Une alicorne blanche et dorée marchait silencieusement le long d’une allée déserte. Le soleil était en train de se coucher, parant le ciel de reflets roses et oranges. La température extérieure devait avoisiner les 5°, et le souffle de l’alicorne se transformait en petits nuages qui ne tardaient pas à disparaître dans l’air. La présente était parée d’un magnifique manteau d’époque, de couleur ébène, et une rose ornait sa crinière. Une écharpe blanche entourait son cou, la protégeant des bourrasques de vent venu du Nord. Ses yeux bleus glacés parcouraient les horizons, comme si elle redoutait la venue de quelque chose.
« S’il vous plait… »
Une voix plaintive et faible lui fit dresser les oreilles. Elle se retourna et remarqua alors un petit poulain, à peine en âge d’aller à l’école, réfugié dans un carton de fortune. L’alicorne serra les dents, peinée par un tel spectacle. Malheureusement, ces derniers temps, la pauvreté menaçait tout le monde, même les plus jeunes ou les plus âgés. De plus en plus de poneys se retrouvaient à la rue, sans espoir de retrouver un jour un logement. Ils se voyaient donc condamnés à vivre dans la rue, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Ce n’était malheureusement pas rare d’apprendre que certains de ces sans-abris avaient mis fin à leurs jours en sautant d’un pont ou d’un bâtiment. La vie dans la rue pouvait se montrer cruelle, et seuls les plus robustes pouvaient survivre.
Prise de pitié, elle soupira et, de sa magie, ôta son écharpe pour l’enrouler autour du cou du sans-abri. Les prunelles pleine de reconnaissance, le poulain hocha la tête et s’apprêtait à aller remercier la jument ; sans succès cependant, car l’intéressée avait déjà disparu.
L’alicorne se dirigeait vers un immense château surplombant la ville entière. Au moment de passer les portes, deux gardes s’inclinèrent devant elle en signe de respect. Chose qu’elle ne comprendrait jamais. Oui, elle avait beau avoir des ailes et une corne ; elle avait beau ressembler comme deux gouttes d’eau à une Princesse, elle n’en était pas une. Elle était simplement née avec ses ailes. Elle était issue d’une licorne et d’un pégase, et comme une sorte d’anomalie, elle avait hérité des deux attributs physiques de ses parents. De ce fait, elle s’était vue valorisée dès sa plus tendre enfance. La naissance d’une alicorne sans sang royal, était une chose inédite et incroyablement rare. Elle avait donc été étudiée de près par le Prince et la Princesse d’Equestria, Venery et Galadriel. Elle avait eu une enfance riche et aisée, et habitait depuis peu dans le château de Canterlot, endroit où résidaient les plus grands.
L’alicorne cligna des paupières et soupira tout en reportant son attention sur les gardes, toujours inclinés devant elle.
« Je vous en prie, je ne suis pas une Princesse. Pas de cela entre nous, je vous l’ai déjà dit une bonne dizaine de fois. »
Si la jument avait dit ça sur un ton neutre, un fin sourire éclairait les traits de son visage. Embarrassés, les deux étalons se redressèrent avant de se racler la gorge, mal à l’aise. Oui, ils savaient qu’elle n’était pas une Princesse, mais une alicorne était toujours imposante et impressionnante. Comment ne pas désirer s’incliner devant une telle perfection de la nature ?
« Veuillez nous excuser, Emphyréa.
- Il n’y a pas de mal. »
L’intéressée sourit à nouveau, et dépassa la porte pour pénétrer dans le château. Ses yeux parcouraient les murs décorés par des rideaux royaux et des couleurs d’or et d’argent. Elle n’arrivait toujours pas à s’y faire ; elle n’était pas une Princesse, pour l’amour d’Equestria. Alors pourquoi tant d’offrandes ? Pourquoi tant d’aisance ? Pourquoi tant de richesse ? Emphyréa renifla, agacée. Elle n’en pouvait plus d’être traitée de la sorte. Elle était consciente qu’énormément d’étalons et de juments enviaient la vie qui lui était offerte. Qui ne rêverait pas d’être une alicorne, d’habiter dans un château, et d’être traitée comme un membre de sang royal ? Oui, c’était bien le rêve de chaque habitant d’Equestria. Et pourtant. Emphyréa était persuadée qu’elle ne méritait pas tout ce qu’elle avait.
« Quelque chose ne va pas ? »
Une voix de cristal résonna aux oreilles de la jument, qui sursauta. En levant les yeux, Emphyréa se retrouva face à Galadriel, la Princesse d’Equestria. Galadriel était une alicorne au pelage blanc comme neige, et à la crinière doré, semblable aux rayons du soleil. Ses yeux étaient multicolores et elle était d’une taille impressionnante. Instinctivement, Emphyréa s’inclina en signe de respect, devant sa supérieure.
« Non Princesse. Tout va bien, Princesse.
- Je dois te parler de quelque chose. »
Intriguée, l’alicorne ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son n’en sorti. Comme seule réponse, elle se contenta d’incliner la tête, surprise. Elle savait que lorsque Galadriel tenait à lui parler, c’était que quelque chose n’allait pas. Et ce ton ne présageait absolument rien de bon.
« Cela concerne ton élément d’équilibre. »
Le cœur d’Emphyréa manqua un battement. Son élément… son fameux élément. En effet, la jument possédait un élément d’équilibre, parmi les sept existants. Seulement six avaient été découverts des décennies auparavant, mais le septième avait été lui-même créé par Emphyréa lors d’une erreur dans une formule magique. L’élément était en forme de plume de couleur blanche, et était constitué de poudre d’étoiles. Combiné aux six autres, il pouvait se doter d’une puissance inimaginable, bien plus forte que ce que chacun avait pu connaître. Galadriel s’était donc vue le confier à sa créatrice, dans l’espoir qu’il serait gardé en sécurité à tout jamais.
« Que se passe-t-il ?
- Il semblerait qu’il soit en danger. Qu’il soit la cible d’un futur vol. »
Tout le monde savait que l’élément était très convoité, et nombreux furent les malhonnêtes ayant déjà essayé de le dérober. Emphyréa était consciente que l’élément était d’une valeur inestimable, et que s’il venait à être volé, les autres éléments perdraient peut-être leur puissance.
« Je te prierai donc d’être prudente. Très prudente. S’il te plait Emphyréa. »
L’alicorne hocha la tête et s’inclina en signe de respect.
« Je vous le promets, Princesse. Je serai très prudente. »
***
« Donnez l’alerte ! Donnez l’alerte ! »
Les couloirs du château, habituellement si calmes en pleine nuit, étaient noyés sous le bruit d’hurlements et de sabots piétinant le sol. Plusieurs membres de la garde royale couraient en tous sens, l’air perdu, tandis qu’Emphyéra était arrivée jusqu’au balcon donnant sur la ville de Canterlot. Les larmes aux yeux, l’alicorne tentait de réprimer une crise de panique qui montait dangereusement dans sa poitrine. Comment cela était-il seulement possible ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi… elle avait été prudente. Elle avait fait attention. Mais ça n’avait pas été suffisant. Le coupable avait déjà pris la fuite et était loin. Impossible de savoir par où il était parti. Les chances de le retrouver un jour étaient très faibles.
« Qu’est-ce qu’il s’est passé, Emphyréa ? »
L’interpellée se retourna pour se retrouver devant Venery, le compagnon de Galadriel, et Prince d’Equestria. L’alicorne serra les dents et baissa la tête, honteuse. Tout était de sa faute. Elle pensait avoir mis l’élément en sureté, dans sa boîte, comme à son habitude. Elle l’avait verrouillé par un sort qu’elle-même connaissait. Et pourtant, pendant son sommeil, quelqu’un s’était introduit dans sa suite. Quelqu’un avait réussi à ouvrir la boîte. Quelqu’un s’était emparé de l’élément, et s’était lâchement enfui. Tout cela, c’était à cause d’elle. Si elle avait été plus prudente, rien de tout ça ne serait arrivé.
« Je suis désolée… Je suis terriblement désolée.
- Je l’espère. »
En relevant la tête, Emphyréa fut parcouru d’un frisson qui la secoua de la tête à la queue. Le regard du Prince était glacial, sans aucune lueur de compassion. Ses prunelles étaient si dures, si sévères, que l’alicorne ne parvint pas à maintenir son regard.
« Je… suis prête pour la punition que vous jugerez adéquate.
- Aucune punition ne sera jamais suffisante pour pardonner le vol de cet élément. »
Emphyréa ferma les yeux et sentit une larme lui couler le long de la joue. La goutte salée s’écrasa au sol, sans bruit. Elle tremblait de tous ses membres, mais ce n’était pas à cause de la température extérieure.
« Tu m’en vois navré, Emphyréa. Mais nous te faisions confiance. Tu savais parfaitement que la perte de l’élément serait quelque chose d’irréparable. Pas de possibilité de revenir en arrière.
- Que voulez-vous dire, au juste ? »
L’alicorne s’attendait à une sentence digne de l’erreur qu’elle avait commise. Mais elle ne s’était pas attendue à ce qui allait suivre.
« Tu as jusqu’à l’aube pour déguerpir. Je ne veux plus te voir ici.
- Mais… »
Venery montra les dents, enragé. La jument déglutit difficilement, et ne trouva plus rien à redire. La jument se sentait malgré tout brisée de l’intérieur ? La punition n’était-elle pas un tant soit peu trop sévère ? Méritait-elle vraiment d’être bannie du château dans lequel elle résidait depuis maintenant quelques temps ? Où irait-elle à présent ? Elle avait vendu son ancienne maison, et n’avait nulle part où aller.
« Venery, enfin, ne sois pas si dur. »
Emphyréa sentit l’espoir lui gonfler le cœur lorsqu’elle entendit une voix qu’elle connaissait à la perfection. Galadriel. Elle savait que la Princesse pourrait peut-être la sauver de cet exil. Qu’elle pourrait peut-être changer la vision de Venery.
« Je ne suis pas dur. Je suis réaliste.
- Tu ne devrais pas réagir ainsi, ce n’est pas de sa faute. Elle ne mérite pas d’être bannie. Tu sais au fond de toi, que tu ne veux pas la faire partir. »
Malgré le ton de la Princesse, ton qui se voulait apaisant, rien ne semblait prêt à faire changer Venery d’avis. Au plus grand désespoir de la pauvre alicorne au cœur meurtri.
« Je ne veux plus rien savoir. Emphyréa a jusqu’à l’aube pour déguerpir. Point. »
Galadriel était consciente du fait qu’elle ne parviendrait jamais à changer le point de vue de son compagnon. Elle poussa un soupir de résignation, et lança un regard désolé à l’alicorne.
« Je suis désolée Emphyréa. »
Le couple royal finit par se détourner sans ajouter un mot de plus, laissant Emphyréa seule avec sa culpabilité et ses peurs. Le château n’avait plus rien de féérique. Plus rien d’extraordinaire. Non, tout s’était terni, et le noir de la nuit engloutissait la jument perdue. Elle entendait son cœur battre à ses tempes, et une envie de hurler s’étranglait dans sa gorge. Tout était fini. Par une pauvre erreur de misère.
Toute sa vie s’écroulait, et elle ne pouvait rien faire contre.
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