Chapitre 5 : Informations et Prison de Solitude Dissimulée

«Alors ? »

« On aurait dû s’y prendre avant, il va falloir que tu mettes un truc pour cacher ta corne cassée. »

« Tu comptes demander directement aux poneys ? »

« Tu as mieux comme idée ? »

« On pourrait s’informer à la bibliothèque, non ? »

« Bien sûr, mais je te rappelle juste que la bibliothécaire est actuellement prise dans notre piège ! »

« Ah. Dans ce cas, essayons de récupérer des infos auprès des poneys du village… »

Ils s’engouffrèrent dans ponyville et avisèrent une jument rouge et à la crinière bleue. Visiblement ces deux étalons qui lui faisaient face la rendaient soudain nerveuse. En tout cas les mimiques de son corps l’indiquaient clairement. Hum, la cape qui cache ma corne cassée doit l’intimider…

« Salut, on aimerait avoir des informations. »

Elle se rassura quelque peu.

«Oh, ahah, oui que voulez-vous savoir ? »

« Savez-vous où se trouve la princesse Luna ? »

« Euh, vous ne le savez pas ? Et bien…elle se trouve…attendez un instant, pourquoi voulez-vous savoir cela ? »

« Nous souhaitons mettre un terme à sa Aïe ! »

Red Thorn avait donné un violent coup de sabot dans le flanc de Dusky Doom.

« Un terme à notre contrat. Nous avons travaillé avec elle, vous savez ? »

« Si vous avez travaillé pour elle, vous devriez savoir où elle est, non ? »

Dis donc frangin, je crois qu’elle a décidé de nous marcher sur les sabots.

« Malheureusement non. Nous accomplissons les tâches qu’elle nous incombe par lettre. C’est la première fois que nous venons la voir. »

« Oh…très bien. Dans ce cas, elle se trouve dans le palais de Canterlot, vous ne pouvez pas le rater ! »

« Je vous remercie ! »

Après s’être éloigné suffisamment de la jument, Dusky Doom se lâcha :

« Je déteste jouer au lèche botte. Non mais pour qui se prend-t-elle ?»

« Suspicieuse...»

« Hum, au fait, quand on envoie des lettres on doit préciser le lieu et la personne normalement… »

« Les mensonges qui durent le moins longtemps et qui confortent l’idée de celui qui le subit sont toujours les plus efficaces. »

« Toi t’as bu trop de thé, même si je dois avouer que tu as raison… »

« Maintenant qu’on sait où elle est, il est temps de passer à l’attaque ! »

*

Ils se frottèrent les sabots et s’envolèrent de nouveau. Mais comme si la chance les avait quittés, la pluie se mit à tomber, et les nuages obscurcissant le ciel, rendaient la localisation de Canterlot impossible. « Tss…bon, trouvons un endroit plus sec. ». C’est ainsi qu’ils allèrent à Ponyville, dans un restaurant. Puis se souvenant qu’ils n’avaient pas d’argent, ils décidèrent de rentrer chez eux. Ils y arrivèrent trempés. Dusky Doom fit infuser deux thés, et ils s’installèrent à table. Il y eu un long silence, brisé de temps à autre par des bruits de cuillère, puis Red Thorn prit la parole.

« Et après ? »

« Je te demande pardon ? »

« Et après qu’on l’ait tuée, on fera quoi ? »

« Ben…je ne sais pas… »

« Alors pourquoi on devrait la tuer ? »

« Ça soulage…et puis, c’est la seule raison qui nous a permis d’arriver jusqu’ici à pied de manière si…je n’en sais rien…déterminée ? »

Red Thorn prit lentement une gorgée de son thé et laissa le silence reprendre le dessus. Mais au fond de lui, cela criait, cela…hurlait. Il ne comprenait pas, il réfléchissait. C’était ça le sens de la vie ? Ne sommes-nous pas esclaves de nous-même en voulant à tout prix la tuer ? Voilà qui est curieux…Mon corps me supplie de la tuer, mais pas mon esprit…quelle étrange contradiction…

« Quelque chose te tracasse ? »

« Euh, oui, un peu… »

« Tu ne veux pas la tuer, c’est ça ? »

« Bien sûr que si ! »

Et voilà, une contradiction ! Et la barrière était nette, ce n’était pas gris, mais noir ou blanc.

« C’est parfait dans ce cas. »

La licorne rouge ne le savait pas, mais une réflexion similaire bourgeonnait dans l’esprit de Dusky Doom. Quelque chose n’allait pas. C’est alors qu’une question absolument absurde et pourtant si étrangement possible fusa.

« Et si…elle n’y était pour rien ? »

« Ça suffit, arrête ou nous allons nous étriper. »

« Humph…oui… »

« C’est bon ? »

« Oui, tu as raison, c’est stupide ! »

Ils posèrent presque en même temps leur tasse sur la table, puis regardèrent au dehors. Il pleuvait à trombe d’eau. Décidés de ne pas moisir ici, ils échafaudèrent une stratégie pour parvenir le plus discrètement et efficacement possible devant Luna. Red Thorn récupéra alors un parchemin, et c’est avec Dusky Doom qu’ils dessinèrent un semblant de château. Tout cela était bien joli, mais sans VRAI plan, cela s’avérait quasiment perdu d’avance. « Il faut pénétrer dans la bibliothèque, maintenant. »

*

Flashs. Flashs. Incompréhensions. Flashs.

« Ça va durer encore longtemps ? »

Rainbow Dash commençait à perdre patience, patience qui s’éloignait de plus en plus à mesure que Pinkie Pie répétait pour la énième fois « Encore une autre ! ». Elles avaient presque marché une demi-journée en trouvant des bribes de souvenir. Twilight avait, après une longue réflexion, déduit qu’il s’agissait des souvenirs de deux poneys du nom de Dusky Doom et de Red Thorn. Des noms qui semblaient bien résonner dans les esprits des six, mais elles ne parvenaient pas à savoir pourquoi. « Un déjà-vu, ou un déjà-vu amplifié par la magie » avait tenté la licorne mauve. Les autres étaient passées depuis longtemps dans le flou, l’incompris, l’impalpable. Et, par psychologie logique, l’anxiété allait croissante : c’est une autre chose que Twilight compris. Elle choisit alors de faire une pause. Elles s’installèrent près d’un cours d’eau plutôt vaseux, mais le vent léger emportait l’odeur de la fange. Les clapotis des vaguelettes contre la rive donnaient à l’endroit quelque chose de spécial, et de plutôt agréable.

« Bien, je remarque que nous sommes toutes très fatiguées, enfin mentalement je veux dire, donc je vais vous faire un petit topo de cet endroit, pour dissiper votre anxiété. »

Rainbow Dash se rapprocha de Twilight.

« Tu te prends pour une psy ? »

« Je te l’ai déjà fait, non ? Mais ce coup-ci, c’est du sérieux ! »

« Je te signale que j’ai pas besoin de tes conseils de grand-mère, Twilight, je suis pas du tout anxieuse. »

Applejack tenta alors de motiver le pégase récalcitrant.

« Aller Rainbow, ne me dis pas que tu as peur de Twilight ? Elle sait ce qu’elle fait, ça ne peut que nous aider ! »

« Peur d’elle ! Mais tu m’as prise pour qui ? »

Fluttershy tenta une incitation, ou du moins ça y ressemblait.

« Allez, Rainbow Dash ! »

Tous les regards se tournèrent vers Rainbow Dash, et lorsque celle-ci s’en aperçut, elle croisa les bras, et regagna sa place, courroucée.

« Très bien. »

Twilight soupira d’apaisement et utilisa alors sa magie pour faire apparaître une sorte d’écran. Mais avant qu’elle puisse le faire apparaître, Pinkie Pie s’exclama :

« Moi je sais ce qu’il se passe, moi je sais !!! On est toutes dans une projection de l’esprit des deux poneys qu’on a vu, et on n’est pas vraiment ensemble, puisqu’on ne se trouve pas sur le même morceau de monde ! »

Toutes furent étonnées et en particulier Twilight qui pria à ses amis de la laisser réfléchir quelques temps. C’est avec un étonnement croissant qu’elle revint vers les autres environ dix minutes plus tard. Le verdict tomba.

« Pinkie Pie a raison. »

« Mais comment est-ce possible ? »

Toutes se tournèrent vers Twilight, sauf Pinkie Pie.

« Euh, j’ai une autre question avant de vous l’expliquer. Pinkie Pie, je pourrais savoir comment tu as trouvé ça ? »

« Oh ! Juste une intuition, quand j’ai essayé de faire une blague à Applejack et que j’ai vu que je l’avais traversée ! »

« Et tu n’as pas jugé bon de nous le dire ? »

« Ben pourquoi je vous le dirais, on est dans une illusion, c’est normal, non ? »

« Alors pourquoi as-tu eu cette intuition si cela te semblait si normal ? »

« Ha ! Bien trouvé Twilight ! »

Rainbow Dash et Rarity commençaient à perdre sérieusement patience et se tenaient la tête avec le sabot.

« Elle fait encore sa Pinkie Pie, c’est bien l’moment… »

« Ecoutez, je vais vous expliquer ce qu’il se passe et vous vous sentirez mieux après. »

Twilight fit apparaître son écran. À l’intérieur semblaient s’y mêler des images. La première image qu’elle projeta fut la forêt Everfree. Elle reprit un peu son souffle et commença.

« Bien, voici la forêt Everfree, l’endroit que vous connaissez tous, et qui est particulièrement craint par tous les poneys. »

Elle marqua une courte pause, puis dézooma l’image.

« Ici se trouve Ponyville et là, c’est le Froggy Bottom Bog. »

« Pour l’instant, tu nous apprends rien, je te signale ! »

Applejack s’interposa.

« Patience Rainbow ! »

« La logique voudrait que l’on soit dans la vraie forêt Everfree, mais trois preuves nous prouvent le contraire. La plus évidente d’entre elles est qu’elle nous apparait sans fin. Et je pense que c’est justement parce qu’elle est sans fin. Mais ne posez pas de question tout de suite, j’y reviendrais. »

Elle fit alors apparaître une autre image. Une sorte de fissure que toutes reconnurent.

« La deuxième preuve vient de ces fragments de souvenir – je suis sûr que s’en sont – qui se trouvent sur notre chemin. Et la troisième preuve, c’est nous. »

Rarity écarquilla les yeux, suivi du reste de la troupe.

« Nous ? Qu’est-ce que tu veux dire par là, Twilight ? »

« Et bien, comme l’a dit Pinkie nous ne faisons pas partie du même monde. »

« QUOI ?! »

Elles avaient exprimé leur étonnement en chœur. Twilight resta très calme, et changea d’image. Celle-ci représentait une sorte d’orbe scindé en six.

« Je pense que nous sommes dans l’esprit de ces poneys, ou du moins, non attendez je reformule. Je pense que la magie qui est ici est une sorte de projection de l’esprit de ces poneys. »

Les autres la regardèrent comme un troisième type.

« Pour faire simple, ces fragments n’ont aucun sens d’existence, donc je suppose fortement qu’on est dans l’esprit de l’un des deux poneys, ou les deux mélangés. Mais comme vous le savez tous, l’esprit se meut, et ne reste jamais bien longtemps le même. Je suis prête à parier que vous toutes n’êtes que des projections de ce que vous êtes dans une « strate inférieure. » ».

« Et…en français ?... »

« Touchez-vous et touchez-moi. »

Elles tentèrent mais n’y parvinrent pas.

« C’est comme vous disait Pinkie, nous sommes dans des strates différentes mais de…paysages semblables. »

« Et tu conclus qu’on est piégées ici et qu’il n’y a aucune échappatoire ? »

« Pas forcément Applejack. Depuis un bon bout de temps je cherche la fin du flux magique, je suis persuadée que l’on peut en sortir, mais pour cela nous devons être ensemble ! »

« Et nous ne le sommes pas là ? »

Rarity venait d’entrer dans la conversation. Les regards se posèrent sur elle.

« Quoi ? J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? »

« Autre chose. »

Ils se retournèrent tous vers la licorne mauve.

« Le temps est ralenti ici. Par exemple, une semaine ici équivaut à un jour chez nous. »

« Ah, pourquoi ? »

« J’ai lu dans les archives de Canterlot que les rêves semblent plus lents que la réalité. Le temps s’y écoulerait plus lentement. Mais ce n’est pas très important de savoir ça. Bref. Pour terminer… »

Twilight effaça les images et mit alors chacune de ses amies, toutes séparées par des traits.

« Votre anxiété vient de ça. Vous ne le savez pas, mais à l’intérieur de vous, quelque chose vous suggère que vous êtes seules. Et chacun sait que la solitude renforce le stress, la peur, etc, en situation non contrôlée. Alors, convaincues ? »

Il y eu un léger silence, puis Rainbow Dash se lança.

« Si je comprends bien, on est dans l’esprit d’un poney. On croit qu’on est ensemble mais c’est faux et on le sait au fond de nous. Et, euh…ah oui. On doit trouver la passerelle qui relie toutes les, euh… »

« Strates ! »

« Ah oui, merci Pinkie. On doit trouver la passerelle qui relie toutes les strates pour se retrouver vraiment, et là seulement on en sortira. »

« C’est ça. »

Rainbow Dash se tourna vers les autres, inquiète et sceptique. Mais son scepticisme n’était pas partagé.

« On croit en toi, sugarcube, et on sortira de ce trou à rat, nom d’une pomme ! »

Organiser, ressouder, rassurer, Twilight était très douée pour ça, mais c’était moins vrai pour les autres… Elle aurait tant aimé que l’une de ses amies partage ce don avec elle. Connaissant bien la magie, elle se rendait compte de la gravité de la tâche : il était possible que le flux ne s’interrompe jamais, telles des fluctuations continues dans un esprit muable. Allaient-elles errer à l’infini ? Était-ce cela le piège ? Elle respira profondément et tenta de se rassurer pour elle-même. Elle pansa son mal, comme un soin mineur sur une balafre. Il fallait qu’elle sorte vite de ce lieu.