St Nazaire

“Il n’y a plus rien là-bas mon général !

-Ce n’est pas à vous d’en juger lieutenant !

-En juger !? Mais bordel de merde on parle de mon rapport ! J’étais sur les lieux et je suis le seul dans cette putain de base à savoir parler l’equestrien !

-Vous comprenez peut-être ce qu’ils peuvent dire mais de là à prouver la vérité dans leurs paroles, c’est exagéré. Vous pouvez vous retirer dans vos quartiers, mon choix n’est pas discutable que cela vous plaise ou non !”

Cette conversation, Alan y repensait chaque jour. L’idée de devoir rester quelques mois de plus dans cette maudite base lui était insupportable, si bien qu’il alla jusqu’à faire l’impensable. Une autre raison le poussait à s’enfuir le lieu : il avait des fichiers numériques en main avec des informations stratégiques, il n’y avait aucun ordinateur pour les lire. Ces informations pouvaient être capitales, mais pour une raison inconnue, Alan préféra les garder pour lui... Où sûrement parce qu’il était certain que le général qui dirigeait cette base était beaucoup trop con pour lui en laisser la responsabilité.

“Je me casse d’ici !

-Vous savez ce qui vous en coûtera lieutenant de déserteur. Si jamais vous parvenez à survivre, c’est la cour martiale qui vous attend.

-C’est plutôt VOUS qu’elle attend ! Ça fait des années que cette base aurait dû être abandonnée. Y’a plus rien ici ! Que les poneys prennent cet endroit ça m’est égal ! Vos ordres de tenir la position et d’aller fouiller la zone ont coûté la vie à trop d’hommes ici. Et vous savez quoi ?”

Lorsqu’il avait dit cette réplique, Alan s’était approché si près du général qu’il pouvait sentir un peu d'effroi dans son souffle. Pour la première et dernière fois, le lieutenant disait haut et fort ce que tout le monde pensait ici. Les autorités avaient demandé à tenir la position lorsque l'aire glaciaire n’était pas encore arrivée avant la chute du Gulf Stream, rien n’obligeait le général à rester après tout ce temps, surtout que...

“À part Pasquier, aucun soldat n’est mort sous les sabots d’un poney, mais à cause du froid. Parce que VOUS nous avez obligés à rester ici pour ne garder que du vide !”

Le pire, c’est qu’il était loin d’être dans l’erreur, et il suffisait de voir la tête de l’accusée pour comprendre. Il n’était général que de nom, mais il n’en avait ni les capacités, ni le cran d’aller se salir les mains pour aider ses hommes, ni le cran de de décider ce qui pouvait être le mieux pour ses hommes.

Alan pouvait se souvenir de la suite comme s’il y était. Sans retenue, il avait pris les clefs du tout terrain avec la ferme intention de s’en servir pour fuir le plus loin d’ici possible. Il avait de quoi faire le plein en cas d’urgence, des munitions, de quoi se soigner et se réchauffer, le sniper du capitaine pour faire office de longue vue, et des vivres.

Pour le moment, le lieutenant n’avait pas de destination bien précise. Il devait trouver une base, abandonnée ou encore en fonction même si la seconde possibilité était un miracle. Là-bas, il pourrait reprendre de quoi manger et par chance avoir les moyens de communiquer avec les autorités supérieures afin de leur faire part d’une chose...

“Alan, je peux vous assurer que les prochaines unités qui passeront dans cette base auront...

-De mes nouvelles ? Si ça peut vous rassurer, elles seront de ma part, pour emmener tous vos hommes au chaud et aussi pour vous foutre au trou.

-Ce n’est pas de cette manière que l’on gagnera la guerre !

-On l’a perdue depuis longtemps cette guerre.”

Et il n’avait pas placé ces mots au hasard. Alan s’était arrêté un instant pour regarder le paysage afin de ne pas mettre les pieds n’importe où. Mais même à travers le brouillard hivernal, ce n’était que désolation et sentiment de solitude infinie. En longeant la côte, il avait fini par redescendre sur St Nazaire. Et sans trop de surprise, il tomba sur une ville désertique.

Contrairement à l’autre, elle n’avait pas trop souffert de la guerre. Tous étaient juste... arrêtés. Il n’y avait pas le moindre signe d’affrontement quelconque, et les voitures se faisaient, comme si les habitants avaient déjà fui lors de l’attaque. Une pointe d’espoir apparut dans l'esprit du jeune homme en voyant un panneau indiquer la direction d’une base en périphérie de la ville.

Fausse joie.

Il ne s’agissait que d’un campement de fortune installé en urgence qui n’avait pas eu le moindre militaire sous ses tentes depuis des années. Néanmoins, il y avait un supermarché avec les rayons encore bien chargés. D’habitude, tous les magasins avaient été vandalisés et pillés en urgence, mais là, il y avait encore largement assez de riz et de pâtes pour vivre plusieurs mois. Bien sûr, Alan ne se dérangea pas et se servit en toute liberté en prenant quelques kilos de spaghettis. Il avait de quoi faire fondre de la neige qui ne manquait pas en plus.

Après avoir fait quelques emplettes - des bouteilles de gaz et des vêtements chauds -, il fouilla en arrière-boutique histoire d’explorer les lieux. C’est alors qu’il tomba sur une pépite technologique de communication : une vieille radio militaire. Évidemment, ce n’était pas étonnant avec ce camp de l’armée se trouvant à côté, restait à savoir si elle marchait encore. Heureusement que son tout terrain avait à son bord un groupe électrogène fonctionnel, assez puissant pour refaire marcher l’installation électrique du magasin ou du moins, ce qu’il en restait.

Mais par chance, Alan alluma la radio qui lui renvoya des grésillements, signe qu’elle marchait correctement. Il commença alors à chercher la fréquence d’une grande base durant plusieurs minutes, jusqu’à tomber sur une voix masculine grave, mais à l’accent bien français.

“Ici la base 105 de Normandie, qui est sur cette fréquence ?

-Ici le lieutenant Alan de la base... euh... de St Nazaire, hésita-t-il un instant. Je cherche à entrer en communication avec des hauts supérieurs. À vous.

-Nous en avons quelques uns ici, mais qui ne sont pas disponible pour le moment. Avez-vous une requête particulière ? À vous.”

Durant de longues explications, le jeune homme expliqua alors ce qu’il en était de son ancienne base, de ce qui s’était passé, garantissant sa parole ainsi que celle des hommes sur place. Mais à sa grande surprise...

“Nous sommes au courant de ce qui s’est passé à cette base. Le général des lieux a été mis aux arrêts pour faute grave et tous les hommes ont été rapatriés dans les terres en lieu sûr.”

Le lieutenant poussa un soupire de soulagement. Plus personne n’aurait à subir de tempête de neige mortelle, ni a partir en patrouille inutilement. Peut-être que sa fuite avait été futile en fin de compte... Ou presque pas finalement, car le militaire à l’autre bout de la radio lui posa une question intéressante.

“On vient de me faire part que vous avez déserté votre régiment lieutenant. À v...”

-Pardon ? coupa-t-il Je ne sais pas qui a dit une connerie pareille, mais c’est entièrement faux !

-Avez-vous un motif de votre départ dans ce cas ?

-Avant sa mort, le capitaine Pasquier et moi avons découvert des documents numériques pouvant être d’ordre capital, expliqua-t-il. Il s’était chargé comme mission de trouver un moyen de les lire, car faute de moyens, nous n’avions pas le matériel nécessaire.”

C’est alors qu’il pensa très vite. Si cette base avait les moyens de communiquer facilement à de telle distance, alors elle devait avoir les moyens de lire des documents informatiques. Mais malheureusement...

“Au risque de vous décevoir, cette radio est la seule chose que Celestia ne nous a pas enlevée. Mmmh... Il parait que dans le sud de la France, vers Clermond-Ferrant je crois, ils ont ce qu’il faut.

-Merci pour l’info, je vais...”

Un bruit dans son dos le fit tressauter vivement au point de lui donner le réflexe de prendre son arme et de la mettre en joue. Il fut certain d’avoir entendu des bruits de pas rapides s’éloigner avant de cogner un objet en métal. Malgré la pénombre régnant en maître dans ces lieux, Alan arrivait à distinguer un câble du plafond effondré se balancer de gauche à droite, trop rapidement pour que ce soit un courant d’air.

Et comme si ça ne suffisait pas, il entendit le claquement d’une porte en fer. Alan n’était pas le seul occupant des lieux apparemment.

“J’ai un contact, je dois couper”, chuchota-t-il à la radio avant de l’éteindre.

Toujours avec son Famas à l’épaule, il avança vers la direction du bruit, prudemment, car même si sa présence était évidente, la discrétion pouvait encore le sauver si jamais le pire venait à se produire.

“Y’a quelqu’un ? cria-t-il. Qui que vous soyez, venez à moi les mains bien en évidence.”

Ça pouvait être un allié comme un pillard, mais seul un fou oserait s’en prendre à un militaire bien armé... Ce qui ne serait pas étonnant en fin de compte après tout ce qui s’était passé. Mais cette absence de réponse força à Alan d’utiliser une autre méthode.

“zertom-suoV ! fit-il en equestrien. zedner-suov te ej en suov siaref nucua laM !”

Ça ne pouvait être que ça de toute manière. Un humain n’aurait pas perdu de temps à se jeter sur ses pieds pour lui implorer de l’aide. En revanche, il savait qu’un ou des poneys auraient pu être abandonnés après avoir perdu leurs régiments dans un combat ou à cause du climat, les livrant à eux-mêmes.

Alan s'engouffra dans une zone sombre, en mauvais état avec des décombres partout. Il commençait même à faire si noir qu’il dût prendre sa lampe de torche pour enfin trouver cette porte en fer qui ne s’était pas fermée correctement. Prudemment encore une fois, il entra dans la pièce avec son arme, mire alignée avec son regard. C’était une chambre froide, contenant encore beaucoup de viande suspendue au plafond. La viande était une chose risquée, car même congelée, elle pouvait être avarié, et en ces temps durs, l’intoxication alimentaire pouvait être mortelle.

“Montre-toi, continua-t-il de dire en equestrien. Les sabots bien en évidence.”

Alan s’arrêta de marcher, il lui semblait entendre quelque chose d'étranger à ses mouvements. C’était une petite respiration, ne venant pas de lui, car il la coupa pour être sûr. Se concentrant au maximum, il tenta de trouver la direction de celui ou celle qui devait se cacher dans un coin. Et à en juger par son halètement, cette chose devait être terrifiée. Il braqua alors sa lampe entre deux jambons accrochés dans un coin, éclairant ce qui ressemblait alors à une boule blanche... Ou plutôt à un dos recouvert de pelage qui appartenait à un poney recroquevillé sur lui même.

“Mets tes sabots bien en évidence... Tout de suite”, ordonna-t-il doucement, mais très sévèrement.

Il avait son arme braquée sur la chose, prête à faire feu si elle tentait quoi que ce soit. Et au même rythme que ses directives, ce qui était une jument tourna doucement pour lever ses sabots, son visage bien visible ainsi que ses grands yeux bleus. C’était une terrestre, effrayée par la présence d’un humain qui avait son Famas pointé sur elle, tremblante de peur, mais aussi de froid. Malgré son pelage et son crin tous les deux blanc, de la saleté venait gâcher ce panel de couleur uniforme.

L’un se regarda dans l’autre, ne sait aucunement quoi faire. Un humain l’aurait embarqué ou tué pour être tranquille, mais Alan n’avait ni les moyens et le temps de faire une prisonnière, ni envie d’avoir le sang d’un poney sans défense sur les mains encore une fois. Quant à la jument, elle y voyait en cet humain un semblant d’espoir, le moyen de partir d’ici en faisant d’elle une prisonnière. Et quitte à ne plus souffrir de solitude et de froid ainsi que de faim, une balle dans la tête allait peut-être la soulager.

“Vous... Vous allez me tuer ?” dit-elle dans sa langue natale.

Le militaire la regarda deux secondes, réfléchissant alors à sa suggestion, puis baissa son arme sans pour autant cesser de la pointer ailleurs que sur elle.

“Non, répondit-il. Je suis là pour prendre des rations puis je m’en vais.

-Vous ne... Vous ne m’arrêtez pas ?

-J’ai pas le temps.”

Il se retourna puis commença à prendre la sortie. Tout ça commençait à devenir bizarre, mais surtout, il voulait vite quitter cet endroit pour ne pas qu’un éventuel scénario se reproduisant ne resurgisse. Mais des bruits de sabots le suivirent, ce qui l’obligea à se retourner vivement, arme de nouveau en joue.

“Reste loin de moi ! somma-t-il en haussant le ton.

-Me laissez pas ici s’il vous plaît.”

Elle n’avait même pas tressailli, restant debout et droite fasse à l’homme avec beaucoup de détermination. Elle continuait malgré tout de trembler, la peur se lisait sur son visage, prête à affronter son jugement dernier.

“Je peux pas putain ! Je suis en mission et je n’ai pas que ça à faire ok ?

-Dans ce cas, tuez-moi !”

Alan soupira en baissant une seconde son arme, secouant la tête par gêne plus qu’autre chose. Tout ça devenait vraiment ridicule, mais cette jument ne lâchait pas l’affaire.

-Pitié ! supplia-t-elle. Je veux plus rester ici, j’en ai marre de souffrir ! Finissez-en je vous en supplie !

-Tu te démerdes ! T’as un rayon cuisine avec tout un tas de couteaux qui pourront faire l’affaire !

-Non attendez !”

Il s’était retourné à grands pas, mais des petites tapes dans ses jambes l’arrêtèrent avant d’aller dehors. C’en était trop, Alan se retourna de nouveau, mais se servit uniquement de sa cross pour lui donner un coup sur la tête. Ce fut radical pour la faire taire, mais pas pour l'assommer complètement. Cette jument était désormais par terre à se tenir le front, pleurant en silence, mais tout en implorant de faire quelque chose pour que tout cela cesse enfin.

Il avait déjà vu ce genre de scène, mais cette fois, il ne fit pas la même erreur de la massacrer sans lui abréger ses souffrances. Alan prit la tangente vers sa voiture, monta dedans, mit le contact et...

Non. Ça ne soulagerait pas sa conscience de laisser cette ponette mourir seule. Bon sang ! Comment se faisait-il qu'une jument sans défense comme elle se retrouvait au beau milieu de nulle part, abandonnée par tous ? Les poneys étaient si cruels que ça entre eux ? Dans ce cas, est-ce que Alan devait montrer l'exemple en allant faire quelque chose pour cette jument ? Peut-être, sauf que cela allait compliquer sa mission, et le mettre en danger si jamais il venait à croiser un régiment d'Equestria tout en se faisant discret. La soulager par la mort allait détruire sa conscience, ce n'était même pas envisageable après ce qui s'était passé à son ancienne base.

Mais l'emmener avec elle serait encore plus stupide... Tout comme cette guerre en faite si on regardait plus loin. Il n'avait vu que des choses idiotes depuis le début de ce conflit : son ancien général, ses anciens camarades morts dans une tempête, l'attaque d'un petit groupe tuant son capitaine et enfin l'entraide désespérée de son ancien ami pour survivre en faisant une trêve avec les poneys. Et bizarrement... Cette dernière idée devait être la moins stupide de toutes, même si s'allier avec eux après tout ce qu'ils ont fait était impensable.

C'était peut-être à son tour de jouer les idiots.

La terrestre blanche était toujours au sol, couchée sur le côté avec les sabots sur sa tête, mais pas par douleur. Le chagrin était si immense que de se relever après ça lui paraissait impossible. Elle qui était là depuis des années à survivre en mangeant des choses indigestes dans le froid et la solitude totale, avoir rencontré un être humain parlant parfaitement l'equestrien était bien plus qu'un miracle. Jamais elle n'aurait la même chance.

L'idée de mettre fin à ses jours en allant employer la suggestion du militaire humain lui traversa l'esprit, mais elle n'en avait pas le cran. Non, la ponette allait rester là sans bouger, attendant que le froid ne se charge d'elle.

"Debout !"

La voix du militaire venait de vibrer dans ses oreilles, assez fortement pour la lever rapidement sur ses quatre fers. Levant la tête, elle pouvait voir que Alan avait son arme braquée sur elle, mais en la tenant juste avec une main. Il n'était visiblement pas inquiet ou soucieux qu'elle puisse être dangereuse d'une quelconque manière.

"Marche jusqu'à la voiture."

Sans broncher, elle s'exécuta puis marcha vers l'extérieur, suivie de près par l'humain. Il ne la quittait pas des yeux, prêt à l'abattre si elle tentait quoi que ce soit. Mais vu son état, ce serait un suicide d'en aller jusque-là.

Une fois près du véhicule, se crispant à cause du froid qui lui mordait la chaire, la jument sentit un canon se poser sur sa nuque pour la faire marcher de l'autre côté. Alan lui ouvrit la portière puis fit un mouvement de tête pour lui ordonner de monter, le visage toujours fermé.

Lorsqu'il se mit au volant, le soldat sortit de la boîte à gant des serres en plastique pour lui attacher les sabots avant. Elle ne disait rien, se laissait parfaitement faire. On aurait même dit qu'elle souriait à l'idée de ne pas mourir dans ce magasin, et pourtant, rien ne lui disait que tout pourrait être mieux avec cette humaine. Elle ne put résister plus longtemps en le remerciant, mais Alan lui fit comprendre qu'il n'allait pas être au petit soin non plus.

"Crois pas que les choses risquent d'aller mieux pour toi, dit-il en mettant le contact. Dès que j'en aurai l'occasion, tu finiras dans une base comme prisonnière de guerre."

Il est vrai que pour la ponette, les choses étaient loin de s'arranger. Cependant, en plus de tomber face à un soldat parlant l'equestrien comme il faut, cet humain avait fini par céder et l'emmener loin d'ici.

Il avait forcément du bon en lui. Les humains n’étaient peut-être pas aussi méchants que les poneys pouvaient le penser.