« Je vois... je vois quelque chose de blanc qui... qui commence par un N... »
Oui, effectivement... c'est un nuage... encore et toujours des nuages... je ne voyais que ça en regardant vers le haut.
Je regardais vers le haut puisque ce n'était pas tellement plus animé à ma hauteur : des lianes, des feuilles et puis des arbres à perte de vue. Franchement, si c'était pour voir ça, j'aurais préféré ne pas me réveiller...
Cela faisait 10 bonnes minutes que j'avais ouvert les yeux, après un sommeil plutôt long et sans aucune perturbation. Et quelles perturbations vouliez-vous qu'il m'arrive, tout était comme je l'avais laissé la veille, rien n'avait changé !
Un peu désespérée, j'entendais mon ventre qui gargouillait. À la louche, je devais entamer ma seizième heure sans manger. Je savais que je n'aurais pas du engloutir tous les fruits à ma portée d'un coup. Il y en avait encore dans cet arbre, mais j'avais beau me tordre dans tous les sens, impossible de poser une aile ou un sabot dessus.
Donc je scrutais. Je scrutais le ciel et la jungle. Un œil sur les nuage, un œil sur les arbres. Oui, parfaitement, c'est un strabisme maîtrisé, un jeu d'enfant pour moi...
J'étais condamnée à attendre. Attendre quoi ? Aucune idée, des secours peut-être ? Des sauveteurs aériens comme ceux que j'avais cru voir hier ? Non, si je comptais sur des poneys pour me sortir de là, je pouvais bien mourir de faim.
Des animaux alors ? On ne sait jamais, un petit castor qui passerait par là et voudrait ronger l'arbre pour un barrage sur le fleuve que j'entendais couler tout proche ? Ah, non c'est impossible ! Il n'y avait pas âme qui vive dans cette jungle, et même s'il y avait un animal, aucun ne serait intéressé par la pauvre pégase enchevêtrée dans les lianes d'un arbre géant, et ce même si elle criait à l'aide le plus fort possible !
Je commençais à avoir mal à la nuque, à mon dos et à toutes mes articulations, jusqu'à celles que je ne soupçonnais pas avant d'être coincée dans cette position très inconfortable. Les lianes qui m'étreignaient semblait resserrer leur emprise à chaque tentative de fuite, sans aucune pitié pour ce corps frêle de factrice insouciante.
C'est à ce moment-là que je commençais à m'inquiéter... nom d'un p'tit muffin... et si... je restais coincée là pour toujours ?
Mon oreille se mit à prêter attention aux bruits effrayants de la jungle. A chaque seconde, je m'attendais à ce qu'un tigre enragé vienne m'achever. J'essayais de chasser les pensées les plus sombres de mon esprit mais je savais pertinemment que si je ne finissais pas desséchée dans cet arbre aux délices, ce serait pour finir délice moi-même entre les crocs d'une créature aborigène.
Et inévitablement la panique suivit. Je m'agitais et une liane vint s'enrouler autour de mon museau. Ah, quel cauchemar ! Réfléchissons, je dois me calmer ! Comment je m'apaise ? D'habitude je vais faire un tour, mais... ah... non c'est pas possible là... manger ? On oublie... Les nuages ! C'est joli les nuages !
Effectivement, c'est joli les nuages. C'était les seules choses un peu originales portées à mes yeux, voilà pourquoi je les regardais, ils me faisaient un peu oublier ces horribles lianes et repoussaient les monstres chimériques qui voulaient ma peau.
Il y en avait un petit entre deux branchages qui ressemblait à un Parasprite... et là une espèce de peigne déformé...
On peut voir tout ce qu'on veut dans les nuages, ça permet d'échapper à sa monotonie de prisonnière. Moi, je ne saurais pas vous dire pourquoi, mais je voyais beaucoup de boîtes aux lettres et de tournevis...
Passons rapidement sur un nuage qui me rappelait une cabine de police volante, la couleur bleue caractéristique en moins...
Je voyais aussi une boîte de muff... - Non ! On a dit pas de manger ! - un trousseau de clés, une pelle à neige ou encore une pile de cailloux avec un chapeau d'anniversaire...
Au final, c'était plutôt amusant et apaisant. Je connaissais le pouvoir de l'observation des nuages, je m'y étais essayé de longues heures lors des journées ensoleillées, affalée dans l'herbe avec... avec...
Je regardais un peu plus la boîte de muffins, et au fur et à mesure je perçus une autre forme... celle bien plus touchante d'une petite licorne qui se promenait en souriant dans le ciel...
L'angoisse me reprit, mêlée à la fois avec un peu de nostalgie et beaucoup de colère contre moi-même. C'était entièrement ma faute si je finissais comme ça... une mort aussi idiote que l'idée de venir ici et surtout une mort loin des gens que j'aime...
La licorne nuageuse prit des teintes gris bleuté et me regarda en souriant.
« Dis, t'es en retard ? T'as dit que tu rentrerais avant dîner. » l'entendis-je demander avec sa petite voix naïve, même si je savais pertinemment que le seul son qui me parvenait était mes reniflements.
« J'arrive, Dinky... » dis-je en avançant vers elle.
Mais les lianes me retinrent, j'étais encore plus emmêlée qu'avant, pouvant à peine respirer, et la pouliche de mon cœur venait de disparaître dans le ciel.
Une larme à l'oeil, j'essayais de retrouver la boîte de muffins pour me consoler, tout en murmurant pleine d'espoir :
« Je te laisserai pas tomber, Dinky... »
Au moment où j'allais pleurer tout ce qui me restait d'humide dans mon corps, j'entendis un bruissement de feuilles bien plus proches que d'habitude.
Puis soudain un visage, un vrai visage, apparut brusquement entre moi et mes contemplations nuageuses. Un museau brun qui s'écria brutalement :
« Moi, au contraire, je te laisserais bien tomber ! »
Et une flèche enflammée traversa les lianes au-dessus de moi, celles-ci brûlèrent en une seconde.
Avant de comprendre ce qui m'arrivait, je chutai d'une dizaine de mètres avant de m'éclater, à plat, dans un étang gadoueux.
Sale, soit, mais libre ! La première action que j'entrepris fut de m'étirer le cou.
C'est de cette façon que je relevai la tête et remarquai un autre visage, celui d'une licorne bien plus grande que Dinky, vert pâle, avec une broche dans la crinière et surtout un sourire grand jusqu'aux oreilles :
« Bienvenue dans l'aventure, Derpy Hooves ! »
J'enlevai un peu la boue de mes yeux avant de la contempler plus attentivement. Les sourcils froncés, je faisais le tour mental de toutes les licornes que je connaissais... laissez-moi un instant... la crinière cyane... la marque en forme de lyre...
Je tentais un nom, pas très sûre de moi :
« Lyra ?
- Bravo ! Tu es une imbécile mais tu as une bonne mémoire.
- Hé, c'est pas très gentil de dire ça... »
Elle m'attrapa par les épaules, l'air très énervée, pour que je vienne coller mon front sur sa corne.
« Toi et Peewee m'avez sortie de mon paisible confort ponyvillien pour m'envoyer dans une jungle ou je risque ma vie à chaque pas ! Tu as pensé pouvoir ramener le phénix, mais au lieu de ça, tu t'es demandé si ces fameux fruits étaient vraiment exquis. Je parie que c'est en essayant d'en attraper un que tu t'es emberlificotée dans ces lianes et que tu t'es retrouvée suspendue comme un vulgaire lustre. Tu as fichu une peur bleue à toute la ville qui paniquait de ne plus la voir tomber en ruine à cause de toi. Même moi, j'étais folle d'inquiétude alors que je n'en ai rien à faire de toi en temps normal. Donc, excuse-moi, mais tu es effectivement une imbécile ! »
Puis elle me laissa tomber tête la première dans la boue avant de partir féliciter le bébé phénix brûleur de lianes.
L'autre pégase passa devant moi pour la rejoindre en déclarant :
« Je suis sûre qu'elle ne le pensait pas. »
Nouveau nettoyage pour se débarrasser de toute cette boue gluante, puis nouvelle contemplation. Je n'avais jamais vu cet autre visage dans les rues de Ponyville... non, elle n'avait pas la même allure que tous les gens que je connaissais. Et pourtant elle me rappelle quelqu'un... ce regard, cette veste, ce chapeau... oui, ce chapeau !
J'ouvris grand les yeux abasourdie puis m'approchai d'elle. Je la touchai pour voir si ce n'était pas un mirage de mon cerveau en manque de muffins. Elle me laissa toucher sa veste sans sourciller, puis son museau, mais elle me hurla dessus lorsque je testai son œil.
« Oh ! C'est quoi ton problème ?!
- Excusez-moi... est-ce-que vous êtes... vraiment... vous... là... entièrement... devant moi... en chair et en os... celle... que vous êtes... c'est-à-dire... Daring Do ? »
La pégase me regarda un instant sans bouger, avant de s'écrier :
« On me dit souvent que je lui ressemble...
- Oh, donc vous n'êtes pas...
- Bah si.
- Ah, merci ! Non parce que je pensais que j'avais des problèmes pour reconnaî... OH, NOM DE CELESTIA ! VOUS ÊTES LA VRAIE DARING DO ?!
- Si tu pouvais éviter de le crier, tu viens de signaler notre position à tous nos ennemis... »
Mon cri attira Lyra et son copain phénix, elle me regarda l'air de dire Ça va pas de hurler comme ça ?
« Lyra, dis-je en tremblant... c'est... c'est Daring Do !
- Oui et alors ?
- Et alors ? ET ALORS ?! C'est la plus grande héroïne des romans d'aventure de l'histoire ! L'aventurière la plus connue d'Equestria et la vedette des seuls bouquins que j'ai terminé de lire ! C'est Rainbow Dash qui me les a présentés, et j'ai réussi à retenir tous les épisodes ! Avouez que pour faire des livres aussi géniaux, vous êtes de mèche avec l'auteur, A.K. Yearling, madame Do !
- A.K. Yearling est mon nom d'auteur... répondit la star d'un air nonchalant.
- OH, NOM DE CELESTIA ! VOUS ÊTES A.K. YEARLING ?! »
Lyra colla par magie ma mâchoire inférieure à la supérieure (ce qui fit super mal à mes dents) puis elle s'adressa à la grande dame :
« Vous voyez, vous avez trouvé une fan... si j'en étais une, ça vous en aurait fait trop.
- Et je me demande si une seule de cette espèce n'est pas déjà trop... » continua la romancière.
Puis elle attrapa une liane et entreprit de grimper dans l'arbre ou je me trouvais à l'instant. Loin de s'y retrouver coincée, elle montait comme un chimpanzé pour atteindre le sommet et observer la région avec son regard d'aigle.
« Vous avez l'air d'être en pleine quête ! envoyai-je vers le haut. Quel dangers mortels allez vous affronter aujourd'hui ? Des aborigènes cannibales, des pirates souterrains, des grévistes en colère ?
- Ce ne devrait pas être mortel, répondit Lyra. On va juste récupérer une plume...
- Une plume magique, au moins ?
- Euh... à ce qui paraît, peut-être un peu... »
Daring Do retomba entre nous deux avant de pouffer :
« La Plume d'Aurore n'est pas magique ! Je vous ai dit que je saurais utiliser cet outil pour empêcher la Rune d'Atrexalcoatl de libérer son pouvoir dans l'écrin d'Améraude.
- Tellement de mots épiques et compliqués ! dis-je en sautant sur place d'excitation.
- Maintenant, si on veut pas que les Dragolithiques arrivent avant nous et détruisent la pyramide ainsi que la Plume avec leurs grosses pattes, on ferait mieux de se dépêcher !
- Oh ouais ! dis-je en agitant les ailes. Rassurez-vous, je serais pas un boulet ! Je ferais de mon mieux pour être la meilleure compagne de voyage que vous ayez jamais eu ! »
L'aventurière, qui s'apprêtait à partir, se retourna vers moi, avec un regard interloqué :
« Comment ça, compagne de voyage ? Il y a quelques minutes tu pleurais pour rentrer à la maison et revoir ta petite sœur !
- Déjà, Dinky est bien plus que ma petite sœur, et ensuite j'imagine comme elle sera fière lorsqu'elle apprendra que je suis partie à l'aventure avec une héroïne de roman !
- Je suppose que tu ne raconteras pas le passage des lianes... murmura Lyra.
- Je me permets d'insister, reprit Daring. C'est une mission extrêmement dangereuse et je ne pense pas que tu sois.... exactement... la jument de la situation.
- Parce que Lyra l'est ?
- ... Non plus... et c'est pour ça qu'elle va tranquillement te raccompagner à la maison. Allez, bye bye, tchao, vous prendrez un bon goûter à Ponyville et rirez insouciamment pendant que je chasserai des basilics !
- Comment ça ?! » s'écria Lyra.
On sentait l'incompréhension mêlée à l'indignation dans sa voix. Je crois qu'elle l'avait vraiment mal pris.
« Daring Do, vous m'aviez dit sur le trajet que je pourrais vous aider à récupérer la Plume d'Aurore. Vous avez dit qu'on formait une équipe !
- On a le droit de changer d'avis. Si tu me suis, elle me suivra aussi, et je pense que ça serait mieux pour tout le monde si je ne vous avais pas dans les pattes.
- Donc vous nous laissez tomber ?
- Vous connaissez le chemin du retour. »
Puis elle s'envola comme une flèche vers on ne sait où.
Lyra resta un instant la bouche ouverte, comme figée, comme ailleurs... Il faut avouer que Daring n'avait pas été tendre avec elle et elle me faisait un peu de peine à bloquer comme ça. Je m'attache très vite aux gens.
Avant qu'elle ne se mette à pleurer, je lui agrippai la patte.
« Allez... on rentre... je pourrais au moins dire à Dinky que j'ai touché son œil... »
J’espérais la faire rire, mais aucune réaction. Je l'entendis respirer difficilement, en poussant des petits gémissements, des miaulements même... attendez, des miaulements ?
« Maooow. »
Le poil de ma crinière se dressa. Je me précipitais pour me cacher derrière Lyra qui réagit enfin. Elle se retourna et observa l'objet de ma frayeur : un mignon petit chaton blanc avec de grands yeux bleus.
« T'es sérieuse ? me dit-elle. On va pas s'enfuir pour cette boule de poils trop chou. »
Soudain, un énorme rocher s'écrasa en direction du chat qui poussa un cri en l'évitant de justesse. Il disparut entre les arbres.
Et Daring Do fit son grand retour en sautant sur le rocher et en hurlant :
« Fuyez, vite !
- Ah, soupira Lyra, pleine d'insouciance. Je croyais vraiment que vous alliez nous laisser tomber. Vous auriez pu néanmoins épargner ce petit chat !
- Ce chat est le diable incarné ! cria-t-elle en commençant à courir.
- On voit bien que tu n'as lu aucun de ses livres ! » ajoutais-je en galopant à la poursuite de Daring.
Lyra se décida enfin à nous suivre (et à nous dépasser même) à partir du moment ou le chaton revint... sur le dos d'un tigre dix fois plus grand et dix fois moins amical.
Ainsi commença une course poursuite avec les agents envoyés par le génie du mal... euh, Ahuitruc si mes souvenirs étaient bons. Enfin, puisque ce dernier n'était pas en train de nous barrer la route en poussant un cri diabolique, je soupçonnais ce tigre d'errer au hasard dans la forêt sans l'accord de son maître (et j'ai eu de la chance de ne pas tomber sur lui quand j'étais dans ces lianes).
Cela ne l'empêcha pas de pousser un rugissement qui rameta toute son équipe de félins tueurs, avec panthère, jaguar et compagnie...
Je me croyais vraiment dans un film d'aventure, je me voyais en train de sauter par dessus des racines géantes et courir à la vitesse de la lumière. Bon, je pense que vous aurez tous compris que ce privilège était réservé à Daring Do et que moi j'étais épuisée, en sueur, super stressée et trébuchait sur le moindre caillou.
Au beau milieu de la course, Peewee le phénix s'était pris d'affection pour moi et avait commencé à me câliner. Essayer d'échapper à ses câlins brûlants m'a permis d'accélérer le pas pour être à la même hauteur que Daring et Lyra.
Je n'attendais plus qu'une chose, c'est que ça s'arrête. Je ne sais pas moi : la panthère qui tomberait sur une pelote de laine ou le tigre effrayé par un épouvantail ! Ce n'est pas arrivé... mais ça aurait pu !
Pendant que j'y réfléchissais, un court d'eau apparut dans mon champ de vision. Le genre de celui qui ne plaisante pas, remuant et énergique, capable d'emporter un éléphant qui essaierait de le remonter (éléphant qui n'aurait même pas pieds d'ailleurs). En apercevant une vieille pancarte avec les mots Fleuve Quetzamazone, alias cimetière de la jungle, je me mis à avaler ma salive. Daring et Lyra voyaient également le fleuve approcher, perpendiculaire à la direction de notre course.
« Et zut, dit Lyra de façon très monotone.
- C'est pas un ruisseau qui va arrêter Daring Do ! s'écria l'aventurière.
- Oh, comme dans le numéro 35, vous allez capturer un dinosaure géant mangeur de poneys et le maîtriser pour qu'il vous conduise de l'autre côté du fleuve ?
- Ah ouais... le 35... euh... je vois pas trop de dinosaure ici...
- Alors vous allez invoquer un dragon de feu holographique pour transmettre un message aux aliens Guerriers de Glace, afin qu'ils interviennent dans notre passé pour geler la source du fleuve et créer un univers parallèle où on pourra le traverser ?
- Je ne me souviens pas avoir déjà fait ça...
- Ça vient de sortir de mon esprit, lançais-je toute fière.
- Je pense qu'on devrait se séparer pour avoir plus de chances de trouver un passage, dit-elle finalement.
- Pour que la moitié se fasse tuer ? grinça Lyra.
- Si tu trouves un passage, envoie un signal avec ta corne. Moi, je prends le phénix et je vous l'envoie si je trouve quelque chose.
- Ça marche ! » répondis-je.
Nous arrivâmes en angle droit sur le fleuve, Daring commença déjà à se déporter sur la droite, Lyra protesta :
« Hé, je ne suis pas d'accord ! Vous allez en profiter pour partir seule à la recherche de la plume ! Daring, on change de plan ! Daring, revenez ici ! »
A force de parler, elle manqua de tomber dans le fleuve. Je me dépêchai de la retenir par la queue, puis d'attraper sa patte et de l'entraîner dans le virage de gauche. Daring Do, elle, avait attrapé Peewee qui avait à la base l'intention de me suivre (et je peux vous assurer que je n'en voulais pas) et partit à droite, poursuivie par le jaguar et la panthère.
Il nous restait donc le petit chat... et surtout le tigre géant. Effrayée par nos poursuivants, je ne remarquai même pas que je fonçais droit dans un grand rocher en équilibre. Cette énorme pierre que je fis vibrer en me maravant dessus en entrechoqua une autre encore plus immense qui tomba juste sur moi. Ce fut donc au tour de Lyra de me tirer de toutes ses forces. Le grand rocher tomba juste entre la pointe de mon museau et les moustaches du tigre énervé.
Alors certes, nous l'avions bloqué un instant. Mais ces pierres n'étaient pas là par hasard : elle nous entouraient complètement, un gros piège qu'on avait pas vu venir.
Histoire de nous mettre encore plus les jetons, la plus grosse des pierres était gravée de symboles bizarres et nous observait, impassible, en plein milieu du Quetzamazone, comme si même le fleuve déchaîné voulait l'éviter.
Lyra conclut rapidement que nous étions dans un espèce d'autel Dragolithique en observant les colonnes d'or gravées ça et là.
Moi, je conclus qu'on était complètement coincées et je le hurlai dans l'oreille de la licorne qui se dirigeait tranquillement vers les multiples offrandes dorées en l'honneur du Saint-dieu-des-cailloux-qui-résistent-aux-torrents-démentiels (parce que je ne voyais pas du tout quels autres dieux des dragons pouvaient vénérer dans ce coin oppressant).
Lyra attrapa un espèce de compas doré et le pointa vers la pierre divine où s'entassaient des tas d'autres richesses. Puis elle évalua la distance qui séparait la rive de la pierre en marmonnant que c'était sûrement plus facile pour un dragon volant d'y accéder.
Elle se mit alors à observer la zone avec un regard étrange que je n'avais jamais vu. Oh, est-ce-que c'était ça, sa fameuse technique d'analyse instantanée ?
En essayant de faire la même chose, la seule chose que je vis, ce furent des griffes de tigre essayant d'escalader le rocher qui bloquait la voie. Paniquée, j'allais dire à Lyra d'accélérer, mais ce fut elle qui s'écria en souriant :
« Derpy, tu penses à ce que je penses ? »
Je pris un temps pour réfléchir, puis, très fière de moi, j'ouvris la bouche pour lancer un mot. Mais Lyra me fit comprendre par un mouvement de tête que ce n'était sûrement pas ce à quoi elle pensait. Son talent de déduction ou la certitude que tout ce qui sortait de ma bouche était bon à jeter ?
Derrière, un rugissement, suivi d'un miaulement féroce. La bête avait réussi à grimper sur le rocher et venait de bondir juste à côté de nous. Lyra m'attrapa par les épaules, me fit pivoter et me fixa droit dans les yeux.
« Derpy, je suis désolée si je t'ai un peu brusquée. Même si tu aurais pu éviter de te retrouver coincée comme ça... je trouve ton moral bien tenace pour passer une nuit dans cette jungle sans mourir de peur... je pense qu'à nous deux, on peut être aussi fortes que Daring et qu'on pourrait récupérer la Plume d'Aurore nous même. Je n'ai qu'une seule chose à te dire : courage !
- Pourquoi tu me dis ça maintenant ?
- Pour ne pas mourir avec une mauvaise conscience... ou parce que tu vas en avoir besoin pour traverser... »
D'un violent coup de sabot, elle percuta une colonne en or massif toute proche. Celle-ci tomba alors en direction de la pierre divine gravée et forma un pont pour le moment assez résistant aux vagues du fleuve.
« À toi l'honneur ! » cria-t-elle.
Je sautai sur le pont artificiel, tout en essayant de garder l'équilibre et tout en me demandant si j'aurais pu déterminer que cette colonne était à deux plumes de tomber et arriverait pile jusqu'à la pierre.
Lyra me suivit, un peu moins à l'aise. Je lui tendis ma patte pour qu'elle ne trébuche pas. Je vis alors la reconnaissance dans son regard, une pégase qui se baladait souvent sur l'arrête des toits n'étaient pas si inutile finalement !
Lorsque nous fûmes arrivées sur le rocher au milieu du fleuve, qui pouvait contenir au moins trois poneys de plus, je poussai de toute mes forces pour envoyer la colonne à l'eau. Le tigre qui avait entreprit de nous suivre trébucha alors et le petit chat tomba dans la rivière. Il en ressortit en hurlant avant de disparaître dans la jungle.
Le tigre, lui, poussa un grognement alors qu'il descendait le fleuve, tout seul sur sa colonne, et trop effrayé pour nager avec ses pattes.
Lyra me tendit son sabot et je le frappai avec fierté. Elle déclara alors :
« J'espère que tu as remarqué qu'on était coincées sur une pierre au milieu du Quetzamazone ? »
Mon sabot glissa mollement vers le bas, comme mon sourire. Alors la licorne se mit à observer les coupes en cristal et autres pièces en or qui jonchaient la pierre pour nous en sortir.
« Derpy, il faudrait qu'on trouve un truc qui flotte... » dit-elle finalement.
De mon côté, je me focalisais donc sur tout ce qui passait dans l'eau devant mes yeux. Soudain, une sorte de grande branche pointue attira mon regard. Je plongeai mes pattes et l'attrapai (du premier coup, n'est-ce-pas un événement ?). Je me retournai fièrement vers Lyra.
Elle se mit alors à serrer les dents et à hocher la tête de droite à gauche paniquée. Je me retournais alors et une immense gueule pleine de crocs me hurla dessus. Puis la queue de la créature que je tenais m'envoya valser au loin. Lyra me rattrapa avec sa magie et me déposa à ses côtés.
Le monstre, un espèce de reptile au corps tellurique et aux yeux perçants poussa un nouveau cri.
« ALLIGAROC ! hurla Lyra.
- C'est plus ou c'est moins méchant qu'un Cragadile ?! » demandais-je effrayée.
Sûrement beaucoup plus, car celui-ci fonça sur notre pierre avec une telle violence qu'on la sentit bouger. En esquivant, tout notre poids se déporta sur le bord de la pierre plate, et elle se mit à pencher dangereusement... Je crois que le Dieu des cailloux nous avaient lâchées...
Une grosse vague acheva de desceller la pierre gravée, et celle-ci se mit à dévaler la rivière, avec dessus deux poneys hurlant de peur.
L'Alligaroc nous suivit à toute vitesse. Ses yeux effrayants étaient seuls à sortir de l'eau. Puis il accéléra brutalement. Lyra me poussa sur la gauche et s'y jeta aussi, notre embarcation se décala alors légèrement pour éviter l'attaque du Cragadile... ou... Alligaroc... ou Rocodile ? Bref, il réessaya sur la gauche et Lyra me relança à droite pour faire virer le bateau.
Vexée de servir de gouvernail, je hurlai que je ne voulais plus que mes pattes quittent cette pierre. C'est alors que nous heurtâmes un autre grand rocher qui projeta notre navire de fortune dans les airs. Je m'agrippai alors à Lyra en pleurant que je préférais mourir dans un arbre pleins de fruits délicieux, elle retenait sa broche favorite.
Je me suis sans doute fracturé une côté en retombant avec violence sur la pierre qui dévalait le fleuve de plus en plus rapidement. Du coin de l’œil, je vis l'Alligaroc se servir du promontoire comme nous et s'envoler avant de retomber sur notre pierre. Alors que je hurlais à la mort et qu'il tentait de m'engloutir, Lyra se plaça devant moi et projeta un rayon orange en plein dans sa gueule pleine de crocs. La créature rocheuse retomba dans l'eau.
Mais nous étions loin d'en être sorties. Les remous commençaient à se multiplier, je serais tombée plusieurs fois du navire, si la licorne ne m'avait pas tendu la patte au dernier moment. Puis venant de nulle part, l'Alligaroc refit surface du côté gauche de l'embarcation. A cause de son poids et des cahots, la pierre sacrée se mit à pencher dangereusement.
Lyra qui commençait à glisser me cria le mot « branche ». Paniquée, j'essayai de comprendre en balayant du regard toute le zone. C'est alors que j'aperçus un arbre énorme dont une des branches passait juste au dessus de notre descente en rafting. Alors je me mis à courir à toute vitesse sur la pierre qui penchait presque à la verticale et attrapai magistralement la branche avec un sabot tout en tendant l'autre pour Lyra (oui, je me suis étonnée sur ce coup là).
La licorne donna un coup de patte à l'Alligaroc enragé puis se mit à courir en diagonale, puisque la pierre, elle, n'était pas décidée à l'attendre. Au moment où elle sautait, l'Alligaroc tenta sa dernière action : un bond tellement puissant que Lyra se retrouva au vol entre ses deux mâchoires.
Heureusement, la licorne qui avait bien plus de réflexes que moi invoqua un rayon qui projeta définitivement l'adversaire contre la pierre qui dévalait le torrent. Une fraction de seconde plus tard, elle tendait au maximum son sabot pour attraper le mien, puis rattrapa sa broche qui chutait avec le bout de sa queue. Saine et sauve, elle se tortilla pour essayer de la replacer dans ses mèches cyanes.
Le soulagement se lut sur nos deux visages, elle était assez légère, j'arrivais à la soutenir, il ne nous restait donc plus qu'à regagner la rive.
Mais je crois que je n'ai jamais eu de chance...
Déjà toute petite, à chaque fois qu'un élève de mon école était tiré au hasard pour une tâche ingrate, ça tombait sur moi. Je passais toujours en première pour les examens de sport et il y avait toujours un membre du personnel qui avait laissé traîné son sceau de javel au milieu de mon passage... En grandissant, ça ne s'est pas arrangé : à chaque fois que je prévois de bronzer à la plage, Cloudsdale décide qu'il doit pleuvoir et dans toutes mes parties de poney pouilleux, je fini avec le valet de pique...
Hier encore, je comptais participer à la course des feuilles d'automne, mais les organisateurs avaient égaré ma fiche de candidature...
Une seconde... pourquoi est-ce-que je parle de ça ? Ah oui, parce que la branche à laquelle on se tenait était en train de craquer...
Après une seconde de soupir et un regard partagé avec Lyra, la branche céda et nous filâmes vers le fleuve mortel.
Heureusement (ou malheureusement lorsqu'on la prend dans les dents), c'est une planche de bois qui stoppa notre chute.
Le temps de me relever et de ne plus voir trouble, je distinguai celle qui nous avait sauvées, car, malgré tout l'amour que j'ai pour les planches de bois, celle-ci était tout simplement incapable de nous sauver par elle-même.
Un regard fuyant celui de Lyra qui rejoignait doucement la terre ferme, une mine un peu désolée, Daring Do avait ses deux pattes avant posées sur la longue planche qui se dressait au-dessus du fleuve.
Le temps de rejoindre mes deux partenaires, de m'ébrouer et de vérifier aux alentours qu'il n'y avait ni tigre ni crocodile, l'aventurière s'assura que nous n'avions rien de cassé.
Lyra lui fit alors remarquer que nous avions dû nous battre avec un félin géant, puis descendre un fleuve ultra-dangereux poursuivies par un reptile rocheux prêt à nous envoyer dans l'autre monde une bonne dizaine de fois, mais que ce n'était sûrement rien par rapport aux dangers incroyables auquel Daring Do s'était exposée pour trouver cette stupide planche.
J'approuvais en souriant, quelle héroïne cette Daring Do ! Lyra me cria alors que c'était de l'ironie.
« Si ça peut te faire plaisir... je suis désolée... soupira Daring Do en retirant un instant son chapeau.
- Vous n'avez pas à l'être, m'écriai-je. Vous êtes époustouflante ! Je parie que vous avez utilisé tout votre génie pour traverser ce fleuve déchaîné ! »
Daring hocha la tête de gauche à droite, puis agita ses ailes en haussant les épaules.
Lyra ouvrit grand les yeux puis projeta un regard noir, sur mes ailes, puis sur moi. Je lui fis remarquer que ça aurait été encore plus facile si elle savait se téléporter comme Twilight Sparkle.
« Madame Do, grogna Lyra vers Daring, vous aviez annoncé que si vous trouviez un moyen de passer, vous nous enverriez Peewee ! »
Daring haussa à nouveau les épaules et montra le sommet de l'arbre au dessus de nous. Peewee était en train de se délecter de ces merveilleux fruits de la forêt. Je l'enviais tout en me disant que ça ne serait pas poli si je faisais pareil maintenant.
« Pas ma faute... conclut-elle en remettant son couvre-chef.
- Vous savez, reprit Lyra, j'ai un certain talent pour comprendre les esprits des poneys et je suis à peu près sûre que vous aviez l'intention de nous laisser tomber pour de vrai ! »
Daring baissa la tête, je ne l'avais jamais vue (ou plutôt lue) aussi préoccupée. Elle déclara d'une voix extrêmement calme, comme un aveu :
« Vous vous êtes lancées dans cette aventure et avez surmonté des risques sans précédent, tout ça pour un objet dont vous ne connaissez rien. Vous devez être attirées par ce sentiment d'adrénaline, ou cette idée que vous ne pouvez pas partir en laissant cette région en péril. Et vous avez raison, ce sont les sentiments qui m'habitent tout au long de mes voyages... Mais jusqu'à maintenant, cela ne concernait que moi et je me sens coupable de vous faire prendre autant de risque. Si je vous ai rejetées, de façon rustre certes, c'est parce que je sais que vous n'êtes pas taillées pour ce genre de mission et qu'il risque de vous arriver beaucoup plus de problèmes que moi... C'est peut-être difficile à comprendre, mais j'avais pensé faire ça pour votre bien... »
Un silence gêné suivit la déclaration. Je me sentais vraiment gênée, et je vis le même sentiment dans le regard de Lyra. Il valait peut-être mieux qu'on s'en aille, finalement.
Daring repartit alors sur une note plus dynamique :
« Mais ce n'est pas en rejetant les gens qu'on les met à l'abri. Au contraire, ils risquent d'être hors de contrôle et de s'exposer au danger. Je dis rarement ça, mais je crois que je tiens à vous... Toi Lyra, tu as un talent qui me sera sûrement très utile pour déjouer les pièges de la pyramide, et toi Derpy... tu... voilà quoi ! »
J'ai préféré ne pas trop réfléchir à cette dernière phrase et rester dans l'émotion...
« À côté de vous, je ne suis qu'une baroudeuse un peu brute, et ce serait un grand honneur pour moi si vous m'accompagniez pour ma quête. »
Je me tournai vers Lyra en souriant, elle me sourit aussi.
« Mais souvenez-vous que JE suis le guide, et donc que si on passe sur un chemin qui nous précipite droit dans un lac de lave, JE serai la responsable. Et je n'ai pas DU TOUT l'intention de repartir avec un membre en moins. Chaque fois que j'ai des compagnons, je suis horriblement stressée... car c'est par une simple maladresse qu'on peut perdre une personne... ou un objet... qui nous est cher... la Plume d'Aurore, par exemple... ces derniers temps, elle me suivait partout... je l'ai mise à l'écart, tout comme vous, pour son bien... et elle ne l'a pas supporté...
- Qu'est-ce que vous voulez dire par me suivait partout ? demandais-je curieuse.
- Et bien, même si ce n'est pas écrit dans les romans, elle était toujours à mes côtés pendant mes dernières aventures. Une sorte d'objet fétiche.
- Dans ce cas, demanda Lyra avec son regard de détective, comment un objet fétiche aurait pu ne pas supporter sa mise à l'écart ? »
Daring se tut. Puis elle se mit en marche vers une nouvelle zone de la jungle en marmonnant :
« Soyez patients et vous saurez... soyez patients et prudents... »
Nous échangeâmes un nouveau regard, puis nous nous précipitâmes derrière elle.
Direction : la pyramide d'Oremaude... euh d'Uramaude... de... du gros truc en forme de temple qui se dressait au milieu des arbres droit devant...
Le reste du chemin se fit sans encombre, je vous passerais les attaques d'araignées cannibales et d'Ursa Major argentés, c'était bien moins impressionnant que la pyramide de Machinraude.
Après l'impression gigantesque d'écrasement que m'a donnée cette chose lorsque nous arrivâmes à son pied, il est temps pour moi de vous la décrire.
C'était donc une immense pyramide à base carrée, du genre Pégaztèque vous voyez, avec un escalier sur chaque face et l'entrée tout en haut. Mais elle se distinguait nettement de tout ce que j'avais pu voir dans les livres. Déjà par ses couleurs : les pierres de chaque étagère étaient d'un vert intense et semblaient fluorescentes dans les coins à l'ombre. Un effet d'optique, une radiation extraterrestre comme je dirais ou une importante concentration de schistes chloritiques comme dirait Lyra ?
Les pierres des escaliers étaient bleues et cristallines, grimpant jusqu'au soleil. Des aigues-marines, me lança Lyra en me gâchant tout le plaisir de la réflexion. De part et d'autre de cet escalier, il y avait des rambardes métalliques... une seconde, métalliques ?! Effectivement, on aurait dit un espèce de muret métallique solide duquel émanait quelques lueurs jaunes bizarres qui me coupaient toute envie de réfléchir plus.
Autre particularité de ce temple : sa taille. Il surplombait de loin tout ce qu'on pouvait apercevoir dans la jungle. Les marches faisaient la taille d'un poney et l'entrée était si haute qu'on devait sortir de l'orbite terrestre tout là-haut.
Mais non, la force attractive de la planète s'exerçait bien sur nous pendant la montée, et trop bien même. Tandis que Daring Do nous attendait 150 marches plus haut, je faisais la courte échelle à Lyra pour qu'elle puisse grimper. Ajoutez à cela que l'oiseau incandescent qui se frottait à moi n'aidait pas à me rafraîchir. Résultat : j'avais beau avoir des ailes, j'étais la plus crevée à la fin lorsque je m'étalai en sueur sur l'ultime marche de cette horrible ascension. Nom d'un docteur, y avait quoi dans cette pyramide ? On ne construit pas un truc aussi gigantesque pour enfermer un tout petit écrin ! Les salles avaient intérêt à être à la hauteur de ces mensurations.
Et je ne fus pas déçue sur ce point dès que je tournai un peu mes yeux vers l'entrée. L'immense acropole, qui avait l'air d'une aiguille vue d'en bas, abritait une gigantesque salle carrée pavée d'or (ou un truc qui y ressemblait) du sol au plafond. Ces dorures étaient remplies de fissures à cause de l'érosion (une partie du toit manquait d'ailleurs à l'appel), le plus amoché étant l'escalier dans le fond qui s'enfonçait dans les entrailles de la pyramide. Tout était couvert de mousses, des lianes et de toiles d'araignée... en espérant que ce n'était que des araignées qui avait tissé ces nids géants de toile...
Lyra, en grande archéologue qu'elle n'était pas du tout, commençait déjà à admirer les statues qui représentaient des dragons ça et là. Daring Do, elle, parcourut du regard les fresques sur le mur où on pouvait distinguer un espèce de dieu dragonique, une armée de basilics et de grands champs au milieu d'une jungle. Le plus étonnant était sûrement le dessin de la grosse pierre rouge, d'un socle vert qui s'y emboîtait parfaitement et d'une grosse croix pleine de symboles attention entre les deux.
Quant à moi, après avoir chassé le phénix intempestif, mon regard resta bloqué sur une petite stèle (petite par rapport à la salle) avec des représentations de la Plume d'Aurore accompagnées de gravures bizarres. Je me demandais ce que ça voulait dire...
« Prenez garde au Happeur ! » lança une voix tout près de mon oreille.
Alors, je reculai d'un bond effrayé. Après quoi un de mes sabots se coinça dans une fissure toute proche, je tombai à la renverse vers un petit escalier que je n'avais pas relevé. Après avoir descendu la dizaine de marches avec mon menton, je rencontrai une grosse pierre descellée du mur. Après m'être estropié les pattes avec, je donnai un coup d'aile pour échapper à une autre pierre plus grande qui voulait en finir avec moi. Mais je rencontrai dans mon élévation une grande tête de dragon en pierre. Je me cognai, retombai sur la grosse pierre, qui se mit à se pencher et m'envoya vers une colonne plus loin que je me pris de plein fouet. Enfin, je glissai le long de la colonne et me mis à rouler sur le sol à damier, juste aux pieds de Lyra.
La licorne lança alors un regard boudeur à la romancière qui m'avait effrayée. Celle-ci se contenta de hausser les épaules et lever les yeux au ciel.
Le temps que les petits oiseaux autour de ma tête disparaissent, Daring pointa les murs gravés de sa patte droite. Ah, cette légendaire patte droite qui avait écrit tant de fantastiques aventures ! Euh... ou était-elle gauchère ?
« Les gravures, les statues et les tapisseries qui nous entourent sont toutes des représentations du Dieu Serpent à Plumes d'Aurore, déclara-t-elle suivie de son écho. C'est en déchiffrant ces symboles qu'on a découvert la légende d'Atrexalcoatl, ainsi que la prophétie et quelques phrases qui nous échappent encore du genre : prenez garde au Happeur. Je préfère vous prévenir tout de suite que les dragons, fleuves déchaînés, félins enragés et cragadiles ne sont rien à côté de ce qui nous attend là-dedans ! Car ici, c'est le territoire des basilics ! Ahuizotl est dans le coin, le docteur Caballeron aussi sûrement et ce n'est qu'une question d'heures - que dis-je, de minutes ! - avant que les basilics ne s'éveillent.
- Je suis navrée, madame Do, dit Lyra les yeux rivés sur une colonne. Mais... ils sont déjà éveillés... »
Daring Do s'empressa de déclarer que ce genre de blague ne la faisait absolument pas rire. Lyra se mit à pointer divers recoins de la zone :
« Il y a de longues griffures le long de ce mur, de cette colonne et de celle-ci. Ahuizotl ? Beaucoup trop petites. Ses félins ? Si c'étaient eux, pourquoi y aurait-il une nette trace de coup de bec dans cette paroi-là et quelques plumes de coq coincées sous le rocher que Derpy a pris en affection. Oh, et j'aurais préféré ne pas le remarquer mais... il y a un rat pétrifié juste à côté de vous, Daring... »
Elle releva les yeux vers l'aventurière qui fit un rapide pas sur le côté en apercevant la statuette de rat près de la stèle centrale.
« Les basilics peuvent nous changer en pierre n'est-ce-pas ? continua Lyra un peu inquiète.
- Tu sais, il y a des moments ou tu devrais éviter de trop déduire... » dis-je en restant bloqué sur le rat.
Soudain, un cri attira notre attention, un cri venant du grand escalier derrière la stèle.
« On dirait que votre ami plumé a des ennuis, dit Daring en courant vers le cri.
- Derpy ! Tu étais responsable de Peewee ! cria Lyra à sa poursuite
- Et depuis quand ? » criais-je à mon tour.
Au beau milieu de l'escalier, Daring et Lyra se figèrent, la première écœurée, l'autre complètement horrifiée. Il faut croire qu'elles n'étaient pas les seules figées...
En arrivant, je constatais à mon tour le problème. On avait retrouvé Peewee... un petit Peewee changé en pierre au milieu des marches, avec des yeux ronds de surprise.
Quelques larmes roulèrent sur les joues de Lyra. Je me suis dit que ce n'était probablement pas le bon moment pour lancer « Bien fait pour toi, espèce de boule de feu ambulante ! », un peu de respect quand même... même si je dois avouer qu'un petit sourire apparut sur mon visage en pensant que cette torche infernale allait arrêter de me brûler les plumes.
Au moment où Lyra entamait son monologue dramatique débutant par « Qu'est-ce-que je vais dire à Candy ? Je suis une meurtrière ! », un nouveau cri nous épargna la suite.
Daring Do s'empara du phénix figé, le glissa dans son chapeau et le remit sur sa tête. Puis elle me poussa vers le haut des marches et attrapa Lyra par le col, elle nous plaqua alors derrière une colonne dans la salle de la stèle. La licorne changea alors radicalement de ton, passant des larmes à l'indignation. Daring lui pria gentiment de la fermer.
Puis on entendit d'autres cris. Des caquètements de poules et des sifflements de lézards. Entre deux colonnes je pus distinguer des pattes de gallinacés, des ailes mi-coq mi-dragon, et surtout de longues queues écaillées armées de pointes effrayantes.
À cet instant, mon pouls allait plus vite que les dixièmes de secondes d'un chronomètre.
Après un instant à retenir nos respirations dans un silence absolu, Daring lança finalement, presque à voix haute :
« Eh, vous saviez que les basilics étaient sourd comme des pots ?
- Mais vous allez nous dire qu'ils voient en infrarouge, c'est ça ? grinça Lyra
- Exact, votre phénix les a attirés avec toute sa chaleur.
- Hé, dis-je en tapant sur l'épaule de lyra. Au fait, c'est quoi la différence entre un basilic et une cocatrix ?
- C'est comme Alligaroc et Cragadile, c'est Rocaïman la même chose...
- Et il se passe quoi si ils nous trouvent ? »
Lyra me regarda avec un sourire moqueur :
« Exterminate ! lança-t-elle d'une voix robotique.
- C'est même pas drôle... et d'où tu connais ça ?
- Surtout, ne croisez jamais leur regard ! » déclara Daring en me poussant alors que je me penchais un peu pour voir.
Et alors que mon pouls battait les centièmes de seconde, Daring, elle, se permit de se pencher.
« On doit atteindre la stèle, dit-elle. Je sais que...
- Qu'il y a un passage secret raccourci dessous ? coupa Lyra
- Nom d'un Ponygène, comment tu... oh, laisse tomber. »
Pendant que Lyra et Daring élaboraient un plan, je regardai en l'air.
C'est alors que je vis une sorte de totem-escalier, une queue de dragon géant qui grimpait assez haut. La tête de ce dragon-escalier regardait un autre totem séparé d'une longueur de poney. À côté de celui-ci pendait une liane qui tombait pile à côté de la stèle. Un super parcours d'aventurier en perspective.
Après avoir expliqué tout cela aux deux autres, qui me prirent d'abord pour une timbrée, puis acquiescèrent en souriant, Daring s'empara de quelques cailloux et les jeta au milieu de la pièce.
Les basilics commencèrent à devenir fous et à courir un peu dans tous les sens, à la recherche de l'anomalie. Pendant ce temps, j'aidais Lyra à grimper le long du dragon, comme je l'avais fait au fleuve, tandis que Daring Do était déjà en train de pousser la stèle tout en se cachant derrière.
En haut du totem, au moment de sauter vers le second. Lyra me regarda avec un rire nerveux.
« Hé hé, Derpy, je sais qu'on me trouve forte et tout mais... il faut que je t'avoue que... j'ai le vertige.
- Personne n'est parfait... » dis-je en lui tendant le sabot.
Après, ça ne s'est pas déroulé exactement comme prévu... Au milieu du saut, Lyra s'est crispée d'un coup, elle s'est accrochée à moi et m'a poussée vers le totem qui tomba dans un énorme fracas. Quant à la liane à laquelle on essayait de s'accrocher, elle se cassa et tomba avec nous sur la stèle qui se brisa en deux.
Un silence pesant. Puis Daring Do se mit à applaudir. Non pas parce qu'on venait de dévoiler un trou sordide à la place de la stèle, mais parce que les basilics nous fixaient désormais intensément.
Je me relevai et fermai les yeux, en sachant que des dizaines de regards mortels étaient pointés sur moi.
« Zut... » dis-je à l'adresse de Lyra.
Je devine que c'est elle qui me donna brusquement un coup dans le ventre pour me faire tomber dans le trou.
Pendant ma chute, accompagnée d'un hurlement de peur, je vis bientôt Daring et Lyra me rejoindre en poussant un « Geronimo ! ». Les basilics, eux, se chahutaient pour nous poursuivre, si bien qu'aucun n'arrivait à s'engouffrer dans le passage.
Un toboggan, un petit saut et vlan, nous atterrîmes dans une nouvelle pièce lugubre. Évidemment, j'étais la seule à ne pas retomber sur mes quatre pattes...
C'était un couloir sans lumière extérieure, mais très illuminé.
Je m'explique : il y avait, incrustés dans les parois, le sol et le plafond, de multiples cristaux luminescents qui variaient leurs couleurs lorsqu'on avançait. Nous marchions dans un mince filet d'eau étonnamment propre et agréable, ébahies par ces espèces de flux de plasma liquide qui parcouraient les murs. En fait, malgré les toiles d'araignée de retour, ce couloir semblait très futuriste.
Mon soulagement de se retrouver dans un endroit apaisant fut de courte durée. On entendit brusquement un bruit d'origine électrique, puis un espèce de vrombissement d'aspirateur. Les lumières derrière nous s'éteignirent par je ne sais quelle magie et un énorme monstre fit son apparition, profitant du noir pour se dissimuler. Ce monstre de métal glaceur de sang faisait la hauteur du couloir et la largeur du couloir. Et il avançait doucement vers nous en aspirant l'eau sur le sol.
Tandis que mes dents claquaient plus vite que mon pouls, un cri de poulet se fit entendre. Soudain, un basilic tomba juste entre nous et la machine obscure. Réalisant où il était, le basilic se mit à courir, pour ne pas être aspiré par le monstre. Brusquement, la machine déploya une panoplie de lames tranchantes qui se mirent à tournoyer avec ardeur.
Je détournai le regard au moment où la créature fut happée et broyée par la machine. Ça ne devait pas être beau à voir si j'en jugeais la mine dégoûtée de Lyra.
« Ok... déclara Daring en faisant quelques pas vers l'arrière. Je crois qu'on a trouvé ce cher monsieur Le Happeur... »
Comme si on l'avait appelé, le Happeur se mit à accélérer. Lyra et moi commençâmes à courir, essayant de rattraper Daring qui était déjà loin.
Je courrai à perdre haleine, projetant des gerbes d'eau à l'arrière, et même si l'eau ne touchais que mes pattes, j'étais quand même en nage. Encore plus angoissée que pour les basilics, ou le cragadile, ou le tigre (mais en fait j'ai peur de tout ou quoi ?) cette fois c'est ma respiration qui dépassait mon pouls.
Le Happeur était certes une machine, mais possédait un côté vivant, hargneux et sournois, comme s'il accélérait à chaque instant où je ralentissais légèrement.
Les yeux rivés vers l'arrière, je ne les tournai que lorsque j'entendis un hurlement de désespoir provenant de la bouche de Lyra. Celle-ci avait rattrapé Daring qui n'avançait presque plus. Ça ne servait plus à rien d'avancer, au détour d'un virage, j'aperçus comme eux le mur au fond du couloir et aucune issue pour s'échapper.
Après un moment de réflexion, Daring repartit à toute vitesse en criant :
« Il y a une fissure là-haut. On escalade ! »
La licorne la suivit avec énergie. Leurs pas se mirent résonner sur un sol devenu métallique, traversé par une étrange fente.
Mais j'étais trop fatiguée pour escalader quoi que ce soit, et même pour courir davantage. Je commençai à zigzaguer alors que le Happeur gagnait du terrain.
Soudain, mon sabot droit se posa sur une pierre plus étrange que les autres. Celle-ci s'affaissa dans le sol avec un long grincement.
Aussitôt, le fente entre les deux plaques métalliques sous les pattes de Lyra et Daring s'élargit, et elles chutèrent en criant mon nom.
Derrière-moi le Happeur s'empressait de m'agripper quelques poils de la queue. Avant que les deux portes métalliques ne se referment lorsque que j'enlevai ma patte de l'interrupteur, je sautai éperdument en me disant que ce qui m'attendait en bas était sûrement moins pire.
Les portes se refermèrent sur ma queue, je me retrouvai suspendue au-dessus d'un sombre vide. Pfff, pourquoi ça n'arrive qu'à moi ce genre de truc ?
J'entendis un vrombissement passer de l'autre côté. Je commençais alors à me demander si cette aventure valait une moitié de queue ou non... Lorsque le Happeur eut finit de tailler mes poils blonds adorés, ma queue glissa tranquillement et je tombai en criant vers le vide.
J'atterris alors sur Lyra, qui se retrouva plongée la tête dans une gadoue verdâtre. Vu ses yeux furieux, je suppose qu'elle venait de s'en débarrasser...
Je retrouvai aussi Daring qui essuyait la statue de Peewee avec son veston avant de la replacer sous son chapeau.
Puis elle observa un instant la fosse sombre qui nous entourait et s'écria :
« On a réussi !
- Je vois pas ce qu'on a réussi, dit Lyra en reniflant la vase sur sa crinière. On est tombées dans une espèce de cave ou de prison au fond du temple !
- Exactement, et c'est exactement l'endroit ou je cacherais une Plume d'Aurore ! » répondit Daring en suivant le couloir sans porter une seule seconde attention à toute l'immondice qui la recouvrait.
Soudain, en pleine course, Daring s'arrêta et se dirigea vers une vieille porte en bois. Elle se pencha sur le sol pour observer, malgré la noirceur, les empreintes de pas dans la vase qui dénonçaient l'intérêt de cette porte.
Dès qu'on l'y rejoignit, elle nous expliqua qu'elles ressemblaient bien plus à des empreintes d'Ahuizotl qu'à celles de basilics.
Pendant qu'elle discutait avec Lyra sur un moyen de l'ouvrir, je me demandais comment ce géant d'Ahuizotl avait pu passer à travers cette porte plus petite qu'un poney.
Par mégarde, j'appuyai un peu dessus et... elle s'ouvrit en grinçant. Lyra et Daring me regardèrent comme si je venais d'ouvrir une mer en deux.
« Je suppose que la sécurité n'est pas le fort des basilics... bon bah... Allons-y ! » conclus-je en entrant.
Daring avançait à pas de loups, toujours aux aguets. Puis on entendit dans la pénombre un cri de poulet en colère.
« Fermez les yeux ! » s'écria-t-elle.
Les yeux fermés, je ne pus faire confiance qu'à mon ouïe. J'entendis le basilic se rapprocher, puis un coup de sabot, quelque chose qui volait à côté de moi et un claquement de porte.
« C'est fait ! dit Daring en bloquant la porte avec une planche de bois qui traînait par là. Garde neutralisé, on a très peu de temps avant qu'il ne... »
Elle se stoppa net en entendant un son. En prêtant oreille, Lyra et moi l'entendions également : une respiration calme venant du milieu de la prison. Il y avait un autre être vivant dans la pièce.
Lyra perçut une chaîne suspendue au plafond, et l'indiqua à Daring qui se jeta immédiatement dessus. Aussitôt une sorte de volet s'ouvrit. La lumière provenant de l'extérieur arriva jusqu'à nos yeux, elle éclairait le centre de la pièce ronde.
Lyra poussa alors un cri de stupeur, Daring semblait ravie et attristée en même temps. Quant à moi, j'étais simplement abasourdie.
Au centre de la pièce, il y avait une fille. Une jeune jument au pelage vert maculé de bleus et de poussière. Sa crinière d'un vert plus intense encore était complètement anarchique. Elle devait être séquestrée depuis un moment.
Ce qui me fit le plus frissonner furent ces monstrueuses chaînes rattachées à quatre poteaux près d'elle. Elle reposait sur ses quatre pattes menottées, visiblement endormie. Endormie dans la douleur, ça se voyait à son expression crispée.
Je vis l'indignation s'emparer de Lyra... comment pouvait-on s'en prendre à une jeune jument qui avait l'air si rutilante et innocente ?
Sa marque de beauté était une feuille d'automne rougeoyante, et elle portait à l'oreille un espèce de grande broche dorée et scintillante. Un couvre-chef un peu futuriste qui partait du milieu de sa crinière et terminait sa course en s'enroulant autour de son oreille droite pour l'instant abaissée.
Une broche dorée et scintillante comme... autre chose... oui, je vous l'ai décrite en intégralité à l'exception d'une chose : ses ailes.
Les ailes les plus belles que je n'avais jamais vues... mais étaient-ce vraiment des ailes ?
Il s'agissait en fait de deux lames de métal doré plantées dans son dos, et sur lesquelles s'articulaient d'autres lames plus fines en forme de plumes. Un instant, j'ai cru avoir en face de moi un robot bionique, mais sa respiration indiquait bien qu'elle était aussi poney que moi. Ses ailes incroyables reflétaient la lumière qui les touchait, avec de magnifiques couleurs de levé du jour. Je compris alors que c'était sûrement pour ces choses impressionnantes qu'on l'avait emprisonnée.
Soudain, elle se mit à frissonner. Un espèce de grésillement provint de sa broche robotique. Son oreille droite se dressa. Puis délicatement, elle ouvrit les yeux.
Elle redressa alors sa tête, et l'on put admirer ses grands yeux vert chartreuse, ainsi que ses taches de rousseur. Elle fixa Lyra, puis elle me fixa moi et enfin Daring.
L'aventurière plongea son regard dans le sien. Elle poussa un petit rire nerveux et nous déclara, avec un voix solennelle :
« Lyra... Derpy... Je vous présente... la Plume d'Aurore... »
Choquée, je me tournai immédiatement vers Lyra. Elle me regarda de la même façon, preuve qu'elle n'avait pas un seul instant déduit cela.
Et l'aventurière ne pouvait lâcher des yeux la jeune fille qui la regardait... et soudain, lui sourit malicieusement :
« Tu es en retard, Daring... »
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