CHAPITRE 11 - Probabilités et parasprites

Le Temps, comme le fait souvent remarquer le Guide du Routard Galactique, nous tourne souvent en ridicule. Quelque chose qui apparaissait comme une bonne idée à un moment donné peut perdre tout son sens plus tard. Par exemple, selon des témoins, la situation actuelle sur la planète Trivitor résulte de ce qui semblait être à l'époque une de ces “bonnes idées”. Jamais nous n’aurons plus d’explications, car aucun scientifique, historien ni même dieu n’est parvenu à deviner ce qui s’est exactement passé et pourquoi.

Tout ce que l’on sait, c’est que la planète Trivitor est à présent inhabitable, en raison de la présence d’environ 186 000 homards géants, apparemment composés de barbe à papa. En soi, ce problème n’est pas désespéré, mais il est important de signaler que chacun de ces homards a implantée en lui une bombe, reliée à son système sensoriel, et capable de raser la moitié de la galaxie à la moindre frayeur. Cette situation n’a pas pu émerger du hasard, et est forcément le résultat du travail réfléchis de poneys maîtres de leurs faits et gestes, mais la plupart des gens qui entendent cette histoire se font plus de souci à propos du pourquoi du comment qu’à propos de la possibilité qu’une moitié de la galaxie disparaisse proprement en un instant si une de ces créatures sursaute à peine. Cela semblait être une bonne idée, à l’époque.

En effet, cette situation si parfaitement insoluble fait des merveilles sur la vie des poneys qui en sont conscients. Risquant l'annihilation à chaque instant, ils prennent le précepte Carpe Diem très à coeur.

Une autre chose qui semblait être une excellente idée à l’époque était que l’Université de Maximegalon consacre la totalité de son budget dédié à la bibliothèque au transfert de tout son stock d’informations dans une banque de données numérique. Théoriquement, cela aurait facilité l’accès au contenu de la bibliothèque, et aurait donc conduit à une économie de temps, puis sur le long terme, d’argent. Malheureusement, en raison de confusions dans les incompréhensibles lois relatives aux droits d’auteur, la base de donnée est devenue complètement intouchable. En clair, d’après les Droits d'Exploitation Digitaux, la consultation du moindre yottabyte d’information nécessite le paiement de royalties à l’auteur du document. A court d’argent, l’Université n’a rien payé du tout. Ainsi fut réduite à néant la Bibliothèque de Maximegalon, pourtant la plus vaste en terme de contenu. Pour pallier à ce problème, les étudiants ont fini par effectuer leurs recherches documentaires avec des copies du Guide (ou de l’Encyclopedia Galactica pour les nerds sans amis).

***

La pièce fut d’un seul coup inondée de lumière. Une lumière violette, produite par un être magique qui a été véritablement poussé à bout.

- QUOI ? » Twilight sautilla nerveusement et s’approcha de Pinkie Pie avec le meurtre dans les yeux. « Qu’est ce que c’est, un DRM, nom d’un foin, et pourquoi je ne peux accéder à rien ? » Elle pointa le sabot sur la console, ponctuant chacun de ses mots d’un geste rageur. « Pourquoi. Ça. Ne. Marche. PAS ?

Pinkie s’approcha de la console et jeta un oeil.

- Et ben, c’est pas très sympa, ça !

- Qu’est ce qu’on va faire ? » La crinière de Twilight, qui est toujours un excellent indicateur de sa santé mentale, était dans un état que même un wookie sous électricité statique qualifierait de désordonné.

- Et si on cherchait dans le Guide ? » La voix d’ Applejack s'inséra dans la conversation avec la chaleur confortable d’un bon whisky fruité. « Est-ce qu’il pourrait contenir des infos sur les endroits où on irait trouver ce fichu vaisseau ?

Twilight tourna la tête vers Pinkie. « Ça pourrait marcher ?

- Probablement. Mais…

- Donc on est venus jusqu’ici pour RIEN ?

- La Bibliothéque dispose de plus de détails !

- Pour l’amour de Celestia, Pinkie, je ne peux rien consulter ! » Elle gémit. « Ça me rend dingue !

- AJ ? » Pinkie se tourna vers la fermière.

- Yup ?

- Cherche “probabilité” dans le Guide, s’il te plaît. Ça sera à “P”. Et, Twilight ? » Elle se retourna. « Tu n’as qu’à regarder la couverture du Guide.

- JE NE PANIQUE PAS !

- Mais regardes, les lettres, comme elles sont apaisantes !

La réplique cinglante de Twilight s’étouffa. Les lettres avaient effectivement quelque chose… d’apaisant. Leur forme nette et précise, leur lueur mate et leurs couleurs insufflaient le calme dans son esprit. Twilight prit une profonde inspiration. Puis elle se mit tout de même à jurer.

Pour des raisons de décence, la narration de ce passage extrêmement vulgaire a été modifiée pour la rendre plus adaptée à un public originaire de [insérer ici l’origine]. Tous les mots qui seraient injurieux pour les lecteurs de [insérer ici l’origine] seront remplacés par de plus jolis. Nous nous excusons pour la gêne occasionnée.

- Boîte de biscuits ! Pourquoi, sucre glace, nous as-tu laissé nous faire chanter à faire tout ce joyeux voyage, depuis le trou du papillon de la galaxie si c’est pour nous dire que nous avions cette muffin de solution DEPUIS LE CHATON DE DÉBUT ? Je ne comprend pas cet univers, arc-en-ciel ! Je n’ai pas bu un fleur de verre depuis des lustres, et le seul endroit où j’aurais pu m’amuser est inutilisable ! Donc toute cette jolie aventure ne nous a servi à RIEN DU TOUT !

- Et ben, ça fera une super histoire à raconter ! Tu imagine, dire aux gens que nous sommes allés si loin alors que je portais la réponse sur moi tout le temps ? C’est marrant, non ?

- CHIOTS SOLEIL PAILLETTE GLAÇAGE ! LA DOUCE CELESTIA CALINE MA FONTAINE DE BONBONS !

- Oooooooh ! T’est dure, là ! » Intervint Spike.

- QUOI ?

- Bah. » Répondit Pinkie au dragonnet. « De toute façon, personne ne pourra lire ça. Ils ne laisseront jamais passer un truc pareil.

Ils furent interrompus par Applejack, qui brandit triomphalement le Guide, et la voix suave du narrateur commença à retentir, mettant fin à la dispute.

***

Zaphod, Rarity, Dash et Fluttershy commencèrent à marcher en direction des bâtiments entassés au milieu du cercle de verdure. Ce vert était celui de cultures agricoles, qui avaient formé une frontière nette séparant la ville du désert. Si l’un d'entre eux avaient pris le temps d’observer, il se serait rendu compte que rien ne poussait ni ne vivait en dehors de la portée de la musique. Ils ne réalisèrent pas non plus à quel point ils étaient à présent en lieu sûr. Pour l’instant, la seule chose à laquelle pensait Zaphod était la possibilité de s’illustrer devant un groupe d’inconnus, et peut-être aussi d’essayer de nouvelles boissons. Quand à nos trois héroïnes, elles étaient surtout préoccupées par le fait d’entendre la Polka de Pinkie au milieu de ce désert.

Rarity parla en première. « Ça ne peut certainement pas être…

- Si, c’est bien ça ! » Coupa Rainbow. « Je m’en souviens très bien, et c'était exactement cet air là !

- Mais, je veux dire, c’est pas possible ! Comment peuvent ils la connaître ici ? Et puis pourquoi jouent-ils si fort ?

- Euh.. peut-être que c’est Pinkie qui l’a apprise d’eux ? » Interrompit Fluttershy. « Je veux dire, peut-être que ces poneys aiment juste cette chanson, je veux dire, moi je l’aime bien, et puis, peut être que Pinkie l’a aimée aussi, et qu’elle l’a ramenée avec elle ?

Rarity examina l'hypothèse. « Ça pourrait être ça, ma chère, mais ils doivent vraiment beaucoup l’aimer, cette musique. Ils la jouent tellement fort !

- Hey, les ponettes ! » Intervint Zaphod. « On a de la compagnie !

En effet, plusieurs poneys marchaient dans leur direction. Fluttershy se disait qu’elle n’avait jamais vu de poneys à l’air aussi pitoyable. De grand yeux cernés et injectés de sang dévoraient leurs visages, leurs crinières étaient en désordre, leurs sourires étaient clairement forcés, et pour finir, ils avaient des bouts de chiffons dans les oreilles. Son petit coeur, déjà tout préoccupé par les tourments du pauvre Marvin, n’en pouvait plus, et elle se retint d’accourir les consoler. Le poney qui menait le petit groupe commença à parler, alors qu’ils arrivaient à portée de voix.

- Nous n’avons pas de chambre !

- Désolé, mec, j’ai pas compris. Tu disais quoi, amigo ?

- Nous n’avons pas de nourriture, ni chambres, ni la patience pour accueillir d’autres maudits poneys ici !

- Woah ! » Zaphod était pris de court. « Reste cool, bro, on est juste de passage. On a entendu votre chouette musique et on voulait juste passer…

- Chouette musique ? CHOUETTE MUSIQUE ? » Son visage fut saisi de tics, tandis que les poneys qui le suivait frissonnaient à l’unisson.

- Euh, oui, on voulais vous poser des questions sur cette chanson, que vous avez l’air de bien aimer… » Répondit prudemment Dash.

- On l’aime ? On l’aime ? Avez vous la moindre idée de ce qu’est cette chanson ? Et savez-vous au moins où vous êtes ? » Il observa les visages décomposées de ses visiteurs, et sa colère fondit légèrement. « Vous savez pas où vous êtes, pas vrai ?

- Euh, on sait que cette planète s'appelle Gurgen quatre… » Commença Fluttershy. « Mais je crois qu’on ferait mieux d’y aller, maintenant….

Elle commença à partir, mais fut arrêtée par Dash, qui la retint de ses sabots.

- De quoi est-ce que vous parlez, exactement ?

***

Le bâtiment où se trouvaient à présent nos poneys était un petit hall, pas tout à fait insonorisé, malgré les efforts du propriétaire. La musique était réduite à un boum-boum joyeux qui faisait légèrement vibrer les murs.

- Cette musique commence à me taper sur les nerfs ! » Se plaignit Rarity.

Un frisson parcourut l’assemblée des poneys indigènes. Le leader de facto la dévisagea simplement, avec quelque chose comme de la haine dans les yeux.

- Vous entendez ÇA… depuis combien de temps ?

- Près d’une demi-heure maintenant . Pourriez-vous changer de disque ? » Elle battit des paupières.

- Cette...musique... » Il avait l’air hagard. « tourne en boucle depuis ma naissance. Je n’ai jamais rien entendu d’autre.

Nous héros se regardèrent, abasourdis.

- Mais, mon cher… » Rarity posa un sabot apaisant sur sa patte. « Pourquoi ne pouvez-vous pas l'éteindre ?

- Parce que c’est la seule et unique chose qui empêche les parasprites de dévorer littéralement tout ce que nous possédons !

***

Les parasprites font partie des formes de vie les plus réussies de la galaxie, et certainement l’une des plus dangereuses. Personne ne sait exactement d'où ils sont venus au départ, mais à présent, chaque secteur galactique renferme une ou deux planètes infestées. En règle générale, ils semblent inoffensifs jusqu’à ce que leur nombre augmente au-delà de la capacité de production en nourriture de la planète, ou que l’on fasse l’erreur d'arrêter de leur donner à manger. Arrivés à ce point, ils peuvent commencer à s’attaquer à tout ce qui pourrait ressembler à de la nourriture, ou à n’importe quoi d’assez vivant pour pouvoir être qualifié de nourriture. Finalement ils en viennent à manger le sol de la planète, jusqu’à son ingestion totale.

Évidemment, il existe des moyens de défense, comme par exemple le déploiement d’une Tour de Survie à Polka, développées par la Compagnie Cybernétique de Sirius. Pour un coût énorme, une tour à haut parleur peut être installée pour jouer une chanson qui, pour une raison mystérieuse, attire les parasprites comme la paperasse attire les vogons. Cet appareil est le seul produit par la CCS à fonctionner correctement, tant que les utilisateurs (qui n’ont pas vraiment le choix) continuent à verser leurs mensualités.

L’effet global de l’une de ces tours est de créer une zone circulaire dans laquelle aucun parasprite ne mangera quoi que ce soit, et où l’on peut cultiver en toute sécurité. Par ailleurs, la population ainsi protégée ne se rendra ainsi jamais compte que sa planète n’est plus qu’une boule recouverte de petites bestioles colorées rigolotes et voraces. Cette protection va malheureusement de paire avec de gros soucis de santé mentale, mais on ne peut pas tout avoir.

***

Le Guide du Routard Galactique a beaucoup à dire au sujet des probabilités. Vu que l’article pertinent, du point de vue de nos héros, est assez loin, nous allons y sauter directement ; cela pour des raisons de concision, mais aussi - et surtout - car la plupart du contenu est incompréhensible pour quelqu’un n’ayant pas fait d’études interminables sur la probabilité au niveau quantique.

La planète Medius est remarquable, en particulier à cause de son attachement singulier aux lois des moyennes, et donc aux lois de la probabilité. Toute la planète, ainsi que sa faune, sa flore et les êtres intelligents qui y vivent sont directement liés à la moyenne de la galaxie, apparemment sans aucun lien de causalité. Le rapport est si parfait qu'après la découverte de cette planète, les études de recensement galactiques devinrent une simple formalité. Tout les résultats sont maintenant obtenus par l’observation directe de Medius. Il apparaît ainsi que la moyenne des êtres doués de conscience de la galaxie possède trois virgule quatre pattes, trois virgule six bras, mais également un dixième d’arme à feu, et une virgule huit chambre à coucher. Ces valeurs sont littéralement vraies pour ces citoyens originaires de Medius. Par ailleurs, les résultats obtenus en jouant à pile ou face sont d’une régularité monotone : pile, face, pile, face, et ainsi de suite.

Pourquoi et comment cette planète est soumise à une telle contrainte, cela est un mystère, et promet d’en rester un à l’avenir. Une question demeure : pourquoi ces conditions ne s’appliquent-elles pas à tout l’univers, et chaque planète n’est elle pas peuplée de dix-huit bactéries, et d’un millième de sabot d’un être doué de conscience ? Il est possible que la situation eut été trop ennuyeuse à supporter.