée. »

« Allez, va. » Le câlina-t-elle. « On ne change rien au plan ! Il y a forcément un livre qui contient les réponses au problème ! »

Et elle et son assistant retournèrent dans la bibliothèque, bientôt rejoints par toutes leurs amies empressées pour les retrouvailles. C'était comme si rien ne s'était passé, une fois les étreintes finies elles se mirent ensemble à la tâche et tout semblait si naturel. « Tu sembles tendue. » Nota Rarity, et Twilight d'avouer qu'elle s'attendait toujours à une mauvaise surprise. « Ca ne te ressemble pas de t'inquiéter autant. »

« Tu veux rire ?! » Se moqua Dash. « C'est totalement elle de paniquer pour rien ! »

« Eh ! Même pas vrai ! » Se défendit Twilight. « Même si c'est vrai que je suis sur les nerfs. J'ai toujours cette impression qu'à tout moment… »

« Eh, eh, c'est fini, » lui assura Applejack en lui flattant le col, « on te laissera pas partir comme ça. »

Les autres opinèrent et Twilight, rassérénée, se remit au travail. Mais les ouvrages se succédaient et tous avec seulement des banalités. Rien que des ouvrages génériques, qu'elle avait déjà lus cent fois, l'impression de brasser de l'air. La pile de livres consultés se doubla d'une seconde, aux titres les plus scientifiques et les plus inutiles. Quand cette seconde pile à son tour menaça de s'effondrer, elle lâcha un râle exaspéré.

Autour d'elle, ses amies retenaient la fatigue avec peine. L'adrénaline les avaient tenues éveillées, mais voir leur amie lire, fouiller les titres au hasard et passer d'échec en échec n'aidait pas. Elle proposa de s'arrêter là, les autres renâclèrent, elle insista. La jeune licorne était bien la dernière à vouloir s'arrêter, de peur de tout perdre, de peur… mais elle savait être raisonnable. Alors Rarity insista pour rester avec elle, comme une sorte de gardienne pour l'empêcher de s'évanouir, et sur cet accord improvisé toutes se séparèrent.

« C'est gentil de rester. » Dit Spike à Rarity. « On sera pas trop de deux à protéger Twilight. Mais euh, tu es sûre de pouvoir veiller toute la nuit ? »

« Mais oui ! » Bâilla la styliste. « Tu ne sais pas de quoi une artiste est capable. »

« Je vais quand même nous préparer des boissons fortes. »

Twilight s'amusa de cet échange, regarda Spike disparaître par la porte de la cuisine et nota qu'elle ne craignait plus de ne plus le voir revenir. Mais elle ne serait vraiment rassérénée, songea-t-elle, qu'une fois qu'elle-même se réveillerait demain matin, toujours chez elle, avec la journée devant elle pour ne pas voir sa réalité s'effondrer.

Rarity ne put s'empêcher de minauder.

« Alors, et ce monde mystérieux, il ressemble à quoi ? »

« Lequel ? Oh, où j'étais ! Eh bien, les changelins étaient partout et j'étais la dernière ponette en Equestria. »

« Celestia ! Ce devait être une vision d'horreur ! Je n'ose pas imaginer toutes les épreuves que tu as traversées là-bas ! »

L'étudiante à son tour ne doutait pas de tous les drames que s'imaginait son amie. Elle lui sourit, la rassura et répéta ce qui avait été le plus dur. Être seule. Mais à présent elle ne l'était plus, et quoi qu'il advienne, elle n'aurait plus peur.

Spike revint, suggéra d'installer d'installer des lits de fortune dans la grande salle et à l'approbation de toutes, Owloviscious incluse, il se mit à l'ouvrage. Twilight s'excusa un instant et se mit à monter les marches de sa chambre.

« Où est-ce que tu vas ? » Demanda Rarity. « Attends, je t'accompagne. »

Elles gagnèrent la chambre et, la tête levée, son amie découvrit le plafond de verre sur la sacoche ouverte et le ciel étoilé. Quelqu'un avait ouvert la sacoche, nota aussitôt Twilight, et elle se replongea dans les préoccupations de cet autre monde un instant avant de tout rejeter. Tout cela ne la concernait plus.

« C'est étrange, » s'étonna Rarity, « je n'arrive pas à dire s'il fait jour ou nuit là-bas. »

« C'est sans importance. » Nota Twilight. « Je voulais juste voir si le phénomène était toujours en place. »

« Eh, tu es revenue ! » Éclata la voix de Buzzy.

Le visage de la changeline reparut au-dessus de la sacoche, tout joyeux. Celui de Twilight s'assombrit suffisamment pour que la licorne blanche, à ses côtés, le note et s'en effraie.

« Juste à temps, attends, il y a un truc incroyable ! » Continuait la changeline.

Rarity glapit dans un sursaut en sentant le monde se soulever hors de la sacoche, puis tournoyer et le verre sembla dévorer toute une portion du mur, effacer la fenêtre pour dévoiler à la place un horizon où le ciel clair déchirait les masses noires du désert d'Appleloosa.

Twilight les vit aussitôt, des dizaines de feux allumés sur les massifs rocheux, autant d'étoiles terrestres d'où se dégageaient des fumées ardentes par paquets de fumée qu'elle crut d'abord être du code morse, mais sans pouvoir rien lire de cohérent. On aurait plutôt dit des bouffées brutales à chaque fois qu'un feu s'intensifiait puis perdait en intensité, là-bas, dans le lointain.

« C'est dingue, hein ? Heureusement qu'on n'est pas là-bas. »

« Twilight, qui est ce changelin ? » Demanda poliment Rarity, un peu effrayée par la taille de Buzzy. Elle n'était pas habituée aux dimensions de l'orbe, se dit Twilight.

« Buzzy, Rarity. Rarity, Buzzy. »

« Ouais c'est ça, elle c'est Rarity et moi je suis l'impératrice Ember. »

« Enchantée, impératrice. » Se formalisa son amie. « Viens, Twilight, nous n'avons plus rien à faire là. »

Et la licorne, le museau encore offusqué, se détourna sèchement pour passer la porte. Twilight hocha la tête, se détourna et derrière elle Buzzy demandait où elle allait, avec une innocence où elle perça un manque de sincérité. Une pointe de crainte, une pointe de colère. Elle fut contente de deviner le mensonge derrière le jeu de la changeline.

Mais cela lui importait peu désormais. Avant de sortir, la jeune jument se retourna.

« Au revoir, Buzzy. »

Cette dernière la regarda sans comprendre.

« Je ne sais pas… si tu dis vrai… ou si tu mens… Je ne sais pas ce que tu veux vraiment. Mais je sais… oh je sais… qu'à mon comportement… J'ai été une méchante jument. J'ai des remords… j'ai des regrets… intensément… Après avoir été autant à cran, j'aimerais tant… oui j'aimerais… croire à l'instant… Que je m'étais trompée tout ce temps. »

« Pourquoi tu chantes ? » Demanda la changeline déboussolée, mais Twilight l'ignora.

« Je ne sais pas… si tu dis vrai… ou si tu mens… Je ne sais pas dire ce qui t'attend. Je ne sais pas… si je pourrais… en ce moment… Tirer un trait sur tous nos différents. Je ne sais pas… s'il se serrait… mon coeur ardent… Sur ton malheur ou sur mes errements. Mais je sais… oh je sais… la peur que je ressens… de ne pas t'abandonner au tourment. »

« Je comprends rien à ce que tu dis, s'il te plait, arrête. » Geignit Buzzy.

« Je ne sais pas… si tu dis vrai… ou si tu mens… Je ne sais pas ce que tu peux vraiment. Je ne sais pas… si les poneys… voilà longtemps… sont devenus ce ciel étincelant. Je ne sais pas… ce que tu es… ou bien ressens… Ce dont sont capables ceux de ton clan. Mais je sais… oh je sais… j'espère tellement… Que je m'étais trompée tout ce temps. »

« Je ne sais pas… si tu dis vrai… si tu comprends… que je m'en vais définitivement. Ne cède pas… si tu dis vrai… si tu la sens… cette gentillesse, ce coeur aimant. Dans l'autre cas… si tu mentais… à ce moment… »

Elle ne termina pas, ferma la porte derrière elle. La voix de Buzzy, encore forte d'abord, qui l'appelait, paniquée, se réduisit peu à peu et les tremblements, vagues reliquats des secousses que devait donner la changeline, s'amenuisirent à rien, jusqu'à ce que dans la grande salle illuminée, en haut des escaliers, Twilight puisse rouvrir les yeux et soupirer.

En bas Rarity lui demanda si elle allait bien, et Twilight hocha la tête. Elle se sentait libérée d'un poids, même s'il en restait une partie qui la poursuivrait encore longtemps, de l'inquiétude pour les bisons, des pensées pour ce monde qu'elle avait connu un instant et qu'il lui fallait laisser derrière. L'ironie ne lui échappait pas.

Spike avait installé des sacs de couchage. Les deux licornes plaisantèrent que c'était une soirée entre pouliches improvisée. Un instant Twilight regarda la lampe à lucioles que le petit dragon avait sortie pour l'occasion, mais n'en fit pas grand cas et tandis que Rarity restait assise à côté, à causer à mi-voix avec Spike, elle se força à fermer les yeux. Elle était chez elle, et cette pensée seule suffit à l'emporter.

Ce fut tout juste si elle eut le temps de se rappeler que durant son rêve elle avait croisé Luna.

Au matin quand elle s'éveilla, à l'instant où elle sentit qu'elle s'éveillait et que des heures avaient dû passer, Twilight Sparkle se redressa en sursaut, regarda autour d'elle les sacs de couchage et Rarity qui déjà lui tapotait l'épaule pour la rassurer. Son amie avait la crinière défaite à force de veiller, et ne semblait tenir debout que par les coutures de la volonté.

« J'ai dormi combien de temps ? » Demanda Twilight avec empressement.

« Toute la nuit, très chère. » Bâilla Rarity en titubant. « Et maintenant si tu ne m'en veux pas je vais m'effondrer de façon distinguée. »

L'instant d'après elle était la tête sur le coussin, étendue sur le sac de couchage et Spike ramenait sur elle la couverture de réserve.

Encore une fois, Twilight se répéta. Chez elle. Ce fut de l'excitation. De la joie intense. Elle était libre. Elle était chez elle. Aucun mauvais sort ne l'emporterait. Et libérée comme d'une enclume, oubliant même la licorne qui heureusement dormait désormais à sabots fermés, la jeune jument se mit à cabrioler le long des étagères.

Il fallut que Spike la calme et lui rappelle de déjeuner pour qu'elle se calme, puis il lui remit une lettre arrivée plus tôt le matin, de la princesse elle-même, qui se réjouissait de son retour. L'écriture soignée de la princesse Celestia eut l'effet d'un baume infini.

« Et si on allait manger au restaurant ? Qu'est-ce que tu en dis, Spike ? »

« Je sais pas, Twilight… on peut pas vraiment laisser Rarity là toute seule. »

Twilight ne comprit pas d'abord. Son amie avait l'air de dormir tout à fait paisiblement. Spike pointa de la griffe la porte de la chambre et la jeune jument gloussa, se sentant idiote d'avoir oublié le sortilège encore actif là-bas. C'était vrai, elle ne pouvait pas abandonner la licorne au risque qu'elle disparaisse à sa place.

Aussi, au lieu de ça, elle s'attela d'abord à répondre à la princesse, pour la remercier, puis à fouiller à nouveau les ouvrages en quête d'un moyen de mettre fin au sort définitivement. Spike alla à la cuisine préparer une collation, en sortit une première fois et, la voyant à l'ouvrage, l'interpella un moment.

« Et si on utilisait ça ? »

Elle leva la tête, le regarda accolé à la vitrine où les six Éléments d'Harmonie reposaient dans toute leur gloire.

« Les Éléments ? » S'étonna Twilight. « Tu crois vraiment qu'ils auraient un effet ? »

« Ben je sais pas, en général tout ce qu'ils zappent retourne à la normale. »

La licorne pencha la tête. C'était vrai, mais en même temps quelque peu absurde, et elle se permit de donner une leçon d'harmonie à son assistant. Ce dernier s'excusa, il avait quelque chose sur le feu, et elle le regarda s'échapper à son cours pour disparaître derrière la porte. Tant pis. Les ouvrages pêle-mêle sur la table centrale n'apportaient, eux, toujours aucune réponse.

Ensuite Spike revint, avec des oeufs carottes et de la laitue, dit à Twilight en posant l'assiette sur la table d'attendre qu'il amène de quoi boire, et elle le remercia en frémissant d'avance. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas mangé, et elle resta là, toute bête, à regarder l'assiette avec un gentil sourire.

Spike revint, une pleine cruche de jus de pomme dans une patte et l'autre portant le verre. Il les posa, demanda à Twilight si elle allait bien. La licorne ne souriait plus.

« Je n'ai pas faim. » Dit simplement Twilight.

« Twilight, tu n'as rien mangé depuis hier soir. » La gronda Spike.

« Je n'ai pas faim, Spike, je n'ai pas faim ! » Répéta-t-elle soudain avec agitation.

« Qu'est-ce qui te prend, tu n'es pas toi-même ! »

Mais Twilight regardait déjà autour d'elle, à la bibliothèque si familière, à ce monde si familier et elle se répétait, elle n'avait pas faim, pas soif, et elle ressentait à nouveau cet horrible piquetis sur tout le corps comme une agression.

Puis sa raison reprit le dessus. Froidement. Non ! Elle était chez elle, et c'était juste le sortilège qui l'affectait encore, ce stupide sortilège qui en même temps envahissait le plafond de sa chambre. Elle était chez elle, se répéta Twilight. Chez elle.

« Twilight ! Reprends-toi ! » S'effraya Spike.

Elle se secoua : « Désolé, Spike. J'étais… »

Il ne l'écoutait plus. Les yeux du bébé dragon s'étaient détachés d'elle pour remonter plus haut, et Twilight vit son expression s'effrayer encore plus.

« Ne me dis rien. Le plafond… » Commença Twilight en se mordant la lèvre.

« … est devenu blanc. » Compléta Spike.

**** **** ****

Elle ferma les yeux, pesta, en entrouvrit un pour jeter un infime coup d'oeil au-dessus d'elle, la tête courbée, et découvrit la surface blanche trop familière de la sphère qui semblait écraser le plafond de moitié. Puis, à mesure qu'elle rouvrait les yeux, la blancheur redevint translucide, elle redécouvrit le ciel étoilé en plein jour, avec son soleil suspendu et la lune presque détachée. Aussitôt elle entendit également les rumeurs de ce monde étranger, les tambours et les voix graves des bisons qui chantaient.

Qu'est-ce qui se passait. La veille elle avait abandonné la changeline à une oasis de cactus, dans un désert improbable. Devant un horizon de feux ardents. L'esprit de la licorne se permit de faire du saute-mouton jusqu'à l'explication la plus probable, et elle se prit à sermonner la changeline de s'être fait retrouver si facilement.

La changeline était là, à mesure que le monde se dégageait toujours plus devant elle. Buzzy était attachée à un piquet, de façon très inconfortable par de lourdes cordes, et cinq bisons dansaient autour d'elle en cercle avec des peintures de guerre. Une bisonne, à l'écart, frappait du tambour en rythme et se joignait parfois aux exclamations. Autour, il y avait les tentes, des foules de tentes et de bisons affairés, de grands feux éteints, de piquets de lances et de chariots de cailloux. Plus de petits jardins, plus de verdure sur les tentes, mais toujours l'herbe jaunie et sèche au sol autour d'elle, sur laquelle reposait l'orbe, près des sacoches et du bocal à lucioles vide.

Quand elle eut fait un tour sur elle-même pour découvrir tout ce décor, elle se rendit compte que le Golden Oak avait disparu. Mais ce fut comme un constat, comme quelque chose de secondaire.

Buzzy semblait souffrir.

Ce n'était pas juste d'être attachée à ce mât, toute nouée et les pattes croisées contre le bois. La changeline geignait entre ses crocs muselés par une autre corde. Sa carapace semblait avoir pris des coups, comme une mauvaise chute. Sans doute dans la fuite.

Soudain, un beuglement mit fin à la danse.

« Reculez ! Reculez tous ! »

Twilight se retourna vers le bison énorme, au poil d'un brun sombre et si long qu'il touchait terre, et revêtu d'une coiffe de chef. Le bison la regardait directement, tandis qu'autour les autres bovins présents ne semblaient pas comprendre. Puis il y en eut pour s'exclamer, sans être sûrs encore, et leur chef lui-même en s'approchant plissait les yeux comme pour mieux voir.

« Par ma barbe ! » S'exclama-t-il enfin. « Quel est ce sortilège ? »

Il s'était arrêté devant la sphère et penchait dessus sa tête pour dévisager la petite Twilight Sparkle à l'intérieur qui, se sentant comme indifférente, continuait à observer sans songer à répondre. Tout lui était… étranger. Tout lui était égal. Puis elle trouva enfin la comparaison à ce sentiment : celui d'une visite qu'elle voulait écourter.

« L'esprit des bois m'en soit témoin, mais on dirait un poney ! Un poney, ça alors, » rumina à voix haute le bison, « mais c'est tout à fait impossible. » Et il dressa la tête, clama avec force : « Tous les poneys sont partis voilà longtemps ! »

Elle le regarda encore se tourner vers la changeline. « Vous autres wirtents ne savez que mentir et tromper. Ceci est votre fabrication ! » Et comme, muselée, la changeline ne répondait pas : « Eh bien ! Nous allons la déjouer ! »

Il ordonna qu'on apporte de la poix verte, et une bisonne s'approcha avec un bol, plongea la patte dedans et, après un instant de suspicion, se mit à en recouvrir la sphère d'un grand symbole trop vaste, sur toute la surface, pour que Twilight le reconnaisse. À peine eut-elle retiré le sabot que cette poix se mit à brûler et disparaître.

La bisonne regarda son chef, qui regarda la bisonne, tous deux sans savoir quoi faire.

« Je recommence ? » Demanda la bisonne.

Il opina, elle refit le même symbole à la surface du verre et à nouveau la poix s'embrasa et disparut en quelques instants.

« Qu'est-ce que ça signifie ? » S'énerva le chef. « Cette poix est censée dévoiler les subterfuges et les déguisements ! Elle n'est pas censée brûler ! »

« Peut-être qu'elle est passée de date ? » Suggéra la bisonne.

Son chef la foudroya du regard, et elle se fit toute penaude, grosse boule de crin blanc désolée avec son bol. Le chef, lui, s'était remis à réfléchir, puis se décidant il se pencha sur l'orbe, le regard sombre.

« Dis-moi ce qui est arrivé à la poix, boule magique. »

« Je n'en sais rien et je m'en fiche. » S'impatienta Twilight. « J'aimerais savoir, moi, pourquoi vous m'avez dérangée. »

« Dérangée ? » Gronda le bison. « Ah ! Tu n'es pas un artifice changelin après tout ! Mais alors, tu serais un artefact équestre ? »

« Je ne suis pas un objet, » corrigea Twilight, offensée, « je suis une jument. »

Le chef se redressa d'un coup.

« Les poneys sont avec nous ! C'est une jument ! C'est une jument tombée du ciel ! »

Pendant qu'il clamait cela, et qu'autour de lui les autres bisons le répétaient avec joie, presque avec exaltation, Twilight Sparkle marmonna pour le corriger, qu'elle n'était pas tombée du ciel, que lui tomberait des nues si elle arrivait à lui mettre en tête que les poneys n'étaient pas aller cavaler dans l'espace, mais enfin tout cela se résuma à un « nanani nanana » agacé de sa part.

Les bisons, eux, semblaient comme en transe. Ils bondissaient à présent, se donnaient des coups de corne et répétaient « les poneys sont avec nous ! » Et « l'esprit des bois veille toujours ! » Et d'autres choses farfelues dont la jument ne se soucia pas. Elle se sentit soudain soulevée, les vit déposer l'orbe sur un coussin de satin et le chef se coucher devant elle, la tête contre le sol.

« Mille excuses, poney du ciel, j'ai été aveuglé. Je suis le chef Buffalo. Pardonne mon emportement. »

« Tout est pardonné, » s'attendrit Twilight, « je m'excuse aussi d'avoir été… impatiente. »

« Bien sûr, poney du ciel, je comprends tout à fait. Les poneys sont les amis des bisons, vous êtes ici chez vous. » Il ne saurait jamais à quel point Twilight détesta ces mots pour tellement de raisons. « Et votre arrivée est providentielle ! » Reprit-il plein d'espoir. « Moi et mes guerriers n'attendions qu'un signe pour enfin reprendre Appleloosa ! Si vous nous accompagnez, avec l'esprit des poneys à nos côtés nous sommes sûrs de l'emporter ! »

« Ah oui. Ca. Je… ne suis pas sûre de pouvoir vous aider beaucoup. »

Et par là Twilight songeait également qu'elle n'était plus sûre de le vouloir vraiment. Mais la jeunesse et l'emportement du bison avaient quelque chose de contagieux. Comme son espoir qui brillait dans ses yeux.

« Ah ah ! Pas besoin d'aide, regardez-nous faire ! Une fois lancée, rien n'arrête la charge du troupeau ! »

À quoi bon l'en dissuader, songea Twilight, à part se faire enfermer à nouveau dans un coffret. Tout cela ne la concernait pas, au final. Elle approuva donc, à la plus grande joie du chef Buffalo qui, se redressant, beugla la nouvelle. Qu'on déterre les haches et les piquets, le troupeau prenait le sentier d'Appleloosa.

Twilight Sparkle, elle, regardait la changeline attachée au piquet. Elle réfléchissait, elle n'était pas bien sûre à quoi mais devinait déjà ses intentions et se sentit soudain un élan irrésistible, fait de mensonges interminables.

« Chef Buffalo ? » Appela-t-elle avec trop d'amitié pour obtenir son attention. « Est-ce que vous pourriez libérer ma porteuse ? »

« Votre porteuse ? » S'étonna le bison, et il fallut qu'elle lui désigne Buzzy. « Le changelin ? Mais c'est un changelin ! »

« Une changeline, » corrigea Twilight avec tact, « et une changeline à mon service. Elle ne tentera rien, n'est-ce pas Buzzy ? »

La changeline gémit un peu plus fort sous la corde.

« C'était un oui. Et j'insiste. C'est une porteuse très fiable. Sauf pour les rivières. »

« Si c'est votre volonté, » se soumit le chef Buffalo.

Il fit signe et les bisons, après s'être regardés, s'y mirent à quatre pour descendre le mât et détacher la changeline. Cette dernière passa un moment à se masser, et les pattes et le museau, et à couiner un peu, puis ses yeux insectoïdes s'arrêtèrent sur la jument dans sa sphère de cristal. Ces yeux insectoïdes si difficiles à déchiffrer.

Twilight lui dit d'approcher, en feignant de s'agacer, et Buzzy obéit. Elle approcha prudemment, obéit encore quand la jeune jument lui ordonna de la soulever, et pas avec la gueule. Une fois entre sa patte, Twilight se tourna vers le chef.

« Nous avions des lucioles également. Vous ne sauriez pas où elles sont ? »

« Elles se sont enfuies. » Admit le chef avec gêne. « Mais nous pouvons vous en fournir d'autres. »

« Ce ne sera pas nécessaire. Mais merci beaucoup. » Puis, pour Buzzy. « Alors Buzzy… prête à accomplir la volonté de la princesse Twilight Sparkle ? »

La changeline soupira et hocha la tête.

« Parfait ! » Tonna le chef. « Et à présent, préparez-vous tous ! Nous partons à l'heure la plus chaude ! »

Un grand cri de guerre s'éleva de tous les côtés, suivi petit à petit de partout par les premiers coups des tambours. Les bisons se mirent à courir de tous les côtés, dans une agitation exaltée, et il y avait dans leurs voix, dans leurs gestes, comme la rencontre de la destinée. Ils passaient et en passant regardaient cette orbe au côté de leur chef, sur cette changeline prisonnière, et avec un coup de fouet ils accéléraient le galop.

Le chef Buffalo à son tour se détourna, donna deux ou trois instructions à grands éclats de voix et, satisfait, s'éloigna au trot. Buzzy se retrouva seule dans l'agitation, prit peur et se mit à le poursuivre pour rester derrière, un peu tassée à chaque fois qu'un bovidé se rapprochait d'elles. Les sacoches, songea Twilight, mais il était un peu tard.

Le chef traversa les tentes du camp, et aux derniers piquets déboucha sur la falaise à pic surplombant le désert de bien cent mètres. La changeline manqua d'y tomber, glapit et se tapit au sol en tremblant.

Tout au loin, à l'horizon, il y avait le village bison, et juste derrière, comme des ombres, les silhouettes de toits, les formes indistinctes d'Appleloosa. Incroyable, songea Twilight, tant la distance devait être grande entre eux. La vision là-bas ondulait comme un mirage, comme les oasis un peu perdues au hasard dans cette plaine d'herbes sèches, ces oasis de cactus géants qui formaient une demi-douzaine de taches vertes.

Il lui sembla deviner, encore plus loin, s'étirant en petits éclats, la voie de chemin de fer, mais son regard fut attiré par tout autre chose encore.

Sur leur gauche presque effacé entre deux massifs rocheux étincelait toute une structure de métal, faite de tuyauteries et d'échaffaudages, et que la rouille réduisait aux couleurs des pierres rougies. Un chantier gigantesque là-bas, qui émergeait des massifs par ses grues et entièrement à l'abandon.

« Qu'est-ce que c'est, là-bas ? » Demanda Twilight.

Elle désigna le chantier et le chef Buffalo, la notant à ses côtés, baissa la tête.

« C'est tout ce qui reste de l'héritage équestre, je le crains. Voilà longtemps que l'Esprit de la terre ne se manifeste plus. »

« L'Esprit de la terre ? »

« Thunderhooves l'appelait Applejack. »

Elle resta sans mot dire. Parce que ça ne l'atteignait pas. Son amie Applejack était tranquillement à Ponyville, à l'attendre, et ce fut tout juste de la curiosité pour elle que d'entendre son amie liée à l'infrastructure là-bas. Puis elle réagit au nom de Thunderhooves.

« Qu'est-il… qu'est devenu le chef Thunderhooves ? »

Buffalo fit une mine grave.

« Il n'est plus chef. » Se sentit-il obligé de corriger. « Thunderhooves tient désormais compagnie à l'Esprit des bois. »

« Oh. » S'attrista Twilight. « Je suis… je suis désolée. »

« Je vais d'ailleurs le voir après avoir passé en revue les béliers. Ce serait un véritable cadeau pour lui si vous vouliez bien lui parler. »

Twilight se sentit confuse. Elle n'était pas bien sûre de ce qu'il voulait dire, mais décida d'aviser et accepta bien évidemment. En même temps elle réfléchissait à ce qu'elle voulait faire vraiment, maintenant qu'elle avait retrouvé un peu d'autonomie, mais… elle ne voulait plus rien. Juste partir, peut-être, même si elle avait toujours cette pointe de culpabilité à chaque fois que l'idée lui revenait.

Pourquoi. Ce qui se passait dans ce monde de mensonges ne la concernait pas. C'était une invention de l'orbe, ou bien, même si c'était vraiment un autre monde, ce n'était pas le sien. Mais si c'était vraiment un autre monde, alors elle voulait aider.

Mais aider qui.

Le chef Buffalo, après avoir toisé la distance, repartit et Buzzy, enthousiasmée à l'idée de s'éloigner de la falaise, le suivit de plus belle. Les bisons derrière démontaient les tentes tandis que d'autres, elle les vit en passant, étaient occupés à se jeter de pleins seaux d'eau fraîche. La marche sous le soleil, se dit-elle, les bisons devaient en avoir l'habitude. Faisait-il si chaud ? Elle le délaissa et regarda plutôt les colonnes de fumée s'élever, se demanda ce qu'ils faisaient. Des prières, expliqua le chef, ils appelaient la protection des esprits.

Plus loin sur le plateau, à l'écart du camp et dans une arène de faisceaux de bois, la licorne découvrit des bisons tractant déjà d'épais murs de bois sur roues, peints à l'avant de figures effrayantes, gueules ouvertes ou bêtes du désert.

« Nous approcherons d'Appleloosa, et si la surprise est avec nous nous chargerons dans le tas. » Affirma le chef avec foi. « Sinon, nous donnerons deux volées de pierres puis nous chargerons avec les béliers et les filets. Et si ça échoue, » dit-il sombrement, « nous leur couperont l'eau. »

« On peut assoiffer des changelins ? »

« Bien sûr. Ou bien ? » Demanda le chef avec sincérité. « Il y a quelque chose que je ne saurais pas ? »

« Les changelins… » allait dire Twilight, mais elle s'arrêta.

Elle allait dire, les changelins se nourrissent d'amour. Mais la présence de la changeline l'en avait empêchée. Peut-être que ce n'était pas le cas. Elle les avait bien vus faire, mais ce n'était… pas tout à fait la même chose.

Ses hésitations lassèrent le chef, qui s'en détourna pour aller à la rencontre de ses guerriers. La bisonne à qui il parlait semblait surtout empressée de goûter à nouveau aux pommes et au blé, et le chef lui assura qu'avant ce soir elle se baignerait dans un bain chaud d'Appleloosa. On aurait dit de la fratrie. Twilight se demanda s'ils étaient frère et soeur. Mais ensuite elle se rappela les coutumes des bisons.

« À quoi tu joues… » lui murmura Buzzy.

« Je ne sais pas encore… » murmura Twilight en retour, « … j'essaie juste de réparer mes erreurs. »

« Tu veux juste créer la discorde. »

La changeline fut interrompue par le retour du chef, dont le regard la fit trembler. Il semblait qu'il l'aurait volontiers piétinée au seul doute qu'elle ait pu ouvrir la gueule, mais de la voir se tasser et gémir le contenta. Le bison tourna son regard plein d'espoir sur Twilight.

« Tout est prêt ! Nous avons attendu ce jour depuis si longtemps. Voulez-vous toujours rencontrer Thunderhooves ? »

« Naturellement ! » S'empressa de dire Twilight.

« Il n'en croira pas ses yeux… » S'était réjoui le chef, mais sa voix s'était soudain étiolée. « Enfin, s'il arrive encore à vous voir. L'âge l'a rendu… » Il soupira. « L'eau ne coule que dans un sens. Pour nous tous. »

Sur ces mots, tous repartirent d'un faible trot de l'autre côté du plateau, en direction de la falaise où il semblait à Twilight qu'il n'y avait rien, jusqu'à ce qu'en s'approchant elle découvre un second plateau soubassé du massif, de juste deux ou trois mètrs, qui avaient suffi à l'effacer jusqu'alors. elle vit aussi sur ce plateau l'herbe verdir, les arbustes se couvrir de feuilles et au centre, entre huit totems en vaste cercle et mêlés à la végétation, un autel de pierre où s'attroupaient quelques bisons.

Ils étaient loin encore, et elle avait du mal à en distinguer les détails, surtout depuis son orbe qui ballotait à la patte de la changeline. Mais dès qu'ils furent descendus sur ce second plateau elle réalisa que la changeline marchait à présent dans de la terre, qui se mêlait de moins en moins de caillasse. De la terre fraîche, plus de la roche ni du sable. De l'herbe verte ponctuée de fleurs. Un microcosme des plaines de Ponyville, les arbres en moins.

« Quel endroit fantastique. » Songea-t-elle à voix haute.

« Les Grass Grounds étaient encore bien plus luxuriants autrefois. » Déplora le chef Buffalo. « Mais ces maudits changelins empoisonnent l'Esprit des bois ! »

Buzzy gémit au regard noir qu'il lui jeta, et Twilight se demanda soudain comment les changelins pouvaient empoisonner un esprit. Mais ce n'était effectivement pas au-dessus de ces créa… elle secoua la tête, et se concentra sur les lieux où elle s'attendait, à tout moment, à croiser quelque lapin.

Une bisonne venait à leur rencontre, ornée de fleurs et de colliers et le long poil roux coulant entre les épaules. Elle avait peint de petits traits bleus sur ses joues qui auraient dû la rendre agressive et qui, à la place, la rendaient un peu enfantine.

« Chef Buffalo ! Vous n'y songez pas ! » S'indigna-t-elle doucement. « Amener un changelin aux Grass Grounds ! »

« C'est la volonté de poney du ciel, » affirma le chef, « je m'en porte garant. »

« Je l'interdis ! » Insista faiblement la bisonne. « Pensez à Thunderhooves, mettre un changelin en sa présence ! Ce serait une humiliation ! »

Le chef baissa la tête, puis la hocha et pour Twilight :

« Navré, poney du ciel, mais Bythescruff a raison. Il faut que vous acceptiez de laisser votre porteuse en arrière, et que vous laissiez notre guérisseuse vous porter à sa place. »

« Tant que vous ne lui ferez pas de mal. » Décida Twilight.

C'était, au fond, tout ce qui lui avait importé au départ. Et ce fut comme si, à ces paroles, tant Buzzy que le chef Buffalo le réalisèrent. Mais ni l'une ni l'autre ne s'y arrêta et la jeune licorne, après avoir eu l'impression d'avoir commis une erreur, se laissa transporter d'un dos à l'autre, se retrouva à nouveau sur la bosse d'une bisonne.

« Bythescruff ? Je suis ravie de faire ta connaissance. »

« Moi aussi, poney du ciel. Je suis heureuse que l'esprit des poneys nous ait envoyé l'un des siens. »

Pas tout à fait ça, mais en même temps la jument songea que si c'était le cas alors elle aurait deux mots à dire à cet esprit. En même temps elle regardait Buzzy qu'un bison raccompagnait sur le premier plateau, et elle s'inquiéta en voyant le pas lourd du bovin à côté de la changeline toute menue.

On la transporta cependant parmi la poignée de bisons qui, entre les totems, s'occupaient à remplacer les fleurs dans les bols et à étendre les parfums dans un silence révérencieux. Les buissons et arbustes avaient été dégagés à l'intérieur de ce cercle pour laisser de la place à une énorme pierre rouge couverte de lierres, de fougères et de fleurs, et dans laquelle était incrustée comme une pierre d'un rose fragile.

Twilight eut un sursaut. Une pierre en forme de fleur.

Plus précisément trois fleurs, la plus grande et rose effaçant les deux autres, trois fleurs à six pétales colorées, c'était définitivement une marque de beauté. Elle n'était pas sûre de la reconnaître cependant, même si un instant, à la vue du rose elle avait pensé à son amie pégase. L'objet semblait trop bien poli pour être de la roche, sans doute une pierre précieuse mais fêlée. Deux pétales roses avaient des fissures qui remontaient jusqu'au coeur de la fleur et menaçaient à toute cette partie de se détacher.

« Thunderhooves, tu as de la visite. »

Twilight regarda autour d'elle sans rien voir, puis une voix enrouée par l'âge gromella devant elle, cachée par la courbe du dos de la bisonne :

« Où ça ? Je ne vois rien ! »

La bisonne sembla surprise, puis réalisa et, s'excusant, s'abaissa pour permettre enfin à Twilight Sparkle d'apercevoir le pied de l'autel.

Celui-ci avait été couvert de cadeaux divers, offrandes de fleurs, de légumes mais aussi de menus objets, de jouets et d'ustentiles, y compris une casserole. Elle vit parmi eux le bijou de soleil pourpre remis par la changeline à lunettes de Ponyville, et que les bisons semblaient avoir pris comme trophée. Mais la jument s'en fichait. Couché devant tous ces cadeaux, l'air sombre et les pattes comme enracinées, se tenait enfin un visage familier. Le chef Thunderhooves, sans sa coiffe, la regardait derrière ses rides et sa frustration.

« Qu'est-ce que c'est ? Qui est là ? » Grogna-t-il difficilement.

« C'est moi, Thunderhooves. » Dit Twilight.

« La princesse ! » S'exclama le vieux bison.

Il sembla vouloir se lever, mais ses pattes ne remuaient même plus, et tout son pelage devenu gris comme la cendre ne fit que frémir. Il battit la tête pour se dégager d'une emprise invisible qui était celle de l'âge, souffla, éructa et un bison se porta à lui pour l'obliger à se calmer, mais il le repoussa de sa voix morte :

« C'est la voix de la princesse ! Je la reconnais ! La voix de la princesse Twilight Sparkle ! »

« Thunderhooves, calme-toi, » le supplia le bison, « c'est un poney dans une orbe de verre. »

« C'est la princesse ! » Força misérablement le vieux bison. « C'est elle ! C'est Twilight Sparkle ! »

Le coeur de Twilight se mit à battre.

C'était la voix de Thunderhooves. C'était le visage de Thunderhooves. Et même si elle l'avait à peine côtoyé dans le temps, elle le reconnaissait maintenant sans peine. Et lui. Lui la reconnaissait. Simplement par la voix, il la reconnaissait. Elle en ignora même qu'ils avaient à peine dû se parler deux fois, deux minutes tout au plus. Elle s'en fichait. Pour la petite jument, qu'on la reconnaisse enfin avait brisé toutes ses barrières.

« C'est moi… » Répéta-t-elle encore avec émotion. « Comment… comment allez-vous après tout ce temps ? »

« C'est elle ! c'est bien elle ! » Se débattait le chef avec le bison qui voulait le calmer. « Pas de vouvoiement, mon amie ! Twilight, oh Twilight… Strongheart, Strongheart viens là, la princesse vient nous rendre visite ! »

Toute l'assemblée autour du vieux bison ne sut pas quoi dire, et baissa les yeux. Twilight Sparkle, un peu perdue, ne s'en formalisa pas.

« Strongheart, allez viens ! » Continuait la voix épuisée. « Cela fait si longtemps… comment vont tes amies, comment va Spike ? Et la petite, oh la petite, comme elle doit avoir changé ! » Sanglota-t-il un peu, dans un mélange de joies.

Il tenta encore de se lever, semblait vouloir arracher le sol même pour y parvenir mais enfin, l'épuisement aidant, il se résigna.

« Ta visite me fait si plaisir… Celestia m'a encore écrit, elle écrit trop serré, il faut lui dire d'écrire plus ample. Tu veux bien lui dire ? »

« Elle lui dira, Thunderhooves. » Dit Bythescruff.

« Ah laisse-nous laisse-nous ! Tu vois bien… tu vois bien que j'ai de la compagnie ! Où est Strongheart ? Mais tu dois avoir soif, Twilight, viens, assieds-toi. »

Elle se sentait la gorge nouée. Le vieux bison souriait à côté de la bisonne, sans voir l'orbe, sans voir Twilight, semblait regarder un point au hasard et elle ne savait pas quoi dire, l'envie d'appeler à l'aide sans oser, en même temps, briser les rêves dans lesquels semblaient flotter cette vieille connaissance.

Comme elle ne disait rien, le chef Buffalo s'avança. Sa jeunesse était soudain flagrante.

« Thunderhooves, nous partons combattre les changelins. »

« Les changelins ! » Fulmina la vieille voix brisée. « Les changelins ! Écrasez-les tous ! Écrasez-les tous ! N'en laissez pas un debout ! Piétinez la vermine ! »

Même avec la gorge enrouée, même sans forces, le vieux Thunderhooves parvenait à intimer une volonté terrible, et le jeune chef sembla se sentir lui-même trop timide face à cette vélléité.

« Nous le ferons, Thunderhooves. »

« Les changelins ! Ces maudits parasites ! Je ne les laisserai pas… ! Je ne les laisserai pas.. ! »

Le bison à côté de l'ancien chef fit signe aux visiteurs de se retirer. L'agitation était trop grande. Le vieux Thunderhooves semblait perdre toutes ses forces. Twilight sentit de la douleur dans ses paroles alors que, à leur départ, il continuait à fustiger les changelins. « Au revoir, Thunderhooves. » Dit Twilight tristement.

Ils sortirent du cercle des totems, et une fois cachés par la végétation le chef Buffalo releva la tête.

« Je suis navré pour son comportement. »

« Oh non, surtout pas ! » Répondit Twilight, émue. « J'ai été… heureuse de le revoir. »

« Il a dit que tu étais la princesse Twilight Sparkle. » S'étonna encore Buffalo. « Cela a dû être embarrassant pour vous. L'âge lui fait parfois… confondre les choses. »

Elle balbutia une réponse qui mourut à l'envie de détromper ce bison. Mieux valait ne pas compliquer les choses et retourner dans un coffret. Mais en même temps, l'envie était si forte de crier que Thunderhooves disait vrai !

« Avez-vous connu la princesse, poney du ciel ? Que pense-t-elle de nous ? »

« Oh, euh… elle est… » Que pouvait penser une Twilight ailée déesse de toutes choses. « Déçue. »

« Déçue ? » S'effraya un peu le bison.

« Déçue d'avoir laissé le monde devenir… ça. Elle… le vit comme un échec. »

« Elle n'y est pour rien. » Affirma Buffalo avec force. « Elle n'y est pour rien, elle ne pouvait pas prévoir la perfidie des changelins. Ce sont eux, tout est de leur faute. »

« Excusez-moi, chef Buffalo, mais… qu'ont fait les changelins, exactement ? »

Il la regarda avec de grands yeux.

« Mais ce sont eux qui vous ont fait disparaître ! C'est leur magie qui vous a arraché à notre terre ! »

Ces mots, ajoutés à la présence, juste là-bas, du vieux Thunderhooves, firent chavirer à nouveau la jument. De la révolte. De la colère. Bien sûr que c'étaient les changelins. Sa raison s'y opposa, ses émotions s'imposèrent, parce que… parce que les changelins… étaient les coupables tout désignés.

« Et si ce n'était pas eux ? » S'entendit-elle dire sans y croire.

« Ce sont eux ! » Beugla le bison, fermement. « Et ils paieront pour ce qu'ils vous ont fait ! Et pour le vol d'Appleloosa ! Que la colère du ciel s'abatte, nous les poursuivront jusqu'à Hexapoda ! Nous les chasserons d'Equestria ! »

Mais qu'est-ce que les changelins avaient fait, voulait dire Twilight Sparkle. Parce qu'elle ne connaissait aucune magie, absolument aucune magie capable de faire disparaître tout un peuple. Le chef voulait dire que les changelins les avaient envahis, avaient dévoré leur amour ? C'était forcément cela.

Alors pourquoi les bisons avaient pu en réchapper, et pas les poneys.

Pourquoi des vaches conduisaient les trains.

Elle voulut répondre, quand le chef Buffalo se détourna au bruit de buissons agités. « Ah, Gatecrosser ! Tu tombes bien ! »

« Votre nom est Buffalo, et Tilori est le mien. » Répondit une voix exotique et polie.

Bythescruff réalisa à nouveau que Twilight ne voyait rien et s'avança pour dépasser le chef et lui permettre de découvrir, sortie des buissons, une zèbre en cape vert et brun, tout droit sortie de l'art équestrien, avec trop d'ornements pour pouvoir vraiment servir aux voyages. La zèbre, dont les rayures or révélaient que son crin n'était pas gris mais d'un jaune très pâle, portait aussi des anneaux et boucles d'oreilles en argent, et trois petits sacs attachés sur le côté que la cape ne couvrait pas.

Il sembla que la zèbre, en apercevant un petit poney enfermé dans une orbe, ne s'en étonna même pas.

« Qu'avons-nous là ? Quelle surprise. Qui sur votre dos est assise ? »

« C'est un poney descendu du ciel pour nous mener à la victoire ! » Affirma Buffalo avec zèle, en désignant l'orbe sur le dos de la bisonne, et non sans obtenir un rictus de la part de Twilight.

« Elle approuve vos querelles ? J'ai peine à croire à cette histoire. Ne préféreriez-vous pas justement qu'elle restaure le talisman ? »

Le chef des bisons sembla sur le point de répondre, puis s'arrêta, soudain bête. Lui et la bisonne se regardèrent et cette dernière haussa les épaules, sans bien savoir, l'air de dire qu'il valait le coup d'essayer. Le chef se renfrogna.

« Très bien ! Nous retarderons le départ. Bythescruff, je te confie poney du ciel. »

Twilight Sparkle, hurla intérieurement Twilight Sparkle. Bientôt le chef l'appellerait Skymare si ça continuait.

Elle pensa à Buzzy qui devait l'attendre là-bas, puis se rappela que ça n'avait pas d'importance. Puis songea à Thunderhooves. Le chef fut bientôt assez loin et il ne resta plus que la bisonne et la zèbre qui, toutes deux, semblaient attendre qu'elle dise quelque chose. Mais la jeune licorne était plus occupée à se demander ce qu'elle ressentait vraiment. À soupeser si, là-bas, c'était le vrai Thunderhooves.

« Puis-je l'observer de plus près ? » Demanda la zèbre en pointant l'orbe du sabot.

Elle n'avait pas rimé.

« Bien sûr, Tilori. » S'exécuta la bisonne.

Elle se coucha, se pencha vers l'avant cette fois et l'orbe roula jusque sur sa tête. Définitivement plus pratique, songea Twilight, même si légèrement plus instable. La zèbre s'approcha assez pour que son museau ne soit plus qu'à vingt centimètres du verre.

« C'est ce qu'il me semblait. » Acheva-t-elle.

« Quoi donc ? » Demanda Bythescruff.

« Tu as une corne, mais n'as pas d'ailes, » nota la zèbre jaune pour la jument, « Et pourtant tu es son modèle. As-tu sa science ? Nous le verrons. La patience me semble bon. Je suppose que tu as vu la pierre. »

Elle se tut, et Twilight attendit la suite, fut surprise qu'il n'y en ait pas, réalisa que c'était une question. La zèbre sourcilla.

« Oh ! » Se réveilla la licorne. « Tu veux dire sur l'autel, le bijou en forme de fleur ? »

« Et d'où s'étend le lierre, et qui donne vie à la terre, la cause de ce parterre, l'esprit des bois, je parle bien de ça. »

Twilight supposa avoir potentiellement offensé la zèbre, sans être bien sûre de savoir si c'était seulement pour avoir mis tant de temps à répondre.

« J'ai aussi vu qu'il était fissuré… » admit Twilight. « Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Ce fut la bisonne qui s'empressa de répondre : « L'Esprit des bois a voulu redonner vie au désert. Elle a taillé ce talisman et nous a dit de le garder ici, aux Grass Grounds. Mais les changelins ont trouvé le moyen de l'atteindre et de le fendre, et depuis l'herbe jaunit, les arbres dépérissent, le soleil brûle et les sources se tarissent. »

La zèbre approuva de la tête.

« Poney du ciel, peux-tu aider Tilori à réparer le talisman offert aux bisons par l'Esprit des bois ? »

« Je… » Twilight baissa la tête. « Je peux essayer. Mais en l'état je ne sais pas bien ce que je pourrais faire. »

« Ce que tu dis ne rime à rien. » Nota Tilori de sa voix exotique. « Toi jument, sauver ces terres est ton destin. Tu peux sonder les arcanes, travailler le fer, ou bien y préfères-tu la guerre ? Je croyais les poneys moins belliqueuses. »

« Pas du tout ! Je, euh… la guerre serait affreuse ! » Elle soupira, reprit. « Mais sans ma magie, je suis impuissante… »

« La magie n'est pas tout, tu en es consciente ? »

« Excusez-moi toutes les deux, » se permit la bisonne en gonflant les joues, « mais le troupeau s'apprête à descendre sur Appleloosa. Nous n'avons pas vraiment le temps de débattre. Si ça ne vous dérange pas. »

Toutes se rangèrent à cet avis.

Il était interdit de s'approcher du talisman lui-même, tant par crainte de le briser que par tradition, et parce que Thunderhooves n'aurait jamais laissé faire cela. Alors à la place, la zèbre, pour étudier le talisman, avait choisi d'étudier les plantes elles-mêmes, et la manière dont le talisman, avec sa magie, leur permettait de pousser. Elle discutait botanique, comme si elle supposait que Twilight comprenait tous ces termes en lacrin, et elle avait raison. Parfois la jeune licorne faisait une ou deux remarques qui accéléraient brutalement l'échange, puis il fut question de savoir de quelle magie équestre il s'agissait.

Parce que, Tilori était catégorique, et Twilight ne pouvait que se rendre à l'évidence, l'Esprit des bois était un artefact poney. Probablement terrestre, mais elle ne voyait pas comment transposer leur affinité avec les plantes dans un bijou, et encore moins comment un bijou, ensuite, pouvait faire pousser de l'herbe sur tout un désert.

Et puis, toute une région ne pouvait pas dépendre d'un seul objet, quand même.

La licorne suggéra que ce n'était pas la seule source, qu'il devait y avoir autre chose et Bythescruff, la portant toujours, soupira qu'évidemment, le talisman n'était que symbolique, que c'était l'Esprit des bois qui était à l'oeuvre. Tilori secoua la tête.

À ce stade du désaccord, Twilight Sparkle en vint à vouloir partir. Elle regarda derrière elle, dans l'orbe, comme s'il y avait un chemin pour Ponyville, pour le Golden Oak. Puis, s'excusant auprès de ses interlocutrices, sur excuse de réfléchir elle s'y renferma. Les parois blanchirent. Elle se mit à appeler Spike.

Rien.

Cela l'inquiéta. Mais pas de beaucoup. Elle revint aux Grass Grounds, s'excusa pour sa légère absence et demanda ce qui avait déjà été tenté pour réparer le talisman. Des rituels, des danses. La nuit encore, ils avaient été vingt à danser autour des totems pour apaiser la douleur de l'Esprit des bois. Tilori leva les yeux au ciel, puis parla de formules magiques beaucoup plus familières à la licorne. L'autel, avec ses totems, fournissait tout ce qu'il fallait pour projeter le sort et restaurer le talisman. Il fallait juste la bonne formule, et aussi… la magicienne. La zèbre semblait cependant sûre de pouvoir le faire.

« Mais euh… tu n'as pas de corne. » Fit remarquer Twilight.

« Ce n'est pas à ça que la magie se borne. » Nota Tilori.

« Les zèbres ont aussi leurs rituels, » expliqua la bisonne, « elles disent pouvoir lancer des sorts avec des potions. J'ai toujours dit que c'était maltraiter les esprits, mais si cela peut restaurer le talisman, même Great Gallop ne s'y opposera pas. »

« La bonne formule, donc… » songea Twilight, et la discussion repartit là-dessus.

Il y avait des tas de sorts pour réparer les pierres précieuses fendues. Beaucoup d'autres pour réparer les objets magiques. Mais justement, il y en avait tant parce que chaque cas était spécifique. La zèbre approuva. C'était pour cela qu'elle étudiait les plantes, pour tenter de déterminer quel sort serait adapté. Et Twilight, soudain, au hasard de deux mots, d'un détail technique, se mit à ressortir une bibliothèque de connaissances.

Tout le travail acharné de la zèbre, à force de questions et de réponses sur ceci ou cela, la forme des fleurs ou l'épaisseur du suc, sembla s'expédier en quelques minutes. À présent qu'elle comprenait le problème, pour Twilight ce n'était plus qu'une équation, et même sans tableau noir elle était très forte à ça. Et elle connaissait ses formules.

La conclusion fut qu'il faudrait vingt-quatre licornes au moins pour projeter un sort plus ou moins équivalent à vouloir fendre une montagne en deux. Au-delà, le sort devenait instable. en-deçà, continua-t-elle, l'effet ne se produirait pas. Et Tilori de conclure en faisant correspondre ça par les quantités d'ingrédients nécessaires, à commencer par un kilo de souffre au moins.

Les trois équidées se regardèrent.

« On peut réunir ces ingrédients aujourd'hui ? »

« Même Everfree n'aurait pas assez de produits. » Répondit Tilori.

« Je prends ça pour un non. »

Pas de licornes, sauf à découvrir soudainement comment sortir de cette stupide orbe. Pas assez d'ingrédients non plus, et effectivement un kilo de souffre aurait demandé une véritable expédition. Mais en même temps, on ne fendait pas en deux une montagne tous les jours. Donc, aucun moyen de réparer le talisman. Pas tout de suite en tout cas.

Elle se mordit les lèvres. La charge des bisons aurait bien lieu. Mais en même temps, réparer le talisman ne l'aurait pas évité. Elle ne savait même pas bien d'où était venu cette idée. L'herbe verte n'empêcherait pas les changelins.

« Les changelins ! » S'écria Twilight.

On entendit, au loin, la voix brisée de Thunderhooves réagir, et Bythescruff fit signe de parler plus bas.

« La magie changeline ! » Reprit-elle plus doucement. « Eux sont assez nombreux, et ils pourraient sans doute- »

« Demander à nos ennemis de venir sur nos terres sacrées réparer le talisman qu'ils ont fendu ? Le poney du ciel est-elle devenue folle ? » S'étouffa presque la bisonne. « Plutôt se rouler dans les cactus ! Comment osez-vous seulement le suggérer ! »

« Vous ne devriez pas ainsi enrager. » Nota calmement Tilori. « Vous ne savez pas ce qui a causé la fissure. Vous n'avez aucun moyen d'en être sûre. Vos propos attisent la division, et vous passez à côté de la solution. »

« Non ! » S'outra Bythescruff. « Je ne sais même pas comment vous pouvez encore défendre les changelins après tout ce qu'ils ont fait ! Ils ont fait disparaître les poneys, ils ont brisé le talisman, ils nous ont chassé d'Appleloosa ! C'est à croire que vous êtes aveugle ! »

La zèbre se garda bien de répondre.

Twilight aussi se sentit stupide. Mais techniquement c'était la meilleure solution. Si seulement les changelins avaient été gentils, avec la bonne formule ils auraient pu réparer le médaillon. Sans doute. Peut-être ? Elle n'avait au final qu'assez peu étudié la magie changeline, mais elle avait vu un changelin projeter de l'amour, et cela…

« Tilori, les changelins peuvent-ils donner de l'amour ? »

La zèbre pencha la tête : « C'est leur nature, il le font tous les jours. »

« Oh. »

Oh. Quand elle serait retournée auprès de ses amies, et qu'elle leur raconterait comment tournait ce monde, elles n'en croiraient pas leurs oreilles. Qui sait, si les changelins étaient si gentils, peut-être que les ponettes avaient été les méchantes ? Il y avait vraiment eu une déesse Twilight Sparkle et tous les peuples s'étaient unis contre elle.

Tellement de choses ne collaient pas cependant, à commencer par sa présence, et à nouveau la solitude vint la tarauder. Elle avait hâte de repartir.

Les tambours de guerre retentirent, plus fort et plus proche, et Bythescruff dressa la tête en oubliant presque l'orbe qu'elle portait. « C'est l'heure. » Dit-elle simplement, et la zèbre, comme s'il s'était agi d'un signal, se détourna.

« Passe à Everfree, à l'occasion, poney du ciel. » Sourit-il aimablement. « Notre demeure regorge de merveilles. »

« On doit y aller. » Reprit la bisonne.

« Mais le talisman ? »

« Il n'y a rien à faire. À part si tu peux faire descendre vingt-quatre licornes. »

Dans un soupir, Twilight se rendit à l'argument. Cela la travaillait, à présent, l'idée qu'elle pouvait réparer ce talisman, qu'il lui suffisait juste… de faire la paix entre deux peuples. Puis elle songea à ce mot, Everfree. Puis elle n'y songea plus. L'idée montait qu'ils allaient marcher sur Appleloosa, qu'elle allait regarder les bisons combattre les changelins, et elle n'était toujours pas sûre de ce qu'elle devait en penser.

Elle était seulement à peu près sûre de protéger Buzzy.

Et pourquoi, se révolta une part d'elle. Parce qu'elle était gentille avec des lucioles ? Elle lui avait… Twilight soupira. Tout le monde pouvait avoir tort ou raison, et elle en avait assez de passer de l'un à l'autre. Elle devait décider, maintenant, à qui elle ferait confiance.

Pourquoi pas laisser ce choix à Buzzy.

Cette dernière attendait, toujours sous la garde du bison, juste à l'entrée du bas plateau, avec des airs d'enchaînée. On lui avait ramené ses sacoches, et cela rappela à Twilight : « Le soleil pourpre ! » Elle expliqua, l'objet qu'elle avait promis d'emmener à Canterlot, et Bythescruff promit d'aller le lui chercher. Après quoi on laissa la changeline récupérer l'orbe et on l'escorta du côté du camp entièrement démonté où désormais se pressait la masse des bisons.

Les tambours attachés aux sangles battaient à grands coups des marteaux tenus à pleine gueule. D'autres tractaient les béliers, d'autres des chariots de roche, d'autres des bassines d'eau entières. Quand elle vit à l'avant, auprès du chef Buffalo, une sorte de siège tressé et décoré en hâte, avec ses propres sangles, et le creux en son centre, elle sut d'avance ce qu'on allait lui demander.

« Poney du ciel, » lui dit Buffalo, « Je comprends que vous ayez votre porteuse, mais pour le voyage et la charge il vaut mieux que vous soyiez bien installée. »

« Je comprends. » Approuva Twilight. « Tant que ma porteuse me suit de près. »

« Vous semblez… attachée à ce changelin. »

« J'ai mes raisons. »

On l'installa au dos d'un bison, sur ce siège d'où elle dominait réellement tout le troupeau, et elle vit à nouveau dans la masse tous ces yeux qui furetaient vers elle avec des éclats d'espoir. Que représentait-elle vraiment, la jument ne pouvait pas l'imaginer encore. Une excuse pour attaquer, pour ce qu'elle en savait. Elle songea encore à Thunderhooves, se résigna et, après avoir vérifié qu'il y avait bien, sur le côté, la carapace noire de Buzzy, dont elle nota en se fâchant la corde attachée au bison, Twilight se laissa porter par le mouvement. À l'heure la plus chaude passée, le troupeau était en marche.

La descente du massif fut un peu ardue, sur des passages étroits où, à la file, les bisons se pressaient. Mais une fois en bas, dans l'herbe jaunie du désert, la troupe s'élargie et commença un trop lourd et terrible qui faisait souffrir les roues des chariots, et qu'ils semblaient vouloir tenir jusqu'à Appleloosa.

Buzzy suivait difficilement.

La poussière qu'ils dégageaient, étouffée en grande partie par l'herbe, virevoltait néanmoins comme une petite tempête. Twilight s'amusa à l'idée de pouvoir surprendre qui que ce soit, mais à présent dans la plaine et sous le soleil elle ne pouvait même plus distinguer ni Appleloosa ni le village bison, et à peine au loin une des oasis, en sorte de mirage. Les tambours battaient toujours. La chaleur semblait tout écraser.

Enfin à peu près tranquille, Twilight fit revenir la blancheur sur les parois, si naturellement qu'elle s'effraya de sa maîtrise. Elle n'avait presque plus besoin d'y penser.

« Spike ? »

« Twilight ? »

Elle se retourna, fit face au bébé dragon devant la porte ouverte sur la chambre du Golden Oak. La porte se découpait dans la blancheur et le dragon n'osait pas en franchir le seuil.

« On est où ? » S'étonna le dragon.

« Dans une orbe de verre maléfique. » Résuma la licorne. « Tu ne m'as pas entendue appeler, plus tôt ? »

« Euh, non ? »

Les voix de ses amies se pressèrent derrière la porte, de depuis la grande salle où elles semblaient se presser pour monter les marches. Twilight ne les attendit pas, traversa la porte et la referma d'un coup sec du sabot. Toutes les juments s'arrêtèrent à mi-chemin en la voyant faire, sans savoir comment réagir.

« Twilight, je ne sais pas vraiment comment dire… » Essaya Fluttershy, et ce fut Pinkie Pie qui compléta : « Arrête de disparaître ! C'est stressant, tu peux pas savoir ! »

« Eh là, eh là ! » Calma Spike. « Elle subit autant que nous tous ! »

Twilight soupira. Il faudrait bien deux heures, à leur train, avant que les bisons n'atteignent Appleloosa. Probablement plus, se dit-elle avec un sourire moqueur. Ils ne pouvaient quand même pas trotter comme ça d'un bout à l'autre non plus.

Cela signifiait deux heures tranquille.

« Excusez-moi toutes, » dit-elle avec cette fausse joie qui marquait l'agacement, « j'étais occupée à attaquer Appleloosa. »

« Quoi ? Mais qu'est-ce t'as contre Appleloosa ? » Se révolta Applejack.

Twilight entreprit de faire ce qu'elle aurait dû faire depuis hier soir. Leur raconter tout ce qu'elle avait vécu, tout ce qui s'était passé et qui se passait encore. Et à mesure qu'elle racontait, elle se sentait comme soulagée, comme capable de mettre enfin les idées les unes derrière les autres.

Ses amies, elles, se regardaient les unes les autres autour de la table, tandis que Spike passait servir le repas, et qu'Owlovicious se nettoyait les plumes au bout de la pièce.

« J'aimerais bien refleurir un désert… » marmonna Fluttershy.

« Y a un truc… » Dash avala ce qu'elle mâchait. « Y a un truc que je comprends pas. T'as dit que tu pouvais téléporter l'orbe, non ? Pourquoi tu fais pas ça plus souvent ? »

« Parce que, Rainbow Dash, » dicta Twilight, « je n'ai aucune idée de comment j'ai fait sur le moment, c'était un coup de panique ! »

« Mais ton sort de vision fonctionne, lui… » Nota encore Fluttershy.

Elle regarda ses amies et ronronna. C'était tellement plus agréable de se poser les questions en groupe, avec des visages amicaux, plutôt que seule dans une blancheur crue et… pas très froide.

« Moi, c'que j'comprends pas, » se renfrognait Applejack, « c'est où est c't orbe. T'es dedans, dehors, ça marche comment ? »

« C'est ce que j'aimerais bien savoir, crois-moi. » Lui dit Twilight. « Je peux en sortir, mais… c'est comme si une partie de moi y restait. C'est pour ça que je n'ai pas faim et qu'à tout moment on peut m'y ramener.

« Non, je veux dire… »

Applejack repoussa son assiette vide et posa son chapeau devant elle à la place. Elle fixa Twilight avec ses yeux sérieux, sa crinière blonde dégagée et la rousseur brûlante à ses joues, comme si elle s'apprêtait à annoncer une nouvelle grave.

« … comment t'sais que t'es dehors ? »

Parce qu'elle était dehors, avec elles, c'était évident. Mais à l'instant où elle le disait, elle regarda Applejack comme si Applejack n'était pas là. Elle eut l'impression que ses yeux la piquaient. Son amie, elle, insistait.

« Et si tout ça, tout nous là, c'tait encore une illusion d'la boule ? »

« Applejack, voyons, tu es ridicule. » Se moqua Rarity. Twilight arriva à peine à distinguer Rarity. « C'est comme si tu disais que tu n'existais pas ! »

Il ne restait presque plus qu'une silhouette d'Applejack, un reste de couleur, un contour : « J'ai juste envie qu'Twilight… »

« Les filles… » Paniqua la voix lointaine de Fluttershy.

Devant la jeune licorne ne restait que la blancheur de l'orbe, et son coeur battant. Elle le sentait battre comme battraient les parois, comme si l'univers s'était soudain refermé dessus et vibrait, et vibrait, et vibrait, d'un hurlement qui ne venait pas.

Elle regardait là où avait été Applejack. Elle recherchait encore la sensation du tabouret, la sensation de la table, la position où elle avait été l'instant d'avant et son esprit hurlait et elle ne l'entendait pas.

C'était si tranquille. Tout était si tranquille. Tout était si tranquille soudain.

Elle attendait Spike, songea confusément Twilight. Et en attendant Spike, en attendant qu'il arrive, en attendant sa voix et son visage, sa petite crète verte, elle ne faisait plus rien. Comme un monde figé à son halètement paniqué. Incapable d'aligner deux pensées. Incapable de suivre son propre raisonnement jusqu'où il était allé.

Ce raisonnement s'effaça enfin, et la jeune jument se retrouva face non plus aux hypothèses mais à l'observation. L'orbe l'avait arrachée à ses amies encore une fois.

Il pouvait y avoir mille raisons à cela.

Mais pour le moment, elle était encore incapable de détourner ses yeux de l'endroit où Applejack s'était tenue, de son côté de la table qui n'existait plus, dans la salle qui n'existait plus, et elle attendait que tout reparaisse. Parce que son coeur battait trop fort et qu'elle sentait que si elle faisait un geste, un seul geste… il fallait juste attendre que la colère passe.

Enfin, enfin, quand elle put à nouveau respirer normalement, qu'elle put à nouveau se lever et trotter un peu, la bile encore plein la gorge Twilight se résolut à ce qu'elle pouvait faire.

La blancheur laissa place au monde autour de l'orbe.

Le monde était un champ de bataille.

Le bison qui la portait se cabra, retomba lourdement et les deux changelins en cuirasses d'un bleu sombre, avec des mandibules au casque, roulèrent en arrière sous le choc. Une autre bisonne passa à la charge et bouscula tout devant eux de leur gauche à leur droite, puis une volée de pierres fila dont plusieurs allèrent frapper le flanc du bison. Ce dernier beugla, chancela et se remit droit, à temps pour repousser un nouveau changelin. Les tambours de guerre combattaient les cornes d'Appleloosa.

Mais ce n'était pas la ville, c'étaient les tentes du village, la mêlée s'étendant surtout dehors où blessés et corps effondrés au milieu des béliers défoncés et des fumeroles bleues offraient un horrible spectacle. Mais déjà un nouveau groupe d'une vingtaine de bisons s'élançait, et comme en réponse de nouveau changelins surgissaient à leur rencontre, et vague par vague alors que son porteur se dégageait Twilight regardait les deux peuples se frapper à coups de cornes, à coups de sabots, et les plaintes se mêler aux cris de rage, aux sifflements, aux beuglements.

Un changelin surgit à côté du siège. Twilight sursauta, reconnut à peine les grands yeux de Buzzy, nota la corde toujours attachée à son torse. Buzzy chouinait et se serrait à la sangle qui tenait le siège en osier, et n'avait même pas vu la jument dans l'orbe.

« Buzzy ! Détache-toi ! » Lui cria Twilight.

La changeline d'abord ne réagit pas, trop effrayée, mais déjà le porteur se retournait, lui-même sourd à tout sauf aux tambours, et s'apprêtait à charger de nouveau, auprès d'autres, dans la masse.

« Détache-toi vite ! »

Cette fois la changeline la remarqua, ne comprit pas, puis comprit et, se retournant, saisit la corde pour la mordiller. Trop tard. Un bison avait tenté d'avertir le porteur de ce qui se passait mais ce dernier, déjà, dans un beuglement furieux, était reparti au galop. Ils s'enfoncèrent dans la mêlée, se firent presser de toutes parts. Un bison s'effondra à côté et manqua de les faire tomber à leur tour, puis il y eut un appel à l'aide que le bison n'entendit pas, trop occupé à fouler du sabot un garde changelin dont la cuirasse seule le sauva.

Le coeur de Twilight battait à tout rompre à cet horrible spectacle. Elle n'arrivait pas à tout suivre, elle frissonnait, les pattes tremblantes, bousculée elle-même à l'abri de l'orbe. Mais enfin Buzzy parvint à couper la corde, non sans un cri de douleur, et l'instant d'après trois gardes changelins sautaient sur le bison pour le mordre.

Le bison oublia ce qu'il portait, à la douleur se roula par terre pour les chasser et Twilight hurla de frayeur. Le vertige de la chute fut interrompu par un vertige plus fort encore, quand elle se vit emportée dans les crocs de Buzzy. Enfin, probablement de Buzzy, puisque la changeline qui la portait n'avait pas de casque. Une nouvelle volée de pierres se fracassa autour d'elles, dont l'une manqua de peu de frapper le visage, n'y jetant que quelques éclats. La changeline gémit, ne relâcha pas la sphère et, avec une force renouvelée, se jeta sous les pattes d'un bison pour se relever de l'autre côté, se retrouver bousculée d'un coup et rouler sur plusieurs mètres.

L'orbe alla rouler encore plus loin, au cri de Twilight.

Ensuite, il y eut comme un tonnerre. Le champ de bataille s'électrisa, une foudre verte s'y propageant avec force, aveuglante. L'instant d'après elle était passée, et il ne restait que la poussière tourbillonnnante. Les changelins chargeaient, les bisons sur place battirent en retraite. Twilight vit la changeline rescapée des sabots qui, là-bas, douloureuse, peinait à se relever. C'était Buzzy. Twilight voulait y croire.

« Alllez ! Relève-toi ! » S'époumonna-t-elle.

Et elle tenta un sort, n'importe quelle sort pour l'aider, mais ceux-ci mouraient à la surface de l'orbe. Les cornes de guerre venues d'Appleloosa s'intensifièrent, les tambours faiblirent puis reprirent de plus belle. Elle sentait déjà, aux tremblements du sol, la nouvelle charge qui se préparait.

« Prince, nous devons partir ! » Supplia un garde tout près, et Twilight se retourna.

Là, derrière les derniers bisons qui s'égaillaient, entre les corps épuisés et roués de coups des bisons et des changelins, s'avançaient les guerriers changelins. Devant eux le plus grand les dominait de bien deux têtes, et portait une cuirasse fabuleuse, digne de la fabrique de Canterlot. Le heaume, bien qu'agressif et finissant sur deux crochets, avait ces courbes douces propres à l'art équestre, et le métal cyan, presque bleu ciel, contrastait avec la noirceur des armures qui l'entouraient.

Ce changelin cherchait alentours, de ce regard insectoïde où pourtant Twilight parvint à lire l'inquiétude sans peine.

Puis elle se tourna de nouveau, vit Buzzy qui approchait en claudiquant, qui s'effondra, à nouveau, qui se releva. Un garde la vit, l'interpella. Elle fit encore deux pas, se traîna plus qu'autre chose pour atteindre Twilight et la saisir, et en voyant les gardes s'approcher, elle reprit l'orbe dans sa geule et se raidit.

Le grand changelin dans sa cuirasse cyan fit signe de s'arrêter. Il ne regardait pas la changeline douloureuse et paniquée. Il n'avait d'yeux que pour Twilight.

« Twilight. »

« Prince ! » S'écria le prince en voyant revenir les bisons. Trois changelins vinrent faire barrage, avec de gros boucliers de métal mais le prince les chassa et ordonna le repli, et à la changeline qui tenait l'orbe : « Viens. »

La voix douce et amicale eut raison de la peur. Les bisons derrière ne lui laissèrent de toute manière pas le choix. Buzzy, si c'était Buzzy, voulut suivre et le prince s'élança pour passer dessus et la mettre sur son dos, puis ouvrir ses ailes et répéter : « Toutes à Appleloosa ! » Un coup d'ailes l'arracha au sol, à quelques secondes des cornes pointées sur lui. Deux filets jetés sur lui le manquèrent.

« Ne la lâche pas, surtout. » Répéta le grand changelin à celle qui tenait l'orbe.

Cette dernière geignit.

Depuis la hauteur, en regardant en contrebas Twilight Sparkle découvrit l'ampleur des combats. À l'endroit où ils étaient l'instant d'avant changelins et bisons se battaient, avec fureur, comme si l'ordre n'avait servi à rien, mais partout ailleurs les changelins décrochaient. Elle voyait des bannières agitées et les joueurs de cornes, et de l'autre côté là-bas, près des chariots des frondeurs les joueurs de tambours. Entre les deux, le désordre, les débris d'armes et de bois, de cuirasses brisées et de tant de bisons et de changelins affalés ou qui tentaient de s'échapper.

Cette folie s'étendait sur la plaine jusque dans les premières tentes du village bison. De l'autre côté, en bas de la falaise, Appleloosa. La ville, bien plus vaste qu'à ses souvenirs, était fortifiée par les murs de fortune et encombrée de chariots. Il lui semblait y voir des poneys, mais elle savait déjà à quoi s'attendre. Puis, de l'autre côté des rails, là où auraient dû être les vergers, elle ne vit que des foules de puits, de derricks crachant leur vapeur.

Le grand changelin s'était posé déjà, galopait à présent avec les gardes, sa garde, et s'assurait que ses derniers combattants se dégageaient. Il y avait des nombres, des prisonniers, des blessés également. Le visage du changelin était sombre.

Bientôt les cornes se turent et il ne resta que les tambours et les beuglements de victoire.

« Ils nous poursuivent ? » Demanda le grand changelin.

« Non, prince. » Répondit un garde.

Le prince s'arrêta et laissa glisser la changeline, fit signe et aussitôt deux autres gardes se précipitèrent pour la couvrir de baumes.

Tout autour d'eux, c'était le même spectacle, des bannières et étendards, fourmis et cigales flottants déchirés et qu'on rabattait au long des files de changelins mal en point. Les chouinements se mêlaient à des crachats de rage. Partout des changelins allaient à leur rencontre, avec des baumes pleins les sacs, pour tenter d'endiguer la souffrance et ensuite, de porter les blessés à la ville.

Le prince regardait toujours l'orbe, et Twilight regardait toujours Appleloosa.

« Twilight Sparkle, c'est vraiment toi ? »

La jeune licorne se retourna.

« Euh… oui ? »

« Nous ne pouvons pas discuter ici. » S'inquiéta le changelin. « Il faut aller au saloon. »

« Et Buzzy ? » S'inquiéta Twilight.

Le changelin n'hésita même pas : « Ton amie a besoin de soins. Elle nous rejoindra plus tard. »

Il donna ses ordres, puis repartit en avant observer les derniers groupes qui se repliaient. La garde du prince, restée derrière, récupéra l'orbe de la gueule de la changeline et, la portant à la patte, l'emporta dans Appleloosa.

**** **** ****

Ce ne fut qu'une fois dans la rue principale qu'elle reconnut vraiment le village.

Jusqu'alors la jument n'avait croisé que des immeubles de bois hauts de trois ou quatre étages, bardés de pancartes, hotels et casinos, et surchargés de lumières et de petits tuyaux. Une ville morte de lampadaires alignés, de mannequins géants au milieu des rues, sur leurs piédestals, qui se laissaient dévorer par les années, tout bariolés de couleurs devenues fades. Puis il y avait les tentes et les chapiteaux, aux couleurs des bisons, qui avaient été saccagés. Puis il y avait les rails à même les rues poussiéreuses, comme pour un petit train. Un autre monde, pour Twilight.

Mais soudain c'était la rue principale, et sous le même poids des artifices festifs, des banderoles et des hauts-parleurs muets, des ampoules et du cuivre il y avait les bâtiments qu'elle connaissait, que le cousin d'Applejack leur avait présenté voilà… si longtemps. Comme un artefact intact, anachronique et qui luttait pour exister toujours.

Les passantes, changelins à traits de poneys apeurés, regardaient les gardes et regardaient l'orbe sans saisir vraiment ce qui s'y trouvait, et en retour la jument les regardait porter chapeaux, gilets et ceintures. L'une jouait, à l'entrée du saloon, de son harmonica, comme si les clameurs au-dessus d'Appleloosa, comme si les combats ne la dérangeaient pas. Elle ne s'arrêta même pas au passage des gardes et la mélodie, bien que réduite, continua de jouer dans la grande pièce.

La barmare leva à peine la tête, puis rumina en essuyant son verre. Les clientes n'étaient que d'autres gardes en cuirasse autour de cartes et de parchemins. Le piano reposait silencieux dans un coin. Le vieux chandelier brûlait à présent de lampes modernes, mais autrement tout semblait resté identique à cette époque lointaine où il fallait éviter une guerre entre les poneys et les bisons.

Rien n'avait vraiment changé, se dit Twilight.

On la posa sur une table, les gardes expliquèrent les ordres du prince et elle se retrouva à côté des verres et des cartes de la ville, flanquée de quatre changelins en chiens de faïence pour la garder. Les autres repartirent au galop et l'animation reprit, qu'elle ne comprenait qu'à moitié. Les deux tables les plus proches parlaient surtout du transport des blessés.

Ce ne fut qu'alors, qu'une fois l'agitation achevée et le calme réellement revenu, dans cette salle familière où les insectes ne faisaient que discuter, que la jeune jument réalisa leur fatigue et leur faim. Sous les cuirasses, les flancs creusés. Les yeux parfois mi-clos, pesants. La pesanteur de leurs gestes.

« Le prince ! » Clama une voix dehors, et les changelins à l'entrée firent place.

Le grand changelin entra, portant toujours sa cuirasse mais le heaume retiré, porté par une changeline qui le suivait. Il repéra aussitôt l'orbe et s'avança, l'inquiétude laissant place à la joie. Une expression presque amicale.

« Laissez-nous, toutes. » Ordonna-t-il.

Les changelins le regardèrent, puis obéirent, et trottèrent par la porte en les faisant battre en foule jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'orbe, le prince et la barmare qui continuait à essuyer son verre, comme si elle faisait partie des meubles. Le grand changelin ne sembla pas lui prêter d'attention non plus.

« Une changeline a pu s'enfuir et m'avertir que les bisons te retenaient prisonnière. Je t'ai reconnue dès qu'elle t'a décrite. J'ai… peut-être surréagi, » sembla regretter le prince, « mais l'important est que tu es sauvée désormais. »

Twilight ne se sentait pas exactement sauvée. Mais elle avait joué la comédie jusqu'ici et ne se sentait pas de raison de changer.

« Oh, tu sais, je n'étais pas vraiment prisonnière. » Atténua-t-elle.

« Dans un coffret chargé de chaînes ? »

« Seulement au départ. C'est une longue histoire, mais vers la fin ils voulaient que je mène la charge avec eux. »

Le prince baissa les oreilles, comme pris d'un nouveau poids. Il se détourna pour, avec sa gueule, tirer les sangles et détacher sa cuirasse qu'il posa contre le côté de la table. Une seconde passa encore avant qu'il ne la regarde à nouveau.

« Je suppose que les doyennes étaient de bonne foi. Mais elles auraient dû me faire confiance ! » Se plaignit-il. « Il y a déjà assez de suspicions comme ça. Et maintenant » son visage s'attrista, « ils m'accusent d'avoir voulu attaquer High Appleloosa. Mais peu importe, tu es là à présent ! Tout va s'arranger, je le sais ! »

« Bien sûr ! » Sourit Twilight nerveusement. « Aucun doute là-dessus. »

Il aurait fallu être aveugle et sourd pour ne pas deviner qu'elle mentait. Mais visiblement le prince était sourd et aveugle, parce qu'au contraire il n'en fut que plus assuré, et se mit à faire les cent pas devant elle.

« La situation s'est dégradée depuis votre départ. » Reprit-il. « Les changelins ont de moins en moins d'amour à donner, et maintenant les peuples se disputent. Pire encore, les miens ressentent la faim. La faim, Twilight, ce n'était plus arrivé depuis la défaite de Chrysalis ! » Il semblait alarmé. « Et à cause de la faim, il y en a qui renient leur nature. Hexapoda n'est plus que l'ombre d'elle-même. »

La défaite… de Chrysalis ? Twilight Sparkle se souvenait bien de cette reine perfide. Il parlait de la défaite de Canterlot ? Non, non c'était forcément autre chose.

« Et puis il y a les bisons. D'abord ils nous ont accusé d'avoir asséché le désert, puis ils nous ont accusé de vouloir les chasser d'Appleloosa, puis de vous avoir fait disparaître. C'est de la folie, ils étaient là, ils ont vu ce qui s'est passé ! »

Qu'est-ce qui s'était passé ?! Hurla intérieurement Twilight. La jument désespérait de pouvoir poser la question et n'osait pas le faire.

Mais qu'est-ce que ça lui importait. Elle n'était pas concernée, ce n'était pas son monde. Elle devait juste se soucier… non, songea Twilight, en sentant la pointe dans son coeur. Ce qu'elle voulait vraiment, c'était aider. Faire ce qu'elle n'avait pas fait avant.

Réparer ses erreurs.

« Mais alors, qu'est-ce qui a fendu le talisman ? » Demanda Twilight.

« Je ne sais pas. » Admit le prince. Sa voix était mature et amicale, avec juste ce léger grésillement d'insecte. Un poney dans un corps de changelin. « Peut-être… Peut-être Mucin. Des changelins rebelles, mais pas nous ! Je te le promets, Twilight, nous n'aurions jamais fait ça. J'ai tout fait au contraire pour préserver Equestria. »

Le saloon. La barmare au comptoir. La petite mélodie de l'harmonica. Le Carousel Boutique, la chambre de Pinkie Pie, Ponyville toute entière. Elle eut un frisson.

« Vous… vous avez tout maintenu en l'état ? » Demanda-t-elle, choquée.

« Autant que possible. D'abord pour attendre votre retour. Ensuite… pour ne pas perdre votre enseignement. C'est déjà assez difficile d'enseigner l'histoire équestre en l'état. »

« J'ai cru comprendre. Et donc cette barmare… » Dit Twilight en désignant celle qui arrêta de nettoyer son verre un instant. « … elle… elle fait quoi ? »

La barmare haussa les épaules.

« C't un automate qui sert le cidre, » dit-elle avec sa fausse voix équestre, « mais Bar Back n'aimait pas ça. Alors j'suis là. »

« Nous appelons ça suivre la voie équestre. » Expliqua encore le prince. « Chaque changeline en âge choisit la ponette dont elle s'inspirera. Cela peut te sembler ridicule, mais pour nous c'est important. Un peu comme découvrir sa marque de beauté. Mais concentrons-nous sur le présent. » Reprit-il, résolu. « Il faut mettre fin à la dispute entre nous et les bisons. »

« Et comment on fait ça ? » Demanda naturellement Twilight.

Ses mots furent accueillis comme un rappel brutal de la réalité, et la jument elle-même s'en voulut un peu. Le regard du prince disait qu'il ne savait pas, et son silence le soulignait plus encore. Mais ce regard insectoïde disait surtout qu'il espérait qu'elle aurait la réponse. Et Twilight se sentit soudain toute petite, pas seulement à cause de l'orbe, parce que cette réponse elle ne l'avait pas.

« On pourrait… leur offrir des tartes aux pommes ? »

« C'est une suggestion, » admit le prince, « mais je pense qu'il va falloir plus qu'un banquet pour rétablir la confiance. Les bisons exigent qu'il n'y ait plus un seul changelin à Appleloosa. Y compris en train. »

« Dans ce cas, pourquoi ne pas accepter ? » Proposa la jeune jument.

« Parce que des changelins vivent à Appleloosa, c'est aussi chez eux. Et parce que le train est la principale connection entre Ponyville et Hexapoda. Si la situation se dégrade encore au Crystal Empire, sans le train je ne pourrais jamais y intervenir à temps. Ce serait couper le peuple changelin en deux ! »

C'était stupide, songea Twilight, après avoir admis la bêtise de sa question. Un royaume ne pouvait pas dépendre d'une simple ligne de chemin de fer ! Il suffisait d'un accident, ou bien d'une locomotive en panne. Puis elle se rappela les vaches mécaniciennes et décida d'en rester là.

Il fallait donc que les bisons cèdent. Restait à savoir comment.

« Est-ce que tu… » tenta Twilight, « … est-ce que les changelins pourraient réparer le talisman ? La magie changeline pourrait le faire ? »

« Je ne sais pas. Mais ça vaudrait d'essayer. Les bisons sont d'accord ? »

Elle secoua la tête.

À nouveau l'impuissance venait la ronger, à force de fouiller dans ses idées sans trouver de solution, mais ce n'était plus d'être enfermée dans l'orbe qui lui pesait. Ce prince, à la tête d'un royaume, était dans la même situation. Et Twilight se surprit encore d'avoir si aisément accepté que les changelins soient gentils.

L'envie lui reprit de demander ce qui était arrivé aux poneys, mais au moment de formuler la question elle se rendit compte qu'elle ne connaissait toujours pas le nom du prince, et elle craignit de se faire démasquer.

Son coeur se serra de culpabilité.

« Je suis désolée, je suis complètement inutile. » Se lamenta-t-elle.

« Ce n'est pas grave. » Lui sourit le prince. « Te revoir change déjà beaucoup. Tu as toujours eu le besoin de tout résoudre tout de suite, mais j'ai appris, pour ma part, qu'une princesse fait d'abord confiance aux autres. Montre l'exemple, et ils accompliront des miracles. »

« Mais ma seule présence n'a pas empêché bisons et changelins de se battre ! »

« L'univers ne dépend pas de nous, Twilight. » Et il sourit, comme à une blague : « L'eau ne coule… »

Que dans un sens. Ce qui pouvait dire tout et n'importe quoi, mais la jeune licorne n'insista pas.

Au moins, ce changelin la connaissait bien. Trop bien. Impossible de ne pas réfléchir à la manière de sauver la situation. Elle n'allait pas rester là à rien faire ! La vision du verre entre elle et la table, entre elle et le changelin, entre elle et tout, lui dit que si.

« Ah. » Dit la barmare au comptoir. « On a de la visite. » Et elle continua à essuyer son verre tranquillement.

Comment elle pouvait deviner cela extirpa totalement Twilight de son problème pour un autre, mais avant qu'elle n'en trouve la réponse les vantaux du saloon battirent au passage d'une changeline en cuirasse qui, face au prince, retira son heaume et se courba.

« Prince Thorax, un message des bisons. »

Le prince se tourna et derrière lui Twilight observa la changeline qui se redressait pour restituer le message à haute voix.

C'était un ultimatum. Les changelins devaient quitter Appleloosa avant le soir, ou les bisons lanceraient des flèches incendiaires depuis la falaise. « Ils ne peuvent pas ! » S'affola le prince. Mais la messagère répéta, les bisons tenaient déjà la crète et préparaient la poix. S'ils ne pouvaient pas prendre la ville par la force, il la raseraient.

Les bisons allaient brûler Appleloosa. C'était tout à fait impossible. La jument ne pouvait pas l'envisager, les bisons vivaient là ! Enfin, avaient vécu là ! Ils ne pouvaient pas !

Pourquoi ? Demanda sa raison. Twilight réalisa à l'instant qu'elle envisageait encore Appleloosa comme un village équestre, avec des poneys. Elle défendait le cousin d'Applejack. Elle défendait un verger remplacé par des puits à vapeur. Des maisons vides et des changelins qui jouaient la comédie. C'était révoltant, mais, trancha-t-elle, bien sûr qu'ils pouvaient le faire.

« Les doyennes approuvent cela ? » Se fâchait le prince.

« Les doyennes sont accusées de trahison, prince. » Dicta la changeline. « Le chef Buffalo n'est plus opposé par personne. »

« Alors c'est la guerre. »

Les mots avaient sifflé entre ses crocs serrés. Le prince, furieux, fit signe à l'estafette de se retirer, puis resta quelques instants comme à bouillir intérieurement, et il sembla à nouveau à Twilight ne voir plus qu'une bête féroce, sauvage.

De son côté, elle se sentait maintenant coupable. Toute la chaîne des événements rejouait dans sa tête, et si elle avait fait confiance aux changelins, depuis le départ… mais elle comprit enfin ce que cette histoire d'eau voulait dire. Ce qui était fait était fait. Elle rejeta la foule des émotions avec force.

Le prince fit de même et, se calmant, inquiet soudain, il tourna son regard vers elle. Il semblait comme pris sur le fait. Puis résigné.

« Je dois préparer mes gardes à présent. Ne t'inquiète pas, Twilight, tout finira bien. Je ne sais pas encore comment, mais tout finira bien. »

« Attends ! » Elle avait failli le vouvoyer. « Il doit y avoir une solution ! »

« Pas avec Buffalo. Gardes ! » Aboya-t-il, et les changelins entrèrent en nombre. « Emmenez la princesse à son amie. Protégez-la à tout prix. Obéissez-lui. Quant à nous, nous allons préparer la troisième bataille d'Appleloosa. »

Les gardes la saisirent, elle se regarda emportée, regarda ce prince étranger disparaître au milieu de ses officiers insectoïdes. Buzzy ! Buzzy lui permettrait d'empêcher la bataille. Puis elle songea, amèrement, que si elle pouvait convaincre cette changeline elle pourrait les convaincre tous de déposer les armes.

Comme tout avait changé. Il lui restait le souvenir vif de la changeline la dévorant dans le train, cette trahison, cet instant parmi tant d'autres et qui semblait si lointain. Maintenant elle ne pensait plus qu'à la changeline aux lucioles, joyeuse ou geignarde.

Et tandis qu'ils tournaient l'angle, véritable serpent sombre cuirassé, elle ballotant dans le heaume d'un garde tenu par la gueule, elle eut de l'appréhension à confronter la changeline. Après tout ce qu'elle avait fait, tout ce qu'elle avait dit, le nombre de fois où elle avait changé d'avis, Twilight Sparkle craignait de s'être fait définitivement une ennemie.

Les changelins blessés s'allongeaient, une demi-douzaine, aux portes de la salle de jeu dans la grande avenue menant à la gare. Juste à côté du bâtiment, au milieu de la rue, s'élevait une statue dorée qui avait dû être autrefois entourée de jets, au vu des bassins. Les cactus étaient soit d'époque, soit en avaient envahi les pieds. La statue d'un sheriff, dressé et présentant fièrement son étoile.

Dans le bâtiment, passé la réception on avait dégagé les tables et, sur le sol carrelé, étendu civières et sacs où reposaient plus d'une quarantaine de blessées en désordre. D'autres changelins à l'apparence de poneys passaient entre eux sans apporter de soin, les regardant seulement et Twilight l'oubliait déjà. Elle avait repéré, parmi les blessés amassés, la petite nuée de lucioles.

Bientôt la civière en question fut entourée par les gardes, et la changeline dedans se tassa.

« Ca ira, je pense. » Suggéra Twilight toujours à l'intérieur du heaume. « Vous pouvez me déposer à côté d'elle et nous laisser. »

Ci fait, la changeline vit l'orbe posée presque devant son museau et eut un mouvement de recul mi-effrayé, mi-dégoûté. Il y eut du remous tout autour, de patients qui levaient le museau, comme attirés et Twilight se rappela la réaction des changelins de Ponyville en sa présence. Mais, flanquée par les gardes, elle ne s'en préoccupa pas.

« Tu vas mieux ? » Demanda-t-elle à la changeline.

« Mais oui, très bien ! » S'enchanta Buzzy avec sa petite voix aiguë mensongère et forcée. « Je suis heureuse de m'être trompée sur ton compte et que tu sois une gentille ! »

« Ah, c'est un soulagement, j'avais eu peu- tu le penses vraiment ? » Se méfia Twilight.

« Évidemment ! Pourquoi est-ce que je remettrais en cause la parole du prince Thorax ? » Sifflait Buzzy avec son faux sourire. « Je suis juste heureuse que la princesse Twilight Sparkle soit venue sauver les changelins qu'elle adore ! Joie ! »

« D'accord… » Grimaça Twilight.

Elle aurait préféré se faire hurler dessus. L'attitude de la changeline l'irritait, mais à chaque fois les yeux de la jument retombaient sur la chitine meurtrie et tout cela s'évanouissait sous une enclume de culpabilité.

« En fait, j'étais venue te demander de m'aider à faire la paix entre les bisons et les changelins. Mais euh, je crois qu'il faudrait déjà la faire entre toi et moi. »

Le sourire forcé de Buzzy signifiait à peu près : « Cause toujours. »

« J'ai essayé… hier soir, quand je croyais partir définitivement… Buzzy, j'ai tout fait de travers ! » S'affola la jument. « J'ai voulu te manipuler pour retrouver mes amies, et puis j'ai dit aux doyennes que les changelins étaient méchants, et puis j'ai voulu t'abandonner à ton sort, et puis j'ai menti au chef Buffalo et je n'ai rien fait pour empêcher la guerre et puis j'ai menti à ce prince que je ne connais même pas ! » Elle souffla une seconde, reprit aussitôt : « Et maintenant les doyennes sont en danger, Appleloosa va brûler, bisons et changelins vont encore se battre et je suis la pire élève de toute l'histoire d'Equestria ! »

Quand elle eut fini, elle regarda, un peu brûlante, le museau de la changeline froissé et ses grands yeux d'insecte ouverts.

« Wow. » Dit simplement Buzzy.

« Je sais. » Se désola Twilight. « J'ai été égoïste et injuste et stupide et je n'ai fait qu'empirer les choses pour tout le monde. Alors maintenant, je ne vois qu'une manière de réparer mes erreurs. » Et comme la changeline ne répondait pas, elle s'avança jusqu'à toucher le verre, le sabot dessus. « Maintenant on fait les choses à ta manière. Et on ira au spa si tu veux. Et ensuite tu m'enterreras dans le désert. Mais d'abord, je t'en prie, il faut empêcher la guerre ! Je ne veux plus voir personne être blessé par ma faute. »

Pour toute réponse, Buzzy la regarda. La regarda longuement. La regarda presque avec une insistance qui rappela à Twilight sa propre attitude après avoir vu disparaître devant elle Applejack et le Golden Oak. Cet instant où l'esprit tentait un raisonnement impossible et inacceptable, et elle craignit soudain que la changeline la rejette, qu'elle se cantonne à ce qu'elle savait. Twilight Sparkle la méchante, qui disait du mal des changelins, qui mentait et manipulait et qui causait la discorde.

Twilight Sparkle, qui n'était pas la déesse démiurge alicorne promise par les légendes.

« S'il te plaît, Buzzy… J'ai besoin de toi. » Et encore : « Dis quelque chose… »

« Je n'ai plus faim. » Souffla Buzzy.

Puis la changeline se leva et malgré les ballotement des la civière qui faisaient rouler l'orbe, Twilight observa Buzzy qui s'observait elle-même, sa chitine comme neuve, sans la moindre marque de coup, ses ailes toutes luisantes.

Les baumes changelins étaient vraiment efficaces.

Son coeur battait à présent, de voir la changeline descendre de la civière, assurer l'étalon en petit gilet qu'elle allait bien, et comme pour s'en assurer elle prit les traits de Berry Preppy un instant, de la petite jument citadine avant de retrouver son aspect de changeline. Puis son regard retomba sur Twilight, toujours sur la civière encadrée par les gardes, et les ailes frémirent, se refermèrent tout à fait.

De la défiance. De la colère. Twilight Sparkle crut deviner tout cela dans les yeux qui se fronçaient et le corps raidi de la changeline, et s'affaissa elle-même au sol de l'orbe, suppliante.

« Tu es vraiment la princesse Twilight Sparkle ? » Demanda Buzzy, durement.

« Je n'ai jamais été princesse. » Insista Twilight, désespérée. « Je t'en prie, je suis juste moi, une jument enfermée dans une orbe ! »

Buzzy soupira. Les lucioles revinrent l'entourer et frôler son visage, et comme par réflexe elle détendit ses ailes, les laissa se glisser dessous.

« Je n'ai pas vraiment le choix. Après tout, » sourit-elle presque méchamment, « je suis la seule à savoir qui tu es vraiment. »

Et elle demanda autour d'elle si quelqu'un avait vu ses sacoches.

C'était… en même temps mieux que prévu, et moins qu'espéré. Twilight Sparkle ne savait pas vraiment comment le prendre, mais décida de s'en satisfaire. Et puis, au pire la changeline l'enterrerait dans le désert, et elle pourrait à nouveau se concentrer sur des choses importantes, comme mettre fin au sort et retourner chez elle. Les autres devaient s'impatienter. Mais elle avait trop à faire pour le moment.

Il fallut un moment pour apporter les sacoches, à cause de l'animation des blessés qui, autour de la civière, se relevaient également, mais enfin, en les retrouvant ainsi que le bocal, et après avoir demandé si quelqu'un aurait aussi du sucre, Buzzy se remit en selle et récupéra l'orbe. Un garde se plaignit qu'elle enferme Twilight ainsi comme un objet, exigea plus de respect, mais après les balbutiements de la changeline, la jument expliqua qu'elle était très bien dans la sacoche.

Après quoi les gardes encadrèrent Buzzy tandis qu'elle sortait du bâtiment, dans la rue où elle respira longuement, avant de regarder au hasard des deux côtés de la rue.

La gare semblait la tenter.

« Buzzy… la guerre… »

« Je sais, je sais. » Dit-elle, ennuyée. « Qu'est-ce que tu as en tête ? »

« Qu'est-ce que tu voudrais faire toi ? » Trouva intelligent de dire Twilight, avant de voir la changeline prendre le chemin de la gare. « Je veux dire, si tu étais une princesse des étoiles. Tu sais ? Gentille. »

Un peu frustrée, Buzzy s'arrêta et balança la tête.

« Je suppose que j'irais voir les bisons et que je leur dirais d'arrêter d'être méchants. »

« Alors faisons ça. »

S'en suivirent deux minutes de gémissements.

Là-bas, en surplomb, les bisons formaient autant de petites taches effrayantes, menace silencieuse pour la ville. Les changelins s'étaient repliés aux barricades face aux pentes plus douces, sur le côté, où ils polissaient leurs cuirasses et empilaient les sacs de petits cailloux. Twilight demanda à son escorte de les laisser là, mais ceux-ci refusèrent et ils se retrouvèrent toute une petite troupe à quitter la sécurité relative d'Appleloosa.

À leur venue les bisons ne semblèrent pas réagir d'abord, mais ensuite ils en virent quatre qui galopaient sur le côté pour les flanquer et couper leur retraite. Twilight, à nouveau, demanda à l'escorte de partir mais leur capitaine, catégorique, refusait de désobir au prince.

En guise de compromis, elle leur demanda de retirer leurs heaumes et d'avancer ainsi, en ambassade. La jument regrettait presque d'avoir oublié un drapeau blanc.

Quand les bisons furent derrière eux, d'autres s'approchèrent au-devant et en quelques minutes le groupe fut cerné. Les bisons se mirent à beugler pour qu'ils se constituent prisonniers, avant d'être coupés par une Twilight agacée. Buzzy montra l'orbe et on les laissa avancer tous jusqu'au campement.

Ils préparaient effectivement des bassines de poix, des chaudrons encore froids au-dessus de foyers déjà prêts, qui n'attendaient plus que d'être allumés. Les bisons apportaient aussi du bois pour les arcs et les flèches qu'ils fabriquaient à la hâte, à l'ordre de leur chef, et Twilight demanda s'ils allaient vraiment brûler Appleloosa.

Les bisons qui l'escortaient répondirent : « C'est la faute des changelins. »

Elle retrouva ensuite le côté du village dévasté par la bataille, les tentes en ruines et les jardins piétinés, et elle s'inquiéta pour les blessés. Enfin, la troupe s'arrêta devant la grande tente des doyennes où on exigea que Buzzy apporte l'orbe puis ressorte. Twilight répondit que c'était son amie. Après un moment de dispute et de tractations, la changeline fut autorisée à rester.

Le chef Buffalo se dressa à son approche.

« Poney du ciel ! Tu es revenue ! » Puis il écarquilla les yeux encore plus. « J'allais brûler la ville pour te retrouver ! »

« À propos de ça… » commença Twilight, « … ce serait bien si vous pouviez ne pas le faire, chef Buffalo. »

« Évidemment. » Conclut-il d'un coup de menton. « Tu as pu t'échapper toute seule. »

« Je crois qu'il y a une petite méprise. » Corrigea la licorne. « Je suis partie de mon plein gré. En fait, je suis venue ici vous demander de faire la paix avec les changelins. »

Le visage de Buffalo se décomposa. Son pelage brun sombre sembla se hérisser. « Bien joué, Twilight » s'admonesta Twilight Sparkle. Il lui venait seulement maintenant à l'esprit qu'elle devait semblait endoctrinée par les changelins.

« La paix ?! Après tout ce qu'ils ont fait ! » Beugla le bison.

Les tentures répercutèrent sa voix, et les trophées et ornements semblèrent faire écho à cette volonté de combat. Seulement alors Twilight nota qu'ils avaient retiré les fleurs et les parfums. La lumière, plus forte également, rendait paradoxalement la tente plus sombre.

« Les changelins sont épuisés, chef Buffalo. » Reprit Twilight. « Ils ont des blessés, ils ne veulent plus se battre. »

« Alors qu'ils partent ! » Hurla le chef. « Qu'ils quittent nos terres avant ce soir ! Personne ne les retient ! »

« C'est aussi chez eux. » Tenta Twilight. « Vous viviez ensemble à Appleloosa, n'est-ce pas ? Vous étiez amis. »

Le bison se renfrogna, mais ne répondit pas tout de suite. Il semblait jauger Twilight, la petite jument posée par terre devant cette changeline assise et qui défiait sa volonté. De la retenue dans ses gestes laissait deviner combien il l'estimait encore.

« C'était avant. » Dit-il enfin, comme en regret. « Et c'est un temps qui ne reviendra plus. Un temps qui n'était possible que grâce aux poneys. Les changelins vous ont trahi, vous ont fait disparaître. Ils doivent être chassés d'Equestria. »

« Et si nous étions parties de nous-mêmes ? » S'énerva Twilight. « Et si c'était nous, les ponettes, qui vous avions trahies ? Qui avions abandonné et les bisons, et les changelins ? »

Buffalo se recula, révolté : « Les poneys ne feraient jamais ça ! »

« Et pourquoi pas ! » Cria la jeune Twilight. « Les ponettes aussi ont leurs défauts ! Les ponettes aussi peuvent être méchantes ! Vous en parlez comme si nous étions parfaites ! Nous ne le sommes pas ! J'en suis la preuve… »

Personne n'avait jamais su lui dire ce qui était vraiment arrivé aux ponettes, où tout le monde était passé ou pourquoi. Mais elle était sûre à présent que ce n'étaient pas les changelins, elle y croyait fort en tout cas, et s'il fallait un coupable alors mieux valait que ce soient elle, elles, les ponettes, et la princesse Twilight Sparkle quelque part parmi les astres.

« C'est nous qui sommes parties ! Et qui vous avons laissé ici bas ! Les ponettes peuvent être égoïstes, et injustes, et à cause de nous vous êtes en train de vous battre, et pourquoi ? Pourquoi ? »

Buffalo avait redressé la tête et regardait l'entrée, sous le choc, et alors qu'elle allait continuer, elle entendit la voix du prince :

« C'est vrai ? »

Le prince Thorax, sans cuirasse, les pattes attachées par des cordes comme ses ailes, s'avançait dans la tente. Il contournait Buzzy et, l'air perdu, regardait Twilight. Et Twilight le regardait avec une sorte de peur mêlée de résolution.

« Qu'est-ce que tu fais là, toi ? » Beugla Buffalo à l'adresse du prince.

« Je suis venu me constituer prisonnier. Twilight, est-ce que c'est vrai ? »

« C'est ce qui s'est passé. » Se décida la licorne violette. « Et si vraiment nous sommes toutes au ciel, alors vous devriez haïr ce ciel qui ne vous vient pas en aide ! Les changelins n'ont rien fait. Tout est notre faute. »

Aucune réponse, ni du prince ni du chef. Ni de Buzzy. Elle se sentit seule, mais Twilight s'en fichait. Cette légende de la princesse bienfaitrice l'avait agacée assez longtemps. Elle prenait plaisir, même, à piétiner cette usurpation.

Enfin, le prince ferma les yeux, résigné, et le chef Buffalo s'agita.

« Je sais que tu mens, poney du ciel. L'esprit des poneys est généreux est bon. »

« Vous n'en savez rien ! »

« Je le sais. » Affirma Buffalo. « Nous lui parlons. Nos doyennes, nos guérisseuses… peut-être mon propre esprit est-il trop agité. Peut-être… que j'ai manqué de jugement. »

L'instant d'espoir fut balayé par son regard terrible.

« Mais la colère des bisons ne s'éteindra pas, pas après tout ce qui s'est passé. La plaie est trop fraîche et trop profonde. Les wirtents… » il fit un effort, « … les changelins doivent quitter nos terres, ceci est ma décision. Ensuite, nous parlerons d'apaisement. »

« Je ne peux pas. » Se raidit le prince.

Et il jeta un regard, un appel à l'aide, à la jument prisonnièrere de l'orbe, comme si tout ce qu'elle avait dit n'avait compté pour rien. Il ne reculerait pas.

« Prince Thorax, » dit-elle sans plus se soucier d'apparences, « les ponettes sont parties depuis longtemps. Oubliez leur héritage. Il est temps de créer le votre. »

Puis l'instant d'après elle se sermonnait elle-même, intérieurement, parce que ce n'était pas le problème. Le problème étaient les changelins pour qui Appleloosa étaient leur maison. Ils étaient chez eux. Et elle plus qu'aucun autre pouvait le comprendre à présent.

Mais Thorax, après avoir serré les dents, se tourna vers le chef Buffalo.

« Laissez-nous au moins passer par le train. »

« Je suppose que je peux vous laisser ça. » Grogna le chef bison. « Tant que le train ne s'arrête pas. C'est acceptable. » Puis, quand après une dernière hésitation les deux dirigeants se furent serrés le sabot, il ajouta avec un sourire maigre : « Et puis, mes guerriers sont trop épuisés pour se battre également. »

**** **** ****

Quand tout fut dit et fait, Twilight Sparkle fut surprise de n'être pas folle de joie. Elle n'avait pas l'impression d'avoir évité une catastrophe. Elle n'avait pas l'impression d'avoir réparé quoi que ce soit. Elle regardait Buzzy la tenir en équilibre sur sa tête et se réjouir pour deux.

« T'arrives à y croire, que c'était aussi simple que ça ? »

Et la jument de lui offrir un grand sourire, avant de remarquer toute la foule en-dehors de la tente qui attendait une explication.

Pour les bisons, ce fut aussitôt la fête. Deux trains emporteraient les changelins, et à mesure leur peuple pourrait réintégrer leurs maisons. L'enthousiasme fut encore plus grand quand le chef Buffalo lui-même, sortant comme blessé d'une bataille qui n'avait jamais eu lieu, admit avoir eu tort sur les doyennes, et alla se faire pardonner auprès d'elles. Mais enfin l'exultation ne parut qu'une fois la foule assurée que le poney dans cette sphère vitrée était bien la princesse Twilight Sparkle.

Le prince Thorax, lui, après avoir tout confirmé, le regard sombre et bas s'était éloigné pour la falaise surplombant Appleloosa. Et quand elle demanda à Buzzy de l'emmener vers lui, quand elle le rejoignit là-bas suivie des gardes, sans plus qu'aucun bison ne se soucie d'eux, le monarque ne se retourna pas, mais demanda ce qu'elle comptait faire à présent. Lui, il prendrait le second train à destination d'Hexapoda.

Aucun sourire ni aucune joie. Il observait cette ville sacrifiée aux caprices des circonstances, et il contemplait sa capitulation. La jument se demanda d'abord jusqu'où allaient les regrets de ce changelin, puis songea à sa question.

Hexapoda ne la tentait pas du tout.

Et plus encore, l'idée de rester auprès de cet étranger qui, à tout moment, pouvait découvrir qu'elle ne le connaissait pas, effrayait réellement Twilight.

« Je pensais retourner voir Thunderhooves. » Dit-elle prudemment. « Peut-être aider à réparer le talisman. »

« Je comprends. » Dit le prince.

Et lui se tourna pour lui offrir un sourire amical, que la tristesse ne pouvait pas amoindrir. Elle l'avait cru fâché, il était content. Comme une sorte d'aveuglement qui s'appelait confiance, et dont il avait à revendre, et qui la fit se sentir plus mal encore.

« Il faut que j'aille annoncer la nouvelle. Que j'organise le départ. »

« Je connais une barmare qui sera déçue. » S'excusa Twilight.

« J'aurais voulu rester avec toi plus longtemps. » Regretta le prince. « J'aimerais… revoir Spike, peut-être. J'espérais un moment que tu était Starlight Glimmer. Je sais, c'est égoïste. J'espère qu'elle va bien. Où qu'elle soit. »

Puis après une seconde ou deux, lui souriant toujours :

« Vous ne nous avez jamais abandonnés, n'est-ce pas ? Après tout, tu es là. »

« C'est vrai. Je suis là. » S'excusa Twilight Sparkle.

« Bonne chance, Twilight. Ce monde a bien besoin de toi. »

Elle le regarda s'envoler, planer voire plonger en direction des toits, et les gardes, après une hésitation, se regarder, hésiter à sauter également puis se décider à repartir au galop le long de la falaise. Pas de questions. Elle était habituée à présent. La jument observa ces cuirasses bleu sombre s'éloigner jusqu'à ce que Buzzy décide de se détourner à son tour pour, faisant rouler l'orbe le long de son cou jusque sur son aile ouverte, reporte Twilight devant elle.

« Alors, je t'enterre où ? » Demanda-t-elle en souriant.

« Tu es toujours fâchée ? »

« Un peu. Il y a toujours plein de choses qui m'échappent. » Fit mine de se renfrogner la changeline. Sa voix aiguë devenait familière. « Mais princesse ou artefact, tu t'es bien débrouillée aujourd'hui, alors peut-être que tu ne veux pas notre perte à toutes après tout. »

Après quoi les bisons vinrent les chercher pour qu'elles se joignent, enfin que poney du ciel se joigne à leurs festivités.

Bythescruff était restée aux Grass Grounds, aussi au milieu de la fête un bison avait-il accosté Twilight pour lui remettre le bijou en forme de soleil or et pourpre, et avait demandé ce que c'était. Parce qu'il avait galopé toute la distance, elle ne voulut pas répondre, probablement un bibelot sans importance. Twilight affirma que c'était la clé du futur d'Equestria et fut ravie de la réaction.

Après quoi Buzzy demanda à partir, la faute à tous les regards qu'on lui jetait à elle et qui continuaient de l'effrayer. Un guerrier la rattrapa sur la pente qui menait à Appleloosa, pour l'informer que le chef Buffalo s'inquiétait de son départ. Elle s'excusa d'abord poliment, puis précisa la vraie raison et décréta qu'elles passeraient la soirée en ville. Il était trop tard, de toute manière, sauf à vouloir voyager de nuit, pour partir à nouveau vers les massifs.

Les changelins d'Appleloosa étaient résignés.

Ils avaient abandonné leurs déguisements et s'organisaient, alors que le premier train entrait en gare dans des sifflements aigus et des bruits de frein, en longues colonnes à destination de la gare. Deux trains pour emporter tout le monde, cela sembla présomptueux à la jeune licorne, mais les gardes affirmèrent qu'il y avait assez de wagons de réserve pour cela.

Puis la même garde qui avait expliqué cela pesta pour elle-même : « On aurait dû se battre. » De la colère dans le regard.

Le second train, lui, arriverait dans le soir, quand la lune aurait à moitié recouvert le soleil. D'ici là, elle pouvait encore revoir le prince. À la place, elle choisit de chercher un hotel où dormir. Le plus proche, le « Poke Pals », avec ses tapis verts et son bureau de réception en acajou, leur offrit la suite royale. Pour le réceptionniste c'était presque une blague, puisqu'il partait lui-même, mais il remit la clé fidèlement, dans son déguisement de poney, et leur expliqua comment trouver la porte. Très professionnellement, il informa que le restaurant de l'hotel serait fermé ce soir, faute de service.

En haut, la changeline s'enthousiasma pour la chambre pas bien royale, avec un grand lit double à baldaquins, une grande table, un bureau près des trois fenêtres, une baignoire et un petit sauna.

« Je peux ? » Demanda-t-elle toute excitée.

Twilight ne savait pas de quoi elle parlait mais, amusée, hocha la tête, et la changeline se précipita sur le lit, non sans déposer Twilight sur la table à côté, pour ensuite sauter sur les draps et jouer comme une petite folle.

« Très bien. Buzzy. Pendant que tu fais ça, je vais m'absenter. D'accord ? »

Buzzy l'entendit à peine : « D'accord ! » Toute occupée à se donner des petits vertiges et à plonger dans le matelas.

Twilight Sparkle inspira, prit son courage à deux pattes et, concentrée, se retourna. La porte de sa chambre était là, aussi solide et réelle qu'il était possible de le concevoir. Elle l'ouvrit sans hésiter, déboucha dans la grande salle du Golden Oak.

Un dernier regard derrière elle, pour le verre transparent et derrière la changeline toute heureuse. Twilight passa la porte et la referma derrière elle.

« Twilight ! » S'écrièrent toutes ses amies en bas.

Elles ne l'avaient pas entendue ouvrir, mais avaient entendu le claquement quand Twilight avait refermé sa chambre. Toutes étaient toujours assises à table, comme si elles n'en avaient pas bougé depuis son départ. Son siège vide amplifiait cette impression.

« Twilight Sparkle. » S'éleva une autre voix, douce et chaleureuse, en-dessous d'elle.

Au bas de l'escalier, devant la vitrine des Éléments, se tenait la princesse Celestia.

« Princesse ! » S'écria Twilight en descendant les marches à toute vitesse. « Vous êtes venue juste pour moi ? »

« Je m'inquiétais. » Dit la princesse.

Spike surgit d'entre ses pattes pour confirmer, elle était arrivée il y a peu pour aider avec cette histoire de monde orbital ou quoi que ce soit, après que le bébé dragon ait tenté de le lui expliquer par lettre. « Et toi ? Tu as disparu d'un coup, pouf ! » Twilight dut expliquer qu'elle avait évité une guerre et potentiellement appris une nouvelle leçon sur l'amitié.

Cette fois, il fut conclu qu'elle irait dormir chez Fluttershy, avec quelqu'un à ses côtés en permanence. Elles en avaient discuté dur en son absence, et la licorne amusée par ces plans se laissa faire très volontiers.

Quand Spike évoqua le repas, le souvenir mordant qu'elle n'avait pas faim rembrunit la jument. Mais elle décida de n'inquiéter personne, surtout en présence de la princesse, et fit mine de se réjouir à l'idée. Rarity proposa aussi un bon bain, juste pour se détendre, et parce qu'elle l'avait bien mérité. Puis la styliste alla serrer son amie en disant « tu nous avais manquée ». Tout le groupe suivit l'embrassade et Twilight, embarrassée devant la princesse, ne put s'empêcher de rougir.

En cet instant elle avait quasiment oublié les histoires d'Appleloosa, de talisman et de ciel étoilé. Il lui semblait même qu'il lui suffirait pour rompre le sort de ne plus y penser.

Lavée, brossée, après un bon repas et une longue discussion entre amies sur tout et rien, la jeune jument trottait en compagnie de ses amies pour raccompagner la princesse à son chariot royal. Il était tard, la lune était déjà levée, l'heure était passée d'aller au lit.

« Princesse… » demanda Twilight, et la princesse s'arrêta alors qu'elle embarquait dans le chariot. « Vous pensez que je ferais une mauvaise princesse ? »

Celestia sembla choquée, puis s'attendrit.

« Tu ferais une merveilleuse princesse, Twilight sparkle. N'en doute jamais. »

« Mais dans ce monde-là, la Twilight qu'ils décrivent semble si- »

« Tu ne la connais pas. » Fit remarquer la princesse. « Ne la juge pas aussi vite que tu as jugé les changelins. »

Toute confondue, la jument s'excusa, regarda partir son mentor et soupira. Spike, un coussin sous l'épaule, lui fit signe d'y aller. Il aurait préféré passer la nuit chez Rarity, mais comme ce n'était pas lui qui choisissait il voulait au moins y être assez vite pour ne pas devoir se disputer toute la nuit avec Angel.

Twilight eut un petit rire, puis s'excusa. Elle devait d'abord aller dire bonne nuit à Buzzy.

Elle retourna dans sa chambre, observa le plafond vitreux qui bientôt s'étendit jusqu'à tout remplacer par le spectacle des massifs rocheux noircis à la fausse obscurité, les milliers d'étoiles d'un éclat trop fort et en-dessous, les alignements des derricks.

« Buzzy ? » Demanda Twilight.

« Ah, tu es là ! » Se réjouit Buzzy, assise à côté de l'orbe. « Je m'ennuyais, alors j'ai eu envie de visiter. Tu sais à quoi servent ces machins ? »

Elle n'en avait pas la moindre idées. La changeline non plus et cela lui convenait. Toutes ces machines ne fonctionnaient plus, mais il en sortait encore des sifflements qui, dans la faible obscurité, formaient par accident quelque courte mélodie avant de s'épuiser.

« Tous les changelins sont partis ? » Demanda Twilight.

La changeline hocha la tête. « Tu aurais vu la longueur du train ! » Elle se laissa tomber en arrière, ce qui fit s'échapper quelques lucioles de sous ses ailes. Les lieux s'embrasèrent de lumière un instant. « J'ai l'impression de vivre enfin ! J'ai pu voir le prince Thorax, il a même dit que j'étais brave ! Personne ne m'avait jamais dit ça. »

« C'est vrai. Tu es brave. »

« C'est faux. » Grogna la changeline. « C'est toi qui as tout fait. Je suis juste la porteuse d'une princesse sans ailes qui n'aime pas les changelins. Eh ! On va voir la fête ? Les bisons tambourinent à tout rompre dans les rues. »

Twilight fut surprise, et par le changement d'humeur et parce qu'elle n'entendait pas les tambours. Mais, en se retournant, elle vit effectivement la ville pleine de lumières dansantes derrière les façades les plus proches et la ligne de chemin de fer.

Mais tout ce que voulait Twilight était d'aller se coucher, et Buzzy après un bâillement approuva. Elle, de toute manière, n'avait pas envie de côtoyer les bisons. Alors, d'un accord commun, elles retournèrent à la chambre d'hotel, accompagnées d'un guerrier bison chargé de leur protection qui se posta devant la porte fermée à clé. Sans plus se soucier de rien, Buzzy posa Twilight sur la table de nuit, se promit de profiter du bain demain matin, lui souhaita bonne nuit et enfonça son museau dans les coussins.

« Bonne nuit, Buzzy. » Sourit Twilight avant de se détourner vers la porte du cottage de Fluttershy.

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