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Pony War Chronicles

Une fiction écrite par ironponymaiden.

Chapitre III : Faux Semblants

Le flot de poneys sortant de la ville donnait à Fluttershy l’étrange impression d’être un saumon remontant une rivière de poils, de crins et de sabots. La plupart d’entre eux portaient de lourds sacs sur leurs dos, quand ce n’était pas un couple qui tirait une charrette sur laquelle devait être entassé la totalité du mobilier de leur demeure, et dans laquelle jouaient, insouciants, des petits poulains turbulents.

Après avoir fui Ponyville et abandonné son amie à la folie, la pégase avait désespérément évité toute trace de civilisation, et Canterlot était son premier véritable –et pas le moins agité- retour à la société. Néanmoins, deux semaines passées à vivre en marge, enchainant forêts calcinées et champs délaissés en compagnie de quelques bestioles qui se montraient compatissantes et aimantes, n’étaient pas parvenues à dissiper son profond malaise. Les animaux étaient traumatisés, les forêts brûlées, les champs retournés par les tirs d’obus, le paysage en lui-même avait perdu sa couleur, son caractère pastel… C’était un monde sombre, morbide, sans vie.

Sans vie, mais pas sans corps. Elle ne pouvait pas marcher une journée sans rencontrer au moins un lieu où la terre était marquée par les traces d’une bataille, et couverte des corps qu’on avait jugé inutile ou épuisant de ramasser. Au loin, elle voyait des villages isolés en ruines, sans aucun bruit, aucun mouvement, des camps de réfugiés qui refusaient obstinément de quitter cette terre qui les avait nourris pour des cieux plus cléments. Un véritable paysage d’apocalypse.

Le pire avait été quand elle avait passé ces grandes et profondes cicatrices dans la terre, aménagé comme si des centaines, voire des milliers de poneys y avait vécu. Quelques rangées de ces remparts inversés, puis une terre qui ne serait peut-être plus jamais fertile, et une autre série, comme si elles se faisaient face. Les drapeaux Lunaires d’un côté et Solaire de l’autre, ainsi que les uniformes des cadavres qui remplissaient ces fosses, confirmait qu’une véritable boucherie chevaline avait été installée ici.

Deux semaines à traverser l’horreur à patte, se perdant fréquemment alors qu’elle tentait d’éviter les routes, les soldats, et tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un équidé.

Et Canterlot s’était dressée devant elle. Une haute montagne, où siégeait une belle cité, entourée de remparts… en pleine réparation, défoncés, avec de larges pans de pierre tombés au sol, le chemin de ronde méconnaissable, les tours de guets réduites de moitié…

L’intérieur de la ville lui-même, malgré les efforts des habitants pour en refaire un endroit vivable, accusait le choc d’une violente bataille. Les murs étaient constellés de trous formés par les tirs, certaines peintures étaient plus rougeâtre par endroit qu’elles ne l’auraient dû, des cratères dans les rues étaient plus ou moins comblés par les ouvrier, et certaines maisons avaient perdu une partie de leur superficie.

Entrer dans la ville n’avait pas été compliqué, les portes grandes ouvertes laissant sortir un flot de fuyards choqués, et les quelques gardes avaient visiblement abandonné l’idée de contrôler tout le monde. Cependant, ça ne les empêchait pas de scruter le visage de chaque poney qui passait, vérifiant les fiches qu’ils avaient dans leur sabot, secouant négativement la tête et recommençant. Fluttershy pu voir un panneau d’affichage, avec un grand « RECHERCHE » inscrit au-dessus, et une dizaine de portraits fait au sabot collé sur sa surface. Sans s’attarder, elle put toutefois noter quelques poneys qui se démarquaient des autres par leur localisation, et la récompense, comme celui de la Princesse Luna, ainsi qu’une jument ressemblant à Applejack mais l'air plus âgée, plus dure, et un dernier qu’elle ne reconnut pas. D’autres étaient autour, mais elle ne put pas regarder plus avant, soucieuse de ne pas attirer l’attention.

Tandis qu’elle marchait droit devant elle sur l’avenue principale menant au château, elle vit des ouvriers sur des escarbots, ou volant s’ils possédaient des ailes, s’affairer au niveau du nom des rues. L’avenue principale devenait l’Avenue de la Victoire, et d’autres voies changeaient de nom. La rue de la Lune devenait la rue de l’Empire, le chemin de l’Union se transformait en chemin de la Lumière, et partout s’effaçaient les traces du règne des Alicornes pour laisser la place à la gloire de l’Empire. Les affiches de propagandes « L’Empire a besoin de Vous », « Celestia vous aime tel une mère, obéissez-lui tel un enfant » et autres jonchaient les murs, lui rappelant la période d’avant-guerre, quand ils avaient vu fleurir ce genre d’affiches dans le centre-ville de Ponyville.

Quelque chose attira son attention dans une rue transversale, et elle jeta un coup d’œil. Le mur était particulièrement chargé en posters à la gloire de l’Empire, de Celestia et des Licornes du Soleil, mais ce qui frappait, c’était l’énorme tag en noir dessus.

La Lune n’est pas morte ! suivit d’un symbole montrant une étoile dans un croissant de lune ailé.

Et en dessous, des traces d’impacts, et du sang. Et une inscription écrite avec le fluide vital :

Si. Toi aussi.

Les larmes montèrent aux yeux de la pégase. Des flashs vieux de treize années lui remontaient, montrant des poneys égorgeant d’autre en récitant des psaumes tirés d’une espèce de bouquin à la gloire des Alicornes et du Soleil.

Fluttershy serra les dents, et s’enfuit en courant.

Elle arriva devant les murs qui entouraient le château de Canterlot et ses jardins, et gardés par ce que d’aucun appellerait un « sacré paquet de poneys en armure ». Ils virent arriver la pégase sans bouger la tête, la suivant juste des yeux. Fluttershy ralentit petit à petit le rythme en se rapprochant, baissant progressivement la tête, jusqu’à s’arrêter à une dizaine de mètres, tremblante face aux mines austères des gardiens. Elle envisagea sérieusement de faire demi-tour, ce qu’elle mit d’ailleurs en pratique en se retournant.

Elle rentra dans un poney qui tomba en arrière en même temps qu’elle. Le temps que ses yeux se remettent en face des trous, elle entendit :

-Hey ! Tu peux pas regarder où tu mets les sabots, espèces de…

L’autre s’interrompit, fixant Fluttershy avec de grands yeux ronds. C’était une pégase, assez jeune, à la robe orange et la crinière violette, très longue et affreusement chaotique.

Il fallut quelques secondes à l’Héroïne pour reconnaître Scootaloo, qui lui sauta dessus.

-Fluttershy ! hurla-t-elle en serrant la pégase sur sa poitrine à l’en étouffer. Nom de Dash, t’es revenue ! J’arrive pas à y croire ! T’es revenue !

Elles finirent par se séparer, mais Scootaloo garda ses sabots sur les épaules de la timide, qui ne savait pas comment réagir. La jeune jument, elle, avait les larmes aux yeux. Puis elle enlaça à nouveau –plus doucement- Fluttershy.

-On pensait que t…

-Oh ! Le poulet ! On t’a déjà dit de pas traîner dans le coin ! jeta un garde depuis la porte.

-Va te faire foutre et ramène Twilight, gras-du-bide ! hurla la pégase. Faut qu’elle te voit, ajouta-t-elle à la jument jaunâtre.

Bizarrement, Fluttershy commençait à douter de la pertinence de cette idée.

-T’as vraiment envie de crever, Dodo, c’est pas possible, rétorqua l’autre. Casses-toi, c’est un conseil !

-Ferme ta grande gueule et rameute ta maîtresse, le clebs !

-T’as oublié ce qu’a dit Sparkle si tu ramenais encore ta face d’inutile ici ?

-Dis-lui que Fluttershy est ici et m’emmerde pas !

Le garde s’apprêta à répondre, mais son camarade lui glissa un mot à l’oreille, et il finit par acquiescer.

-On pourra pas m’accuser de ne pas avoir essayé de t’aider… soupira-t-il.

Sur ce, il prit sa radio et commença à parler dedans. Fluttershy se demanda ce qui valait tant de haine à la ponette, quand ses yeux finirent par se poser sur deux détails de l’anatomie de la pégase orange. Premièrement, ses flancs, toujours désespérément vierges, témoins implacable de l’incapacité de la jeunette à trouver son talent même après toutes ces années. Et deuxièmement, les ailes de la jument. Scootaloo nota son regard, et soupira.

-Ailes atrophiées. Un cas sur un million de pégase. Pas de bol, hein ?

Les membres plumeux de la Croisée avaient toujours la même taille que la dernière fois que Fluttershy l’avait vue, avant même le Massacre, quand Scootaloo était partie sur les traces de Rainbow Dash dans l’armée de l’Air de l’Empire d’Equestria. Elle battit faiblement des ailes.

-Le seul moyen que j’avais pour voler, c’était de faire de la muscu jusqu’à ressembler à un minotaure. J’ai pas voulu. On aurait pu tenter la chirurgie, mais la guerre a éclaté, et on a préféré concentrer la médecine sur d’autres choses…

Elle augmenta la fréquence des battements, jusqu’à ce que le bruit s’apparente à celui d’un petit moteur, puis d’un plus puissant, et, dans un dernier effort, un vrombissement qui n’aurait pas dépareillé avec un véhicule tout-terrain.

-Tu te rappelles comment je m’en servais pour ma trottinette dans j’étais gamine ? J’ai poussé le truc, quand on m’a refusé à l’armée, et j’ai commencé à me mettre à la moto, ces engins motorisés à deux roues. J’ai fini par faire des acrobaties, monter un spectacle… J’ai cru que j’allais enfin trouver mon talent…

Elle cracha par terre.

-Et puis, j’ai tout plaqué.

Fluttershy ouvrit les yeux de surprise.

-Mais… Pourquoi ?

-J’ai tout plaqué il y a exactement sept ans. Quand Applebloom est morte.

La pégase jaune mit son sabot sur la bouche.

-Quoi ? Que…

-La Boucherie de Sweet Apple Acre. Dans l’Empire, on parle de la « Trahison des Apple ». Peu importe, Applebloom est morte là-bas, et Sweetie Belle a voulu suivre les traces de sa sœur, et aider l’armée de la République en chantant pour eux…

Elle gratta du sol.

-Moi, je me suis retrouvée toute seule, et déprimée. Mes show n’intéressaient déjà pas grand-monde, et les seuls à qui ça plaisaient sont partis au front. Quand à faire autre chose…

Encore une fois, elle fit quelques battements.

-Tu sais mieux que moi ce qui arrive à un pégase qui ne sait pas voler. Sauf que moi, je n’ai aucun espoir. Alors je m’accroche au dernier truc que je sais faire, mon dernier rêve…

Elle leva les yeux vers le château.

-Harceler Rainbow Dash jusqu’à en crever.

Fluttershy commençait à sentir les larmes lui monter aux yeux. Déjà toute jeune, le destin s’était acharné sur la petite, la privant de ses parents, son idole qui ne lui donnait pas autant d’affection qu’elle le désirait, seules ses deux amies lui donnaient du baume au cœur. Mais Applebloom était morte, et Sweetie Belle… Savait-elle seulement que sa sœur était morte ?

Comment, et où avait péri l’Elément de la Générosité ?

Cependant, Scootaloo leva les yeux vers Fluttershy avec un sourire triste.

-Mais grâce à toi, je vais enfin réussir.

Cette phrase sonna bizarrement aux oreilles de la pégase jaune, mais avant qu’elle ne puisse y réfléchir plus avant, il y eut un flash derrière elle, avec comme un bruit de ballon de baudruche éclaté. L’Héroïne se retourna lentement, pour voir la posture autoritaire de Twilight Sparkle.

Fluttershy réprima un hoquet de surprise quand elle vit son ancienne amie. Elle avait été marquée, autant par le temps que par la guerre. Comme toutes leurs amies, elle approchait de la quarantaine, mais semblait beaucoup, beaucoup plus vielle. Ce qui choquait le plus, c’était les blessures horribles qui marquaient son visage. La moitié de son visage était couverte d’une vielle brûlure, l’œil correspondant encore voilé, et sa crinière était divisée en deux, dont la partie correspondant à la blessure était beaucoup plus courte, presque rasée. Son corps entier paraissait plus sombre, les mèches de sa crinière ternies par une psyché torturée, des rides commençaient à poindre au coin de son œil valide, et de gigantesques cernes assombrissaient encore son regard.

Cependant, la surprise de Fluttershy venait aussi du regard empli d’exaspération et de haine qu’elle avait eu en arrivant et en posant ses yeux sur Scootaloo. Sentiments qui quittèrent immédiatement la licorne lorsqu’elle reconnut la pégase jaune, remplacés par la surprise, la joie et une certaine forme de tristesse. Dans l’esprit des deux ponettes résonnait encore l’écho du cri de chagrin des Eléments qui avaient perdu l’un des leurs.

La licorne s’approcha lentement de Fluttershy, un sourire sincère sur son visage, et tendit un sabot vers le museau de la pégase, qu’elle toucha, comme pour s’assurer que c’était bien un corps en chair et en os qu’elle avait devant elle, et pas une illusion.

Puis elle l’enserra, et Fluttershy la prit de même dans ses pattes, soulagée de retrouver enfin une amie avec qui partager sa peine, et peut-être s’ôter du poids qui pesait sur son estomac depuis trop longtemps. Perdre Pinkie et Rarity alors qu’elle pensait pouvoir retrouver une vie en dehors de la forêt était trop pour ses frêles épaules.

Par-dessus son épaule, Twilight ouvrit les yeux, et croisa le regard de Scootaloo. Puis elle tourna les yeux vers un des gardes de l’entrée, et fit un imperceptible geste de tête. Le garde hocha la tête, et Scootaloo ferma les yeux, remuant les lèvres comme dans une prière silencieuse. Puis Twilight se laissa aller à l’étreinte avec son amie perdue.

Enfin, elles se séparèrent, et la licorne fit un signe de tête vers le château.

-Viens, dit-elle.

Elle commença à marcher. Fluttershy hésita un instant, puis finalement lui emboîta le pas. Au moment de passer la porte, la pégase tourna la tête vers l’arrière pour tenter d’apercevoir la jument ailée orange. Celle-ci ne bougeait pas, et semblait tendue, comme dans l’attente de quelque chose. Un des gardes prit son arme et se dirigea vers elle…

Les portes se refermèrent, et Fluttershy entendit le claquement d’une rafale.

Elle s’arrêta, tétanisée, ne pouvant détacher son regard de la porte, incapable d’émettre le moindre son, de faire le moindre mouvement.

« Harceler Rainbow Dash jusqu’à en crever. »

« Grâce à toi, je vais enfin réussir. »

« T’as oublié ce qu’as dit Sparkle ? »

Fluttershy se retourna d’un coup vers son amie, qui la regardait d’un air absent.

-Elle savait ce qui l’attendait, Fluttershy.

Elle sourit, d’un air calme, comme si rien d’aussi affreux ne s’était passé.

-Viens, la Princesse sera ravie de te revoir. Et Rainbow Dash, je n’en parle même pas. Elle est déprimée depuis la mort de Rarity, te voir lui fera du bien…

Et elle se retourna vers le château pour continuer sa route.

-La Princesse doit être dans les jardins à cette heure. Nous l’attendrons dans la salle du trône.

Fluttershy ne bougea pas tout de suite, et jeta un dernier coup d’œil inquiet à la porte. Quelque chose lui disait qu’elle n’avait rien à faire ici. Elle était dans le pire endroit au monde pour elle.

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Celestia toucha la fleur du bout du museau, et huma la douce fragrance de la plante. Elle se laissa porter par le parfum sucré, si éloigné de l’odeur de cendre, de peinture fraiche, de fumée et de sang qui persistait encore dans les murs du château depuis la Bataille de Canterlot.

Elle releva la tête, quittant le monde merveilleux inspiré par la fleur, et continua de se promener nonchalamment dans les jardins millénaires. Une armée de jardiniers s’affairaient sans relâche à redonner sa couleur et sa superbe à cet endroit qui avait été dévasté par les chenilles, les tirs de mortiers et les cadavres tombés. Malheureusement, certaines pertes étaient irremplaçables, certaines plantes disparues à jamais de la planète, des centaines d’animaux écrasés par la rudesse de la guerre. Il faudrait des années pour que l’éclat de ce joyau puisse revenir.

Les pensées de la Princesse divergèrent vers un animal particulier. Philomeena était partie dans les bois environnant les terres soufrées du territoire des Dragons avant même le début de la guerre, « officiellement » pour des raisons propres à son espèce, à savoir la reproduction, l’oiseau élevé par l’ancien assistant de sa protégée ayant l’air de lui plaire énormément, mais, quelque part, Celestia la soupçonnait d’avoir voulu s’éloigner du pays, pressentant le chaos vers lequel ils se dirigeaient.

Sage créature, pensa-t-elle.

En réalité, parmi les poneys qui travaillaient les plantes, bien peu étaient des jardiniers de profession, et possédaient un talent correspondant. Beaucoup étaient des volontaires, dont les sabots malhabiles étaient guidés par l’expérience de ceux qui savaient de quoi ils parlaient. La Princesse observa quelques instants, amusée, un poney se débattre avec un parterre de rose qui semblaient l’attaquer tellement il se faisait d’écorchures. Il portait, comme tout le monde, la tenue traditionnelle des jardiniers royaux, un tablier vert accompagné d’un large chapeau de paille.

Petit hommage à un vieil ami, que Celestia avait connu il y avait quelques siècles. Un vieux poney acariâtre qui lui avait ramené les célèbres roses blanches des froides montagnes du Nord, comme cadeau de son exploration. Et quand il était arrivé à Canterlot, il avait été effondré de voir l’état du jardin. Il était magnifique, les couleurs chatoyantes ravissaient chacun des visiteurs, mais lui était arrivé, et ses premières paroles avaient été « Hérésie ! ». Le fait est que, pour des raisons esthétique, des plantes qui ne nécessitaient pas les même soins étaient placés côte à côte, et le botaniste, avant même de saluer l’alicorne, s’était jeté sur l'un des jardiniers pour lui donner des ordres de réagencement.

Quatre siècles plus tard, les jardins se trouvaient encore dans la configuration préconisé par le passionné, et n’en était que plus beaux. Ce vieux fou connaissait bien son métier, et sa tenue un peu spéciale avait été choisie pour être l’uniforme officiel après sa mort.

Celestia pensa avec un certain amusement qu’il aurait mangé ses fers s’il avait vu le poney en face d’elle. Elle s’approcha.

-Vous avez besoin d’aide ? demanda-t-elle.

Le poney se figea, la tête toujours baissée.

-Une Princesse qui jardine ?

-Je dois tenir ça de ma mère, répondit l’alicorne.

Le poney leva légèrement la tête, révélant son museau rouge barré d’une cicatrice à la Princesse.

-Je ne vous imaginais pas avoir une mère, dit-il.

-Et pourtant, il a bien fallu que je naisse, soupira Celestia. Même les alicornes n’apparaissent pas par magie.

La jument du Soleil nota la blessure du poney.

-Vous êtes un volontaire ?

-On m’avait dit que les terrestres avaient un lien avec la terre, dit-il en haussant les épaules. J’ai pensé que je pouvais me rendre utile, mais il faut croire que ce n’est pas donné à tout le monde…

-Quel est votre talent ? demanda la Princesse.

Cette fois, le poney leva véritablement ses yeux verts en direction de l’alicorne, révélant son visage couvert de meurtrissures.

-Je suis un soldat. Mes talents sont faciles à deviner.

Celestia fronça des sourcils en découvrant le visage du poney, et secoua la tête.

-La guerre….

Elle regarda au loin, vers les falaises qui bordaient le jardin.

-En plusieurs millénaires de règne, je n’ai jamais eu à affronter une telle crise. Je n’ai jamais voulu voir mon pays se couper en deux, ni tant de poneys mourir.

-Pourquoi ne pas avoir abandonné dès le début, dans ce cas ?

L’alicorne tourna des yeux ronds vers le poney, qui ne cillait pas.

-Si tout cela vous peinait, vous auriez pu y mettre fin dès que les hostilités avaient commencé, continua-t-il. Vous autant que votre sœur, aucune n’a voulu lâcher l’affaire, alors que tout se serait tassé rapidement.

Il soupira.

-Ce qui pose la question : la guerre était-elle inévitable ?

-Que voulez-vous dire ? demanda la Princesse.

Le poney gratta le sol.

-Non, rien… Divagation de vétéran, je suppose.

Celestia nota qu’une de ses pattes tremblait.

-Vous avez froid ?

Le poney regarda sa patte, qu’il contracta, et les tremblements disparurent.

-Les nuits sont fraîches.

Celestia ferma les yeux.

-J’ai besoin de temps pour réussir à lever à nouveau la lune, avoua-t-elle.

Elle rouvrit les yeux, regardant le ciel.

-Il m’avait fallu un siècle pour apprendre à le faire, après avoir banni Nightmare Moon...

-Dites-moi...

Celestia baissa la tête, et plongea son regard dans les profondeurs des yeux de l’ancien soldat.

-Que ressentez-vous maintenant que vous avez le monde au creux de vos sabots ? demanda-t-il.

Celestia resta muette un instant, et le volontaire regarda par-dessus son épaule.

-Le devoir vous appelle.

L’alicorne se retourna pour voir Raindrops se diriger vers elle à tire-d’aile. Elle mit quelques secondes à les rejoindre, et tomba à terre, épuisée.

-Spar…Kle…Attend…Salle du Trône…Important…

Et elle laissa tomber sa tête au sol. Celestia la contempla quelques instants, puis déploya ses ailes. Mais avant de décoller, elle se tourna vers le jardinier.

-J’essaie de ne pas l’écraser, dit-elle, et elle s'envola.

---

Stalker regarda la Princesse s’envoler vers les tours du Château de Canterlot, puis baissa les yeux vers la pégase affalée au sol devant lui.

-…En ais… Marre… Pas une minute… Souffler…

-Qu’est-ce qu’il se passe ?

Raindrops soupira, et laissa passer une minute le temps de maîtriser sa respiration.

-Sais pas, répondit-elle. Sparkle m’a juste demandé de trouver la Princesse en vitesse. J’ai survolé tous les jardins pour la trouver.

Elle souffla encore.

-Depuis ce matin, ça n’arrête pas. C’est la panique à bord, Brush est foutrement difficile à trouver, et quand il est là, il a l’air pas là. Sans parler de Blueblood.

-La panique ? demanda Stalker en haussa un sourcil.

Raindrops leva les yeux vers lui, et secoua la tête.

-Désolée, Velvet, mais c’est du confidentiel. Je connais même pas tous les détails, juste qu’il faut que je speed en permanence. Mais y’a un truc grave qui s’est passé, c’est clair.

Elle soupira encore.

-Avec tout ça, je sais même pas quand j’aurais le temps d’aller voir mon copain.

-Désolé pour toi…

Stalker baissa les yeux sur sa patte qui avait tremblé, et inspira un coup, puis la leva rapidement, arrachant les épines qui y étaient plantées, et fit une grimace de douleur. Raindrops eut un air surpris.

-Hey ! Pourquoi t’as fait ça ?

Stalker tendit la patte devant lui. Elle recommençait à trembler.

-Pour ça…

Il fouilla dans son sac, qui lui couvrait les Marques, par ailleurs, pour éviter qu’on le reconnaisse, cherchant un étui caractéristique. Il finit par le trouver, l’ouvrit, prit un brin de paille, et se mit à le mâcher. Les tremblements se dissipèrent.

Ça devient de plus en plus fréquent...

-Ça va ? demanda Raindrops, inquiète.

Stalker nota que la pégase l’observait avec attention.

-Elle était pas empoisonnée, au moins, la fleur ? demanda la pégase.

-Pas que je sache…

Stalker banda avec ce qu’il avait dans son sac la blessure qui saignait. Puis il commença à s’éloigner, sous le regard inquiet de Raindrops, qui secoua la tête, et déploya ses ailes pour reprendre son travail.

L’ancien sniper boitillait, mais il serra les dents et continua. Il vit la pégase jaune passer au-dessus de sa tête. L’ancienne collègue de Derpy était gentille, même si un peu bourrue. Elle faisait plus ou moins le même boulot que la pégase grise lorsqu’elle avait raccroché, sinon qu’elle le faisait dans le camp adverse.

La tuer perturberait peut-être les communications dans le château.

Stalker secoua la tête pour chasser cette idée de sa tête.

Pourquoi faire, de toute façon ?

Le poney ralentit le rythme de sa marche pour observer autour de lui. Tout semblait si… normal. Les poneys s’occupaient des plantes, d’autres réparaient le château, distribuaient le courrier, en ville on continuait à vendre les petits pains en évitant de penser aux cratères qui jonchaient les pavés…

Le soldat ne s’était jamais demandé ce qui se passait pour les civils pendant que sur les champs de batailles certains s’étripaient avec joie. Lors de ses infiltrations, il avait bien parcouru des villes et côtoyé des non-combattants, mais ses pensées s’étaient résumées à comment éviter un maximum les dégâts collatéraux, prévoir les itinéraires de fuites et les mouvements des cibles…

Jamais il ne s’était intéressé aux poneys en eux-mêmes. Et la conclusion était que malgré tout ce qui pouvait se passer à quelques kilomètres de chez eux, ils continuaient de vivre. On continuait à travailler, à s’aimer, avoir des enfants qui jouaient dans la rue. Et plus encore depuis que la guerre était officiellement terminée. Les poneys voulaient oublier.

Oublier que leurs proches étaient morts pour maintenir ou imposer leurs idéaux. Oublier les horreurs qui s’étaient déroulés dans leur dos. Oublier que l’Harmonie avait été brisée pendant cette guerre.

L’Harmonie, désormais privée de sa Générosité.

Un spasme parcouru le poney, qui s’arrêta. Des images défilaient devant ses yeux : le couloir aux tortures, le corps mutilé de Rarity, l’apparition de Wunder Blut, le canon de l’arme sur la tempe de la licorne, ses yeux implorant la fin de son calvaire, la déflagration, le sang mêlé à la cervelle qui éclatait du crâne de la ponette.

Depuis qu’il avait tué la Demoiselle, c’était comme si quelque chose en lui voulait absolument le lui mettre constamment sous le museau, en lui gueulant dessus qu’il avait brisé un équilibre. Il aurait peut-être pu la sauver, la sortir de là, la soigner. Mais non. Il l’avait tué, et pour la simple raison que cela lui avait offert une ouverture pour sa vengeance.

Il n’avait en réalité même pas songé à la faire sortir. Elle devait mourir là.

Il s’aperçu qu’il avait repris sa marche. Ces moments d’absence devenaient de plus en plus fréquents, à mesure qu’il s’apercevait de la vanité de sa « mission ».

Et les paroles de Wunder Blut qui lui revenaient constamment, martelant ses défenses mentales…

« La guerre est terminée, et vous ne servez plus à rien, Kommandant. La seule raison pour laquelle vous êtes encore en vie, c’est que vous pouvez nous offrir la Déchue.

J’en ai appris beaucoup sur vous. Sur votre équipe. Vous en avez fait des monstres sans aucun avenir. Si vous aviez gagné, que serait-il advenu de vos Night-Ops ? Croyez-vous qu’ils auraient pu s’en sortir dans la vie civile ? Auriez-vous pu vivre normalement ?

Je ne pense pas. Et ce n’est pas votre petite protégée qui vous aurait offert un meilleur avenir. Vous n’auriez fait que la gâcher. Vous l’avez déjà fait, l’arrachant à sa famille pour l’obliger à vous obéir aveuglément. Dites-moi, vous a-t-elle fait l’amour de son plein grés ou vous lui en avez donné l’ordre après une savoureuse tasse de café ? »

Il ne regrettait absolument pas de l’avoir tuée. Mais il en avait marre de l’avoir dans la tête. Il ne pouvait pas le nier, elle avait réussi à l’atteindre là où il se croyait intouchable, et l’avait brisé autant psychiquement que physiquement. Ses tremblements étaient en parti dû aux expérimentations de la Licorne, et il devait consommer toujours plus de ses brins antistress pour se maitriser.

Il arriva à une petite maison de fonction pour les jardiniers, et entra, pénétrant dans le salon possédant sur le côté un établi de cuisine sur lequel s’affairait une ponette rose à la crinière verte, et une marguerite endormie en guise de Marque. Elle tourna les oreilles vers lui quand elle entendit le bruit de porte, et se retourna en souriant.

-Tiens, déjà de retour ? Et encore incapable de toucher un cactus sans te transpercer la patte à ce que je vois.

-C’était une rose.

Elle ricana. Stalker roula des yeux. La terrestre se reconcentra sur ses casseroles.

-Tu veux du café ?

-Pourquoi pas.

Le sniper s’installa à table, et contempla la ponette qui servait des tasses de liquide brunâtre. Flower Dream.

Après s’être échappé du donjon du château, le commandant avait commencé à échafauder des plans pour remplir son objectif, tuer la Licorne Suprême, alors que l’alarme passait d’un garde à un autre, et que les fanatiques cornues ratissaient la zone au galop pour le retrouver. Mais cet assassinat requérait beaucoup, beaucoup de préparation. Et donc une couverture, un moyen de rester dans le château et observer les faits et gestes de ses habitants pour connaitre le meilleur moment et endroit pour commettre son forfait.

La solution qui s’était imposée alors était la masse de poneys anonymes qui participaient à la reconstruction. Et parmi eux, ceux qui jouissaient d’une liberté presque totale, et auxquels on ne faisait pas attention. Les jardiniers.

Il s’était donc introduit dans un des abris servant de logement de fonction pour les expert botanistes, et avait descellé, le plus silencieusement possible, des lattes du plancher pour cacher ses armes en attendant de pouvoir s’en resservir. Une fois sa planque camouflée, il avait fouillé l’appartement, et avait trouvé un uniforme, suffisamment bien taillé pour lui permettre de camoufler sa Marque et ses blessures, et le chapeau original pouvait cacher son visage si le besoin s’en faisait sentir, mais si l’expérience lui avait appris que plus on cherchait à cacher quelque chose, plus l’autre voulait le voir.

Une fois grimé, il chercha un endroit pour se cacher en attendant « d'apparaître » le lendemain. Seulement, à ce moment, il avait trébuché, à cause des prémices de ces tremblements qui ne le lâchaient plus désormais, entraînant une chaise –et le bruit qui allait avec- dans sa chute. Sonné, et désorienté par cette nouvelle donnée, il n’avait pas réagi assez vite lorsque la lumière s’était allumée dans la chambre à côté, ni n’avait eu le temps de se relever quand la porte s’était ouverte sur une ponette surprise.

-Mais qu’est-ce que…

Il avait bondi, la plaquant à terre en lui mettant le sabot sur la bouche. A l’extérieur, les lumières produites par les cornes de la police religieuse avait projeté leurs ombres sur les murs. Et elles s’étaient intensifiées, des bruits de sabots et des éclats de voix s’ajoutant à l’image, montrant que les Licornes avaient été attirées par cet endroit comme des phalènes par une lampe dans la nuit.

Stalker avait réfléchi à toute vitesse, considérant toutes les options qui s’offraient à lui. Il avait assez de sang sur les sabots pour la nuit, et ne voulait pas ajouter celui d’une civile qui ne comprenait pas ce qui se passait, mais qui se débattait avec vigueur.

A ce moment, on avait frappé durement à la porte.

-Licorne du Soleil, ouvrez !

Stalker s’était retourné pour regarder la porte, anxieux et piégé. Puis il s’était senti tiré au sol.

On le prenait souvent pour un soldat d’élite. Ce n’était pas faux. Il planifiait minutieusement ses missions, prévoyait toujours les meilleurs postes de tir, était capable d’aligner plusieurs cibles à une centaine de mètres presque sans viser, et avait subis le même entrainement drastique que ses soldats pour être capable d’agir dans toutes les situations.

Mais le sniper avait des points faibles. Deux en particulier. Le premier, il détestait agir dans l’urgence, sans plan, sans savoir où il allait.

Le deuxième, c’était qu’il ne s’était jamais bien débrouillé au corps-à-corps.

Et la ponette en face était une de ces terrestres travailleuses très portées sur le self-défense.

Il s’était donc retrouvé très vite dans la position de la victime. La ponette au-dessus de lui l’avait plaqué à terre, en le maintenant fermement et d’un geste calculé, qui ne lui laissait pas le loisir de riposter. Il était coincé.

Les coups de sabots s’étaient faits plus forts.

-J’arrive ! avait hurlé la ponette.

Puis elle s’était retournée vers lui, en lui serrant la gorge.

-Qu’est-ce que tu fous ici, toi ?

-Ça… me semble… évident.

-Pourquoi les Cornues te cherchent ?

Stalker avait réfléchi à toute vitesse. La ponette n’avait pas l’air de porter les Licornes dans son cœur, et il lui avait semblé voir apparaitre une porte de sortie. Tout dépendait de sa réponse.

-Fais-les… partir.

Cette fois, la porte s’était coloré d’un halo orangé. La jument s’était retournée vers la porte, puis avait considéré le sniper. Enfin, elle l’avait lâché, puis lui avait montré la chambre et avait couru vers la porte pour l’ouvrir avant qu’elle ne soit défoncée.

-Je suis là, merde !

Stalker, lui, s’était glissé dans la chambre sans bruit.

-Nous avons vu de la lumière et entendu des bruits, annonça d’un ton dur l’étalon cornu en face de la ponette. Vous avez un problème ?

-Aucun, Maître. Mais vous faites un sacré boucan, là-dehors, et je me suis réveillée.

La Licorne avait toisé la jument, et avait jeté un coup d’œil à la ronde, observant les traces dans l’appartement.

-Nous recherchons un criminel dangereux. Si vous avez la moindre information à nous communiquer, dites-le tout de suite.

-Et vous voudriez que je vous dise quoi ?

La ponette avait plongé son regard dans celui de la Licorne.

-Allez-y, faites comme d’habitude. Attachez-moi, torturez-moi pour que je vous dise ce que vous voulez. Mais j’ai rien vu.

-Désolé, mademoiselle, mais ce genre de petit plaisir, je les réserve pour des affaires moins graves. Et je ne vous crois pas.

Il l’avait bousculé, et avait pénétré dans la pièce.

-Hey ! Espèce de…

-Vous n’avez vraiment vu personne ?

-Si, vous, maintenant sortez de chez moi !

La Licorne avait ricané.

-Ce logement vous a été offert par l’Empire pour s’assurer de vos services. Ce n’est pas chez vous, c’est chez moi. Et j’ai très envie d’aller dans la chambre.

Il avait marché à pas lent vers la pièce close, et avait atteint la porte. La terrestre était restée stoïque, ne montrant aucun signe de nervosité. La Licorne avait ouvert la porte à la volée, et jeté un coup d’œil à la ronde. Sa corne avait brillé un instant, et il était ressorti. Il s’était redirigé vers l’entrée, passant devant la ponette, et était sorti sans un mot. La porte et sa corne avaient brillé, et la porte d’entrée avait claqué.

Le silence s’était alors installé dans la petite maison pendant quelques minutes, la ponette n’osant pas bouger. Finalement, elle s’était dirigée vers sa chambre, et avait pénétré la pièce. Elle y avait trouvé le poney rouge en train d’observer le fouillis entassé sur son bureau, apparemment dans le but non caché d’en apprendre plus sur elle. Elle s’était demandé un instant comment il avait échappé à l’inspection, mais chassa cela de ses pensées. Pas le moment de passer pour une cruche.

-On ne t’a jamais appris les bonnes manières ? avait-elle dit durement.

Stalker avait tourné les yeux vers elle, puis s’était reconcentré sur une photo posée sur une étagère.

-L’armée n’est pas le meilleur endroit pour les apprendre.

-Donc, t’es un Lunaire.

Stalker était resté silencieux un moment, puis avait acquiescé.

-Et vous, vous êtes… ?

-Quelqu’un qui aime sa Princesse mais pas les cornues qui la servent. Si je t’ai aidé, c’est juste pour les emmerder. Maintenant, dis-moi à quel point c’était une mauvaise idée.

-Une idée qui vous vaudra d’être torturée par Sparkle elle-même.

-Génial.

La ponette avait soupiré.

-Tu as fait quoi ?

-A part faire parti de ces poneys qui ont ravagé la ville il y a une semaine ?

-Ils ont tous été exécutés.

-Il faut croire que non.

Elle s’était frotté les tempes des sabots. Elle n’était pas tombée sur le plus coopératif des intrus.

-Tu as un nom ?

-Velvet.

-C’est tout ?

-C’est suffisant.

-C’est ton vrai nom ? Attend, non, question stupide.

Stalker avait souri légèrement.

-Désolé, je n’avais pas prévu de vous impliquer là-dedans.

Puis il avait fermé les yeux et incliné légèrement la tête en avant.

-Je vous remercie de m’avoir aidé à me cacher.

-Laisse tomber le « vous », tu me gonfles.

Elle avait baissé la tête, l’air très fatiguée.

-J’ai vraiment pas de bol avec les mecs en ce moment…

Stalker avait noté la photo plaquée face contre le support de l’étagère. Rupture récente ?

-Tu comptes rester ? avait-elle dit en levant les yeux vers lui

-Je ne veux pas mettre en danger des civils.

-Trop tard. Bienvenu chez toi.

Puis elle s’était dirigée vers le lit, s’était affalée dessus et avait éteint la lumière.

-Y’a un canapé dans le salon, avait-elle dit dans le noir.

L’étalon avait acquiescé inutilement dans le noir, et s’était dirigé vers la porte. Avant de sortir, il avait demandé :

-Comme tu t’appelles ?

-Flower Dream.

Il était alors sortit de la chambre, puis avait fermé la porte. Une fois dans le noir, il s’était brièvement demandé s’il ne valait pas mieux partir tout de suite plutôt que d’apporter plus d’ennuis à cette pouliche.

Mais elle lui avait offert une occasion en or de continuer sa mission. Et il ne laissait jamais passer une occasion.

A partir de là, le sniper avait appris à s’occuper des fleurs avec l’aide de la jument, et avait dû sympathiser avec quelques-uns des poneys qu’il était amené à croiser. Il était officiellement un vétéran tentant de se reconvertir, blessé dans les tranchées, et en réalité, personne ne posait trop de question. La vue des cicatrices lui pardonnait généralement son isolement.

Isolement qu’il mettait à profit pour sortir de sa zone de travail, et infiltrer le château, dans le but de traquer ses cibles, étudier leurs habitudes, et préparer son action. Mais il s’était rapidement confronté à un problème.

Que ce soit Twilight Sparkle ou Celestia, elles étaient intouchables. Il avait beau y réfléchir, il ne trouvait aucun moyen de percer leurs défenses magiques qu’elles maintenaient de façon permanente, et elles étaient de toute façon toujours dans des endroits où un tir suivi d’une fuite était très difficile. Pas impossible, pas après treize ans à ne faire que ça, mais restait ce problème de protection. Il était en présence des deux plus puissantes magiciennes d’Equestria, une surdouée et une demi-déesse.

Il avait fini par se faire à l’idée. Mais il se retrouvait alors sans réel objectif. Tuer Sparkle pouvait mettre à mal l’organisation des Licornes du Soleil, et peut-être mener à leur dissolution. Tuer Celestia mettait un terme à l’Empire, à moins que son élève ne prenne la relève, mais risquant alors de déclencher une révolte populaire.

Il s’était alors tourné vers des cibles plus petites. Nicholaus, le Héros de Canterlot, était loin, pourchassant les dernières traces de l’armée Lunaire. Rainbow Dash était en pleine phase de dépression depuis la mort de Rarity. Elle maigrissait à vue d’œil, de larges cernes s’étendaient sous ses yeux, et elle refusait de parler à quiconque n’était pas Twilight, la Princesse ou un des anciens Faucons. Restait le Prince Blueblood et le général Crimson Brush.

Ce dernier était à présent la cible privilégiée du sniper. Il ne cachait pas son envie de déclencher une nouvelle guerre, même si son respect pour Celestia l’empêchait de mettre son envie à exécution. Néanmoins, avec l’appui de Sparkle, ils maintenaient en place des institutions qu’on trouvait obsolète parmi les civils que croisait le commandant. Pour le peuple, la guerre était finie, il fallait mettre un terme au développement de l’armée et dissoudre les Licornes. Ce que refusaient de lâcher les deux poneys.

Mais Brush posait un problème de taille : son comportement était récemment devenu imprévisible. Il s’était, par un coup du sort, lié d’amitié avec le Prince Blueblood, et ce dernier avait la fâcheuse habitude de tout simplement disparaître. Personne n’arrivait à mettre le sabot dessus pendant des heures, et il revenait ensuite comme une fleur, sans donner la moindre explication. Et Brush le suivait parfois dans ces escapades, ne suivant aucun schéma temporel précis. Ça posait problème.

Flower posa la tasse devant l’étalon plongé dans ses pensées. Le commandant la remercia, huma le parfum du café, et en bu une gorgée. Non. Définitivement, le talent de son assistante dans la confection de boisson caféinée lui manquait terriblement.

Et s’il n’y avait que ça qui lui manquait…

-Velvet, dit pensivement Flower en face de lui, sirotant sa tasse, tu as un… poney spécial ?

Le rythme cardiaque du sniper s’accéléra, alors que l’image de la ponette verte s’imposa à son esprit. C’était bien le moment…

Ces derniers temps, il s’interrogeait beaucoup sur son avenir. La guerre ne lui avait jamais véritablement laissé ce loisir. Il avait toujours eu un objectif, des responsabilités, un but à atteindre. Mais depuis la veille de la bataille, il n’était plus sûr de rien. Depuis que la fin de la guerre était entrée en ligne de compte, il se rendait compte du peu de chemins qui s’offraient à lui.

Windvision aurait peut-être pu lui offrir une porte de sortie. Mais elle avait disparue, et la prison ne l’avait pas aidé à choisir une voie de reconversion. Il n’avait plus qu’une envie : faire tomber ce régime qui avait créé des monstres tels que Wunder Blut, et qui avait conduit à la mort de Rarity. Il n’arrivait pas à voir d’autres choix que celui qui se terminerait dans le sang.

Il était né pour ça. Traquer des ombres jusqu’à sa mort.

-Velvet ?

Stalker releva brusquement la tête, son cœur battant comme s’il avait manqué quelques pulsions qu’il cherchait à rattraper. Il secoua la tête, et mit une nouvelle brindille dans sa bouche. Il avala une nouvelle gorgé de son café, réprimant une grimace.

-Oui, répondit-il.

-Oh… fit la ponette, visiblement déçue.

Mais elle ne sembla pas se démonter.

-Et elle est où en ce moment ?

Stalker soupira.

-Pas ici. Flower…

-Velvet, est-ce que je te plais ?

Le commandant resta silencieux, soutenant le regard de la ponette. Elle rapprocha son visage du sien.

-Velvet, j’ai une envie de…

Elle déposa ses lèvres sur les siennes. Stalker ne réagit pas, même quand elle pressa un peu plus. Il finit par poser son sabot sur la joue de la ponette, et se sépara d’elle.

-Désolé, Flower.

Il se leva, et se dirigea vers la sortie. Flower Dream soupira, et bu sa tasse de café. Dehors, Stalker mâcha lentement son brin de paille.

Concentre-toi. Savoir pourquoi Sparkle a convoqué Celestia. Trouver des informations utiles.

Merde, Wind’, où es-tu ?

---

Les cahots de la route secouaient les poneys dans le camion, les tirant parfois de leur sommeil trop léger, dans lequel ils se replongeaient immédiatement. L’organisme d’un soldat s’adaptait ainsi. Comme le disais Flesh : « Si tu as une minute, tu vas pisser. Si t’en a trois, tu fume une clope. Si t’en a cinq, tu dors ».

Le trajet durait depuis des heures déjà, et les poneys en profitaient pour rattraper le retard qu’ils avaient cumulé pendant la nuit. Une nuit de folie. Ce qui n’empêchait pas les poneys de dormir.

Flesh était en bout de camion, la tête couchée sur ses pattes avant croisées, respirant doucement, apparemment peu gêné par les tressautements du véhicule. Par-delà la bâche qui couvrait le véhicule militaire, on voyait deux autres engins, transportant aussi leur lot de poneys combattants. Sur le capot, les portières et les bâches était fièrement peint le soleil à huit rayons, symbole de l’Empire Solaire.

Une couverture efficace, surtout en ce moment. Et l’uniforme de Licorne du Soleil que Black Jack avait une fois de plus été forcé de revêtir les rendait intouchables. Ils traversaient le pays sans encombre, et les rares fois où ils avaient ralenti pour des contrôles, un simple salut du magicien avait fait lever la barrière.

Tout se déroulait parfaitement bien, et les derniers restants des forces Lunaires pouvaient se détendre. Même la Princesse s’était laissée aller à somnoler, des visions de son passé lui revenant à travers ses paupières closes.

En réalité, une seule ponette n’arrivait pas à se détendre. Les yeux améthyste détaillaient avec une précision effroyable le corps de celui qui somnolait, l’air impassible, devant eux. Blanc. Il était complètement blanc. Grand, plus que la plupart des poneys. Sa crinière noire d’encre tirée en arrière, traversée par de longues mèches blanches, de laquelle perçait une corne brisée.

Une fine moustache ornait sa lèvre supérieure, en plus de la barbe qui commençait à lui pousser. Moustache qu’il ne cessait de lisser, montrant qu’il ne dormait pas réellement.

Il finit par ouvrir les yeux, et les lever, croisant le regard de la pouliche qui le fixait depuis des heures.

Nicholaus et Windvision se soutinrent mutuellement le regard. La licorne voyait distinctement la haine, la frustration et l’envie de tuer batailler derrière ces pupilles qui ne le lâchaient pas, déteignant sur le corps entier, tendu comme une corde à linge, prêt à lui sauter dessus au moindre faux mouvement.

Le pire, c’était que Windvision ressentait cette même haine, cette même frustration, cette même envie de tuer dans les yeux de son voisin. Mais rien ne le laissait transparaître. Il était parfaitement détendu, comme si le fait d’être entouré par une dizaine de poneys qui étaient ses ennemis il y avait encore quelques heures ne le dérangeaient absolument pas.

Windvision était troublée. Elle n’avait jamais vu quelqu’un comme l’étalon. Elle pensait qu’il était simple à cerner, un simple tueur psychopathe, prêt à massacrer tout et n’importe qui juste pour le plaisir. Mais non. Ce n’était pas le plaisir de tuer qui le motivait. C’était autre chose. Comme une haine profonde de ce monde, qu’il voulait voir brûler devant ses yeux. Comme si les poneys qu’il croisait n’étaient à ses yeux que des cadavres encore en vie.

Même parmi les pires Licornes du Soleil, même parmi les Night-Ops les plus cinglés, elle n’avait jamais vu un tel détachement par rapport à la vie. Et pourtant, elle ne le connaissait que depuis quelques heures.

Il lui faisait peur. Une terreur sourde, animale, comme si son instinct lui criait que cet être n’avait rien à faire dans ce monde. Comme si le mal qu’il incarnait était indestructible.

Et c’était exactement la raison pour laquelle elle voulait le tuer. Mettre fin à son existence, à ce malaise, et surtout, à la menace qu’il faisait peser sur Shadow.

Quand elle pensa à ce nom, quelque chose avait dû changer dans sa physionomie, car Nicholaus esquissa l’ombre d’un sourire.

-Je vous laisserais ensemble quand vous serez morts, dit-il.

-Je te tuerais avant.

-Je ne peux pas me défendre. Tues-moi maintenant.

Windvision dégaina son pistolet, et le pointa vers la licorne, qui ne bougea pas d’un poil.

-Tu penses que je n’oserais pas ?

-Wind’ !

La ponette se tourna vers l’arrière du camion, où Flesh s’était légèrement redressé.

-Pas touche.

Puis il se tourna vers Nicholaus.

-Et toi, tu fermes ta gueule. Je veux pas t’entendre avant qu’on soit arrivés.

Nicholaus considéra le pégase, puis haussa des épaules, jeta un dernier regard à Windvision, et se remit à somnoler.

La ponette, elle, mit quelques secondes à ranger son arme. Ce dernier regard était le pire. La suffisance et les litres de sang se mêlaient dans ces yeux, c’était insoutenable. Flesh reposa sa tête contre le bord du camion, et se rendormit.

Windvision avait presque envie de maudire Luna pour cette idée à la con.

Les préparatifs étaient terminés, et la Fête des Morts battait son plein. Les feux d’artifices explosaient dans le ciel, illuminant la région, les pétards répandaient leurs claquement dans toute la ville, l’alcool coulait à flot… Les Mexicoltiens savaient faire la fête.

Les soldats, eux, étaient partis par des rues transversales, utilisées par les contrebandiers, permettant d’éviter les forces de l’ordre. Ils avaient fini par sortir de la ville sans rencontrer de résistance, les soldats de l’Empire prenant au moins autant part à la fête que les citoyens. Là, dans un parking abandonné, un vieil étalon les avait attendus avec quelques véhicules brinquebalants. Ils étaient montés à l’intérieur, et s’étaient préparés à partir, quand une explosion avait retentit. Une explosion que tous ne connaissaient que trop bien.

L’explosion d’un char.

Tous les Lunaires s’étaient précipités à l’extérieur des camions pour observer ce qui se passait. A moins d’un kilomètre de la ville, ils avaient vu les restants de flammes de l’explosion, illuminant des poneys en train de hurler, tirer, comme si une bataille avait lieu dans le camp des Solaires. Luna s’était approchée de Windvision.

-Que vois-tu ?

La ponette s’était concentrée, puis sa vision s’était focalisée sur la scène. Elle avait parfaitement vu ce qui se passait. Et elle n’avait pas compris. Les impériaux semblaient se tirer dessus mutuellement, hurlant de terreur, visant la moindre ombre. Beaucoup de corps se trouvaient déjà à terre, dans des états lamentables. Puis un autre véhicule blindé avait explosé, et Windvision avait fermé les yeux.

-C’est un carnage.

-Qui est en train de faire ça ? avait demandé Black Jack qui les avaient rejointes.

-Aucune idée, avait répondu la pouliche. Et on dirait qu’eux non plus…

Ils étaient restés là pendant près d’un quart d’heure, à observer de loin ce qui ressemblait véritablement à un massacre. Quoiqu’elle fasse, Windvision n’arrivait pas à savoir ce qui provoquait cet élan de panique chez l’ennemi, et rapidement, la fumée et la poussière lui avaient bloqué son champ de vision.

Au bout d’un certain moment, les cris et les détonations cessèrent, et le vacarme de la fête reprit le dessus. Les Mexicoltiens étaient apparemment ignorant de ce qui s’était passé à côté d’eux.

Les poneys avaient fini par remonter dans les camions, et seuls Luna et son état-major étaient restés à contempler le nuage noir qui s’élevait dans la nuit. Puis Black Jack avait brisé le silence.

-Je suppose qu’aucun de nous ne dormira tranquille sans être allé voir…

-Je dormirais très bien, et en vie, avait répliqué Flesh. Sérieusement, y’a des trucs qu’il faut pas chercher à comprendre.

-C’est peut-être des alliés. Des survivants Night-Ops ? Ou des rebelles Bisons. J’ai entendu dire qu’ils…

-Non, l’avait coupé Luna. Les Bisons auraient chargé sans se soucier de ne pas être vus.

-Zèbres, alors ? avait proposé Windvision. Ils auraient décidé d’attaquer ?

-Ils n’auraient aucun intérêt à faire cela, avait rejeté Luna. De plus, le Haut Roi aurait déclaré la guerre avant.

Flesh avait observé les poneys qui l’entouraient, et soupiré.

-J’ai compris, je vais prévenir les chauffeurs du changement sur la feuille de route.

Ils étaient arrivés sur le site quelques minutes après. Et tous, même Flesh, avaient dû se couvrir les naseaux, à la fois pour éviter la fumée, les odeurs, et l’envie de vomir qui les assaillait. Windvision avait sauté à terre, et eu une sensation de mouillé sur le sabot. Elle avait baissé les yeux, et réprimé la bile qui lui était montée à la gorge.

Le sol était couvert de sang. Des cadavres s’étalaient partout sur le sol, au plus loin que l’on pouvait voir avec le brouillard brûlant. La scène rappelait les pires massacres que cette guerre avait engendré, mêlant ruines de véhicules en flamme, la terre rouge, les cadavres démembrés, l’odeur... Les corps ne devaient pas être plus d’une centaine, mais on aurait dit qu’une division s’était vidée de son sang ici.

Et l’ambiance était oppressante. L’instinct des soldats leur hurlait que ce qui s’était passé ici n’était pas naturel. Tous les cadavres avaient un air terrifié, aucun n’avait été tué à la magie, tous par des armes blanches ou de petit calibre. Les tanks avaient vu pour la plupart leur réservoir exploser, entraînant des poneys dans leur destruction.

Et il n’y avait que des corps de Solaires. Pas une trace de ceux qui avaient fait ça.

Soudain, une voix s’était fait entendre à travers le brouillard. Elle leur avait semblé chantonner, se déplaçant lentement là où on ne pouvait pas la voir. Soudain, elle avait commencé à se faire plus forte, comme si son propriétaire se rapprochait. Une forme s’était distinguée dans les cendres virevoltantes, et sa voix s’était précisée. Les soldats avaient levé leurs armes.

-Tic, tic, tic, tic…

Les flammes eurent un retour, illuminant une partie du visage de la silhouette, dévoilant un de ses yeux qui s’étaient posés sur les Lunaires.

Un regard que n’oublierais jamais Windvision.

Le grand poney blanc arborant la moustache était sorti des ombres, révélant son corps couvert de sang, continuant d’égrener son décompte :

-Tic, tic, tic…

Puis il s’était arrêté, et avait fermé les yeux, humant l’air comme s’il se trouvait sur une plaine magnifique et qu’il goûtait à l’air frai.

-Boum…

Il avait alors rouvert les yeux, et baissé la tête vers un cadavre situé à ses pieds, un poney avec sur le visage un air surpris, et un trou au milieu de son front. Il avait donné un léger coup de sabot dedans, haussé des épaules, et enfin regardé les Lunaires dans les yeux. Un sourire léger flottait sur ses lèvres, et il s’était assis.

Le silence s’installa, aucun des deux partis ne voulant prendre la parole le premier. Les républicains pointaient leurs armes vers l’étalon, mais au fur et à mesure que les secondes passaient, le malaise grandissant, leur prise s’était faite moins sûre, les canons des armes avaient commencé à trembler.

Pour eux tous, ça ne faisait aucun doute. Il avait fait cela. Et seul.

Enfin, Flesh avait rangé son arme, et s’était approché de l’individu. Il avait fouillé dans une de ses sacoches, et sorti un papier journal froissé, qu’il avait mis à côté du visage du poney, les comparant. Puis il avait rangé son papier, et demandé :

-Pourquoi ?

-C’est ce que j’aurais dû faire depuis le début… avait répondu l’autre.

Puis il avait arraché une manche de son uniforme, révélant le croissant de lune ailé bordant une étoile, symbole de la République Lunaire, dessiné avec du sang sur sa patte.

Mais Flesh avait sorti son arme et l’avait pointé sur la tempe du poney à la corne brisée.

-Je devrais plutôt te buter pour ce que tu nous as fait, « Héros de Canterlot ».

Alors, la lumière se fit dans l’esprit de tous les Lunaires. Nicholaus, le Héros de Canterlot, celui qui avait sauvé la ville.

Celui qui les avait massacré presque jusqu’au dernier, et qui les avait poursuivi sans relâche depuis deux semaines.

Ce fut au tour de Luna de tenter de s’approcher, mais Black Jack l’avait retenu, lui faisant signe que c’était une mauvaise idée. Au lieu de cela, il s’était avancé lui-même, et avait observé la tenue de la licorne. Tous ses insignes avaient été arrachés, toutes ses médailles, son grade, son nom, ses blasons… Il n’y avait plus rien sur le treillis.

L’étalon noir était ensuite passé à son visage. Des projections de sang lui en couvraient une partie. Mais le plus étonnant –et atroce-, c’était ce profond calme, cette relaxation qu’il avait affiché, la même que prenait les poneys en sortant d’une thalasso.

-Pourquoi as-tu fais ça ? avait demandé le surdoué.

-Pourquoi pas ?

-C’était tes alliés.

-Et alors ?

Nicholaus avait secoué la tête négativement.

-On ne s’encombre pas de boulet pour avancer, il me semble.

-Exactement, avait répondu la licorne noire.

Et Flesh avait enfoncé plus profondément son pistolet dans la tempe de Nicholaus, l’obligeant à obliquer la tête.

-Tu vas répondre à chacune de nos questions, avait continué Black Jack.

Pour toute réponse, Nicholaus s’était contenté de le fixer passivement. Rien n’avait trahi du stress ou de la peur.

Ce type n’est pas poney.

-Tu étais un des personnages les plus importants de l’Empire. Pourquoi les as-tu trahis ?

-Divergence d’opinion.

-Tu devais capturer Luna ?

-Oui.

-Pourquoi as-tu mis fin à ta mission ?

-La Princesse ne m’intéresse pas.

Soudain, il s’était détendu en un éclair, écartant l’arme de Flesh, et s’était placé dans son dos, lui coinçant la tête dans ses pattes. Toutes les armes s’étaient relevées d’un coup, comme réveillées par le sursaut, et Flesh avait hurlé de douleur. Mais Nicholaus n’avait fait que dégager le col de l’uniforme du pégase, et montré le tatouage caché en dessous.

-C’est ça, que je veux.

Black Jack avait levé une patte en l’air, pour dissuader ses alliés de tirer, et avait observé le tatouage, montrant le symbole des Night-Ops.

-Qu’est-ce que tu leur veux ?

-Pas « leur ». « Lui ».

Black Jack avait froncé des sourcils, alors que l’autre licorne lâchait le soldat qui le remit en joue. Il avait eu du mal à comprendre. Un Nig…

-Flesh, Jack, écartez-vous.

Tous les poneys s’étaient tournés vers l’origine de la voix. Windvision tenait fermement son fusil, l’œil alignant la mire et la tête du prisonnier, mais bloquée par les deux poneys qui se tenaient devant.

-Wind’ ?

-Ecartez-vous.

-Windvision, qu’est-ce… ?

-ECARTEZ-VOUS !

Flesh avait ouvert des yeux ronds. Il n’avait jamais vu Windvision dans une telle rage. Elle regardait Nicholaus avec des yeux emplis de haine, les sabots tenant fermement son arme, et sa pupille s’était rétréci à force de se concentrer sur sa ligne de tir. Elle n’avait même pas cillé.

-Wind’, avait tenté le pégase.

-Flesh, tu me bloques.

Flesh s’était retourné, et s’était aperçu que Black Jack s’était prudemment écarté face à l’ire de la terrestre. Nicholaus, lui, était resté impassible, regardant la ponette du coin de l’œil.

-Windvision, avait dit Luna. Qu’est-ce que vous… ?

-Il a tué Shadow !

Flesh avait regardé Windvision sans comprendre, puis il s’était soudainement retourné, envoyant un puissant coup de sabot dans la mâchoire de la licorne. Nicholaus était parti en arrière, et s’était étalé sur le sol en vidant l’air de ses poumons. Flesh avait alors pointé son arme vers le poney à terre, mais s’était arrêté avant de tirer.

Il avait croisé le regard de l’étalon. Une seconde. Un regard rétrécit, rempli de haine et d’envie de meurtre. Le pégase avait hésité un instant, et Nicholaus avait fermé les yeux, puis prit quelques inspirations pour se calmer, et s’était doucement relevé.

-Shadow Stalker…

Les poneys s’étaient étonnés d’entendre la licorne prononcer le nom du leader des Night-Ops. Luna s’était avancée de quelques pas, et avait demandé :

-Que savez-vous de lui ?

Nicholaus avait croisé le regard de Luna, et était resté silencieux quelques secondes. Puis il avait déclaré :

-Que j’aurais dû le tuer quand j’en avais l’occasion.

Windvision et Flesh avaient lentement baissé leurs armes. Windvision avait le visage rond de surprise.

-Il est…

-Il s’est échappé de prison il y a une semaine, avait déclaré Nicholaus en se redressant. Je viens de recevoir la nouvelle. Je pensais qu’il vous avait rejoint. J’avais tort.

-Qu’est-ce que tu lui veux ? avait demandé Black Jack. C’est à cause de ça que tu as trahi les tiens ?

Nicholaus avait acquiescé silencieusement.

-Je veux achever ce que j’ai eu la bêtise de ne pas faire dès le début.

Puis il s’était tourné vers Windvision.

-Je veux le tuer.

La ponette l’avait regardé avec horreur.

-Pourquoi ? avait-elle demandé. Pourquoi tu lui en veux ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Nicholaus n’avait pas répondu.

-Donne-moi une bonne raison de ne pas t’exploser le crâne, l’avait menacé Flesh.

Nicholaus avait haussé les épaules et regardé autour de lui.

-Parce qu’il vaut mieux que je fasse ça à votre ennemi qu’à vous ?

Black Jack s’était approché, regardant la licorne blanche avec un air curieux.

-« Notre ennemi » ?

Puis il avait baissé les yeux vers la patte de Nicholaus, où était toujours marquée le symbole de la République.

-Dis-moi exactement ce que tu veux de nous.

-Ce qu’il veut de nous ? s’était insurgé Flesh. On s’en tape !

Il avait pointé son arme sur le front de Nicholaus.

-Si Shade est encore en vie et que ce salaud veut le tuer, y’a pas à hésiter.

-IL SUFFIT !

Les poneys avaient ployé sous la puissance du cri de la Princesse et de sa voix traditionnelle. Tous s’étaient tournés vers Luna, qui regardait le déchu avec attention.

-Quel sont vos conditions ?

Nicholaus avait parcouru l’assemblée du regard, puis s’était fixé sur l’alicorne.

-Je me mets à votre service sans condition. Mais si je croise Shadow Stalker, le contrat prend fin immédiatement. Je le tuerais, lui, et tous ceux qui se mettrons en travers de ma route. Voilà le contrat.

-Et si nous refusons ?

-Je vous tue et je me débrouille seul.

-Essaye ! lui avait lancé Flesh.

Luna était resté silencieuse. Windvision avait senti une goutte de sueur quitter sa crinière, pour lui couler dans le dos, et se perdre dans ses poils. Elle avait su exactement ce qu’allait répondre la Princesse.

-Très bien. Mais jusqu’à nouvel ordre, vous serez notre prisonnier et sous haute surveillance. Vous nous communiquerez tout ce vous savez sur l’Empire, leurs plans et ce qui peut leur nuire.

Elle s’était tournée vers les poneys prêts d’elle.

-Attachez-le.

Les poneys, légèrement surpris, avaient obtempéré sans discuter, et avaient passé des menottes au traître, récupérées sur les cadavres environnants. L’un d’entre eux lui avait placé une bague anti-magie autours de son reste de corne, mais Nicholaus avait soupiré avec dédain. Puis les Lunaires s’étaient dirigés vers les camions de l’Empire avec leur colis. Quand la licorne était passée devant Flesh, celui-ci lui avait glissé :

-Je t’ai à l’œil.

Nicholaus ne l’avait même pas regardé.

Windvision, elle, l’avait vu monter dans les camions solaires encore en état de marche, restant silencieuse un moment. Elle ne savait plus quoi penser. Shadow était vivant, et libre. Un mince filet d’espoir avait commencé à envahir son esprit, mais pourquoi ne s’était-il pas mis à leur recherche ? Avait-il cru à la reddition de Luna ? Où était-il ?

Elle avait observé l’intérieur de la bâche. La licorne regardait droit devant elle, l’ombre d’un sourire sur les lèvres.

Elle était montée prestement, et s’était assise en face de lui.

Elle ne le lâcherait pas.

Et elle ne l’avait pas lâché.

Ils continuèrent leur route encore quelques heures, le soleil ayant largement eu le temps de monter dans le ciel. L’air se réchauffait. Celestia devait avoir envie de redonner du baume au cœur de ses sujets, et les journées étaient belles. Bien sûr, le manque de pégase impliquait que le ciel restait un peu couvert, mais les usines de Cloudsdale s’étaient remises à fonctionner pour aspirer les nuages depuis la région au Nord où la cité flottante avait migré, ce qui donnait un aspect léger et étalé au ciel.

C’était agréable à voir. Nul doute que les civils devaient regarder la voûte céleste en remerciant à qui de droit que la guerre soit finie.

Celestia, pour la plupart, supposais la ponette.

Finalement, Black Jack, qui était à la place du copilote, frappa contre la paroi qui le séparait de l’arrière, et cria :

-On est arrivés.

Les poneys commencèrent à s’éveiller, et à s’étirer autant qu’ils le pouvaient dans cet espace réduit. Windvision sentit que le camion gravissait une colline. Puis il s’arrêta arrivé au faîte. La portière claqua, et Black Jack contourna le camion pour libérer la bâche. Il regarda les poneys, et leur dit d’un air grave :

-Vous devriez venir voir.

Les soldats sautèrent à terre, et se dirigèrent dans la direction de la ville. Windvision passa après Nicholaus, alors que les deux autres véhicules arrivaient et déchargeaient leur chargement équin. La trentaine de soldats Lunaire se posta sur la colline, et observèrent la ville en contrebas.

-Putain…

La ville n’était pas très étendue par rapport à des mégalopoles comme Manehattan ou Canterlot. Elle était toutefois assez grande pour véritablement mériter le nom de ville. Mais elle était complètement déserte. Il n’y avait pas un mouvement, pas un son, même pas un souffle de vent dans les rues. Toutes les vitres étaient brisées, les bâtiments laissés à l’abandon, plus aucune des nombreuses insignes de casino de fonctionnait. Il ne devait plus rien y avoir. Comme une ville fantôme.

Mais le plus impressionnant, c’était que plus on se rapprochait du centre de la ville, plus les bâtiments étaient en ruine, leur hauteur baissant progressivement pour former comme une cuvette, jusqu’à une gigantesque place centrale où il n’y avait absolument plus rien. Juste un terrain plat, strié de lignes partant toutes du centre de cette arène désertée. Tous les arbres, poteaux, même certains bâtiments, avaient été déracinés, ou étaient penchés comme soufflés par une gigantesque explosion.

-Bienvenue à Las Pegasus fit la voix de Derpy derrière eux.

Elle s’avança pour observer la ville elle aussi.

-Le premier endroit où a été utilisé le Sonic Rainnuke.

---

Polished Drill regarda la colline au loin. Une heure. A une heure près, elle aurait quitté la ville et les auraient raté. Mais ils étaient arrivés trop tôt.

Sa corne brilla, et son fusil se souleva. Elle s’éloigna, prenant garde de ne pas se mettre à découvert pour éviter le regard de Windvision. Puis soudainement, elle s’arrêta, et frappa un grand coup contre un mur.

Une heure. Rien qu’une petite heure, et elle aurait été libre.

-Je suis désolée...

Elle reprit son fusil, et se mit en quête d’un endroit où observer ses futures victimes.

---

La ville était superbe. Construite par niveaux, entièrement blanche comme les perles, les toits étaient couverts des vêtements des habitants séchant sous le soleil implacable. Des tours s’élevaient au-delà des habitations, flanqués de larges bâtiments aux toits arrondis et stylisés. Et la vie. La ville grouillait d’équidés qui déambulaient, heureux, faisant leurs emplettes, marchandant sans arrêts en chantant, les duels verbaux s’arrêtant quand le perdant ne trouvait pas sa rime, et sur aucun des visages ne se trouvait la peur d’être attaqué dans les minutes qui venaient par des soldats venus de nulle part.

Les zèbres vivaient heureux.

Le palais où se situait Fleur-de-Lys en ce moment était à l’image de la ville : magnifique. De larges voûtes aérée, les murs couverts d’arabesques s’enchevêtrant dans des symboles ayant des significations cachées, et le jardin intérieur qui se trouvait derrière la licorne, elle-même appuyée contre le balcon qui donnait sur la totalité de cet angle de la ville. Le Haut-Roi choyait ses invités.

Fleur-de-Lys soupira. Fancy avait toujours voulu aller dans les Royaumes, mais ses obligations à Canterlot l’obligeaient à rester sur place. Même pour leur lune de miel, ils n’avaient pas pu s’enfoncer dans les profondeurs du désert qui recouvrait la terre au sud de l’océan qui bordait la frontière d’Equestria. La côte était agréable, mais manquait du charme de la capitale, Kinzhebra.

Fleur-de-Lys vit, au loin, une caravane traverser les remparts de la ville, et sortir affronter la mer de sable. Elle marcherait tout droit pendant des kilomètres, pendant environs trois jours, puis atteindrais une des villes côtières, la plus évidente étant le Crin. Puis elle chargerait les marchandises dans un ballon, et celui-ci s’envolerait pour le Haras. Puis reviendrait chargé de fuyard voulant s’échapper de l’Empire triomphant, et les forces de sécurité débordés feraient des erreurs permettant aux clandestins de passer ni vus, ni connus.

Exactement comme Fleur-de-Lys, Big Macintosh, Rainfall et ses soldats.

Ils étaient arrivés à Kinzhebra il y avait environs quatre jours, mais Fleur-de-Lys ne cessait pas de s’émerveiller de la ville. Si seulement les temps étaient moins troublés, elle aurait pu passer des vacances ici. Voire s’installer.

Mais si les temps avaient été moins troublés, elle n’aurait jamais pu avoir une audience avec le Haut-Roi, et les deux personnalités royales ponettes. Et elle n’aurait pas été logée dans le palais, avec le confort et la vue que cela impliquait.

Elle se demanda où étaient logés le capitaine et le lieutenant. Ils s’étaient installés en ville, pour pouvoir accéder plus facilement et rapidement au…

-Fleur-de-Lys ! cria dans les couloir une voix énervée.

La jument se retourna, pour voir la Princesse Mi Amore Cadenza, ou Cadence, s’approcher d’elle d’un pas furibond.

-Puis-je savoir à quel jeu vous jouez exactement ?

-Majesté, dit la licorne en s’inclinant.

-Relevez-vous, vous savez que je n’aime pas ça.

La licorne s’exécuta, et fit face à l’alicorne qui faisait sensiblement sa taille. Les deux juments se toisèrent mutuellement, et Cadence finit par lâcher :

-Je vous ai posé une question.

-Je vous assure…

-S’il vous plait, ne me prenez pas pour plus cruche que je ne le suis. Nous sommes tous au courant. Et je veux savoir si vous mesurez l’ampleur du risque que vous nous faites prendre.

Fleur-de-Lys ferma les yeux.

-Princesse, il se trouve que parmi les exilés qui se trouvent dans les Royaumes, certains ne veulent pas voir triompher l’Empire de votre tante. Je leur offre juste une occasion de renverser la vapeur.

-Vous savez à quel point ce que vous entreprenez est dangereux ? Rassembler des volontaires pour les entraîner à combattre... Et si Celestia y voit une aide des zèbres ? Le contrat entre nos deux contrées est fragile, et vous ne l’aidez pas à se maintenir.

-Techniquement, il ne s’agit pas de la République Lunaire. Les zèbres ne sont pas interdits de former des milices, que je sache.

-Et vous pensez que Twilight s’arrêtera à ce genre de considération ?

-Je vous assure que ce pays ne risque rien.

Cadence soupira, et regarda au-dehors.

-Pourquoi, Fleur ? Pourquoi continuez-vous votre guerre dans ce pays ? Nous avons fuis l'horreur, mais vous venez la rapporter dans notre refuge. Nous ne voulons pas nous battre. Les poneys ne sont pas faits pour cela.

La licorne secoua la tête.

-Vous n’y étiez pas. Vous ne savez pas ce qui s’est passé en Equestria. Dire que les poneys ne sont pas faits pour combattre, c’est une véritable connerie. Avec tout le respect que je vous dois.

Elle marcha vers la fenêtre.

-J’ai vu des poneys mourir, j’ai vu des poneys tuer, et pourtant, je n’étais pas aux premières loges. J’ai vu des soldats, des vrais, la mort plein les yeux, la conscience minée par les horreurs qu’ils ont vus. Mon mari est mort, Princesse. La guerre est une abomination.

Puis elle se retourna, faisant face à l’alicorne.

-Mais la fuir ne fait que la renforcer. L’Empire est là, toujours, et il ne s’arrêtera pas. Vous le savez aussi bien que votre mari ou le Haut-Roi. Il ne s’arrêtera pas sur une victoire face aux rebelles.

-Celestia n’a aucun intérêt à attaquer les Royaumes.

-Quel intérêt avait-elle de fonder l’Empire, en premier lieu ? « L’honneur des alicornes ». Ce rêve fou nous a fait perdre le contact avec les Griffons, nous sommes passés à un crin d’une guerre totale avec un rassemblement de Dragons, et nos relations avec les Zèbres n’ont jamais été aussi tendues. Et pour finir, tout a terminé dans une guerre civile qui a laissé le pays exsangue. Mais elle l’a poursuivi, envers et contre tout. Croyez-vous qu’elle s’arrêtera en si bon chemin ?

Fleur-de-Lys se mit à faire les cents pas.

-Les Royaumes sont le plus grand danger. A cause de son union, de sa force armée, et des milliers d’exilés qui les composent désormais. Elle trouvera le moindre prétexte pour traverser la mer.

-Et vous lui en offrez une magnifique.

-Je prépare ceux qui le souhaitent à se défendre en cas d’attaque. Je ne force personne. Mais nous devons nous renforcer.

-Vivre dans la peur ne nous aidera pas à nous en sortir.

-Vivre dans l’amour nous y a fait plonger.

Cadence secoua négativement la tête.

-Fleur, je sais que vous avez fait de nombreux sacrifices, et que la défaite vous semble impossible à encaisser, mais je vous en prie, regardez les choses en face. Vous avez perdu. Arrêtez de vous accrocher à un rêve oublié.

-C’est parce que vous avez cessé d’avoir de l’espoir que vous ne vivez plus chez vous, Princesse. Je refuse d’abandonner ce pour quoi j’ai tout perdu.

Des bruits de pas se firent entendre à l’autre bout du couloir, et les juments virent Shining Armor et le Haut-Roi s’avancer vers elles en discutant. Les deux étalons notèrent les deux ponettes, se saluèrent, et Shining Armor fit un signe à Cadence, puis s’éloigna par un couloir transversal. Cadence se tourna vers Fleur-de-Lys.

-Si vous vouliez continuer votre guerre, vous auriez dû rester là-bas, Fleur.

Puis elle s’éloigna. Le Haut-Roi la dépassa en la saluant, et elle disparut dans le même couloir que son Prince.

Finalement, le zèbre atteint la licorne. Fleur-de-Lys observa son hôte. C’était un zèbre assez grand, même si dans la moyenne de sa race, musculeux, d’une soixantaine d’années, couvert d’un large manteau d’hermine qu’il portait sans problème par cette chaleur, et de nombreux anneaux d’or lui couvraient le cou, les oreilles et les sabots. Certains lui rassemblaient sa crinière dans une queue de cheval étroite, et sa queue pareillement. Une débauche de luxe qui n’était en réalité que purement traditionnel. Fleur-de-Lys savait que dès qu’il le pouvait, le zèbre se débarrassait de tout ce fouillis et se promenait sans vêtements, avec à peine un anneau ou deux pour l’esthétisme. Il devait sortir d’une réunion avec les autres Rois.

Le Haut-Roi Eliah XXVII s’adressa alors à la ponette.

-Je suppose qu’elle vous a déjà sermonné, Je n’ai plus besoin de vous fustiger.

Fleur ne put retenir un sourire. Elle adorait entendre parler les zèbres. Une vieille tradition voulait qu’ils parlent constamment en rime, et si cette coutume se perdait, les hautes instances mettaient un point d’honneur à montrer l’exemple. On disait que le Haut-Roi pensait même en rime.

Les mauvaises langues ajoutaient qu’il urinait en produisant le même son en double.

Cette fois, Fleur-de-Lys pouffa, alors ce que genre de pensée incongrue lui traversait l’esprit en face d’une des créatures les plus puissantes du monde.

-Aurais-je fait quelque chose provoquant votre hilarité ? Je ne pensais pourtant pas avoir dit une incongruité.

-Désolée. Je pensais à quelque chose.

-La pensée a son importance, Mais ce sont les actes qui déterminent notre essence.

Le zèbre soupira.

-Néanmoins, ce sont des affaires graves qui m’amènent. Votre petite armée commence à poser problème.

-Vous comptez nous punir ?

Le Haut-Roi regarda par la fenêtre, ferma les yeux, et dit :

-En réalité, Je comptais plutôt vous aider.

Fleur ouvrit des yeux ronds.

-Pardon ?

-Malgré ce que proclame la Princesse, Il nous faut avouer que nous sommes en situation de détresse. Je ne suis pas aveugle, madame, et je vois Que mon pays a cessé d’être un chasseur et va bientôt devenir proie. J’aime ma contré, et je ne lui veux que du bien, Mais ce n’est qu’une question de temps avant que l’ennemi arrive, c’est certain. Il faut cesser de se voiler la face, Et nous préparer à faire… face.

Il secoua la tête.

-Rime riche, ma honte est grande. Ces traditions sont parfois très prenantes.

-Vous savez que vous pouvez me parlez normalement.

Eliah rit doucement.

-Voyons, ce serait manquer de respect Envers ceux que j’ai l’honneur d’appeler mes sujets.

-Chez les poneys, nous pensions qu’il s’agissait d’une maladie des zèbres de parler en rime.

-Vous n’avez jamais rencontré de zèbres faisant de la prose. Mes dieux, votre monde devait être bien morose.

Fleur-de-Lys regarda étrangement le roi, qui haussa les épaules. Dans les longs discours, il était fréquent d’avoir des phrases au sens étrange, à cause d’un mauvais choix de sonorité.

-En réalité, le dernier zèbre que nous ayons vu, continua la licorne, est la sorcière de la forêt Everfree, Zecora.

-Ah… Zecora…

La mine du Haut-Roi se fit plus mélancolique.

-Difficile est la vie de celui-ci Qui choisit de dédier sa vie aux esprits. Des fois, j’aurais préféré qu’elle ne soit jamais partie, Et qu’elle soit restée à mes côtés dans notre patrie.

Fleur-de-Lys pencha la tête sur le côté.

-Vous connaissiez Zecora ?

Le vieux zèbre hocha la tête.

-Elle fut mon amie quand nous étions enfants,. Et notre relation s’épanouit au fil des ans. Mais parce que j’étais de sang royal, Elle était indigne d’être ma compagne. C’est pour cela qu’elle s’est lancée dans l’étude des esprits. Le shamanisme permettait de braver cet interdit. Mais les études allant elle se prit au jeu, Et voulut découvrir le monde de ses propres yeux. Elle est partie il y a des années Et je ne l’ai plus jamais recroisée. Enfin… J’ai continué ma vie. Et avec mon accession au trône, j’ai bien d’autres soucis.

En réalité, c’était le frère ainé d’Eliah qui était sur le trône au début de la guerre. Mais un jour, alors qu’il était en voyage diplomatique en Equestria, il avait disparu, ainsi que tout le corps diplomatique. Par défaut, Eliah avait pris le trône, et devait s’acquitter de la tâche avec d’autant plus d’ardeur qu’il devait éviter de déclencher le conflit avec l’Empire, en remisant ses sentiments à plus tard. On découvrit ensuite que les ambassadeurs avaient été tués par erreur, et que le tout avait été couvert par les Licornes du Soleil.

Néanmoins, Eliah avait maintenu le status quo, et tenté l’échange de bons procédés avec Equestria, offrant un refuge aux exilés tout en maintenant le commerce. Les champs Equestriens commençaient à accuser de la guerre et du temps. Et ce, même lorsque lui parvinrent des rumeurs comme quoi le commandant montant Crimson Brush était impliqué dans l’accident qui avait coûté la vie à son frère bien-aimé.

-Dites-moi, majesté. Vous savez ce qu’a fait Zecora dans la forêt ? On raconte des tas de choses...

Eliah prit un air sombre. Il s’approcha de la fenêtre, et s’accouda à elle, regardant un instant sa ville. Puis il finit par dire :

-Je n’y connais pas grand-chose en magie shamanique, Et les tentatives de Zecora pour me l’enseigner ont été assez pathétiques. Elle est moins aisée à utiliser que votre corne, c’est certain, Et peu de personne considèrent vraiment les shamans comme des magiciens.

Fleur se posa à côté du roi, l’écoutant attentivement.

-Il est vrai que l’art des herbe est assez peu spectaculaire, Bien que l’étendue de ses effets est loin d’être lacunaire. Mais la véritable force réside dans la manipulation des esprits, Que les plus puissants shamans peuvent plier au gré de leurs envies. En réalité, notre pouvoir est encore plus grand Que celui que déploient vos gérants. Cependant, un tel pouvoir à un prix, Et il faut être très prudent avec cette magie. Zecora s’est condamnée, Et tant que la forêt Everfree continuera d’exister Elle devra vivre pour contrôler les créations Qui n’attendent qu’un instant pour quitter ses frondaisons.

Fleur réfléchit un instant, et conclu :

-Zecora contrôle donc des esprits qui ont envahi la forêt ?

-Les morts, les perdus, les échappés du Tartare, Les démons de la création qui se cachent dans le noir, Tous ces esprits ont envahi les bois. Arbres, animaux, monstres, sous le contrôle de Zecora, Et, liée par la magie A celle de la forêt elle a mêlé sa vie.

Les deux restèrent silencieux, tandis que Fleur déchiffrais les paroles du zèbre.

-Donc, Zecora est devenue la forêt ?

Le Haut-Roi secoua négativement la tête.

-Son corps est encore indépendant, Mais figé et coincé dans les bois éternellement.

-Elle est immortelle ?

Cette fois, Eliah acquiesça.

-Si je comprends bien, pour retenir les créatures de la forêt qu’elle a lâchée, Zecora est devenue immortelle, et est désormais liée à la forêt. Elle ne peut pas en sortir ?

-Ce n’est pas tout à fait la réalité, Mais vous avez compris l’idée.

Le Haut-Roi se redressa, et s’écarta de la fenêtre.

-Venez, suivez-moi, Nous devons discuter de notre combat. Le vent de la guerre souffle trop fort pour être ignoré Et je n’ai pas envie de nous voir balayés. Montrez-moi le combat à l’équestrienne, Je vous montrerais les techniques qui sont les miennes.

-Je préviens le capitaine Big Macintosh et le Lieutenant Rainfall. Vos hommes nous aiderons ?

-Mieux. Ils participeront. J’en ai discuté avec Shining Armor Et nous sommes pratiquement d’accord. Il tentera de convaincre sa femme, Même si ce ne sera pas facile, avec le respect que je dois aux dames.

-De toute façon, avec un peu de chance, nous n’aurons pas à aller jusque-là.

-Expliquez-vous, je suis tout ouïe, Quelle coup fourré avez-vous donc encore commis ?

-Avant de partir, j’ai laissé un… Cadeau à Celestia. Sous la forme de son neveux, le Prince Blueblood, dans la tête duquel j’ai réussi à implanter une idée.

Fleur-de-Lys ricana.

-En ce moment même, il rassemble une conjuration pour un coup d’état. Je ne peux malheureusement plus rester en contact avec lui, mais la dernière fois que nous nous sommes parlé, il semblait avoir trouvé un moyen de se faire soutenir du peuple.

Ils marchèrent dans les couloirs.

-S’il réussit, alors nous n’aurons même pas à combattre.

---

Dans les sous-sols de Canterlot, Crimson Brush ricanait dans sa barbe. Ça avait été trop facile. Et pourtant, il ne pouvait pas se vanter d’être ce qui se faisait de plus « mondain » ou manipulateur, comme poney. Mais avec Blueblood, tout était tellement facile quand on le prenait dans le bon sens du poil.

Il l’avait approché il y avait un certain temps. Le Prince avait voulu renforcer les liens qu’il avait avec le « Défenseur de Canterlot ». Au début, Brush avait tenté de le repousser. Mais il avait rapidement sentit que quelque chose se cachait là-dessous. Alors il avait joué le jeu.

Et là, c’était le gros lot. En prenant un air mystérieux, Blueblood l’avait attiré dans un coin. Et là, il lui avait tout déballé. Une véritable conjuration des nobles qui s’estimaient lésés par l’Empire, et soi-disant dans le but de libérer la population du joug des Licornes du Soleil, s’était formée pour renverser Celestia.

Leur plan s’appuyait essentiellement sur le soutien du peuple. Le ras-le-bol du régime impérial, les Licornes du Soleil que personne ne voulait plus voir après la fin de la guerre, l’envie de voir les soldats cesser leurs patrouilles et rentrer à la maison pour siroter un chocolat chaud...

Il leur manquait le soutien d’un personnalité aimée du peuple. Le « Héros de Canterlot » étant indisponible car traquant Luna, ils s’étaient retournés vers le « Défenseur ».

De plus, ils prévoyaient de se servir de l’influence du général pour faire des manœuvres agressives aux frontières, de façon à monter la population contre le régime qui voulait visiblement déclencher une nouvelle guerre. Enfin, selon leur plan.

Crimson, bien sûr, en avait immédiatement référé à Twilight. Et les deux étaient tombés d’accord sur un point : les laisser faire, et jouer le jeu.

Car s’il obéissait, cela signifiait qu’il pouvait menacer les autres pays. Twilight, elle, s’occuperait de mettre le feu aux poudres.

Il obéissait à sa Princesse, qui ne voulait pas déclencher de nouvelle guerre. Mais s’il s’était fait « manipuler » par des traîtres, alors c’était autre chose.

Il aurait sa guerre. Il en salivait d’avance.

Et la meilleure, c’était qu’aujourd’hui, le Prince le menait au siège de la Conjuration. Sans prendre aucune précaution. Crimson avait mémorisé tout le passage, pour une utilisation ultérieure.

Décidément, ce sourire ne voulait pas partir de son visage.

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fredericdu2375
fredericdu2375 : #40196
put... de merde ca fait troi que j'essaye de mettre un comm met ma connexion est tellement foireuse que ca e marche pas superbe chapitre qui répondait a une interrogation ce que est devenue scoot et ben tu vois j préfère largement celui qu'ils ont eu dans la réalité et dire que celestia croit que ca la renforce
Il y a 2 ans · Répondre

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