Depuis ce matin-là, Cup Cake et moi fûmes pratiquement inséparables. Chaque jour était telle une page d’un roman de Neighcholas Sparks[1]. Nous faisions tout ensemble. Nous travaillions ensemble, nous mangions ensemble, nous dormions ensemble, et nous partagions même le même morceau de fil dentaire à la menthe. (D’accord, le dernier est peut-être un mensonge.)
Et pourtant… parfois, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose entre nous. Une seule et unique chose qui m’empêchait d’être totalement satisfait. Un doute discret, sournois, dans un coin de ma tête. Je suppose que vous pourriez appeler ça… une démangeaison. Comme une démangeaison dans le milieu de votre dos que vous ne pouvez pas atteindre, peu importe quel membre vous utilisez. Non, pire que ça. C’était une de ces démangeaisons que vous pouvez facilement atteindre, et puis vous réalisez que vous avez l’impression qu’elle vient de l’intérieur de votre corps, et vous souhaitez juste pouvoir glisser votre sabot sous votre peau et gratter cette démangeaison comme jamais.
Bon, cette métaphore est vraiment devenue vite sale. Mais vous voyez ce que je veux dire.
Pendant des semaines, je me battis pour trouver d’où venait cette démangeaison. Puis, venu de nulle part, cela me frappa.
Cela arriva un soir à la pâtisserie après la fermeture. Nous étions à l’étage dans ma chambre, en plein combat de chatouilles, comme nous le faisions souvent les jours de semaine après le travail. Je l’avais clouée sur le lit d’un sabot et chatouillais sans relâche ses côtes de l’autre.
« Prête à abandonner ? la narguai-je.
— J… jamais ! » prononça-t-elle entre deux éclats de rire hystériques.
Alors que je pensais la tenir pour de bon, elle réussit à s’échapper de ma prise, m’enfonça dans le matelas tête la première et me fit une clef de jambe. Elle commença tout de suite à me chatouiller vigoureusement le dessous des sabots. J’essayai frénétiquement de me libérer de son étreinte, mais elle continuait de me tenir le genou d’une prise vicieuse. C’était sans espoir.
« D’accord, d’accord ! m’écriai-je, incapable de supporter ses chatouilles une seconde de plus. J-je me rends ! Pitié ! Arrê-ê-ê-ê-te ! »
Cup Cake sourit d’un air satisfait et relâcha mon genou. Je roulai sur le matelas dans un fou rire, encore affecté par la torture qu’elle m’avait infligée. Dès que je pus reprendre mon souffle, je m’effondrai lamentablement, prêt à m’évanouir de pur épuisement.
« Tu… tu as encore gagné, soupirai-je.
— C’était bien essayé de ta part », se moqua à demi Cup Cake. Elle m’attrapa par les épaules, m’attira près d’elle et commença à me câliner.
« Tu es si drôle, Carrot Cake, dit-elle, plongeant son visage dans ma poitrine. Tu es comme l’étalon parfait. »
Et voilà. C’était la source de la démangeaison.
« Qu’est-ce qui est si parfait en moi ? » demandai-je, en levant un sourcil.
Le sourire satisfait de Cup Cake se changea rapidement en un froncement de sourcils inquiet alors qu’elle relevait la tête de ma poitrine et me regardait dans les yeux. « Qu’est-ce que tu veux dire ? interrogea-t-elle.
— Eh bien, expliquai-je, je pense que tu es une jument merveilleuse, et je ne pourrais pas être plus heureux que nous le soyons ensemble, ne t’inquiète pas à ce sujet. Mais, parfois, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que tu me trouves. »
C’était la question sournoise dans le coin de ma tête. Je savais pourquoi j’étais avec elle, mais je voulais savoir pourquoi elle était avec moi.
Elle soupira. « C’est un peu compliqué, Carrot, mais je vais faire de mon mieux pour t’expliquer.
« En fait, je vais être honnête avec toi : la première fois que je t’ai rencontré, j’ai pensé que tu étais un pauvre type. Un pauvre type adorable, mais quand même un pauvre type. Je me rappelle encore le temps que tu as passé à te recroqueviller, honteux, derrière le comptoir parce que je t’avais vu sans ton tablier. » Elle gloussa. « Tu réalises que la plupart des poneys ne portent habituellement pas de vêtements, non ?
— E-eh bien, bégayai-je, e-en fait… tu vois, je… c’est pas vraiment… continue.
— Mais le reste de cette soirée, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire qu’il y avait bien plus en toi que ce que j’avais vu. Je sentais qu’il y avait une autre facette de toi qui ne demandait qu’à se montrer.
— Comment pouvais-tu sentir ça ?
— Eh, tu sais, intuition féminine et tout ça, dit-elle, dédaigneuse. Bref, le fait est que je voulais te réveiller. Tu étais comme une petite tortue timide cachant sa tête dans sa carapace, et je pensais que je pouvais essayer de t’attirer pour que tu en sortes.
— Et que s’est-il passé ?
— Ce qu’il s’est passé c’est que tu l’as fait ! Tu as pris tes responsabilités et as complètement transformé ta vie en moins d’un an. »
Je secouai la tête. « Cup Cake, tu as transformé ma vie.
— Ne sois pas idiot, fit-elle. C’est toi qui as pris l’initiative et décidé de sortir de ta carapace. Tout ce que j’avais à faire c’était te donner un peu de motivation.
— Alors c’est pour ça que tu étais constamment…
— … en train de jouer avec toi, oui. Je savais qu’il y avait une toute petite part de toi qui voulait prendre le contrôle, qui voulait être l’étalon dynamique et ouvert que tu as toujours rêvé d’être. Donc j’ai continué de la taquiner jusqu’à ce qu’elle sorte de toi avec force ! »
Je ris. « C’est arrivé, n’est-ce pas ? »
Elle acquiesça. « Tu sais, le changement n’est pas toujours une chose facile à accepter. C’est encore plus dur quand tu dois en être l’instigateur. Un étalon plus faible m’aurait fuie et aurait continué à vivre sa vie caché dans sa petite carapace ennuyeuse. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé, n’est-ce pas ?
« Ça demande beaucoup de courage pour faire ce que tu as fait, Carrot Cake. Beaucoup. C’est ce qui fait de toi l’étalon parfait à mes yeux. »
Elle m’entoura de ses antérieurs et replongea son visage dans ma poitrine. « Tu as beaucoup de force, Carrot Cake. Ne laisse jamais personne te dire le contraire. »
[1] Nicholas Sparks : écrivain contemporain de romances.
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