... qu'à la fin elle se brise, surtout si elle est fragile

Pen était en train de mâcher le plus fort possible une vieille orange venant des déchets. Sa provenance l’autorisait à la croquer. Le goût n’était pas fameux, mais il y avait pire. Elle s’efforçait de ne pas faire de bruit, peu habituée à croquer la nourriture silencieusement. Avaler directement était plus simple. Dommage qu’il n’y avait pas de chewing-gum.

Elle savait que c’était psychologique. Absolument rien ne se passait. Oui, Rainbow avait croisé Honeysuckle, une jument raciste, avec qui elle avait eu une discussion absolument inintéressante. Oui, Rainbow avait croisé Rarity qui l’avait taquinée, la rendant toute rouge et cela avait été absolument à mourir d’ennui.

L’écrivaine avait craqué et avait utilisé un stylo - celui trouvé dans le marché même - à la première scène venue, qui elle avait réellement peu d’intérêt. La frustration était énorme. Heureusement, à part avoir trébuché dans une flaque et avoir eu une colère absolument pas impressionnante, rien ne s’était passée depuis.

Juste une légère douleur à l’estomac assez désagréable. Viendrait-elle du fruit qu’elle mangeait ? C’était fort improbable. Et puis elle s’estompa rapidement. Ce n’était rien.

Rainbow était seule dans le ciel, sa nourriture mensuelle à moitié mouillée. Il n’y aurait pas d’autre interaction. La seule chose qui vaudrait la peine d’être écrite était son monologue intérieur, absolument resplendissant de pensées romantiques suite à cet après-midi absolument divin.

Oh, l’ironie.

Pen n’avait pas grand chose à faire, juste suivre du regard la pégase bleue qui était plus renfrognée qu’un yak. Les sacs d’aliments de la pégase étaient un peu lourds. Elle prit une pause sur la route. Soudain, elle leva la tête.

Devant se trouvait Applejack, qui tirait une charrette remplie de pommes. En la voyant, les yeux de Rainbow s’éclaircirent pour la première fois depuis tout ce temps. Elle s’approcha.

“Ah ! s’exclama t-elle soulagée. Je croyais que tu n’allais jamais venir ! J’ai dû acheter les pommes à un inconnu qui m’a sûrement bernée.

- Désolée part’naire. J’ai fait un tour d’mon verger et ces maudites chauves-souris s’sont manifestées !”

Soudain, la fermière aborda un sourire.

“J’espère qu’ta sieste tout à l’heure parmi les pommiers t’a fait du bien !”

La pégase lui lança un regard curieux.

“De quoi tu parles ? J’étais au marché durant tout le long.”

Pen avala l’orange qu’elle avait gardée dans sa bouche. …Elle avait dit à “sa” Rainbow de rester sur place si elle avait croisé quelqu’un… L’avait-elle fait ? Oui ? Non ? Si, elle l’avait dit !

Par bonheur, Applejack ne chercha pas à plus approfondir. Vu l’air qu’elle abordait, elle avait dû se trouver une explication. La pégase fut contrariée, même si elle n’avait aucune idée de ce qu’elle disait. Alors que la terrestre lui dit au revoir pour avancer, elle l’arrêta.

“Attends AJ ! J’ai encore un peu d’argent. Tu peux faire une vente rapide maintenant ?

- Pourquoi pas, répondit la terrestre. Tu n’préfères pas aller faire ça au marché ? J’suis déjà en retard, j’pense qu’des poneys m’attendent.

- Je me suis attirée quelques problèmes là-bas…

- Bon, parce qu’on est amies !”

Applejack pensait particulièrement à Filthy Rich, ce client qui achetait régulièrement ses pommes en gros. Il devait être impatient, mais Rainbow d’abord. En faisant la transaction, elle se rendit compte des produits que la pégase portait déjà.

“Dis donc ! On dirait qu’tu viens d’vivre une famine en plein automne !

- Ce sont mes courses mensuelles, expliqua Rainbow.

* J’croyais que M. Le Manuel les avait faites hier…

* Mais Lero ne sait toujours pas négocier.” rétorqua la pégase en insistant bien sur son nom, mécontente d’entendre encore ce sobriquet d’Applejack.

Elles se saluèrent et partirent chacune de leur côté. Le fait que la terrestre eût vu l’autre Rainbow n’avait pas impacté l’histoire, il avait juste ajouté quelques lignes de dialogue en plus. Ce ne serait pas cela qui énerverait particulièrement Filthy Rich.

Mais quand même, Rainbow avait-elle été sage ?

Elle lui avait bien précisé de ne pas bouger quoi qu’il arrivât, n’est-ce pas ?

***

Le soleil commençait à décliner. Lero remettait ses vêtements, regardant Twilight allongée sur son lit, les yeux fermés mais non endormis. Combien de temps s’était-il passé ? Il était sûr que la licorne, elle, le savait. Il avait en effet vu dans les livres qu’ils consultaient une durée conseillée pour chaque phase. La jument les avait probablement retenus et appliqués.

Il caressa sa crinière. L’émotion qu’il ressentait était agréable, moins forte qu’avec Rainbow cependant. Il continua de jouer un peu avec les crins roses et violets de la jument jusqu’à qu’elle lui dît d’arrêter.

“... C’était bien… murmura t-elle. Un peu chaotique mais bien… Ça m’a rendue faim…

- Tu veux que je te prépare à manger ?” proposa Lero, ayant oublié que le frigo était vide.

-Merci, répondit Twilight en rougissant. Mais je dois décliner. C’est la jument qui doit satisfaire son étalon en priorité.”

Malgré tout, elle continuait à suivre les traditions. Elle était adorable avec ses joues roses et ses oreilles rabattues. Cela avait été intense. Le jeune homme se demanda s’il aurait assez d’énergie avec Rainbow ce soir. Il n’aurait pas la cruauté de lui refuser.

“Où est Spike ? demanda t-il.

- C’est vrai qu’il aurait dû rentrer plus tôt, lâcha la licorne en même temps qu’un bâillement. Il a dû s’attirer quelques ennuis, j’espère qu’il n’a rien fait de mal.”

Elle ne savait pas qu’à ce moment-même, son assistant insistait pour traîner toute une pile de nourriture dans les rues, refusant obstinément toute aide.

Si Lero avait à peu près oublié par quoi ils avaient commencé, la jument savait que cela avait un but informatif, majoritairement un but informatif. Pour parler du déroulement des rapports sexuels dans le livre qu’ils rédigeaient. Malgré sa fatigue, Twilight fit apparaître un carnet, désireuse de noter toutes ses impressions avant qu’elles ne s’estompassent.

Elle cita à haute voix toutes les choses qui lui avaient plu sans s’en rendre compte, en étant toute rouge. Elle utilisait des mots de vocabulaire anatomique assez précis. Après quelques minutes de gribouillage et écoutée par l’homme qui n’y comprenait pas vraiment, elle posa le carnet et demeura, pensive.

“Nous avons techniquement presque fini, mais une seule expérience ne suffit pas, il en faut plusieurs. Les autres informations nécessitent aussi plusieurs vérifications, mais comme tu es la seule source, je ne pense pas que ça soit très utile.”

L’humain était impressionné par le sérieux professionnel de Twilight, qui contrastait avec sa timidité. Timidité qu’elle reprit quand elle constata ce qu’elle avait insinué. Cette fois-ci, elle était tellement gênée que les paroles de Lero ne purent rien faire. Celui-ci comprit que le réconfort serait inutile dans ce cas et choisit de la laisser seule.

En ouvrant la porte, Lero retint un cri de surprise.

Rainbow sur le seuil, les yeux livides.

***

Pen avait finalement renoncé de continuer à suivre Rainbow. Cette dernière s’était débarrassée des courses dans la maison de Lero. En réalité, elle avait fait les courses de son amant en particulier, mais comme elle y séjournait désormais la plus grande majorité de son temps, cela passait presque toujours dans son estomac.

La pégase faisait une sieste sur un nuage pris à proximité. L’écrivaine était restée près d’elle, dissimulée dans un tapis immaculé de cumulus à proximité, et l’avait regardé dormir pendant quelques minutes, le temps de l’ennuyer. Finalement, avec beaucoup de réticence, elle sortit, et décida de pousser le nuage de Rainbow vers un endroit moins accessible.

Elle pensait à toutes les conséquences qui en résulteraient. Effet papillon… un simple détail pouvait complètement changer le cours d’un univers. Elle-même ne s’en rendait pas forcément compte, et se sentait stupide en constatant que tout un pan de l’histoire provenait d’un bout important de phrase qu’elle n’avait pas marquée. Eh, pas grave.

Baissant la tête, elle chercha quelque chose qui pourrait bien attirer l’attention de Rainbow. Facile, la première chose qu’elle verrait serait la bonne. Et cette chose était un Spike encore à mi-chemin de la bibliothèque. Il était chargé de tellement de nourriture qu’il serait complètement écrasé s’il n’avait été jamais initié au syndrome de Stockhol… l’art d’être aimable et gentil avec ses amis.

Malheureusement, celui-ci avait vite croisé Applejack qui rentrait après une vente fructueuse. Cela aurait été un mensonge de dire que son chariot était rempli de pièces d’or, mais quand même. La fermière avait beaucoup insisté pour l’aider et avait finalement obtenu gain de cause. La récolte de la saison dernière côtoyait ses sacs d’argent.

Peu de chance que Rainbow voulût recroiser un poney qui l’avait déjà surprise. Trop de risques. A priori même elle le savait. Comme à priori elle devait rester près de ce verger, à mourir d’ennui. Si celle-ci avait été obéissante, ce qui ne serait pas le cas, suivre Applejack lui permettrait de savoir quand celle-ci allait rentrer.

N’avait-elle pas oublié autre chose aussi ? Mmm…

***

Rainbow avait réussi à contenir son hurlement avec des vomissements. Sa gorge était toute douloureuse, elle avait les naseaux et la bouche en feu. En dépit de tout ça. Et le pire, elle avait pensé une seconde que Pen n’aurait rien à lui redire, alors que ce n’était pas le moment.

Et cette pensée persistait encore, comment si une partie de son cerveau marchait en retard. Devant, il y avait Lero. Il y avait à peine quelques minutes. Il était.

Il était.

En train.

De.

A Twilight.

Cette vision la hanterait à jamais. A ce moment-là, elle était parfaitement convaincue qu’il n’existait pas d’autre horreur. Les gémissements de la licorne, qui avec sa corne...Elle parvint à faire abstraction et se dire que non, ce n’était pas elle, c’était une toute autre jument. Rarity ? Non !! Quelqu’un qu’elle ne connaissait pas !

Et Lero.

Devant elle. Qui s’inquiétait.

Qui s’approchait.

Qu’est-ce qu’il disait ? Pourquoi elle était dans cet état ? Il avait fait quelque chose de mal ? Aucune idée ! C’était trop confus et rapide. Et il était très près décidément. Trop près. Il lui caressait le cou, comme quand…

“Non !”

Elle avait hurlé cela d’un bloc en soufflant, apeurée, en s’écartant violemment, heurtant l’homme de ses ailes. Elle était terrorisée… l’autre et lui… s’aimaient beaucoup ? Qu’allait-il se passer ? Allait-il ? Il lui fallait dire quelque chose pour gagner du temps…

Et s’ils allaient autre part ? proposa t-elle ? Il y avait pas mal de monde… Intérieurement, Rainbow se disait que cela lui permettrait d’éviter des gens… Stupide cerveau retardé ! Là, elle avait Lero en face ? Ses ailes étaient toutes molles, pourrait-elle s’enfuir ?

A sa grande surprise, Lero accepta. Il avait un air grave, était-il contrarié ? Ils marchaient un peu en silence. Rainbow se sentait mal, si mal. Le temps était ralenti, et ses sens étaient en extase. La bibliothèque était ouverte...

“La… porte…” pensa t-elle.

Mais ce n’était pas une pensée. Elle n’aurait pas cru pouvoir dire un mot, et elle avait lâché cela naturellement, comme souvent. L’homme se rendit compte qu’il avait oublié de fermer derrière lui et s’enquit très vite de le faire. Rainbow profita de quelques secondes salvatrices.

***

Alors que Pen suivait Applejack du regard, à une bonne distance respectable au-dessus, elle faillit flancher de douleur. Ses ailes s’immobilisèrent une seconde avant de se remettre à battre, le temps de la laisser baisser d’un mètre à peine.

Elle avait mal. Réellement mal. Ce qu’elle ressentait était digne des batailles sérieuses qu’elle livrait. Ce n’était pas égal à un rayon magique qui lui traversait les flancs en laissant un trou béant, mais elle ne pouvait pas dire que c’était juste importun.

Cette souffrance… Pourquoi ?

***

Rainbow se sentit un peu mieux. Elle avait toujours la tête remplie de scènes, mais elle percevait la réalité autour d’elle plus clairement. Lero accourut vite vers elle.

“Ça va ?” demanda t-il doucement en sachant que ce n’était pas le cas.

Qu’est-ce que la pégase pouvait répondre ?

Elle déglutit et voulut lâcher un oui misérable. Hélas sa gorge était si nouée qu’il ne parvint pas à sortir. Lero voulait se serrer contre elle et la réconforter physiquement, mais la précédente réaction de la pégase le retenait heureusement.

L’homme ne savait pas quoi faire. Qu’avait-il fait de mal ? Aurait-il dû d’abord parler avec Rainbow avant d’aller vers Twilight de soi-même ? Les coutumes d’Equestria étaient compliquées, il avait sûrement fait quelque chose de terrible. Mais la jument n’était vraiment pas en état de parler de cela, il ne l’avait jamais vue ainsi.

Elle était peut-être malade… La bibliothèque de la licorne était juste derrière. Twilight pourrait savoir ce qu’elle avait. Néanmoins, il rechignait à laisser sa bien-aimée. Quoi faire ? Il ne se pardonnerait jamais de n’avoir rien pu faire pour éventuellement la soigner.

“Tu… tu as besoin de quelque chose ? demanda t-il hésitant.

- … …”

La pégase avait le regard au sol. Elle gardait les yeux agrandis d’effroi, mais au moins elle était moins pâle. L’humain continua de parler doucement, manquant un peu d’assurance.

“... Tu veux… tu veux marcher un peu ?”

La jument hocha timidement la tête. Ils parcoururent des allées d’un pas lent. Rainbow, malgré tout, était un peu reconnaissante de la discrétion de Lero, qui ne posa pratiquement aucune question. Par contre, les regards étranges que lançaient les passagers étaient franchement insupportables. Cela faisait une éternité qu’on ne l’avait pas scrutée avec cet air mi-intrigué mi-dédaigné, et c’était bien la dernière chose qu’elle regrettait.

Plusieurs fois, elle semblait entendre des voix familières, qui étaient interrompues par Lero. L’humain semblait accélérer le pas, mais ce n’était pas gênant. Au contraire, la pégase reconnaissait qu’il avait bien deviné son souhait d’être tranquille. Avec absolument personne.

Marcher sans réfléchir était agréable quand on baissait la tête et qu’on ignorait les remarques. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise. Elle fut terrorisée en voyant l’homme s’arrêter tout à coup, avant de se rendre compte qu’elle s’était immobilisée toute seule. Elle parla cette fois-ci clairement, un peu trop clairement.

“Lero… tu… tu peux me laisser seule pitié ?”

Elle paraissait toujours mal. L’humain ne savait pas si c’était une bonne idée de la laisser. Ils s’étaient arrêtés dans une ruelle isolée. Finalement, ce ne fut pas lui qui décida, ni la pégase. Alors qu’il était en pleine réflexion, on l’interpella. En se retournant, il vit Lyra adossée au mur d’une chaumière voisine.

“Salut Lero, dit la licorne comme si de rien n’était. Il me semble que Twilight t’attend. Elle veut encore te demander quelque chose apparemment.

- Lyra, protesta le plus calmement possible l’homme, ce n’est pas le moment ! Rainbow va très mal !…

- et elle a besoin d’un peu de calme, poursuivit la jument en s’avançant. Tu es adorable Lero, mais parfois un peu collant. Ne t’inquiète pas, je vais la surveiller.”

Et sans se presser, elle passa devant l’humain bouche bée. Avec l’aide de sa télékinésie, elle l’écarta même vers l’arrière. L’humain voulait rester auprès de sa bien-aimée, son instinct lui hurlait de se pelotonner contre la pégase sans défense.

Finalement, la raison l'emportait. Lero se résigna à faire demi-tour et s’éloigner. Même s’il accélérait et se débattait comme un fou pour rester près de Rainbow, il n’aurait aucune chance contre Lyra. En effet, derrière la musicienne sympathique se cachait une jument redoutable maîtrisant un art martial à la perfection. Elle serait capable de neutraliser un étalon adulte en quelques secondes, alors juste l’immobiliser ?

Il espérait que Rainbow se remettrait et lui expliquerait ce qui l’avait tant abattue, si elle le voulait bien sûr. S’il avait bel et bien fait quelque chose de mal, il ne se le pardonnerait jamais.

***

Non ! Ce n’était vraiment pas naturel !

Quelque chose se passait, et Pen n’avait aucune idée de quoi. Par la suite elle avait une impression de frémissement gênant qui lui parcourait le ventre. Heureusement, rien de plus grave ne se passa. Si, elle avait perdu de vue Applejack et Spike, avant de les retrouver plus tard, d’humeur plus bas

Elle s’arrêta comme eux. Ils avaient lancé une discussion avec Fluttershy, l’air inquiet.

Elle s’approcha pour écouter.

“J’comprends pas ! s’énervait la terrestre. Elle est là, elle paraît plus que triste ! Mais Lero rest’comme ça… nous dit de partir ! Pour qui’l se prend ?

- Oui ! approuvait vivement le dragon qui avait posé ses affaires à côté. Pourquoi on ne peut pas aller la réconforter alors que lui si ?

- Elle avait l’air d’aller mal… s’inquiétait Fluttershy. J’espère qu’il ne lui ait arrivé rien de terrible.”

Pen n’était pas du tout rassurée. Elle se sentait un peu froide, ou chaude… Cette information ne lui avait pas laissée indifférente. Surtout qu’elle ressentait encore une pointe de douleur, superficielle par rapport à la première. Cela ne s’arrangeait pas avec l’arrivée de ladite Rainbow. Celle-ci resplendissait d’une bonne santé et d’un bonheur insolents.

“Salut ! Qu’est-ce que vous faites toutes ici ? Vous ne devrez pas plutôt aller vous abriter chez vous pour l’averse ?”

Elle s’étonnait des regards étranges qu’on la lançait.

“J’ai quelque chose sur le museau ? demanda t-elle naïvement.

- RD, dit Applejack en fronçant les sourcils. On t’a vue y’a que’ques secondes, complètement agonisante. Comment ça s’fait qu’tu parais plus en forme qu’une pouliche ?”

La pégase, ne comprenant rien, resta béate quelques secondes, avant d’éclater de rire.

“Attendez ? Où vous-avez vue ça ?! Elle est bonne celle-là !

- Rainbow, rétorqua Fluttershy sèchement. Nous sommes sérieuses. Tout à l’heure, tu paraissais vraiment mal au point, et Lero était avec toi.”

La jument bleue se calma. Elle paraissait sceptique.

“Le grand gars ? Que faisait-il ?

* Je te d’mande bien ! s’exclama la fermière. Tu parais autant sincère que quand tu m’as affirmé qu’t’avais pas traînassé dans mon champ !

- De quoi tu parles encore ?”

La pégase était confuse, elle expliqua tout ce qu’elle avait fait pendant la journée, qui n’incluait ni une sieste à Sweet Apple Acres (en tout cas l’après midi), ni de coup de moral. Elle n’avait même pas revu Lero depuis le match. Une Applejack bien confuse, une Fluttershy cherchant à comprendre et un Spike silencieux mais attentif l’écoutaient avec attention.

Et personne d’autre.

***

“... Merci…”

Rainbow se sentait obligée de remercier Lyra. Elle n’était pas sortie d’affaire, mais elle se sentait bien mieux en l’absence de Lero. Les scènes dans sa tête s’étaient floutées. Peut-être qu’elles perdraient totalement leur netteté et qu’elle se remettrait. Pas totalement.

“Pas de quoi.” répondit doucement la jument avec un sourire.

La licorne menthe se tenait à une distance respectable, sans poser de question et sans lui regarder. Limite, la pégase aurait pu croire être seule et tranquille.

Elle prit le temps de méditer sur tout ce qui s’était passé. Elle ne se limita pas qu’avec Twilight et Lero, ni même depuis son arrivée dans cet univers. Vraiment depuis le début. Avec Pen. Elle avait vécu des choses, bonnes comme mauvaises. Elle se rappelait de son propre univers, où Twilight n’avait pas d’ailes, Rarity de don au combat, d’Applejack de futur poulain, et elle d’uniforme des Wonderbolts.

…

“Dis, tu n’es pas la vraie Rainbow, pas vraie ?”

Sursaut brutal. La pégase avait la bouche ouverte. Lyra la scrutait, ses yeux semblaient voir les tréfonds de son âme.

“Ce n’est qu’une supposition très tordue, ajouta t-elle avec un petit rire. Et c’était seulement basé sur toi et Lero. D’habitude vous vous taquinez et vous plaisantez ensemble. Ici, on dirait que tu voulais juste disparaître. Je vous ai regardés pendant votre sorte de promenade et il n’y avait presque pas d’amour, que de la gêne.”

Elle doutait de son affirmation. L’autre jument était à la fois effrayée et impressionnée. On pouvait vraiment la lire comme un livre ouvert ? La licorne ne semblait pas envisager la possibilité qu’elle fût un changeling ou quelque chose comme ça.

“Désolée, s’excusa la musicienne. Vous avez sûrement dû avoir une dispute. J’ai voulu la jouer mystérieuse alors que ce n’est pas le…

- Non, tu as raison.” coupa clairement Rainbow.

La pégase détournait la tête. La réaction de Lyra ne l’intéressait pas. Ce qu’elle voulait à présent, c’était de raconter son histoire. Toute son histoire. En dépit de ce que Pen dirait. Elle s’était complètement ratée, donc autant finir le travail, n’est-ce pas ? Et cela la soulagerait.

Elle ouvrit la bouche, vite fermée par un sabot menthe.

Lyra était juste devant. Comment avait-elle pu bouger aussi vite ?

“Ne dis rien, chuchota t-elle en braquant ses yeux dorés. Je ne veux rien savoir. Je sais juste que c’est quelque chose d’énorme et j’ai bien l’intention de dormir cette nuit, et les suivantes aussi.

Rainbow était un peu frustrée. Elle pensa un instant que la licorne connaissait sûrement toute l’histoire. C’était évident qu’elle vînt d’un univers alternatif. Pour elle seulement en réalité. Il y avait d’autres explications absurdes, comme celle des clones.

“Tu ferais mieux de déguerpir, conseilla la jument. Lero va bientôt revenir et cette fois il ne te lâchera plus.”

La pégase s’empressa de lui obéir après un ultime salut et un dernier remerciement. Lyra prit le temps de l’observer. Elle avait également intérêt à partir, mais c’était sans aucun doute la dernière fois qu’elle verrait cette “Rainbow”. Quelle surprise cela avait été en apprenant qu’elle n’était pas la pégase qu’elle connaissait. Après les phases du choc et de l’incrédulité, la curiosité était venue.

Elle aurait volontiers écouté son histoire, avant de se rappeler de ce précepte très important : il y avait des choses qui valaient mieux ne pas connaître.

***

Cela faisait la énième fois que Rainbow goûtait aux plaisirs du ciel et était pleinement comblée. A croire que tant qu’elle demeurait dans la panade ça serait pour un elle un luxe immense. Étendre ses ailes et juste naviguer dans le ciel… cette fois-ci, c’était la première fois qu’elle considérait le privilège d’appartenir à la race des pégases.

Le ciel était bleu. Plus loin on le blanchissait de quelques nuages. Ce serait dommage s’il pleuvait. C’était toujours mieux que Lero.

Elle vit une traînée noire dans le ciel. Elle ne se méprit pas et se rappela d’elle.

Il y avait quelques secondes, elle était en plein ciel. Elle ne s’attendit pas à être être littéralement au sol aussi vite. Le choc mental atténuait celui physique.

Elle se sentait bizarre, comme si rien ne la concernait plus. Et elle sombra.

***

…

...

Rainbow s’éveilla avec une parfaite clarté. Que s’était-il passé ? Il y avait Pen et… elle sursauta en se remémorant d’absolument tout. Tout. Elle s’effondra parmi les branches acérées d’un arbre. Depuis quand était-elle dans un arbre ?

L’écrivaine était à côté. Juste à sa droite.

Le sang ne lui fit qu’un tour. La pégase tremblait. Elle souhaitait “se protéger” avec ses sabots, trop froids pour bouger. Et l’idée qu’on l’eût scruté avec un regard pareil la donnait la nausée. Elle avait peur.

Pen était furieuse, et enragée. Ses pupilles occupaient la longueur de ses yeux et étaient aussi fines qu’une aiguille. Elle tremblait elle-aussi, pas de peur, loin de là, d’une impatience perverse. Elle avait attendu longtemps avant que Rainbow ne prît pleinement conscience. Comme si elle n’était pas assez près, elle s’avança davantage, nullement gênée par les branches et les feuilles.

“Je suis désolée…”

La pégase avait articulé cela d’une voix complètement nouée. Ce qui lui avait semblé être une faute de peu d’importance était devenue une erreur gravissime, maintenant qu’elle avait bien Pen de face. Celle-ci ne réagit pas. Elle était certainement le genre de poney à ne pas pardonner facilement.

“Je te l’avais dis, non ? trancha t-elle d’une voix glaciale. Ne t’en mêle jamais ? Dire que je t’avais fait confiance, que je m’attendais à un comportement mature et responsable..”

Elle ria jaune, comme si elle venait d’énoncer une absurdité.

“Et là, tu pars tranquillement ! Voilà ! Oh que c’est drôle de désobéir, de faire les foufous. Ouais, ce n’est pas tous les jours qu’on peut fouler des univers alternatifs et y faire n’importe quoi !”

Son ton se durcissait.

“Après tout ce n’est pas chez toi ! C’est un univers alternatif ! Et une fois rentrée à la maison tout ce qu’on a fait, c’est oublié ! Voilà ! et le temps de se soulager parce que c’est vraiment terrible de ne pas être accepté dans les Wonderbolts ! C’est la pire chose qui puisse arriver, en effet.”

Cette remarque était une flèche noire qui transperça le cœur de Rainbow. Elle avait beau se raisonner, se dire qu’elle n’avait jamais voulu mettre le chaos, elle se brisait peu à peu. Dans ces paroles vicieuses se trouvait une pointe de sadisme, qui la fit sentir encore plus misérable.

“C’est si dure d’au moins rester sur place et ne pas du tout bouger, même si on rencontre quelqu’un ! Parce que tout ce que je dis est ennuyeux, et que c’est bon de s’échapper au quotidien avec une petite rébellion.”

Rainbow était traitée impitoyablement, mais elle remarqua que non, on lui avait dit de rester, mais rien à propos du risque de croiser un poney. Quand elle voulut parler, Pen coupa vivement.

“Non, juste tais-toi. Tais-toi. Je ne veux plus rien entendre. Rentre chez toi. Je n’aurais jamais dû accepter de t’emmener.”

Elle sortit pour créer le portail hors de l’arbre. Elle ne souhaitait pas voir une seconde de plus cette Rainbow au crime odieux, mais elle gardait assez de bon sens pour savoir que cela ne serait pas pratique parmi les branches.

“Ce moment n’aurait jamais dû être arrivé”, murmura t-elle pour elle même en s’en allant, bien qu’elle fut entendue par la pégase.

Cette dernière était démolie.

C’était sa faute.

Elle s’en voulait réellement. Oui, en allant dans les univers elle voulait s’échapper de son quotidien, qui était encore plus oppressant au fur et à mesure qu’elle découvrait les autres. Mais au final elle avait tout foiré…

***

Pen serait incapable d’aller dans un univers précis magiquement, lors de ses voyages, elle savait surtout le genre et le type. Néanmoins, elle ne se trompait jamais quand elle désirait aller voir quelqu’un qu’elle connaissait chez lui. Créer un portail qui mènerait chez Rainbow serait facile.

Soudain, un petit choc traversa tous ses membres. Et elle ressentit un sentiment de dégoût, pas à l’égard de la pégase, non. Quelqu’un de bien pire.

Elle était sur le qui-vive, suffisamment pour abandonner sa colère un instant.

Elle.

Sa trace était néanmoins trop tenue. Cette impression écœurante, qui se manifestait à chaque fois qu’elle pénétrait le multivers, se manifestait toujours quel que fût l’univers où était Pen. Ici elle semblait ne pas s’enfoncer dans l’univers où elle se trouvait. Elle devait être de bonne humeur pour prendre le temps de l’embêter !

C’était un petit jeu que subissait l’écrivaine et qui l’exaspérait. Cette aura était si nauséabonde que Pen serait capable de retrouver l’univers d’où elle venait même dans l’anti-void. Ici, cela ne valait pas vraiment la chandelle, mais autant être prudente…

Insidieusement, Pen changea la destination du portail. Cela ne durera qu’une poignée de secondes. Elle n’allait quand même pas gaspiller l’encre pour quelque chose de pareil.

***

Rainbow avait de plus en plus l’impression que sa présence dans cet univers était une aberration. Ses pensées étaient sombres et ses yeux humides. Elle voulait juste rentrer chez elle…

Elle pouvait voir à travers les branchages l’écrivaine qui achevait son portail sur un nuage.

Pas besoin d’être appelée, elle n’hésita pas.

***

Une poignée de secondes…

Avec ses yeux elle ne voyait qu’une étendue noire, mais intérieurement elle pouvait évaluer les dégâts. Autre chose d’inexplicable dont elle ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. Elle pouvait “voir” les perturbations avec un portail.

Elle ne s’attendit pas à ce que Rainbow fonçât comme cela, avec une vitesse quand même très élevée même pour ce qu’elle était. Pen voulut mordre sa queue, mais elle n’effleura des dents que le bout des poils.

Quand elle voulut traverser le portail, celui-ci était déjà plus petit que sa tête. Soit elle avait dépensé trop peu d’encre et cela avait duré une poignée de centièmes de secondes, soit elle avait des réflexes de bâton, peut-être parce qu’il n’y avait pas de danger pour elle.

“Mais quelle idiote !” s’exclama t-elle finalement.

Elle pensait à Rainbow, et aussi à elle-même.