Chapitre 5 - Une Enquête ne se résout pas aussi vite

Une chose à laquelle j'ai pensée hier soir, pendant que je me retournais dans mon lit, c'est à quel point cette enquête manquait cruellement d'indices capitaux. Le bonbon s'était révélé un cul-de-sac, et le seul suspect se trouvait on ne sait où, probablement dans Manehattan.

Et voilà que d'un coup, les événements prennent une autre tournure. Open Skies est retrouvé pendu chez lui, à côté d'une lettre de suicide confessant son crime, l'assassinat de M.Cakes, sous le coup de la colère après une discussion houleuse. Ses regrets, son impossibilité de vivre avec ça sur sa conscience, le tout parsemé de quelques gouttes facilement identifiables comme étant des larmes.

Bien sûr, Lyra et moi avons prévenu le commissariat de tout ça. En fait, juste après notre arrivée, la relève du garde est venue à son tour, pour repartir aussitôt informer Whooves.

Les trois agents envoyés sont déjà en train de relever soigneusement ce qui leur semble suspect, la lettre en premier lieu, pour les mettre dans des sachets en plastique.

La scène est étrangement... banale, hormis le cadavre. Un stylo près de la lettre, une tasse de café vide sur la table, un salon correctement rangé, on pourrait presque y prendre le thé. Et le corps, que personne n'ose décrocher pour l'instant.

Un bruit régulier ponctue le tout, celui de la corde qui frotte contre la poutre, continuant de se balancer lentement, elle et le pégase.

Je relève la tête après avoir cherché un quelconque élément suspect qui aurait roulé sous le fauteuil, pour voir Lyra, qui n'a pas bougé. Depuis notre découverte macabre, elle n'a pas décroché un mot, ni même détaché ses yeux de son ex-étalon. Elle ne pleure pas, mais je suis certaine que ce n'est pas l'envie qui lui manque. Son visage est figé, dans une expression affligée. Je devine, la connaissant, qu'elle doit être en train de revoir tous les moments qu'elle a passés avec lui.

Un pincement vient titiller mon cœur. Malgré ma mauvaise nuit, dont elle est responsable, et cette rancœur que j'ai... Je n'arrive pas à ne pas me sentir mal pour elle. Je...

"Hé... "

Sans que je m'en rende compte, j'ai doucement posé mon sabot sur son épaule. Elle tourne la tête vers moi. C'est peut-être la première fois depuis toutes ces années que je fais autant attention à son visage. Cette petite mèche blanche sur le côté de son œil, ces grands yeux jaunes-orangés humides, son museau qui affiche d'ordinaire un large sourire. La voir ainsi...

"Pourquoi... ?" me demande t-elle, suppliante, sa voix venant provoquer un frisson dans tout mon corps.

"Lyra..."

"Il était si gentil... Pourquoi est-ce qu'il aurait fait ça... ?"

Que répondre à ça... ? Que n'importe qui peut commettre l'irréparable sous le coup de la colère ? Que beaucoup de criminels sont des gens normaux qui ont mal tourné ? Quelle réponse un tant soit peu sincère pourrais-je lui donner sans la faire fondre en larmes ?

"Les gens font parfois des choses qu'ils n'auraient jamais voulu faire, et qu'ils regrettent aussitôt..."

Ça n'a jamais été mon fort avec elle. Elle a toujours été sujette à des petites baisses de moral, et je n'ai jamais été douée pour le lui remonter. En voici un nouvel exemple.

Elle baisse la tête, une goutte commençant à perler au bord de son œil. Et mon corps se met à bouger tout seul une nouvelle fois. Je fais un geste que je n'ai pas fais depuis des années. Je la tourne doucement vers moi, ôtant le cadavre de sa vision, passant mes pattes avant autour d'elle et la sert contre mon torse.

Elle s'y réfugie, plaçant sa tête sous la mienne avec quelques sanglots. Je sens sa chaleur contre moi, et aussi une larme couler sur mon pelage. Mon sabot caresse doucement le haut de sa crinière pour chercher à la réconforter un peu. C'est la seule chose que je peux faire.

Un léger raclement de gorge se fait entendre derrière-moi, reconnaissable comme étant celui de Whooves. Sans tourner la tête, je réponds :

"Alors, tu te déplaces enfin en personne ?"

"La princesse m'a ordonné de l'accompagner ici."

Je jette un regard vers lui. Twilight se trouve effectivement à ses côtés, stupéfaite et effrayée à la vue du cadavre. À ses cernes, je devine qu'elle n'a pas dû dormir de la nuit à cause de cette affaire. Autant dire qu'à présent, ses nuits ne sont pas prêtes de retrouver leur sommeil habituel.

"Ce serait un suicide alors ?" demande le commissaire, légèrement sceptique.

"Ça, ou un crime excellemment bien maquillé," fais-je en continuant de serrer doucement Lyra contre moi.

Celle-ci a un hoquet.

"U-Un crime maquillé ?" balbutie t-elle.

"Si on ne trouve rien de concluant, comme des empreintes, la conclusion naturelle sera celle du suicide. N'est-ce pas ?" ajoute-je en arquant un sourcil vers Whooves. "Ce qui m'intéresse le plus actuellement reste de savoir où était la personne censée surveiller le témoin."

Il fronce les sourcils devant mon ton réprobateur et irrespectueux de son titre, et hausse la voix :

"Rose devait s'en occuper d'après les horaires que vous m'avez donnés."

"Et où est-elle ?"

Whooves se renfrogne, comme gêné par la réponse qu'il va donner, maugréant :

"Elle est introuvable... Mais l'agent de garde avant elle m'a assuré qu'elle a pris son tour."

"À quelle heure ?"

"Deux heures du matin..."

"Tu es en train de me dire qu'elle devait veiller six heures ?" fais-je, un peu incrédule.

"Je manque d'effectif !" se défend t-il vivement. "Ponyville est une bourgade tranquille, c'est déjà un miracle qu'on ait plus d'une quinzaine d'agents !"

"Je peux demander à ce que Canterlot ou même Manehatten envoie du renfort," propose Twilight, qui ouvre la bouche pour la première fois depuis qu'elle est arrivée. "En plus ils ont des agents habitués à ce genre de cas."

Je connais assez bien Whooves pour déceler quand une remarque le pique au vif. Et son orgueil vient à l'instant de prendre un sacré coup.

"Je pense pouvoir me charger de cette affaire," répond t-il avec assurance en bombant le torse. "Elle est peut-être même déjà finie."

Peut-être... Ou peut-être pas. Tu as une affaire de meurtre sous le sabot, mais tu préfères te passer d'aide par pur orgueil, pour prouver que tu es capable de résoudre quelque chose d'aussi grave toi-même. Ponyville n'est pas habitué à ce genre d'événements, et s'ils viennent à s'aggraver, ça tournera mal. Ta fierté n'est que trop mal placée, Whooves !

Mais je ne dis rien. Un mot de sa part et je pourrais me faire éjecter de l'affaire. C'est déjà beaucoup lui demander de me laisser enquêter. Pour l'instant, les choses sont encore contrôlables, mais ne me donne pas de travail en plus avec ton ego.

"Très bien, si c'est ce que vous pensez, je vous fais confiance," poursuit Twilight, exténuée. "Est-ce que vous pouvez... le décrocher, s'il vous plaît ? Le voir se balancer ainsi..."

Depuis tout à l'heure, elle ne cesse de jeter des regards furtifs et terrifiés au cadavre. C'est compréhensible que ça la choque. Elle n'a jamais dû voir ça. Moi non plus d'ailleurs, mais je m'y étais préparée, plus ou moins.

"Vous avez finis ?" demande Whooves à ses agents.

"Aucune trace, commissaire," répond un de ceux là. "Tout semble indiquer que c'est bien un suicide."

"Bien, décrochez-le."

"À vos ordres."

Lyra a un petit hoquet contre mon épaule.

"Tu peux prendre ta journée, Lyra," lui dit Whooves avec compassion. Ou peut-être est-ce juste le petit regard de la princesse qui lui a donné envie de faire bonne impression.

Je tapote légèrement le dos de Lyra en chuchotant "Aller, viens, on y va," et l'aide à se relever pour la faire sortir.

Elle obéit sans broncher, me laissant la guider jusqu'à la sortie de la maison, pendant que les sous-fifres de Whooves s'occupent de faire descendre prudemment le corps.

"Je vais bien Bonbon..." me fait-elle une fois dehors, avant de renifler lourdement. "J'ai juste... besoin d'être seule..."

Elle s’essuie un œil avant de s'éloigner lentement, la tête basse.

J'ai envie de lui dire quelque chose, que si elle a besoin de parler, d'une épaule pour pleurer, je suis là... Mais à l'instant où je vois son dos tourné, un souvenir douloureux me revient, retenant mes paroles. La même démarche, la même scène qu'il y a trois ans, quand elle m'a abandonnée, sans raison.

Je détourne brusquement la tête, fuyant le conflit qui s'immisce dans mon esprit et mon cœur, ignorant ces petits picotements et ces doutes qui fusent dans ma tête. J'ai une affaire à résoudre, et peut-être même des vies à sauver, pas le temps pour ça.

De retour à l'intérieur, je constate qu'ils ont commencé à descendre le corps. Au moins, ils portent des gants pour ne pas le salir.

"Deux morts en moins de vingt-quatre heures," soupir lourdement Whooves, la mine grave. "Je n'aurais jamais pensé voir un tel drame à Ponyville."

"À peu près personne n'y aurait songé, je pense," fais-je en regardant la princesse, qui approuve mes dires d'un léger hochement de tête.

"J'espère que tout ceci est vraiment terminé," ajoute t-elle, soucieuse au plus haut point.

"Tout indique un suicide, tu n'es pas d'accord ?" me fait subitement Whooves.

La question me surprend un peu par sa soudaineté et sa franchise. Mais en même temps, il n'est pas du genre à passer par quatre chemin.

Je m'accorde un moment de réflexion, faisant le point, avant de conclure :

"Et bien, à première vue, oui. Les seules choses étranges restent la disparition de Rose et la personne mentionnée par Pinkie. Et la première chose pourrait facilement s'expliquer par une urgence subite qui aurait prit Rose, un proche malade par exemple. Bien que la coïncidence serait grosse."

C'est évident que pour l'instant, rien n'indique réellement qu'il y ait effectivement une raison de continuer l'enquête et de ne pas classer l'affaire. Je pense que c'est juste mon envie de pourchasser un criminel qui me pousse à dire que cette résolution n'est pas bonne. Trop simple.

Whooves a l'air content que je sois de son avis, et cela rassure la princesse.

"Contactez-moi s'il y a du nouveau," nous fait-elle alors, s'apprêtant à sortir.

"Ne vous en faites pas, princesse," rassure le commissaire.

Elle s'en va. Je m'apprête à faire comme elle, lorsque mon regard est soudainement attiré par un reflet bleu clair, au niveau de la poutre. Quelque chose est coincé par le nœud de la corde, collé à la poutre.

Je m'approche, intriguée, décelant du blanc également. Qu'est-ce ? Et plus important : Comment est-ce arrivé là ?

"Excusez-moi," fais-je à un des agents en train de détacher le corps. "Vous pouvez défaire le nœud supérieur ?"

Il jette un regard interrogateur à Whooves, qui m'en lance un à son tour, auquel je répond en désignant l'objet.

"Il y a quelque chose de coincé."

Le commissaire fronce les sourcils en voyant que j'ai raison.

"Allez-y," dit-il à son subordonné.

Ce dernier s'exécute et défait le nœud, desserrant la corde, laissant tomber le nouveau fragment d'indice, à mon grand étonnement.

Un papier de bonbon. Du même genre que celui qui était dans la caisse de Sugar Cube Corner.