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Uranie

Une fiction écrite par monokeras.

Un poignard dans le noir

« Le lendemain matin était gris et froid. Les nuages avaient envahi tout le ciel, déversant, depuis plusieurs heures déjà, un crachin désagréable. L’herbe étant devenue trempée et glissante, je n’avais nullement l’intention de voyager dans ces conditions. “Restons ici jusqu’à ce que le Soleil revienne”, proposai-je donc ; personne n’y trouva à redire. Nous luttâmes un bon quart d’heure avant de réussir enfin à allumer quelques brindilles, autour desquelles nous nous serrâmes pour nous réchauffer. Nous prîmes notre petit déjeuner en silence, en essayant de le faire durer aussi longtemps que possible. Au bout d’une heure à mâchouiller, cependant, nous en avions tous assez. Pierrot proposa une partie de cartes, mais cela ne tenta personne ; Sandy suggéra alors que l’on retourne au sommet pour y mener une fouille rudimentaire : “Si ce tertre est effectivement un gigantesque tas d’os, comme l’affirme la légende, nous devrions les examiner. On pourrait apprendre des choses intéressantes, qui sait ?”

« Cela me parut une idée sensée. Vingt minutes plus tard, nous tirions donc péniblement nos carrioles le long d’une pente devenue savonneuse ; un exercice périlleux et fastidieux, tu peux me croire. Mais, bon an, mal an, tous finirent par atteindre le sommet et, après avoir sorti nos pelles, nous nous mîmes à creuser.

« Nous transpirions depuis environ une demi-heure, progressant dans de la terre meuble, quand la lame d’une des pelles heurta quelque chose de dur. Laissant tomber nos outils, nous examinâmes le sol, d’où émergeait un objet blanc, fin, encore partiellement enterré. Je saisis un piolet et, en quelques coups, j’avais dégagé ce qui ressemblait à un os allongé. Nous le nettoyâmes et le passâmes au légiste.

“Tibia”, déclara-t-il. Il le scruta attentivement. “Jeune adulte. Regardez : le cartilage de conjugaison, entre l’épi- et la diaphyse est à peine calcifié. Hmmm… plutôt trapu.

— Datation ? demandai-je à Pierrot.

— Difficile à estimer”, répondit-il. Il examina consciencieusement les parois du trou que nous avions creusé. “Les couches que nous avons traversées sont hétérogènes. En haut, on trouve des dépôts éoliens, manifestement. Mais plus bas…” Il pointa du sabot un changement abrupt de couleur : “il semble qu’il y ait une transition nette. C’est peut-être juste une modification radicale de la composition des sédiments organiques déposés, par exemple à la suite d’un changement du régime des vents dominants, mais je pencherais plutôt pour un artefact, comme si on avait volontairement versé des tonnes de terre pour couvrir quelque chose ; ça ressemble à une sorte de glaçage sur un gâteau. Impossible de trancher, cependant, sans analyse plus approfondie. Enfin, si tu veux vraiment une estimation, à vue de museau, je dirais entre soixante-quinze mille et cent vingt-cinq mille ans. Ça me semble raisonnable.

— Cela coïnciderait donc avec le début de l’âge glaciaire, n’est-ce pas ?

— Oui. Je n’irais pas jusqu’à dire que les deux sont parfaitement concomitants, mais plus ou moins contemporains, certainement.

— Corroborant donc le récit d’hier. Voyons voir s’il y a autre chose à déterrer ! Poursuivons !” ordonnai-je.

« Nous reprîmes nos outils, et agrandîmes notre excavation. Une heure plus tard, nous avions découvert vingt fragments supplémentaires. J’aurais parié qu’il y en avait encore davantage en-dessous. “Crois-tu que cette colline soit vraiment un gigantesque empilement d’os ?” me demanda Caroline, qui était restée en haut pour faire le guet et nous passer les outils. Ça me fait froid dans le dos.

— Je ne sais pas, mais si nous continuons à en trouver autant, il y a de bonnes chances que oui.” Au moment précis où je finissais ma phrase, ma pelle heurta un autre éclat, qui se révéla vite être une vertèbre. Je passai la trouvaille à Doc qui la brossa vigoureusement. “Mmmm…”, hésita-t-il, perplexe. “Cervicale, je dirais. Oh !, s’exclama-t-il soudain, regarde un peu ça !” Il me montra une entaille bien découpée sur l’un des bords. “Pas naturel. Cette encoche a été faite par une lame affûtée, pas par celle de ta pelle. Je parierais que ce pauvre type a eu le cou tranché.

— Tranché ? répétai-je, étonné. Tu veux dire qu’on l’a assassiné ?

— Je ne dis rien de tel, se défendit-il. On a pu opérer post-mortem. Impossible à savoir.”

« Je réfléchis quelques instants. “Intéressant, repris-je, je n’ai pas connaissance d’une quelconque civilisation, même au Paléoponique, qui ait pratiqué la décapitation rituelle. Voilà pourquoi l’idée du meurtre m’est venue spontanément.

— Ça n’est peut-être qu’un cas isolé, ou un simple accident. Tu ne peux rien conclure à partir d’un seul échantillon, observa-t-il. Statistiquement non-significatif.

— Tu as raison, concédai-je. Continuons donc à fouiller.”

« L’heure suivante s’avéra décevante : nous ne trouvâmes plus rien, comme si nous étions tombés par hasard sur le squelette égaré d’un explorateur malchanceux. J’étais prêt à abandonner le chantier quand j’entendis soudain un hennissement paniqué derrière moi, suivi d’un bruit de chute un peu étouffé. Je me retournai et vis Sandy s’accrochant désespérément aux sabots de Doc. Visiblement, la terre avait cédé sous ses jambes, elle avait à moitié disparu dans le vide. Je me précipitai pour aider le médecin à la hisser. Quelques secondes plus tard, nous nous trouvions tous trois sur le bord d’un trou qui semblait ouvrir sur un vaste souterrain. Je pris une lampe, la nouai au bout d’une corde et la fis descendre délicatement, mais sa lumière était trop faible pour dissiper les ténèbres. Au bout d’une minute environ, je sentis qu’elle venait de toucher le sol. “Une crypte ? avançai-je. Ça m’a l’air profond, je dirai cinq mètres, au bas mot.”

« Je remontai la corde et dénouai la lampe. “Doc, le moment est venu de dégainer tes talents cachés ! Prêt à nous transporter tous les deux là-dedans ?” Il se concentra ; un léger halo bleu apparut autour de sa corne. Je me sentis soulevé, et nous disparûmes bientôt tous les deux dans le gouffre.

Après une chute aussi lente que longue, nous atterrîmes au fond de la caverne. Au-dessus de nous, la lumière pleuvait au travers de l’ouverture que nous avions accidentellement créée. Nous attendîmes quelques instants que notre vision s’adapte à l’obscurité, puis allumâmes nos lampes. Nous nous trouvions dans un large tunnel dont les extrémités se perdaient dans le noir. Çà et là, des bougeoirs de pierre fixés aux murs témoignaient que ce lieu n’avait rien de naturel, et avait dû être creusé dans un but bien précis.

“Où va-t-on maintenant ?” demanda le docteur.

« Je sortis un fil à plomb et examinai la verticale. “Le sol est légèrement en pente, dis-je. On descend ?” Doc grogna un vague “ouais”, et nous nous dirigeâmes vers le bas. Les cliquetis de nos sabots résonnaient lugubrement, rompant un silence sépulcral. L’air était froid, saturé d’humidité ; je me sentais oppressé.

« Au bout d’environ trente mètres, le tunnel se mit à tourner. Tout de suite après ce virage, nous entrâmes dans une vaste salle voûtée ; nous balayâmes la pièce avec les faisceaux de nos lampes, et découvrîmes un spectacle morbide : le sol était jonché de squelettes ; au fond de la salle se dressait une table de pierre noire ; un crâne y était posé, transpercé par ce qui semblait être une dague de grandes dimensions. Derrière cette table, des centaines d’autres crânes avaient été méticuleusement enchâssés dans le mur, en rangées horizontales quasi-parfaites.

« Nous nous regardâmes, frappés de stupeur. Apparemment, nous avions découvert un temple souterrain dédié à quelque divinité maléfique, dans lequel un affrontement mortel avait eu lieu, des siècles auparavant.

“Ce n’est pas possible, finit par chuchoter Doc, encore sous le choc. Je… Je n’arrive pas à y croire. Moi qui pensais que les poneys avaient toujours été bons et pacifiques…

— Maintenant tu comprends pourquoi je considère la théorie de l’évolution équine comme un ramassis de sottises ? répondis-je. Je veux dire, on nous fait croire que notre passé a toujours été merveilleux, que nous avons toujours choisi le bien, que Sombra ou Nightmare Moon n’était que des anicroches mineures dans une histoire immaculée. Sous la tyrannie de Discord, nous étions les victimes ; depuis que Célestia et Luna règnent, nous faisons comme si tout mal avait été expurgé d’Équestria, à jamais. Nous sommes devenus suffisants : nous nous regardons le nombril, et que voyons-nous ? Des poneys doux, aimables, altruistes. Pourquoi ne pas penser qu’il en a toujours été ainsi ? Et puis – j’agitai le faisceau de ma lampe – nous découvrons la vérité et nos théories fumeuses volent en éclats ; nous tombons brutalement du piédestal sur lequel nous nous étions nous-même placés, et nous devons affronter la réalité, sans fard, qui nous prouve que nous ne sommes pas des anges, que nous avons un côté obscur, réprimé sans doute, mais bien présent. Oui, nous avons répandu le sang de nos semblables ; oui, nous avons conduit des guerres sans merci, et nous y avons pris du plaisir ; non, nous ne sommes pas les poneys que nous prétendons être. Nous sommes juste… pleins de travers et de penchants inavouables.”

« Doc ne répondit rien. J’avançai précautionneusement vers l’autel, en évitant de poser le sabot sur les ossements, autant que je le pouvais. Arrivé à sa hauteur, je réalisai qu’il avait été taillé dans un bloc massif d’onyx. Je pris le crâne qui s’y trouvait. Le poignard, enfoncé jusqu’à sa garde dorée, avait tranché l’os frontal précisément au milieu des deux orbites. Le coup avait dû être brutal.

« Je fis pivoter le crâne pour examiner l’arme sous différents angles. La lame, ternie, n’avait cependant pas rouillé, un miracle dans cet environnement. Sous la faible lumière de ma lampe, je crus distinguer de minuscules inscriptions au fort de la lame. Des lettres ? Une épigramme ? Un sort quelconque ? Il me vint à l’esprit l’image d’un grand prêtre démoniaque, vêtu d’une aube écarlate, brandissant son poignard sacrificiel durant une cérémonie impie pour égorger une victime innocente et gagner ainsi les faveurs de sa divinité assoiffée de sang.

« J’étais perdu dans mes pensées quand Doc siffla, me tirant de ma rêverie. Il avait, pendant ce temps, scruté les crânes incrustés dans le mur. “Quoi donc ? demandai-je.

— Regarde un peu, dit-il, tout en éclairant certains spécimens avec sa lampe. Ceux-ci sont presque normaux ; je veux dire, un peu régressifs par rapport aux nôtres, ce qui est normal puisqu’ils datent de presque cent mille ans. Mais ceux-là – il dirigea sa lampe vers une autre rangée – n’ont rien à voir. Le museau est allongé, la morphologie fine et élancée. Ils ont tous plus de trente-quatre dents, apparemment, et leurs incisives centrales sont allongées et obliques. Capacité cérébrale largement inférieure à la nôtre. Je t’assure qu’il ne s’agit pas d’Equus Sapiens.

— Tu veux dire que nous avons enfin trouvé une preuve de l’existence de nos ancêtres ? demandai-je, fasciné.

— Ça, mystère. C’est indubitablement une autre espèce. Mais ils pourraient être nos cousins plutôt que nos ascendants. En tout cas, il semble bien que l’on ait vécu ensemble un petit bout de temps. Pourquoi ont-ils disparu, je l’ignore.

— Moi aussi, admis-je. Mais il faut absolument que l’on prenne un échantillon de chaque type et qu’on les emporte. Je vais demander qu’on nous passe le piolet. Viens, je vais avoir besoin que tu manœuvres l’ascenseur une fois de plus !

« Nous remontâmes donc jusqu’à l’endroit exact où nous avions atterri. “Hé !” criai-je aussi fort que je le pouvais. Je vis la tête de Sandy apparaître dans l’ouverture. “Je suis là ! Tout va bien ? hurla-t-elle en retour.

— Oui, mais on a fait une sacrée découverte plus bas. Peux-tu nous envoyer la pioche ?

— Pas de souci. Faites gaffe !” prévint-elle. Elle laissa tomber l’outil, qui se planta dans le sol meuble avec un bruit mat.

“Merci ! repris-je. Maintenant, peux-tu attraper ce crâne et le mettre de côté le temps qu’on termine ici ?

— Ouais ! Allez-y !” Doc fit léviter le crâne jusqu’au plafond, et Sandy s’en saisit. “Waouh ! fit-elle. Génial ! Vous l’avez trouvé où ?

— Je te raconterai quand on sera remontés. Entre temps, fais-moi plaisir : passe le poignard à Caroline. J’ai cru entr’apercevoir une sorte d’inscription sur la lame.

— Je m’en occupe ! À tout à l’heure.” Elle recula puis disparut.

“Finissons-en”, dis-je au médecin. Nous reprîmes le chemin de la caverne.

« Desceller les crânes se révéla plus facile que prévu : la terre était assez friable et les ossements peu enfoncés. Quelques petits coups de sabots suffirent à les faire bouger, puis Doc les descendit précautionneusement en lévitation. Une demi-heure plus tard, tout était réglé.

“Remontons respirer un peu d’air frais, proposai-je.

— Volontiers, approuva Doc. Mais j’aimerais savoir ce qui se trouve de l’autre côté du tunnel avant de quitter cet endroit, si ça ne te gêne pas.

— Non, mais je viens avec toi. Il vaut mieux être deux dans ce genre d’endroits.”

« Comme il ne protesta pas, nous quittâmes la caverne et marchâmes vers l’autre bout du tunnel. Au bout d’une centaine de pas, nous dûmes nous arrêter. Ce que nous pensions être l’ancienne sortie avait été ensevelie sous des montagnes de gravas hâtivement déversées. L’origine artificielle de cet éboulement ne faisait aucun doute : on avait délibérément obstrué le passage.

“Celui qui a commis ce massacre avait clairement l’intention de sceller cette tombe à jamais, observai-je.

— Ça me paraît évident, confirma le médecin. Ça ressemble à une expédition punitive. Je me demande si le crâne de l'autel correspond aux ossements que nous avons trouvé au-dessus. Je jetterai un coup d’œil. Sortons d’ici. J’ai vu assez de squelettes pour aujourd’hui.”

« Nous fîmes donc demi-tour, puis Doc nous remonta ; quelques instants après nous étions tous rassemblés en haut de la colline. Je pris quelques clichés des restes, puis les plaçai délicatement dans des boîtes remplies d’ouate. J’entrepris ensuite de savoir ce qu’il en était du poignard, que je trouvai dans les sabots d’une Caroline profondément perplexe. Elle l’avait nettoyé ; la lame brillait maintenant d’un éclat vif, malgré la faible luminosité ambiante.

“Tu m’as l’air pensive, me moquai-je.

— Plus ou moins, répondit-elle. Cette dague est une énigme.” Elle me la redonna, et poursuivit pendant que j’en prenais des photos sous différents angles. “La garde est dorée, c’est certain. Ici – elle pointa le pommeau – regarde ce petit joyau. Ce n’est pas du toc, c’est un rubis flamboyant, une des gemmes les plus rares de tout Équestria. La lame a été forgée dans un métal inoxydable, si réfléchissant qu’on pourrait presque penser qu’il rayonne spontanément. Elle ne pèse presque rien et pourtant – elle me reprit la dague et tenta de la tordre – elle est extrêmement rigide, et – elle fit quelques mouvements avec – parfaitement équilibrée et maniable. Bien au-delà de ce que nos meilleurs forgerons ou armuriers savent faire, même actuellement.

“Maintenant ces signes gravés sur la lame. Oui, je pense que ce sont bien des lettres. Mais j’aurai besoin de ta loupe pour en être certaine, et il faudra également que je jette un œil à mon exemplaire de Langues et alphabets de l’ancienne Équestria, parce que je n’ai pas l’impression qu’elles ressemblent à quoi que ce soit que je connaisse. Par chance, j’ai emmené ce volume encyclopédique avec moi, je pourrai donc te répondre dans quelques instants.” Après m’avoir restitué le poignard, elle trotta vers sa carriole et se mit à fouiller dedans. Je plaçai un objectif macro sur l’appareil photo et pris d’autres clichés, de près, cette fois.

— As-tu ce poignard ici ? coupe soudain Twilight. J’aimerais bien le voir.

— Non, malheureusement non, répond Dark Wing. Mais je peux te montrer les photos que j’ai prises. »

Il prend un album posé sur bureau et le feuillette. « Tiens, regarde ! dit-il, en le passant à Twilight.

— Oooh ! fait-elle. Un bel objet, effectivement ! Et voici les fameuses lettres… » Elle approche l’album de ses yeux pour mieux distinguer. « Bigre, je n’en ai jamais vu de pareilles.

— N’est-ce pas ? Déroutant, non ?

— Avez-vous fini par les déchiffrer ?

— Ma petite guimauve, tu es curieuse comme une pie. Tu ne peux pas patienter ? Bon, passe pour cette fois, je veux bien te répondre : oui, nous y sommes parvenus.

— Et alors ? Qu’est-ce qui est écrit ?

Sanguis amorque innocentum / meum est nutrimentum

— Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? demande Twilight, étonnée.

— Des mots d’une vieille langue, dont le nom ne te dirait rien.

— Et ça veut dire quoi ? Tu sais ?

— Naturellement, sinon tout cela n’aurait aucun intérêt. Cela signifie : je me nourris du sang / et de l’amour des innocents.

— Brrr ! s’écrie Twilight. C’est répugnant ! »

Dark Wing hausse les épaules. « Tu t’attendais à quoi sur un poignard sacrificiel ? À une déclaration d’amour universel ? Bon, assez de digressions, je poursuis.

« J’étais sur le point de rembobiner la pellicule de l’appareil photo quand j’entendis Caroline jurer derrière moi. “Que se passe-t-il ? lui demandai-je ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je ne trouve pas le bouquin dont je t’ai parlé. Zut, zut et rezut ! J’ai cherché partout dans mes affaires. Je suis certaine de l’avoir parcouru hier. Étourdie comme je suis, j’ai dû le laisser à la ferme du grand-oncle de Sandy.

— Tu en es certaine ? Je veux dire, regarde encore une fois, il est peut-être tombé dans un coin, ou a été rangé dans la carriole de quelqu’un d’autre. On pourrait l’avoir déplacé sans faire attention.

— Ouais, je vais voir, mais c’est bien pour te faire plaisir.” Elle retourne aux chariots, et revient quelques minutes après, faisant grise mine. “Rien de rien. Je l’ai oublié là-bas, c’est certain maintenant.

— Bon, dis-je, ce n’est pas si grave. Il n’est pas encore midi, et la ferme n’est qu’à trois heures en petit trot, si tu n’emportes rien avec toi. Puisque tu as l’air de tenir à ce livre, va le récupérer, et reviens avant la nuit. Mais ne divulgue rien de nos découvertes au fermier !

— Oh merci ! dit-elle joyeusement, en me sautant presque au cou.

— Pourquoi ne restes-tu pas plutôt ici ? proposa soudain Sandy. Je vais y aller. Tu me dis à quoi ton livre ressemble, et je te le ramène. J’ai oublié de dire au revoir à mon oncle, c’est une bonne occasion de me rattraper !

— Sandy, rétorquai-je, je préférerais que tu restes. Je vais avoir besoin de toi pour planifier notre future route.

— Mais –

— Pas de ‘mais’ ! Ton grand-oncle ne te vouera pas une haine éternelle parce que tu as oublié de lui faire un bisou avant de partir ! Je suis certain que Caroline se débrouillera très bien toute seule. En outre, il n’y a aucune raison qu’elle se perde : elle n’aura qu’à suivre notre trace, ce qui ne sera pas bien difficile dans un sol aussi détrempé !

— Bon, d’accord, répondit Sandy, à contre-cœur. Si tu as besoin de moi…

— Caroline, veux-tu que quelqu’un d’autre t’accompagne ? proposai-je malgré tout.

— Non, ce n’est pas la peine. Je suis autonome, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué…

— Parfait donc, conclus-je. Avant que tu ne partes, que chacun regarde dans son chariot s’il ne manque rien. Dernière chance de réparer d’éventuels oublis !”

« Finalement, seul le livre de Caroline fut porté au nombre des disparus ; elle partit donc aussitôt. “Au fait ! l’interpellai-je alors qu’elle s’éloignait, profites-en pour nous ramener du petit bois, on en aura besoin pour le feu ce soir !

— Sans faute !” cria-t-elle en réponse. Puis elle disparut dans la pente.

***

“Bien, dis-je, une fois qu’elle fut hors de vue. Maintenant, nous avons plein de temps à perdre…

— Ça devient agaçant, s’énerva Doc. On devrait déjà être loin sur l’autre rive.

— Ne sois pas si impatient, rétorquai-je. Pour explorer des contrées inconnues, il vaut mieux avoir du beau temps, non ?” Je levai la tête et scrutai le ciel, toujours aussi uniformément grisâtre. “Je pense qu’il fera meilleur demain matin. Il ne va pas pleuvoir deux jours de suite.”

« Doc marmonna quelque chose à propos du temps pourri. “Au fait, as-tu examiné les squelettes de la salle ? lui demandai-je.

— Pas vraiment, admit-il. Pourquoi ? Je n’ai rien vu de particulier. Ils avaient tous l’air normal, enfin selon les normes d’il y a plusieurs millénaires.

— Donc, nous pouvons affirmer que notre ‘expédition’ a été conduite par des poneys ‘modernes’. D’où peuvent bien provenir les autres ?”

« Il me regarda d’un air indifférent. “Tu comptes sur moi pour te le dire ?

— Des esclaves, peut-être… pensai-je tout haut.

— Une culture qui pratique les sacrifices équins pourrait tout à fait asservir d’autres poneys considérés comme inférieurs ou primitifs et les utiliser comme victimes propitiatoires, observa Doc. Mais nous n’en avons aucune preuve.

— Tu as sans doute raison”, fis-je. Puis, d’un coup, un détail me vint à l’esprit : “As-tu vu des squelettes ou des crânes de licorne ?

— Hmmmm… hésita-t-il, cherchant à se souvenir. Non, je ne crois pas. Pourquoi ?

— Rien de spécial. Je me posais juste la question.”

***

« Je passai le reste de la matinée à discuter de notre futur itinéraire avec Sandy, pendant que Chromatine et Doc continuaient à s’affairer sur nos trouvailles. Nous déjeunâmes, puis fîmes une petite sieste. Il était environ trois heures de l’après-midi lorsque nous entendîmes un galop se rapprocher. Caroline apparut, hors d’haleine, visiblement terrifiée. Lorsqu’elle nous vit, elle s’arrêta ; nous nous précipitâmes vers elle.

“Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?

— Il n’y a… bredouilla-t-elle, il n’y a…” Elle reprit son souffle : “il n’y a plus de ferme !

— Quoi ? fîmes-nous tous en chœur.

— Tu veux dire que la ferme a été détruite ? repris-je.

— Non, je veux dire qu’il n’y a plus de ferme, et qu’il n’y en a jamais eu. Pas de ruines, pas de débris, pas de cendres, pas même de champs ni de vallon. Juste une vaste prairie, plate comme une anguille.

— J’en étais sûr ! s’exclama Pierrot. La carte avait raison. Tout cela était une illusion. Nous avons été piégés.

— Du calme, dis-je, soulagé. Caroline, tu as dû t’égarer et émerger du bois au mauvais endroit. Es-tu certaine d’avoir soigneusement suivi nos traces ?

— Évidemment, je ne les ai jamais quittées. D’ailleurs –” Elle ouvrit son sac et en sortit un énorme livre, visiblement détrempé par la pluie. “J’ai retrouvé mon ouvrage dans l’herbe. Je ne me suis donc pas perdue !”

Il y eut un silence pesant, comme si nous avions tous été sonnés. “Bon, poursuivis-je au bout d’un moment, je ne parlerais pas de piège. Nous n’avons pas été piégés, apparemment, à moins que – je regardai autour de moi – que nous ne soyons enfermés dans une cage invisible, ce qui n’est pas le cas. Je me demande qui pourrait bien avoir intérêt à nous jouer un tour pareil ; je veux dire, une illusion aussi réaliste pendant trois jours. Le responsable est évidemment un maître magicien. Mais qui ? Personne, à part Célestia ou Luna, n’est au courant de notre expédition, et encore moins de notre destination…

— Sandy, demanda Doc, as-tu parlé de ton oncle récemment ?”

Elle cogita un moment. “Je ne crois pas, affirma-t-elle, bien que son existence n’ait jamais été secrète. J’ai pu mentionner son nom en différentes occasions. Mais je suis à peu près sûre que jamais personne ne m’a posé de questions personnelles à son sujet, particulièrement concernant son apparence. Et puis j’aurais été totalement incapable de dire où il vivait exactement.

— C’est pour ça qu’on s’est fait piéger comme des bleus, remarqua Pierrot. Tu n’avais aucune raison de suspecter que cette ferme n’était pas au bon endroit.

— Ça m’a paru bizarre au début, mais bon, après tout, pourquoi pas ? admit-elle.

— Tout ça ne nous dit pas qui est le responsable, grognai-je.

— Ça ne pourrait pas justement être Célestia ou Luna ? suggéra Chromatine.

— Ne sois pas idiote, répondis-je un peu sèchement. Si l’une d’entre elles avait eu quelque chose à nous dire, elle nous aurait contactés directement. Quel besoin de monter cette supercherie ?

— Mouais, tu as raison, concéda Chromatine.

— La seule possibilité restante, intervint Pierrot, c’est que quelque chose ou quelqu’un surveillait cette zone et nous a repérés à notre arrivée. Il a dû lire dans nos pensées et s’en inspirer.

— Dans quel but ? s’interrogea Sandy. Pourquoi focaliser sur mon grand-oncle ?

— Je pense qu’on voulait nous conduire ici, sur cette colline, poursuivit Pierrot. Tu te souviens combien ton prétendu grand-oncle avait insisté pour que nous y passions ?

— Pas faux, acquiesça Sandy. Mais qu’a cet endroit de si particulier ?

— Mystère”, dis-je. Tout à coup, j’eus une illumination : c’était évident, clair comme de l’eau de roche. Sans souffler mot, je tournai les talons et galopai jusqu’à ma carriole, sous le regard abasourdi des autres. Je pris la boîte dans laquelle j’avais rangé le poignard et l’ouvrit.

« Elle était vide. »

 

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LittleParrot
LittleParrot : #1028
Je fais un commentaire rapide cette fois puisque je ne me suis pas arrêtée là ^^
L'ambiance devient vraiment oppressante, bien joué ! Les doutes que tu avais laissé planer à propos du grand-oncle se vérifient... Ça m'a causé quelques frayeurs nocturnes :D

Encore une fois, quelques coquilles :
- Cela me parut une idée sensée. > il manque le guillemet de début de paragraphe
- un gigantesque empilement d’os ?” me demanda Caroline, qui était restée en haut pour faire le guet et nous passer les outils. “Ça me fait froid > pas besoin de fermer/rouvrir les guillemets
- Oh !”, s’exclama-t-il soudain, “Regarde > idem
- Je parierai que ce pauvre type a eu le cou tranché. > "parierais" ?
- “Une crypte ?” avançai-je. “Ça m’a l’air profond > idem guillemets
- légèrement en pente”, dis-je. “On descend ?” > idem
- et que voyons nous ? > "voyons-nous"
- nous nous étions nous même placés > "nous-mêmes"
- “Finissons en” > "finissons-en"
- Mais je peux te monter les photos > "montrer"
- regarde ! » dit-il, en le passant à Twilight. « Oooh ! fait-elle. > idem guillemets
- Il n’y a…” bredouilla-t-elle, “il n’y a… > idem
Il y a 4 ans · Répondre

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