Chapitre 4 - Nouvelle Imprévue

"L'analyse prend du temps ?"

"C'est quasi immédiat."

Le licorne en charge du centre d'analyse du commissariat fait léviter le sac contenant le bonbon que j'ai trouvé, sortant le potentiel indice, le posant dans une étrange machine qu'il active ensuite avec sa magie.

Il est trop tard pour lancer une course poursuite après notre seule piste. Le dernier train est parti il y a au moins deux heures, la seule chose à faire est de lancer un avis de recherche et d'envoyer des agents à Manehattan demain.

Alors en attendant, Lyra et moi sommes dans le labo du commissariat ; une grande pièce blanche avec beaucoup d'instruments scientifiques ; pour savoir si notre seul élément anormal sur la scène du crime a une importance ou non.

Concrètement, pour moi, il a une importance. Même si cette machine ne révèle aucune empreinte, je resterais persuadée que sa présence à cet endroit n'est pas le fruit du hasard. Ce bonbon a quelque chose à voir avec cette affaire.

"On s'est un peu modernisé," m'explique Lyra en me regardant du coin de l’œil, tentant un sourire.

"Hm ?" fais-je dubitativement en tournant la tête vers elle.

"La machine," répond t-elle en la désignant d'un mouvement du museau. "En plus des empreintes de sabots, maintenant on peut aussi retracer les différentes magies qui ont tenues l'objet. Et ça ne s'efface pas aussi facilement qu'une empreinte. Si une licorne l'a fait léviter, on retrouvera sa trace, même si Bright Bulb a utilisé sa magie dessus après."

"Bright Bulb ?"

"C'est moi," me répond le poney du labo avec un demi-sourire gêné.

"Oh, enchanté, je suis..."

"Je sais qui vous êtes," me coupe t-il gentiment. "Il n'y a pas beaucoup de poneys qui sont détectives à Ponyville. Tout le monde vous connaît dans le commissariat, surtout avec Lyra qui n'arrête pas de parler de vous."

Deux faits étranges. Le premier : il me vouvoie, signe de respect, ce que personne n'a jamais éprouvé à mon égard. Deuxième chose, ce détail sur les propos de Lyra, vers laquelle je dirige lentement les yeux, alors qu'elle détourne les siens, les pommettes légèrement rosies.

"Et elle dit quoi sur moi ?"

"Des tas de choses," s'enjoue Bright. "Par exemple que..."

Une série de bip vient le couper soudainement, annonçant sans doute que l'analyse est terminée. Une bande de papier sort de la machine, qu'il s'empresse d'arracher, semblant avoir complètement oublié la discussion.

"Alors..." fait-il en consultant les résultats. "En empreinte de sabots il y a M.Cakes et Mme Cakes, c'est tout. Et pour les restes magiques, rien à part les miens et ceux de Lyra."

"Donc absolument rien," conclu Lyra en même temps que moi dans ma tête.

"Comment vous pouvez savoir immédiatement à qui les empreintes appartiennent ?"

"On a une base de donnée, avec quasiment tout Ponyville," m'explique Bright. "Et c'est pareil pour la magie."

Je fronce les sourcils, méfiante.

"Quand avez-vous mis un tel système en place ?"

"Une modernisation que le commissaire a jugé bon de mettre en place après que Discord ait été réformé. Il voulait avoir une base de données assez complète pour rapidement identifier un méfait. Tout s'est fait rapidement grâce à l'aide de la princesse Twilight."

"Toujours est-il que ce bonbon a dû arriver ici par mégarde," ajoute Lyra en revenant au sujet d'origine. "Sans doutes que M.Cakes l'a fait tomber accidentellement."

Elle me jette un regard, semblant me demander ce que j'en pense. Je me gratte doucement le menton d'un sabot. Moi qui croyais...

"Oui, sans doute. Ce qui ne nous laisse qu'une seule piste, et pas exploitable avant demain. Mais gardez-le quand même."

"Il est tard, tu penses que ça vaut la peine d'aller interroger le deuxième stagiaire maintenant ?" me demande t-elle.

"Allez vous coucher," conseil Bright. "Il ne va pas s'envoler. C'est une affaire grave, mieux vaut l'aborder à tête reposée."

"C'est le mieux, en effet," fais-je, alors que je me sens soudainement fatiguée, et aussi affamée. "Merci d'avoir fait cette analyse aussi tard."

"Pas de problèmes," sourit-il. "J'apprécie beaucoup d'avoir mon rôle à jouer dans la résolution de cette affaire."

"Bonne soirée, et à demain," ajoute Lyra.

Je tourne déjà les sabots pour m'en aller alors qu'il répond joyeusement :

"Bonne soirée à vous deux."

Je traverse rapidement les couloirs du commissariat, presque sortie avant que Lyra ne presse le pas pour me rattraper.

"Bonbon !"

Je sors en m'arrêtant sous la lumière du commissariat, tenant la porte ouverte de la patte arrière pour la laisser passer. Arrivée à ma hauteur, elle se tourne vers moi, un peu gênée, et me regarde droit dans les yeux en me demandant :

"Tu n'as pas manger, n'est-ce pas ?"

Que... ? La soudaineté de cette question me déstabilise.

"Non, pourquoi ?" répond-je.

Ne me dis pas qu'elle va...

"Tu veux qu'on mange ensemble... ?" fait-elle timidement.

Et si. Elle ose. Elle a le culot d'oser ! Qu'est-ce qu'elle croit !? Que d'avoir passé quelques minutes ensemble va effacer le passé !? Je lui dis d'un ton glacial :

"Non, j'ai quelqu'un qui m'attend chez moi. Une bien meilleure compagnie que la tienne."

Je la laisse sur place, me dirigeant vers ma maison.

"Q-Qui ?" fait-elle, surprise, hésitant visiblement à me suivre.

C'est bien, ça l'intrigue. Elle est jalouse du simple fait que je pourrais être avec quelqu'un d'autre. Elle sait ce que ça fait maintenant... Ce que j'ai ressenti.

"Ma solitude."

Visiblement, elle abandonne l'idée de me rattraper. Pourtant je veux qu'elle essaye, que cela me donne une bonne raison de lui hurler dessus, et pas simplement de lui lancer une seule phrase blessante. Je veux pouvoir déchaîner toute cette colère qui s'est accumulée en moi depuis trois ans.

Mais c'est dans le silence le plus total de la nuit tombée que je regagne ma maison, claquant la porte d'un coup de sabot.

Direction ma chambre, mon lit, je n'ai pas envie de prendre le temps de dîner. Un petit réglisse de ma table de chevet pour me calmer, tromper ma faim et trouver le sommeil. Rien de plus.

Puis le calme. Mes pensées deviennent moins brouillées, maintenant qu'elle n'est plus là. Sa présence m'embrouille toujours ! Pourquoi est-ce qu'elle a l'air de vouloir m'accompagner pour cette enquête alors qu'elle me perturbe !? C'est une affaire de meurtre bon sang, laisse-moi réfléchir en paix !

Et je sens que ça va me déranger toute la nuit en plus...

Je déteste quand j'ai raison... Ce genre de nuit à me retourner sans cesse dans mes draps, ça m'arrive souvent depuis quelques années... Depuis trois ans en fait. Depuis ce fameux jour.

Ah c'est pas vrai ! Tu ne vas pas te remettre à penser à ça, Bonbon ! Pense plutôt à une manière de coiffer cette fichue crinière ! Voilà une vraie préoccupation !

Un petit-déjeuner avalé, avec pour seul accompagnement sonore le bruit de mon horloge, une crinière rapidement mise en place, et me voici sur le pas de ma porte.

J'ouvre, et qui trouvé-je juste devant avec le sabot levé, prête à toquer ? Elle, évidemment.

"J'ai eu peur de te réveiller," me fait-elle une fois remise de sa surprise. "Enfin, je me suis dis qu'il valait mieux interroger le deuxième stagiaire aussi tôt que possible et que ça serait plus rapide de venir te chercher... En plus tu ne sais pas qui c'est."

"Non, mais tu vas me l'apprendre."

Elle a encore ce ton semi-suppliant. Comme si elle cherchait à s'excuser à chacune de ses phrases sans avoir le courage de le dire clairement. Mais qu'est-ce qu'elle veut à la fin... ?

"Open Skies. De l'équipe météo..."

Oh, ce n'est pas la peine de préciser. Rien qu'à ce nom, les poils de mon dos se hérissent. L'étalon avec qui elle a eu une aventure, juste après qu'elle m'ait abandonnée ! Je ne risque pas d'oublier son nom !

"Il t'a larguée il y a six mois, n'est-ce pas ?" fais-je néanmoins. "Tu es sûre que ça va aller pour l'interroger ?"

"I-Il ne m'a pas vraiment larguée," balbutie t-elle timidement. "C'était une décision prise ensemble... Et puis, cette histoire n'a rien à voir avec notre relation."

Je la jauge du regard. De ce que je sais, sa rupture n'a pas été simple, mais elle cherche à le cacher. Autant lui éviter une épreuve de plus.

"Je m'occuperais de l'interroger si c'est trop dur pour toi. En route."

Sans savoir d'où me vient cet élan de compassion pour elle, je me met en marche, me rendant compte en chemin de mon brusque changement à son égard. Je la détestais il y a cinq minutes, elle a même évoqué le nom de l'étalon qui m'a mis le plus en rogne ces dernières années, et pourtant... J'ai juste envie de la réconforter...

Des années que ça n'est pas arrivé... Où est cette colère que j'avais ? Non, elle est toujours là, je la sens, cette amertume incrustée en moi. Ce n'est qu'un petit passage, une faiblesse, un reste de ce que j'ai ressenti pour elle. Ça ne va pas durer. À peine avons-nous atteint la maison que c'est déjà passé. L'endroit est désert, ce qui m'étonne un peu.

"Vous n'avez mis personne de garde ?"

"Normalement si," répond Lyra, fronçant des sourcils, surprise. "Whooves a peut-être retiré la surveillance quand je lui ai dis que j'allais te chercher..."

Approchant la porte, je maugrée un "Laisser la dernière personne à avoir vue la victime en vie seule..." avant de toquer.

Ou plutôt que toquer, c'est surtout constater que la porte s'ouvre toute seule sous mon sabot. En fait, elle n'est pas fermée.

Un échange de regard suspicieux avec Lyra. J'entre.

"Open Skies ?"

Pas de réponses. Nous avançons dans le hall, silencieux. Pas un bruit, aucun signe d'une présence quelconque.

Je regarde la porte de droite donnant sur la cuisine. Personne, quelques ustensiles déballés sur le plan de travail, comme si on allait s'en servir, et rien d'autre. Lyra me tapote l'épaule et je la regarde. Ses yeux sont fixés vers le point qu'elle me désigne, à gauche, par l'autre porte menant au salon.

Au milieu du canapé, de la table-basse, des bibliothèques, plantes et posters de ce salon, une silhouette se balance doucement. Au bout d'une corde.