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Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Hors série : les soirées de l'ambassadeur

Vanhoover puait.

Si je devais être honnête, ça n’avait pas grand chose à voir avec le réseau d’eau de la ville. Les stations d’épuration faisaient bien leur travail et les égouts n’étaient plus à ciel ouvert depuis quelques années.

Pourtant, il fallait regarder la vérité en face, la ville était nauséabonde. Et sur tout un tas de sujets.

Avant tout, elle n’avait aucune espèce d’architecture. C’était un amas de maisons, un conglomérat de bâtiments qui s’entassaient sans aucune esthétique.

Le poney du commun aurait sans doute haussé les épaules. Il n’aurait rien vu à redire au style de la ville, du moment que les rues étaient droites et allaient au bon endroit.

Ensuite, la cité avait été bâtie au mauvais endroit. Dans les forêts nordiques, là où les aiguilles de pin étaient saisies par le gel. Là où la neige était tellement forte que les pégases n’avaient aucun contrôle sur elle.

Le poney du commun s’en serait moqué. Le froid, du moment qu’on ne restait pas trop dehors une fois la nuit tombée, ça ne tuait personne. Et il y avait toujours les tavernes pour se jeter un bock ou deux de liqueur frelatée pour se réchauffer.

Et pour terminer, la ville était à la frontière nord d’Equestria, presque à califourchon sur les territoires du tsardom ours. Ce qui signifiait que Vanhoover était la ville equestrienne où l’on trouvait le plus d’ours au kilomètre carré.

Le poney du commun aurait accueilli la nouvelle avec un petit sourire. Et alors ? aurait-il répondu. Ils étaient très bien ces ours. Un peu patauds et frustres mais c’étaient de solides compagnons, toujours prêts à lever la patte pour défendre un ami. Et à lever le coude quand on faisait la fête.

Oui, pour un poney du commun, rien ne clochait à Vanhoover.

Mais je n’étais pas une ponette du commun.

Je vomissais cette ville. Toute mon éducation, mes valeurs, mes principes, me poussaient à le faire.

Pour moi Vanhoover était un insulte aux yeux, une insulte aux sens, et par dessus tout, une insulte raciale.

_Vous vous sentez bien duchesse ?

Je me détournais du paysage enneigé qui défilait par la fenêtre pour me retourner vers mon interlocutrice. Une jeune baronne de Canterlot, avec la tête aussi vide qu’un colibri. Mais au moins, elle était licorne.

Je n’aurais accepter de partager mon compartiment avec personne d’autre.

_Un peu nauséeuse, dis-je avec un petit sourire. Je suppose que je ne suis pas habituée au roulis du train.

C’était en partie vrai. Ce soir, c’était la seconde fois de ma vie que je grimpais dans ce monstre de métal. Et si je ne pouvais cacher que j’étais plutôt impressionnée par la rapidité avec laquelle nous avions fait le voyage de la capitale jusqu’au nord, je ne pouvais oublier que le véhicule était une création terrestre.

Sorti droit des usines de Manehattan, le train suait si fort le terrestre par le moindre de ses boulons que j’en venais à être surprise qu’il utilise des roues et non des sabots.

Ca n’avait rien à voir avec la grâce de nos dirigeables. Ces yachts volants étaient un régal pour l’esprit et le corps. On pouvait se détendre et profiter confortablement du trajet. Serveurs, membres d’équipage, tout était pensé pour le passager.

Alors que le train...le train c’était la ruée vers l’objectif, la vitesse à tout prix, le mépris du confort au profit de la célérité.

Mais sans doute ne fallait-il rien attendre d’autre d’une invention terrestre. Quelque part, je comprenais ce culte de la performance. Ils étaient nés le plus en bas de l’échelle raciale et même si au fond, les pégases ne valaient pas mieux, ils n’avaient rien d’autre que leurs sabots pour avancer dans la vie.

Cette course effrénée de la machine, cette caricature de technologie qu’était Manehattan le prouvait bien. Les terrestres cherchaient à compenser leur infériorité, si ce n’était qu’ils étaient trop bêtes et trop rustres pour s’en rendre compte. Ils étaient une race de paysans après tout, il ne fallait pas l’oublier.

_Je suis tellement excitée ! gloussa la baronne à mes côtés. C’est la première fois que je me rends à Vanhoover. D’habitude avec mon époux, nous allons dans le sud, en vacances près de la Neigh Orléans. Mon mari a hérité d’une ancienne plantation de sucre qui appartenait à ses ancêtres.

A ces mots, les pavillons de mes oreilles pivotèrent. Tiens ? Une véritable plantation ?

_Les aïeux de votre époux faisaient travailler le sucre par des esclaves, je suppose ? demandais-je.

_Oui, répondit-elle, un peu honteuse. Mais rassurez-vous, ils les ont affranchis dès l’issue de la crise d’Odahcaf.

A l’annonce de ce nom, mes lèvres se retroussèrent d’elles-mêmes dans une moue de dégoût. Je réussis à plaquer un mouchoir sur mon museau, et simulais un haut le cœur. La baronne penserait que le train continuait de me rendre malade au lieu de comprendre que c’étaient ses propos qui me tordaient l’estomac.

Odahcaf était une des plus cruelles humiliations qu’ai eu à subir le peuple licorne. Ca remontait à bien longtemps, au règne de Palladium II, mais ses conséquences se faisaient encore sentir aujourd’hui.

Equestria avait toujours été friande de sucre. C’était vrai autrefois comme maintenant. Mais ce sucre, il fallait bien le produire.

Au sud, les villes qui abritaient les plus grandes plantations comme la Neigh Orléans, s’étaient vite retrouvées débordées par la demande. Les employés poneys ne travaillaient pas assez pour accorder une production suffisante.

Et il n’était pas question de les forcer à s’occuper davantage des cannes à sucre, la Chancellerie terrestre ayant fait passer plusieurs décrets-lois qui protégeaient les travailleurs des trois races.

Un bien bel exemple de stupidité de la part des poneys. Ils voulaient du sucre et interdisaient le seul moyen qui aurait permis de le fournir.

Alors les grands planteurs licornes de la région avaient trouvé une idée : la loi protégeait les travailleurs equestriens. Ce qui par définition, excluait celles et ceux qui n’étaient pas de la nation.

Profitant de leur proximité avec les territoires zèbres et de l’état de guerre perpétuelle qui existait entre les différentes tribus, les planteurs avaient mis sur sabot la plus ingénieuse des combines : ils rachetaient les prisonniers aux différents clans et les employaient ensuite dans les plantations.

Les zèbres travaillaient d’arrache-sabot, se faisaient casser l’échine par les coups de fouet mais ils travaillaient sans relâche. Qu’auraient-ils pu faire d’autre ? Equestria leur offrait la sécurité de leur vie contre leur sueur. C’était un marché honnête.

Mais bien sûr, les choses n’avaient pas duré très longtemps. Un chef de tribu zèbre avait proposé une trêve à ses frères de race, afin de mettre fin à l’accord entre les planteurs et certaines tribus.

L’accord avait été trouvé et les zèbres s’étaient rassemblés au comptoir d’Odahcaf, posant un ultimatum au Conseil des Trois de l’époque.

Soit ils mettaient fin aux méthodes des planteurs pour produire du sucre, soit ils entraient en guerre contre Equestria.

J’avais eu sous le museau les journaux de l’époque et une véritable crise avait déchiré la nation. D’un côté ceux qui soutenaient les planteurs, avançant des arguments économiques, de liberté d’entreprise ou encore militaires car une guerre contre le peuple zèbre, même unifié n’aurait pas été si dure.

De l’autre, ceux qui se plaçaient du côté des sauvages, pensant que ce que vivaient leurs frères dans les plantations était ponettement effroyable et qu’il fallait éviter le conflit avec les voisins du sud à tout prix.

Equestria avait vraiment été divisée et ce, jusqu’au sein du Conseil. Les poneys les plus pessimistes envisageaient même une scission et que chaque race s’en retourne vivre de son côté.

Finalement, le roi Palladium avait contre toute attente pris fait et cause pour les zèbres.

A contrecœur, puisque il avait aussitôt abdiqué en faveur de son neveu, mais il avait tout de même choisi le camp zèbre au lieu de celui de sa propre race.

Résultat des courses, l’esclavage avait été formellement interdit sur tout le territoire equestrien, quelle que soit la race de la personne, et les prisonniers zèbres immédiatement affranchis.

La production sucrière s’était écroulée et des dizaines de grandes familles licornes s’étaient retrouvées ruinées.

Pire encore, le chef zèbre qui avait obtenu la reculade ponette à Odahcaf avait profité de son état de grâce pour fédérer toutes les tribus autour de lui.

Il s’était fait couronner Roi des rois et avait proclamé la naissance de l’Empire zèbre.

Il était devenu Empereur, Negusse Negest comme ils disaient dans leur langue barbare. Depuis lors, les zèbres étaient rassemblés sous une autorité suprême. Enfin, suprême...les sauvages ne pouvaient pas lutter contre leur nature profonde et la stabilité zèbre n’avait pas duré longtemps. Certaines tribus avaient proclamé leur indépendance vis à vis du pouvoir impérial et les primitifs étaient retournés à ce qu’ils savaient faire de mieux : se battre entre eux.

Mais ça ne changeait rien à la gifle diplomatique et économique reçue par les licornes.

La crise d’Odahcaf restait une tache de honte qu’il faudrait effacer un jour. Et je m’en étais donné la charge de le faire.

J’étais la descendante de la princesse Platinium, celle qui avait fondé notre nation. Le sang des plus grandes licornes coulait dans mon sang. C’était mon devoir de reprendre Equestria en sabot avant qu’elle n’aille dans le néant.

Car les terrestres et les pégases ne nous envoyaient pas ailleurs. A Odahcaf ou ailleurs, ils avaient toujours été plus intéressés par leur petit profit personnel ou par entretenir des bonnes relations avec leurs voisins que de régler les vrais soucis de la nation.

A commencer par le métissage.

C’était la base de tous nos problèmes. Le sang mêlé affaiblissait la race, faisant sortir du ventre des mères des poulains dégénérés. Des êtes mous et faibles, qui pliaient devant la difficulté, qui se jetaient dans l'abîme la tête la première.

Il fallait avoir un sabot de fer pour regarder la réalité en face et réagir. Il fallait sortir de sa torpeur et faire ce que l’on attendait de nous.

Unicornia, la nation des licornes. Ce qu’aurait dû être Equestria lors de sa fondation par la princesse Platinium et son conseiller Clover le Sage. Un état-nation de poneys dotés d’une corne, un royaume fort, la terre de la race des seigneurs.

Equestria était un compromis boiteux avec son pouvoir partagé entre les trois races. L’autorité devait être une et indivisible.

Ce n’était pas un hasard si la neige des montages était pure sur ses cimes : “ce qui domine est immaculé”, me répétait mon précepteur quand j’étais petite pouliche.

C’était vrai. Vrai mais incomplet.

“Ce qui domine est immaculé et ceux qui dominent doivent l’être”, voilà quel était mon credo.

Le train se mit à ralentir. Par la fenêtre du compartiment, je pouvais voir la nuit vanhooverienne, noire comme de l’encre avec quelques étoiles qui brillaient dans le ciel, pierres précieuses posées sur du velours.

La ville n’avait même pas de gare en dur. C’était un quai en bois à ciel ouvert, balayé par les vents glacés du nord. Par ma corne, quel pays de primitifs.

_Nous sommes arrivés ! s’exclama la baronne, toute joyeuse. Vous allez pouvoir prendre un peu d’air frais et vous remettre d’aplomb.

Sauf que c’était Vanhoover en elle-même qui me rendait malade, pas le train. Respirer à plein poumons son air vicié ne ferait qu’aggraver ma nausée.

Mais enfin, puisque j’avais fait le voyage jusque ici, il serait idiot de ne pas aller jusqu’au bout.

Pressant toujours le mouchoir contre mon museau, je me levais de ma banquette.

Je passais la première hors du compartiment et me dépêchais de gagner les portes du train. Je ne m’étais pas embêtée à m’isoler du reste des voyageurs pour me mêler à la masse à la sortie quand même.

En quelques pas j’étais sur le quai de la gare, les lattes de bois grinçant sous mon poids. Je portais mon regard tout autour de moi pour voir des bicoques branlantes, mal éclairées et des braseros en pleine rue.

Le confort de mon hôtel particulier ne m’avait jamais autant manqué qu’à ce moment précis.

Je resserrais les pans de mon manteau de fourrure autour de moi alors que les voyageurs descendaient lentement du train. Plusieurs fiacres approchaient de la gare, les conducteurs emmitouflés dans de grosses tenues en laine.

Alors que j’hésitais dans quel véhicule grimper, la baronne me saisit la patte d’autorité et la glissa sous la sienne. Elle avait toujours cette manie de penser que les amies devaient se promener bras-dessus bras-dessous.

Moi, je ne pouvais pas m’empêcher de trouver ça horriblement infantilisant. Sans compter que deux juments qui marchaient dans la rue ainsi, aussi proches...ça allait contre les valeurs dans lesquelles j’avais été éduquée.

L’homosexualité n’était tout simplement pas normale. C’était par définition l’impossibilité d’avoir une descendance, donc une lignée. C’était bafouer l’héritage de ses ancêtres et cracher au museau de ses aïeux.

C’était ni plus ni moins que la négation de sa race. Un pur crime contre la ponyté.

Bon, j’étais au moins assez intelligente pour savoir que cette maladie n’était pas contagieuse, et que ce n’était pas en laissant ma patte à une autre jument que je deviendrais une peloteuse de pouliches.

Mais ça ne voulait pas dire que le contact du bras de la baronne me plaisait.

Le fiacre dans lequel nous entrâmes était bardé d’armoiries dorées, celles de l’ambassade equestrienne qui organisait la soirée à laquelle nous nous rendions.

Alors que le véhicule s’engageait dans les rues glacées, je sortis mon carton d’invitation et le relus.

En lettres gaufrées d’argent, sur un beau papier blanc à entête, mon nom côtoyait l’adresse de l’ambassade vanhooverienne et celui du diplomate qui nous recevrait. Je le regardais avec fierté ce carton parce que je savais que le mien était unique.

Mon rang comptait assez pour qu’on fasse l’effort de personnaliser mon invitation. C’était logique après tout, j’étais une aristocrate du sang.

A une époque où nous étions parasités par la noblesse de robe, les vraies valeurs comptaient encore un peu.

Pendant le voyage, la baronne n’arrêtait pas de me parler. Je ne retenais rien, je me bornais à sourire et hocher gentiment la tête. L’important, c’était qu’elle pense que j’étais à son écoute. Mon monde était un univers de sourires et d’apparences. C’était le paraître qui était tout, la réputation qui était l’essentiel.

Je n’aimais pas beaucoup la baronne. Elle était superficielle et idiote. Mais je lui devais le respect. C’était une licorne après tout et ses ancêtres s’étaient distingués en servant fidèlement la couronne. Quelque part dans ses veines, pulsait le sang de la race des seigneurs.

Le fiacre roula sur une grosse pierre et le véhicule tressauta. J’étouffais un juron. Ils n’étaient même pas capables de paver leurs rues. Quels minables.

J’avais au moins un espoir, la soirée devait être tenue par une licorne. On pouvait prier pour un minimum de confort dans ce lieu de perdition.

Je sentis mon cœur se réchauffer quand je tirais les rideaux du fiacre en arrivant en l’ambassade. C’était un bâtiment en bois certes mais ouvragé. Les piliers qui soutenaient les étages supérieurs avaient été gravés et des flambeaux colorés encadraient la porte d’entrée. Des domestiques patientaient devant l’ambassade, pour aider les invités à sortir de leur voiture et ne pas trébucher contre le marchesabot.

Je sautais plus que je ne descendis du fiacre, trop heureuse d’être enfin arrivée. Ce n’était pas trop tôt.

Un domestique en livrée fit une élégante courbette avant de nous conduire à l’intérieur.

Dans le hall, les invités confiaient leurs affaires au vestiaire pour être plus libres pendant la soirée. Je donnais mon manteau à l’employé en l’enjoignant bien d’en prendre soin.

Ce genre de fourrure valait à elle seule plus que ce qu’il pouvait gagner en toute une vie.

Mon manteau enlevé, je pus révéler ma tenue de soirée. Une robe fourreau noir d’encre, brodée d’argent. Assez simple, elle allait magnifiquement avec mon pelage gris perle. Mes boucles d’oreilles en platine et mon collier de saphir ne faisaient que sublimer le tout. Mais ceci n’était que de l’apparence, un plus.

La vraie clé, c’était l’attitude.

Cela m’avait pris du temps à savoir comment étirer mon sourire pour qu’il sous-entende des choses interdites, à peaufiner la braise de mon regard, à remettre négligemment en place une de mes mèches acajou en envoyant le sang colorer mes pommettes.

Il fallait capter l’attention du mâle, tendre son filet et le prendre au piège. Ce n’était rien d’autre que de la chasse.

Et j’étais une chasseresse ô combien douée. Pas seulement parce que j’étais belle, mais parce que j’avais compris une chose simple : le corps était une arme, la séduction une technique de combat.

J’étais assez maîtresse dans cet art pour posséder l’amant que je le souhaitais en un tournesabot. Un étalon me plaisait ? Je savais quoi faire pour qu’il soit dans mon lit la nuit-même.

Ou même plus tôt si je préférais passer ma nuit à dormir plutôt qu’à faire l’amour.

C’était amusant d’ailleurs ce choix de mot. “Faire l’amour”. Je n‘avais jamais vu dans le sexe qu’un appel du corps, une manifestation du désir. Une pulsion naturelle, un besoin qu’il fallait combler - et qu’il était très agréable de faire -.

Mais d’amour ? Non. Je ne comprenais pas.

L’amour c’était quelque chose qui allait bien au delà de l’union des corps. C’était quelque chose qui parlait à l’âme, au cœur, aux tripes. C’était ce sentiment débordant que j’avais pour toutes les licornes, de tous les âges, les mâles, les femelles, les enfants à naître et celles qui n’étaient plus que cendres.

J’aimais ma race, d’un amour si fort et si puissant que c’en était vertigineux. Cet amour qui me faisait considérer avec plaisir la compagnie de la baronne qui était tellement stupide, cet amour qui me faisait suer sang et eau pour le bien de mes semblables, cet amour qui me rendait physiquement malade quand je voyais une licorne, héritière de millénaires d’histoire et de pureté raciale, se compromettre dans le métissage et l'abâtardissement de son espèce.

Mes sabots claquèrent sur le sol alors que je passais la grande porte pour pénétrer dans la salle de bal. Une pièce vraiment grande, au sol poli, avec de grands lustres qui éclairaient jusqu’au moindre recoin de la salle. Plusieurs invités discutaient ici et là ou bien dansaient , tentant de suivre le rythme d’un pianiste posté en bout de pièce. Je sentis la chaleur de la salle me gagner.

Un monde de dorures et de paroles. J’étais dans mon univers.

Je me tenais encore sur le pas de la porte quand une licorne en smoking vint jusqu’à moi. Robe vert amande, courte barbe brune, j'en avais déjà assez entendu parler pour savoir que je me trouvais devant l'ambassadeur, notre hôte de la soirée.

_Madame la duchesse, dit-il en me prenant la patte et en me faisant un baisesabot. Nous sommes très heureux de vous compter parmi nos invités de ce soir.

_Mademoiselle, rectifiais-je avec un petit sourire. Et pour ma part de sortir un peu de chez moi monsieur l'ambassadeur. Vous n'imaginez pas à quel point Canterlot peut-être ennuyeuse quelquefois.

Je n'avais pas précisé ma situation par coquetterie. Quelque part, si on avançait bien le fait qu'on avait pas de bague à la corne, les mâles s'imaginaient bien plus vite que personne ne partageait votre vie. Et c'était d'autant plus facile de les attirer dans son lit quand ils pensaient que la place était libre.

_Canterlot me manque pour tout vous avouer mademoiselle, soupira le diplomate. Je sais que c'est un peu idiot pour un plénipotentiaire de garder des attaches au pays mais...

_Vous seriez un bien mauvais serviteur de la couronne si vous n'y mettiez pas du cœur, le confortai-je en posant mon sabot sur son épaule. On aime son lieu de naissance. C'est comme ça.

Oui. C'était une fierté naturelle, la même qui me faisait sentir honorée de la corne qui ornait mon front. Ce n'était pas du chauvinisme.

C'était quelque chose d'aussi normal que respirer, boire et manger.

_Je suppose que vous avez raison, dit-il dans un petit sourire.

_Dites moi, lui demandais-je en commençant à déambuler dans la salle de bal, la licorne m'épaulant, j'ai entendu dire que mon oncle pourrait être des nôtres ce soir ?

_J'ai effectivement fait parvenir une invitation à Sa Majesté, confirma l'ambassadeur d'un coup de museau, mais je crains qu'il ne puisse faire le déplacement. Le roi ne jouit plus d'une excellente santé, il faut qu'il modère ses voyages vous savez...

Et comment que je le savais que le vieil Aurum n'allait plus en rajeunissant. C'était bien la raison de ma présence à Vanhoover ce soir.

J'avais une cible à prendre dans mes filets. Une proie princière.

Les invités étaient à présent nombreux. Les poneys étaient tous très bien habillés, même s’il était clair que les terrestres avaient l’air de paysans endimanchés. Les pégases aussi brutaux soient-ils, avaient une certaine classe dans leurs uniformes rutilants.

_Je vais devoir vous demander de m'excuser , me demanda t-il en s'éloignant à petits pas de moi. Le devoir m’appelle.

_Alors courez y répondre, lui ordonnais-je dans un rire. Mais ne vous éloignez pas trop, dis-je en souriant et en laissant mon sabot sur son épaule jusqu'à ce qu'il parte.

Flirter avec l'ambassadeur n'était qu'une manière pour moi de me mettre en jambe. Je ne pouvais espérer être au summum de mes capacités de séduction sans m'échauffer un peu avant, et le diplomate tombait à pic pour ça.

Et c'était toujours mieux de jouer avec un poney qui avait du pouvoir qu'avec un qui en était dépourvu. Les retombées étaient toujours plus intéressantes.

Je regardais autour de moi et constatais que la personne que je voulais voir ce soir n'était pas encore là. Autant grignoter quelque chose en attendant.

Je me faufilais entre plusieurs invités jusqu'au buffet. Les domestiques avaient déposé des petits fours et des coupes de champagne sur des tables recouvertes d'une nappe blanche. Beaucoup de poneys se pressaient autour de cette nourriture gratuite. Etait-il besoin de préciser que la plupart étaient des terrestres ? Par ma corne, il y avait de quoi être dégoûtée. Cette race qui plaçait la réussite individuelle par dessus tout, qui pensait qu'avoir un compte en banque gonflé était signe de réussite, agitez leur quelque chose de gratuit sous le museau et ils mordaient dedans sans en regarder la couleur.

Le plus effroyable chez les terrestres, c'était sans doute leur système politique. La démocratie.

Rien que le nom me donnait des vapeurs.

Il n'y avait pas système plus boiteux. Comment pouvait-on imaginer une seconde que la masse savait ce qui était bon pour elle ? Il n'y avait pas plus bête et animal qu'une foule, elle naviguait à l'instinct, ravalée au rang inférieur de la ponyté.

Je n'imaginais même pas une démocratie licorne fonctionner, alors une démocratie terrestre ? Et puis quoi encore ?

Cette idée d'égalité, que chaque voix en valait une autre...c'était nier la différence, le talent, le rang.

Je ne tenais pas forcément les pégases en plus haute estime mais au moins, leur dictature militaire était hiérarchisée et organisée. Chacun à la place qu'il devait occuper et c'était très bien comme ça.

Arrivée devant la table, j'hésitais entre deux parts de quiche aux fines herbes.

L'une était mouchetée de persil et l'autre, d'origan. Je me décidais finalement pour celle du plat de gauche. J'avais toujours eu un faible pour le persil.

Alors que je m’apprêtais à lancer un sort pour le porter à ma bouche, un sabot surgit dans mon champ de vision et s'empara du morceau de quiche. Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, un pégase assez gras, en costume d'officier l'avait fourré dans sa gueule. Il mastiquait bruyamment.

_Quoi ? me demanda t-il, projetant des miettes de quiche sur son uniforme alors que je le foudroyais du regard.

_Vous avez pris la dernière part de quiche, soulignais-je, les lèvres pincées.

_Fallait être plus réactive ma p'tite dame, m’asséna t-il sans sourciller. Pis c'est mieux pour vous non ? Les femelles, ça aime toujours faire des régimes.

Mes lèvres se pincèrent d'autant plus. Voilà tout à fait ce que je détestais chez un étalon : grossièreté et machisme.

Comme si le fait d'avoir un appendice ou non qui pendait entre les jambes rendait un poney meilleur qu'un autre !

C'était le rang, le sang et la race qui rendaient certains d'entre nous supérieurs aux autres. Je l'étais sur les trois points par rapport au goujat : j'étais duchesse, héritière de la princesse Platinium et licorne, là où il n'était qu'un soldat sans doute fils de militaire et représentant de l'espèce la plus rustre d'Equestria.

Et pourtant il osait me considérer avec mépris, moi !

Sans dire un mot, je pris une coupe de champagne par magie et la portais doucement à mes lèvres. Le pégase me regardait en gloussant, imaginant sans doute que j'avais besoin d'alcool pour me calmer les nerfs.

Le champagne allait bien m'aider en fait, mais pas comme il le pensait.

Je lançais soudainement la coupe en avant, droit sur l'étalon. Le verre le toucha à l'épaule et le vin, déjà à ras-bord déborda tout à fait. Le liquide imbiba son bel uniforme, souillant ses galons et plaquant le tissu contre sa peau graisseuse.

_Mais vous êtes complètement malade ! beugla t-il en s'essuyant pitoyablement à même les sabots.

_Il fallait être plus réactif, dis-je avant de m'éloigner d'un air triomphant.

Le pégase était médusé et je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir à quel point j'avais porté un coup à sa réputation. Les poneys du buffet bruissaient déjà de rires. Une jument qui remettait en place un étalon, qui plus est soldat de l'armée equestrienne, ça n'arrivait pas tous les jours.

Mais j'étais comme ça. Je rendais coup sur coup et quand on osait m'humilier, je frappais si fort en retour que plus jamais mon ennemi n'osait penser s'opposer à moi.

Cela me permettait de me défaire de problèmes à l'avenir et renforçait mon aura. On savait qu'on ne s'opposait pas à moi sans en subir les conséquences.

L'incident du champagne m'avait faite bouillir. Si j'avais été dans le calme de mon hôtel particulier, j'aurais bien fracassé quelques vases que je réservais à cet usage exclusif, mais j'étais en soirée.

Je respirais profondément par les naseaux, espérant évacuer ma colère. Ce n'était pas facile. J'étais une ponette sanguine. Ce qui ne déplaisait pas à mes amants du reste, mais je devais garder la tête froide. Surtout ce soir. Ce n'était pas le moment de faire la pouliche.

Si je jouais bien les cartes que j'avais en sabot, l'avenir d'Unicornia était assuré.

Et à propos de ça...mes yeux furent attirés par une couleur vive à l'entrée de la salle de bal. Se pouvait-il que ?

Je me frayais un chemin pour mieux voir. Une licorne mâle à la robe rose pâle, à la crinière noire et au costume cravate blanc venait de faire son entrée dans la pièce. Elle avait à peine fait un pas que l'ambassadeur s'inclinait profondément devant elle, imité par beaucoup d'autres invités.

Je souris. Il était là.

Le prince Bronze, fils unique de Sa Majesté le roi Aurum III, souverain des licornes. Héritier de la couronne des licornes, l'avenir de notre race, accessoirement mon cousin éloigné.

Et ma proie de cette nuit.

Je plaquais le plus charmant de mes sourires sur mes lèvres et louvoyais jusqu'au prince. Il n'était pas vraiment beau, avec son museau un peu long et une de ses pattes plus courte que les autres. Mais ce n'était pas pour son physique que je le voulais.

Comme je l'avais dit, Bronze était l'avenir de notre race. Un avenir qui ne pouvait s'écrire sans moi.

Lorsque j'atteignais le prince, l'ambassadeur était toujours en train de lui tenir la jambe.

_Sachez votre altesse que Vanhoover est plus honorée que jamais de vous recevoir.

_C'est plutôt moi qui suis ravi d’être là, monsieur l'ambassadeur, lui assura la licorne rose. Mon père m'a chargé de vous transmettre ses plus sincères salutations et combien il regrette de ne pas avoir pu se déplacer en personne ce soir.

_L'important c'est que la couronne soit là, vous ne pensez pas ? demandais-je en me glissant devant le prince.

_Absolument, confirma l'ambassadeur après un blanc, visiblement surpris de me voir surgir au milieu de la conversation. Votre Majesté, puis-je vous présenter la duchesse...

_Nous nous sommes déjà croisés à quelques reprises, rappelais-je au prince avec un grand sourire, coupant le diplomate avant qu'il ne donne mon nom.

C'était en partie vrai. J'avais déjà essayé d'approcher Bronze à deux reprises, voici quelques mois. Mais j'avais échoué à ces deux tentatives. La première fois parce que la prince était parti presque immédiatement, rappelé au palais pour des affaires urgentes, et la seconde parce que le roi Aurum bousculant son agenda, s'était finalement rendu à la soirée, et que son fils l'avait efflanqué pendant toute la fête.

Mais ce soir, Bronze était seul. Seul et à moi.

_Alors je suis impardonnable d'avoir oublié d'aussi beaux yeux que les vôtres mademoiselle...me glissa la licorne en s'inclinant.

Je pouffais, lui jetant un regard flatté.

Alors comme ça, il se prenait au jeu ? Parfait. C'était bien plus amusant ainsi.

Sans laisser à quiconque dans la foule le temps de s'adresser au prince, j'enroulais ma patte autour de la sienne et l’entraînais de force au milieu de la salle de bal.

_J'ai envie de danser, dis-je en guise de réponse à son regard surpris.

_Je risque de vous décevoir. Je ne suis pas le meilleur danseur d'Equestria.

_Je vais vous apprendre, lui assurais-je alors que nous gagnions la piste de danse et que nous nous mettions en position. A ce qu'on dit, je suis une maîtresse plutôt douée.

Un simple sourire suffirait cette fois. Pas la peine qu'il réalise que j'avais utilisé un mot à double sens à dessein. Mais il ne pourrait s'empêcher de se poser la question.

Nous nous dressâmes sur nos pattes arrière et je corrigeais notre position. Sabots droits se touchant, mon sabot gauche sur sa patte gauche, et son sabot gauche sur mon dos.

_Détendez-vous, dis-je à Bronze que je sentais tendu. Laissez vous porter par la musique. Et s'il le faut, laissez moi le sabot. Quelquefois, c'est bien aussi quand la jument mène le jeu.

Cette fois-ci, j'enrobais la fin de ma phrase d'une chaleur prononcée. Il n'y avait pas de double sens à proprement parler mais c'était mon intonation qui donnerait toute sa signification érotique.

Et avant que le prince ne puisse s'interroger plus en avant, j'avais donné la première impulsion et nous entrions dans la danse.

Un deux trois, un deux trois.

Effectivement, Bronze était un piètre danseur. Mais ça ne m'étonnait que peu. D'après les rumeurs que l'on entendait sur lui, le prince héritier goûtait assez peu les festivités et les activités de ce genre. C'était un poney calme et posé, remarquablement intelligent mais pas très sociable. Il ne se mêlait à son peuple que lorsque il devait le faire et avec l'âge de son père qui ne cessait de grimper, il se retrouvait de plus en plus dans ce genre de situation.

Il avait mon respect pour cela. Savoir aller contre ses préférences et ses goûts pour bien de sa charge, c'était quelque chose que tous ne feraient pas. Et même chez les licornes.

_Vous ne vous débrouillez pas si mal que cela, dis-je pour encourager le prince.

_Vous êtes gentille.

_Franche, répliquais-je en riant.

Flatteuse en fait. C'était toujours bien de conforter les mâles dans leur ego. Si fragiles ces petites bêtes là quelquefois...

Et un deux trois, un deux trois. La valse suivait son cours et même si je devais faire attention à ce que Bronze ne m'écrase pas les sabots, je prenais presque un peu de plaisir à danser.

Pas tellement parce que j'aimais bouger au rythme de la musique, mais parce que la danse était un excellent moyen de séduction. Pensez-y une seconde : un couple enlacé, qui bougeait en rythme pour se donner du plaisir. On était pas loin de la définition même du sexe.

Il y avait une grande charge érotique dans la danse et savoir comment quelqu'un se déplaçait au son de la musique, permettait déjà de se faire une idée de ses capacités au lit.

Et pour l'instant, ce que je voyais de Bronze me plaisait : un peu maladroit et hésitant, mais il faisait des efforts pour s'appliquer.

Le genre d'étalon que j'aimais bien prendre en sabot.

La musique finit par ralentir, puis s'arrêter. Comme les autres danseurs, nous gratifiâmes le pianiste de quelques applaudissements polis.

_Danser m'a mise en nage, dis-je en passant le revers de mon sabot sur mon front. Est-ce que vous accepteriez de prendre le frais quelques instants avec moi ?

Bronze ouvrit la bouche pour répondre mais j'avais déjà repris sa patte et nous dirigeais au fond de la salle. Une porte extérieure qui donnait sur les jardins de l'ambassade avait été ouverte, pour permettre aux invités de fuir l'atmosphère étouffante de la pièce.

Il faisait très noir au dehors. Hormis quelques flambeaux placés ici et là, jouxtant de petites haies à la prançaise, le jardin était plongé dans l'obscurité.

Le bruit d'une fontaine venait jusqu'à nous.

Je lançais le prince sur quelques banalités de cour auxquelles il répondit bien volontiers. Alors que nous nous enfoncions dans le jardin, je ne pus réprimer un frisson. Il faisait sacrément froid.

Quelques secondes plus tard, Bronze ôtait sa veste de costume pour la mettre sur mes épaules. Je le remerciais chaleureusement.

Jouer sur la galanterie des étalons, c'était simple quelquefois.

_Dites moi votre Majesté, demandais-je en resserrant le tissu blanc contre ma robe, comment voyez-vous l'avenir ?

_Comment cela ?

_Celui d'Equestria. Celui de la couronne.

_Et bien, murmura t-il après quelques secondes de réflexion, plutôt de façon positive. Après tout, mon père a su tisser des liens d'amitiés avec nos voisins, la nation avance chaque jour un peu plus...tout n'est pas encore parfait mais nous y allons. A petits pas.

_Moi j'ai plutôt l'impression que nous courrons votre altesse. Droit vers l'abîme.

_Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? me demanda le prince.

_Vous n'allez pas me faire croire que vous ne le voyez pas, vous, à la cour ? Les terrestres qui ne pensent qu'à gagner plus de bits chaque jour, les pégases qui veulent régler tous nos soucis par la force brute...il ne reste plus que nous, les licornes pour amener Equestria dans la bonne direction.

_Je vous trouve bien dure...nous vivons en paix avec les terrestres et les pégases depuis la première Veillée Chaleureuse. Depuis la naissance d'Equestria.

_Et grâce à qui ? A Clover le Sage qui a utilisé ses pouvoirs pour sauver les fondateurs. C'est par ceci que notre nation est née, dis-je en effleurant du sabot la corne rose du prince. Et c'est par ceci que nous devons la défendre aujourd’hui.

Faisant descendre mon sabot à la base de la corne du prince, je commençais à effleurer sa crinière.

_Vous êtes le prince héritier des licornes. Votre sang est aussi pur que le mien, le plus bleu d'Equestria. Nous partageons le même but, le bien de notre espèce. Alors pourquoi ne pas partager plus ?

_Je ne comprends pas, balbutia t-il.

_Ce que je vous propose, dis-je doucement en me rapprochant de lui, c'est notre union. Je vous offre mon concours tout entier pour la cause licorne. Mon concours absolu. Mon concours total.

Je plaçais mon second sabot à l'opposé du premier et emprisonnais son visage en coupe. Je frôlais son museau avec le mien quelques secondes et me penchai à son oreille.

_Pensez à ce que nous pourrions accomplir ensemble, votre altesse. Ensemble, nous pouvons sauver notre race. Tous ces enfants à naître qui verront le jour grâce à nous, à notre politique. Nous pouvons redonner aux licornes la place qu'elles méritent d'avoir. Nous pouvons faire advenir pour de bon la race des seigneurs.

Je me blottis au creux de son cou et l'effleurais de mes lèvres. Je le sentis frissonner et j'étais certaine que le froid n'avait rien à voir là dedans.

_Et vous m'auriez pour vous tout seul votre Majesté. Pour vous et personne d'autre.

Je me reculais très légèrement pour lui jeter le plus érotique de mes regards.

_Tout ce que vous avez à faire, c'est de vous laisser tenter. Et je vous offre même un avant-goût.

Je fermais les yeux et me penchais. Voilà. C'était dans la poche. Il allait m'embrasser en retour et la partie était gagnée. Je n'aurais plus qu'à trouver un coin tranquille dans l'ambassade – il faisait quand même froid pour faire l'amour dans le jardin – et mon succès était assuré. Savoir que dans quelques minutes, j'allais devenir la maîtresse du prince héritier, voilà qui m'excitait au plus haut point.

Je sentais que j'allais prendre beaucoup de plaisir au cours de cette soirée…

Mais rien. Je ne sentais le goût d'aucune lèvres sur les miennes.

J'ouvris les yeux pour m'apercevoir que Bronze m'éloignait lentement mais fermement de lui.

_Je refuse, dit-il simplement.

_Quoi ? dis-je éberluée. Tu ne peux pas être sérieux. Tu as entendu ce que je te propose ? Tu as vu ce que je t'offre ?

_J'ai bien compris. Et je vous le répète, je n'accepte pas votre proposition.

C'était incompréhensible. Tout s'était déroulé selon mon plan, je lui avais mis le sabot dessus dès le début, nous avions dansé, j'avais fait des allusions quasi explicites, j'allais jusqu'à m'offrir à lui...mais qu'est-ce qui clochait chez lui à la fin ?

Une hypothèse me vint, et avec elle un spasme d'horreur.

_Tu es inverti ?

_Non, je ne suis pas homosexuel, répondit Bronze en faisant un pas en arrière. Et je n'aime pas plus les juments que ça d'ailleurs. Je suppose que je ne suis pas comme ça, voilà tout.

Il marqua un blanc.

_Et j'ajouterais que si j'aime ma race, mademoiselle, ce n'est pas au détriment des deux autres. C'est là où réside notre différence.

Un halo bleuté entoura la veste de costume du prince que je portais toujours sur les épaules alors qu'il la ramenait magiquement à lui.

_Je vous souhaite une bonne soirée, duchesse, m’asséna t-il avant de rentrer en direction du bâtiment.

Je restais interdite, choquée, la bouche grande ouverte au milieu du jardin.

Je manquais d'écraser mon sabot contre mon visage. Un asexuel. Celui que je tentais de mettre dans mes draps depuis des mois était un asexuel !

Je sentis la colère me gagner à vitesse grand V. Il fallait que je me passe les nerfs sur quelque chose. Du coin de l’œil, je vis une statuette en pierre immonde qui semblait me jeter un regard moqueur. Je donnais une ruade dans son socle pour la faire tomber. Elle s'écrasa sur l'herbe en l'aplatissant.

Tremblante de fureur, je la frappais des quatre pattes, malmenant la corne de mes sabots, jusqu'à ce que la pierre ne soit plus que gravats.

Tant d'efforts, de stratagèmes, de plans, réduits à néant parce que ma proie était anormale ! Anormale !

Je respirais vite et fort. Un cocktail détonnant de rage, de déception, d'amertume et d'excitation sexuelle qui n'était pas encore retombée se mêlait en tempête sous mon crâne, ne demandant qu'à sortir. Je me défoulais en frappant la haie à l'aveugle, malmenant ma robe, fichant des épines dans mon pelage.

Les larmes me montaient aux yeux alors que je détruisais cette partie du jardin. C'était injuste. Injuste !

Pour la première fois depuis longtemps, je ne savais pas quoi faire. J'avais toujours prévu de m'approcher du pouvoir par le lit du prince, et ensuite l'aiguiller pour qu'il provoque l'avènement d'Unicornia. Mais maintenant qu'il m'avait repoussée...sans compter qu'il m'avait fait comprendre qu'il avait de la considération pour les terrestres et les pégases. Même en simple conseillère, je ne pouvais rien faire.

Je me sentis lasse, très lasse. J'étais dans un trou perdu, à la limite du territoire des ours, mon rêve d'avenir détruit, et humiliée comme jamais.

Je devais rentrer chez moi. J'allais quitter la fête sur l'heure et regagner Canterlot. J'avais besoin d'un bon bain brûlant pour me remettre les idées en place. Et quitter ce Vanhoover de malheur.

Je regagnais l'entrée de l'ambassade sans passer par la salle de bal. Ma robe était dans un état lamentable et surtout, je n'avais aucune envie de recroiser ce maudit prince Bronze.

Et tant pis pour mon manteau de fourrure. Je le ferais porter chez moi plus tard.

Devant le bâtiment, sous le regard surpris des domestiques qui voyaient une dame à la toilette défraîchie surgir de l'obscurité du jardin, je grimpais sans un mot ni un regard dans le premier fiacre qui s'offrit à moi.

_Mademoiselle, m'entendis-je dire alors que je refermais la porte, cette voiture est déjà prise !

Et en effet, il y avait déjà un passager. Une licorne mâle, à la robe crème, à la crinière bleue et la moustache de cette même couleur.

_Laissez, ordonna l'étalon au chauffeur. Nous partagerons cette course. Vous allez à la gare, je présume ?

Je hochais la tête et la licorne tapa du sabot contre la paroi du fiacre pour donner le signal du départ au chauffeur. La voiture s'ébranla.

Quelques minutes passèrent, seulement troublées par le cahot de la route.

_Je ne voudrais pas me montrer impoli ou indiscret, me demanda l'étalon, mais puis-je savoir ce qui vous est arrivé ?

_Accident de jardinage, soufflais-je laconiquement.

_Vous aviez décidé de jardiner dans cette tenue ? questionna t-il, levant un sourcil.

_D'où l'accident, dis-je toujours aussi pince-sans-rire.

La licorne à la crinière bleue pouffa.

_Vous avez de la répartie. J'aurais du tomber sur vous plus tôt dans la fête, ça m'aurait convaincu de rester.

_Alors pourquoi est-ce que vous vous en allez ?

_Il y a des limites à la patience d'un aristocrate, dit-il, jouant avec sa moustache. Et j'ai beau faire des efforts, les terrestres et les pégases n'en font guère eux.

Je dressais l'oreille. Est-ce qu'il venait de...

_Comprenez moi bien, je suis quelqu'un de tolérant, poursuivit-il. Mais enfin, si on faisait un peu le ménage dans la société, et qu'on rappelait aux terreux et aux ailés où est leur place, le monde tournerait mieux, vous ne croyez pas ?

_Je suis tout à fait d'accord avec vous, dis-je avec un large sourire.

_C'est heureux de rencontrer quelqu'un que le politiquement correct n'étouffe pas, souligna t-il en souriant à son tour. Je m'appelle Nobilitas, mademoiselle. Mademoiselle ?

_Je suis la duchesse Ira, dis-je en lui tendant ma patte avant qu'il effectue un baisesabot dans les règles de l'art.

Nobilitas garda ma patte dans la sienne une seconde de plus que ce n'était nécessaire avant de la lâcher et d’enchaîner sur la supériorité naturelle des licornes. Je me détendis et me laissais aller jusqu'à croiser les pattes arrière en abondant dans son sens.

Finalement, la soirée se terminerait peut-être mieux que prévu.

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