Cette nuit-là bouleversa complètement ma vision de Cup Cake. Quelques mois auparavant, elle était cet être parfait, omnipotent, et ma vie entière était consacrée à la calmer et à essayer en vain de l’impressionner. Elle était trop bien pour moi, une jument que je ne pouvais jamais espérer égaler. Son existence même me tourmentait et me faisait trembler de frayeur.
Tout ceci changea la nuit où je la vis pleurer, la nuit où je la vis rougir, la nuit où je l’entendis réclamer ma compagnie. Ce fut la nuit où je rencontrai enfin la vraie Cup Cake : pas Cup Cake l’Impératrice, pas Cup Cake la Déesse… Mais Cup Cake la Ponette. C’était une ponette radieuse, incroyable, mais une ponette tout de même. Elle avait ses peurs, ses angoisses, et ses regrets, tout comme j’avais les miens.
Ce qui est amusant c’est que, après cette nuit, j’étais plus amoureux d’elle que jamais. J’avais besoin d’elle, et j’avais besoin qu’elle ait besoin de moi. Je voulais être son roc, son compagnon, son mentor, son confident, son épaule sur laquelle pleurer… et son poulain. Et je voulais qu’elle soit mienne.
Je me réveillai le lendemain matin quelques minutes avant elle. La plupart du temps, j’essaye de me tirer hors du lit dès que possible, pour pouvoir me diriger vers la salle de bain et me stimuler avec une douche bien chaude avant que la boutique ouvre. Mais ce matin, je décidai que je n’étais pas vraiment pressé, je pris donc quelques instants pour rester simplement étendu et… la regarder.
Elle avait l’air si précieuse lorsqu’elle dormait. Il y avait quelque chose d’étrangement revigorant à la regarder roulée en boule avec ce petit sourire rêveur sur les traits, à regarder son ventre s’étendre et se rétracter lentement et en rythme, laissant son souffle tiède me caresser le visage.
Finalement, ses yeux commencèrent à s’ouvrir, et son regard rencontra immédiatement le mien.
« ‘L’était temps, dis-je. Bonjour, petite marm... »
Avant que je puisse finir ma phrase, je la sentis m’agripper et placer avec précaution un sabot derrière ma nuque. Elle guida – elle ne tira pas, elle guida – mon visage vers le sien, et elle m’embrassa directement sur la bouche. Je fermai les yeux, l’entourai de mes sabots et serrai son corps contre le mien alors que nos lèvres se touchaient. Si j’avais bien un souhait à cet instant précis, c’était de pouvoir passer le reste de ma vie couché sur ce lit, à l’étreindre, ses lèvres pressées contre les miennes.
Je n’avais jamais ressenti quelque chose de semblable auparavant. Ce n’était pas la première fois que j’embrassais une jument, bien sûr, mais cette fois c’était… différent. Ça me touchait comme aucun autre baiser ne l’avait fait. C’était intense. Enivrant. Mon estomac papillonnait, et mon cœur battait si fort que j’avais peur qu’il s’échappe de ma poitrine. Ma crinière commençait à s’humidifier alors que des gouttes de sueur se multipliaient sur mon front. Je devais m’arrêter, au moins pour pouvoir reprendre mon souffle.
Le sourire de Cup Cake s’effaça et ses yeux s’écarquillèrent avec inquiétude lorsqu’elle me vit haletant. « Tout va bien, ma citrouille en sucre ? » demanda-t-elle.
Quand j’entendis cela, mon cœur fut près de s’arrêter. Elle m’avait vraiment appelé sa citrouille en sucre ?
Ce n’est pas quelque chose que les jeunes pouliches utilisent pour nommer leurs petits amis lorsqu’ils flirtent, c’est quelque chose que les juments adultes utilisent pour nommer leurs maris lorsqu’ils sont ensemble depuis cinq ou dix ans. Comment pouvait-elle déjà être si à l’aise avec moi ? Comment pouvais-je déjà être si à l’aise avec elle ?
C’était effrayant, et presque trop à supporter d’un coup. Ce fut à ce moment que je sus qu’il n’y avait pas de retour possible. C’était bien trop tard pour ça. C’était la jument avec laquelle j’allais rester pour toujours, la jument avec laquelle j’allais vieillir et fonder une famille. C’était sûr à cent pour cent, et dès cet instant il n’y avait rien que je puisse faire contre ça.
Mais je ne voulais rien faire contre ça. J’étais heureux que cela m’arrive. Avant qu’elle n’entre dans ma boutique, je divaguais dans un océan de médiocrité, et elle m’avait sauvé, m’en avait sorti et m’avait insufflé une nouvelle vie. Je n’aurais pas pu être plus heureux de savoir que j’allais consacrer le restant de mes jours à elle, et à cet instant je ne voulais pas que ça se passe autrement.
« Oui, mon lapin en miel, dis-je. Tout va bien. »
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