Il s’était fait réveiller de toutes les manières possibles, doucement comme violemment, si bien qu’il mit du temps à remarquer que ce matin-là on le réveillait en lui secouant l’épaule avec vivacité. C’était très désagréable, pourtant c’était loin d’être le plus agité de ses débuts de journée. Alan était devenu un habitué dans le domaine d’émerger dans l’extrême. Parfois, il fallait jusqu’à le gifler ou lui renverser un verre d’eau froide pour qu’il se mette au garde-à-vous. Enfin ça, c’était lorsqu'un major où un capitaine venait lui rendre une petite visite, autrement son statut de lieutenant faisait de lui l’un des plus hauts gradés du camp.
On le secoua encore plus fort, mais sans succès, le jeune homme ne faisait que de grogner et se tourner sur le ventre, sachant que ce n’était pas l’un de ses supérieurs. Bien qu’il couchait sur un vieux lit de fortune fait à base de draps verts posé sur des sacs de sable, Alan avait l’impression de dormir dans un lit fait avec de la soie digne d’un grand hôtel cinq étoiles. Normalement, son grade lui donnerait le privilège de coucher dans sa propre chambre et sur un vrai lit, sauf qu’il fallait faire avec les moyens du bord. Il reconnut d’avance la personne qui était en train de le secouer avant même que celui-ci ne parle pour le sommer de se réveiller.
“T’as gagné Francis, gémit lentement le lieutenant vêtu seulement d’un débardeur vert et d’un slip blanc. Mais j’te jure que si c’est pas pour un truc important, j’te bourre l’un de ces sacs de sable dans le c-...
-On a le nouveau capitaine qui arrive ! C’est toi qui vas te ramasser ça dans le cul si t’es pas prêt dans les dix prochaines minutes !
-Veuillez me parler sur un autre ton, caporal Francis...
-Ta gueule et bouge-toi !”
Bah tiens, pourquoi pas...
Alan ouvrit les yeux et fit une petite grimace avec ses lèvres. Il avait beau être d’un plus haut grade que son camarade, leurs francs parlés ne changeaient pas du tout, et puis ça n’avait aucune importance à leurs yeux. Dire que le protocole interdisait ce genre de pratique, et pouvait être passible de prison. Oui, on était presque au mois d'août et pourtant, après s’être levé et habillé chaudement de la tête au pied, le soldat sortit dehors afin de se tenir prêt comme tous les autres qui couraient dans la neige bien tassée. On était au mois de juillet, le ciel était gris comme de la pierre, la visibilité ne dépassait pas plus de vingt mètres à cause de ce brouillard givrant.
Dans ce camp situé au milieu de ce grand désert blanc, tous les hommes s’étaient relâchés dû à l’absence d’autorité supérieure. Seul un général se trouvait en ces lieux fermés par des murs barbelés et surveillés par des miradors. Contrairement aux autres, son apparence était droite et exemplaire.
Mais l'arrivée de ce capitaine propageant déjà des rumeurs avant même son arrivée avait déjà fait l’effet d’une bombe. Tous les soldats s’étaient mis sur leurs trente-et-un, c’est-à-dire rasé et cheveux coupés comme des bons militaires. Ce n’était pas le cas d’Alan qui lui avait encore sa barbe courte et ses cheveux lui tombant sur les yeux. “Mon rasoir est cassé”, il avait déjà une excuse d’avance. Les passants lui conseillaient vivement d’aller s’arranger, mais le lieutenant préféra s’en griller une et dissimuler sa pilosité avec une écharpe et la capuche de son blouson.
Absolument tous les autres hommes étaient en état d’alerte lorsque le signal de se mettre en rang côte à côte se fit entendre. Seul le même soldat tirant des lattes sur sa cigarette n’avait pas bougé, il était bien placé depuis le début en fait. Une silhouette se forma dans le brouillard, marchant lentement, regardant tous les militaires alignés. Étrangement, ce monsieur portant juste un chapeau et une moustache ne porta aucune intention à Alan. Il accéléra ensuite la cadence de ses pas vers une grande porte, puis actionna un levier pour l’ouvrir par un système de contrepoids élevant le grand plan de bois protégeant le camp. Une voiture s'engouffra à l’intérieur de la base, phares allumés, roulant à vitesse normale devant les soldats qui ne cachaient pas leur étonnement en voyant ce qui avait l’allure d’un 4x4 blanc de guerre.
“Putain... je pensais qu’il n’en existait plus du tout !” chuchota un garde pour ne pas se faire entendre.
Celui-ci était juste à côté du fumeur qui continuait de déguster son tabac comme si de rien n’était. Puis lorsque la voiture s’arrêta enfin, un homme en sortit. Avant de totalement se montrer, il se retourna vers les places arrière afin de prendre un grand fusil de précision. Plusieurs soldats ne purent se retenir de déglutir devant la taille de l’engin. Puis il se tourna vers eux : cet homme était plutôt imposant, portant un large manteau lui aussi, mais également des lunettes de protection. Il avait aussi une longue écharpe blanche qui battait à cause du vent, s’enroulant parfois sur le canon de son fusil.
Les militaires en rangs se mirent encore plus droit quand celui-ci jetait un regard vers l’un d’eux. Il marchait vite, se dirigeant vers le général qui lui aussi était sur le chemin du retour après avoir fermé la porte.
“C’est un plaisir de vous avoir parmi nous, capitaine Pasquier, fit le général avec un salut militaire.
-Tout le plaisir est pour moi, lui répondit ce dernier en faisant de même avant de commencer à marcher vers les rangs. On dirait que l’activité s’est apaisée dans les environs à ce que je vois.
-En effet, soupira l’autre haut gradé qui l’accompagnait. Tous ici attendent un ordre, et je ne vous cache pas que celui-ci est de déguerpir d’ici. Nous n’avons pas vu un seul mouvement ennemi dans les environs depuis presque un an.
-Quelle zone couvrez-vous ? Quel rayon d’action ?
-Les villages aux alentours, surtout ceux qui bordent l’ancienne route nationale. Ça représente environ un rayon de vingt kilomètres.
-C’est très peu.
-Évidemment, mais même avec une zone aussi réduite, nous sommes obligés de lancer des expéditions d’une semaine pour couvrir cette distance. L’unique fois où nous avons envoyé un groupe d’homme aussi loin fut vers la ville située près de la côte il y a six mois de cela.
-J’imagine que le résultat fut...
-Un échec oui, affirma le général d’une voix lasse. Et avec ça, nous ne les avons jamais revus à cause d’une tempête qui s’est abattue sur la région.”
Le capitaine cessa de marcher, enlevant même ses lunettes de protection pour dévoiler ses yeux bleus remplis d’un étonnement bien visible.
“Êtes-vous certain que c’est le froid qui les a tués ?
-Nous ne pouvons pas en être sûrs à cent pour cent, mais pour vous dire, même certains d’entre nous y ont succombé dans ce camp alors que nous étions aux chauds. Moins trente degrés, on n’avait jamais vu ça...
-Dans ce cas, on dirait que j’arrive au bon moment.”
Il se tourna alors vers les militaires en rangs, tous aussi sérieux les uns que les autres, excepté Alan qui venait tout juste de jeter son mégot. Il était clair pour Pasquier que ce camp n’avait plus sa place ici, que les autorités avaient laissé cet endroit sans se soucier que des hommes était encore sous leurs ordres. En vérité, on se demandait s’il existait encore un dirigeant. Les convois de ravitaillement se faisaient de plus en plus rares tout comme les ordres de combat. Le capitaine s’avança alors vers les hommes qui se raidirent encore plus, accompagnés par le général.
“Général, puis-je vous emprunter trois de vos hommes ? Et les meilleurs si possible.
-Ils sont à vous ! Francis ! Matthieu ! appela-t-il fermement.
Deux hommes s’avancèrent un peu, bras toujours tendu le long du corps et le menton relevé. Durant un petit instant, le capitaine les observa. Ça lui déplaisait d’avoir à emprunter des hommes qu’il ne connaissait pas, même dans ce genre de situation, mais il n’avait pas le choix. Autre détail qu’il remarqua immédiatement : ce général, bien qu’il avait de belles paroles, exerçait mal son grade. Rien que par son allure, il ne devait pas faire beaucoup d’exercice, ni avoir tenu la moindre arme depuis des années. Le capitaine savait ce que c’était : des grattes papier que l’on envoyait dans l’extrême urgence afin de rétablir de l’ordre, de montrer qu’une infrastructure existait encore. Ce genre de type avait atteint ce grade en passant par un peu de politique avec un gros porte-monnaie, tout ça bien avant que la guerre ne commence. C’était tout sauf un homme de terrain.
Le général ne devait pas connaître ses hommes, mais malheureusement, même son grade de capitaine ne lui permettait pas de lui faire remarquer. Il avait appelé deux hommes, le capitaine en avait demandé trois. C’est à ce moment-là qu’il observa le capitaine avec insistance, dans un silence devenant presque gênant pour le général qui hésitait à jeter son choix vers un soldat qu’il regardait.
“Et lui ? fit soudainement le capitaine en montrant du doigt le lieutenant qui ne cacha pas son sourire.
Le général soupira, comme si ça le désespérait de devoir faire appel à lui.
“Je vous présente le lieutenant Alan. Spécialiste en fusils d'assaut et au corps-à-corps. Il est capable de parler le dialecte ennemi. C’est probablement notre meilleur homme, mais...
-Mais maintenant ça se la coule douce, continua Pasquier.
C’est alors que le capitaine s’avança vers cet homme qui faisait comme si de rien n’était, assez près pour sentir son souffle lui caresser les joues. Son regard était plongé dans le sien et malgré les cheveux de l'indiscipliné, il voyait très bien ses yeux se balader ailleurs jusqu’à ce qu’il reste bloqué vers quelque chose en particulier.
“Cette voiture te plaît ?
-Mmh... songea un instant Alan. C’est pas vraiment mon modèle préféré, mais je dois avouer qu’elle est propre.
-Tu sais en conduire une ?
-J’étais justement en train de passer mon permis avant qu’on ne nous renvoie à l'âge des cavernes, mais on dit que c’est comme le vélo.
-Tu as raison, ça ne s’oublie pas. Ça te dirait de faire un tour avec ?
-Et comment ! s’emporta le lieutenant.
-Parfait ! Ça nous fait un volontaire de plus !”
Dix minutes plus tard, trois hommes attendaient dans la voiture, tous prêts à effectuer la mission. Le coffre avait été rempli avec beaucoup de matériel, dont un groupe électrogène et de l'essence pour l'alimenter si on ne comptait pas les jerricans qui servaient à faire rouler la voiture. Il y avait un objectif précis, mais le capitaine, assis devant à côté du conducteur, voulait que tout le monde soit là pour les consignes.
Par ailleurs, Alan arriva enfin à sa place. Il enleva sa capuche une fois la porte fermée, dévoilant ainsi sa nouvelle coiffure. Quelques millimètres, c'est tout ce qui restait de ses cheveux bruns. Le capitaine Pasquier avait exigé qu'il se les rase pour participer à l'aventure. Par contre, il avait gardé sa barbe, hors de question d'y toucher.
"J'ai déjà assez froid au crâne comme ça", se justifia-t-il.
Pasquier répondit par une simple grimace, et donna l'ordre de se mettre en route.
"Vous en faites pas pour le chemin, je reconnais encore les lieux, fit le haut gradé.
-Donc vous connaissez la région, continua le conducteur. Je savais que vous n’étiez pas venu ici par hasard."
L'autre soupira, puis il se tourna vers les deux autres hommes à l'arrière afin d'attirer leurs attentions.
"Bon, la mission est simple : nous allons devoir patrouiller dans la zone industrielle de la ville, puis mettre en place le groupe électrogène qui se trouve dans le coffre. Il servira à faire marcher une antenne radio pour quelques heures le temps d'envoyer les ordres de ramener tout le monde au haut commandement.
-Génial ! s'écria Francis qui était derrière le siège du conducteur. On va pouvoir rentrer chez nous !
-Aller au chaud sous le soleil d’Algérie ! renchérit joyeusement l'autre passager.
-On pourrait gagner du temps avec cette histoire de patrouille, suggéra Alan. Il ne doit plus rester d'ennemi.
-Soyons quand même sûr lieutenant. Je partage votre avis, mais on ne sait jamais..."
Le capitaine pointa alors une direction. C'était une ancienne voie d'accélération pour s'engager sur une route nationale, recouverte par plus de vingt centimètres de neiges. Il pouvait en tomber beaucoup. La couche neigeuse restait toujours à cette hauteur, car, malgré le froid constant, les températures remontaient parfois dans les positives. Même si c’était un bon 4x4, Alan s’assurait de ne pas dépasser les 50 km/h. Il était impossible de savoir dans quel état était le bitume, des trous et des objets pouvaient se trouver en dessous.
“À cette vitesse, nous devrions en avoir pour une heure avant d’arriver à destination, fit le capitaine avant de se retourner vers les deux hommes assis à l’arrière. Je connais l’endroit par cœur do-... Puis-je savoir ce que c’est que ça ?!” s'offusqua-t-il d’un seul coup.
Il avait pointé du doigt le sac de Matthieu, de la fourrure violette avec une étoile filante avait été cousue dessus. Cela fit sourire le garçon qui ne tarda pas à faire honneur de sa trouvaille.
“C’était notre première bataille, à Brest, quand les pégases sont arrivés pour envahir la côte et que nous avons réussi à repousser les premières vagues. Et ça, bah... c’est ma première cible abattue, une jument. Elle était forte, mais j’ai réussi à l’av- Hé !
-Pas de ça dans mes unités ! cria le capitaine en arrachant la cutie mark du sac avant de la jeter par la fenêtre. On n’est pas des bouchers à ce que je sache.
-Bordel, mais ça va pas la tête !? s’énerva le coupable.
-Elle était importante à ses yeux, vous n’aviez pas à faire ça ! renchérit Francis.
-C’est comme si nos ennemis s’amusaient à porter un morceau de notre peau sur leurs affaires ! Ça vous plairait ?
-Génial, marmonna Matthieu. On a encore le droit à un Alan numéro deux...”
Pasquier haussa un sourcil, ne comprenant pas où voulait en venir l’un de ses hommes. Visiblement, il avait oublié tout sens de la discipline, ne respectant pas le protocole, car en temps normal, parler de la sorte à son supérieur, c’était un aller simple vers le trou. Il regarda alors le conducteur qui souriait comme jamais.
“Ça vous fait rire lieutenant ?
-Depuis le temps que j'essaie de lui faire enlever cette chose, se justifia-t-il. Des années que j'essaie de le persuader que d’avoir ça, c’est mal. Vous avez réussi à le faire en deux secondes.
-Il pense que notre ennemi est comme nous, qu’ils sont pareils, expliqua l’homme blond.
-Alors que ce ne sont que des animaux !” pesta celui qui avait vu son trophée se perdre dans la neige.
Alan voulut le contredire, mais d’abord, il se concentra sur la route pour éviter des voitures à l’arrêt et des camions en travers. Parfois, la voiture roulait dans des trous faisant tous trembler. Avec le temps, la neige et le froid en avaient formé.
“Je suis d’accord avec vous soldat, fit le capitaine. Mais regardez ce qu’ils ont fait de notre monde. Pensez-vous que de simples animaux en feraient de même quand on voit comment ils nous ont abaissés ? Et avec brillance en plus ? Seuls des hommes d’une intelligence équivalente auraient réussi à déjouer notre défense. Eux ont fait pareil, mais avec plus d’efficacité.
“Manquerait plus qu’il se mette à parler comme eux tiens...”
Il grognait comme si celui-ci n’était pas là. Matthieu n’avait vraiment pas aimé qu’on lui retire son trophée de chasse. Cependant, sa remarque intrigua à nouveau le capitaine. Le soldat parlait à chaque fois d’Alan comme quelqu’un qui appréciait ou comprenait l’ennemi. Sans attendre une seconde de plus, il se tourna vers lui, voulant savoir si le soldat disait vrai.
“ equestriA’l relrap neib zevas suoV ?
-siofrap repucco’s neib tuaf ,rennoitseuq el te siom srueisulp tnadnep reinnosirp nu redrag tiod no dnauQ, lui répondit-il en souriant.
-Eh ! C’est bien joli, mais si c’est pour parler le poney pendant toute la mission, ça va pas être possible ! râla Francis.
-J’imagine que nous allons au château d’eau pour utiliser son antenne ? fit Alan en reprenant son sérieux. Le groupe qui disparut depuis six mois avait la même mission. Aziz, celui qui coordonnait la mission, disait qu’à l’entrée de la ville, il y avait une antenne dessus qui pouvait marcher.
-Il avait raison, approuva le capitaine. Elle servait à envoyer des informations directement par onde radio dans toute la France.
-Comment vous le savez ? intervint vivement celui qui boudait.
-Je travaillais dans l’usine à côté, juste avant que tout cela n’arrive...
-Oh dans ce cas tout s’explique, continua-t-il. Vous êtes venu ici parce que vous vouliez revoir votre maison. Comme c’est mignon.
-Parce que je connais le terrain, et je vous conseille de changer de ton immédiatement si vous ne voulez pas vous voir partir en dernier quand je signalerai au commandement que la zone est déserte !”
Un avertissement, rien de tel pour faire taire l’un de ses hommes. Matthieu resta muet pendant tout le reste du trajet, comme presque tout le monde dans la voiture. La tension monta encore d’un cran quand un panneau légèrement enneigé indiqua que la ville n’était plus qu’à quelques kilomètres. Ils allaient pénétrer dans un lieu où personne n’était revenu vivant, où des marques de guerre étaient encore visibles. À commencer par la voie de gauche partant dans l’autre sens, elle était embouteillée par des tonnes de voitures, pares-chocs contre pares-chocs. Tous les habitants avaient essayé de fuir, mais toutes les voitures s’étaient arrêtées d’un coup.
Pasquier donna l’ordre à Alan de prendre un chemin de fer, les rues étaient inaccessibles à cause des bouchons. De plus, les rails menaient directement à l’usine, là où se trouvaient les récepteurs du château d’eau. Une fois arrivés devant le bâtiment, une grande usine aux murs blancs comme la neige, ils descendirent de la voiture, scrutant les alentours si des ennemis n’étaient pas dans les parages. Par la suite, le capitaine donna les ordres.
-Matthieu et Francis, commencez à décharger la voiture, puis vous irez remettre un peu d’essence, ordonna-t-il en pointant un camion-citerne qui n’était pas loin. Alan, tu vas venir avec moi en reconnaissance.”
Tous acquiescèrent et se mirent au travail. Le lieutenant prit son famas, le doigt près de la gâchette, un autre non loin de la sécurité. Puis il se mit à suivre Pasquier qui s'engouffra par une porte en verre, où le noir était maître des lieux. C’était un autre bâtiment, près de l'endroit principal. Il était beaucoup plus petit, avec toutefois un sous-sol, un rez-de-chaussée et deux autres étages. Avec sa lampe accrochée sur son fusil d'assaut – un privilège d’en avoir une qui marche –, le capitaine vit des bureaux et des ordinateurs. Ça devait être la partie administrative du lieu, et également l’endroit où devait se trouver le récepteur du château d’eau.
“Allez dans le sous-sol lieutenant, commanda-t-il. Je vais couvrir les deux autres étages.”
Sans discuter, le jeune homme obéit et se rendit en bas. Plus il descendait, plus il faisait froid, beaucoup plus que dehors. C’était un véritable labyrinthe, les portes et les couloirs ne manquaient pas. Il en ouvrit plusieurs sans remarquer le moindre signe d’activité. Mais alors qu’il arriva dans une plus grande pièce que les autres, servant pour les réunions, et avant même qu’il put voir quelque chose, son pied tapa dans quelque chose de dur.
“Capitaine ! entendit le haut gradé alors qu’il était au premier étage. Venez voir ça !”
C’est à pas de course que Pasquier rejoignit son camarade. Il eut un peu de mal à se repérer dans le noir, sur ce sol gelé, mais les appels du lieutenant le guidèrent très vite jusqu’à ce qu’il aperçoive la lampe qui éclairait une pièce. En voyant ce qui se présentait devant ces yeux, le capitaine eut le souffle coupé.
La salle de réunion ne comportait plus un seul meuble. Mais contre les murs se trouvaient des dizaines de corps gelés assis et allongés. Alan reconnut tout de suite l’unité qui était partie en reconnaissance, mais ce n’était pas ce qui le choqua. Il n’y avait pas que des corps humains dans la pièce, mais aussi des poneys, aussi nombreux que les hommes, morts de froid.
Les deux soldats s’avancèrent, armes-en joues, prêts à tirer au moindre mouvement. Mais plus rien n’avait bougé ici depuis des mois. Sans mots, ils observèrent ce tombeau des plus étranges, jonché en son centre par des emballages de nourritures et de bouteilles vides. Ils cherchaient également autre chose, normalement présents dans ce genre de cas : des traces de luttes, de combats, des impacts de tirs, des menottes. Mais aucune douille, ni de sang ou de bandage étaient présents. Il n’y avait aucune chaîne ou encore des cordes servant à attacher qui que soit.
En se rapprochant plus près, ils pouvaient voir que certains corps étaient assis contre ceux d’un poney qui les serraient avec leurs pattes. Ils essayaient de se tenir chaud entre eux.
Alan et Pasquier se regardèrent pendant un instant, comprenant mutuellement ce qui s’était passé ici. Sans ouvrir la bouche, le capitaine tourna les talons et se rendit à l’extérieur pour rejoindre les deux autres militaires. Quant au lieutenant, il sortit de son sac un appareil photo argentique, ne comportant pas un seul mécanisme électrique. La lumière de son fusil servit à éclairer ses photos. Une à une, il prit des images de ses camarades morts et des poneys qui les accompagnaient, jusqu’à ce qu’il tombe sur le cadavre de son ami.
Aziz, on ne voyait même plus sa peau matte à cause de la glace qui l’emprisonnait. Comme beaucoup d’autres, il était avec un corps de poney. Il était allongé, couché contre le dos d’un étalon. Mais ce n’était pas ce qui attirait l’attention d’Alan qui reporta son regard sur ce que le corps tenait. Une petite caméra était dans la main de l’algérien, ainsi grosse qu’une boite d’allumettes. Elle devait être hors d’usage, mais pas les données qui devaient s’y trouver à l’intérieur.
Lui et son équipe avaient des appareils de pointe encore fonctionnels afin de récupérer le plus d’informations possible. Cette mission, Aziz l’avait fait pour faire comme Alan qui la faisait actuellement. Mais sa mort, ainsi que celle des autres, avait tout fait tomber à l’eau, les condamnant à rester sur cette région tant qu’une confirmation n’était pas envoyée.
Alors qu’il prenait la caméra avec dégoût, trois hommes arrivèrent dans la salle, dont deux avec stupéfaction. Francis et Matthieu avaient toutes les bonnes raisons de hurler au scandale, mais ils ne firent rien. Dans cette salle se trouvaient des amis, morts pour leur pays. Tant qu’ils étaient dans la pièce, pas un seul homme n’ouvra la bouche par respect.
Une heure plus tard, tous les soldats étaient au deuxième étage : le capitaine était en train de régler les fréquences de la radio tandis que les autres, eux, faisaient tourner le groupe électrogène avec de l’essence. Un grand silence régnait, aucun n’osait dire quoi que ce soit sur ce qui se trouvait au sous-sol alors que chacun avait sa façon de voir les choses. Dans l’enceinte, il n’y avait que de la neige, les fréquences n’existaient presque plus dans le pays. Tout ce que Pasquier avait à chercher, c’était une borne sans grésillement.
“Vous croyez qu’ils diront quoi les autres au camp quand on leur montrera ça ? fini par dire Francis.
-J’en connais déjà qui vont accuser nos camarades de trahison, pas vrais Matthieu ? fit Alan en se tournant vers le concerné qui était en train de régler le générateur.
-Bah maintenant que tu le dis... J’aurais fait pareil à leurs places.
-Quelle surprise ! Tu te décides enfin à avoir un peu d’humanité ? Ça me surprend.
-Je connaissais beaucoup Aziz. Même s’il parlait le poney et qu’il en savait beaucoup sur eux, il les détestait autant que moi. Donc je pense que s’il en est venu à là, c’est sûrement pour une bonne raison.
-Parfois, l'instinct de survie oblige le plus grand des prédateurs à pactiser avec ses proies, je suppose, compléta le commandant.
-Je suis comme Matthieu, ajouta Francis qui était assis sur une chaise de bureau. J’aurais cru que dans ce genre de situation, il en aurait pris un pour les manger et se servir de sa peau comme protection. Il aurait même pu survivre.
-Si ça se trouve, ils se sont tous fait ensorceler, suggéra l’autre soldat.
-Y’avait pas de licorne parmi les cadavres. Bon capitaine c’en est où cette radio ? On se les pèle ici !” s’impatienta le lieutenant.
Un soupir, c’est tout ce qu’il donna en guise de réponse. Toute cette friture commençait sérieusement à ennuyer le capitaine. Sans crier gare, il se leva de la chaise pour se diriger vers son sac à dos afin d’en sortir deux talkies-walkies.
“Matthieu , tu restes ici et tu continues à chercher une fréquence. Tout ce que tu as à faire, c’est de tourner le petit bouton, expliqua-t-il. Si tu trouves quelque chose, préviens-nous. Les deux autres, vous me suivez. On va faire un petit tour en ville histoire de voir une bonne fois pour toutes s’il reste des poneys.”
Quelques minutes plus tard, la voiture s’engouffrait déjà dans les ruelles. Cette fois, c’était le capitaine qui avait le volant, regardant là où il pouvait quand il ne s’agissait pas d’éviter les voitures à l’arrêt. La neige était moins présente que sur la route nationale, un bon signe. Cela voulait dire que l’atmosphère était moins froide à mesure qu’on approchait de la côte.
Peut-être que le Gulfstream se relançait. Qu’un jour... toute cette glace disparaîtrait.
En même temps qu’il conduisait, Pasquier avait autre chose en tête. Cette caméra qu’Alan avait trouvée dans la main du soldat mort de froid, elle avait sûrement filmé ce qui s’était passé dans cette pièce. Elle donnerait à coup sûr les réponses à tout ce mystère.
“Alan, fit le capitaine au lieutenant. Quand nous serons retournés au camp, vous me remettrez cette caméra afin que j’en tire les informations. Elle peut contenir des éléments stratégiques.
-Bien mon capitaine, mais je ne crois pas que le général dispose des moyens nécessaires pour lire ce qui se trouve dedans. Euh... Arrêtez-vous là.
-Quoi ?
-Stop !” cria le lieutenant.
Sans réfléchir plus longtemps, Pasquier pila sur-le-champ. À la seconde où le 4x4 s’arrêta, Alan sortit de la voiture, demandant à son camarade se trouvant à l’arrière de le couvrir. Par la suite, famas en joue avec lampe allumée, il entra dans ce qui semblait être un tabac presse d’une petite ruelle en descente. Il y faisait presque aussi noir que dans un four. Les vitrines laissaient à peine passer la lumière du soleil due au gel et la poussière qui les recouvrait. Les rayons de journaux étaient en vrac, comme les étagères de cigarettes pratiquement vides.
“Putain mais pourquoi je perds mon temps”, se dit-il à lui-même en rabaissant son arme après avoir roulé des yeux. Il était évident que le lieu était désert. Le lieutenant se mit à râler en s’abaissant derrière le comptoir, à la recherche de quelque chose. Plus il cherchait, plus il désespérait, se disant que quelqu’un avait fait des provisions avant lui.
Dehors, Pasquier et Francis, le regard braqué sur la boutique comme leurs armes, se demandaient vraiment ce qu’il était en train de fabriquer. Aucun doute pour eux qu’il cherchait bien quelque chose de plus personnel. Le soldat se trouvant à l’arrière n’eut pas de mal à le deviner, surtout quand lui et le capitaine le virent ressortir avec un grand sourire. En montant dans la voiture, Alan ne cacha pas sa joie en dévoilant deux cartouches de cigarettes encore emballées.
“Pas question de continuer à rester moisir ici si j’ai pas ce qu’il faut pour tenir le coup.”
Le capitaine non plus ne cacha pas son désarroi devant une telle attitude, mais c’était compréhensible. Les lots de cargaisons en vivre avaient été revus depuis le début du conflit, on ne remettait qu’aux soldats sur le terrain que le strict nécessaire. Les cigarettes étaient devenues un luxe, même pour un civil.
De temps en temps, Pasquier allumait son talkie-walkie pour savoir où en était la recherche d’une station du côté de Matthieu, et comme il s’y attendait, celui qui était resté au château d’eau ne captait pour le moment que de la neige.
De la neige réelle qui devint plus épaisse en arrivant près d’un rempart qui entourait le vieux centre-ville, c’était de là qu’ils venaient par ailleurs. Avant de se retrouver bloqués ici, ils étaient passés devant le port et une bonne partie du centre-ville. Il ne manquait plus que cet endroit assez large : d’un côté; une route bordant une zone plus profonde descendant jusqu’à une rivière gelée, constituant les douves de ces remparts hauts de dix mètres environ ; de l’autre, un mur qui coupait une pente, montant vers une autre route entourée d’arbres.
Pasquier avait un vague souvenir de cet endroit avant que la guerre ne commence. C’était en constante activité, avec beaucoup de voitures bouchant la route ; des fleurs décoraient les lampadaires et de nombreux jardiniers s’occupaient beaucoup de l’endroit le long des murailles afin d’attirer les touristes. Aujourd’hui, il n’y avait que quelques voitures mises en travers et d’autres qui étaient déjà garées le long d’un mur de l’autre côté de la route.
“On va continuer ici à pied. J’ai pas envie de bloquer la caisse, c’est la dernière zone et après on rentre.”
Les deux soldats obéirent. Visiblement, le capitaine savait parfaitement de quoi il parlait. Puis ce n’était pas difficile de deviner qu’avec un terrain en pente comme celui-là, le risque d’éboulement ou même de petite avalanche pouvant ensevelir la voiture n’était pas loin.
Marcher dans trente centimètres de poudreuse n’avait rien de réjouissant, surtout avec un froid pareil, mais les visages des deux compagnons du capitaine ne montraient que de la gaieté. En effet, après ce contrôle, et avoir passé le message comme quoi la zone était déserte, ils étaient bons pour une permission de plusieurs mois, c’était sûr et certain. Ils étaient sur le terrain depuis le début du conflit, certains d’entre eux étaient encore adolescents quand tout cela était arrivé.
Famas contre la poitrine, canon vers le sol, ils se mirent en marche au milieu de la route. Logiquement, se mettre à découvert était du suicide sauf que tous ici voulaient en finir une bonne fois pour toutes. Après tout, s’il restait une présence ennemie dans les parages, ils se seraient montrés depuis longtemps. Si ça se trouve, tous les poneys présents dans la zone étaient encore dans ce sous-sol, c’est-à-dire mort.
Alors qu’ils étaient au milieu de la rue, la radio de Pasquier se mit à grésiller. C’était Matthieu, très émotif dans ses paroles. Le signal ne passait pas correctement cependant, on dut lui demander plusieurs fois de répéter ce qu’il disait pour comprendre.
“Parlez plus doucement soldat, que se passe-t-il.
-J’ai... signal ! ... Base !... Je répète ! J’ai un signal ! Celui de la base centrale !”
Les regards des deux autres soldats se tournèrent alors vers le capitaine. Ils n’attendaient qu’une chose, surtout que dans le talkie-walkie, Matthieu demandait ce qu’il en était de la situation. Une seule phrase, c’est tout ce qu’ils devaient dire.
“Le secteur est...”
Un sifflement de balle suivi d’une détonation de coup de feu, l’empêcha de finir sa phrase. Par expérience, Alan comprit immédiatement que le capitaine venait de se prendre une balle en pleine poitrine, elle l’avait transpercée, car du sang avait giclé de son dos et taché la neige.
“À couvert !” hurla-t-il avant que Pasquier ne s’effondre en arrière.
Ils mirent chacun derrière à croupi derrière des voitures garées. Et juste à temps. D’autres coups de feu, plus proches, se mirent à claquer contre les carcasses rouillées par le gel, forçant les deux soldats à baisser la tête. C’est lorsqu’un bruit de fin de chargeur vide se fit facilement reconnaitre qu’Alan en profita pour regarder par dessus la voiture.
Il vit une arme se cacher précipitamment vers une autre voiture, elle était entourée par une aura verte. Une licorne devait se trouver dans les parages, et il devait y en avoir une autre si on avait fait feu avec un sniper, car eux seuls étaient capables de se servir d’une arme humaine. Par ailleurs, ce dernier fit feu en manquant de peu sa cible lorsque le lieutenant voulut jeter un oeil à son capitaine encore à terre. Mais toujours vivant, bien que sa respiration était saccadée à cause du sang qui remplissait l’un de ses poumons.
“J’l’ai vu ! chuchota Mathieu vers son supérieur. Il est caché derrière les remparts, j’peux l’avoir facilement !
-Faut d’abord qu’on sorte le capitaine de ce merdier !”
Il se mit à songer quelques secondes le temps de trouver un plan, essayant de ne pas se laisser déborder par ce guet-apens pouvant définitivement les tuer. Et malheureusement, l’unique chose à faire dans ce genre de situation était d’improviser du mieux que possible.
“Ok, je sais ce qu’on va faire. Toi, tu vas faire des tirs de couverture vers le sniper pendant que moi je vais progresser vers le capitaine en tirant vers la licorne planquée vers les bagnoles. Préviens-moi si il y a d’autres ennemis.
-Très bien, approuva Matthieu en chargeant son famas. J'attends ton signal.”
Chacun le cœur battant à vive allure, les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux, voyant si l’un d’entre eux était prêt à affronter l’ennemi, prêt à mourir si les choses ne se passaient pas comme prévu. Un hochement de tête d’Alan, ce fut ça le signal.
Se levant à peine, le caporal se mit à mitrailler la position du tireur pour le forcer à se cacher, et peut-être même le toucher. Cela permit au lieutenant de marcher vers son supérieur, arme en joue. Et par chance, au lieu de forcer la licorne à ranger sa mitraillette, une balle parvint à toucher le fusil assez fort pour l’envoyer valser hors de l’aura magique. Alan pria ensuite pour que l’arme soit inutilisable quand l’ennemi remettra ses sabots dessus. Cela lui laissa le temps d’aller vers son capitaine qui avait constamment la main pressée contre sa blessure. Il se baissa en le prenant par les épaules puis commença à le traîner vers une autre voiture garée pour le mettre à couvert.
“On va vous sortir de là, capitaine.
-Alan, devant toi !”
Son camarade l’avait prévenu, mais trop tard. La première chose que pu voir Alan dans son champ de vison fut une porte de voiture lui foncer droit dessus, le percutant d’une telle violence qu’il fut propulsé à plusieurs mètres derrière lui contre un autre véhicule. Sonné par le choc et la douleur, un goût de métal dans la bouche, il reprit difficilement ses esprits avant de relever la tête. Un grand terrestre noir le surplombait ; les sabots avant levés, dont un qui avait la porte de voiture attachée en guise de bouclier, prêt à s’abattre sur lui pour le tuer.
Mais un puissant coup de sniper transperça le ventre de l’équidé jusque dans le cou, le tuant immédiatement en projetant du sang partout autour dont une bonne partie dans le visage d’Alan. Le jeune homme avait beau avoir vécu des affrontements lors de l’invasion, tous aussi violents les uns que les autres, il ne s’y habituerait jamais.
“La prochaine fois, garde les yeux ouverts !” prévint le capitaine qui avait son arme entre les mains.
Doucement, grimaçant de douleur, Alan se releva pour porter secours à son supérieur. Mais une autre balle vint se loger dans la poitrine de Pasquier, et cette fois du bon côté.
“Oh merde ! cria-t-il en voyant son supérieur succomber.
Comme lui, Mathieu vit le macabre spectacle se dérouler devant ses yeux. Il savait d’où venait la balle alors sans perdre de temps, il braqua son canon vers un endroit bien précis des remparts et vida son chargeur sur le sniper. Avant même d’avoir fini de tirer, le corps d’un poney se mit à basculer dans le vide, déjà mort avant de toucher le sol.
Deux cibles sur trois avaient été éliminées, mais de leurs côtés, ils avaient eu un mort, et la plus précieuse des trois. Alan mit un certain temps à reprendre ses repères alors qu’il était encore sous le choc d’avoir pris une porte de voiture en pleine face et d’avoir vu l’exécution de son capitaine. Ce fut une voix qui le renvoya à la réalité.
“ej em dneR ! en em zeut saP !”
Elle provenait d’une autre voiture, la voix était claire, mais masculine. Immédiatement, Alan et Mathieu se remirent en position de combat, marchant lentement vers l’épave ou se cachait l’étalon, prêt à le transformer en passoire si ce dernier tentait un piège ou quoi que ce soit de suspect. Car même si l’envie y était, il ne pouvait pas tirer sur ce poney qui se jeta dans la neige hors de sa cachette, les sabots avants sur sa tête.
“Bouge pas ! cria le caporal en renforçant sa visée. Si tu bouges, t’es mort enfoiré !
-Il comprend pas espèce de crétin, prévint Alan pour ne pas le laisser parler dans le vide plus longtemps. Va jeter un oeil aux alentours pendant que j’me charge de lui.”
Quand il parlait, sa voix était sombre, tout comme son regard qui fusillait la licorne qui tremblait de toute sa chaire, et pas à cause du froid. Son sort était déjà connu, parce que quel que soit le camp, faire des prisonniers était devenu un luxe, sans compter que ses camarades avaient tué leur supérieur. Toutes les conditions étaient réunies pour déguster un plat bien frai tel que celui de la vengeance.
Alan s’approcha du poney jusqu’à se baisser, puis sans prévenir, il donna un coup de crosse sur la corne assez fort pour le faire crier, pleurer, et lui faire comprendre qu’on n’allait pas y aller avec douceur s’il ne coopérait pas. Le lieutenant était surtout sûr qu’avec ce coup, il ne pourrait plus utiliser sa magie avant un moment au cas où ce dernier tenterait de s’attaquer à eux.
“Fais ce qu’on te dit et peut-être que tu auras plus de chance que tes potes.”
L’étalon écarquilla les yeux, surpris de voir qu’un humain savait parler l’equestrien sans difficulté. Il restait peut-être un espoir dans ce cas.
“S’i vous plaît ! Sortez moi de...
-Ferme-là ! coupa-t-il avec virulence en lui donnant un nouveau coup de crosse pour ensuite retourner l’arme vers sa tête. Tu vas répondre à mes questions, et je te jure qu’elles ont intérêt à être bonnes ou sinon j’te jure que tes camarades auront eu de la chance à côté de ce que je vais te faire subir.”
Le poney déglutit. Il prit très au sérieux les menaces de ce soldat qui le terrifiait comme jamais. Il allait probablement mourir de toute façon, mais dans ce cas autant que cela se fasse vite. Peut-être qu’avec cet humain parlant sa langue, il avait une chance de survivre.
“Alors, écoute-moi bien. Combien reste-t-il encore de poneys dans le secteur ?
-Y... Y’avait plus que nous...
-Te fou pas de ma gueule ! cria Alan en appuyant le canon du Famas sur la tête de sa prise.
-C’est la vérité ! Je le jure ! Je le jure sur la tête de ma femme ! Pitié !
-Si ce que tu dis est vrai, c’était quoi ce groupe de poney que l’on a vu à la frontière de la ville ? Tu dois les connaître, j’imagine...
-Oui ! Ils étaient partis se rendre à cause du manque de nourriture, et aussi parce qu’on a eu une grosse dispute avec notre chef, ils ont préféré s’en aller en espérant trouver une solution plutôt que de mourir de froid. Vous... Vous les avez tués ?
-Non, dit-il en se relevant un peu, mais en gardant son arme pointée vers le poney. On les a retrouvés congelés sous un bâtiment avec une unité de reconnaissance à nous. Il est où votre chef ?
-Vous l’avez tué, avoua-t-il en regardant vers les remparts. C’était le sniper, c’était aussi une licorne solaire.
-tse-uQ ec li’uq etnocar ?” intervint Mathieu en revenant du lieu cité par le poney vaincu.
En reprenant sa langue natale, Alan expliqua de bout en bout ce que lui avait dit le prisonnier. En conséquence, le caporal sortit de sa poche une médaille dorée, représentant un symbole devenu plus que connu depuis maintenant bien longtemps.
“Elle venait du sniper, confirma-t-il. Ça veut dire que notre petit poney là a décidé de vider son sac, tu penses pouvoir lui soutirer plus d’info ?”
Ce fut la radio du lieutenant qui répondit à sa place. Francis était de l’autre côté, criant sans relâche pour qu’on lui donne des nouvelles après avoir été coupé par un coup de feu. On ne pouvait pas lui mentir, et chacun des deux hommes savait ce qui allait se passer quand la base saurait que l’unité de reconnaissance avait subi une attaque. Au lieu de répondre, il balança sa radio au caporal. Pas besoin de lui faire comprendre que ça allait être lui qui allait devoir annoncer la mauvaise nouvelle.
“Je veux pas faire ça ! protesta-t-il. Les potes à la base vont me tuer si...
-Je m’en cogne ! Je suis assez occupé comme ça si ta pas encore remarqué.”
Mathieu prit alors de la distance pour s’entretenir avec Francis sans risquer d'énerver plus que ça son supérieur apparemment très énervé. Et il savait pourquoi, cette simple mission de surveillance qui allait les faire sortir de ce trou à ras, venait non seulement de tourner au cauchemar, mais en plus prolonger leurs séjours ici pour un petit moment. Ça ne pouvait pas être pire que ça.
“Es-tu certain qu’il ne reste plus aucune unité equestrienne dans le coin ? redemanda Alan en reprenant la langue poney.
-Certain ! Plus rien ! On était les seuls qui occupions ce que vous les humains vous... Vous appelez la Bretagne.
-C’est pas possible, le territoire est trop grand pour que vous soyez les seules...
-Je vous le jure ! insista l’étalon. Notre licorne solaire a perdu le contact avec les autres unités une par une durant les dernières années. Le dernier message remonte à la grande tempête de cet hiver. L’unité du nord disait qu’elle ne tiendrait plus que quelques heures puis après plus rien ! C’est à cause de ce message que nous nous sommes séparés.
-... -Donne-moi une bonne raison de te croire, fit Alan très surpris de voir un ennemi vider autant son sac.
-Je veux plus rester ici ! avoua le poney entre deux sanglots. Je veux rentrer chez moi ! J’ai voulu rejoindre le groupe qui était parti, mais mon chef a lancé des menaces. Il... Il disait que si je désertais, ma femme allait en subir les conséquences !”
Sur le coup, le lieutenant ne pouvait que le croire et pas seulement en constatant l’état psychologique du poney qu’il braquait sans cesse. Il savait de quoi était capable une licorne solaire pour arriver à ses fins, prêtes à tout pour ne pas faiblir devant l’ennemi, elle avait été engagée par Celestia en personne pour commander les unités en charge d’occuper les lieux. La plupart d’entre elles possédaient une puissance magique très élevée, pouvant réduire un humain en cendre ou le tuer à n’importe quelle distance en un clin d’oeil, parfois même à la louche. Comme quoi ils avaient eux de la chance - sauf le capitaine -, celle-ci devait être fatiguée pour être obligée d’utiliser une arme humaine pour se défendre. Mais malgré ça, elle résistait et gardait les lieux au péril de sa vie et celle de ses camarades.
Une licorne solaire ne s'écroulait jamais devant un humain, prête à se faire sauter la cervelle plutôt que de parler contrairement à cet étalon qui venait de tout révéler.
Une tape dans le dos d’Alan fit sortir ce dernier de sa réflexion. C’était Mathieu, une expression déconfite, qui lui tendait la radio. Visiblement, les nouvelles n’étaient pas bonnes, encore moins si on demandait à ce que ce soit au lieutenant de faire un rapport. On coeur manqua de battre lorsqu’il reconnut la voix du général dans le talkie-walkie.
“Qu’est-ce qui s’est passé !? hurla-t-il.
-On vient de neutraliser la dernière unité equestrienne de la région générale. Mais... nous avons perdu le capitaine Pasquier dans l’embuscade, un sniper l’a...
-Comment est-ce que cela est possible ? Il ne devait plus y avoir un seul poney dans le secteur, il doit forcément y en avoir d’autre si...
-C’est faux général. Je viens de faire parler le dernier d’entre eux, et je vous assure qu’il me dit la vérité. Il affirme que les derniers survivants sont morts pendant la tempête de cet hiver...
-Nous ne pouvons pas en être sûrs tant que nous n’avons pas fouillé la zone.
-Général écoutez-moi...
-Rentrez à la base. Nous définirons notre prochain lieu de patrouille. Débarrassez -vous du dernier poney et ramenez le corps du capitaine Pasquier. Terminé.
-Général écoutez-moi. Général !... ET MERDE !”
Littéralement en furie, Alan jeta la radio contre un mur, incapable de contenir sa colère sur les ordres du général. Cela avait fait sursauter le poney, mais pas Mathieu qui se contentait de rester droit, encaissant le fait que lui et tout le reste de ses camarades allaient rester encore dans cet endroit vide et froid alors qu’ils étaient à deux doigts d’aller en longue permission sous le soleil chaud d’Algérie.
Alan lui ne cessai de vomir des insultes envers son supérieur, en lui promettant une mort lente après avoir violé son chien jusqu’à l’os. Il ne pouvait déjà pas le voir, là il était vraiment prêt à le massacrer. Mais pour le moment, il allait devoir exécuter ses ordres, à commencer par tuer ce prisonnier. Il sortit son arme de poing, un Desert Eagle bien chargé, pour la braquer vers le poney sans même lui dire ce qui allait lui attendre bien qu’il s’y attendait. Mais soudain, il se rappela que l’étalon avait plus que jamais coopéré, qu’il s’était rendu, n’avait blessé personne, et qu’une famille l’attendait. Il ne pouvait pas faire ça.
“Fait-le, adressa-t-il à son caporal.
-Va te faire voir ! rejeta-t-il avec virulence. J’ai déjà dû annoncer la nouvelle mauvaise , et faut que je me tape le sale boulot en plus ?
-C’était pas une question caporal ! Exécutez le prisonnier immédiatement ! Toi qui aimes tuer du poney en plus...
-Justement ! Toi j’t’en ai pas vu en tuer beaucoup ces derniers temps, et tu parles vachement bien leurs langues. C’est bizarre...
-Tu oses douter de ma loyauté !?
-Prouve-le ! relança-t-il en poussant le pistolet vers le condamné. Et pour rien te cacher, je suis pas le seul à penser ça. Personnellement j’en ai rien à foutre que tu me mettes aux arrêts pour t’avoir désobéi, parce que rester ici encore longtemps ça peut pas être pire.”
Sur ce point, Mathieu avait raison. Leur dire de garder cet endroit froid et vide alors qu’on leur avait promis le soleil chaud et du repos, c’était la pire des solutions. L’hiver avait été mortel, qu’en serait-il du prochain s’il tenait jusqu’à là ? Ce problème était de taille, il allait être encore plus grand si Alan allait devoir vivre dans une base où on le verrait comme un traître, ce qui n’était pas le cas bien entendu, mais avec une tension aussi élevée qui allait s'aggraver en restant ici, on pouvait se mettre à croire n’importe quoi.
Alan ne voulait pas tuer ce poney qui s’était montré très coopératif, qui avait une famille également, mais c’était ça ou vivre un enfer avec ses camarades. Il savait aussi que le tuer d’une balle ne suffirait pas à prouver qu’il n’était pas avec les poneys si Mathieu l’avait forcé. Le lieutenant qu’il était allait donc devoir montrer l’exemple, faire quelque chose qui allait faire tout le monde à jamais. Il allait aussi regretter son geste pour toujours.
Alan se baissa en rangeant son arme pour prendre à la place des serres en plastique. Avec fermeté, il poussa le poney sur le côté puis commença à attacher ses pattes avant entre elle, puis pareil pour l’arrière. L’étalon ne protesta même pas, il se dit même qu’on allait l’embarquer pour le faire prisonnier, rallongeant donc un peu son espérance de vie. Mais s’il comprenait la langue française, ce dernier saurait alors qu’il était loin du compte.
“Tu branles quoi là ? s’entêta Mathieu en regardant son lieutenant. On t’a dit de le buter !
-Ce serait trop facile de le faire comme ça, pas après ce qu’ils ont fait à Pasquier.”
Le jeune homme s’écarta alors du poney pour lui faire comprendre qu’on allait le laisser comme ça, allongé dans la neige dans l’incapacité de bouger. Il savait maintenant qu’il allait mourir, mais qu’on ne lui laisserait pas le luxe de faire ça rapidement, ce qui le fit paniquer, gesticuler sur place misérablement.
“Ta pensée à sa magie ? Il va enlever les bracelets quand on sera parti.
-Ah oui c’est vrai, excuse-moi.”
Sans crier gare, Alan sortit son arme et tira une balle dans la corne du poney afin de la pulvériser. Le geste fit sursauter le caporal, car il savait exactement qu’il coûtait à une licorne de perdre son appendice frontal. On dit que la douleur était égale à se prendre une balle dans le crâne sauf qu’on ne mourrait pas. De plus, il était impossible pour une licorne de survivre sans elle dans un milieu aussi hostile, surtout avec les pattes attachées. L’étalon hurlait à s’en arracher les cornes vocales, se tortillait dans tous les sens. Il saignait abondamment, tellement que la neige tout autour de lui changea très vite de couleur.
Son agonie allait être lente, douloureuse et cauchemardesque dans cette solitude gelée.
Même Mathieu qui n’avait aucun ne remord à tuer du poney, ne pouvait s’empêcher de trouver ça atroce, car ils avaient beau avoir une apparence animale et parler une autre langue, leurs cris étaient humains. Et même dans la voiture, après avoir mis le corps de Pasquier à l’arrière, on pouvait encore l’entendre hurler. Alan montrait aucun signe de dégoût au volant, n’ouvrit pas une seule fois la bouche pendant le voyage, même après avoir pris Francis au château d’eau. Par contre, il savait que son acte serait puni chaque fois qu’il fermerait les yeux.
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Lol.
Je vais pouvoir répondre à @Vuld surtout que je suis hypé sur cette fic que je gratte pas mal en ce moment. Je suis quasiment d'accord avec toi sur tous les points, y'a la balle de lourdeur, mais faut dire que ce chapitre date pas mal, et que mon style était encore très mauvais (pas qu'il soit mieux maintenant mais bon).
Après je te cache pas que j'ai vraiment envie de prendre mon temps sur cette fic, d'exposer les choses quitte à vraiment en rajouter. C'est la première fois que je fais un post apo et j'ai pas envie de précipiter les choses, surtout que, pour que les choses en soient là, il s'est passé tellement de chose insensé, tellement bullshit que je pense que ce sont sur ces choses là que tu vas me tomber dessus.
Après, je vous cache pas que j'ai envie de me lâcher, d'aller à mon paroxysme de mes moyens et de casser les codes, même de là à être incohérent avec certaines choses pour y parvenir. Je veux faire une guerre, dans sa globalité, du début, en passant par le point de non retour, jusqu'à son terme. Et il se passe tellement de chose que je suis pas sûr d'être certain de finir, cette histoire est beaucoup trop ambitieuse...
@Toropicana, @Vuld, mon cher renard sagace, inutile de vouloir me mordre. ^^ Il n'est point dans mon intention d'une accusation d'un quelconque plagiat. j'ai simplement demandé car je trouve que vos univers sont quand même assez proche niveau similitude, d’où ma demande de suite éventuel. On peux pas dire que des textes qui parle d'invasion de la Terre par Equestria soit franchement monnaie courante.
D'ailleurs peiné je fus de voir que ton histoire (Bronify) avait l'air d'être abandonné. Envie de t'arracher les poils avec une pince a épilé pour que tu la continu j'avais. ^^ (Humour, je précise.) Je suis content de voir qu'elle aura une suite.
Je vous laisse désormais tranquille messieurs et me met en mode attente de vos prochains chapitres que je lirais avec plaisir.
l'atmosphère est géniale j'ai cru lire un épisode de " Band of Brothers ".
Et la cruauté de la guerre est bien la. Cette mise à mort, mon dieu que c'est violent
J’espère que tu iras au bout de cette fic car elle me plait ^^.
Si vraiment c'est moi qui m'inspirerai de lui (pour le comportement des soldats) quand je reprendrai Bronify.
@jurkyn merci beaucoup !
@Vuld je prend note, j'aurais voulu plus argumenter mais j'ai 39 de fièvre, donc ça attendra.
Je demande car Bronify, notre cher Renard ne la jamais fini, c'est dommage car a part le début un peu longuet, une fois démarrer pour de bon, j'ai accroché avec ce conflit ho combien traité de manière réaliste. Un vrai reportage de terrain cette fic niveau description. J'aurais bien aimé en connaitre les tenants et aboutissants de cette guerre sanglante.
Sinon j'espère qu'on aura des infos sur comment Luna est morte, sur cette glaciation de l'Europe, l'occupation par les poneys et le fin mot de cette invasion de la Terre par Equestria.
Pour le reste, j'aime bien et j'ai clairement envie de connaitre la suite.
Dans les phrases pour commencer :
"Il s’était fait réveiller de toutes les manières possibles, doucement comme violemment, si bien qu’il mit du temps à remarquer que ce matin-là on le réveillait en lui secouant l’épaule avec vivacité."
Tu as souvent le besoin de préciser ou de détailler quelque chose, et c'est louable pour la clarté mais "doucement comme violemment" n'ajoute pas grand-chose et "avec vivacité" répète "secouant".
Je prends une autre phrase au pif :
"Les vitrines laissaient à peine passer la lumière du soleil due au gel et la poussière qui les recouvrait."
La moitié de la phrase est une précision et certes c'est utile de rappeler qu'il fait froid et que c'est vieux, mais :
"Les vitrines laissaient à peine passer la lumière à travers le gel et la poussière."
Et si on veut vraiment compacter à mort :
"La lumière filtrait à travers le gel et la poussière."
Mais pas besoin d'aller dans les extrêmes non plus. Juste, le texte gagnerait beaucoup, énormément, vraiment, à reformuler les phrases pour en réduire la longueur.
Les paragraphes souffrent un peu du même problème :
"Aziz, on ne voyait même plus sa peau matte à cause de la glace qui l'emprisonnait. (...) Mais ce n'était pas ce qui attirait l'attention d'Alan qui (...) Elle devait être hors d'usage, mais pas les données qui devaient s'y trouver à l'intérieur."
Bon déjà, la dernière phrase, "à l'intérieur" pourrait être coupé mais je n'y reviens pas.
Ici le problème est plus qu'on passe trois phrases à "décrire" Aziz, puis en gros une phrase à changer de sujet, puis deux phrases à parler de la caméra. Du coup :
- Soit le but du paragraphe était de décrire la caméra, et alors pourquoi on a passé deux phrases de plus à causer d'Aziz ?
- Soit le but du paragraphe était de décrire Aziz, et alors pourquoi on passe deux phrases sur la caméra ?
- Soit le paragraphe veut faire les deux choses à la fois et on perd le but de vue.
Et ce n'est pas que le contenu du paragraphe est mauvais. C'est juste qu'écrit comme ça, ça donne une impression de lourdeur, qu'on s'attarde sur des choses sans savoir pourquoi. Alors que ces mêmes choses pourraient très bien passer.
Si je me concentre uniquement sur la caméra :
"La même glace qui blanchissait Aziz rendait presque invisible une petite caméra dans la poigne de l'algérien. Et il y avait bien tout le reste, tout ce à quoi Alan était habitué, comme le un corps de poney allongé dos à dos avec lui, mais c'était la caméra qui attirait l'attention d'Alan. La caméra, forcément hors d'usage, mais pas les données à l'intérieur."
Quasiment la même taille, mais information entièrement réorganisée pour que, tout du long, on ne parle que d'une chose avec l'impression de progresser à mesure. Même chose en se concentrant sur Aziz ?
"Aziz, on ne voyait même plus sa peau matte à travers la glace. Comme beaucoup d'autres, il partageait sa tombe dos à dos avec une carcasse d'étalon. Les membres s'étaient raidis, les habits comme délavés et le visage conservé dans ses dernières secondes. Il tenait une petite caméra, l'algérien, grosse comme une boîte d'allumettes, et qui pouvait encore contenir des données."
Et bon là je réécris au pif mais c'est l'idée : Reformuler, réorganiser les paragraphes pour qu'on n'ait jamais l'impression de digresser (et cela indépendamment de l'information réelle contenue dedans).
Aussi, je m'excuse si l'exemple est mauvais, j'ai pris un paragraphe au pif.
Enfin, j'étendrais cela aux parties du chapitre.
Et là je retrouve un problème que j'ai avec le Jolly Roger. Le Jolly Roger est un texte classique. On a la partie du jeune sur les quais, on a la partie où qu'il se fait recruter, la partie blablabla voyage, la partie pirates, la partie où qu'il se fait remarquer, je n'ai même pas eu besoin de lire le texte pour savoir à tout moment où j'en étais.
Zero Dark Winter n'est pas classique. Il est beaucoup plus difficile d'en deviner les parties et donc tout aussi difficile de deviner combien de temps elles vont durer, combien il y en a et ce qui devrait suivre. Et c'est une bonne chose, mais c'est une navigation à l'aveugle.
Alors avec le recul, c'est simple.
Y a un camp, y a un lieutenant, y a un général qui arrive et on va poser une antenne.
Dans les faits : six pages. En six pages on s'est réveillé, y a un tout-terrain "de guerre" qui est arrivé, on a parlé avec un général et on est parti poser une antenne. C'est long, six pages. Et autant Bronify faisait exprès d'aligner les pages, en détaillant à l'extrême des mouvements à l'échelle d'un bataillon, autant là on a juste quatre types dans un camp de fortune. Six pages pour en arriver à "voilà quatre types qui vont poser une antenne".
Je ne sais pas comment bien formuler ça parce qu'au fond, mettre six pages pour en arriver là n'est pas un problème. C'est juste qu'en six pages je n'ai quasiment rien appris. J'ai l'impression qu'on me fait regarder un film, et qu'on me décrit laborieusement les plans caméra. Un peu comme si je jouais à Counter Strike en mode texte.
Il faut presque une page pour qu'Alan ouvre les yeux. Dammit. Une demi-page est dédiée au réveil du héros, et c'est seulement après ces informations cruciales qu'on me pose le décor. Une demi-page pour sélectionner trois hommes.
Et une fois encore je suis mal placé pour critiquer ce point, vu l'obsession de Bronify à donner des infos aussi accessoires que "voilà où étaient les munitions de tels mortiers dont on reparlera plus pendant quinze pages", mais autant c'est justifiable de passer une demi-page à sélectionner trois hommes, autant il y a des informations qui sortent de nulle part. "Durant un petit instant, le capitaine les observa." Et paf, un pavé de pensées sur les gratte-papiers qu'on aurait pu résumer par :
"Durant un petit instant, le capitaine les observa. Il n'aimait pas confier ses hommes aux gratte-papiers."
Un petit instant on a dit. Je suis sûr que c'est fascinant la manière dont le gouvernement s'organise en Algérie, mais l'Algérie j'y suis pas et les pensées du bon capitaine qui va rester au camp j'en ai un peu ranacirer. Toutes mes excuses mais voilà. Les phrases sont déjà longues, les paragraphes ont tendance à s'allonger alors je n'ai vraiment pas besoin d'être ralenti encore plus par ce genre d'histoires.
Arrivé à six pages, j'aimerais accrocher et je vais continuer à m'accrocher. La guerre humain-poney forcément ça me parle, l'angle abordé m'intéresse et là où normalement je t'aurais descendu en flèche pour cette organisation militaire de préau, en fait ça rend au contraire le texte beaucoup plus intéressant : parce que oui, vu leur situation, cette organisation se justifie. Je vois ça comme des jeunes recrues envoyées en catastrophe au sein d'une société qui s'est effondrée. Et c'est cool.
Mais il faudrait vraiment reformuler, couper dans les pavés, aller à l'essentiel. Ce qui est ironique vu qu'on dit toujours aux débutants d'étoffer, de développer.
Je le dirais autrement.
Tu pourrais écrire un chapitre entier sur la seule arrivée arrivée du général, t'arrêter au moment où ils vont partir et faire durer ça huit pages. Le problème n'est pas d'étoffer le contenu, ça c'est bien. Le problème est d'étoffer encore plus la forme, d'où cette impression de lourdeur.
Enfin bref, tout ça quoi.