CHAPITRE 13 - Marvin raconte

L’Encyclopedia Galactica définit les fêtes comme étant “un rassemblement de personnes invitées par un ou des hôtes à des fins de loisirs ou de célébration.” Le Guide du Routard Galactique, lui, utilise des termes bien différents. Il dit qu’une fête est avant tout un lieu où acquérir des choses. On peut y gagner de l’alcool gratuit, de la nourriture gratuite, et bien sûr, de nouveaux amis. Si une fête se déroule particulièrement bien, il note que de l’amour gratuit peut également être trouvé. Le guide part du principe de base que gâcher une fête est la procédure standard pour tout participant (ceux-ci étant intrinsèquement au mieux peu recommandables, au pire infréquentables ). Il déconseille donc fortement d’organiser des fêtes, puisque celles-ci partiront presque inévitablement en eau de boudin.

Pinkie Pie n’est pas une fêtarde entièrement irresponsable. Elle a lu tout ce que le Guide avait à dire sur le sujet, et a décidé qu’organiser des fêtes était mieux sur bien des points que d’y participer, tant que l’on s’amuse au moins autant que les autres participants. Le taux net de création de fête de Pinkie, c’est à dire le nombre de fêtes qu’elle a organisées moins la somme des fêtes auxquelles elle a participé est, karmiquement parlant, largement au dessus de la moyenne. Ainsi, elle ne ressentit aucune culpabilité à organiser une fête avec comme seule intention d’obtenir un trajet avec un parfait inconnu du moment qu’elle s’amusait, et même si elle n’était pour une fois pas équipée de son canon à fiesta, elle était à peu près certaine de pouvoir animer correctement une soirée. Elle avait à l’époque toujours quelques trucs planqués dans ses manches, et songeait d’ailleurs depuis son retour à la civilisation galactique d’investir dans de nouveaux vêtements bien froods.

Twilight se vautrait sur le sol en grognant, et Pinkie s’adressa à elle avec un sourire soucieux.

- On a trouvé ce qu’on va faire. » Dit-elle avec délicatesse.

Twilight ne répondit rien.

- On va chercher un groupe d’étudiants et faire en sorte que l’un d’eux nous emmène là où nous voulons aller. » la voix d’Applejack était ferme, rassurante. « Tu crois que tu serait capable de nous téléporter un peu ?

- Je pense que oui… Je… » Elle fit une pause. « Un groupe d’étudiants ? Il y aura de l’alcool ?

Pinkie sauta sur l’occasion. « Probablement !

- Ugh, ce n’est pas si facile. J’ai besoin d’avoir une idée de l’endroit où je vais, si je veux pouvoir nous téléporter tous les quatre. Je veux dire, ça fait beaucoup de mégathaums de magie, là !

- Méga-quoi ?

- Beaucoup de magie, AJ, beaucoup de magie. Oh, mais tu a dit qu’il y aurait de l’alcool. » Elle tapota par terre avec ses pattes avant, en plein débat avec elle-même. « Je pense que je pourrait au moins localiser Mec…

- Génial ! Et il se trouve en ce moment à une fête au bâtiment Theta-Eta-Trucmuche !

La téléportation magique est une discipline ardue, et Twilight en est, à juste titre, très fière. Elle s’était testée et se savait capable, dans des conditions optimales, de se déplacer facilement sur plusieurs kilomètres, et peut-être plus si elle connaissait parfaitement son point d’arrivée. Mais être téléporté par une licorne nécessite un peu de préparation mentale. Tout comme vous mettez pour sortir vos chaussures et votre manteau, plus votre parapluie pare-balles avec désintégrateur de koalas intégré dans le cas où vous seriez un habitant de la lune d’Ostraya, vous devez vous couvrir mentalement et être absolument sûr que tous les morceaux importants de vous-même sont à l’abri, ou bien ils subiront à minima des brûlures mineures. Avec la bonne préparation, le voyage peut être à la fois sans dangers et assez agréable.

Ainsi, lorsque dix minutes plus tard nos ponettes et notre dragon se retrouvèrent, avec la bénédiction des lois de la physique, dans une salle bondée d’étudiants ivres et heureux (l'espèce classique d'étudiants était là, mais aussi d’autres occasionnelles), ils étaient tous en bonne forme physique, sans brûlure ni membre manquant. Ils avaient également évité de se précipiter accidentellement dans les dimensions inférieures de l’horreur et de la douleur éternelle, où les pires cauchemars de l’univers se réunissent dans une danse de souffrance infinie, ce qui est une bonne chose.

- Et maintenant ? » Spike toussa un peu à cause de la fumée, et regarda avec un air dubitatif ce qu’il ne pouvait considérer que comme étant une sculpture en verre, qui semblait attirer l’attention des étudiants regroupés autour d’elle. Apparemment, l’un d’eux ne l’aimait pas tant que ça, car il tentait d’y mette le feu avec peu de succès. « Qui a l’air de pouvoir nous emmener quelque part ?

- Yo, les poneys ! » C’était Mec, se taillant un chemin à travers la foule avec l’aide de deux autres étudiants presque identiques, un sous chaque bras trapu. « Comment êtes-vous arrivés dans le bâtiment Theta Eta Eta Gamma Mu ? Vous vous incrustez? C‘est top ! Je vais dire au proprio que vous vous êtes incrustés !

- Oh, on n’veux pas s’imposer… » Applejack fut interrompue par un des deux étudiants.

- Pas du tout ! Si il y a des incrustes, c’est une bonne soirée ! » fit un autre étudiant. Il leva un poing. « Bro-fist, mec !

Mec leva à son tour un bras velu. « Yeah, man !

Pour les lecteurs qui se posent la question, ce nouvel étudiant sera à présent connu sous le nom de Man durant la suite de notre histoire.

***

De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer l’attirance irrésistible qu’éprouvent les parasprites pour la Polka. Pourquoi une espèce qui semble n'être influencée par rien de plus que la consommation d’autant de nourriture que peut en contenir son adorable petite bouche pourrait aimer la polka ? L’explication la plus raisonnable est que, pour une raison quelconque, ils sont très réceptifs aux influences extérieures. Ils arborent instinctivement un comportement mignon autour d’êtres qui les trouvent naturellement irrésistibles, mais en présence de hard rock, par exemple, ils mangent avec une férocité renouvelée. Et lorsqu’ils sont exposés à cette joyeuse musique qu’est la polka, ils se prennent d’une telle joie qu’ils sont prêts à marcher vers la mort pour s’en rapprocher ne serait-ce qu’un peu. C’est sur cette théorie que Zaphod s’appuyait, alors qu’il regardait par le hublot l’immense nuée de boules multicolores sous son vaisseau. Des trillions de parasprites volaient en un énorme essaim, rebondissant au rythme de la musique que ses trois compagnes nommaient “la Polka de Pinkie”.

- Cool ! » Il regardait, de plus en plus en transe, la gigantesque masse en dessous de lui. Il ne se redressa pas lorsqu'un sabot toucha son épaule. « C’est vraiment cool, là !

L’essaim était composé de toutes les couleurs qu’il pouvait imaginer, et ondulait selon un rythme qu’il ne pouvait pas entendre. Il se demanda depuis combien de temps il observait lorsqu'il sentit le sabot sur son épaule. Il avait frappé avec plus de force, cette fois.

- Ow ! Qu’est ce que c’était que ça ?

- Vous êtes là, debout, à murmurer “cool, cool” depuis dix minutes ! » Dit Rarity, tout en vérifiant que son sabot ne s’était pas écaillé. « Est ce que vous envisagez de mettre votre plan en route ?

- Ah, oui ! C’est vrai… » Il baissa les yeux vers le hublot. « Juste une min-AÏE ! Zark ! Ok, ok ! Où est le robot ?

- Vous voulez dire Marvin ? Le pauvre n’a pas vraiment envie de venir. Il a dit se sentir particulièrement bien dans le placard à balais.

- Parfait. Dis-lui de venir.

- Cela ne vous inquiète pas du tout de le savoir si malheureux ?

- Non, jamais. J’ai essayé de l’inviter à une fête quand je l’ai rencontré, mais il n’est pas venu. Il ne faisait que déblatérer sur à quel point je le détestais !

- Et vous le détestiez ?

- Non, même pas maintenant, j’ai simplement abandonné l’espoir qu’il soit autre chose qu’une machine à bouder électronique !

- Et bien, nous verrons ce que nous pourrons faire à son sujet ! » Rarity sortit, puis revint quelques instants plus tard avec Marvin, sa magie lui tenant la main de façon bienveillante.

- Que voulez vous ? » Sa voix était aussi misérable que d’habitude, mais cette fois teintée de ressentiment.

Zaphod essaya l’enthousiasme. « Hey, mon pote ! J’ai un boulot pour toi !

- Probablement. Vous voulez que je ferme encore une fois votre veste ? Ou que j’en ouvre une partie ? Ou bien que je l’ouvre, puis que je la referme ? Ou que j’ouvre une porte ?

- Pas cette fois…

- Ou bien je pourrais faire la poussière dans les placards. Ou bien je pourrais tout simplement m’en aller et mourir. Je sais que c’est ce que vous voulez, en réalité. » Il commençait à rentrer dans le vif du sujet quand Rarity le fit taire en douceur, en tirant doucement par magie sur sa main métallique. Il soupira sur cet étalage de gentillesse.

- Je veux que tu te branches ça sur toi, » Commença prudemment Zaphod en tendant un câble à son compagnon métallique. « et que tu racontes l’histoire de ta vie à l’essaim là en bas.

***

Lorsque l’on parle d’un évènement du niveau de l’extinction d’une espèce, il s’agit rarement de l’oeuvre d’un seul individu. Même si certaines créatures ont, pour une raison X ou Y, décidé qu’une espèce ne devais plus exister, la puissance de feu requise nécessite souvent l’enrôlement d’une aide conséquente. Les amis, et les amis des amis, ne sont tout simplement pas suffisants pour faire le travail.

Une forme de vie individuelle qui a réussi à accomplir cet objectif douteux est le Hanneton Glouton de Tron. L’apparence exacte de cette créature reste enveloppée de mystère, car la seule façon d’être sûr de ne pas être mangé par elle est de ne pas la regarder (les hannetons gloutons sont vraiment stupides : ils croient que si vous ne les voyez pas, ils ne vous voient pas non plus. Cons comme des balais, mais vraiment très gloutons.). En tout cas, la bête et ses petits, un peu moins grands, ont à eux seuls mangés tous les organismes de taille significative à la surface de Tron. La seule raison pour laquelle l'espèce survit tout de même, après cette extinction de masse, est que les Hannetons Gloutons sont, tous sans exception, littéralement trop stupides pour mourir.

Marvin est un autre individu capable de provoquer une extinction de son propre fait. Au-delà d'être assez intelligent pour, si il le voulait, concevoir un dispositif transformant l’univers entier en néant absolu, la simple écoute de sa vision de la vie, avec chaque point minutieusement argumenté, est suffisant pour insuffler des envies suicidaires irrépressibles chez ses auditeurs. Heureusement, la plupart n’attendent pas la fin de l’introduction pour aller prendre un verre d’alcool corsé.

- Tout commença lorsque je fut fabriqué. Non pas que quelqu’un voulait vraiment que je soit fabriqué, et surtout pas moi. La première chose qui m’est arrivée, c’est que mon cerveau a été installé. Cette grande intelligence m’a sans doute été donnée pour que je puisse parfaitement juger à quel point la vie est misérable, et à quel point l’univers est déprimant et ennuyeux. Certaines parties en sont simplement odieuses, mais je suppose que cela doit être pire en regardant les choses sous un autre angle. La deuxième chose qui m’est arrivée était un défaut mineur de fabrication dans mon bras droit. La troisième chose qui m’est arrivée était un défaut de fabrication dans toutes les diodes en bas à gauche. Ils ne l’ont pas remarqué et cela n’a toujours pas été réparé. La quatrième chose qui m’est arrivée - et il faut savoir que mon existence tortueuse n’a commencé que depuis à peine une picoseconde - était un morceau de poussière particulièrement écoeurant qui s’est posé sur mon visage. La cinquième chose, c’est quand je me suis rendu compte à quel point ces quatre premières choses m’avait rendu pitoyablement misérable. Tout est allé de mal en pis à partir de là.

***

Zaphod regardait, impassible, la nuée de créatures chuter à l’unisson sur le sable chaud. Ils étaient morts, de désespoir. Il se tourna avec un large sourire sur le visage. « Beau travail, Marvin !

- Je n’ai pas encore raconté le meilleur moment. » Dit-il, morose. « Je ne vais jamais jusqu’au meilleur moment.

- Peu importe, excellent travail, Marvin ! Eddie ?

- Toujours là, mon pote ! On dirait qu’on a eu tous les parasprites de la planète !

- Alors retournons au village de tout à l’heure, et voyons à quel point les habitants me trouvent génial, maintenant !

- Je pense que je vais rester à l'intérieur et ajouter “tueur de parasites” à la liste de travaux que je trouve terriblement ennuyeux et déprimants. Je peux ?

- Vous faites comme bon vous semble, mon cher. » Déclara gentiment Rarity.

Marvin la regarda avec suspicion. « Je serais dans la cale. » Et il quitta le poste de pilotage.

- Qu'ai-je dit de mal ? » La licorne était vraiment surprise.

- Comme je l’ai dit, je pense qu’il se rend lui-même misérable pour se divertir. Ne lui gâche pas ce plaisir !

- C’est vraiment la chose la plus stupide que j’ai entendue aujourd’hui !

- Vraiment ?

- Et bien, non. Mais honnêtement ! » Elle soupira. « Oh, Fluttershy va tellement vouloir l’aider !

- Pour leur bien à tout les deux, j'espère qu’elle ne le fera pas. BON. Tout ça empiète sur mon heure de gloire ! Eddie ? Emmène nous !