Dos à la lumière-1

-Rappelle-toi, Joking Joe. Rappelle-toi toute mon enfance. Toute cette persécution que j'ai subie...

Je tenais ce malheureux contre le mur, coincé entre mes pattes. Il ne s'enfuirait plus maintenant. Il ne se moquerait plus. Il ne me ruinera plus rien...

-Attends, Melody ! J'ai jamais voulu te faire de mal, je te taquinais juste, enfin... Tu as toujours répondu ! C'est injuste !

J'écrasais sa poitrine plus fort. Qu'il se taise à jamais...

-Quand tu as jeté mes affaires dans la rivière ? Connaissant la pauvreté de ma famille ?

-Je-ark...

-Quand tu as mis le feu à ma queue dans le champ d'Old Danny ? Quand son champ a brûlé avec ses réserves, son argent et sa confiance en moi, c'était une blague ? Ça aurait été moins drôle que je brûle, hein ? Ahahah ! Mais là, c'est pas toi qui vas rire...

-C'était pas... ma... fauuuute...

-Menteur ! Et quand tu m'as battue avec tes pégases devant mes parents... C'était pas ta faute !? J'avais bien besoin de ça en plus... Je le garderais toujours en mémoire, Joking Joe. Et là, tu es bien mal, tu ne peux plus t'envoler nul part dans cette cabane, seul... Et tu as été bien stupide de croire que je te laisserais jouir de ma croupe connaissant la rancœur que j'ai pour toi...

Je voyais ses yeux rétrécir, des larmes ne débarquant que goutte par goutte, certainement parce que je l'acculais trop puissamment... Alors, me revint à l'esprit que je ne réglerais pas mes soucis du passé par un acte violent. Je pouvais par contre m'assurer un futur moins pire. J'attendis que la peur de la mort l'envahisse, et je le relâchai.

-Je ne suis pas comme toi, Joe...

Pendant quelques secondes, il reprit son souffle. Je faisais mine de le laisser, pour abattre à toute vitesse mon sabot, lui brisant une patte. Ah ! Quel pied !

-Ahahah ! Oh, mince... Je sais pas, t'as peut-être DÉTEINT un peu sur moi... Déteint, t'as compris ? Comme ma crinière ! Quand tu m'as poussée dans la cuve de produit chimique, hein ? Ordure.

Je le laissai dans ses cris et ses larmes. Cela devenait la plus importante action que j'aurais menée de ma vie... Je m'en allais voir le passage à la nuit.

Du bord de ma falaise, dominant la mer, j'assistais à ce coucher de soleil scintillant me remémorant l'aversion de mes parents pour moi. Pourquoi ce lien soleil-parent ? Ce n'est pas la question... Depuis l'apparition de ma marque de beauté, et ma poussée de croissance mes parents ne me considèrent plus. Je ne leur ai jamais ramené l'étalon qu'ils ont tant désiré... Qui les sauverait de la mendicité. Mais... Je n'ai pas choisi d'aimer les juments. C'est plus qu'un choix, c'est naturel, c'est "de base" dans ma configuration, c'est... Pourquoi est-ce mal ? M'en vouloir pour ça, c'est me détester dans mon entier... Je n'aurais jamais dû leur présenter Rosépine. Et je n'aurais encore moins dû me faire surprendre chez elle dans cet état par ses parents... Peut-être la reverrais-je, un jour, ici ou ailleurs, avec toi, soleil ! Enfin, je suis indépendante maintenant. Si ma famille, enfin mon père et ma mère ne veulent plus entendre parler de moi, ils seront ravis, je ne compte pas rester. Eh, soleil ! Je m'en vais ! Je ne veux plus survivre pauvrement ici, je veux vivre pleinement ! Comme les autres poneys, surtout les pégases. Libres et s'échappant à tire-d'aile, rien ne les retient... Ou alors devenir supérieur, comme une licorne, pour moi aussi regarder le monde de haut ! Les deux permettent de regarder le monde de haut... Si haut qu'ils ne s'arrêtent pas sur ceux qui vivent en bas, et encore moins, sur moi... Bref, je te bercerais d'ailleurs, désormais ! J'entonnai une chanson retraçant ma journée, comme à mon habitude. Mais cette soirée, je mis de l'émotion et de la volonté en mes paroles, qu'elles se réalisent ! Je fredonnai sur ma vie passée une dernière fois, puis je tournai le dos, action faite, à la lumière.