Chapitre 2: Le magicien

Pour la troisième fois de la journée, Shivering Quill se releva sur ses pattes. Le gout du plancher, il s’y était habitué. Il désirait réussir ce sort plus que tout.

« Courage Shivers, tu peux le faire. » Se répéta-t-il pour la troisième fois.

Sa corne recourbée s’illumina d’une vive lueur bleue qui inonda son esprit. La puissance du halo s’intensifiait progressivement, courbant son échine, nouant sa gorge, paralysant ses membres, mais cette sensation lui était devenue agréable depuis le temps. Il sentit son corps drainer la magie dans les gemmes installées dans de nombreuses étagères autour de lui, leurs éclats chatoyants semblèrent lui hurler aux oreilles quand il releva non sans peine sa tête vrombissante avec un petit rire dément. Un picotement déferla de sa queue à ses tempes violemment et sa crinière se mit à flotter, illuminée de légères étincelles magiques. Son corps entier était dévoré par la magie, des spasmes puissants agitaient son pelage frénétiquement, la sueur souillait sa fourrure aux coloris fades, mais il resta le plus concentré possible. L’unicorne n’était plus que magie, ses lourdes ailes mentales se déployèrent lentement dans la salle. Le halo de sa corne l’aveugla et il se sentit quitter le sol, ou bien était-ce le monde des vivants qu’il quittait ?! Crispé, endolori, couinant de douleur, pris d’un incroyable accès de panique et de doute, ce qu’il tentait de faire depuis son réveil rata, une fois de plus…Il se tordit et rabattit tout, ses ailes, ses pattes, son âme contre lui dans un immense hurlement, sortant directement de son cœur, témoignant de la douleur la plus pure qu’il n’ait jamais ressentie fit trembler son aile de la tour du château. Encore à moitié conscient, il entendit à peine les bruits de sabots affolés qu’avait provoqués son cri. Celestia en personne accourra auprès de lui, se coucha au sol, et posa un sabot sur sa corne, sabot qu’elle retira immédiatement, sentant la chaleur épouvantable qui s’en échappait.

« Mon cher Shivering, qu’as-tu encore fait ? » Murmura-t-elle, se relevant, observant les alentours de ses yeux dont la douceur n’avait d’égal que les nuages du soir.

Son regard se porta le long du corps tremblant, entre la vie et le rêve, et elle releva un détail tout sauf anodin.

« Mais qu’est-ce donc que cela ? »

Sa majesté solaire posa un sabot sur la cuisse du cornu, intriguée par la bouteille de rouge et les quelques grappes ornant sa croupe. Elle frotta légèrement, pensant qu’il s’agissait d’une quelconque teinture, mais ses doutes furent confirmés ; la cutiemark était bel et bien gravée dans le pelage du magicien. Ne sachant réellement quoi faire, la jument céleste souleva l’unicorne délicatement à l’aide de sa magie et vint le déposer sur le divan qui lui servait de lit. La princesse observa les cotes saillantes de l’étalon en face d’elle, son teint livide, son air lassé et famélique. Il revenait finalement à lui.

« Princesse ? » Gémit-il.

« Oui Shivering ? » Répondit-elle, la voix posée et son regard braqué dans le sien.

«Désolé de vous avoir dérangée. »

« Pourquoi cette cutiemark ? » Demanda l’alicorne solaire.

« J’en sais vraiment rien, Princesse. Je me suis réveillé avec ça à la place de ma cutiemark, et j’essaye de la retirer, mais je n’y arrive pas. » Repris l’unicorne, la voix nouée.

Il se redressa et se remit dans une position confortable sur le ventre.

« Je ne pense pas connaitre de sorts pour changer de cutiemark, malgré avoir été instruite par ton ancêtre, Shivering. »

« Je pouvais le toucher, j’y étais presque ! J’avais le sort entre mes sabots, mais j’ai paniqué pour aucune putain de raison et j’ai foiré ! » Il avait dit ces derniers mots un peu fort, des larmes perlant au bord de ses cils.

Il posa un sabot sur sa bouche plaqua les oreilles contre son crâne en réalisant qu’il avait crié des mots grossiers au visage de sa dirigeante.

« Mille excuses, Princesse. » S’excusa-t-il d’une petite voix.

« Ce n’est rien, je comprends ta situation. » Répondit-elle d’une voix rassurante.

Shivering Quill observa un instant la crinière éthérée de Celestia flotter doucement, parfois agrémentée d’étincelles magiques, ce qui l’apaisa un peu. Il soupira légèrement et essuya ses débuts de larmes d’un sabot. L’unicorne beige grisâtre observa ce dernier avec mépris avant de le reposer sur un coussin du divan et mit sa tête dessus. La Princesse du soleil le regardait avec tendresse et compassion, mais son regard ne cessait de se fixer sur les flancs décharnés de son protégé. Gêné par ce regard, Shivering se recroquevilla sur lui-même.

Celestia utilisa quelques sorts pour scanner l’unicorne en face de lui. Elle le regarda dans les yeux d’un air stupéfait. Le cornu releva la tête vers elle.

« Qu’avez-vous donc à me regarder comme ça -si je puis me permettre? » Demanda-t-il, un peu désemparé face à la situation.

« Je pense que vous devriez faire une pause sur la magie, très cher. Vous pourriez manger, par exemple. Cela fait combien de temps que vous n’avez pas mangé ? » Sa voix était chargée d’inquiétude.

L’unicorne prit un instant pour réfléchir.

« Eh bien, je me sers de la magie pour ne plus sentir la faim, et je me restaure grâce aux cristaux donc… Je dirais que ça fait facilement trois-quatre mois. » Finit-il par lâcher.

La princesse laissa échapper un couinement choqué et fixa Shivering avec de grands yeux ronds.

« Mais vous rendez-vous compte que c’est tout sauf sain ? C’est beaucoup trop à supporter pour un corps comme le vôtre ! » La crinière de la princesse s’emballa « N’importe quelle créature magique a quand même besoin de nourriture ! » Sa voix n’était plus aussi calme, sa crinière était comme emportée de mille tempêtes.

« Comment pensez-vous que votre chère sœur a pu supporter un siècle d’emprisonnement lunaire ? » Lança l’unicorne d’un ton insolent, en relevant la tête vers sa Princesse, un léger sourire tordant ses lèvres.

Celestia ouvrit violemment ses ailes dont quelques plumes tombèrent, et sa crinière prit un aspect beaucoup plus menaçant. Elle prit un air grave et mauvais.

« Je te défends de continuer cette discussion ! » Hurla-t-elle, usant de la voix royale Canterlienne pour accentuer son énervement.

Ces nombreux décibels violentèrent les oreilles de l’unicorne quelques longues secondes après que la phrase ait été prononcée. Il avait couché les oreilles et la tête, mais son sourire subsistait. Il éprouvait un malin plaisir à taquiner l’alicorne, même si ses oreilles sifflaient souvent après coup. Il releva le museau vers Celestia, toujours l’esprit en feu, même si un détail attirait son attention : des larmes. Serais-ce des larmes de rage ou bien de tristesse ? Il n’eut pas le temps de répondre à sa question ; la Princesse était déjà partie de la salle d’un pas lourd.