Starswirl vécut les semaines qui suivirent comme un paradis sur terre. Maintenant qu’il les avait acceptés, il savourait chaque jour davantage la tendresse et l’amour que sa jeune invitée avait tissés autour de lui ; et il lui rendait bien. Rétrospectivement, il trouvait sa vie passée stupide et vaine, comme si sa simple présence lui avait tout à coup donné un sens. Il réalisa que, à son insu, elle lui avait toujours manqué. Elle était devenue évidente, indispensable.
Elle n’avait pourtant pas révolutionné sa vie, mais l’avait changée discrètement, par petites touches. Ils – car ils partageaient désormais la même chambre et le même lit – se levaient tôt le matin. Après le petit-déjeuner, ils travaillaient ensemble, profitant de la relative fraîcheur du matin, quand le Soleil ne mordait encore pas trop. Vers midi, soit ils déjeunaient dans la cuisine, soit, plus fréquemment, elle rassemblait rapidement de quoi grignoter dans un panier, et ils partaient pique-niquer dans la forêt voisine, au pied d’un chêne vénérable qui leur dispensait une ombre bienvenue. Ils discutaient longuement, et souvent Starswirl lui contait l’une des histoires dont elle était si friande, des légendes d’un passé lointain, des exploits de vaillants héros, des voyages en des terres inconnues et exotiques. Ensuite venait le temps de la sieste, précédé ou non, suivant l’humeur, d’une séance de câlins. Ainsi passaient-ils les heures chaudes réfugiés sous l’hospitalière verdure des arbres.
Ils ne rentraient qu’en fin d’après-midi, puis reprenaient leurs recherches jusqu’au dîner, à moins qu’elle ne décidât de s’occuper du jardin et de décorer la maison de bouquets aussi volumineux que somptueux, mais aussi de traces de sabots pleins de boue qui faisaient hurler Starswirl. Après manger, ils profitaient des dernières lueurs écarlates du crépuscule, puis, s’ils en avaient le courage, jetaient un dernier coup d’œil à leurs travaux du jour ; mais la plupart du temps, ils préféraient se coucher, quoique leurs exercices nocturnes les tinssent éveillés jusque tard dans la nuit.
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L’été tirait à sa fin. Les jours raccourcissaient sensiblement et la vague de chaleur avait été mise en déroute par une violente contre-attaque des orages. Un soir, Starswirl renâcla à aller se coucher malgré les invitations réitérées de sa compagne.
« Tu ne veux pas rester encore un peu dehors, ma chérie ? proposa-t-il.
— Je suis fatiguée, expliqua l’alicorne. Si tu tiens à tes câlins, c’est maintenant ou jamais.
— Ne me dis pas que tu as oublié que ce soir était le soir des Larmes du centaure, l’une des plus belles pluies d’étoiles filantes de toute l’année. Si tu en vois une, tu pourras même faire un vœu !
— Pourquoi ne m’as-tu pas prévenue, espèce de gros bêta, plaisanta-t-elle. Et elle se blottit contre lui.
— D’habitude, répondit Starswirl, tu sais déjà tout bien avant que je t’en parle… »
Ils se turent et scrutèrent attentivement le ciel à la recherche de ces éphémères lucioles astronomiques. « J’en ai vu une ! cria soudain l’alicorne.
— Fais ton vœu, vite !
— Hmmm… Voilà !
— Une autre, ici ! s’exclama Starswirl.
— À ton tour ! ordonna l’alicorne.
— C’est déjà fait, répliqua Starswirl.
— Déjà ? Mais qu’est-ce que tu as bien pu souhaiter si vite ? demanda-t-elle.
— Si je te le dis, objecta Starswirl, la magie n’opèrera plus !
— Oh s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, supplia-t-elle, dis-le moi.
— Bon d’accord… céda Starswirl. J’ai souhaité… que tu restes à mes côtés chaque jour de ma vie, mon petit trésor.
— Pourquoi gâches-tu un vœu pour une telle évidence ? » lui reprocha l’alicorne.
Ils se pelotonnèrent l’un contre l’autre, et, cette nuit là, dormirent tous deux à la belle étoile.
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Le Soleil était déjà haut quand l’alicorne fut réveillée par de petites secousses. « Lève-toi vite, dit Starswirl, on vient de m’avertir que la Princesse Célestia était rentrée et qu’elle nous attendait à trois heures en sa résidence d’été de Canterlot. Vite, il faut nous préparer ! » Il semblait survolté.
« La Princesse Célestia elle-même ? fit l’alicorne impressionnée. Mais… Mais je n’ai rien à me mettre pour une telle occasion. Et comment nous rendre à Canterlot ?
— Ne dis pas de bêtises, ma chérie. Je vais te créer une tenue adéquate, et nous nous téléporterons tous les deux là-bas instantanément. Allez, nous n’avons que trois heures pour t’habiller, déjeuner et régler les derniers détails ! »
Mais « t’habiller » se révéla être une tâche plus ardue que Starswirl ne l’avait imaginée de prime abord. L’alicorne se fit coquette, et refusa successivement toutes les tenues que Starswirl lui proposa : couleur terne, coupe vulgaire, motifs quelconques. Après une petite heure de vains essais, Starswirl excédé gribouilla l’incantation sur un bout de papier et jeta l’éponge en maugréant. Dix minutes plus tard, elle apparaissait dans la cuisine vêtue d’une robe ultramarine aux nombreux froufrous, parsemée de paillettes dorées en forme d’étoiles, le tout rehaussé d’un liseré purpurin.
« Comment me trouves-tu ? » demanda-t-elle, se tournant pour se faire admirer sous toutes les coutures.
« Resplendissante ! répondit Starswirl, cachant un certain scepticisme. Je suis certain que la Princesse adorera cette parure. »
Ils déjeunèrent un peu précipitamment, puis l’alicorne passa l’heure suivante à lustrer sa robe, coiffer sa crinière et se maquiller discrètement. « Trois heures moins le quart, claironna Starswirl depuis le rez-de-chaussée.
— Je suis prête, mon ange ! répondit l’alicorne.
— Alors allons-y sans plus attendre ! » proposa Starswirl.
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Ils se matérialisèrent aux abords d’une grande place. L’alicorne regarda autour d’elle : son centre était occupé par un obélisque immense, sur lequel étaient gravés des signes incompréhensibles. Plus loin, dispersées le long de vastes avenues, de riches villas, encloses de barrières ornementales, parsemaient une immensité verte faite d’herbe impeccablement tondue et de massifs floraux somptueux. Tout ceci respirait le luxe et l’oisiveté. De l’autre côté, protégée par un haut rempart, une magnifique bâtisse se découpait sur l’azur parfait du ciel ; d’innombrables fenêtres aux formes florales émaillaient ses murs d’une blancheur éblouissante ; de ce somptueux château, comme autant de branches d’un arbre vénérable, s’élançaient d’élégantes et sveltes tourelles crénelées, surmontées de toitures pointues couvertes d’ardoises, au sommet desquelles des mats portaient des oriflammes multicolores qui claquaient dans le vent. L’alicorne contempla le palais bouche bée.
« Allons, allons, la secoua Starswirl. Pas le temps de lambiner, on nous attend ! » Il indiqua l’immense grille en fer forgé qui servait d’entrée au château, et ils se mirent en route. Arrivés à la grille, les deux gardes en faction s’écartèrent en s’inclinant. Starswirl et l’alicorne poursuivirent leur chemin, trottant nonchalamment le long d’une allée pavée qui serpentait au milieu d’un jardin luxuriant, jusqu’à arriver au bas de l’escalier monumental qui menait à la porte du château. En haut des marches, appuyée sur un bâton, une figure solitaire, vêtue d’un uniforme immaculé frappé d’un disque solaire doré rayonnant, les fixait intensément. Lorsqu’ils achevèrent de gravir les marches, le sévère poney terrestre recula de quelques pas ; son regard d’un vert émeraude, où se mêlaient surprise et respect, ne quittait pas l’alicorne. Au bout d’un long moment, il tourna enfin la tête et s’adressa à Starswirl : « Starswirl le barbu, je présume. Un honneur de vous rencontrer, monsieur. Je m’appelle Sunflare, huissier de sa Majesté de service cette après-midi. Elle vous recevra à trois heures dans la salle du trône, où elle vous prie de patienter en attendant la fin de son conseil avec les principaux ministres. Je n’étais cependant pas averti que vous seriez accompagné… » Son regard fixa de nouveau l’alicorne. Il hésita : « Naturellement, étant donné le statut de votre compagne – il s’inclina – je suppose qu’il serait inopportun de lui interdire l’entrée. » Il toussa. « Qui dois-je annoncer à sa Majesté ? demanda-t-il.
— C’est une surprise ! intervint Starswirl avant que l’alicorne ne pût répondre. De grâce, je vous en supplie, ne prévenez pas la Princesse.
— Je comprends, répondit l’huissier avec un léger sourire. Comptez sur moi, monsieur. J’ai cru deviner que vous étiez un ami personnel de notre Souveraine. Vous n’aurez donc nul besoin d’escorte. » Il frappa de son bâton, et la double porte imposante s’ouvrit. « Je vous en prie. Monsieur. Princesse. » Il fit une nouvelle révérence, alors que Starswirl et l’alicorne passaient devant lui.
« Pourquoi me regardait-il ainsi et pourquoi m’a-t-il appelé princesse ? s’interrogea tout haut l’alicorne en pénétrant dans le hall d’honneur.
— Il a dû être subjugué par ta beauté, répondit Starswirl. Après tout, tu ressembles vraiment à une princesse. Ma petite princesse rien qu’à moi. »
Elle l’embrassa tendrement, et ils poursuivirent leur chemin dans les vastes couloirs du château.
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Le soldat qui gardait l’accès à la salle du trône s’inclina respectueusement quand le couple se présenta devant lui. Il manœuvra la poignée de la porte d’un geste sûr, et l’un des battants s’ouvrit. Starswirl et sa compagne entrèrent dans la salle royale. L’alicorne s’arrêta, médusée. La vaste pièce était illuminée par de nombreux vitraux illustrant différentes scènes de l’histoire d’Équestria ; entre ceux-ci, de monumentales statues marmoréennes représentaient les héros légendaires du royaume ; elle crut y reconnaître quelques unes des figures dont Starswirl lui avait conté les exploits. Au fond de la pièce, un double trône finement ciselé, dont la partie droite avait été confectionnée en bois blanc et la partie gauche en bois noir – certainement de l’ébène – coiffait un imposant piédestal. Derrière lui, un immense étendard parti de sable à l’alicorne rampante d’argent chargée au Soleil d’or et d’argent à l’alicorne rampante d’azur chargée au croissant d’argent (mais pourquoi me ressemblent-elles tellement ?) avait été déployé.
« Cette salle est tout simplement splendide, s’exclama l’alicorne. Royale !
— Et tu ne sais pas le plus beau, ajouta Starswirl. Seule la toute première partie de la pièce, où nous nous trouvons, repose sur la terre ferme. Le reste est construit en surplomb au-dessus d’un précipice de plus de quatre cents mètres. Le trône flotte, pour ainsi dire, dans le vide. Prothéus, l’architecte qui a conçu ce chef d’œuvre, a toujours ——— »
Il ne put finir, interrompu qu’il fut par une salve inattendue de clairon, suivie du rire clair et cristallin d’une voix féminine. « La voilà, chuchota-t-il. On va lui faire une blague. Cours vite te cacher derrière l’une de ces statues… »
L’alicorne galopa derrière la sculpture la plus proche, et s’agenouilla pour se cacher. « Parfait ! » souffla Starswirl, juste avant que la porte ne s’ouvre à nouveau, livrant passage à la Princesse Célestia. « Starswirl ! s’exclama-t-elle, mon cher et précieux magicien ! » Elle le serra contre elle, puis recula et le considéra d’un œil surpris. « Mais, fit-elle, quelle mine resplendissante ! Que t’est-il arrivé ?
— Elle m’est arrivée, répondit Starswirl. Chérie ? »
Célestia tourna la tête au moment où l’alicorne émergeait lentement de sa cachette. Toutes deux se pétrifièrent quand elles s’entr’aperçurent. Un silence pesant tomba.
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À la vue de Célestia, quelque chose avait craqué dans l’esprit de l’alicorne. Ce fut comme si une vieille écluse rouillée avait brutalement cédé à la pression, libérant un raz-de-marée de souvenirs qui submergea la conscience de… de… je m’appelle… je m’appelle… Twilight Sparkle ! Mes parents… Mon frère… L’examen de passage… Ma cutie mark… La Princesse Célestia… Nightmare moon… Luna… Mes amies… Ponyville… Alicorne… Le dernier sort de Starswirl… Hein ? Starswirl… La Princesse… La mission… Tu resteras vingt-neuf jours et douze heures. VINGT-NEUF JOURS ET DOUZE HEURES… Oh non !…
Le sourire de Starswirl s’était figé devant le spectacle surréaliste des deux alicornes immobiles, se dévisageant l’une l’autre sans souffler mot. Mais, tout à coup, sa fiancée reprit vie et cria, comme affolée : « Starswirl, quand suis-je arrivée ici ?! » Il la regarda, déboussolé. « DEPUIS QUAND SUIS-JE ICI ?! » répéta-t-elle encore plus fort, comme s’il s’agissait d’une affaire de vie ou de mort.
Complètement abasourdi, il chercha dans sa mémoire. « Hmmmm… hésita-t-il pendant quelques secondes. Vingt-neuf jours je crois. Mais qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce si important ? »
Oh non ! Non ! “Pour l’amour de Célestia, que fait donc une alicorne à trois heures du matin dans mon laboratoire ?!” Trois heures du matin… trois heures de l’après-midi. Vingt-neuf jours et DOUZE heures. “Ton retour sera automatique : à l’échéance dite, pas une seconde avant, mais pas une après, le sort te ramènera à notre époque.” Noooon !…
« Quelle heure est-il ? POUR L’AMOUR D’ÉQUESTRIA, QUELLE HEURE EST-IL ? » cria-t-elle de nouveau.
Starswirl tourna désespérément la tête vers la Princesse. « Trois heures moins deux », bafouilla-t-elle.
« NOOOOON ! » hurla Twilight. Elle s’effondra sur le sol et se mit à sangloter. Starswirl se précipita vers elle et l’entoura de ses jambes. « Que se passe-t-il ma chérie ? Qu’est qu’il y a ? Mais bon sang, qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Twilight ouvrit des yeux pleins de larmes, fixa Starswirl d’un air perdu, puis, péniblement, elle entreprit de se lever. Elle repoussa la licorne et pointa d’un sabot rageur vers la Princesse. « Vous m’avez menti ! accusa-t-elle, VOUS M’AVEZ MENTI ! Depuis le début, ce n’était que des balivernes. La forme gazeuse, la mission diplomatique, l’absence de témoins, les deux jours, rien qu’un tissu de mensonges. Vous saviez tout, vous saviez tout et vous m’avez trompée, attirée dans un piège odieux. Mais pourquoi ? POURQUOI ? » Elle se tut, puis reprit d’une voix glaciale, où transparaissait une haine à peine contenue : « Je vous déteste ! Je vous déteste ! Et puissiez-vous être maudite à jamais pour ce que vous m’avez fait. » Sa voix se cassa.
Starswirl était totalement abasourdi. Il s’adressa à Célestia d’une voix étranglée : « Je ne comprends rien, Princesse. Vous vous connaissez ? »
Mais Célestia avait l’air aussi décontenancée que lui. « Starswirl, murmura-t-elle, je te jure que je n’ai jamais vu cette alicorne, et que je ne sais pas pourquoi elle en a ainsi contre moi… »
« Elle a raison, soupira Twilight. On ne se connaît pas. Enfin pas encore. Starswirl, je m’appelle Twilight Sparkle. J’ai été envoyée du futur par… — elle désigna Célestia – cette immonde créature pour enquêter sur… enquêter sur… non, rien. Et maintenant le sort va expirer dans quelques secondes et me renvoyer à mon époque, sans que je ne puisse rien y faire. Oh Starswirl ! Je ne veux pas te quitter… ni maintenant, ni jamais… » Elle recommença à pleurer.
« Rétrochronia… susurra la Princesse. Mais comment… »
Starswirl regarda Célestia, puis Twilight. « Non, tu ne me quitteras pas, la rassura-t-il. Je ne laisserai jamais quoi que ce soit ou quiconque nous séparer. Nous sommes unis pour toujours… » Il voulut la prendre contre lui, mais laissa échapper un « oh ! » de surprise et recula. Ses jambes étaient passées au travers du corps de Twilight, comme si elle avait soudain perdu toute substance.
La vue de Twilight semblait se brouiller. Oh non, pensa-t-elle, ça y est, le sort me renvoie vers l’avenir. En plissant des yeux, elle arriva à distinguer Starswirl ; il la fixait, haggard. Il tourna une nouvelle fois la tête vers la Princesse, sembla hésiter l’espace d’une seconde, puis se rua à l’improviste vers le fond de la salle. Célestia cria quelque chose qu’elle ne comprit pas. Les paroles qu’il avait prononcées en entrant dans la salle revinrent brusquement à l’esprit de Twilight : seule la toute première partie de la pièce, où nous nous trouvons, repose sur la terre ferme. Le reste est construit en surplomb au-dessus d’un précipice de plus de quatre cents mètres. Elle eut un éclair de lucidité. « STARSWIRL NOOOOOOON ! » hurla-t-elle de toutes ses forces, juste avant que la forme indistincte de la licorne ne saute au travers du dernier vitrail de la pièce, qui se brisa en mille morceaux.
Puis ce fut le noir.
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