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Silence

Une fiction écrite par Vuld.

10. Égalité

Pénombre bleutée. C'était la nuit, le petit chien aboyait. Twilight se redressa en sursaut et, la voix encore ankylosée, lui asséna de se taire.

Le chiot était tendu vers la fenêtre ouverte. L'air tiède gonflait la pièce. Dehors, la ville était tranquille. Encore un aboiement bref, encore un reproche et le silence fut rétabli. Le chien tout penaud sembla s'affaisser sur lui-même et la pénombre rendit aux meubles leurs ténèbres.

Twilight se laissa retomber sur son lit, soupira et songea qu'elle n'arriverait plus à se rendormir. Dans un coin de sa tête, la crainte que ses parents aient été réveillés. Elle se resserra sur elle-même. C'était aussi bien. Elle n'avait pas vraiment envie d'être demain.

Son oeil s'était habitué à la semi-obscurité. Là, sur la table de chevet, il y avait son téléphone. Juste à côté du réveil et de son vieux livre d'arithmétique. Une heure et quart paralysées au milieu de la nuit. Et rien à faire.

Une petite secousse. Le chiot avait gravi le lit pour venir se blottir contre ses jambes. Elle grogna, se tourna un peu, se tourna encore puis, avec un soupir, se redressa.

Puis elle saisit son téléphone.

Sa messagerie était pleine de messages de l'autre garce. Elle se mit à les effacer mécaniquement un à un, et à mesure ici et là d'autres venaient s'ajouter dans la place libre. Deux messages de sa mère, qui dataient de deux jours et qui firent grimacer Twilight. Encore l'autre garce. Un message de madame Airglow. Elle se murmura à elle-même de faire un peu plus attention à ses appels.

Un message de Shining. Il était arrivé tardivement, en dernier, alors que la boîte était quasiment vide. Twilight surprise observa la date, et c'était le jour même, comme dans le jour même, comme dans il y avait à peine plus d'une heure. Elle tourna la tête vers le réveil, regarda à nouveau le message et l'ouvrit. Envoyé il y avait quelques minutes seulement. Le contenu était totalement vide.

Elle se frotta les yeux. L'écran qui devait être trop lumineux. Puis, sans trop réfléchir, elle se mit à tapoter un message de réponse, un peu hasardeux, et dans une dernière hésitation elle l'envoya.

Puis elle attendit. Et dans les secondes qui suivirent, la sonnerie la fit sursauter. La voix de son frère à l'autre bout de l'appareil.

« Depuis quand t'as un téléphone ? »

La famille ne lui avait pas encore dit. Elle était censée dormir la nuit, il n'était pas censé répondre aux appels. Elle voulut savoir s'il avait fini son service : « Euh, pas vraiment… » Et, pour changer de sujet, de demander où était Spike. Un jappement plus tard, Shining amusé demandait si sérieusement leur mère avait autorisé un chien dans la chambre de Twily.

Pas seulement autorisé. C'était leur mère qui l'avait forcée à le prendre. Tout pour consoler la pauvre petite victime.

« Tout va bien, à l'école ? » Demanda Shining d'un ton plus inquiet.

Twilight se leva. Tapis un peu froid sous la plante des pieds.

« Oui ! Oui, ça va. Non, pas vraiment. En fait, pas du tout. Mais je vais me débrouiller ! » S'empressa-t-elle d'ajouter. « Je veux dire, c'est un peu ma faute aussi. »

« Même toi tu n'y crois pas. » Répliqua son frère. « T'y es pour rien, c'est un esprit de meute, je connais ça, les laisse pas te bouffer. Tu leurs mets des eh, euh, tu dis rien à maman ? »

Ils s'accordèrent pour ne rien dire à maman et Twilight, en s'approchant de la fenêtre, jeta un regard derrière elle, baissa la voix d'un ton. Aucun bruit dans la maison. Elle se pencha sur le rebord, profita de la lumière diffuse au loin des réverbères.

Certaines choses ne changeraient jamais.

« Ce genre de filles ne comprennent que la force. Faut rien céder, rends coup pour coup. »

« C'est vraiment ce que tu penses ? »

Pas de réponse. Là-bas, il y avait un grand-frère habitué à défendre sa soeur. Ici, il y avait une soeur habituée à ne pas déranger son frère. Twilight se sentit un frisson, la fraîcheur peut-être.

« Moi je pense » reprit Twilight « qu'il y a juste une idiote qui croit que je vais faire exploser l'école et qui est prête à tout pour sauver ses amies. Et je pense que ses amies n'y croient pas mais veulent tout faire pour l'aider et la protéger quand elle a des ennuis. Et puis, tu sais, je pense qu'elle a peut-être raison. »

Regard au petit chien assis bien sagement derrière elle. À la bille bleutée à son collier. Elle reprit : d'après les mesures, la bille pouvait théoriquement dégager une énergie équivalente à un virgule sept térawatts. Par seconde. Théoriquement.

Alors ce n'était pas une question de qui avait tort ou qui avait raison. De qui était gentil ou qui était méchant. « Je veux juste… » tenta Twilight, avant de s'arrêter. Juste qu'on lui fasse confiance. Juste qu'on la laisse étudier cet objet, ce phénomène, qu'elle le comprenne, qu'on arrête de la prendre pour un inconsciente. Parce qu'elle ne voulait nuire à personne, Twilight Sparkle. Elle voulait juste qu'on la laisse apprendre.

« Attends, eh, pas de blagues. Tu dis que cette bille est une bombe ? »

L'inquiétude du grand-frère trop loin de sa petite soeur.

« Tu imagines si ça explosait sans crier gare ? » Fit mine de rire Twilight. « Tu passerais ton temps à angoisser. Tu imagines, aller chaque jour t'enfermer avec tes amies dans un bâtiment sur le point d'être vaporisé ? Bien sûr qu'elle fera tout pour l'éviter. Pourquoi elle me ferait jamais confiance… »

Et, le coeur un peu plus lourd :

« Au fond, c'est moi l'idiote. »

« Non mais attends si c'est une bombe faut que tu t'en débarrasses ! »

Comme un soldat devrait se débarrasser de sa grenade. Elle ne l'écoutait plus vraiment, ce sentiment de distance à nouveau au coeur et le regard trop pesant, trop trouble. Elle s'excusa, mit fin à la communication et serra le téléphone dans sa main. Des idées trop sombres pour vouloir y songer.

Puis elle entendit comme des sanglots dans la nuit. Tout proches. Elle regarda les ombres du jardin sous la fenêtre, remarqua l'échelle tombée dans l'herbe sombre du jardin sous la fenêtre, puis devant l'herbe, contre le mur sous la fenêtre, une chevelure rose bouffie d'une étudiante qui sanglotait.

****

Sonnerie. Twilight reprit la bille, la remit au collier de Spike qui alla se fourrer dans son sac, sous le regard agacé de madame Airglow. Toutes deux firent mine de rien puis, le sac sur le dos, Twilight suivit le mouvement, ferma la porte blindée derrière elles.

« Je suppose que tu rentres directement. » Nota madame Airglow.

« Oh, euh… oui ? »

« Regrettable. J'ai un événement cet après-midi et j'avais prévu de manger à la cantine à midi. Et je vous interdis d'en critiquer les plats. »

« Je peux vous accompagner ? » S'empressa de demander Twilight.

Madame Airglow eut un sourire de triomphe.

Elles avaient rejoint le couloir principal où les étudiantes se pressaient pour fuir ces salles honnies. Ici et là quelques filles isolées entre les groupes, quelques couples qui se faufilaient parmi la masse. Autant de vies qu'elle ne comprenait pas, et Twilight pressa le pas.

Sa classe émergea dans le hall, presque toute entière, un groupe massif qui ressortait des vestiaires et qui gravitait autour de l'étudiante aux cheveux roses. Chacune de son côté fit mine de ne pas voir l'autre, sourires enjoués de l'une et effacement gêné de l'autre. Elles se frôlèrent parmi la foule fendue qui laissait passer la directrice.

« Mes parents peuvent t'emmener, c'est pas un problème ! »

« Non non c'est pas ça ! » Se défendait la meneuse tout sourire. « C'est juste, j'ai un truc cet après-midi, un rendez-vous important ! »

« On peut venir ? » Demanda une autre.

Leur discussion s'éloignait déjà dans le dos de Twilight. Elle les regarda par-dessus son épaule, toutes ces filles s'en aller pour leurs distractions quelconques et qui lui masquaient la vue. Il lui semblait avoir croisé le regard de Pie.

La directrice ne s'était intéressée à rien.

Le concierge avait commencé à laver les sols du réfectoire. Il salua la directrice au passage, offrit un sourire à Twilight puis se remit au travail. La salle semblait à l'abandon sans l'agitation habituelle des autres étudiantes. Deux repas chauds attendaient sous couvert, devant le comptoir abandonné. Un léger bruit de ventilation se mêlait au bruit sec de leurs pas. Tout était austère.

« On s'installe ? » Offrit madame Airglow en prenant son plat.

Twilight prit le sien puis, par réflexe, se dirigea vers sa petite place au fond de la table du fond, contre le mur dans le coin. Elle ne le remarqua qu'en s'y enfonçant, en découvrant que la directrice la suivait sans rien dire. Une fois assises, elle garda les yeux sur son plat.

« Twilight, je peux vous appeler Twilight ? J'ai eu des retours du comité scolaire. En très bref, vous allez être publiée. »

« Publiée ? »

« D'ici la fin du mois, nos premiers résultats seront soumis à la revue Sciences et sports, et vous serez co-auteure. Cela fait, vous pourrez échouer vos études et quand même être prise à Crystal Prep. »

Il y avait de l'excitation chez madame Airglow, de la fierté, mais qui ne prit vraiment que quand la discussion dériva sur les détails de la publication. Deux scientifiques perdues dans leurs élucubrations, au milieu de cette salle vide où leurs voix se perdaient.

« Madame Airglow… » Demanda Twilight.

« Mademoiselle. »

« En fait, j'aurais voulu continuer à étudier le phénomène cet après-midi. Vous pensez que je pourrais avoir accès au laboratoire ? »

« Impossible. »

Impossible parce qu'il y avait trop de matériel sensible, et trop de risques. La directrice ne pouvait pas déléguer autant de responsabilités à une étudiante. Et puis, ils allaient fermer les portes. Bien sûr, madame Airglow comprenait l'empressement de son assistante. Elle aurait volontiers troqué ses obligations pour un après-midi de science. Mais les choses étaient ainsi.

« Je peux, cela dit, » nota-t-elle ensuite négligemment, « vous confier mes clés pour l'après-midi. Avec votre promesse, bien sûr, que vous ne les utiliserez pas. »

Twilight ne comprit pas. La directrice insista. Twilight comprit.

Puis, le repas finit, tandis qu'elles causaient encore tout en débarrassant, Twilight regarda cette dame âgée et se tut. Hésita. Se força enfin.

« Est-ce que vous pensez… » Elle ne savait pas comment dire. Est-ce que la bille était une bombe. Est-ce que l'autre étudiante avait raison. Elle avait beaucoup d'autres questions à poser qui lui venaient toutes en même temps. Est-ce que l'école risquait vraiment d'être détruite, comme c'était arrivé ailleurs.

« Impossible. Et cette fois je suis catégorique : impossible. Faites preuve d'un peu d'esprit critique. Le phénomène dégage beaucoup d'énergie, mais il n'y a aucun déclencheur pour transformer cette énergie en explosion. Et même s'il y en avait un, alors ce ne serait pas l'école qui serait détruite, mais toute la ville. »

Peu importait ce qui était arrivé là-bas, ce n'était pas une bille qui avait explosé. Et cela signifiait que fondamentalement, cette garce ne pouvait qu'avoir tort.

****

Le calme de l'école avait quelque chose d'oppressant. Twilight tira de toutes ses forces pour ouvrir la porte blindée et regarda l'autre étudiante y entrer rapidement. Quelque chose dans son attitude qui lui déplaisait.

« Wah, c'est… je l'imaginais beaucoup plus grand ! Vous ne passez jamais la poussière ? Je parie que je peux dessiner un arbre sur cette table ! »

Coup sourd. Mécanisme. La porte blindée était fermée et verrouillée. L'autre la regarda, l'air un peu décontenancée. Aucune expérience n'était faite sans que la porte ne soit close.

« Et rappelle-toi, » avertit Twilight, « pas de coup fourré. J'ai un chien. »

Le petit chien surgit de son sac, bondit au sol et se mit à grogner. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était une présence rassurante, ça et le flot constant de la ventilation.

« Maintenant montre-moi ce que tu voulais me montrer. »

« D'accord ! » Se reprit l'autre fille. « Mais pour ça j'aurai besoin de la bille ! »

Regard empli de soupçons sur cette main tendue. Twilight s'accroupit, retira la bille du collier de Spike puis, prudemment, elle la lui passa.

Aussitôt l'autre étudiante retira son sac pour en sortir du bric-à-brac, jouets et instruments de musique qu'elle ignora. Elle tira une large carte, l'étendit par terre et invita Twilight à se rapprocher. En même temps, elle tirait de son sac le même pendule qu'au matin. La tête en ivoire, dans cette salle fermée et sous la lumière artificielle, avait perdu tout son éclat.

« Maintenant regarde ! » Annonça-t-elle.

Et une fois la bille posée sur la carte, elle fit balancer son pendule au-dessus. Quelques secondes. Puis quelques secondes encore. Twilight sourcilla.

« Tu vois ? » Se réjouit l'étudiante.

« Je ne vois rien du tout. »

« C'est comme ça que je peux les trouver ! Bon là ça marche pas parce que la bille est trop près mais je te promets que sinon ça fonctionne ! »

Inutile de se sentir irritée. Ou même de répondre. Twilight regarda encore cette fille faire bouger son pendule au-dessus de la carte, soupira et se rapprocha pour récupérer son bien.

« Attends ! » L'arrêta l'autre. « Attends, je peux te montrer autre chose ! »

Twilight en doutait. « D'accord. »

L'étudiante devant elle s'empressa de sortir une feuille de papier blanche et de la poser par-dessus la carte. Puis elle tira une cartouche d'encre qu'elle mordit sauvagement pour la percer et la faire s'écouler au bas de la feuille. Twilight regardait ce cirque avec désintérêt. L'étudiante plongea la pointe de son pendule dans l'encre, rapprocha la bille de la feuille puis fit à nouveau osciller le pendule à même pas un millimètre de la page.

« Tu vas voir tu vas voir ! »

Pendant un moment, rien. Puis pendant un moment, rien encore. Puis Twilight nota que le papier s'imprimait d'encrer, sous la pointe du pendule. Tout doucement d'abord, l'autre fit lentement glisser la feuille, toujours en s'assurant que l'encre s'imprimait. Il y avait ce moins d'un millimètre pourtant, sur lequel Twilight avait fixé son regard, un millimètre sans le moindre contact où l'encre ne gouttait même pas.

L'encre avait parcouru la moitié d'une ligne déjà.

« Je sais pas pourquoi mais le pendule va écrire des mots, et je pense que tu peux communiquer avec la bille ! C'est génial, non ? Et un peu flippant aussi. »

« Tu peux… communiquer avec la bille ? »

« Ou avec des fantômes, je sais pas trop, j'ai jamais obtenu que des mots isolés. »

Elle boudait. Twilight ne le releva pas. Toute son attention s'était déportée de la pointe du pendule sur le papier lui-même, là où l'encre s'était imprimée. Il lui semblait pouvoir lire ce qui était écrit, et tout à la fois ce qui était écrit ne pouvait être que l'oscillation du pendule. Comme des vagues.

N'y résistant plus, Twilight tira la feuille à elle, sous un cri de reproche de sa congénère. L'écriture était difforme, comme un brouillon infâme. Mais elle put lire malgré elle.

« Le corps humain est composé de cent milliards de cellules. »

Soudain, Twilight paniqua.

Elle paniqua face à son corps qui se désagrégeait, qui se brisait en millier de millier de fractions vivantes, comme une foule d'organismes étrangers qui la dévoraient sur sa peau et dans sa chair. Pendant une fraction de seconde elle n'était plus qu'un gigantesque amas.

Quelqu'un cria. Ce quelqu'un était elle. Son corps avait basculé en arrière et s'agitait, presque hors de contrôle. Elle regardait à travers la rétine de son oeil, regardait ses mains où l'instant d'avant ça n'avait pas été ses mains et dans son esprit le souvenir encore horrible l'oppressait. Mais c'était fini. C'était déjà fini. Pie se précipitait vers elle pour l'aider.

« Ne me touche pas ! » Hurla Twilight.

Le monde tournait dans sa tête. Impossible de se concentrer. Son coeur battait, perdait son rythme, sa respiration ne suivait pas. Elle se sentait s'étrangler. Dans ses oreilles, en plus de sifflements, la voix paniquée de Pie, les aboiements de Spike. Elle grattait le sol pour se reprendre, lentement, se reprenait.

Elle n'avait aucune idée de ce qui s'était passé.

Quand la crise fut passée, qu'elle se fut reprise à peu près, elle vit l'autre fille occupée à faire couler l'eau du distributeur sur ce qui restait de la masse humide et poisseuse de papier.

« Je suis désolée ! Je suis tellement désolée ! » Paniquait toujours Pie. « Je vais tout arranger t'inquiète pas ! »

Tout s'était déjà arrangé. Twilight avait retrouvé son calme, étonnée plutôt, essoufflée, avec juste ici et là encore des tremblements au bout des doigts. L'étudiante achevait de fouler la boule de papier amorphe sous la semelle de son pied.

« Tu vois que c'est dangereux ? » Reprit Pie d'une voix étranglée, les yeux désespérés. « On peut pas la contrôler. Twilight je t'en prie faut qu'on s'en débarrasse ! »

« Non. »

Elle se releva. Se frotta un peu là où ses habits avaient embrassé la poussière. L'autre étudiante la regardait sans comprendre, comme si elle était folle.

« Comment ça non ? Tu as bien vu ! Tu as failli je sais pas quoi ! »

« Non. » Répéta Twilight. « Tu m'as promis que toi aussi, tu me laisserais te montrer ce que j'ai. »

« Mais tu as bien vu que c'est dangereux ! »

« Tu m'as promis. » Insista Twilight.

Elle défia du regard le regard effrayé de l'étudiante qui, après deux secondes, comme sur le point de se briser, céda.

****

Soupir de soulagement une fois la porte verrouillée. Une dernière fois, Twilight s'inquiéta de ne pas avoir éteint toutes les lumières au sous-sol, mais même avec les clés encore en mains elle ne se sentait plus le droit de rentrer.

Il lui restait tout un après-midi pour travailler sur le détecteur.

« Eh ! Attends, attends ! J'allais oublier ! »

L'autre étudiante lui tendit un livre. Twilight n'avait pas vraiment le temps pour ça, son bus allait passer, mais elle s'arrêta quand même.

C'était un livre de contes, un ouvrage pour enfants, pour la lecture du soir. Âge pré-scolaire. Elle le tenait à présent en mains, sans bien savoir ce qu'elle était censée faire, releva des yeux froncés pour sa congénère et cette dernière, après un grand sourire comme elle seule pouvait en faire, sembla simplement contente de son geste. Pas d'explication. Juste un visage d'ange, qui se brisa d'un coup quand elle décida qu'il était l'heure de s'éclipser. En quelques secondes, Twilight était seule.

Presque seule. Spike se frotta contre ses jambes. Elle sourit, oublia le livre, voulut le caresser, se rappela son bus et partit au pas de course.

Le bus s'en alla devant elle.

Rien à faire sinon attendre et pester, quelque peu, sur cette fille qui l'avait retenue un instant de trop, jusqu'à croire qu'elle l'avait fait exprès, comme si quiconque pouvait prédire le passage des bus à ce point. Elle s'assit sur le banc, regarda le petit chien l'y rejoindre et haleter avec joie. Elle sourit. Le gratta derrière l'oreille.

« Bon chien. » Dit-elle, et elle chercha d'autres mots, échoua : « Bon chien. »

Son discours sembla ravir le chiot.

À présent seule, Twilight se rendit compte à quel point elle avait été tendue. Léger étirement. Regard sur le livre d'enfant, puis sur sa propre main. Longuement, sur sa propre main. À tenter de se rappeler ce qui s'était passé à cet instant-là où elle avait cru devenir folle. À se poser des questions qui lui échappaient. À se demander si elle pouvait faire confiance à cette garce. Qu'on la laisse tranquille lui suffirait.

Spike avait réussi à se faufiler sous son bras et sur ses jambes pour tenter de s'y lover. Elle le repoussa, le garda à distance d'un doigt sur le petit museau puis le caressa encore. « Couché. » Dit-elle en désignant le banc et de regarder le petit chien obtempérer.

Son attention revint au livre d'enfants.

À défaut de mieux elle le reprit, se mit à le feuilleter. Tout de suite elle se sentit agacée à la vue de quelques griffonnages sur les feuilles, des dessins au crayon couleur et au feutre. Les pages elles-mêmes étaient usées, un peu sales ici et là. Complètement désabusée, Twilight considéra la poubelle la plus proche, écarta l'idée. Rendre le livre à la première occasion. Inutile de s'en embarrasser.

En attendant elle prit soin de déplier deux coins de page, de tenter de les lisser pour en supprimer la marque. Les illustrations elles-mêmes étaient assez vieillotes, volontairement dépassées. Faites pour plaire plus aux adultes qu'aux enfants. L'ogre représenté à la fin au milieu des flammes en était grandiloquent.

L'histoire elle-même était banale, et Twilight en la survolant jetait des coups d'oeil à la route en espérant voir le bus poindre. Un ogre quelconque dans une forêt quelconque faisait des choses mal, et un enfant quelconque venait l'affronter. L'écriture était pompeuse, avec des tournures désuètes volontairement exagérées. À la fin, alors que l'enfant allait se faire manger, la chevalière qu'il avait invoquée arrivait au château et l'ogre s'enfuyait.

Twilight ferma le livre, resta une seconde sans rien faire puis rouvrit le livre pour retrouver ce passage précis.

À la fin, alors que l'enfant allait se faire manger, une chevalière arrivait au château et l'ogre, effrayait, décidait de s'enfuir. « Il cacha son pouvoir dans cinq perles et on ne le revit jamais. » Dans la marge, juste à côté du passage, quelqu'un avait dessiné comme une série de bulles de différentes tailles. Elle se pinça l'arête du nez, soupira et referma le livre. Son bus approchait.

« Allez, hop, dans le sac. » Dit-elle au petit chien en lui présentant sa place.

Ce dernier se dépêcha de s'y faufiler, continua de haleter pendant qu'elle refermait la fermeture et elle le sentit contre son dos, ce petit poids vivant et chaud, tout tranquille. Le bus s'arrêta, les portes s'ouvrirent. Le conducteur ne lui jeta pas un regard. Elle monta s'installer à n'importe laquelle des places vides, se retrouva dans son coin habituel, côté fenêtre.

Travailler sur le détecteur. C'était tout ce qui comptait.

Bien sûr que cette fille était une sotte, si elle croyait qu'un conte pour enfants pouvait avoir le moindre rapport avec un phénomène réel. Ou alors juste une idiote qui aimait encore ces histoires pour petites filles. Sa tête alla insensiblement toucher la vitre pour s'y coller.

Là-bas, au loin, dans un stade qu'elle ne connaissait pas toutes les filles de son école regardaient le tournoi interscolaire. Faute de le trouver dehors elle regarda dans le bus les petites poubelles pleines de gobelets, et les brochures éparses avec les différentes équipes photographiées. Elle n'aurait pas su dire laquelle était la sienne.

Elle n'aurait pas su reconnaître un seul visage. Et sans y songer, elle serra un peu plus son sac contre elle.

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