Acte III
Scène 1
(Un désert enneigé du Nord. Vent, neige et froid glacial. Crépuscule. Sombra, dans son habit d’hiver, marche avec peine au milieu de la scène où il s’écroule)
SOMBRA : Voilà bien la folie des jeunes âmes de croire tout possible quand un souffle leur ôte l’existence. Que croyais-je même en courant ainsi comme le dernier des fous ? Mais que la tempête emporte mes cris ! Si je finis ici ma misérable aventure, je ne souffrirais au moins pas de l’absence de celle qui est ma vie. Oh ! Faites qu’on ne me sauve pas ! Il n’y a rien de plus désagréable pour nous, les rêveurs, que de voir nos hautes aspirations tournées en ridicule par le prosaïsme des honnêtes gens. Et mourir jeune est une trop belle offre pour que je ne l’accepte pas... Je n’ai qu’à m’endormir en pensant à Hope... Grande sœur ! Qu’il est agréable de devoir quitter ce monde sans trop ressentir la tristesse de te savoir loin. De plus, tu n’as pas à apprendre le sort du pauvre Sombra... Tu peux m’oublier, briller, et devenir ce symbole de paix, d’harmonie et d’avenir que ta cutie mark préfigurait. Pour ma part, je l’ai dit, je ne suis pas mécontent. On m’a dit, là-bas, comment ils m’avaient retrouvé. Un poulain amnésique à semi-enterré dans cette étendue blanche, au pied d’un cristal émergeant du sol. Bien malchanceux de ne pas avoir de grande prédestination malgré une telle mise en scène... Ah, vraiment ! Quelle belle fuite ! Quelle course divine... A travers ce brouillard, je croyais percer quelque monstre abominable... Mais cette aventure n’aura pas duré. Peut-être est-ce pour le mieux. Peut-être qu’ils avaient raison... Que je n’étais destiné qu’à rester en arrière, à regarder ce qui se passe sans agir... Par Equestria ! Avoir appris à lire en deux jours, mais ne rien avoir fait d’autre. J’ai su que Hope, elle, avait réussi une opération particulièrement délicate sur le poumon d’un soldat... A vingt ans, ridiculiser un hôpital, ce pompeux nid à savants... Quel poney d’esprit n’admirerait pas un tel génie ? Mais je ne veux plus gigoter, il faut dormir... (Un silence) Je crois que je n’ai jamais ressenti le froid... C’est étrange. Les autres m’en parlaient toujours, et moi je n’en savais rien. Peut-être que des nerfs détraqués furent responsables du dérèglement complet de ma vie... Je l’espère en tout cas. C’est que c’est ennuyeux d’attendre la fin. Pour peu qu’elle ne vienne pas... (Un sifflement dans le lointain.) Qu’est-ce que ceci ? (Un appel vague.) Il y a quelqu’un ? S’il y a quelqu’un, ne venez pas. Ici, on essaye de mourir à l’aise... (Un voix chantante et mélodieuse appelle. Sombra se lève et regarde dans la direction d’où vient la voix.) D’où vient donc cette musique ? Car certes, je ne crois pas qu’il passe beaucoup d’ivrognes aux chants incontrôlables dans ces déserts...
LA VOIX : Sombra, est-ce toi ?
SOMBRA : Quel prodige... Qui m’appelle ainsi ?
LA VOIX : Sombra, c’est nous. Ne-nous vois-tu donc point ?
SOMBRA : (plissant les yeux) Je vois une lumière rouge entre les dunes de neiges... Comme un œil inquiétant au fond du brouillard...
LA VOIX : Viens, Sombra. Nous t’avons beaucoup attendu. Nous avons un présent pour toi.
SOMBRA : Par Equestria ! Je... Tant pis... Au revoir, sommeil, ce sera pour une autre fois. Ce mystère plein de merveilles et de féeries attise trop ma curiosité. L’aventure est finalement revenue à moi. Mon cœur, mon esprit et ma jambe, ne me manquez point et menez-moi là où ce gracieux chant veut me faire venir.
Scène 2
(Des dunes de neiges. Un cristal rouge grand comme un poney et demi dépasse du sol, sur lequel il projette sa réflexion malgré le manque de lumière. Début de nuit. Sombra entre et contemple le cristal)
SOMBRA : Oh ! Comment ne pas douter, en voyant une telle chose, que je ne sois pas bien endormi dans la neige, et que ce sont les visions de mon inconscience qui se dressent ici ?
LE CRISTAL : (Avec une voix éthérée et mélodieuse) Tu es bien réveillé et vivant, Sombra, et le contraire eut été regrettable...
SOMBRA : Par toutes les alicornes... C’est donc bien d’ici que venait cette voix... Comment une pierre peut-elle parler ?
LE CRISTAL : Hahaha ! Mon enfant... M’as-tu donc oublié ?
SOMBRA : Certes, l’on m’a dit de nombreuses fois dans mes années d’apprentissage que j’étais un élève appliqué, mais sans beaucoup de mémoire. Cependant j’aurais bien su me souvenir d’une telle chose si j’avais rencontré un cristal aussi causant !
LE CRISTAL : Mais pourtant je te connais... Ou plutôt nous te connaissons.
SOMBRA : Nous ?
LE CRISTAL : C’est compliqué... Et ça l’est encore plus si tu as tout oublié. Assieds-toi, Sombra. Je sais que tu n’as pour l’instant nulle part où aller. J’en déduis que rien ne m’empêche de te raconter de nouveau tout ce que tu étais censé savoir.
SOMBRA : (soupirant et s’asseyant) Vous avez tristement raison. Le gite et la bonne compagnie me manquent. Et j’avoue qu’il y a dans cette énigme quelque chose d’assez grisant pour me divertir de la vie. Tout d’abord, d’où me connaissez-vous ?
LE CRISTAL : Mais enfin, ne le devines-tu donc pas ?
SOMBRA : Comment pourrais-je faire une telle chose ?
LE CRISTAL : J’entendais au loin ta complainte. Tu y évoquais ta découverte par les cristallins...
SOMBRA : Le cristal sous lequel je gisais ! Mais, tu ne leur as pas parlé, à eux ?
LE CRISTAL : Qui irait parler en face à ses mortels ennemis, et qui plus est pour leur permettre de nous faire souffrir encore plus ?
SOMBRA : Vos ennemis ?
LE CRISTAL : Et par conséquent, les tiens...
SOMBRA : Les cristallins ? Mes ennemis ? Ceux qui m’ont élevé ?
LE CRISTAL : Je te l’ai dit. C’est compliqué.
SOMBRA : Quel démon êtes-vous donc pour me dire que je dois avoir ces gens en haine ?
LE CRISTAL : Si je suis un démon, je suis aussi celui grâce auquel ton existence est un fait avéré.
SOMBRA : Je serais né d’un cristal ? Quelle est cette plaisanterie ?
LE CRISTAL : Oui... Et non. Ecoutes... Je sais que les questions qui troublent actuellement ton esprit sont sans nombre, et que tout ce dont tu te souviens parlera surement contre moi. Cependant, s’il te reste assez de bonté, ou de souvenirs pour reconnaitre en nous tes parents, écoutes l’histoire que je vais te raconter sans m’interrompre. Si à la fin tu ne me fais toujours pas confiance, saches que je ne puis rien faire contre toi dans la position où je suis.
SOMBRA : Tu as mon attention, cristal, mais prends garde à tes paroles, car tu as également ma méfiance.
LE CRISTAL : Bien... Pour commencer, malgré ton apparence, Sombra, tu dois savoir que tu n’as rien de semblable aux poneys qui vont, foulant le sol de leurs sabots lourds, car tu n’es pas des leurs...
SOMBRA : Comment est-ce...
LE CRISTAL : Je t’ai dit de rester silencieux ! En effet, Sombra, si tu ne brillais pas parmi eux, ce n’est pas que l’on pouvait te qualifier d’Equestrien plus que de cristallin. C’est pour cela que tu ne ressens ni la faim, ni le froid, ni la fatigue. N’as-tu jamais perçu quelque étrangeté... quelque métamorphose de ton être ?
SOMBRA : Si... L’orphelinat... Ces nuits de fêtes... Ces ombres invisibles qui sortaient et tiraient violemment sur ma peau, comme pour m’écorcher... Le cœur de cristal !
LE CRISTAL : Une source de nos maux parmi bien d’autres. Mais cela prouve mon dire, Sombra. Ton apparence actuelle, tu l’as adoptée car tu n’as rien connu qui n’était point semblable à des poneys. Ta forme véritable, nous te la ferons connaitre bientôt, si nous nous voyons un jour... Mon enfant, apprends donc le nom de ta race, puisque tu l’ignores. Nous sommes les Umbrums. Nous étions autrefois libres comme l’air sur ces terres que poneys nomment « le Nord ». Nous établissions de magnifiques constructions, bâtiments, statues et merveilles avec ce que la nature offrait en abondance sur ces terres. La glace, le cristal, le marbre même... Rien ne résistait à notre ambition de création, et le Nord s’épanouissait comme une fleur de beauté et de vertu... Les graines de cette entreprise si noble se répandirent, et nous espérions, joyeux de voir les poneys Equestriens s’intéresser à nous, qu’ils feraient avec leurs terres verdoyantes ce que nous avions fait avec ce Nord immaculé. Ils s’intéressaient à nous, vrai. Notre cité, plus que tout, forçait leur admiration. Nous l’avions bâtie autour d’un diamant si gros qu’on aurait dit qu’il servait de colonne pour soutenir la voute des cieux. Nous taillâmes le diamant, et en fîmes un palais...
SOMBRA : ...L’empire...
LE CRISTAL : Précisément. Vivants heureux dans notre fière et pacifiste république, nous reçûmes régulièrement des ambassades trompeuses de nos voisins du Sud. Ils étaient fainéants et lâches, et préféraient nous espionner pour découvrir le moyen de nous abattre, alors que nous espérions que les yeux qui venaient voir nos merveilles n’avaient que l’intention d’en créer de pareilles ailleurs. Ils nous déclarèrent finalement la guerre, fatalité à laquelle nous dûmes nous résoudre. Sans amour du conflit, nous allâmes nous battre, et...
SOMBRA : Et ils vous ont battus !
LE CRISTAL : Certes, non. Nous sommes presque des dieux, et nous ne craignons que les redoutables Draconeequs, qui peuvent nous faire disparaître, ou nos cousins printaniers les breezies, qui peuvent seuls nous blesser. Mais ils triomphèrent par ruse. Cherchant dans leurs antiques savoirs un moyen de nous terrasser, les licornes de la vieille Canterlot construisirent un artefact à partir de fragments de cristaux qu’ils avaient récupéré dans le Nord. Ils en firent une arme et ils passèrent plusieurs mois à l’enchanter... Puis ils la prirent pour leur ultime campagne, quand leur ost nous affronta devant notre cité de Crystalpeak. Je me rappelle encore... Nos armées étalées sur la plaine enneigée... Le bon droit et l’amour des nôtres dans nos cœurs, contre leur sèche avidité. A peine avions-nous avancé qu’ils déploient contre nous cet avantage... Sitôt qu’ils activèrent leur gemme, car cela en était une, en effet, nous fumes aspirés vers elle, et enfermés par son intermédiaire dans un autre plan, d’où je te parle actuellement.
SOMBRA : Cet artéfact, ce n’est quand même pas...
LE CRISTAL : Mais enfin, Sombra, pourquoi doutes-tu, toi qui connais la réponse. Cette gemme, ils la placèrent dans notre ville quand ils s’en furent rendu maîtres, pour montrer la domination de leur art, et pour maintenir l’hiver loin de leur conquête. Le cœur, Sombra. Le cœur de cristal qui t’a apporté tant de souffrances là-bas... Aujourd’hui, ils le célèbrent encore, comme une idole. Et comme toute les idoles, celle-ci est cruelle... Elle est gage de protection et de prophéties pour eux, tandis qu’elle est le signe de notre emprisonnement. Elle a même essayé de te reprendre alors qu’elle connaissait ses pics de puissance ! C’était là l’origine de ta douleur annuelle.
SOMBRA : Aucun des livres d’histoires ne parlait de...
LE CRISTAL : Crois-tu qu’ils se donneraient la peine de dire qu’il y avait quelque chose avant ? Crois-tu qu’ils se chargeraient d’un crime si noir face à la postérité ? Non. Ils ont enterré notre souvenir avec nos vies. Et les poneys d’aujourd’hui ont oublié... Tous, sauf un... Ou plutôt une...
SOMBRA : Une ?
LE CRISTAL : Il faut une puissance magique importante pour manipuler le cœur... La licorne qui déclencha son sortilège n’était certes pas une néophyte... Il a fallu qu’ils gardent un seul gardien pour connaître parfaitement le cœur et protéger leur avenir contre notre éventuel retour... Et généralement un magicien de haut-rang...
SOMBRA : (dans un chuchotement étonné) Amore...
LE CRISTAL : Oui... Et elle a déjà certainement choisi son successeur. (Sombra, stupéfait, remue visiblement les lèvres pour former un nom qui ne sort pas de sa bouche) Tu as dit quelque chose ?
SOMBRA : Moi ? Non. Mais dites-moi alors, si je suis l’un des vôtres et que je respire cet air qui m’entoure alors que vous ne le pouvez-pas, comment me suis-je retrouvé ici ?
LE CRISTAL : Je t’ai dit tout à l’heure que tu étais et n’étais pas né d’un cristal. Ecoute. Pour que l’un de nous ai pu te parler à travers ce minéral, il a fallu développer de grandes capacités sur les mystères obscurs des voyages planaires. On peut communiquer via ces barrières mais on ne peut les franchir sans sacrifices. Sombra... Tu n’existais pas à proprement parler dans notre monde. Ton corps est le fruit d’une expérience sans précédent dans le multivers. Quand nous avons pu percer la magie des cristaux, nous avons tenté d’envoyer des éclaireurs pour forcer la barrière qui nous interdisait le retour à son endroit où elle était la plus diffuse... Ici même, Sombra. Quand ils franchirent ensemble cette inimaginable voute perdue dans les nuées astrales, leurs corps fusionnèrent, et connurent une mutation particulière. Il en sortit dans ce monde une créature inconsciente, à l’apparence d’un poulain gris... Toi, Sombra !
SOMBRA : Vous voulez dire que je suis... plusieurs ?
LE CRISTAL : Non. Ceux qui te constituent se fondus dans une nouvelle unité... Sombra, si tu n’as pas encore déployé tes pouvoirs, je ne peux moi-même en imaginer l’étendue...
SOMBRA : Et mon nom ? Comment se fait-il que je l’avais en tête comme le seul de mes souvenirs quand je me suis réveillé là-bas ?
LE CRISTAL : C’est un souvenir des anciens umbrums qui composent ton corps... Cette sorte de faille dans la barrière astrale, nous l’avions baptisée Sombra, car on n’y voyait goutte, une fois dedans. Si c’est la dernière chose qu’ils ont vu, il n’y a rien d’étonnant à ce que ce soit le seul souvenir qu’il te resta...
SOMBRA : Mais, si vous êtes coincé de ce côté, comment connaissez-vous mon nom ? Comment avez eu vent de l’existence d’Amore ?
LE CRISTAL : Alors, toutes tes plus précieuses facultés sont donc disparues... Sombra, les umbrums sont des êtres supérieurs, d’une nature spirituelle plus élevée que celles des autres races. Nous sommes liés entre nous, et nous partageons pensées, joies et peines. C’est ainsi que nous ne nous sommes jamais trahis entre nous. Même avec une dimension qui nous sépare, nous avons connu ce que tu as connu. Mais l’inverse ne semble pas vrai... C’est pour cela que nous n’avons pu soulager ta douleur lorsque le cœur te brulait jusqu’à l’âme... alors qu’au contraire, ta terrible douleur nous affligeait...
SOMBRA : Je... Je suis désolé...
LE CRISTAL : Tu le crois ? Tu m’as pourtant bien menti, il y a un moment... (Sombra à un sursaut) Tu croyais que je ne savais pas pour Hope et son avenir radieux ? Tu pensais que je lui voulais du mal... Eh bien saches-le : non. Malgré nos peines incroyables et le nombre de siècles perdus au fond de ce lieu désertique où l’on nous a enchaînés, nous ne nous sommes jamais cru le droit de faire le mal au nom de notre bien. Nous ne nommons même pas Amore comme notre ennemi, mais elle reste un obstacle. Le cœur et ses prophéties l’ont aveuglée. Il en sera bientôt de même avec Hope, mais nous pouvons sauver les deux, et notre peuple avec. Sombra, j’ai senti que tu voulais une grande destinée... La voilà qui vient vers toi. Tu es l’intermédiaire du passé et du futur, la passerelle qui peut nous guider de nouveau vers ce monde... Apporter la paix !
SOMBRA : Je... Je ne suis qu’un incapable... Jamais je ne pourrais...
LE CRISTAL : Tu es considéré comme un incapable parmi ceux de l’empire car ils te jugent en poney... Nous avons besoin de toi en temps qu’umbrum.
SOMBRA : Même dans ce cas, je ne saurais que faire ! Vous l’avez dit vous-même, j’ai oublié ce qui faisait de nous des êtres exceptionnels...
LE CRISTAL : Ces pouvoirs auraient en effet été précieux... Mais tu ne les as peut-être pas perdus... Peut-être qu’ils sont encore en toi et que tu as perdu l’instinct de leur utilisation.
SOMBRA : Y’a-t-il un moyen d’en être sur ?
LE CRISTAL : Sans nous et notre empathie pour t’aider, tes chances de réussir par toi-même sont quasi-nulles. Mais peut-être...
SOMBRA : Avez-vous une solution ? Oh, Je ne peux vous laisser dans cet état après avoir eu connaissance de votre histoire. Je n’ai pas les preuves exactes, mais les coïncidences me suffisent.
LE CRISTAL : Ta volonté te fait honneur. J’ai peut-être une solution... Mais les conséquences seront imprévisibles...
SOMBRA : Dites toujours. Vous me rendez la vie en me donnant une œuvre à accomplir.
LE CRISTAL : Te croyais-tu donc sur le point de mourir ? Enfant... Saches que nous pouvons traverser les millénaires sans craindre de disparaître.
SOMBRA : Je me sentais pourtant las quand vous m’avez trouvé, et au bord de l’extinction de tout mon être...
LE CRISTAL : Sombra... Nous avons ressenti tes maux... Ils nous ont affligés, nous aussi. Crois-moi, le mal n’est pas physique...
SOMBRA : Mais alors, d’où ...
LA CRISTAL : De toi, Sombra. De ton cœur. Tu as vu le malheur, les pertes, la solitude. Et maintenant que le départ de Hope va te renvoyer à tout cela, tu as ressenti la terrible appréhension qui abat mieux sa victime que le coup qu’elle laissait présager.
SOMBRA : Alors... Rien ne m’aurais bloqué dans ma fuite ?
LE CRISTAL : Non... Tu te serais réveillé frais et dispo sans nous remarquer. Tu aurais poursuivi ta route dans n’importe quelle direction, et de là tu aurais vu de par le monde mille horreurs qui t’auraient rappelé à celle du lieu où tu as passé ta vie... Sombra, entends-nous... Ce monde n’est pas né dans la tourmente, mais il y est tombé ! Nous pouvons rétablir une concorde dans cet amas de souffrance, car c’est notre façon d’être. Mais nous avons besoin de toi pour cela, Sombra.
SOMBRA : J’ai déjà consenti. Faites ce que vous avez à faire.
LE CRISTAL : Si nous ne pouvons pas intervenir par empathie sur toi et que nous ne pouvons pas envoyer plus d’umbrums là-bas, je vais tenter de t’éveiller par le contact avec notre magie. Nous n’avons jamais lancé de sort par-delà un autre plan, mais c’est notre dernière ressource. Sombra, je ne sais pas ce qui va t’arriver... Pardon d’avance si je n’ai fait qu’empirer les choses. Je dois t’apprendre enfin quel est mon nom, pour que tu puisses t’en souvenir. Je suis Rabia, doyen des umbrums. Maudis-moi si ton entreprise tourne mal, mais ne m’oublie pas si tu réussis... Maintenant Sombra, prépares-toi à voir le monde d’une autre manière...
(La lumière s’éteint sur scène. Un bruit de tempête surnaturelle s’élève. Flashs de lumières et effets de couleurs. La lumière revient. Sombra est inconscient, dans une bure de très bonne facture qui laisse dépasser sa nouvelle corne courbée revêtue d’un dégradé d’orange. Sa crinière a poussée. Un sac de cuir vide gît devant lui)
RABIA : C’est ainsi que parfois tout le destin d’un monde se voit influencé par quelque chose qui ne lui appartient plus... Sombra... Nous avons bien réveillé ton pouvoir, mais j’ai senti, oh malheur ! Nous avons peut-être allumé avec cette mèche l’étincelle qui fera exploser la poudrière de ton cœur. Pour être umbrum, enfant, il ne te reste qu’à marcher sur un droit chemin et de ne céder à aucun des sentiments qui ont rendu ce monde pareil à une suite de maelstroms s’entrechoquant les uns avec les autres, emportant l’innocence et le bonheur simple dans leurs furies. Oui, Sombra ! Lève-toi, jeune prince de l’avenir, et prends à notre ennemie la clé qui verrouille son cœur aussi bien que nos vies... C’est tout ce que tu as à faire. Sans violence. Oh, il y a bien cette chose en toi qui m’inquiète dans ton manque d’empathie, mais je sais faire la part des choses. Je jure, quelques grands que soient les espoirs qui pèsent sur ta seule personne, que je t’abandonnerais et te refuserais ma réponse si tu fais le mal dans la mission que je te confie. L’umbrum ne pactisera jamais avec l’être méchant... Car c’est notre façon d’être...
(La voix s’éteint. Sombra se réveille. Ses yeux ont changé. Etonné, il contemple ses habits et le sac à ses sabots. Il ramasse ce dernier et regarde le cristal)
SOMBRA : A l’empire !
(Il sort en galopant.)
Scène 3
(Le parc de jeu de l’orphelinat. Toutes les structures de jeu sont rouillées et l’orphelinat lui-même est désert. Il y a des planches aux fenêtres sans carreaux. Nuit noire, fine couche de neige. On entend le vent qui souffle dans le bâtiment abandonné. Sombra entre avec un recueillement mélancolique.)
SOMBRA : Personne... Pourtant j’entends encore les voix de ceux qui s’ébattaient ici, il n’y a pas si longtemps que cela... Pauvre industrie... Trois ans que j’ai quitté ces murs... Le dernier recueilli... Oh, brave Chesnut Falls ... Pas une fleur sur le perron de cet endroit pour vous faire savoir qu’on se souvient... Le dernier éclopé de leur guerre reçoit plus d’hommage que vous... Eux qui n’ont fait que protéger le pain de leurs maîtres comme l’aurait fait un chien domestique... Si on me laissait entre les mains tous les étendards de cette terre, j’en ferait meilleur usage que ces sénéchaux pompeux. Oh ! Mais je vous importune, souvenirs ! Et où que vous soyez, ma mère... Ma vraie mère ! Sachez qu’il y a dans ce monde une âme qui ne vous oubliera jamais. (Il s’incline devant l’orphelinat) D’où m’est venu l’idée de revoir cet endroit ? J’ai ma mission en tête, vrai... Mais... Les choses ne seront jamais plus comme avant et chaque seconde qui passe m’éloigne peut-être de la dernière opportunité que j’aurais de regarder en arrière. Rien n’est fort comme la nostalgie... Pourtant, cet endroit ne m’évoque même pas de bons souvenirs... Cette cour délabrée me semble moins sinistre que toutes les choses que j’y ai vues... Le jour-même de mon arrivée, je me le rappelle, éclatait ce beau feu d’artifice qui faisait la joie de la camarde, des grandes fortunes du sud et peut-être même celles des veuves et des mères sans qui se satisfirent d’un ruban qu’elles mettaient au coin de leur cheminée en échange de la vie de ceux qu’elles chérissaient... Ah ! Que le Tartare m’emporte, le bel échange... Il était donc normal que ma personne, plus noire qu’un corbeau sous du charbon, leur donna de moi l’opinion qu’on a des nuages noirs qui gâtent les après-midis de jeux... Je ne sais si c’est l’instinct qui les poussa à imiter les parents qu’ils n’avaient pas, ou si quelque chose dans leur machine leur disait de le faire, mais il régnait toujours à cet endroit un air de mêlée... Ah ! C’était fier, leur jeu ! Il ne fallait pas dire : « Untel m’a jeté du sable dans les yeux avant de me rouer de coups ». C’était dégrader la préciosité de leur art. Non, il valait mieux : « ...Et le fier belligérant, vexé dans son âme, s’avança vers son rival, et le vainquit, quoi qu’il manquât d’honneur... ». Ils firent très bien. Beaucoup de ceux qui quittèrent l’endroit durant mon séjour gagnèrent le front, ce en quoi ils firent mieux... Je n’en ai pas revu aucun. Pourquoi, malgré mon manque de haine, je n’ai pas eu l’empathie de Hope ? Je n’ai sans doute pas voulu l’admettre... Même malgré le fait qu’elle me soit encore nécessaire, je me sentais seul en sa compagnie, juste un peu moins... Il faut croire que l’âge d’innocence n’est qu’un mensonge... Est-ce que le vice ne s’est d’ailleurs pas réfugié dans toutes les enfances ? ... Le temps fuit. Les premières étoiles s’éteignent. Dans moins de trois heures, ce pâle soleil du Nord percera cette ombre qui me sert de repère... Pourquoi la peur me fait-elle divaguer ainsi ? Je sais que mon dessein est juste... Quelques pas, et le cœur serait dans mes sabots... Mais quel est ce serrement de cœur ? Chaque bruit est une clameur en cette nuit... On entend le chant des ivrognes... Des balayeurs accomplissent leur tâche sans lever les yeux. Un chantier nocturne qui retenti de vie et d’activité. J’ai envie de me lever et de demander à tous ceux-là leurs histoires, leurs naissances et leurs joies. Je suis sûr que même le plus bête d’entre eux saurait devenir mon ami... Mais pas avec cette nouvelle excroissance sur la tête... (Il touche sa nouvelle corne) Allons Sombra... Tu es fort, rappelles-toi ce qu’a dit ce Rabia. Ton peuple a accompli des merveilles. Tu peux bien en faire une petite, puisqu’il s’agit juste d’isoler le cœur. Bien sûr, il s’agira de le cacher dans la ville sans l’emporter. Je ne tiens pas à ce que l’hiver enterre tous ces innocents. Allons... Je me ferais le guide de mon peuple. Tu verras, Hope, quand tu rentreras de Canterlot, tu verras ton cher petit frère heureux... Et nous vivrons ainsi jusqu’à la fin... Ah ! Par Equestria ! Puisque je n’ai qu’à me baisser pour cueillir ce bonheur, pourquoi ne suis-je pas brave ? Destinée, j’arrive ! (Il sort.)
Scène 4
(La cour du palais de cristal. Le cœur de cristal sur son réceptacle habituel éclaire le lieu. Ténèbres autour. Sombra entre, avec son sac de cuir. Il marche lestement mais se retourne de temps en temps comme pour voir s’il n’est pas suivi. Il arrive avec des gémissements de douleurs devant le cœur. Son visage est éclairé par sa lumière.)
SOMBRA : (toujours avec douleur) Rah ! Si proche... Tu ne m’as jamais réellement apprécié, hein ? Ah ! Ne fais pas l’innocent face à moi. Je sais que tu as une existence réelle. Mais certes, j’étais à cent lieues de m’imaginer que le plus sordide habitant de ce Nord austère n’était qu’un caillou ! (Il essaye de le prendre. Nouveau râle) Ah ! Faire souffrir un enfant ne t’as jamais dérangé, hein ? J’imagine qu’une machine consciente n’a pas de principes... Pourtant cela fait de toi quelqu’un d’intègre, si on y réfléchit... Ah ! Vrai, nous serions les meilleurs amis du monde si l’un de nous ne devait pas éclipser l’autre... (Nouvelle tentative, aucun succès) Aaah... Cette douleur me rend fou ! Mais je ne cèderais pas... Tu connais ton crime, et moi mon devoir... Tu as perverti toute une lignée de ces fières souveraines... A moins qu’elles ne se soient servies de toi... Tu es un instrument de pouvoir... Plus gracieux que celui d’un bourreau, mais ton usage reste comparable à celui de ce dernier. Tu ornes un empire ? Tu fais battre à l’unisson des cœurs qui ne demandent que la concorde ? Non... Tu n’es qu’un radiateur que l’on nourrit en t’immolant les rêves comme du charbon pour je ne sais quelle sinistre machine... (Il essaye derechef. Même résultat.) Maudit soient ces...
AMORE : (Sortant de l’ombre.) Inutile de t’énerver Sombra... Ne persévère pas dans cette voie...
SOMBRA : (Mi apeuré, mi agressif) Princesse ... Vous ici ?
AMORE : Sombra... Pauvre petit... Le cœur m’a montré ta venue de ce soir...
SOMBRA : Laissez-moi faire ce que j’ai à faire.
AMORE : Sombra... Nous devons parler...
SOMBRA : Eh ! Quoi ? La vertueuse princesse Amore contemple avec terreur les prophéties d’un rocher, et maintient dans les ténèbres des gens qui n’ont jamais voulu son mal ?
AMORE : Sais-tu au moins de quoi tu parles, enfant ? Sais-tu si ce que tu fais ne va pas ruiner une œuvre séculaire, le résultat d’une somme de sacrifices innombrables ? Sombra, tu me connais. Je ne suis pas ton ennemie...
SOMBRA : Pas plus que je ne suis le vôtre... Laissez-moi faire...
AMORE : (Chuchotant.) J’avais redouté ce moment...
SOMBRA : Que dites-vous là ?
AMORE : Nous devions en arriver là... Un jour ou un autre...
SOMBRA : (avec une rage très péniblement contenue) Alors... Vous saviez ?
AMORE : Avant même d’avoir posé les yeux sur toi pour la première fois...
SOMBRA : Vous saviez ... Et vous n’avez rien dit ?
AMORE : Crois-tu donc que j’allais réveiller un courroux qui sommeillait si bien en toi ?
SOMBRA : Et vous n’avez rien fait...
AMORE : Je n’aurais jamais consenti à ce que tu subisses le même sort que les tiens. Tu n’étais et tu n’es encore qu’un enfant ! Je pensais que jamais tu ne viendrais à l’apprendre... Je n’ai entrepris aucune démarche pour te retenir. C’était seulement par discrétion. Mais tu es parvenu à connaître leur existence... Ce n’est pas grave. Il y a toujours une chance pour que tout cela finisse bien... Sombra, tes pouvoirs ne sont pas une aberration. Aides l’empire.
SOMBRA : J’aiderais tous les peuples en exécutant ma besogne.
AMORE : Tu ne comprends pas... Il n’est pas clairvoyant, le regard qui se tourne vers le passé. Ces ombres n’ont plus leur place dans ce monde. De plus, rien ne me dit qu’ils ne chercheront pas la vengeance contre nous.
SOMBRA : Je serais leur caution. Maintenant hors de mon chemin...
AMORE : Je ne peux te laisser faire cela... Sombra... Il n’est pas trop tard. Je ne suis pas ton ennemie...
SOMBRA : Qu’entends-je... Oh, je ne peux déterminer laquelle de vos actions est la plus terrible... Avoir eu la stupidité de savoir qu’il restait un umbrum et ne pas avoir fini le travail... Ou espérer pourvoir me stopper dans ma tâche... Oh non, je connais la réponse ! Vous avez eu l’admirable naïveté de croire qu’un arrangement était possible. (Rire) Il y a encore quelques heures, vos discours trompeurs de paix m’auraient rassasié avec la fumée de l’espoir pour le reste de ma vie sans doute, mais tel que vous me voyez maintenant, je suis enfin prêt à mourir ou à accomplir ma tâche.
AMORE : J’admets que tu n’es pas des nôtres... Mais nous t’avons pris sous notre aile ! Nos toits ont été les tiens. Tu sais de quoi nous sortons. Le compromis est nécessaire à la bonne marche du monde, Sombra... N’écoute pas ton envie d’absolu, aussi douce que soit la voix intérieure qui t’encourages. C’est une tentatrice. Une telle conduite ne peux te mener qu’au désastre... Et bien d’autres avec toi. Pense à Hope !
SOMBRA : (Avec agacement) Assez ! Je ne suis pas assez naïf pour ce genre de raisonnement. Vous avez déjà prévu de l’envoyer en tant qu’otage à Canterlot. Ce ne sont pas mes sabots qui sont salis dans cette affaire.
AMORE : C’est son avenir qui se jouera là-bas, ses rêves...
SOMBRA : Et croyez-vous qu’elle soit encore une enfant qui n’a pas assez de jugement pour pouvoir faire un lien entre ces magnifiques diadèmes sur vos fronts et les plaies qu’elle a épongées elle-même durant des mois ? Vous voulez un successeur pour que cet instrument de torture (Il désigne le cœur) puisse continuer d’assurer le confort de vos banquiers et des princesses qui ne profiteront pas moins de leurs richesses. (Avec colère) Voilà l’obscénité des trônes !
AMORE : Sombra... Tu vas trop loin... N’abuse pas de ma complaisance.
SOMBRA : Mon peuple vous remercie de votre complaisance...
AMORE : Sombra...
SOMBRA : Dire que je vous considérais comme une mère...
AMORE : (Avec larmes) J’aurais aimé, Sombra... Crois-moi. Tu n’es pas le seul que le destin a écartelé...
SOMBRA : (Serrant les dents. On sent en lui un sentiment de fureur prête à exploser.) N’y a-t-il donc pas d’échappatoire ?
AMORE : Il peut y en avoir une : ton choix. La vengeance détruira ta conscience si tu la laisse gâter ta vie... Tu peux encore faire le bie...
SOMBRA : (Avec une grande fureur) Assez ! Dites-moi donc si votre cœur avait prévu ça ! (Sa corne s’illumine)
(Grand flash lumineux. Cris. Bal de couleurs sur scène. Puis le silence. Sombra regarde Amore, dont le corps n’est plus qu’une statue noire)
SOMBRA : Vous m’avez forcée... Ah ! Méchante reine... Voilà où m’a conduit la colère que vous avez déclenchée en moi... Me serais-je douté que je disposais d’un tel pouvoir... Mais calmons notre langue. La lumière ne tardera pas à révéler mon acte, et il sera vain s’il n’est qu’à demi achevé. (Il prend le cœur dans son sac, action qui lui arrache un bref cri de douleur.) Ah ! Enfin ! (Se retournant vers le corps pétrifié d’Amore) Ne vous en faîtes pas. Je ferais ce que votre volonté corrompue par cet artéfact n’osait entreprendre, et après, je vous restaurerais...
Scène 5
(Même décor. Hope entre sur scène)
HOPE : Princesse, Princesse ! J’ai oublié de vous demander pour les val... (Elle remarque la scène et sursaute violement) Sombra ! Qu’est-ce que...
SOMBRA : Misère de mes misères... Grande sœur...
HOPE : (Sous le choc) Qu’as-tu fais ?
SOMBRA : Ce que la situation exigeait.
HOPE : La situation ? Tu parles de la paix à peine retrouvée que tu compromets par une action si noire ?
SOMBRA : Ce sont des affaires compliquées, grande sœur, et...
HOPE : Comment peux-tu essayer de te justifier ? Rends-lui son état normal, si c’est bien toi qui lui a fait ça... Oh ! Et ton apparence ! Que t’es-t-il donc arrivé ?
SOMBRA : Le monde tel qu’il est m’a ouvert grand ses bras. Je suis dans un état de promotion par rapport à tout le genre équin... Quant à l’état de la princesse... Ah, ma foi, il ne relève pas de ma médecine de la rétablir... Peut-être qu’une petite dose d’honnêteté lui aurait évité ce cruel embarras.
HOPE : Ne me parles pas en mystère... Et le cœur ! Maudit !
SOMBRA : (S’approchant) Si tu me laissais seulement la parole pour tout te dire, tu me féliciterais...
HOPE : (Lui donnant un soufflet) Arrêtes ! Tu vas me rendre folle... (Allant vers Amore) Princesse, m’entendez-vous ? Oh ! Le misérable, que j’ai eu la folie de baptiser du nom inviolable de frère... Ce ne sera pas grand-chose, il y a de quoi faire des préparations alchimiques dans les laboratoires du château... Si elles marchent contre les conséquences du regard des cocatrix, elles feront effet sur vous. J’y cours ! Dans une demi-heure, au plus tard, vous serez en de nouveau en état, mais d’abord... (Se retournant vers Sombra) Si je t’accorde bien une dernière faveur, ce sera celle-ci : Rends le cœur de cristal et fuis aux confins du monde ! Traître ! Comment un poney que je croyais mon ami peut faire une pareille chose ?
SOMBRA : Il me faudrait inventer un sort qui soit capable de révéler la vérité à la terre entière pour que tu puisses comprendre pourquoi je ne puis consentir à ce que tu sauves ta princesse, et moi à lâcher ma proie.
HOPE : Arrêtes-toi, Sombra ! Je vais appeler la garde ! Je vais crier ! Je vais...
SOMBRA : Tu ne ferais qu’appeler d’autre victimes. Je n’en demandais aucune. Amore était une gêne, et pour l’empire, et pour moi. J’ai de grands projets pour l’avenir et...
HOPE : (D’abord très doucement, puis de plus en plus fort, jusqu’au cri) Gardes... Gardes... Gardes... Gardes. Gardes. Gardes ! Gardes !
SOMBRA : Si tu l’entends ainsi, saches que je peux me montrer beaucoup plus implacable que je ne l’ai été jusqu’ici ! Cesse ce tapage !
HOPE : Je t’ai laissé une chance de t’enfuir. C’est moi qui a fait preuve de trop de générosité. Oh ! S’il existe sur cette terre une force destinée à punir les méchants, voici mon petit-frère. C’est un monstre. Lances des paladins de ce monde, je vous offre son ventre ! Horreur ! Assassinat ! A moi la garde !
SOMBRA : Par toutes les cages infernales du Tartare ! Ne me provoque pas ainsi ! (Hope continue ses cris) Cesse ! Ou je te donnerais un vrai motif de pleurs, quoique, et tous mes parents m’en soient témoins, je ne l’ai pas voulu ! (Hope, presque sous l’emprise de la folie, ne s’arrête pas. Sombra éclate) Bien ! Grande sœur, tu l’auras voulu ! (Il frappe violement le sol de son sabot) En miettes !
(Un autre jeu de lumière, similaire à celui de la scène précédente, se fait voir sur scène. On entend une explosion, un déchirement terrible et des cris de projectiles fendant les airs. Pluie de sphères d’ombres sur la scène. Puis silence complet.)
Scène 6
(Même décor. Le corps pétrifié d’Amore a disparu, ne laissant qu’une vague marque au sol. Sombra regarde cette dernière. Hope, choquée et les larmes aux yeux, place un sabot devant sa bouche et étouffe un grand sanglot.)
HOPE : Ce... C’est impossible...
SOMBRA : C’est ainsi que l’on procède avec ses ennemis. Son mensonge l’avait déjà mené à sa perte.
HOPE : C’est impossible... Sombra, réalises-tu au moins ce que tu viens de faire ?
SOMBRA : Le premier pas vers un monde plus juste....
HOPE : La justice ? Eclaircis-moi ce mystère, toi qui viens de troubler une paix que les nôtres ont acheté si cher et qui n’était pas encore entamée... Mais non... Tu n’as pas de raisons de faire cela... Aucune cause sous le ciel ne saurait justifier un tel acte... Je ne peux le croire... Sombra ! Sombra ! Ils avaient raison pour toi... Tu n’es qu’une bête dont les instincts sont restés refoulés jusqu’à maintenant... Tu es un monstre !
SOMBRA : Hope, pour l’amour de l’équinité, cesse ton bavardage dément et écoutes-moi. Amore...
HOPE : ...Etait une des seules personnes à songer à ton intérêt autant qu’à celui de tous. Elle et moi t’avons tendu le sabot quand l’univers entier te fuyait... Et elle a eu tort... J’ai eu tort... Sombra... Si c’était notre séparation que tu redoutais... Tu viens de couper nos liens mieux que ne l’aurait fait la distance et l’oubli... Ces voutes... Elles ont vu ton atrocité. Oh ! Crois-moi, elles ne resteront pas muettes, et la vengeance du peuple de l’empire sera sur ta tête.
SOMBRA : Tu divagues, grande sœur... Mais écoutes-moi, et regardes les choses en face. Cette nouvelle puissance m’a fait sans peine mettre à bas Amore, la plus puissante magicienne que comptait tout le Nord. Je détiens encore la force et le secret de mettre la garde et l’armée sous mon influence. Que crois-tu que les cristallins verront demain, à leur réveil, lorsque leurs yeux se tourneront vers cette tour, vers ce pinacle de leurs espérances ?
HOPE : Ne me dis pas que...
SOMBRA : C’est décidé. Je suis l’empereur.
HOPE : C’est au-delà de mon entendement...
SOMBRA : Reprends-toi, Hope. J’ai besoin de toi...
HOPE : Dans lequel de tes méfaits futurs crois-tu que je donnerais ?
SOMBRA : Hope... Ma douce Hope... Tu es ma grande sœur... Et... Et bien plus...
HOPE : Assassin... Et qui ose me torturer par les mots après avoir blessé mon esprit et ma vue...
SOMBRA : Je t’en prie...
HOPE : J’aurais tout subi...
SOMBRA : Reste...
HOPE : Ce n’est pas vrai...
SOMBRA : Acceptes-le, Hope. Deviens mon impératr...
HOPE : (En larmes, se serrant la tête avec ses sabots, hurle) Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! (Elle se lève brusquement, et galope de l’autre côté de la scène en poussant un cri, sortant tout à fait.)
SOMBRA : (Essayant de la retenir) Non, Hope ! Reviens ! (Il s’arrête et baisse la tête, le bruit du galop de Hope résonne un certain temps en coulisses, puis s’atténue, avant de cesser complétement.) A quoi bon ? Rien ne pouvait la retenir ici de toute manière... Ce meurtre était nécessaire, et il est la marque de ma métamorphose aux yeux de ce monde. Pauvre Hope. Je ne te vois déjà plus à travers ce brouillard... Ta folie te mènera surement à ta perte dans ce désert de glace où j’ai moi-même voulu me perdre. Mais mon pouvoir ne me permet pas de te guérir d’une telle maladie. Allons, Sombra, tu ne peux plus rien faire pour elle, et tous tes soins doivent se porter sur ton nouveau devoir. La garde ! Voilà la seule et dernière borne qui me sépare du trône. Une fois cette rangée de hallebardes de mon côté, j’aurais tout le temps de faire mon affaire. Et tu verras, empire, berceau de mon enfance mensongère, que j’aurais fait en une nuit ce qu’Equestria et ses armées n’ont su faire en douze années. L’empire... C’est le mot qu’il me faut... A son écho, je rallierais ce peuple de l’ombre et je confondrais les seigneurs du Nord passés pour leur iniquité... Les chaînes des générations anciennes tomberont en poussières mais il s’en forgera d’autres... La sinistre loi de l’univers fait qu’il se trouve toujours quelque part un quadrupède coupable d’être plus faible que les autres. Les jours passent et les lois de l’acrimonie restent enracinées dans les cœurs comme des crochets empoisonnés. Vrai... Je rétablirais la vertu, malgré mes apparences d’assassin. Je serais ce prophète qui aura le courage de tirer la vérité et son flambeau aveuglant hors du puits où l’ont plongé les anciens trônes lourds de sang, de corruption et de vin. C’est là la parole d’un seigneur umbrum. Il n’y en aura pas de meilleure. (Il se relève et sort. Le spectre d’Amore apparait derrière lui sans même qu’il ne le remarque. Il suit Sombra hors de la scène.)
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