Chapitre 6

Les yeux de Soarin parcourent la pièce. « C’était assez idiot. »

J’arrête d’écrire des notes et stoppe. J’en attendais plus et je me grattais le menton avec ma plume. Un point faible, j’imagine. « Idiot ? » Allez, Syn. Des questions ouvertes. Essaie encore. « Qu’est-ce qui vous fait dire que c’était idiot ? »

Il s’étire le cou et tourne la tête. « Eh, tu sais. L’un de ces rêves stupides que tu fais de temps en temps. »

« J’en ai eu. Une fois, j’ai rêvé que tout le monde fuyait un énorme monstre rose en gélatine, mais en fait, il était super amical. On a fini par jouer à Prance Prance Revolution dans nos sous-vêtements. » Soarin grogne alors que sa lèvre se relève, et il ricane discrètement quelques fois. « Hé, c’était pas aussi stupide. » Est-ce que j’en suis sûr ?

« Ouais, ça l’était. » Il secoue quelques fois sa tête. « Mais la fin était bien. »

« Pas la vôtre ? » Eh voilà.

« Ben, pas autant. » Sa voix était un peu plus gaie, comme la première fois où je suis entré. « J’étais quelque part dans une grande ville et il y avait tous ces poneys autour de moi, mais je ne pouvais pas voir leurs visages- », il parle trop vite, « - et puis à chaque fois que je clignais des yeux, BAM ! Un autre manquait jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un et qu’il commence à me faire des câlins. C’était bien, mais d’un coup je le frappais. » Il frappe le vide en face de lui. Son attache à la patte couine. « Puis je peux presque voir le visage et je vois qu’il a un œil noir eeeeet… » Il baisse les yeux et secoue ses sabots en l’air, comme s’il avait une énorme boule à neige. « Je peux pas dire si l’autre poney est censé être Braeburn ou moi. »

« Wouah. Ça craint. »

Soarin se remet sur le canapé en inspirant profondément. « Tu parles. »

************************************************************************************

Je me suis réveillé d’un coup en aspirant de l’air. C’était comme si j’étais dans une vrille, complètement désorienté, et j’ai dû tout examiner dans ma chambre pour me calmer. J’ai bondi un peu et j’ai senti la douceur de mon lit de nuages king-size en-dessous. ‘Bien, bien, je tombe pas.’ Dans la faible lumière du matin, je pouvais voir que la porte bleue de ma chambre était là où elle était censée être, et ma penderie en face avec quelques affaires au-dessus : des trophées, du gel pour cheveux dont je n’ai pas besoin, quelques figurines des Wonderbolts, ma caméra, et des bibelots poussiéreux que je m’étais promis de nettoyer un jour. Il y avait aussi un cadre photo dessus, mais je l’avais retourné pour ne pas le voir. Je détestais cette photo, mais je ne pouvais pas la jeter.

Y penser me retournait l’estomac, mais je continuais à me dire que j’étais en sécurité. Mes deux tables de chevet bleues se trouvaient de chaque côté du sol. Je gardais plein d’alcool de bonne qualité à gauche- on sait jamais quand tu peux en avoir besoin- et je jetais un œil dans celle à droite. Tous mes jouets et ‘trophées’ étaient là, et je me suis repris au dernier moment en manquant de tomber du lit.

Les portes de mes armoires sont faites de miroirs. C’est super pendant le sexe, ouais, mais c’est pas pour ça que je les aime. Je garde ma chambre assez vide- pas de posters, pas de photos aux murs, juste une fenêtre sur le mur opposé, et tout est blanc ou d’un léger bleu. Quand tu es assis sur le lit et que tu regardes le miroir, tu te sens libre. Tu te sens comme si tu flottais au-dessus de tous tes problèmes, et il n’y a rien qui peut te faire retomber. Regarder dans le grand espace vide m’aide à me mettre à l’aise le matin.

Finalement, j’ai regardé l’horloge à côté de moi et j’ai vu que j’avais dormi durant tout le dimanche après-midi et toute la nuit. Entre ma gueule de bois et la merde que c’était dans mon planning de sommeil durant ces jours-là, je n’étais pas vraiment surpris. La plupart des poneys détestent les lundis, mais bon, la plupart des poneys n’ont pas une semaine pleine de cascades qu’ils ont hâte de faire.

J'ai roulé hors du lit et je me suis motivé en marchant vers une des armoires. « Tu l’as fait, Soar. Tu peux revenir dans ta vieille peau, réveiller l’équipe, et oublier Braeburn d’ici le déjeuner. Nouvelle semaine, nouveau départ. À partir de maintenant, les vents vont tout droit, et tout ce que tu as à faire, c’est sourire et être sexy. » Je léchais mes lèvres en souriant de façon un peu hésitante. « Tu peux le faire, pas vrai, p’tit ? »

Je fais glisser la porte de l’armoire, et je vois mon uniforme : une chemise bleu nuit avec des boutons dorés, des badges de mérite, et ces épaulettes qui te font un look de dur à cuire. Il était parfaitement repassé, tout comme les trois autres uniformes qui pendaient à côté. Tu peux dire ce que tu veux sur moi, mais je sais comment repasser une chemise et la rendre impeccable. Je l’ai pris avec moi dans la salle de bains, pris une douche rapide, et je me suis glissé dedans. J’étais BIEN.

Je me sentais bien aussi. L’odeur putride de la cuite d’une journée que j’avais laissée dans la cuisine a tué mon appétit, mais ça m’a fait juste sortir plus vite de chez moi dans le soleil du matin, où j’ai jeté le sac dans la poubelle.

« Bonjour, Soarin ! » Ma voisine Dazzling Sundrop agitait le sabot en prenant son journal.

« Boooooonjour, ma chère ! Vous êtes ravissante aujourd’hui. » Elle l’était. Sa crinière jaune brillait dans le Soleil, et son pelage semblait vraiment bien brossé, comme toujours. Parfois, je pense qu’elle met du maquillage juste pour aller chercher son courrier.

« Oh, arrêtez donc », me disait-elle. Avant de rentrer chez elle, elle m’a lancé, « Passez une bonne journée ! »

« Je le ferai. » Je disais surtout ça à moi, et ça me semblait naturel. C’était bien.

Mon vol vers l’académie était simple comme bonjour. Les vents étaient en ma faveur, le ciel était assez clair, et le monde entier avait une légèreté. J’ai pris le temps pour en profiter. J’ai même fait quelques loopings et tonneaux rapides à chaque fois que je passais un autre pégase. J’ai eu quelques applaudissements et j’ai ensoleillé la journée de quelques fans. Tout le monde a gagné.

Mais en atterrissant sur les terrains de l’académie et en marchant vers la Green Room pour la première réunion, quelque chose bourdonnait en l’air, quelque chose de rebutant. La brise prenait ma crinière dans une direction bizarre, les nuages sous mes sabots étaient plus craquants que d’habitude, et tous les ‘Bolts que je croisais souriaient d’une façon trop amicale pour être honnête.

Je suis tombé (littéralement) sur Fire Streak juste en dehors du bâtiment, et il trottait vers moi, tout sourire. « Hé capitaine ! » Il me frappait sur l’épaule. « Je savais pas que t’étais branché vieux mecs. Comment ça s’est passé ? »

« Eh, pas terrible. » Je jetais un œil vers les portes de la Green Room. « Je le recommanderais pas. » Je fermais à moitié mes yeux et prenais ce petit sourire narquois. « Même si j’imagine que t’es assez désespéré. »

« Ha ! Va te faire voir, mec. J’ai touché le gros lot avec cette chaude licorne. Je l’ai fait gémir toute la nuit. » Il me souriait en retour.

« Ah, alors elle a bien vu dans ta tête. » On a ri un peu, et je l’ai suivi. « Merci d’avoir pris soin de Cloudhoof après le show. »

« Ouais, il a eu une nuit difficile. Il a failli me faire perdre cette fille, mais j’ai pas mis longtemps avant de lui faire poser le cul à cet hôtel. Les nouveaux. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? » J’aime Fire Streak. On a toujours été sur la même longueur d’onde.

Spitfire est passée derrière moi, portant un habit qui allait avec le mien, mais avec quelques décorations en plus. « Dépêche-toi Soarin. Le tableau de service ne va pas se remplir tout seul. » Elle était maussade et directe. Ça m’a mis à l’aise.

J’acquiesçais et tournais la tête vers Fire Streak. « Je dois y aller, numéro deux. » Je lui donnais un bro-hoof. « Travaille ta stabilité aujourd’hui. »

Il m’a salué rapidement. « Sûr, numéro un. Amuse-toi bien à faire des réunions et à remplir des tableaux toute la journée. » Il a cligné d’une façon qui m’a donné la chair de poule. « Et donne-moi la tête un de ces jours. Je suis prêt à chaque fois que tu as besoin d’une pause. »

Ma poitrine se resserrait, et mes dents grinçaient juste un peu. « Ouais, c’est ça. » Il s’est envolé pour l’entraînement, me laissant à la porte. J’ai pris une grande inspiration et me suis dit, « C’est bon, il a juste faim. » Mais pourquoi était-ce toujours à propos de la compétition ? À chaque putain de conversation ! Je veux dire, j’aimerais lui donner une chance, mais à chaque fois qu’il fait un de ses petits commentaires, ça me donne envie de le clouer sur le tableau de service.

Je suis entré dans la Green Room et j’ai vu que Spitfire m’attendait. Elle a tourné la tête vers une porte. Je ralentis toujours quand j’approche de l’entrée sombre et métallique avec les mots ‘Bottom Line - Manager’ écrit dessus. Je ne le fais pas exprès. Ça arrive, c’est tout. « Hé Spitz. Le nouveau show est en place ? »

Elle a hoché la tête quand je suis arrivé vers elle, et nous sommes entrés à l’intérieur, les dames d’abord. Le bureau de Bottom Line était froid et sombre. Le Soleil n’allait pas briller dans sa pièce avant l’après-midi, et je frissonnais en entrant dans le bureau. Ce n’était pas à cause de la température. Peut-être était-ce à cause de la symétrie bizarre de la pièce, les deux armoires pleines en bronze de chaque côté de son bureau en bois noir. Le pelage gris de Bottom Line se fondait dans les murs, et il passait un sabot dans sa crinière blanche et coiffée de près en écrivant furieusement quelque chose sur un morceau de papier.

Spitfire a parlé la première, clairement. « Bonjour, monsieur. »

Les yeux de Bottom Line ne quittaient pas son travail. Il s’est juste déplacé un peu dans sa chemise kaki et raide. « Bonjour », aboya-t-il. « Asseyez-vous. »

On a suivi ses instructions, on s’est assis sur les tabourets froids et métalliques. Ils n’étaient pas très confortables, et je suis sûr que c’est ce qu’il voulait. Ça lui donnait un avantage, et ça me laissait penser qu’il allait me sauter dessus. Pour rester calme, je m’en tenais à ma stratégie habituelle : faire comme s’il portait un sombrero rose avec des petites boules qui en pendaient.

Reposant son stylo, Bottom Line a croisé les sabots et a levé ses yeux noirs et las vers nous. « Allons droit au but », il le fait toujours. « Je suis occupé. » Il était toujours occupé. « J’ai observé. Nous devons faire quelques changements de structure. Secouer les choses. Éliminer le superflu. »

Je parlais, en essayant de ne pas ricaner. « Bon, okay. On a besoin de faire un tableau pour le show de vendredi, alors pourquoi on- »

« Le tableau est fait », m’a-t-il interrompu, frappant du sabot sur le bureau avec plus de force que nécessaire. Il a fait glisser une feuille vers nous, la retournant pour qu’on puisse la lire en deux mouvements rapides. Il y avait deux colonnes- une pour l’escouade des juments, une pour les étalons.

Je regardais ma colonne, qui était la même que celle des derniers shows avec un seul petit changement : Fire Streak n’était pas dessus. ‘Pauvre gars. Il doit vraiment contrôler sa stabilité. Au moins, Windskipper a une chance d’entrer dans la cour des grands. »

Il y a eu un bruit sourd. J’étais surpris. Le sabot de Spitfire avait frappé le bureau, et ma tête s’est tournée pour la regarder. Son visage grimaçait et ses yeux s’ouvraient en grand. « Attends… quoi ?! » Ses yeux parcouraient toute la feuille.

Je baissais les yeux de son côté de la feuille. Rien n’avait changé depuis le show de samedi, alors je lui ai parlé avec une voix calme. « Spitty, c’est bon. Fire Streak s’en sortira. »

Spitfire a tourné sa tête vers moi, les yeux froncés et les lèvres légèrement ouvertes. Elle avait ce regard éberlué sur son visage, comme si j’étais celui qui portait le sombrero. Ma gorge s’est refermée, et j’ai pensé qu’elle allait me hurler dessus. Mais elle n’a pas hurlé. Elle a juste dit, à peine plus fort que dans un murmure, « Soarin… première ligne. »

Je l’ai regardé pendant une seconde. Je ne l’avais pas vu comme ça depuis longtemps. Ça n’avait aucun sens jusqu’à ce que je regarde de plus près les noms soulignés en haut de la feuille.

Escouade juments                                                    Escouade Étalons
         Leader - Spitfire                                                     Leader - Fire Streak

Mon cœur s’est arrêté. Mes muscles se sont tendus. Mes oreilles bourdonnaient. Je ne pouvais plus bouger.

Je continuais à regarder la feuille, la bouche pendante, essayant de voir où était mon nom. J’ai eu genre… un trou noir, presque. Spitfire s’est levée et a élevé la voix, mais je ne pouvais pas l’entendre. Je crois qu’elle a essayé de me parler à un moment.

La feuille avait une petite larme au coin. Ma respiration s’est faite plus lourde quand j’ai vu qu’elle était aussi un peu déchirée sur le côté, où Bottom Line avait effacé certaines de ses notes. Je détestais cette feuille. Pendant un instant, c’était la seule chose qui existait dans l’univers. Je continuais de penser, ‘Il n’a même pas utilisé une feuille vierge. Pourquoi il n’a pas utilisé une feuille vierge ?’ Je continuais à la fixer, mais mon nom n’apparaissait pas. ‘Il n’a même pas utilisé une feuille vierge.’

« Soarin ! » Spitfire me frappait l’épaule. « Dis quelque chose ! »

Bottom Line l’a fait avant que je puisse le faire. Il a parlé d’une façon rigide. « Penses-y comme une opportunité. Prends du temps. Remets ta tête en place. »

J’ai essayé de contre-attaquer, mais je ne pouvais pas enlever ma tête du tableau. « Je… » Il y avait quelques marques de bave. « Je vais bien. »

« C’est faux. Ne crois pas que je n’ai pas entendu parler de ton incident avec Fleetfoot. » Il s’est éclairci la gorge. « Ou de ton petit discours de motivation. »

Bottom Lime remettait en cause mon leadership. Ma tête s’est relevée, et mes yeux se sont verrouillés dans les siens. Il était là, immobile, avec le regard froncé, comme une statue de pierre. Il ne comprenait pas. Il ne me comprenait pas. Soudain, tout dans mon corps était comme en feu, et mes yeux essayaient de le tuer. « Monsieur ! » Je me levais, en renversant le tabouret, et frappais du sabot sur le bureau. « C’est MON BOULOT de motiver l’équipe et de critiquer leurs performances ! » Je crachais les mots à travers mes dents serrées. Qui était-il pour me dire comment faire mon boulot ? « Je suis le meilleur acrobate de mon escouade, et mon équipe est toujours sans défaite ! » Je bombais le torse. « Qu’est-ce que vous croyez qu’il se passera sans moi dans le coin, hein ?!? »

« Tout le monde pourra enfin se détendre. »

Je me gelais à nouveau. Ma tête bourdonnait, mais mon agression s’était évaporée. « Qu’est… qu’est-ce que vous voulez dire ? » J'ai regardé Spitfire, et ma lèvre tremblait quand elle ne parvenait pas à me regarder dans les yeux.

Bottom Line n’a pas bougé d’un centimètre. « Certains choses ont été portées à mon attention. Ce n’est pas des incidents isolés venus de quelques plaignants. Là tout de suite, l’équipe serait meilleure sans toi. »

Trou noir à nouveau, insensible à tout ce qui se passait. Pendant une seconde, je ne pouvais même plus bouger. Mon expression est devenue vide, et mes joues étaient chaudes et humides. Ma voix était faible. « Je… je suis désolé. S’il vous plaît, pardonnez-moi. » Ce n’était pas comme ma voix habituelle. C’était comme si quelqu’un d’autre utilisait ma bouche pour parler.

J’ai reculé du bureau, et mes ailes se sont fermement repliées. Spitfire m’a dit quelque chose, mais je ne l’ai pas enregistré. Rien ne s’est vraiment enregistré, et je me suis retrouvé hors du bureau, marchant lentement alors que Spitfire criait depuis l’intérieur. Quelque chose du genre, « … dit qu’il avait encore une semaine ! »

Le vent mordait mes oreilles quand je suis sorti dehors. Je tapotais ma poitrine, essayant de chercher le trou dont je connaissais l’existence, et je continuais à baisser les yeux.

J’ai marché. Je n’ai même pas étiré mes ailes. Les nuages blancs craquaient sous mes sabots alors que je sortais des terrains d’entraînement. Ça sonnait comme si l’escouade des étalons en avait presque fini avec les étirements du matin. Je pense que l’un d’eux m’a appelé, mais mon cou refusait de bouger. Ma bouche restait fermée tandis que je trottais. Je ne sais même pas si je clignais des yeux.

« Bonjour, Capitaine ! Vous êtes malade ? » Est-ce que c’était l’un des gardes ? Je n’ai pas répondu.

Mes jambes continuaient à se lever et à s’abaisser. Je n’ai pensé à rien. J’inspirais pour deux pas, puis j’expirais pour deux pas, encore et encore. Inspirer et expirer. Sans jamais briser le rythme. Marche, marche, inspire. Marche, marche, expire. Ma queue pendait mollement derrière moi.

« Hé, c’est pas Soarin ? »

« Nan, il doit être à l’entraînement. » Le trou dans ma poitrine devenait plus grand. Mon cœur me chatouillait, mais il était comme rouillé, comme s’il allait éclater en morceaux à chaque seconde.

« T’es sûr ? Il a son uniforme. » C’était deux juments ou étalons ? Jeunes ou vieux ?

« Euh. Il a l’air malade. Peut-être qu’il ne va pas bien. » Le trou s’agrandissait. Je continuais à baisser les yeux.

Mes ailes étaient lourdes. Je crois que j’ai essayé de les battre, mais je n’en avais pas envie. Je ne ressentais plus rien. Toujours en transe, et je continuais de marcher, comme si j’étais une machine qui savait seulement comment rentrer à la maison.

J’ai cligné et j’ai levé les yeux après qui sait combien de temps, et j’ai vu ma porte d’entrée à quelques centimètres de ma maison. La première pensée lucide que j’ai eu, c’était ‘ça n’est pas comme la maison’. J’ai ouvert la porte, et mon ombre m’a accueilli à l’intérieur. Elle m’observait, et j’ai eu peur. J’étais soudain exposé, alors j’ai foncé et j’ai refermé la porte derrière moi.

Mais je ne me sentais pas en sécurité. Rien chez moi ne me semblait familier. Rien à part l’odeur traînante de vieux hayburger. J’ai pensé, ‘Est-ce que je suis dans la bonne maison ?’

J’ai avancé vers le salon, et j’ai trouvé la seule chose qui n’avait pas bougé : ma photo préférée. Je trottais vers la petite table pour la prendre. Je cherchais… quelque chose. Le bonheur ? Quelque chose pour me dire que je faisais du bon boulot ? J’ai étudié la photo : mon père et moi le jour où j’ai été diplômé de l’académie et où je suis devenu un vrai Wonderbolt. Il avait son sabot autour de moi, chacune de ses dents se montrait dans son sourire idiot. Sa poitrine était toute bombée. La mienne aussi. Avec ma nouvelle veste, je n’avais plus l’air d’un poulain. Pour la première fois, j’avais l’air d’un vrai étalon.

Je n’ai jamais été très fier de ce que j’ai accompli. Ouais, je suis l’un des meilleurs, mais ça a toujours été naturel de gagner. Je n’y ai jamais vraiment pensé, j’imagine. Pourtant, ce jour-là. Wow. J’avais passé tous les tests qu’on m’avait fait faire et j’en suis sorti par le haut. Je me tenais sur la scène avec les quatre autres diplômés. On a gardé notre excitation à l’intérieur en regardant la mer de poneys. Mon cœur n’arrêtait pas de battre, et mes ailes mourraient d’envie de se détendre. Mais on a fait bonne figure, comme on avait été entraînés à le faire.

Il était temps. La vieille commandante Skystorm a pris le micro. J’aurais aimé me souvenir de ce qu’elle a dit. Papa m’en a parlé plus tard, mais j’étais trop concentré pour garder mon esprit sain pour le remarquer. La voix de Skystorm tonnait, et je sentais les applaudissements me frapper dans la poitrine avant qu’elle puisse même finir de dire mon nom. « Soarin Windsong ! Premier rang ! »

J’ai hésité. Merde ! J’étais supposé pivoter sur mon sabot gauche ou droit ?! J’ai commencé à crier dans ma tête, « Oh putain oh putain oh putain oh putain. » J’y suis allé avec le droit. « PUTAIN PUTAIN PUTAIN PUTAIN PUTAIN PUTAIN !!! » Naturellement, je l’ai joué à la cool, et je me suis parlé pendant les pas que j’avais passé des heures à retenir, jusqu’à l’agonie.

Sabot droit, sabot gauche, un-deux-trois-quatre.

Quatre pas. Hoche la tête. Sabots ensemble.

Le dos droit. Les yeux levés. Sabot droit levé.

Salut. Pause, pause. À l’aise, soldat.

Je n’ai rien raté. Elle m’a présenté ma nouvelle veste, que j’ai mise avec la même précision. Un autre salut, et j’ai marché vers ma position du côté opposé de la scène.

Sabot droit, sabot gauche, un-deux-trois-quatre.

Quelqu’un a toqué à ma porte, et je suis revenu à la réalité pour me trouver en train de tenir fort, très très fort la photo. Je la triturais un peu avant de la reposer à plat sur la table. Toute la fierté et la joie avaient quitté mon corps, et je me suis effondré. Le trou dans ma poitrine est revenu, et tout était lourd.

Le poney à la porte toquait plus fort. Une pointe de colère m’a traversé, mais tout ce que j’ai pu dire a été un faible, « Quoi ? » qui était trop faible pour que cette personne l’entende. Je secouais ma tête et trottais vers la porte.

J’ai ouvert. Spitfire se tenait là, rigide et le visage sans expression. Ses yeux étaient cachés derrière ses grandes lunettes de soleil, et j’ai dû un peu plisser les yeux à cause du Soleil derrière elle. Elle a inspiré quelques fois avant de parler. « Ça va ? »

« Ouais, ça va. » Mon reflet me regardait dans ses verres.

« Non, tu ne vas pas bien. »

Je grognais. « Alors pourquoi tu le demandes ? » C’était plus méchant que je ne le voulais.

Spitfire adaptait son ton au mien. « Parce que je ne suis pas très bonne pour ça ! » Elle a levé le sabot pour enlever ses lunettes, mais les a laissés et a reposé son sabot. « J’ai parlé à Bottom Line. Les autres étaient tendus avec toi ces derniers temps. Je sais que tu l’as remarqué. »

Je hochais la tête.

« Tu n’es pas viré de l’équipe, Soarin. Tu n’as même pas perdu ton statut de co-capitaine. » Ses mots étaient forts, et j’ai deviné qu’elle s’était entraînée à ce petit discours sur le chemin. « C’est juste un break. »

« C’est toujours juste un break. » Elle a tiqué devant l’acide que je crachais, mais ma culpabilité a pris le pas sur ma colère. « Désolé, je… » Je n’ai pas fini. C’était bizarre d’être là, de parler des deux côtés de la porte. Je voulais la laisser entrer, mais elle n’allait pas me dire ce que je voulais entendre. « Bottom Line fait toujours ça. » Ma voix s’élevait pendant que je parlais. « Ouais, je manque juste un show maintenant, mais je serai parti à la fin de la saison. »

« Soarin, si tu finis comme Rapid Gust ou Storm Cyclone- », elle a enlevé ses lunettes et les pointe sur ma poitrine. Son regard me perçait. « -alors ce sera de ta faute. » Elle a remis ses lunettes dans sa poche. « Ils n’ont pas pu supporter la dynamique, alors ils ont dégagé. On dirait que tu as besoin de savoir si tu as ce qu’il faut pour tenir. »

Je serrais les dents. « Spitty, je suis le meilleur étalon de l’escouade ! Toi et moi, on sait que j’ai ce qu’il faut ! »

Elle frappait du sabot. « Windsong ! Pourquoi tu ne peux pas te sortir de la tête que tout ne tourne pas autour de TOI ! » Elle a fait un pas vers la porte, et j’ai reculé. « Oui, tu peux voler. Génial ! Mais quand tu rabaisses le niveau de tout le monde, on doit se demander si tu vaux vraiment le coup. »

« On ? ON ?! » Je me levais devant elle, et elle a reculé d’un pas. « Si tu savais que j’allais dégager, alors pourquoi tu n’as rien dit ? »

Sa tête était baissée, et ses sabots étaient écartés. Elle avait le regard noir, et je croyais qu’elle allait me frapper. « J’ai dit quelque chose ! Et tu as réagi en séchant l’entraînement ce jour-là, en engueulant un coéquipier, et en mettant la honte aux Wonderbolts à une réception publique ! »

Ça m’a fait taire pendant une seconde, mais j’étais déjà trop loin pour retenir ma langue. Je connaissais la vérité, mais mon cerveau cherchait des moyens pour me décharger de mes responsabilités. « Ben, tu aurais au moins pu me dire que j’allais être viré avant la réunion, mais j’imagine que ça importe pas vraiment, n’est-ce pas ? »

Son regard noir a fondu, et ses yeux se sont adoucis. Elle était droite. Ses sourcils étaient froncés, et elle a secoué lentement sa tête, quelques fois. Un vent frais passait à travers la porte.

Spitfire est une dure. Elle est un super leader, et elle ne montre presque jamais de la douleur. Mais de temps en temps, quelqu’un va dire ou faire quelque chose, et tu verras les fêlures dans son armure. Tu peux voir la petite pouliche qui veut juste s’amuser et voler vite, et tu sens tes genoux trembler et ton estomac se retourner quand tu comprends que tu as réussi à lui faire du mal. Le moment ne dure pas longtemps, mais ça suffit. Elle a soudain parlé très doucement. « Tu penses vraiment pas que je suis ton amie, c’est ça ? »

Ma nuque était chaude. J’étais étourdi, alors je me suis assis. Quand je l’ai regardée, je me suis rappelé de ce poulain que j’ai fracassé à l’Airball, et bien sûr, le visage de Braeburn m’a aussi traversé l’esprit. J’ai levé le sabot et gratté mon visage comme excuse pour ne pas la regarder pendant une seconde. « Spitz, je… je ne voulais pas dire ça. »

Un moment est passé. Quand j’ai relevé les yeux, Spitfire avait repris une pose de professionnelle et remis ses lunettes de soleil. Sa voix était calme et plate. « Je suis venue ici pour essayer de t’aider, Soarin, mais on dirait que tu peux pas tirer assez longtemps ta tête de ton cul pour voir combien tes actions affectent les poneys qui tiennent à toi. » J’inspirais d’un coup et m’étouffais. « Je dois m’inquiéter d’une équipe. Ne reviens pas avant que tu sois prêt à en être un élément. » Spitfire s’est retournée et a décollé sans même me jeter un regard.

La porte s’est refermée avec un petit claquement avant même que je comprenne que je l’avais touchée. Retour en pilotage automatique. Mes pas étaient lourds, et je me suis avancé dans mon salon. La pièce était calme. Froide. Silencieuse.

Ça me faisait chier. Tout était encore plus étrange qu’il y a quelques minutes. J’ai commencé à hyper-ventiler, et tout était rouge. Mes muscles se sont tendus. Mon dos se voûtait. J’ai baissé la tête, comme si j’allais charger. J’ai commencé à trembler, et puis d’un coup, tout est sorti.

« AARGH ! » J’ai rué sur une chaise, cassant l’accoudoir. « PUTAIN ! » J’ai couru vers la lampe et je l’ai jeté contre les murs. L’ampoule a éclaté, et des éclats de verre et d’argile sont tombés au sol. « PUTAIN PUTAIN PUTAIN ! » J’ai frappé le canapé. J’ai pris les trucs d’art au mur et j’ai percé un trou dans la toile. Tout ce sur quoi je pouvais poser les sabots, je le détruisais. Une table, une porte, une planche d’une étagère. J’ai même jeté par terre la photo de moi et de mon père.

Et je me suis arrêté. La photo tremblait dans mes sabots quand je l’ai prise, haletant, et j’ai entendu la voix de mon père dans ma tête. Elle était grave et calme, et il avait l’air blessé. « Qu’est-ce que tu fais, fiston ? Tu penses vraiment que casser cet endroit va résoudre quoi que ce soit ? » Il aurait été déçu. « C’est comme ça que je t’ai appris à vivre ? »

J’ai glissé au sol. La fierté dans le sourire de mon père m’a fait mal et m’a frappé en plein dans la poitrine. Ma tête me faisait mal. Mes yeux brûlaient, et je m’entendais pleurer. Je ne sais pas combien de temps j’ai pleuré. J’ai reniflé. « P… Pardon, papa. »

Sa voix se faisait plus sévère. « Ne t’excuse pas. Tu dois arranger ça. » J’ai regardé tout autour de la pièce cassée, les échardes de bois et les morceaux de verres. « Et rends-moi fier. »

Je pouvais jurer avoir senti son sabot sur mon épaule. « Je le ferai, papa. »

« C’est mon grand Stormcloud. » Ma poitrine s’est gonflée en entendant le surnom qu’il me donnait. Ça a toujours fait ça. Ça le fait encore. « Je t’aime, mon fils. »

Mes yeux étaient lourds. Je me suis recroquevillé au sol avec la photo serrée contre ma poitrine. « Je t’aime aussi, Papa. »

Il me manque tous les jours.