Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Pony War Chronicles

Une fiction écrite par ironponymaiden.

Phase I : Avant la Tempête

Allongé sur le dos, regardant fixement le toit de sa tente, Stalker pensait. Il pensait beaucoup en général, quand il n'était pas focalisé sur un objectif. Trop, en fait. La vérité, c'était qu'une seule préoccupation accaparait tout son esprit.

Pas la bataille du lendemain. Pas l'assaut sur la capitale, et probablement le dernier combat de la guerre. Ça, il y travaillait depuis des mois. Tout était réglé comme sur du papier à musique. L'idée n'allait pas sans risques, et il ne tenait qu'à ce que la chance en décide autrement pour que tout finisse dans un bain de sang à sens unique. Il était de toute façon trop tard pour revenir en arrière. Le train était lancé, et rien de l'arrêterais avant qu'il ne s'essouffle. Les combats ne l'avaient jamais préoccupé, mais une ombre se dessinait maintenant sur le tableau :

Qu'est-ce qu'il arriverait s'ils gagnaient ?

Plus exactement, qu'est-ce que lui deviendrait s'il s'en sortait vivant et victorieux ? Pour ce qui est de l'avenir du pays, Luna veillerait à ne rien laisser au hasard en cas de victoire. La transition se ferait sans heurt, globalement en tout cas. Non, ce n'était pas ça qui le tracassait.

Son flanc le démangeait. Il avait passé toute sa jeunesse incapable de trouver son talent. La guerre le lui avait révélé. Il était né pour être un tireur d'élite, créé dans le but de tuer, forgé à devenir une machine de guerre implacable. Il ne regrettait pas une seule de ses actions. De toute façon, rien ne pouvait permettre de revenir en arrière, pas même la magie. Autant ne pas se morfondre sur ses actions passées. Mais l'avenir, lui, restait à décider. Et il ne savait pas ce que lui réservait l'avenir.

Il était un monstre, même d'un point de vue objectif, et sa Marque ornerait à jamais son flanc pour rappeler à tous ce qu'il avait fait durant la guerre. Si pour l'instant, cette Marque lui valait d'être respecté pour son talent, en temps de paix, les choses changeraient. Elle ne serait plus un réticule de visée. Elle serait une cible.

Il était né pour la guerre. Il avait vécu par la guerre. Il valait peut-être qu'il meure avec la guerre. Si la République devait gagner cette bataille et mettre un terme à treize ans de combats, il valait sûrement mieux qu'il n'en réchappe pas.

Son talent ne se limitait pas à savoir bien viser. Pour mener à bien ses objectifs, il devait avoir un esprit de stratège, prévoir les moindres détails de ses plans et y ajouter des marges d'erreur acceptables. Il devait deviner les mouvements de l'ennemi, estimer les dégâts que causerait une opération, voir l'avenir. Ce qu'il ne parvenait pas à faire aujourd'hui.

Il était incapable de se voir autrement que dans le prisme de la guerre. Il était une arme, au même titre que le fusil qu'il avait rangé à côté de son bureau. Une machine sans âme qui cesserait bientôt d'être utile.

Un froissement à l'entrée de le tira de ses sombres pensées. Windvision se tenait là, immobile. Elle afficha un air décidé, traversa la tente, et, arrivée à lui, lui colla sa bouche contre la sienne.

Le cerveau de l'étalon gela pendant un long moment. Rien, aucune pensée, pas une remarque ne lui traversa l'esprit alors qu'il ressentait chaleur des lèvres de la jument sur les siennes, se pressant un peu plus chaque seconde à mesure que Windvision oubliait ses doutes pour profiter de l'instant.

Puis, comme poussé par son instinct, il ferma les yeux et lui rendit son baiser, sentant son cœur accélérer son rythme en répandant une douce sensation dans tout son corps. Un sentiment inconnu. Une sensation nouvelle, agréable, loin de la froideur du monde dans lequel il s'était enfermé.

Il ne questionna même pas le pourquoi du comment. Ça aurait dû lui être évident. Il aurait pu le voir, s'il avait eu les yeux calibrés pour. Dix années en sa compagnie, pendant lesquelles elle s'était occupé de penser pour lui comme un poney normal, alors qu'il continuait de rester sourd au monde à l'extérieur des combats. Dix ans au bout desquels il n'envisageait plus à partir en mission sans sa présence à ses côtés. Comme si la laisser derrière revenait à se séparer de sa part ponette. Comme s'il lui manquait quelque chose.

Comme si, au final, il était encore capable d'avoir des sentiments pour quelqu'un. Et que cette personne ait des sentiments pour lui.

Il se séparèrent, et la jument eut un petit rire.

-T'as le droit d'arrêter de réfléchir pendant quelques minutes, tu sais ?

-Je ne peux rien te cacher.

-Non.

Un nouveau gloussement. Stalker avait l'impression que des tambours jouaient directement dans ses oreilles.

-Demain, c'est quitte ou double, continua la jument.

-On n'aurait jamais dû accepter que Luna participe. Elle...

-Elle n'aurait jamais accepté de rester derrière, de toute façon. Mais ce n'est pas exactement ce qui me tracasse.

L'étalon hésita un instant, son instinct lui hurlant que tout ce qu'il pourrait dire maintenant serait très idiot.

-Quoi qu'il arrive demain, je ne veux pas avoir de regrets, continua Windvision.

Elle fit un pas en avant, et frotta son encolure contre celui du poney carmin. Ce dernier leva une patte pour la serrer contre lui, et plongea son museau dans sa crinière. Ils s'enlacèrent un long moment. Puis la jument s'écarta de lui, posa sa patte sur son torse, et d'une courte mais puissante poussée le renversa sur la couchette.

---

-Les batteries à l'est ! Bordel, mais vous savez pas manier ces trucs ou quoi ?

Crimson Brush était désespéré. Définitivement, l'armée Impériale était peut-être trop efficace. A force de retenir le front loin dans les terres, Canterlot n'avait pas besoin de se préparer au combat. Ce qui impliquait que dès que quelqu'un tentait de bouger le cul aux soldats, c'était la catastrophe. Les défenses rouillaient littéralement du manque de soin des gardiens de la ville.

Mais qu'est-ce qu'avait foutu le précédent commandant en charge ? Si les lunaires attaquaient demain, ils ne seraient jamais prêts. « Peu probable », lui avait-on dit. Il avait vu les rebelles faire tellement de choses « peu probables » qu'il avait eu envie de massacrer les fainéants sur place.

Mais Crimson Brush avait bien l'intention de faire en sorte de retaper les défenses. Il avait été mis à ce poste récemment, en guise de « punition » pour le massacre de Ponyfield. Même si la petite bourgade était un nid de lunaires, il avait « accidentellement » oublié de faire une enquête sur chaque poney avant de les faire exécuter. Et maintenant, il se trouvait loin du front.

Ce n'était pas pour autant qu'il allait chômer, comme prétendaient le faire les soldats en charge des remparts de la ville. « Force de Défense »... Il l'en leur foutrait, des forces de défenses ! Il n'était même pas sûr que les grandes portes d'accès à la capitale fermaient bien.

Si les Licornes du Soleil n'étaient pas là, la ville serait tombée rien que par les assassins et agents des nuitards qui passaient par là. Mais Brush avait bien l'attention de changer tout ça. A commencer par retaper tout ce bordel. Ce soir, les défenses seraient comme neuves, il s'en faisait le serment.

Il repensa aux rapports qu'il recevait depuis quelques jours. Le long du front, c'était l'assaut généralisé. Les rebelles semblaient s'être emportés avec le récent déblocage de la situation aux tranchée, et les attaques se multipliaient, sans toutefois porter de véritable coup dur à l'Empire. Il n'y avait pas de réel avantage tactique à faire tout ce boucan, mais en face, les grands pontes, inquiets des récentes avancées des lunaires, envoyaient tout ce qu'ils pouvaient en représailles.

En laissant l'arrière-pays sans défense. Et ces derniers temps, les sabotages ennemis étaient nombreux, même selon les standards lâches des prétendus républicains. Non, ça sentait mauvais. Ce n'était pas un soudain engouement de l'ennemi. Les assauts puaient la diversion, et les sabotages, la préparation de terrain. Quelque chose de gros arrivait, et les lards de l'Etat-Major ne parvenaient pas à le voir. C'était une des raisons qui poussaient Crimson Brush à brusquer la remise en état des défenses de la ville. Une attaque sur Canterlot était « peu probable », mais ils ne se feraient pas surprendre. Pas sous son commandement. Et surtout pas alors que ce parano de Nicholaus beuglait à qui voulait l'entendre que les lunaires étaient en train de viser directement la Princesse. Aussi absurde que ça pouvait paraître, dernièrement, ses arguments sur les brusques coupures de communication, les sabotages et les assassinats commis par les lunaires qui leur donnerait une route directe vers Canterlot commençaient à avoir du sens. Dommage qu'on l'ait envoyé se passer les nerfs au front. Brush aurait bien eu une petite discussion avec lui et sa théorie sur les « fantômes » de Luna.

-Malakhoof, on en est où au niveau des batteries anti-pégases ?

L'appelé le regarda avec des yeux ronds.

-Les quoi ?

Crimson se rapprocha rapidement de lui, et le domina de toute sa hauteur.

-Les D.C.P. Les canons. Les têtes chercheuses. L'armement anti-pégase, dit-il en serrant les dents.

-Mais Colonel... Vous voulez tirer sur les Faucons ou quoi ?

Crimson devait se retenir de tirer dans une des jambes du soldat. A force de dire que l'Empire maîtrisait le ciel, beaucoup pensaient que les lunaires n'avaient tout bonnement pas de pégases. Mais Crimson avait vu de visu que ces légendes n'étaient désormais plus vraies.

-Oui, Malakhoof, je veux tirer sur Dash et sa bande de danseuses. D'ailleurs, si jamais j'ai pas ces batteries anti-aériennes dans deux heures, je t'envoies rendre une visite spéciale à Sparkle. C'est compris ?

-Reçu ! fit le poney en faisant un vague salut et en déguerpissant.

Dire qu'on allait envoyer un soldat chez la Licorne du Soleil en chef était une menace courante parmi les gradés, mais rarement sérieuse. Crimson était l'exception. Et la dernière fois que c'était arrivé, la Licorne Suprême avait été tellement furieuse d'être dérangée pour rien qu'elle avait exécuté le malheureux sur place, sans aucune forme de procès. Puis elle s'était plaint à Crimson des tâches de sang sur son costume. L'étalon se revoyait encore retirer un morceau de crâne de l'épaule de la protégée de la Princesse.

Crimson observa les remparts, puis tourna son regard vers la ville. C'était ses grands travaux à lui. Il n'était pas pessimiste sur l'avenir de la guerre, mais si, par un coup du sort indescriptible, Luna et ses traîtres arrivaient jusqu'à Canterlot, ils seraient prêts. Grâce à lui, la capitale serait imprenable dans trois jours.

---

-Hey, Shiny ! Qu'est-ce que tu fous ?

Night Shine se retourna pour découvrir Flesh qui s'approchait. Il reposa sa plume.

-Encore en train d'écrire à ta sœur ? demanda le pégase brun.

-Oui. Demain, c'est la mort ou la gloire, alors je lui écris pour lui expliquer tout ce que j'ai fait. Au cas où je ne puisse pas lui dire moi-même.

-T'as l'air joisse, ça fait peur...

-Et toi, dit l'autre pégase pour changer de sujet, tu fais quoi ?

-Comme tout le monde dans le coin. J'évite la tente de Shade.

Night Shine eu un sourire. L'atmosphère était étrange en cette « soirée ». Les missions-suicides étaient courantes chez les Night-Ops, mais cette fois, c'était différent. C'était leur dernière, leur baroud d'honneur. Même si ça n'avait jamais été clairement dit, les combattants le ressentaient, tous. Ils refuseraient de battre en retraite alors qu'ils étaient si proche du but. Alors ils agissaient comme s'il vivaient leur dernier jour. Pour Night Shine, ça se traduisait par une lettre d'adieu. Pour le commandant et son assistante... Autrement.

-Dis-moi, fit Flesh en brisant le silence. Elle est comment ta sœur ?

-Vivante.

-T'es lourd.

Night Shine se tourna vers Flesh, un sourire moqueur aux lèvres.

-Tu serais pas en train de chercher quelqu'un à draguer, maintenant que le commandant t'as devancé ?

-Je suis si prévisible ? dit l'autre d'un air faussement choqué.

-Pourquoi pas Drill ? Elle a l'air de t'apprécier.

-Euh...

Flesh se mordit les lèvres.

-Déjà testé. Pas approuvé.

-Oh, vraiment ? Je pensais que t'aimais les filles explosives.

-C'est pas le problème, mais... Disons qu'elle mérite son nom.

Night Shine haussa un sourcil, intrigué.

-Elle...

-Je veux pas en parler.

-Même pas un peu ?

-Si tu veux savoir, c'est la première fois que je me suis barré d'une chambre en galopant.

Le poney noir s'imagina l'intrépide soldat, courant l'air apeuré, fuyant la licorne au sourire de psychopathe. Et il s'écroula de rire. Flesh roula des yeux et s'éloigna, cherchant la compagnie d'autres camarades, moins moqueurs. Toujours riant, Night Shine ajouta quelques lignes à sa lettre, la relut, puis la rangea dans sa veste. Il remit ses lunettes de soleil beaucoup trop grandes sur son museau, son gri-gri personnel, et se retourna. Le camp des Night Ops était situé sur un plateau sur le flanc d'une montagne, à l'abri des regards indiscrets. Ils avaient beaucoup d'avance sur le reste des forces de Luna. Canterlot était si près. Une armée en plein cœur du territoire ennemi, et personne ne les voyait passer.

Des mois de travail, d'opérations et de préparations, pendant lesquels les Night Ops avaient déployé tout l'éventail de leurs capacités, afin de permettre une attaque directe sur la capitale ennemie. Un tour de force qui pourrait bien mettre fin à cette folie, et qui avait pris le nom de code « Couloir des Ombres ».

Night Shine observa le campement. Flesh était en train de mimer le fait de jouer du violoncelle avec son arme, devant un Rocket Storm hilare et une Octavia furieuse. Plus loin, Polished Drill nettoyait encore et encore son lance-missile. Les autres jouaient aux dés, vérifiaient leurs armes ou faisaient divers échauffements et entraînements. Les Night Ops allaient être l'étincelle qui allait mettre le feu à la poudrière.

Dès demain, le monde allait changer de visage.

---

Violette. Complètement violette. Les yeux rieurs. Un sourire charmant. Une crinière bleue foncée impeccablement lissée, dotée de mèches, une violette et une rose, juste à côté de sa corne. A côté d'elle, un poney noir, aux yeux et à la crinière d'or, la dernière légèrement décolorée. Une licorne, lui aussi. Ensemble, ils regardaient vers lui.

Black Jack passa son sabot sur la photo. Ça faisait des années qu'ils avaient quitté l'université de magie. Ça faisait des années que leur pseudo-histoire d'adolescents était finie. Mais des sentiments diffus, irrépressibles, quels qu'en soient les moyens, étaient toujours présents chez lui. Ils ne l'avaient pas quitté depuis que la licorne surdouée était entrée dans ce bar, une ère auparavant.

Mais aujourd'hui, ces sentiments concernaient un souvenir, un fantôme. Twilight Sparkle était morte. Elle avait été tuée par le monstre de la folie, éclipsée par le spectre de la guerre. La Twilight qu'il connaissait et aimait avait succombé face à un monstre sans pitié, uniquement préoccupé par le bien-être de la Folle, capable d'absolument tout pour satisfaire ses moindres désirs. Même à commettre les actes les plus horribles, torture, meurtre, massacre, sans éprouver le moindre remord.

Il l'avait vu. Il avait vu la chute de la licorne. Il l'avait vu s'enfoncer dans les ténèbres du fanatisme. Il avait tenté de l'en empêcher, mais il n'avait eu aucun pouvoir sur elle. Et, lorsqu'elle l'avait enjoint à combattre à ses côtés, à intégrer ses forces, et devenir une Licorne du Soleil dévouée à Celestia, Black Jack avait su qu'il l'avait perdu à jamais. Et il était passé à un crin de la mort pour avoir refusé de la suivre.

Black Jack réclamait vengeance. Il exigeait réparation. Quelqu'un devait payer pour ce qui était arrivé à Twilight, ainsi qu'à tous ces poneys qui avaient perdu leur âme au profit d'un Empire de fumée.

Pour cela, il était partit chez les Lunaires. Pour cela, il avait décidé de se battre, en dépit de son dégoût pour la violence. Parce qu'il pouvait apporter sa pierre à l'édifice. Et cette pièce, il l'avait taillée, polie, jusqu'à ce qu'elle prenne sa forme finale. Une forme éthérée, insaisissable, morte. Un fantôme. Des Fantômes. Les Fantômes de Black Jack. Il reposa le cadre à côté de sa couchette, alors que quelqu'un entrait dans sa tente. C'était Coffee Crime.

-T'es prêt ? demanda-t-elle.

-Toujours.

Il se releva, et suivit la ponette à l'extérieur. Là se trouvaient tous ses soldats. Tous réclamaient quelque chose que l'armée régulière tardait à leur donner : une réponse rapide à leur attente de paix. Mais aucun ne voulait ou n'avait les capacités requises pour faire partie des Night-Ops. Alors, Black Jack leur avait donné ce qu'ils attendaient : une unité qui agissait au cœur des lignes ennemies, indépendante et efficace, et qui, contrairement au rassemblement de psychopathes aux ordres de Stalker, appréciaient la vie à sa juste valeur. La licorne estimait que la guerre n'avait pas à changer leur comportement vis-à-vis de cela. Peu importait l'efficacité des poneys de l'assassin carmin. Elle pouvait être atteinte sans nécessiter de tuer tout ce qui entrapercevait une de leurs ombres. C'est ce que Black Jack tentait de prouver.

Les poneys se tournèrent vers leur chef. Après tout le mal qu'il s'était donné pour donner une légitimité à son groupe, le fait de préparer quelque chose sans l'accord ni de Luna ni même de Stalker la veille d'une bataille qui déciderait de l'avenir du pays pourrait passer pour complètement idiot. Ce qui était probablement le cas. Mais s'il y avait une chose en laquelle Black Jack avait confiance, c'était en sa capacité à tout planifier. Et si son lien passé avec Twilight ne lui avait pas valu d'être la cible d'une chasse aux sorcières, il aurait pu peut-être en faire profiter les plus hautes instances de la rébellion.

Mais peu importait. Demain, rien ne devait être laissé au hasard, et Black Jack savait où il serait utile.

---

-Ce type est complètement fou.

Sterling Vision faisait les cents pas dans la grande salle. Twilight souffla et roula des yeux. Le poney au corps ravagé de brûlures avait tendance à lui taper sur les nerfs. Elle se demandait comment cette licorne avait bien pu accéder à son poste actuel. Déjà, le fait qu'il fasse partie des Licornes du Soleil lui paraissait être une aberration, du fait qu'il ne pouvait utiliser sa magie désormais poussive que pour maintenir un semblant de vue. Un petit vieux à la corne brisée qui aurait été inutile, s'il n'avait pas ce talent pour se faire obéir. Ou, plus exactement, inspirer une terreur telle à ses troupes que celles-ci se jetaient corps et âme dans la bataille sans réfléchir, espérant mourir au combat plutôt qu'exécutées pour manquement au devoir.

Mais aujourd'hui, il était véritablement insupportable. Depuis peu, il était assigné à l'équipe responsable de la défense de Canterlot, après avoir quelques peu débordé de ses fonctions dans une bataille antérieure. Si l'armée solaire louait les entreprises héroïques, le poney avait tendance à faire fi de la préservation des soldats pour respecter les ordres qu'on lui donnait. Or, même si la politique de Celestia se basait sur l'obéissance, elle reposait surtout sur des sujets vivants. On l'avait donc affecté à un poste plus tranquille. Malgré cela, il avait une fâcheuse tendance à avoir la gâchette facile.

Le pire, c'était que plus tôt dans la journée, le nouveau commandant des Forces de Défenses de Canterlot avait décidé de renforcer les remparts de la cité, car il craignait quelque chose, au vu des nombreux rapports faisant état d'attaques sur tout le long de la frontière. Et Sterling Vision ne le voyait pas de cet œil. Pour lui, c'était du gaspillage de ressources.

Twilight devait avouer qu'elle trouvait le comportement de Crimson Brush assez étrange. A part les quelques tentatives d'assassinats régulières, Canterlot n'avait jamais vraiment été en danger. Et la ligne du front était encore très éloignée. De toute façon, ces derniers temps, Twilight était beaucoup plus préoccupée par la perte récente du prototype de bombe atomagique. S'il était clair que les traîtres l'avaient en leur possession, elle n'avait aucune idée de où et quand ils allaient l'utiliser. Et ces attaques qui décidément sentaient la diversion à plein museau ne l’aidaient pas à se sentir mieux.

Elle était cependant sûre qu'ils allaient l'utiliser. Les rebelles avaient le terrorisme dans les gênes. Twilight se demanda pourquoi on avait gardé cette bombe. Quand elle en avait appris l'existence, Celestia était entrée dans une rage folle. Elle qui faisait de son mieux pour garder un maximum de poneys en vie à travers cette guerre, la simple idée de pouvoir tuer autant de monde en un claquement de langue la révulsait. Elle n'acceptait le Rainnuke de Rainbow que parce que la pégase était l'unique au monde à savoir le faire, et qu'elle savait qu'elle ne l'utiliserait pas à mauvais escient. Mais rien de plus ne devait pouvoir tuer autant de poneys en un coup.

Après la disparition de la bombe, Twilight avait mené l'enquête pour savoir qui avait décidé de la garder. Mais elle avait été incapable de le trouver. On l'avait caché dans un entrepôt militaire, parmi d'autres prototypes, sans sécurité particulière. Heureusement, peu de personnes savaient que l'engin de mort avait disparu.

Twilight n'arrêtait pas d'y penser. Ils avaient une taupe dans leurs rangs. Un traître haut placé. Toutes les dernières actions terroristes des pseudo-républicains visaient des cibles critiques, des objets précieux disparaissaient, des informations classées filtraient. Comme dernièrement, le fameux prototype du vieil Aperture. Un projet top-secret, et les poneys au courant se comptaient sur les clous d'un fer. Pourtant, il avait disparu, remplacé par une paire de dés rouges.

-... et des armes anti-aérienne ! A quoi peut bien serv...

-LA FERME !

Sterling Vision s'interrompit, regardant Twilight d'un air surprit. Celle-ci regardait dans le vide, une haine farouche dans les yeux.

-Allez donc vous plaindre au Colonel Brush, et cessez de me casser les oreilles avec vos histoires. Nous ne serons jamais trop prudents en ce qui concerne la sécurité de la Princesse ! Sortez, maintenant !

Sterling Vision sortit prudemment, et ferma la porte derrière lui. Twilight s'assit au milieu de la pièce. Sa corne brilla, et un livre s'envola pour se poster devant ses yeux. Des rapports de ses enquêteurs. Rien de concluant. Mais bon sang, qui était la taupe ? Bien sûr, elle avait pensé à Black Jack, mais il avait quitté l'Empire longtemps auparavant, et ne pouvait pas être au courant des dernières nouvelles. Non, il y avait autre chose. Et ça l'énervait. Elle ne comprenait pas, et ça l'énervait.

Black Jack. Encore une enflure de traître qui prétendait vouloir son bien. Un niveau en magie plus qu'acceptable pour les Licornes du Soleil, surtout avec son attrait pour la pyromancie, et un lien émotionnel envers elle qu'elle n'avait jamais bien compris. Qui restait obsédé par une même jument après être sorti avec elle pendant trois jours à l'université ? Et sorti était  un bien grand mot. A l'époque, surtout à l'époque, Twilight n'avait pas encore appréhendé le concept de lien social.

Ceci étant, elle avait bien pensé utiliser ce lien pour l'enrôler. Mais l'enfoiré pensait qu'elle avait basculé. Et, comme Spike avant lui, il s'était enfuit en prétendant en avoir quelque chose à foutre d'elle. S'ils tenaient tant à elle, pourquoi ne l'aidaient-ils pas dans sa mission ? Des menteurs et des  traîtres !

Sans compter que les dés rouges, c'était sa signature.

---

Ça faisait du bien de voler. Elle maudissait les pégases fidèles à Celestia de l'avoir privé de ce plaisir toutes ces années. Mais aujourd'hui c'était différent. Elle n'avait plus peur de voler. Elle ne craignait plus de déployer ses ailes et de filer dans le ciel. Et qu'ils viennent, ces pégases qui tentaient de la maintenir au sol. Elle les réduirait en charpie.

Car elle était une Experte.

Un manque cruel d'imagination, Soarin, pensa-t-elle. Mais l'idée était là. Ils étaient les meilleurs. Pendant des années, les impériaux avaient crus que les rebelles n'osaient plus déployer leurs pégases. C'était vrai. Mais aujourd'hui, ils s'envolaient pour leur montrer que non, ils n'avaient pas peur. Ils combattraient, et mourraient s'il le faut, mais en volant !

Swift Wings n'avait pas peur des Faucons. Non. Elle se sentait prête à les combattre. Elle les détruirait, un par un. Peu importait leur force, elle les vaincrait. Car elle devait se venger. Elle se taillerait un chemin sanglant jusqu'à celle qui lui a retiré toute raison de vivre.

Rainbow Dash. Celle qui a anéanti les espoirs aérien des lunaires. Celle qui avait déshonoré la condition de pégase pour en faire des tueurs spécialisés dans la chasse de leurs propres frères. Celle qui avait tué l'étalon qui partageait sa vie.

Elle allait payer. Peu importait ce qui allait arriver. Peu importait, en réalité, s'ils gagnaient ou non. Dès l'instant où la vie aura quitté le corps de Rainbow Dash, la guerre serait finie pour Swift Wings. Elle avait passé des années à s’entraîner dans cet unique but, et l'initiative de Soarin de créer un corps de pégases lunaire était tombée à point nommé. Elle en avait bavé, mais elle était la meilleure du groupe désormais.

Elle mit fin à sa session de vol, vérifia que personne ne la voyait d'en bas, et plongea vers le sol. A quelques mètres du plancher des vaches, elle freina brusquement et se posa. Puis elle trotta vers le camp, une centaine de mètre plus loin. Elle vit les pégases se préparer au combat. Le lendemain, tout serait une question de timing et d'efficacité. Les pégases étaient une partie centrale du plan, leur heure de gloire après des années passées dans l'ombre. Swift Wings traversa le camp, et se dirigea vers les quartiers de leur leader.

-Soarin !

Elle attendit une minute, puis un pégase blanc à la crinière bleue foncée sortit la tête de la tente.

-Quoi ?

-Il serait peut-être temps qu'on avance, non ?

-Non.

Swift Wings le regarda interloquée. Soarin souffla.

-On s'arrête là. Si on va plus loin, on va sortir du Couloir. Ici, c'est l'endroit prévu pour la dernière « nuit » avant l'attaque. Dans quelques heures, les piétons vont nous rejoindre. On fait halte ici jusqu'au signal des Nopes.

-Attends... Tu veux dire qu'on va glander ici pendant des heures, à attendre un signal ? Ça va pas, non ?

-Désolé, Swift, mais c'est le plan. Si on le voulait, on pourrait attaquer dès que les piétons nous auraient rejoint. Mais ça fait deux jours qu'ils se sont pas arrêtés, et Stalker veut qu'ils soient en forme.

Soarin eut un rictus.

-En ce moment, il doit être en train de lorgner un des avant-postes avec une furieuse envie de leur sauter à la gorge. Mais il va patienter jusqu'à ce que tout le monde soit reposé, comme nous.

-Mais y'a pas de temps à perdre !

-Swift ! lui dit-il sur un ton plus dur. Autant je porte pas les Nopes dans mon cœur, autant là, maintenant, et contre toute attente, je fais confiance à Stalker. Demain est trop important pour qu'on gâche tout en se précipitant. C'est parce qu'on a voulu aller trop vite, qu'on s'est fait réduire à néant y'a huit ans. Parce qu'au lieu de faire plusieurs bases, on a rassemblé tout le monde au même endroit. Bordel, Swift, t'y étais ! Tu sais ce que c'est de faire des mauvais choix !

-A l'époque, répondit la pégase, on avait attendu ! On avait attendu que tout le monde soit là ! Et on s'est fait avoir par surprise ! Il peut se passer la même chose aujourd'hui ! On devrait rester sur notre lancée, et les pourrir avant qu'ils ne s'aperçoivent qu'on est là

-Swift. Les chefs ont dit d'attendre, on attend, point. Vaut mieux pas rater notre coup, parce qu'on aura qu'une chance.

-C'est très con.

-Et ben vas-y, toi ! Vas attaquer Canterlot ! Ou mieux, trouve et va tuer Dash ! Après tout, t'as l'air persuadée de pouvoir te taper tous les Faucons seule ! T'es trop impatiente, Wings. Alors maintenant, tu poses ton cul par terre et tu attends les ordres, comme un putain de soldat !

Swift Wings était rouge de colère. Elle se détourna, et fonça vers ses quartiers.

Encore des heures d'attentes. De longues heures...

---

-Je m'ennuie, Dash

-Je sais, moi aussi.

-On n’en a pas bientôt fini avec ces conneries ?

-On devrait avoir le feu vert de Twilight dans quelques heures.

-Raaaah !

Spitfire se détourna de son supérieur en maugréant. Ça faisait trois jours qu'ils étaient coincés dans cette ville. La capitale était peut-être la dernière ville intéressante d'Equestria a avoir un attrait touristique, mais Spitfire en avait ras-le-bol d'être coincée à l'intérieur. Elle voulait voler, librement, au-dessus des lignes ennemies. Elle voulait sentir la mort la frôler, encore et toujours, tandis que des poneys apeurés tentaient désespérément de l'aligner. Elle voulait affronter des pégases en combat singulier, et apprécier la traînée de sang qu'ils laissaient en tombant après s'être fait éventré par la tueuse experte.

Spitfire était et avait toujours été faite pour l'action. Et depuis le début de la guerre, elle avait pris son sabot de façon phénoménale. Autant les Wonderbolts, c'était quelque chose de grandiose, mais ce n'était rien comparé au fait de risquer sa vie à chaque seconde, sentir la cape et l'acier tranchant de la faux de la Mort à chaque virage, de prendre la vie de façon presque artistique. Oh, oui. Chaque bataille était une orgie, et elle était la maîtresse de cérémonie.

Elle en faisait peut-être trop, même. C'était ce qui lui avait valu d'être rapidement dépassée par Rainbow Dash. La pégase cyan était très efficace, mais elle ne savait pas apprécier ces moment où se jouaient la vie et la mort. Spitfire trouvait ça dommage. Elles auraient pu faire un duo d'enfer, toutes les deux. La flamme et l'arc-en-ciel, distribuant la peine capitale au hasard des combats. Mais le colonel avait peur de ce pouvoir. Elle craignait de perdre ce qui faisait d'elle un poney, un être sensible, moral. C'était absurde. Le monde était en guerre. La stupidité des combats, les décès abruptes, débiles et fondamentalement injustes. Il n'y avait plus de morale qui tenait, et Spitfire n'allait sûrement pas s'en embarrasser. Au contraire, elle profitait de la moindre parcelle de plaisir qu'elle pouvait tirer de ces affrontements. A un niveau presque sexuel.

Elle en était même venue à se demander si, pour parfaire le truc, ça ne valait pas le coup de se taper un ou sept étalons après combat. Mais il lui avait rapidement fallu se rendre à l'évidence. Il n'y avait qu'une seule personne qui avait de l'intérêt à ses yeux. Dash. La Mort en personne. Limite pleurnicharde après coup, mais dans le feu de l'action, elle n'avait aucune hésitation. Aucun remord. Un corps presque dénué de cicatrices. Pas un pégase n'avait réussi à lui porter un coup. Personne ne touchait Rainbow Dash.

Dans une certaine mesure, elle était la réponse parfaite à la timbrée berserk lunaire, Applejack. Sauf que Dash avait un gros avantage. Elle avait le Rainnuke. Aux yeux de Spitfire, la quintessence de l'art de donner la mort. Et une raison de plus d'en vouloir à la croupe du colonel, qu'elle aurait peut-être eu si seulement celle-ci ne passait pas son temps libre à se morfondre. Se pourrait-il qu'elle soit encore vierge ?

Personne ne touchait Rainbow Dash, en même temps.

Tout cela, pour finir bloqués, maintenus au sol à Canterlot en attendant que les cerveaux gelés de l'Empire décident d'où les Faucons seraient les plus efficacement déployés. La faute à la soudaine activité des rebelles, qui avait pris tout le monde au dépourvu, sans parler des gaz. La plupart des pégases des deux armées étaient réaffectés pour balancer les nuages toxiques sur les tranchées opposées, et du coup des chasseurs de poneys ailés tels que ceux du groupe de Dash étaient précieux, mais difficiles à déployer en raison de leur faible nombre.

Marchant toujours, elle vit en face d'elle, à l'autre bout de la rue, quelqu'un qui acheva de l'enfoncer dans son humeur maussade. Elle ne comprenait pas. Comment cet inutile était parvenu dans leur groupe d'élite ? C'était comme si Twilight acceptait une licorne sans magie parmi les gardes du corps de la Princesse, c'était inconcevable ! Et pourtant, ce crétin de Scamper avait réussi à se tailler une place au soleil. Il avait dû passer entre les jambes de quelqu'un de bien placé pour arriver là.

Il détestait qu'on lui dise qu'il allait tuer. Non mais, était-ce possible ? Qu'il n'aime pas tuer, ça, Spitfire l'aurait compris, et de toute façon, ça aurait éliminé sa candidature chez les Faucons d'office. Non, le problème, c'était que le lui dise. Il frissonnait à chaque briefing, prenait un air coupable quand on lui disait qu'il allait se servir de son arme, et pourtant, il était comme les autres sur le champ de bataille : à ressentir cette petite satisfaction du travail bien fait à chaque fois qu'un ennemi tombait à terre. Et, au contraire de Dash, il n'avait aucun remord après la bataille. Il en avait avant !

Paranoïaque en plus ! Sous prétexte qu'un de ses amis était mort en zone sécurisé ! Le genre à vivre dans une peur permanente, ne lâchant jamais son casque, pas d'alcool, ça baisse la vigilance, pas de sexe, pour les même raisons, et des perm' passées enfermé chez lui. Insupportable.

A côté de lui, se trouvait une espèce de boule de plume et de poil qui sautillait. Spitfire aimait déjà plus Surprise. L'emmener au combat, c'était lancer une allumette dans une poudrière. Soit l'allumette tombait à un endroit vide, et ça ne faisait rien. Soit ça tombait sur un tas de poudre isolé, et faisait une petite explosion limitée.

Soit, ça tombait directement sur le plus gros baril, et là, peu importait son camp, il valait mieux rester loin. Cet aspect totalement aléatoire lui plaisait.

Hors combat, c'était autre chose. Une véritable gamine, aux pensées qui allaient beaucoup plus vite que le reste de l'univers, et au comportement aussi aléatoire que sur le champ de bataille. Elle s'était même introduit dans la chambre de Spitfire pendant que celle-ci était... occupée. Et n'avait eu aucun problème à s'incruster. sans compter qu'elle était bonne amie avec l'autre merde.

Vivement qu'ils puissent s'envoler à nouveau, car si ça continuait, soit la ville brûlerait, soit le nombre de courbatures de ses habitants allait connaître une soudaine augmentation.

---

Sick Worm nettoyait ses verres, encore et encore, malgré le fait que personne n'ait bu avec depuis trois jours. Ils étaient tous partis. Certains faisaient des opérations de diversion tout le long du front, tandis que les autres étaient en marche le long du Couloir des Ombres, l'étroit corridor plongeant au cœur des lignes ennemies, où, d'après ce qu'elle avait compris, l'armée était virtuellement indétectable. Mais pour les civils et les infirmes, c'était une autre histoire. Une histoire d'attente, dans l'espoir d'une bonne nouvelle et la peur d'une mauvaise.

Sick Worm nettoyait ses verres surtout pour éviter de se concentrer sur les deux poneys qui se trouvaient assis au bar. Elle était triste pour eux, surtout pour la ponette qui pleurait, la tête dans les sabots, affalée sur le comptoir.

-J-j-je suis inutile.

-Derpy, tu n'y es pour rien, lui dit doucement son compagnon.

-J-j-j'arrive m-m-même pas à regarder une arme, bafouilla la pégase grise, des larmes ruisselant sur ses joues, en relevant la tête. T-t-tous les autres sont partis se battre pour mettre fin à tout ça, et m-m-moi j'arrive même pas à regarder une foutue arme !

Le docteur caressait la crinière de la pégase grise. Il lui releva la tête, l'obligeant à le regarder globalement dans les yeux.

-Derpy, tu as déjà trop donné à cette guerre, lui dit-il. Beaucoup trop. Ils s'en sortiront sans toi. Tu n'as pas à te sacrifier plus que nécessaire.

-D-d-dix ans... Ç-ç-ça fait dix ans, et j-j-je suis toujours inutile...

Sick Worm cassa son verre. Elle l'avait peut-être trop nettoyé... Soupirant, elle se dit qu'il était temps d'intervenir.

-Derpy, lui dit-elle, tu te souviens de la lettre de ma mère que tu m'avais apporté, quand j'étais à l'hosto ?

La pégase aux yeux convergents et la terrestre aveugle se regardèrent. L'étalon ne put n'empêcher de penser à l'étrangeté de cette situation, mais il n'était pas d'humeur à s'y attarder.

-J'y voyais que dalle, j'étais complètement déprimée, mais t'es entrée et tu m'as dit que t’avais du courrier pour moi. Même si on t'avait dit que ça servait à rien, t'as fait comme d'hab', t'es allé donner la lettre en sabot propre. Et quand t'as vu que je pouvais pas la lire, t'as ouvert l'enveloppe, et t'as lu la lettre pour moi.

Sick Worm tendit la patte vers la pégase, et d'un geste assuré qui aurait fait douté de son handicap, posa délicatement la patte sur sa crinière et lui frotta doucement la tête.

-Y'a rien qu'aurais pu me faire plus plaisir. Ça m'a remonté. T'es pas inutile, Derpy. Les gars qui se battent dehors, ils le font parce qu'ils ont des gens auxquels ils pensent et pour lesquels ils veulent un monde meilleur, loin de cette folie. Et ils ont cet espoir parce que tu le leur donne. T'étais peut-être une super sniper, mais t'as fait bien plus pour nous, et pour la république, en portant des lettres. Tu nous as empêché de sombrer dans la solitude. Toujours livrer le courrier, peu importe où. Toujours en sabot propre. Toujours rester le temps de s'assurer que la lettre n'est pas une mauvaise nouvelle, et si c'est le cas, rester pour réconforter. On savait tous pourquoi le courrier était tout le temps à la bourre, mais on t'en a jamais voulu. Parce qu'on savait que t'étais avec quelqu'un qui en avait besoin.

Elle lui frotta la joue.

-T'es pas inutile. T'es la ponette la plus importante de la république. Notre petit ange facteur.

Derpy fixa la barmaid.

-Tu exagères, Sick...

Puis elle sourit.

-...Mais merci.

La terrestre sourit elle aussi.

-Allez, je vous offre une tournée. J'ai un nouvel alcool à base de patate qui se mélange vachement bien, et j'ai envie de le tester pour le retour des gars.

---

Penchés sur la carte, tripotant sa moustache, Nicholaus réfléchissait, et pour la énième fois, il en arrivait à la même conclusion. Quelque chose n'allait pas. C'était trop. Beaucoup trop. Trop de bruit, pour peu de résultats.

Tout le long de la ligne de front, des escarmouches, des tentatives de percées, mais jamais l'énergie ou la puissance nécessaire pour véritablement enfoncer les frontières de l'Empire. Malgré tout, même si une fuite était minime il fallait la colmater avant que le bâtiment ne soit inondé. Et c'est ce que tentait de faire les impériaux en répondant, avec une certaine dose de panique, à ces pseudo-tentatives de retournement de situation des rebelles. L'utilisation des gaz par les lunaires avait fait son petit effet, et tous les yeux étaient tournés vers la ligne de partage.

Ce qui laissait la question : qu'est-ce que ça cachait ? Où fallait-il regarder, alors que le magicien utilisait du bruit et de la fumée pour détourner l'attention ?

L'état-major répondait : « ta gueule, et regarde la jolie fumée ». Treize ans depuis que Luna avait fait sécession, et il semblait que les haut gradés ne savaient toujours pas mener une vraie guerre, actuelle, et non pas comme à l'époque des trois tribus. Et surtout, personne ne semblait mettre en doute que les lunaires continueraient l'affrontement sabot-à-sabot.

Personne, sauf Nicholaus. Il connaissait les rebelles. Il savait que, même avec une armée de métier et des tactiques de guerre conventionnelle, il subsistait parmi eux des guérilleros, des assassins, des saboteurs, des vétérans de la Guerre des Souris qui savait mener une opération en plein territoire ennemi. Et qui avaient sûrement commencé à voir plus gros.

Des camps massacrés sans qu'aucune preuve ne soit retrouvée, et laissés à l'abandon. Les communications, sinon coupées, gravement perturbée sur toute une portion du territoire. Des assassinats qui provoquaient des redéploiements de L.D.S. On faisait de la place. Et on dirigeait le regard de tous sur la ligne de front. Mais là où se situait le vrai tour, la vraie supercherie, c'était le cœur de l'Empire.

Son propre cœur manqua un battement.

Il lui manquait des informations. Il lui manquait des preuves. Le nombre de gradés qui accordait un peu de crédit à ses histoires se comptaient sur les cornes d'une licorne. Fort heureusement, le nouveau bouclier de Canterlot, Crimson Brush, semblait en faire parti. Mais son instinct ne le trompait jamais.

Il prit un feutre, et, regardant les rapports étalés autour de lui du coin de l’œil, il se mit à faire des tracés. Cette base était vide. Les troupes de celle-ci étaient réduites au minimum. Cette ville n'avait plus que la milice pour la garder. Ici, les communications étaient en réparation. Là, elles étaient purement coupées, et personne ne pensait nécessaire de les remettre en état.

Il tomba sur sa croupe, hilare, levant les pattes au ciel. Un couloir. Large d'à peine quelques kilomètres, mais suffisant pour une force compacte. Et menant droit sur la capitale.

Il applaudit. Elles avaient réussi. Les « Ombres » avaient mené leur plan à bien, sans même que Nicholaus ne puisse savoir autre chose sur elles que leur existence. Des mois qu'il enquêtait, en parallèle de ses batailles, sur ce groupe anonyme qui foutait le boxon sur le territoire impérial. Et il ne réalisait que maintenant leur but. C'était magnifique.

Il prendrait tellement de plaisir à les massacrer. A écraser le cerveau derrière tout ça. A montrer à ces nuisances qu'il avait vu clair dans leur petit jeu. S'il n'était pas déjà trop tard.

Rentrer à Canterlot prendrait du temps, surtout s'il devait en demander l'autorisation. Et ne pas de en demander l'autorisation le désignerait comme déserteur, et le mènerait à l’échafaud. Sauf s'il avait raison. Alors, on lui donnerait une médaille, des excuses, et on lui pomperait le jonc jusqu'à ce qu'il puisse se voir dedans.

Un deal acceptable. Il prit sa radio, et lança un ordre sur un ton qui n'admettait aucune réplique. Puis il passa sa veste sur ses épaules, et se dirigea vers son blindé personnel.

---

Marcher, c'était chiant. Il ne se passait rien. Juste marcher.

Ils étaient en plein milieu de l'Empire Solaire, et il ne se passait rien. Tough Head était impressionné. Du moins, il l'était, jusqu'à ce que l'ennui le rattrape. Passé les premières heures de doutes et de stress, il avait arrêté de faire attention aux alentours. D'autres veillaient à ce que la petite armée qui s'était introduit en territoire ennemi ne soit pas repérée. Et même si le décor changeait de l'Equestria dévasté dont ils avaient l'habitude, il était rapidement devenu monotone.

Cependant, le poney couleur rouille devait l'avouer, il n'y avait pas cru. Quand on lui avait dit que les chiens des ombres de Luna avait réussi à leur ouvrir une fenêtre pour foncer directement à Canterlot, il avait rigolé. Puis, son capitaine les avait rassemblé, lui et sa compagnie, et leur avait dit qu'ils allaient faire parti de la force qui allait en profiter. Il avait encore rigolé. Et il avait regardé autour de lui. Personne d'autre n'avait rigolé. En fait, ils étaient carrément sérieux.

Et à une demi-journée de la capitale ennemie, Tough Head ne rigolait plus. Il jubilait. C'était comme faire parti des Opérations Spéciale, en restant le troufion qu'il avait toujours été. Comme s'il était un agent secret, au milieu d'un millier d'autres, et que tous allaient assassiner la Cinglée en Chef.

Il tourna la tête vers l'arrière, un sourire aux lèvres :

-Hé, la Taupe, viens par-là !

Four Eyes souffla. Il détestait ce surnom, qui était le lot de tous les tireurs d'élite de l'armée régulière. Quand on savait bien tirer, mais pas suffisamment pour entrer dans les Reco, voire carrément les Nopes, c'était qu'on était une taupe parmi les aigles. Et dans son cas, le fait qu'il portait des lunettes rendait sa situation encore pire que d'habitude. Et peu importait qu'il pouvait moucher une grenade à l'autre bout d'une ruelle. Avec un peu de chance, certes, mais il avait espéré un peu de reconnaissance.

Bon, Tough Head était différent. Il le taquinait parce qu'il était son ami, pas par désir explicite de le vexer. C'est pourquoi il lui épargna la réponse du silence méprisant :

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-Ça t'impressionne pas, toi ?

-De quoi ?

-Ben qu'on se trimbale comme ça, tranquille, alors que le front est deux jours derrière ?

Four Eyes réfléchit quelques secondes.

-Je suis plutôt inquiet. Ça se passe trop bien. J'arrive pas à croire qu'on puisse vraiment se balader en plein cœur du territoire impérial sans que personne ne soit au courant.

Il leva le museau en l'air.

-On a même pas vu un pégase...

Il secoua la tête

-J'ai plus l'impression qu'on nous laisse passer qu'autre chose.

-T'es vachement négatif, quand même.

-J'ai jamais vraiment aimé ce plan...

-Pourquoi t'es là, alors ?

-Parce qu'on m'en a donné l'ordre ? Et que si le plan a une chance sur cent de réussir, alors c'est une chance sur cent de mettre fin à la guerre dès demain. Je n'allais pas laisser passer ça.

Tough Head lui donna une bourrade dans la patte avant.

-Ça, c'est bien parlé. Ils vont se pisser dessus quand on toquera à la porte du château !

Four Eyes regarda le paysage autours de lui.

-Quand même... Demain, on sera aux portes de Canterlot. Et pourtant, il n'y pas le moindre signe de présence ennemie.

-Faut croire que les gars qui sont encore au front font bien leur boulot. Des courageux. Plus que nous. Il sont moitié moins nombreux, et pourtant ils doivent faire un barouf qui rendrait cinglé n'importe quel respo radio. J'espère que Luna débloquera un budget pour leur faire construire des statues, une fois qu'on aura finit de coller une claque chacun à la Folle.

-Ouais. Sûrement.

Four Eyes regarda le ciel.

-De toute façon, demain, cette foutue guerre sera finie. D'une manière ou d'une autre...

Tough Head le regarda, haussant un sourcil :

-Si j'étais pas sûr que ça empirerait ton état, je te ferais picoler jusqu'à ce que tu chantes ton amour pour la Princesse à califourchon sur mon dos.

Four Eyes eu un sourire peu convaincant, puis s'éloigna vers l'arrière. Et il perdit son sourire.

Justement. Que Luna se soit embarquée là-dedans était la plus grosse connerie de tout ce plan. Même s'il se doutait que tout l'état-major, tous les stratèges, toute la putain d'armée avait dû supplier la Princesse de rester en arrière, celle-ci était bornée, et avec beaucoup trop d'honneur pour son propre bien. Elle n'avait jamais quitté le front en treize ans de combat. Et elle avait refusé une fois encore.

Ce qui avait transformé une incursion osée en territoire ennemi en un pari quitte ou double. L'une des deux Alicornes mourrait aujourd'hui, car Four Eyes ne comptait pas sur la capitulation de qui que ce soit. Celestia était peut-être devenue cinglée, mais elle était toujours prête à mourir pour son peuple, même si celui-ci ne comptait plus que la moitié d'Equestria. Quand à Luna, le rebelle la connaissait que trop bien pour se dire qu'elle envisageait de se laisser prendre.

-Holà, ça sent l'poney qui déprime dans l'coin.

Four Eyes releva brusquement la tête, et se tourna pour voir un poney orange, un chapeau de cow-pony vissé sur la tête. Applejack lui donna une bourrade dans l'épaule, malheureusement la même que Tough Head. Il commençait à avoir mal.

-Fait pas cette tête, on dirait qu'tu vas à un enterrement.

-Désolé, fit le poney bleu.

-Tu s'rais pas en train de croire qu'on va perdre, dis-moi ?

S'ils n'étaient pas en marche, Four Eyes aurait gratté le sol.

-Hey ! R'garde moi, continua l'Héroïne. On va en faire de la confiture de pomme, de ces foutues cinglés, okay ? Ch'ais pas c'qui t'trotte dans la caboche, mais sors-le tout'suite. 'Faut avoir confiance en Luna et les autres tarés qu'on mis au point le plan.

-Mais si...

-Y'a pas de « mais » ! Demain, que l'plan marche ou non, j'botterais le cul à Celestia tel'ment profondément qu'elle va en tirer du plaisir ! On va met' fin à toute cette folie, et venger tous ceux qui sont morts à cause d'elle.

L'encouragement qui transparaissait au début de ce discours avait disparu, et Four Eyes se sentait très seul, à contempler les yeux remplis de haine franche de la Berserk Lunaire. Mais il était convaincu. Quoi qu'il arriverait, Applejack allait détruire le château de Canterlot à sabot nu s'il le fallait pour trouver l'alicorne blanche.

Quelque part, il avait un peu pitié pour elle. Luna envisageait peut-être un procès équitable dans le cas où ils arriveraient à capturer sa sœur vivante, mais si l'Element de l'Honnêteté lui tombait dessus en premier, « exécution sommaire » ne serait même pas une expression adéquate.

---

Rarity peinait. Elle n'avait pas l'habitude de marcher autant. Même à l'époque, quand elle parcourait le monde avec les filles, il y avait au moins un train pour les transporter. Mais ça faisait bien longtemps que les rails ne servaient plus qu'à transporter matériel et soldats, et elle ne voyait pas l'armée de Luna demander des tickets pour Canterlot.

Elle avait fait l'impasse sur la boue depuis un bon moment déjà. Son uniforme, une pièce faite sur mesure, par ses propres soins, avait perdu le peu de style qu'elle avait réussi à lui influer lors de sa confection. Et le casque, qui lui ruinait le cuir du crâne et réduisait sa crinière à un tas informe, elle ne voulait même pas y penser. Quand elle sortirait de là, si elle sortait de là, personne ne reconnaîtrait Lady Rarity. On lui avait même formellement interdit de retirer ce fichu casque, pour éviter les éventuels tirs de sniper. Et toute Porteuse des Eléments qu'elle était, quand un gradé lui donnait un ordre, elle devait obéir comme le dernier des pousses-cailloux.

Elle commençait légèrement, mais alors un tout petit peu, à regretter sa décision.

Applejack avait couru chez elle, excitée comme une puce. Du capharnaüm de mots fortement accentués qui était sorti de sa bouche à ce moment, Rarity n'en avait compris aucune syllabe. elle lui avait alors suggéré de prendre une courte pose, de respirer, puis de recommencer plus sereinement.

« Dans moins d'un mois, on attaque Canterlot ! »

Elle était restée bouche bée, incapable de bouger pendant une bonne minute. Les engrenages s'étaient mis à tourner dans sa tête. Elle avait alors pris une résolution, qui avait immédiatement trouvé son premier contradicteur :

-Tu ne peux pas y aller !

-Si, Spike. J'ai l'occasion de faire quelque chose, et je le ferais. Je ne suis pas resté en arrière face à Nightmare Moon, je ne suis pas restée en arrière face à Discord, il est hors de question que je reste en arrière face à... Celestia.

Et Twilight. Et probablement Rainbow, avait-elle pensé.

-Mais tu ne sais pas te battre ! avait rétorqué le reptile.

-S'il te plaît, Spike, je sais très bien me défendre. Et Applejack est déjà d'accord pour m'enseigner tout ce qu'il y a à savoir pour affronter un champ de bataille. On ne saurait rêver meilleur professeur !

-D'une, tu n'as pas la moindre idée de ce qu'est un véritable champ de bataille. De deux, Applejack est... pas comme avant. Tu le sais !

-SPIKE !

Rarity avait hurlé, sans même le vouloir. Elle avait tenté de reprendre de la contenance, mais ses yeux avaient dû trahir à quel point les souvenirs qui étaient remonter à ce moment la chamboulaient.

-J'ai vu Ponyville. J'y étais ! Et ne crois pas que je suis ignare du fonctionnement d'une bataille. Je n'ai certes jamais tenu une arme, mais si tu parles de la violence et des traumatismes qu'elles amènent avec elles, j'en suis au courant, merci.

Elle ne laissa pas au jeune dragon la chance de répliquer avant de continuer :

-Quand à Applejack, oui, elle a subit des pertes qui lui ont retourné la tête. Oui, elle n'est pas la plus... professionnelle des soldats. Mais elle reste mon amie. Elle reste fidèle à elle-même. Et je suis prête à mettre ma vie entre ses sabots. Je ne serais pas la prochaine déesse guerrière, mais je ne resterais sûrement pas plantée là sans agir !

-Alors, laisse moi au moins t'accompagner ! Je suis un dragon, par les flammes du Tartare ! Je te protégerais !

-Non Spike. Tu es trop jeune pour aller à la bataille.

Le dragonnet avait écarquillé les yeux, puis s'était dressé, dominant Rarity de toute sa hauteur.

-Je ne suis plus un enfant, Rarity ! Mes écailles sont suffisamment solide, je bouffe du diamant au petit-déjeuner et je fais fondre des pierres précieuses sans arrêt pour tes uniformes. Je ne suis peut-être pas encore adulte, mais je suis un putain de dragon !

-Spike ! Langage !

Presque par réflexe, le reptile avait baissé la tête, et s'était rapidement rendu compte à quel point ce simple mouvement rendait son argumentaire beaucoup moins convaincant.

-Sais-tu pourquoi les poneys ont inventé les fusils Spike ? Pour chasser les dragons ! Parce que Celestia était déjà suffisamment paranoïaque à l'époque pour avoir soutenu le développement d'une arme capable de percer les écailles de ceux de ta race ! Et je ne parle même pas des centaines de façon de donner la mort qui ont été créées par la suite. Et de loin. Mes uniformes sont doublés de fils de diamant, Spike, et pourtant nos soldats meurent parce que des balles les ont transpercés.

-Mais pourquoi ? Pourquoi tu devrais y aller et pas moi ? Pourquoi...

Il avait déglutit.

-Pourquoi celles qui me sont chères me laissent toujours seuls ?

Rarity s'était figée. Le laisser seul ? Même si elle avait voulu le nier, c'était ce qu'elle projetait de faire. Le laisser seul à l'arrière, sans savoir si elle allait revenir ou non. Le dragonnet avait déjà perdu Twilight, des années auparavant. Etait-elle en train de faire comme son ancienne amie ?

Elle s'était dressée sur ses pattes arrière, et avait enlacé le cou du reptile. Celui-ci lui avait rendu son étreinte, et la licorne avait senti sa fourrure devenir humide au niveau des yeux de Spike.

-Je ne te laisserais pas seul, lui avait-elle chuchoté dans l'oreille. Je reviendrais, je te le promet. Et Equestria sera à nouveau libre. On pourra recommencer, vivre comme avant.

-Non. On ne pourra pas.

Spike avait retiré ses bras, puis s'était écarté, laissant la ponette retomber sur ses quatre sabots.

-Twilight est à Canterlot. Et elle ne reviendra jamais.

Il avait posé ses mains sur sa tête, comme s'il se retenait d'exploser.

-Twilight, la Licorne Suprême. Applejack, la Berserk Lunaire. Celestia, Luna, probablement Rainbow Dash et son Rainnuke...

Il avait levé des yeux, toujours en larme.

-Tu n'es pas comme elles, Rarity. Tu n'as rien à faire là-bas. Et... Et...

-Si. Justement.

La voix de Rarity n'avait trahi aucune hésitation, aucune peur. C'est à ce moment-là que sa résolution avait pris sa forme définitive.

-Nous seront toutes présentes. Je ne sais pas comment, je ne pourrais l'expliquer, mais je le sens. Le destin d'Equestria se jouera avec tous ses acteurs sur la scène. Je dois en faire parti.

-Rarity...

-Mais je reviendrais. Dussé-je me traîner sur la dernière patte qu'il me reste à travers tout le pays, je reviendrais. Je te le promet.

Puis, pris d'une soudaine inspiration, elle avait fait une série de symbole dans les airs :

-Cross my heart, hope to fly, stick a cupcake in my eye.

Elle avait souri.

-Comme ça, même si je manque à ma parole, Pinkie elle-même sortira de son exil pour me ramener.

Elle s'était retournée, et avait vu Applejack, adossée à la porte ouverte, attendant patiemment. La cow-pony avait tiré son chapeau sur ses yeux, et était sortie. Rarity avait hésité un moment, puis s'était approchée de Spike pour l'embrasser sur le front. Ensuite, elle s'était détournée, et avait suivit la terrestre orange au-dehors, vers leur entrainement, et vers la guerre.

Elle allait revenir. Pour Spike. Elle ne le laisserait pas seul encore une fois.

---

Il aimait bien le son des chenilles. Les vibrations de cet engin de métal. Ça le berçait. Et de toute façon, il n'avait pas grand-chose d'autre à faire que dormir en ce moment. Le général était assez laxiste pour le moment, vu qu'il n'y avait pas de combat prévu avant le lendemain. Iron Gear bailla. Il ne se passait rien, et, comme beaucoup de soldats, le pégase se demandait si c'était une bonne ou une mauvaise chose. D'autant plus que, dans son cas, c'était son premier champ de bataille.

-Oh, voilà les pégases de Soarin, dit le général Clerical, au-dessus de lui.

Ça voulait dire qu'ils étaient arrivés. La dernière étape, avant l'affrontement final. Du coup, la sieste était compromise. Mais vu ce qu'il avait dormi jusque-là, ça ne serait probablement pas un problème. Il avait connu des voyages bien pires. Comme celui qui les avait mené chez les Apples, sept ans auparavant.

Il chassa les mauvais souvenirs de son crâne. Ce n'était pas le moment de s'empoisonner l'esprit avec ces vielles histoires. Ils allaient justement mettre fin à tout cela. Iron Gear décida qu'il passerait la « nuit » à vérifier tous les blindés de l'armée. Il n'était pas question qu'un seul d'entre eux ne lâche en court de route. Clerical, général et chef de tank de génie, l'avait personnellement choisi pour être le mécanicien de bord de son véhicule, et il allait lui faire honneur. Cet assaut sera la meilleure attaque de blindés que la nouvelle république ait connue.

Le rythme ralentit. Ils arrivaient. Le général lança quelques ordres, que ce soit au pilote ou à la radio, puis fit son rapport au centre de commandement. Quelques manœuvres plus tard, l'engin s'immobilisait. Le général en sortit, puis Iron Gear le suivit, suite à quoi il aida le pilote et l'artilleur à s'extraire de la machine. Enfin, ils sautèrent tous à terre. A quelques mètres se dressait le camp des pégases, les Experts. Les tanks défilaient, pour se poster à divers endroits qui avaient été vaguement prévus dans la journée, accompagnés de soldats. Au fur et à mesure que la colonne arrivait, le camp se dressait, monté par des poneys à la mine partagée entre anxiété et espoir. La fin était proche. Tout le monde le savait.

Un porteur de radio courut vers le général. Il lui glissa un message à l'oreille, à quoi le vieux poney acquiesça, puis le messager partit en trombe. Le général fit un signe à Iron Gear, qui s'approcha.

-Je suis appelé pour la dernière mise au point tactique. Je compte sur toi pour maintenir les bébés en état.

-Oui mon général.

Le vieux poney eut un sourire, puis s'éloigna. Iron Gear le regarda partir, puis se tourna vers les magnifiques véhicules.

Bon. Au boulot

---

Clerical se dirigea vers l'imposante tente de commandement. Il pénétra à l'intérieur sans s'annoncer, et fit un rapide tour des poneys présents du regard. Il n'y avait pas grand monde, en réalité. Big Macintosh, désormais capitaine, le prometteur et beaucoup plus calme frère de la légendaire Applejack, Platinum Armor, garde du corps et premier conseiller de Luna, la Princesse elle-même, devant laquelle le général se courba légèrement tandis qu'elle roulait des yeux, et une tripotée de personnes qui n'ouvriraient de toute façon pas la bouche car ils se sentiraient écrasés par les personnes déjà présentes. Il entendit un froissement de toile derrière lui, et Soarin pénétra dans la tente :

-Bon, dit le nouveau venu, on fait ça vite, j'ai des pégases qui s'impatientent.

-Incapable de retenir tes soldats, Soarin ? lui demanda Platinum Armor sans animosité.

-Disons qu'ils sont un peu sur les nerfs. C'est leur première véritable bataille. Les opés avec Stalker étaient des promenades devant ce qui les attends.

-Est-ce qu’ils sont prêts ? demanda Luna.

-J'ai dis qu'ils étaient sur les nerfs, pas qu'ils avaient les jetons. Ils sont tellement prêts que j'en ai deux ou trois qui veulent partir insulter la mère de Dash dès maintenant.

-Connaissant les pégases, s'amusa Clerical, je ne sait pas si c'est une bonne chose.

-On a des nouvelles des Fantômes ? demanda Platinum Armor.

Un des poneys dans l'ombre s'avança, mal à l'aise :

-Toujours aucune nouvelle. Et pas une trace pour les suivre.

-Reste à espérer, déclara Soarin, qu'il est pas venu à Black Jack l'idée de prévenir son ex.

-La loyauté de Black Jack et de son groupe n'est plus à prouver, Soarin, rétorqua Luna. Mais j'avoue que j'aurais préféré qu'il ne soit pas aussi... Imprévisible.

-S'il est loyal, fit Clerical, faisons lui confiance. S'il est probablement aussi tordu que Stalker, il est également aussi efficace. A sa manière. Il nous contactera quand le moment sera venu.

-Très bien, acheva Platinum Armor. Classons l'affaire. A propos de Stalker, les Night-Ops sont-ils en position ?

-Affirmatif, fit un autre poney de l'assistance. Il lanceront l'attaque dans six heures, le temps pour les troupes de prendre un peu de repos. Le signal pour l'avancée des troupes sera donné dès le nettoyage du premier avant-poste terminé.

Luna grimaça. Le mot « nettoyage » ne lui avait jamais plu, mais il fallait bien appeler un chat un chat.

-On va perdre un temps monstrueux à attendre que les Nopes aient fini leur boulot, maugréa Soarin. Est-ce que le délai que ça nous apporte vaut vraiment le coup ?

-Si nous trouvons les portes ouvertes au moment où l'armée atteint les murs, ce sera pour le mieux, répondit Luna. Malheureusement, je crains que cet espoir soit bien mince.

-Ah ?

Le pégase haussa un sourcil, et parcouru l'assistance du regard.

-J'ai l'impression d'être toujours le dernier au courant.

-Stalker vient de le confirmer, dit Platinum Armor. Les défenses de Canterlot sont en effervescence.

-Ils sont au courant ?

-Non, mais malheureusement le nouveau responsable semble prendre son job au sérieux.

-C'est bien le premier.

Soarin grinça des dents, et continua :

-Il le prend au sérieux-sérieux ? Ou il...

-Les défenses antiaériennes ont été remise en état. Du moins, le mieux possible.

-Bordel !

Le pégase piétina un instant, puis soupira en regardant en l'air.

-Qu'importe. Mes soldats verront ça comme un challenge. Mais est-ce que Dash est présente ?

-Personne ne les a vu repartir, confirma Platinum. Il est probable que les Faucons seront présent lors de la bataille.

-Tant qu'on y est.

-Dash et Sparkle en face, souffla Clerical. Miss Rarity et votre soeur Applejack de notre côté. Les deux Alicornes.

Il eut un sourire sans joie :

-Cette bataille a des accents de fin du monde.

Luna baissa les yeux, puis mis ses pattes avant sur la table ronde sur laquelle s'étalaient de nombreuses cartes de Canterlot et de ses environs. Elle releva alors la tête, et fixa du regard chacun des poneys présents :

-C'est la fin du monde tel que nous le connaissons. La fin d'une ère de guerre et de peine pour Equestria. Après ce jour, plus rien ne sera jamais comme avant.

Son regard revint sur les cartes, et du bout du sabot elle traça une route jusqu'au château de sa soeur.

-Chaque poney présent se battra avec toute la foi, la hargne et le courage dont il dispose. Ce ne sera pas un combat facile. Pour eux, comme pour nous, ce sera le jour le plus long.

---

Celestia ouvrit la porte-fenêtre, et s'avança sur le balcon. Malgré la lueur rougeâtre du ciel, c'était un jour magnifique. Tout respirait la paix. Tout était calme. Il n'y avait pas un son. Pas un oiseau chahuteur. Pas une clameur venant des rues.

Elle le sentait. Après des millénaires, après avoir protégé son pays contre tant d'ennemis, après avoir été liée aux Eléments, elle pouvait ressentir cette tension dans l'atmosphère. Les poneys eux-même le savaient inconsciemment, bien qu'ils ne le réalisaient pas.

La fin approchait. Et Celestia ne put s'empêcher un sourire.

Luna.

Sa sœur rentrait à la maison.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Note de l'auteur

Première partie du second recueil de Pony War Chronicles : La Bataille de Canterlot.
Ce recueil est divisé en Phases.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

mégabuilder
mégabuilder : #40032
dans mon top 3 des meilleurs films sur la seconde guerre mondiale
fredericdu237520 juin 2016 - #39961
il est génial ce film
Il y a 2 ans · Répondre
fredericdu2375
fredericdu2375 : #39961
mégabuilder04 juin 2016 - #39438
magnifique référence a un film que j'adore "pour eux comme pour nous ce sera le jour le plus long"
il est génial ce film
Il y a 2 ans · Répondre
mégabuilder
mégabuilder : #39438
magnifique référence a un film que j'adore "pour eux comme pour nous ce sera le jour le plus long"
Il y a 2 ans · Répondre

Nouveau message privé