Chapitre 1

Il devait être aux alentours de 17h. Le soleil brillait encore fortement dans le ciel bleuté, et il n’y avait pas un souffle de vent. Le seul moyen de se rafraîchir était de se vider une bouteille d’eau sur la crinière. N’importe qui aurait déjà eu la bonne idée de s’abriter sous un arbre pour échapper aux ardents rayons du soleil. Malgré tout, ça n’avait pas l’air de déranger Spitfire, qui trottait d’un bout à l’autre du stade de l’Académie des Wonderbolts, pour souligner chaque erreur que pouvait commettre un de ses cadets.

« Plus vite ! lâcha-t-elle sèchement à l’intention des pégases qui transpiraient sous l’effort. »

Un nouveau groupe d’apprentis Wonderbolts était arrivé ce matin, et la Cheftaine leur en avait déjà fait voir de toutes les couleurs. Tournitrone, course d’endurance… A présent, elle leur avait demandé de muscler leurs ailes en faisant des pompes. Selon elle, ils ne pourraient pas être performants au vol tant qu’ils n’auraient pas appris à se faire des ailes en béton armé.

Habillée dans son uniforme, Spitfire se montrait froide, directe, et intransigeante. Elle voulait le meilleur du meilleur, et ne laissait rien au hasard. Ses traits étaient neutres, et elle affichait sans cesse un air sévère. Elle n’était pas méchante, mais elle savait remettre les poneys à leur place quand besoin était.
Lorsque la jument s’approcha d’une pégase rose claire, elle leva un sourcil, comme si elle était surprise. Elle observa encore quelques mouvements de la cadette, avant de se racler la gorge et d’enlever ses lunettes de soleil qui étaient posées sur son museau.

« C’est tout ce que vous savez faire ? »

La ponette serrait les dents sous la douleur physique, et tenta d’accélérer le rythme. Des gouttes de sueur lui coulaient dans la nuque, et ses ailes tremblaient.

« Non m’dame.
- J’espère bien. »

Spitfire remis ses lunettes et abandonna la pégase, pour s’éloigner un peu de toute l’agitation qui animait le stade. Jetant un dernier coup d’œil aux poneys, elle finit par s’asseoir pour contempler le ciel. Il lui arrivait d’être nostalgique pendant de tels moments. Elle aussi, avait vécu ça. Vécu ces entraînements douloureux sous la direction d’un Capitaine stricte et sans pitié. Elle aussi, avait connu l’excitation et le bonheur lorsqu’elle avait appris qu’elle était acceptée à l’Académie. Elle aussi, avait battu plusieurs records de vitesse. Et elle aussi, s’était faite une très bonne amie. Elle se souvient d’elle ; Moonlight. Une pégase blanche à la crinière bleu très clair. Spitfire avait été mise en équipe avec elle, et toutes les deux avaient tout de suite été sur la même longueur d’onde. Malheureusement, les deux pégases s’étaient perdues de vue à la fin de l’Académie, et n’avaient jamais repris contact. Même lorsque Spitfire fut nommée Directrice en Chef de l’Académie, Moonlight n’a jamais redonné signe de vie. Il arrivait à la jument dorée de regretter ce temps où elle pouvait compter sur quelqu’un. En quelques années seulement, elle était passée de simple cadette, à Capitaine des Wonderbolts. Et elle aurait aimé que Moonlight soit là pour le vivre avec elle.

Spitfire cligna des yeux, et sortit de sa torpeur. Elle s’envola dans les airs avant de pousser un grand coup de sifflet annonçant la fin de l’entraînement. La plupart des poneys s’écroulèrent au sol en haletant, tandis que d’autres, surement pour impressionner la Capitaine des Wonderbolts, se redressaient directement et essayaient désespérément de ne pas paraître fatigués. Néanmoins, la jument dorée n’y prêta aucune attention.

« C’est terminé pour aujourd’hui. Vous pouvez aller vous doucher et manger un morceau. On se revoit demain, reposez-vous bien parce que cette journée n’était rien comparée à ce qui vous attend. »

Des murmures angoissés résonnèrent, mais personne ne vit quelque chose à redire. Spitfire regarda les cadets se diriger vers les douches, avant de revenir au sol et de secouer sa crinière. Elle attrapa le goulot d'une bouteille entre ses dents, et pencha la tête en arrière pour commencer à boire. Le liquide qui lui coulait dans la gorge lui apporta une sensation de bienfaisance. Une gorgée d’eau fraiche en pareille chaleur, était toujours quelque chose qu’il fallait apprendre à savourer.

« Dure journée, boss ? »

La Cheftaine sursauta et tourna la tête vers la voix masculine qui avait résonné derrière elle. Elle sourit lorsqu’elle se retrouva face à Soarin, qui portait encore son uniforme et qui venait surement de finir son entraînement. Spitfire déposa sa bouteille au sol et redressa ses lunettes sur son front.

« Tu n’as pas idée, murmura Spitfire tout en se laissant embrasser par son camarade.
- Que dirais-tu d’aller boire un verre pour te faire penser à autre chose ? »

Si la pégase ne répondit rien, son regard parlait pour elle. Refuser d’aller boire un verre ? Et puis quoi encore ? Le masque dur et froid de Spitfire était tombé, et elle ne se comportait plus comme une entraîneuse sévère. Après tout, ce n’était qu’une image qu’elle se donnait lorsqu’elle était à l’Académie ; ce n’était pas un monstre sans cœur. Elle aussi avait une vie en dehors des Wonderbolts. Elle aussi, savait profiter des petits plaisirs que la vie ne se lassait pas d’offrir. Alors que Soarin se pencha pour tenter de l’embrasser sur le front, elle recula en souriant et en secouant la tête.

« Laisse-moi aller me doucher veux-tu, je suis couverte de sueur. Et toi aussi d’ailleurs. »

L’étalon bleu clair lâcha un rire tout en répliquant qu’il était dans un état bien pire qu’elle, avant d’accompagner sa partenaire de vol jusqu’aux vestiaires.

« N’essaie pas de me suivre jusque sous les douches, Soarin.
- ‘Pas mon genre voyons. »

Non pas qu'habituellement, les poneys portaient de vêtements -mis à part les uniformes-, mais c'était une question de principe. Spitfire ôta son uniforme de sergente, et se dirigea vers les douches féminines. Elle y trouva Blaze qui était en train de se savonner la crinière, et lui accorda un rapide sourire. La Cheftaine se plaça sous le jet frais de la douche, et laissa l’eau lui couler sur le corps. Perdue dans ses pensées, elle semblait perturbée. Elle lâcha un profond soupir tout en fermant les yeux. Quelque chose n’allait pas, c’était évident. Et ce quelque chose, c’était elle et Soarin. Il n’y avait pas longtemps que les deux pégases avaient franchi le pas et s’étaient mis ensemble. Mais plus Spitfire y pensait, plus elle avait l’impression que c’était une erreur. Pour être honnête, elle ne savait plus quoi penser. Perdue dans ses sentiments, que pouvait-elle faire ?

« A quoi est-ce que tu penses Spit’ ? »

La voix de Blaze la fit sursauter, et elle déglutit difficilement.

« A rien. Ce n’est pas important.
- Tu es sure ? »

Spitfire hocha la tête et coupa l’eau pour se mettre sur savon sur le pelage. Aux yeux de tout le monde, elle et Soarin formaient le couple parfait. Mais pas pour elle. La pégase n’avait jamais vraiment eu beaucoup de relations amoureuses dans le passé ; elle avait bien eu un premier et grand amour, mais elle avait perdu contact avec lui après qu’elle soit partie à l’Académie des Wonderbolts. A son retour, il avait disparu et elle n’avait plus jamais eu de nouvelles de lui. Depuis, la jument se montrait difficile en amour, et ne faisait pas confiance facilement. Elle savait que Soarin éprouvait un réel amour pour elle, mais elle ne pouvait s’empêcher de douter, d’avoir peur de souffrir une fois de plus.
Blaze lança un dernier regard à sa camarade, avant de quitter la douche et de saluer sa Cheftaine. Spitfire se retrouva alors seule, dans un silence qui lui faisait mal aux oreilles. Le bruit de l’eau sur le sol résonnait dans la pièce vide, laissant une atmosphère lourde et désagréable.

***

« Comment s’est passée ta journée ? Pas trop dur avec tous les nouveaux arrivants ? »

Spitfire et Soarin étaient assis à une table, et sirotaient une bière. La pégase dorée savourait la sensation de l’alcool qui commençait à lui faire tourner la tête. Elle ne savait déjà plus combien de boissons alcoolisées elle avait avalé, mais cela lui était bien égale.

« Bof, tu sais… la routine. Il y a de bons éléments, et il y a… les autres.
- Ouais, ricana l’étalon. Je vois parfaitement ce que tu veux dire. »

Lorsque Soarin plongea ses yeux dans les siens, Spitfire faillit s’étrangler avec sa salive. Dans les prunelles du Wonderbolt, luisait un amour sincère. Les doutes de la pégase revinrent au pas de course. L’aimait-elle vraiment ? S’était-elle trompée dans ses sentiments ? Elle savait que si elle émettait des doutes sur sa relation avec Soarin, ce dernier serait très surement blessé et risquerait de mal le prendre. Spitfire se mis une claque mentale, et rendit son sourire à son compagnon. Non, elle ressentait quelque chose, c’était évident. Sinon, comment expliquerait-elle le fait que son cœur se mette à battre plus rapidement lorsqu’elle le voyait ?
La jument allait reprendre une gorgée de sa bière, lorsque quelque chose attira son attention. Un poney à la table devant elle, était en train de lire un journal sur lequel un gros titre était marqué. Elle plissa les yeux dans l’espoir de parvenir à lire ce qui était écrit, sans succès.

« Attend-moi là, je reviens. »

Spitfire se leva, piocha trois pièces dans sa sacoche noire qu’elle avait déposé à côté d’elle, et se dirigea vers le comptoir. Elle se dressa sur ses pattes arrières, avant de déposer l'argent sur la surface en bois, et pointa un journal de son sabot.

« L’Echo d’Equestria s’il vous plait.
- Cela vous fera trois pièces. »

Elle tendit les pièces vers le barman, et attrapa entre ses dents, le journal que l’on venait de lui tendre. Elle retourna ensuite prudemment s’asseoir en compagnie de Soarin, et ouvrit le journal. Rapidement, Spitfire comprit que quelque chose n’allait pas.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Soarin avait bien remarqué l’air perturbé de sa camarade, et inclinait la tête sur le côté, curieux. Spitfire ne répondit pas tout de suite et continua sa lecture avant de finalement relever la tête.

« Tu savais qu’ils avaient renforcé la sécurité à Canterlot ? Apparemment, il y aurait des risques d’une attaque imminente.
- Une attaque imminente ?
- Oui. Je ne sais pas de qui ni de quoi, mais ça a l’air sérieux. Ils fouillent tous les poneys à l’entrée et il parait qu’il y a des gardes partout. »

Elle reposa le journal sur la table et haussa les épaules tout en parcourant le bar du regard.

« Ce n’est peut-être rien après tout. Les journalistes aiment bien en faire des tonnes pour faire vendre leurs journaux et se faire du fric. »

Spitfire avait dit ça pour éviter de trop angoisser son camarade, mais elle se doutait bien que ce n’était pas « rien ». Pour qu’une telle sécurité soit déployée dans la plus prestigieuse ville d’Equestria, c’était qu’il devait y avoir un problème sérieux.
Spitfire sursauta lorsqu’elle sentit le sabot de Soarin frôler le sien sur la table. Et comme si cela ne suffisait pas, l’étalon accentua son malaise avec simplement trois petits mots.

« Je t’aime. »

Mal à l’aise, elle ne cessait de regarder à droite et à gauche tout en évitant son regard. La jument ne savait malheureusement pas quoi répondre, et n’arrivait plus à prononcer le moindre mot. Mon dieu, qu’elle se sentait bête. On croirait une adolescente allant à son premier rendez-vous amoureux. « Ma pauvre Spit’, tu deviens complètement stupide avec l’âge, reprends-toi donc. » Comme pour se donner du courage, Spitfire avala une nouvelle gorgée de bière, et laissa la chaleur envahir son corps. Ne sachant pas quoi dire, elle se contenta de se redresser et d’embrasser Soarin, préférant l’action aux paroles. Elle tentait de se convaincre que malgré le fait que leur relation ait changé, les choses resteraient comme elles l’étaient. Ils continueraient de s’entraîner ensembles, la vie suivrait son cours. Tout resterait parfaitement normal.

Qui aurait pu se douter que dans quelques jours, tout ce qu’ils avaient toujours connu, serait détruit ?