« Hein ? Il faut que je fasse quoi ? s’écria Twilight, interloquée.
— Juste le surveiller discrètement, répondit la Princesse Célestia. Je sais que ce n’est pas une mission très reluisante, mais je te placerai sous le couvert du sort de forme gazeuse juste avant que tu ne partes. Personne ne pourra savoir que tu es là. Même pas lui. Tu pourras le suivre partout, te glisser sous les portes et dans les moindres interstices. Fais seulement attention aux courants d’air qui pourraient t’envoyer au diable Vauvert. Tu n’auras ni soif, ni faim, ni sommeil. Discrétion totale. Zéro risque. Promis juré !
— Mais pourquoi m’avoir choisie moi pour cette mission ? » s’étonna Twilight, hésitant encore entre surprise et incompréhension.
« Tu sais que sa mort n’a jamais vraiment été élucidée, expliqua Célestia. Des bruits courent, selon lesquels il se serait suicidé. Mais pourquoi une licorne comme lui, aussi talentueuse et célèbre, aurait-elle commis un tel acte ? Il n’avait aucune raison de le faire. Il n’était ni dépressif, ni lunatique. En fait, il était même au sommet de sa carrière. Alors quelle raison d’y mettre un terme définitif si brutalement ? Ça a toujours été un mystère. Je sais que ce n’est pas une tâche évidente pour toi, mais je ne te le demanderais pas si je n’avais une totale confiance en tes capacités, ma précieuse élève. En outre, c’est une chance unique de rencontrer celui que tu considères comme l’un de tes pères spirituels. »
— Je ne savais pas que Starswirl s’était suicidé, grommela Twilight. Pourquoi ne pas vous en être inquiété de suite ?
— Hélas ! répondit la Princesse, j’étais en déplacement à l’étranger dans le cadre d’une mission diplomatique cruciale, et Starswirl vivait seul dans un manoir isolé, si bien que personne ne lui rendait visite quotidiennement. Son corps n’a été découvert que deux jours après sa mort, et, bien entendu, il n’y eut aucun témoin du drame. Je suis rentrée juste à temps pour les funérailles. L’un des pires moments de ma vie… »
Twilight secoua sa tête. « Vous auriez pu remonter dans le temps immédiatement plutôt que d’attendre onze cents siècles ! » rétorqua-t-elle.
Célestia se leva du trône et fit quelques pas, pensivement ; Twilight la suivait du regard, étonnée. « Tu sais, fit enfin la Princesse, les voyages dans le temps ne sont pas un passe-temps à la portée de n’importe quelle licorne adolescente. En fait, leur usage est tellement risqué qu’il est strictement réservé aux alicornes, et même pour elles, il y a des limites : elles ne peuvent invoquer le sort sur elles-mêmes. Or Luna et Cadence ont toujours refusé de se prêter à ce genre d’expérience : trop dangereux, disent-elles. En un sens, elles ont tout à fait raison : tout peut dérailler, et la moindre altération du passé avoir des conséquences désastreuses dans le présent. Remonte un million d’années, marche sur le mauvais insecte et hop ! la moitié des formes de vie actuelles disparaissent instantanément, et peut-être toi aussi. C’est pour cela que l’usage de la forme gazeuse est primordiale. Grâce à elle, non seulement tu ne peux être repérée, mais tu ne peux interférer avec aucun objet matériel ; l’intégrité du passé, donc du présent, est donc préservée. Quant à voyager dans l’avenir, eh bien… » Sa voix s’éteignit, elle leva la tête et sembla, pour un instant, fixer au travers du plafond quelque point extrêmement éloigné dans le ciel. « Même lui n’a jamais pu », susurra-t-elle si faiblement que Twilight eut de la peine à l’entendre.
« Lui qui ? » chuchota Twilight, intriguée.
Célestia sembla revenir à elle, comme si elle émergeait d’une profonde rêverie. « Hein ? Quoi ? Lui ? Oh ! Euh… Starswirl, bien sûr ! Qui d’autre ? Mais ce n’est pas possible. Du moins, personne n’a découvert la bonne formule, et c’est peut-être mieux ainsi. » Elle sourit. « Or donc, poursuivit-elle, ni Luna ni Cadence n’aurait accepté de jeter ce sort sur moi. Du reste, je commençais à être sérieusement préoccupée par les sautes d’humeur de ma sœur. J’ai donc temporisé, espérant qu’on découvrirait un jour des éléments supplémentaires. Mais non : rien, absolument rien.
— Je ne comprends toujours pas, protesta Twilight. Je connais ce sort pour l’avoir utilisé une fois. On ne peut remonter dans le temps au-delà d’une semaine, et on n’a que quelques secondes pour —
— Twilight ! l’interrompit gentiment la Princesse. Le sort dont tu parles n’est qu’une bagatelle. Une bagatelle périlleuse, cependant. J’aurais dû ôter ce parchemin des archives, mais, tu vois, j’ai oublié de le faire. Je vais m’en occuper immédiatement après la fin de cette conversation. Le véritable sort, Rétrochronie, est autrement plus puissant. On peut choisir n’importe quelle époque, et y demeurer jusqu’à un mois. Ce sort était autrefois écrit, mais je l’ai appris par cœur et j’ai détruit l’original. C’est pour cela que tu n’en as jamais entendu parler.
— Et donc maintenant… hésita Twilight.
— Exactement, opina Célestia. Tu m’as parfaitement compris. Tu es mon seul espoir, après tout ce temps. Je ne peux jeter le sort sur moi-même, et même en admettant que je t’apprisse la formule, je ne peux raisonnablement m’absenter pour un mois entier – »
— Un mois entier ? s’exclama Twilight. Vous comptez m’envoyer là-bas pour un mois entier ?!
— Ma précieuse élève, je dois savoir ce qui s’est passé, insista Célestia. La dernière fois que j’ai croisé Starswirl vivant, avant de partir pour cette mission, il était en pleine forme. Préoccupé par des calculs abscons, comme d’habitude, mais parfaitement normal. Puis je m’absente, et l’inexplicable survient. J’ai l’intention de te faire arriver le jour après mon départ. Si je me souviens bien, cela signifie quatre semaines, ou vingt-huit jours, avant la date de son décès.
— Je vois, je vois. Je n’imaginais pas que j’aurais un jour l’occasion de le rencontrer en chair et en os… Enfin, le rencontrer, pour ainsi dire. Mais bon, l’observer pendant les derniers jours de sa vie… Tout ça ne me met pas très à l’aise. Espionner la vie ou la mort de quelqu’un, n’est-ce pas une atteinte flagrante à sa vie privée ? » remarqua Twilight.
Célestia s’esclaffa : « Oh Twilight ! Quelle adorable pouliche tu fais. Ne t’inquiète pas, Starswirl ne s’est jamais autorisé une quelconque distraction avec ce qu’on appelle communément une “vie privée”. Mis à part sa toilette, ses repas et autres nécessités, il ne consacrait sa vie qu’à ses recherches ; rien d’autre n’avait d’importance à ses yeux. Particulièrement pas les juments ou ses compères étalons. Il vivait seul, et ne fréquentait pour ainsi dire que Luna et moi-même. Donc, du moment que tu ne le suis pas aux toilettes, tu n’empièteras pas sur quoi que ce soit !
— Pourquoi en parlez-vous aussi légèrement ? C’était l’un de vos meilleurs amis, non ? Et l’un de vos disciples aussi ! demanda Twilight un peu choquée.
Le sourire de Célestia s’effaça, et elle répondit d’un ton sec : « Ma chère élève, comme tu le sais, cela fait plus de mille ans qu’il est mort. Je sais que cela peut révolter. Tu es si jeune, mon enfant – en fait, tu n’as même pas atteint le tiers de ton espérance de vie normale –, tu n’as pas encore réalisé que, face à notre immortalité, c’est la seule attitude possible. Si je devais pleurer pour l’éternité chaque poney que j’ai connu et apprécié, ma vie deviendrait un enfer. Un immortel n’a d’autre choix que de se concentrer sur l’avenir, et de ne pas trop penser au passé. Il faut profiter de la compagnie des poneys tant qu’ils vivent, et, quand ils meurent, ne pas les oublier, certes, mais ne pas porter le deuil trop longtemps, car d’autres te réclament constamment. Pas de place pour une quelconque nostalgie. Il n’y a d’autre choix que d’aller de l’avant, coûte que coûte. » Elle lança un regard incendiaire à sa protégée.
Twilight rosit et baissa les yeux. « Je suis désolée, s’excusa-t-elle. Je ne savais pas. Je comprends.
— Oh non ! grinça Célestia. Tu ne comprends rien du tout ; tu penses comprendre. Mais tu comprendras, un jour, ça oui ! et peut-être même plus tôt que tu ne l’imagines. Tu le ressentiras au plus profond de ta chair, comme une plaie béante qui suinte et ne guérit jamais. Telle est notre malédiction à nous, les alicornes. »
Twilight se tut. Dans la salle ne résonnait plus maintenant que la rumeur lointaine et étouffée de la ville en contrebas ; les rayons rasants du Soleil hivernal illuminaient les vitraux, se transformant au passage en des faisceaux multicolores qui se projetaient sur le parquet ciré en une multitude de petites taches bariolées et changeantes, dont les trajectoires s’entremêlaient aléatoirement au gré du mouvement des nuées qui obscurcissaient parfois momentanément l’astre du jour. C’était un spectacle hypnotisant, une danse majestueuse de minuscules lucioles coruscantes et éphémères, dans un silence presqu’irréel. Twilight en fut fascinée.
Célestia reprit enfin la parole d’une voix apaisée, rompant d’un coup la tension accumulée : « N’en parlons plus. Feras-tu cela pour moi ? » demanda-t-elle.
Twilight reporta à contre-cœur son attention sur la Princesse. « Oui, acquiesça-t-elle, je le ferai. Et je vous prie de m’excuser pour mon effronterie.
— Merci de tout cœur ! répondit Célestia. Rendez-vous après-demain. Nous attendrons la nuit, puis nous voyagerons jusqu’à l’orée est de l’Everfree forest où Starswirl avait construit son manoir. Le sort déplace dans le temps et non dans l’espace, et je désire que tu arrives directement chez lui, afin de t’épargner une route délicate.
— Très bien. J’y serai », confirma Twilight.
Célestia s’approcha de sa protégée et la serra tendrement contre elle. « Merci encore, chuchota-t-elle. Tu ne sais pas combien tu m’es précieuse. Pardonne-moi d’avoir été si dure avec toi.
— Ça n’a aucune importance », murmura Twilight. Elle sentait le souffle chaud de la Princesse dans son cou, et c’était bon. Elle se détendit, se laissa gagner par une onde de bien-être, qui lui rappela les soirs où sa mère, alors qu’elle n’était encore qu’une toute jeune pouliche, la couchait entre ses jambes pour lui chanter une douce berceuse ; elle fermait alors les yeux et s’abandonnait à un sommeil paisible. Elle en avait toujours gardé la nostalgie secrète.
Elles se séparèrent à regret.
« À après-demain donc », conclut Twilight en se dirigeant vers la sortie.
« Prends soin de toi ! » fit Célestia en la saluant.
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Il était aux environs de minuit ; le ciel était parfaitement dégagé et constellé d’étoiles scintillantes. Sous la voûte nocturne, la cluse semblait obscure et étroite, semblable à une profonde entaille dans la montagne environnante. La Lune, dont on devinait la clarté laiteuse derrière la crête, n’était pas encore suffisamment haute pour illuminer la clairière. Les ténèbres étaient telles que les deux alicornes avaient dû recourir à un sort de lumière pour trouver leur chemin.
Si Twilight avait espéré découvrir les ruines d’une haute maison, elle en aurait été pour ses frais. De l’ancienne demeure du mage rien n’avait survécu, hormis, çà et là, quelques pierres aux formes étranges, éparpillées et recouvertes d’une végétation épineuse qui les rendait presqu’invisibles. Les ronces avaient si bien envahi la clairière qu’il ne restait, pour se tenir, qu’une étroite bande herbeuse à peine suffisante pour les deux alicornes. En contrebas, caché par des buissons touffus, un petit ruisseau gazouillait gaiement.
« Qu’est-il arrivé à sa demeure ? » demanda Twilight, qui scrutait les alentours à la recherche des vestiges de l’ancienne construction.
« D’une part, elle était loin d’être en parfait état, expliqua Célestia, quoiqu’on aurait certainement pu la consolider et la rénover. Mais avant que j’ai pu véritablement m’en occuper, un hiver particulièrement neigeux et un printemps très pluvieux me prirent de court. À la fonte des neiges, le ruisseau que tu entends, inoffensif en temps normal, entra en crue et se mua en un torrent furieux qui dévasta toute la vallée. Sa force fut telle qu’il emporta la maison déjà fragilisée, avec tout son mobilier, ses vieilleries et ses instruments insolites. Il n’en resta que quelques pierres, celles là même que tu peux encore apercevoir sous les ronces.
— Même les livres et les parchemins furent perdus ? s’inquiéta Twilight.
— Non, rassure-toi. Je les avais fait immédiatement transférer au Château des deux Sœurs. Penses-tu que j’eusse laissé un tel savoir à l’abri de murs chancelants ?
— Bien sûr que non, avoua Twilight. Cependant, comment être certaine qu’il n’y ait pas eu des cachettes secrètes ?
— C’est possible, admit Célestia, quoique fort improbable. Starswirl ne faisait pas mystère de ses recherches. Il considérait ses inventions et découvertes comme entièrement publiques, bien qu’il ressentît toute intrusion dans sa vie comme une attaque personnelle – c’est pour cela qu’il avait choisi de vivre dans un endroit aussi isolé du royaume. Mais il n’avait aucun besoin de protéger ses biens : la plupart de ses travaux étaient impénétrables, même aux yeux des meilleurs experts du temps, et ses appareils totalement incompréhensibles à quiconque sinon lui-même. »
Au moment où Célestia achevait de parler, la Lune émergea au-dessus de la crête, baignant le décor d’une lumière fantomatique. « Parfait ! s’exclama Célestia, et sa corne cessa de luire. J’ai besoin de lumière, car je ne peux conjurer Rétrochronia tout en ayant un autre sort actif. » Elle se tourna vers son élève. « Prête pour le grand bond, Twilight ? »
Twilight, tête baissée, grattait nerveusement le sol d’un de ses sabots. « Je pense que oui, répondit-elle, mais —
— Je sais, je sais, l’interrompit Célestia. Il faut d’abord que je te transforme en forme gazeuse. Allons-y ! »
Elle se concentra, et sa corne recommença à scintiller. D’un coup, un rai de lumière orangée alla frapper directement le corps de Twilight, qui sembla s’évanouir petit à petit, comme si elle perdait sa substance, jusqu’à ce qu’il ne restât plus qu’un contour évanescent, qui s’effaça à son tour. Plus rien de visible ne trahissait la présence d’une deuxième alicorne auprès de la Princesse.
« Parfait, parfait ! se félicita Célestia. Je puis encore te voir sous la forme d’un mince filet de fumée, mais cela m’est réservé, en tant que lanceuse du sort. Pour tous les autres poneys, ma sœur y compris, tu n’existes plus.
« Maintenant, écoute-moi bien. Sous cette forme, je te l’ai dit, tu seras totalement indétectable. Rien ne peut t’affecter, mais tu ne peux agir sur rien, ni lancer un quelconque sort, puisque tu ne peux pas parler. Tu pourras avancer à une vitesse raisonnable, suffisante pour suivre un poney au trot ou t’opposer à un courant d’air modéré, mais rien de plus. Donc, je t’en prie, fuis les vents violents ou les mouvements d’air. Tu ne risques rien, mais tu serais emportée au loin, et il te faudrait peut-être des jours pour revenir ici. Si tu observes cette précaution à la lettre, tout ira bien.
« Bon. Au tour du déplacement temporel. Comme je te l’ai précisé avant-hier, je vais te faire arriver le jour suivant mon départ à Hippothalassia. Tu resteras dans le passé vingt-neuf jours et douze heures, c’est-à-dire deux jours après la mort supposée de Starswirl, quand son corps a été découvert. Je ne veux pas prendre de risques : il a pu en réalité se suicider après la date estimée ; tu connais comme moi les incertitudes liées à la médecine légale. Ton retour sera automatique : à l’échéance dite, pas une seconde avant, mais pas une après, le sort te ramènera à notre époque. Il serait bien que tu fusses dans les parages à ce moment – je t’attendrai ici – car je te rappelle que le sortilège ne fonctionne que dans le temps, pas dans l’espace. Si tu t’éloignes, tu risques de te perdre, de réapparaître en un endroit où je ne te trouverai pas, et tu mettrais alors des semaines à regagner Canterlot sous cette forme, en admettant que le temps soit calme et que les vents ne t’entraînent pas au-delà des confins du pays. Je n’ai pas envie de te chercher pour les siècles à venir. Donc, fais attention et sois prudente.
« Voilà, conclut-elle. C’est tout. Maintenant, il ne me reste plus qu’à te souhaiter bonne chance. Profite de ton mois avec le plus talentueux de tous les magiciens ! »
Twilight éprouvait une sensation étrange. Cet enchantement était vraiment déroutant. Depuis qu’elle s’était évaporée, certains de ses sens semblaient être anesthésiés. Le froid intense qui la faisait frissonner avait disparu ; toutefois, elle pouvait encore ressentir son corps, voir, entendre et humer, comme si elle avait été désincarnée. Elle écouta la princesse avec attention, tout en essayant de maîtriser ses déplacements sous cette apparence impalpable.
Elle vit Célestia baisser la tête et prononcer des paroles étranges. Des éclairs fugaces de lumière enlacèrent sa corne, crépitèrent, puis s’éteignirent progressivement. Rien ne se passa. La Princesse se redressa, et Twilight cru lire de la perplexité ? sur son visage. Elle plissa les yeux pour mieux distinguer, mais la silhouette de Célestia était devenue subitement floue, comme vue au travers d’un verre dépoli ; elle se mit à scintiller légèrement, et il devenait difficile de la fixer. Twilight détourna le regard et scruta les environs, mais n’y trouva rien d’autre que des formes blanchâtres indéfinissables ; elle leva alors son regard, qui rencontra le brillant disque lunaire ; sa luminosité s’avéra trop forte. Au moment même où elle réalisait que c’était là l’effet du sort, elle fut frappée d’un violent mal de tête. La Princesse articula alors des paroles dont elle ne comprit que des bribes : Twi… sui… ment… lé, avant qu’un voile noir n’obscurcît soudain sa vision. Elle perdit connaissance.
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Elle était égarée au milieu du vide, entourée de ténèbres infinies. Depuis combien de temps, elle n’aurait su le dire. Rien n’existait plus qu’un silence visqueux et pénétrant, qui semblait s’insinuer jusqu’au plus profond d’elle-même. Non, non, pas que le silence réalisa-t-elle soudain. Elle crut entendre, juste à la limite de son seuil d’audition, une vague rumeur, un roulement de tonnerre. Comme il n’y avait rien d’autre de perceptible, elle se concentra sur ce bruit, et bientôt il lui sembla qu’il se rapprochait. Non, pas un roulement de tonnerre. Autre chose, mais quoi ? Elle chercha désespérément dans son esprit. Liquide, eau, mer… tempête, vagues. Oui, voilà, des vagues. D’immenses rouleaux s’écrasant sur… sur quoi ? Ils se rapprochent. Plus de doute possible : la marée monstrueuse d’un océan inconnu se précipitait sur elle. La faible rumeur avait enflé en un fracas assourdissant, en un tumulte rageur qui emplissait maintenant les moindres recoins de l’espace. Fuir ! Fuis idiote que tu es… Tu vas être emportée… pensa-t-elle soudain. Mais sauve-toi ! Elle était incapable de bouger le moindre muscle. Mort ! Fuir ! Impossible de… fuir ! DÉCAMPE ! IMPOSSIBLE… IMPOSSIBLE !!
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Haletante, baignée de sueur, elle ouvrit les yeux au milieu d’un noir d’encre. Encore terrorisée par son rêve, elle se recroquevilla spontanément en attendant la déferlante qui allait l’emporter et la submerger sous des tonnes d’eau salée. Mais rien ne survint. Où qu’elle se trouvât, il n’y avait ni raz-de-marée, ni lumière. Rien qu’un silence paisible. Elle se détendit, et prit conscience d’un léger courant d’air qui lui chatouillait les naseaux. Courant d’air ? Il y avait quelque chose à savoir au sujet des courants d’air, mais quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? Son esprit semblait confus. Impossible de se souvenir précisément.
Au bout de quelques minutes, elle commença à se sentir mieux. Son cœur se calma, et elle perçut, sous son ventre, la présence rassurante d’un parquet. Je dois être dans une pièce, pensa-t-elle. Cette évidence lui donna un surplus de confiance, et elle se leva silencieusement. Elle tremblait encore légèrement, mais pouvait s’en accommoder. Je ne peux pas rester ici. Il doit y avoir une sortie, il faut que je la trouve. Mur. Si je marche tout droit, je tomberai fatalement sur un mur. Si je longe le mur, j’arriverai à la porte. Marcher droit jusqu’au mur, voilà.
Elle rassembla tout son courage puis se mit à avancer sur la pointe des sabots. Un pas. Deux pas. Trois pas. Elle allait achever le quatrième quand une de ses jambes avant heurta un objet dur. Il y eut un bruit sourd suivi d’un crac, comme si quelque chose s’était rompu. Elle retint son souffle. Un instant après, un tintamarre métallique indescriptible mêlé de bris de verre retentit dans la salle…
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Starswirl le barbu était en train de peiner sur sa nouvelle et puissante incantation, celle qui devait constituer le clou de sa carrière. Cela faisait des semaines qu’il s’épuisait dessus, essayant de comprendre ce qui clochait. Une marque du destin, sublime et accomplie. Cela devrait fonctionner, pensa-t-il pour la millième fois. Mais, bon sang ! qu’est-ce qui ne va pas ?
Il fut brutalement interrompu au milieu de ses réflexions par un vacarme étouffé semblant provenir du rez-de-chaussée. Par Célestia, pensa-t-il, encore une bêtise de ce maudit chat que j’ai eu la faiblesse d’adopter. Il va voir de quel bois je me chauffe ! Il quitta précipitamment son bureau, descendit les escaliers en trombe et ouvrit violemment la porte du laboratoire. Il dissipa l’obscurité avec un sort de lumière, et ne put que constater les dégâts. La table avait été culbutée. Des cornues et des éprouvettes s’étaient brisées, et les supports métalliques gisaient au sol au milieu des flaques multicolores laissées par les réactifs. Quel désastre ! Trois jours de boulot gâchés par ce stupide félin !
« REMDEL ! Sors de ta cachette et viens ici. Cette fois, tu ne m’échapperas ––– » Il se tut soudain, ayant entendu une faible plainte, comme des sanglots étouffés.
« Qui est là ?! » brailla-t-il. Pas de réponse. « Qui que vous soyez, montrez-vous ou vous allez le regretter amèrement ! » Toujours pas de réponse, mis à part ces sanglots, maintenant parfaitement audibles, qui semblait provenir de derrière la table renversée. Starswirl s’avança, contourna l’obstacle…
Une jeune licorne à la robe améthyste était étendue sur le sol. Elle avait enfoui la tête dans ses jambes avant, comme pour se protéger, et son corps était parcouru de spasmes incontrôlables. Elle avait l’air perdue, perdue et misérable. « Qui êtes-vous ? demanda Starswirl. Que faites-vous donc dans mon lab ––– » Il s’interrompit une nouvelle fois, totalement abasourdi : il venait d’apercevoir les ailes repliées sur les flancs de la jument. « Mais, mais… bafouilla-t-il, vous êtes… une alicorne ? Je ne vous connais pas ! D’où venez-vous ? Pour l’amour de Célestia, que fait donc une alicorne à trois heures du matin dans mon laboratoire ?! »
La jeune jument ne bougea ni ne répondit. Elle continua simplement de pleurer. « Allons, allons, reprit Starswirl d’un ton chaleureux, calmez-vous. Pardonnez-moi. Je pensais que mon chat avait fait une bêtise, et j’étais furieux. Mais c’est passé. Je ne vous veux aucun mal. Tout cela n’est pas si grave. Cessez de pleurer, je vous en prie. Je me demande juste ce que vous faites ici. Ce n’est pas un hasard, il doit bien y avoir une raison. Comment vous appelez-vous ? »
L’alicorne leva lentement la tête et fixa Starswirl d’un regard éploré. Il sentit qu’elle luttait pour recouvrer un minimum de contrôle et pouvoir lui répondre. « Je… Je suis… désolée ! » finit-elle par hoqueter entre deux sanglots. « Je… Je… ne sais pas… Je ne m’en souviens plus ! » s’écria-t-elle, avant de succomber à une nouvelle crise de larmes.
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Il n'empêche que certains détails dans la conversation avec Célestia me chiffonne. La longue tirade sur la "malédiction" des alicornes qui vivent tellement longtemps qu'elles voient leurs amis s'éteindre et qu'elles doivent, en conséquence, apprendre à se tourner exclusivement vers le présent et l'avenir, sonne pour moi comme l'argument phare comme quoi tout son projet est une pure folie, et qu'elle ne devrait pas ainsi se concentrer sur le passé. Twilight, avant cela, me semble un peu... effrontée, comme elle le dit, mais pour des raisons étranges.
En somme, je ressens trop ce dialogue comme celui d'un hypothétique lecteur difficile avec l'auteur, le second tentant de justifier son histoire tandis que le premier, absolument pas convaincu, lui balance tout un tas d'arguments comme quoi ça n'a aucun sens. C'est en soi pas trop gênant (quoique je vois mal Twilight se comporter ainsi avec Célestia), sauf quand l'argument final est si peu convaincant pour le lecteur réel, et que "l'hypothétique lecteur" incarné par Twilight ne s'écrase que de peur d'avoir vexé la princesse.
Du reste, je suis happé ! Je m'en vais lire la suite de suite !