Le bonheur.... cette notion toute simple, toute bête avait précipité mon départ du territoire changelin. Bien sûr, la nécessité était une autre cause de ma fuite, car je ne pouvais plus décemment rester là maintenant que Chrysalis avait froidement ordonné mon élimination. Mais au fond de moi, je me disais qu’il aurait bien fallu que j’en arrive là un jour ou l’autre.
Depuis que nous étions revenus de Canterlot, je me sentais incomplet, il me manquait quelque chose. Tout portait à croire selon moi que j’enviais les habitants d’Equestria, que je jalousais et désirais leurs sourires. Voilà ce qui avait vraiment motivé ma fuite. Autrement, je me serais sans doute laissé abattre par les laquais de la reine. J’aurais accepté mon sort sans sourciller, si cela pouvait servir les ambitions de notre majesté.
A la place, je m’étais envolé sous un ciel sec en direction d’une ville équestrienne proche. Les rayons de l’astre solaire me brûlaient, la clarté de l’astre lunaire ne parvenait pas à me faire oublier le froid qui me glaçait l’échine. Notre espèce avait beau se nourrir en grande partie d’amour, elle n’en était pas moins soumise au même besoin éprouvé par tous les êtres vivants sans distinction: la soif.
Celle-ci se fit vraiment sentir au bout d’une journée de vol et s’avéra si puissante qu’elle eut une emprise totale sur mon corps et me fit atterrir lourdement sur le sol poussiéreux. Des granulés rocheux parvinrent à s’engouffrer dans ma gorge. Je toussai de toutes mes forces afin de les expulser avant de contempler l’étendue désertique qui semblait s’étirer jusqu’à l’infini.
Je repris la route, en marchant cette fois péniblement. Je me sentais seul au monde, sans la moindre personne pour venir à mon aide. Le silence du désert ne m’aidait pas à penser le contraire. Ce dernier était pesant, presque inquiétant. J’aurais tout donné au cours de ces longues heures d’errances pour croiser sur mon chemin un compagnon de voyage. N’importe qui ou n’importe quoi aurait fait l’affaire.
Le plus frustrant était cette irrépressible envie d’étancher ma soif. Une eau, même boueuse, aurait fait l’affaire. Toutefois, je n’aperçus aucune flaque au cours de ma marche. Ma gorge me faisait atrocement souffrir, tandis que de multiples gouttes de sueur coulaient le long de mon corps noir. Si je ne buvais pas dans les prochaines heures, j’étais perdu.
Comme pour répondre à mes supplications, une oasis se dessina au lointain.
Cependant, notre espèce avait connaissance des dangers et des illusions du désert. Aussi hésitais-je quelque peu avant de me lancer, pensant avoir affaire à un mirage. J’étais tellement assoiffé qu’il me paraissait fort probable que j’hallucinais.
Plusieurs cris d’animaux résonnèrent alors dans mes tympans. Et le doute s’évapora de mon esprit: à moins que je fusse sur le point de mourir (et encore, je doutais que cela fusse possible), il était impossible qu’un mirage puisse agir également sur l’ouïe. Parvenu à cette conclusion, je galopai en direction de la terre fertile sans me poser davantage de questions.
De nombreux animaux s’étaient rassemblés là afin de se désaltérer: des vautours, des scorpions, des serpents, des lézards, des dingos... En ce lieu, il n’y avait plus d’espèces qui tenaient. Chacun était libre de venir se ressourcer à sa guise. Il s’agissait d’un endroit qui échappait aux lois de la nature.
Pourtant, toutes ces créatures décampèrent sans demander leur reste en m’apercevant, à l’exception des êtres aquatiques, qui n’avaient nulle autre endroit où se réfugier. Sur le moment, je n’y prêtai pas attention, trop occupé à plonger la tête la première dans l’eau. Je m’abreuvai goulûment du précieux liquide pendant de longues minutes.
Enfin désaltéré, je m’étendis sur l’herbe et admirai le ciel sans nuages. Le vide de ce dernier me rappela à cet instant que j’étais toujours seul. Ma solitude aurait pu disparaître avec les animaux venant là. Mais pour une raison qui m’échappait, ils avaient fui ma présence. Ou plutôt, il serait plus juste de dire que je refusais de l’admettre.
Je me mis à nouveau sur le ventre et rampai jusqu’au bord de l’eau. Mon reflet me renvoya l’image qui était la triste vérité. J’étais un changelin, un dévoreur d’amour. Ma venue ne devait annoncer que malheur pour ces animaux. Rien d’étonnant à ce qu’ils eussent pris la poudre d’escampette.
Le regard vierge de toute expression de la créature en face de moi me consterna. Je commençais peu à peu à détester tout mon être. Comment pouvais-je espérer voyager sur les terres des poneys avec une apparence pareille ?! J’assénai alors un coup de patte en direction de l’eau qui m’éclaboussa.
Je revins à la raison. N’étais-je pas un changelin? Je pouvais changer d’apparence mon apparence comme je le souhaitais . La soif m’avait sans doute fait oublier les capacités propres à mon espèce. C’était bête: si j’avais revêtu l’apparence d’un animal commun,, j’aurais sans doute pu m’immiscer au sein de ce groupe d’animaux. Quoique... certains d’entre eux pouvaient détecter les intrus à l’odeur. Cela n’aurait pas changé grand chose au final.
Ces réflexions mises de côté, je profitai du reflet accordé par l’eau pour essayer diverses transformations. Ainsi je pourrais m’introduire sans aucun problème dans la société ponette. Je commençais à user de mes facultés de déguisements pour trouver une apparence qui me conviendrait parfaitement.
Au cours de mes tentatives, j’en arrivai à plusieurs conclusions, notamment qu’il me faudrait maintenir cette illusion durant une longue période. Je devais donc effacer le moins de traits possibles de mon aspect initial. Après plusieurs essais infructueux, je compris qu’il me serait plus simple de gommer ma corne plutôt que mes ailes.
En effet, les changelins communs tels que moi-même nous servions finalement relativement peu de cet appendice, au contraire de la reine Chrysalis. Ce fut pour cette raison que j’optai au final pour un pégase à la robe pourpre et à l’opulente crinière cendrée, arborant de surcroît des yeux turquoises.
J’examinai le résultat de ma transformation sous tous les angles, essayant de m’accoutumer à mon nouveau visage. Passée la découverte, j’inspectai scrupuleusement mon reflet, y cherchant la petite bête avec ferveur. A cet instant, je réalisai que j’avais oublié un élément très important.
Il s’agissait du symbole qu’arboraient les poneys sur leurs flancs, que ces derniers nommaient cutie marks. Cela donnait selon eux une indication sur les talents naturels de l’équidé. Je me posai ensuite sur l’herbe sèche, pensant que les équestriens trouveraient sans doute étrange que le pégase d’âge mûr que j’étais supposé incarner n’ait pas encore découvert le sien. Il me fallait remédier à ce problème potentiel, sauf que tant qu’à faire, il valait mieux que cela soit représentatif de ma personnalité.
L’ennui était que je n’avais strictement aucune idée de ce qui me définissait. Je ne me considérais comme un individu à part entière depuis seulement quelques jours ! Comment pouvais-je parvenir à trouver mon talent secret ?!
En désespoir de cause, je portai mon choix sur une feuille de parchemin vierge de toute inscription, accompagnée d’un encrier fermé. C’était pour moi un bon moyen de trancher. Un dernier éclair verdâtre illumina les alentours de l’oasis. J’étais ainsi grimé.
Le soleil commençait à se coucher et je tombais de fatigue. J’eus cependant beaucoup de mal à m’endormir car si en plein jour ce territoire était une véritable fournaise, la nuite venue, il en allait autrement avec un froid régnant en maître absolu.
Néanmoins, je finis par plonger dans un sommeil profond, faisant fi de mes grelottements constants. Le lendemain matin, je repartis de bonne heure, non sans prendre une bonne rasade d’eau auparavant. Malheureusement, je n’avais rien sur moi pour en transporter, ce qui rendrait le restant du trajet périlleux.
Je ne devais pas avoir beaucoup de chance, étant donné que l’astre solaire avait décidé d’être encore plus brûlant que d’habitude. La sueur coulait le long de mon crin pourpre récemment apparu, lentement évacuée par le battement pénible de mes ailes. Je me demandais alors comment notre peuple avait fait pour revenir sain et sauf de Canterlot.
Après une demi-journée de vol ponctuée d’arrêts fréquents, je vis enfin la silhouette d’une ville équestrienne. Un panneau de grande taille portait en guise d’inscription “Bienvenue à Las Pegasus”. Je poussai alors un hurlement de joie tout en atterrissant avant de trotter en direction de ce havre poney, le premier que j’aurais pleinement le temps de découvrir.
Ce fut à cet instant qu’une grande douleur parcourut mes entrailles. Je n’aurais su la décrire précisément, mais on aurait dit une sensation désagréable proche de la faim mêlée à des coups de sabots émanant directement de l’intérieur de mon corps. J’avais l’impression que j’allais réellement y passer cette fois.
Le paysage de la cité ponette devint flou et bascula sur le côté, avant de disparaître définitivement de mon champ de vision… J’avais perdu connaissance, probablement à cause de la fatigue accumulée durant ce voyage.
Je revins à mes esprits alors que la lune s’était déjà levée. Il me fallut pratiquement une minute pour comprendre que je me trouvais dans un bâtiment. J’étais allongé confortablement, ma tête blottie dans quelque chose de moelleux. J’étais alité, et à partir de ce constat, je réalisai que j’étais actuellement dans une chambre.
Cette dernière s’avérait pour le moins spacieuse. Une belle armoire ancienne en chêne me faisait face. Une brise délicate s’engouffrait par l’ouverture d’une fenêtre située à ma droite, faisant ainsi légèrement flotter dans les airs ses rideaux en soie. Je respirai cette fraîcheur tout en blottissant davantage sous la couette.
Ce fut seulement après que je découvris l’emplacement de la porte, au moment même où celle-ci s’ouvrit sur une licorne d’âge mûr à la robe blanche avec une très élégante crinière rose. Elle me dévisagea quelques instants d’un air sévère avant de prendre congé en refermant la porte. Un doute m’assaillit : est-ce que j’avais conservé ma transformation, même en perdant conscience ? Je me dépêchai de sortir une patte de l’édredon avant de pousser un soupir de soulagement en constatant qu’elle était toujours pourpre. Voilà qui était surprenant. Je pensais jusqu’alors que les changelins devaient maintenir un contrôle total sur leurs capacités, sous peine de redevenir ce qu’ils étaient, mais il semblerait que j’avais tort.
Une voix féminine, légère, mais non dénuée de charme se fit entendre à proximité:
“Il vient de se réveiller.
-Est-ce vrai ? lui demanda une autre voix, quant à elle masculine. Dans ce cas, allons saluer comme il se doit notre jeune dormeur.”
Quelques bruits de sabots résonnèrent avant que la porte ne s’ouvre une nouvelle fois, laissant passer un étalon licorne. La première pensée qui traversa mon esprit en l’examinant était qu’il illustrait parfaitement la définition d’élégance. Il portait un splendide costume noir avec une rose rouge épinglée par dessus. Cela mettait en valeur sa silhouette blanche et sa crinière bleue azur. Un détail me frappa néanmoins, et il ne s’agissait pas du monocle qu’il arborait à l’oeil droit. Il s’agissait en fait de sa moustache. J’en ignorais la raison, mais j’étais tout bonnement incapable d’ôter mon regard de celle-ci. Tout le charisme de cet étalon semblait émaner à mon avis de cette partie de son visage.
Ce dernier se présenta sous le nom de Sir Fancypants. A l’entente de son titre, je compris qu’il s’agissait d’un de ces étalons de la haute société canterlotienne. Notre peuple était au courant que la société ponette se basait sur un système de classes sociales. Tout le contraire des changelins, où tout le monde avait une égale importance. A l’exception de la reine, bien entendu.
Fancypants entra alors dans le vif du sujet :
“Ma compagne et moi-même vous avons trouvé gisant inconscient dans une artère située à proximité de l’entrée de la ville. Vous n’aviez rien sur vous. Etant donné que vous transpiriez beaucoup, nous vous avons conduit dans une clinique à proximité. Là, le médecin nous a alors expliqué que vous aviez seulement besoin de repos. Il m’avait également proposé de vous héberger, mais j’ai préféré décliner son invitation, estimant que vous seriez mieux installé dans l’un des confortables lits de l’hôtel où nous nous trouvons actuellement.”
J’écoutais attentivement ses paroles, peinant à réaliser la chance que j’avais eu, notamment lors de l’examen médical. Ce médecin n’avait sans doute pas été exhaustif dans son diagnostic, car il se serait certainement rendu compte de ma véritable identité. Je bredouillais quelques mots de remerciement une fois son récit achevé qui firent sourire l’étalon cornu, qui m’avoua que n’importe quel poney aurait agi de la sorte en voyant dans le besoin l’un de ses semblables. Après cela, il me demanda mon nom. Je ne lui en donnai pas. En effet, je n’avais pas du tout réfléchi à ce détail durant cette traversée du désert. Je fis mine de réfléchir intensément avant de lui répondre avec ce mensonge des plus simples:
“Je ne me souviens de rien.”
Mon hôte me contempla pendant quelques secondes, l’air perplexe avant de déclarer qu’il était probable que je sois amnésique. Selon lui, je devais sans doute occuper une profession de livreur en papeterie au vu de ma cutie mark et j’avais dû avoir un accident quelconque au cours. Je hochai la tête en signe d’assentiment, sans pour autant m’arracher de la contemplation de sa moustache. Fancypants émit quelques murmures incompréhensibles avant de me proposer finalement comme nom temporaire celui de “Nameless”.
“Il s’agit du nom que nous avons coutume de donner aux poneys infortunés ayant perdu leurs souvenirs, m’expliqua-t-il. Est-ce que cela vous convient ?”
Je répondis par l’affirmative, trouvant personnellement qu’il s’agissait là d’un nom fort approprié pour un changelin qui n’avait pas d’identité propre. Mon interlocuteur, pensant sans doute que je devrais passer la nuit à récupérer, me pria de m’installer à mes aises avant de me laisser, sortant en compagnie de l’autre licorne.
Une fois parti, je m’allongeai sur le lit, me lovant confortablement entre toutes ces matières si douces. Il ne me fallut que quelques minutes pour plonger une fois encore dans un sommeil sans rêves. J’étais tellement épuisé que le matelas me semblait être le plus grand réconfort que l’on puisse imaginer. Je dormis ainsi jusqu’au milieu de la matinée où je fus réveillé par Fancypants qui me suggéra de descendre afin de prendre le petit déjeuner. En guise de réponse, j’extirpais mon corps pourpre des draps et étirai un peu mes ailes en gémissant, avant de suivre l’étalon cornu au rez-de-chaussée où se trouvait déjà celle qui l'accompagnait.
La salle principale s’avérait des plus spacieuses et pouvait accueillir à ses tables une bonne cinquantaine de clients. La plupart des places étaient déjà prises au moment où nous descendîmes un escalier à la rambarde soigneusement lustrée. Il ne faisait à présent aucun doute que je me trouvais dans un hôtel de luxe.
Lorsque nous fûmes installés à table, la licorne à la crinière rose nous annonça qu’elle avait déjà passé commande de tartines au mimosa, accompagnées d’un jus de pommes fraîchement pressé. Fancypants la remercia avant de se tourner en ma direction pour me la présenter:
“Vous l’avez déjà quelque peu aperçu lors de votre premier réveil, mais voici la jument voyageant actuellement en ma compagnie, Fleur de Lys.”
La licorne me tendit son sabot droit. Il me semblait avoir entendu qu’il était coutume dans la haute société équestrienne d’embrasser le sabot d’une jument qui le présentait. Je pris le risque en approchant mes lèvres tremblotantes de la patte de Fleur de Lys avant d’y déposer un baiser maladroit. Néanmoins, je vis au léger sourire au coin de la jument que je ne m’étais pas trompé. Son compagnon fit alors d’un ton amusé :
“Au moins, vous n’avez pas oublié les convenances, monsieur Nameless !”
Nous nous mîmes à rire tous les trois tandis que le personnel de l’hôtel apportait les commandes. En les voyant déposées sur la table, un petit gargouillis se fit entendre dans mon estomac, et ne fut heureusement ressenti que par moi. Pourtant, cette réaction n’était pas déclenchée par le repas, mais par le couple qui se tenait devant à mes côtés.
Mon corps le sentait. C’était dans sa nature intrinsèque. Il sentait qu’un puissant sentiment unissait les deux licornes. Il sentait également que les tartines devant lui ne calmerait pas sa faim. Il sentait tout simplement qu’il devait dévorer sans en laisser la moindre trace l’amour de Fancypants et Fleur de Lys.
Je dûs faire des efforts considérables afin de contrôler mon instinct. Mais même ainsi, un léger flot d’écume s’échappa de mes lèvres. Ce détail n’échappa pas à mon sauveur qui n’y vit fort heureusement que la marque d’une grande faim. Cela dit, il n’était pas si loin de la vérité :
“Je crois qu’il était grand temps de remplir votre estomac ! déclara-t-il en riant.
-En effet, me contentais-je de répondre tout en prenant la serviette à côté de mon assiette pour m’essuyer la bouche.”
La conversation se poursuivit longtemps encore entre nous trois, même si Fleur de Lys parlait peu, jusqu’à ce que ma panse soit remplie. Mais si mon estomac était rassasié, le reste de mon corps continuait de désirer ce qui liait Fancypants et sa compagne, au point que je commençais à suer à grosses gouttes. Je fis de mon mieux pour le cacher à l’aide de la serviette. La licorne moustachue déclara alors d’un ton délicat :
“Bien. Je crois qu’il est temps pour nous de poursuivre notre route.
-Vous partez déjà ? demandai-je avec surprise.
-Oh, cela fait maintenant plusieurs jours que nous sommes à Las Pegasus et il nous reste encore de nombreux horizons à découvrir. A vrai dire, nous étions sur le point de partir quand nous vous avons découvert.”
Heureusement que j’avais adopté une une robe pourpre, sinon ils auraient vu que je rougissais de honte. Je bredouillai quelques mots d’excuses à l’attention du couple. L’étalon se mit à rire gentiment:
“Vous n’y êtes pour rien, voyons ! Nous n’allions tout de même pas laisser un poney dans le besoin, n’est-ce pas, Fleur ?
-Certainement.”
Ce fut à cet instant, à la façon dont elle avait répondu à son compagnon que j’eus le sentiment que si Fancypants n’avait pas été à ses côtés, elle m’aurait sans aucun doute laissé giser au sol. La licorne au monocle se leva alors, rapidement imité par Fleur de Lys. Sa corne se mit à luire, puis un instant plus tard, une petite bourse en tissu sortit d’une doublure de sa veste. L’objet atterrit alors juste en face de moi. Devant mon incompréhension, Fancypants s’expliqua :
“Ce sera difficile pour vous de retrouver les traces de votre passé sans le moindre argent. Cette somme devrait vous être d’une grande aide.”
Je repoussai poliment la bourse en direction de mon bienfaiteur:
“C’est trop. Je ne peux accepter.
-J’insiste. C’est mon devoir en tant que gentlecolt. Cela me fait mal au coeur de l’admettre, mais l’argent aide vraiment dans ce pays.”
Je contemplais le présent de Fancypants avec hésitation. Ce dernier était sans aucun doute bien placé pour savoir comment les choses fonctionnaient à Equestria. J’eus alors le sentiment de profiter de la situation, mais je pris finalement la bourse avant de la placer dans le creux de l’aile gauche. Un sourire s’afficha alors sur les lèvres de l’étalon avant que je prenne la peine de le remercier une nouvelle fois.
“Ce n’est rien, rétorqua-t-il, j’espère que nous aurons le plaisir de nous revoir un jour et que d’ici-là, vous aurez recouvré la mémoire afin de m’apprendre votre véritable nom, monsieur Nameless.”
Je me levai alors à mon tour afin de saluer respectueusement les deux licornes, même si je décelais une certaine froideur chez Fleur de Lys. Le couple tourna alors les sabots avant d’aller en direction de l’entrée. J’attendis qu’ils furent partis avant de me remettre à table afin de profiter de ce qu’il restait de mon petit déjeuner. Néanmoins, même si je trouvais ces tartines au mimosa délicieuses, j’avais le sentiment d’avoir loupé un plus savoureux repas en laissant s’éloigner mes bienfaiteurs. J’effaçai rapidement cette pensée de mon esprit. Je n’étais plus un changelin à présent, mais un pégase amnésique, Nameless. Mon corps devrait juste s’adapter à ce changement de régime alimentaire, voilà tout. Et ces plats valaient bien ma traversée du désert !
Une fois mon petit déjeuner achevé, je voulus aller payer ma commande avant de m’apercevoir que Fancypants et sa compagne avaient déjà payé pour ce que j’avais englouti. Décidément, j’avais eu beaucoup de chance d’être sauvé par cet étalon !
A l’extérieur, les rayons du soleil me caressaient avec légèreté. La chaleur de l’astre me semblait à présent libératrice alors que quelques temps auparavant, elle me paraissait mortifère. Je souriais d’un air béat tout en commençant à arpenter les rues de Las Pegasus. Au bout d’un bon quart d’heure de marche, je pris la décision d’aller m’acheter un costume similaire à celui de Fancypants. Cet étalon serait pour moi le modèle auquel je devais aspirer en tant que poney. Je dénichai après quelques dizaines de minutes une boutique de prêt à porter qui vendait ce genre de tenues, monocle inclus.
La chance ne m’avait pas abandonné, vu que je mis la main sur un exemplaire bradé qui ne me coûtât “que” la moitié de ce que j’avais. Toutefois, en essayant le costume, je m’aperçus qu’il me manquait quelque chose en analysant mon reflet dans la glace. Et ce fut la révélation ! Il me manquait une moustache !
Je payai la somme convenue, avant de me réfugier dans une allée vierge de toute présence. Un éclair vert plus tard, j’étais à présent doté d’une fine et soyeuse moustache cendrée, à l’instar de ma crinière. A présent que je me sentais bien dans ma peau, je repris mon exploration de la cité ponette où je l’avais laissé et comprit rapidement que Las Pegasus était une ville où le jeu régnait en maître.
Pendant un moment, je fus tenté d’entrer dans l’une des nombreuses salles de jeu afin de dépenser à nouveau l’argent de Fancypants. Néanmoins, au moment où j’allais pénétrer dans un tripot, je vis un couple de poneys terrestres en sortir l’air dépités. L’un d’eux, à la robe kaki, lança alors:
“J’étais entré pour faire une simple partie de poker. Au final, j’ai plus un bit !”
En l’écoutant, j’ouvris la bourse offerte par le noble étalon, réalisant qu’elle était initialement bien remplie. Et elle l’était toujours, même à moitié vidée. Pourtant, je fis demi-tour, pensant que Fancypants ne m’avait certainement pas confié cet argent pour que je le dilapide dans le premier casino venu.
Non. Il fallait que je dépense ces bits avec parcimonie. N’ayant aucun talent particulier pour le moment, je me devais d’être économe. Les poneys d’Equestria gagnaient leur argent en exploitant pleinement leur potentiel. Ne sachant que faire du mien, il me semblait bien évident que je n’aurais aucune rentrée de bits avant quelques temps.
Cette décision de ma part en entraîna aussitôt une autre : je ne pouvais pas demeurer à Las Pegasus. Cette ville toute entière était un véritable pousse au crime. Et j’avais envie, comme Fancypants, de découvrir d’autres lieux. Je me mis donc en marche vers cet endroit que les poneys appelaient gare, prenant soin de demander quelquefois le chemin aux passants. La majeure partie d’entre eux se firent une joie de me renseigner. Je me plus alors à penser que le cas de Fancypants n’était certainement pas isolé.
Pour la première fois, j’étais vraiment heureux. J’étais fier d’avoir pris la décision d’échapper au joug de Chrysalis. J’étais fier d’avoir été pour la première fois mon propre maître. De nouvelles perspectives s’offraient à moi et j’étais tout bonnement étourdi devant cet éventail de possibilités. Tellement étourdi en vérité que je ne savais pas quoi faire à l’intérieur de la gare.
Cette dernière s’avérait relativement vaste et était dotée de plusieurs quais, au nombre de cinq pour être plus précis. Des poneys entraient dans les trains et en sortaient dans une sorte de trafic ininterrompu. Et pendant ce temps-là, je demeurais comme une statue devant une grande carte d’Equestria. Partir de Las Pegasus était une chose, mais pour aller où ? Je me rendis compte à quel point la contrée des poneys pouvaient s’avérer vaste. Une seule solution me paraissait valable : choisir ma destination au hasard.
Je fermai donc les yeux et inspirai profondément avant de lever l’une de mes pattes en direction de la carte. Je laissai mon membre aller où il le voulait. Je laissais ma patte faire si longtemps qu’elle commença à me lanciner. Enfin, je me décidai à en reprendre le contrôle et à l’appuyer contre le panneau. J’ouvris à nouveau mes paupières et retirai lentement la patte afin de lire le nom de la ville où je me rendrais. Ce serait donc… “Dodge Junction”. Vendu !
Je passai ensuite au guichet afin d’acheter mon billet et récupéra au fond de ma bourse les quinze bits qu’il coûtait. Je devais concéder que j’avais quelques frissons à l’idée d’exécuter mon premier voyage en train. J’avais le sentiment d’être devenu un citoyen lambda d’Equestria, et non plus l’un de leurs ennemis.
Je patientais peu après en bordure de quai. J’aperçus alors au loin de la fumée, signe que mon transport était arrivé. Les autres poneys qui attendaient sur la voie ferrée s’engouffrèrent littéralement à l’intérieur des wagons sous mon regard ahuri. Ils se poussaient presque les uns les autres afin d’entrer plus rapidement. Je me glissai derrière, pensant que ma vision d’Equestria venait d’en prendre un coup.
J’avais payé une place de seconde classe, toujours par souci d’épargner l’argent dispensé par mon sauveur. Je pris par conséquent le chemin du wagon correspondant et dénichai en tâtonnant un peu une place côté fenêtre. Au moment où je m’installais, le train démarra.
Je regardais par la fenêtre, voyant peu à peu Las Pegasus s’effacer, laissant une fois encore place au désert. Ce paysage désolé me rappelait tristement ce à quoi j’avais échappé. Toutefois, cela signifiait que je n’avait aucune raison d’être abattu, et je pris alors un immense plaisir à voir le paysage défiler à grande vitesse. Au bout de plusieurs minutes, je me décidai à poser mon regard sur le poney terrestre à ma gauche.
Ce dernier, qui était dotée d’une robe noire et d’une crinière blanche, se trouvait en plein contemplation d’une photo. Celle-ci le représentait en compagnie d’une jeune jument terrestre intégralement couleur crème et d’une petite pouliche aux couleurs d’un tournesol. En le voyant si focalisé dessus, je ne pus m’empêcher de lui demander avec un léger sourire :
“Est-ce que ce sont votre femme et votre fille ?”
Surpris, l’étalon rangea par automatisme le cliché dans un recoin de sa veste bleue avant de me dévisager. Un instant après, il me répondit en inclinant la tête. Je le complimentai :
“Elles sont très jolies.
-Merci.”
Le silence s’instaura à nouveau entre nous pendant quelques minutes jusqu’à ce que mon voisin reprenne le dialogue :
“Je suis souvent en déplacement à cause de mon travail. Je n’ai pas souvent l’occasion de revenir à Trottingham.
-Je vois. Elles doivent vous manquer.
-Vous n’en avez même pas idée !”
Oh que si, j’en avais une. Mes sens m’affirmaient sans me tromper qu’il aimait sa famille de tout son coeur. Ils me le présentaient comme un repas de premier choix. Je commençai une nouvelle fois à avoir terriblement mal au ventre. A cela s’ajouta la nausée. Cela ne passa pas inaperçu à mon compagnon qui me demanda alors si cela allait.
“J’ai juste besoin d’aller aux toilettes, ne vous inquiétez pas”
Je me levai de mon siège puis enjamba mon voisin avant de marcher d’un pas précipité dans le cabinet. Une fois à l’intérieur de ce dernier, je déglutis automatiquement dans la cuvette. Cela dura un moment et lorsque je pus enfin m’arrêter, je vis que le trou était rempli des restes de mimosas et de pains. Ça recommençait. A chaque fois que j’étais aux côtés de poneys entretenant une forme d’amour, je me sentais mal. Je savais au fond de moi que je n’avais mangé réellement de la nourriture adaptée à un changelin depuis des semaines. Mon corps réclamait autre chose que ce que mangeait les poneys. Cependant, j’étais résolu à combattre ma nature, peu importe les sacrifices qu’il me faudrait faire.
Je tirai la chasse avant de me nettoyer, pensant que je devais aller chercher quelque chose à manger au wagon restaurant. J’y allais, me sentant à présent remis et en ressortis, la bourse allégée et avec un sandwich aux pâquerettes dans la bouche. Je retournai m’installer à ma place tout en mangeant. Mon voisin me demanda si ça allait mieux, ce à quoi je répondis:
“C’était juste une petite indigestion, ne vous en faites pas.”
Le reste du trajet se passa sans le moindre heurt. Il fallait croire que je ne réagissais en présence de nourriture que si l’amour était exhibé. Cela me rassurait. Si je ne pouvais plus faire un pas à Equestria sans avoir envie de dévorer l’amour d’un habitant, j’étais mal parti. Ma destination était plutôt éloignée de Las Pegasus, aussi fallut-il une bonne journée au train pour finalement arriver en tout début d’après-midi alors que le soleil était à son zénith.
Je descendis du wagon, non sans saluer mon compagnon de voyage et lui souhaitant de retrouver bientôt sa famille. Lorsque je posai enfin les pattes sur le quai, je ne pus réprimer un soupir de déception. En effet, je constatais que Dodge Junction était à l’instar de la cité d’où je venais, une ville en plein coeur d’une étendue aride. La principale différence à mes yeux entre ces deux endroits étaient que les bâtiments étaient moins élaborés. Les maisons étaient construites en bois et n’allaient pas si haut dans le ciel que celles que j’avais pu voir auparavant.
Je pensai en mon for intérieur que je ne resterais pas très longtemps dans ce village, étant donné qu’il ne paraissait pas y avoir grand chose à visiter. Qu’importe cette impression, je commençai à explorer les lieux. Visiblement, il s’agissait d’une zone beaucoup plus tranquille que Las Pegasus, il y avait moins d’habitants, ces derniers semblaient tous se connaître et vaquaient à leurs activités sans se presser le moins du monde. Pourtant, à mesure que je progressais dans Dodge Junction, je percevais une clameur qui semblait émaner de la place centrale.
Intrigué, je m’en approchai et constatai au fil du temps que le centre-ville était rempli d’habitants, rassemblés en cercle autour de quelque chose. Je ne pouvais pas voir grand chose depuis ma position, aussi pour éviter d’avoir à me frayer un chemin dans la foule, je déployai mes ailes afin d’avoir une vue surplombant ce qui attirait l’attention du public. Au bout de quelques mètres d’altitude, je me stabilisais.
Ce qui attirait donc les regards de ces poneys de Dodge Junction était donc un bien étrange véhicule qui s’apparentait un peu au train dans lequel j’avais voyagé exception faite qu’il ne possédait aucun wagon. L’engin crachait de la fumée de façon fiévreuse et j’en aspirais quelques volutes. Je m’éloignai alors un peu et remarquai alors la présence de deux licornes juste à côté de cette machine. Elles étaient extrêmement similaires : elles arboraient la même peau jaune ainsi que la même crinière rousse et poussait le vice jusqu’à porter les mêmes vêtements (un gilet à rayures bleues et blanches et un canotier). La seule différence était que l’un était doté d’une moustache ma foi très honorable.
Ces deux individus étaient en train de gesticuler devant les habitants de Dodge Junction en chantant. J’avais un peu de mal à réaliser ce qu’il se passait, étant arrivé sur le tard, mais il semblait que ces mimiques et autres paroles avaient le don d’entraîner les gens avec eux, vu que la foule se joignait d’elle-même à l’allégresse de ces deux licornes. En écoutant plus attentivement les paroles, je compris qu’il s’agissait de vendeurs itinérants qui cherchaient à écouler des milk-shakes aux pommes. Pourquoi pas ? Toujours était-il que j’avais bien envie de savoir où ils s’étaient procurés leurs chemises et chapeaux.
Leur petit spectacle s’acheva bientôt et après une grande acclamation de la part des spectateurs, les deux vendeurs, nommés Flim et Flam, commencèrent à distribuer des milk-shakes à ceux qui payaient. Je m’apprêtais à m’installer dans la file d’attente lorsqu’un doute m’assaillit : est-ce qu’ils accepteraient de me renseigner sur la provenance de leurs vêtements si je leur demandais dans ma présente identité ? Je ne voulus pas prendre le moindre risque et je fis la même chose qu’à Las Pegasus : je me réfugiai dans une allée déserte et pris une apparence auquel on ne pourrait selon moi rien refuser : celle de Fancypants. J’en avais mal au coeur de recourir à ce genre de procédé alors que je m’étais promis de m’intégrer le plus possible dans la société ponette, mais la fin justifiait les moyens à mon avis.
Je me plaçai à nouveau en bout de la queue de la file d’attente et patientai tranquillement que mon tour arrive. Lorsque ce dernier arriva, je fus accueilli par les deux frères qui s’exclamèrent dans une parfaite symbiose en me voyant :
“Nous attirons même maintenant des nobles, c’est le début de la gloire !”
Je leur achetai un grand verre de milk-shake avant de leur poser la question qui me tenait à coeur : où se procurer leurs vêtements ? Les deux frères me regardèrent déconcertés, tandis que je signais leur livre de compte en falsifiant la signature de Fancypants. Les deux étalons me demandèrent la raison de mon intérêt pour ces tenues, ce à quoi je répondis :
“Ils m’intéressent grandement, voilà tout”
Ils me donnèrent alors l’adresse de leur boutique de prêt à porter favorite, à Manehattan. Je les remerciai en m’inclinant avec respect avant de m’éloigner en buvant leur boisson. C’était loin d’être mauvais, pensai-je après avoir bu la première gorgée. Dès que je ne vis plus personne, je repris mon apparence de Nameless et m’en alla de la ville. Quand je disais que je n’y resterait pas longtemps. Au moins cette fois, je n’hésiterai pas devant la carte.
Je payai donc un nouveau billet, avant de m’apercevoir que le contenu de la bourse diminuait inexorablement. Il faudrait bientôt que je me trouve un travail. Peu importe. Je n’avais qu’à considérer ça comme une nouvelle étape de ma nouvelle vie.
La seule chose que j’espérais en montant dans le véhicule était que je ne fusse plus victime de cette soif d’amour… que je puisse réaliser mon rêve...
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“Carré d’as, je remporte encore une fois la mise.”
Le train roulait depuis déjà deux heures en direction de Las Pegasus. Les filles étaient installées sur le sol d’un wagon similaire à celui qui les avait emmené pour la première fois à Appleloosa. Pour combler le trajet, le groupe avait accepté la proposition de Rainbow Dash de jouer au poker, quand bien même celle-ci paraissait malvenu. Il fallait croire que les ponettes avaient besoin de se détendre un peu avant de véritablement démarrer leur voyage en terre changeline. Depuis cette décision et l’installation des jetons et cartes emmenés par la pégase azur, le scénario des parties changeait assez peu.
Le plus souvent, c’était Rainbow Dash qui gagnait, forte de son expérience d’un soir dans la cité du jeu. Elle avait notamment profité des premières parties et de l’inexpérience des premières parties pour amasser un joli petit pécule. Mais à présent que les hostilités étaient déjà bien engagées, deux nouvelles gagnantes potentielles avaient fait leur apparition : Twilight et Pinkie Pie. Si la disciple de Celestia avait vite assimilé les règles et compris comment les exploiter, la jument rose bénéficiait de son côté de son caractère imprévisible, rendant ses intentions impossible à déchiffrer.
Quant aux trois autres, elles avaient bien du mal à gagner les manches. Fluttershy jouait de façon beaucoup timorée. Elle n’avait aucune chance de reconstituer son pactole perdu en ne prenant aucun risque. Rarity n’essayait aucunement d’élaborer des stratégies sur le long terme et ne prenait même pas cela comme une compétition. Enfin, Applejack n’avait pas encore réalisé à quel point le bluff occupait une place importante. Elle jouait toujours franc jeu et peinait à abandonner, même si les cartes lui étaient défavorables. Ce qui faisait d’elle la bonne dernière.
La manche la plus récente fut remportée par la pégase à la crinière arc-en-ciel, qui affichait une chance des plus insolentes. Ou peut-être était-ce sa paire de lunettes noires dont elle se vantait à la moindre occasion. Le reste du classement fut donc comme cela suit : Pinkie Pie, Twilight, Rarity, Fluttershy et Applejack.
En dernier recours, la fille Apple tenta le tout pour le tout à la partie suivante, jugeant que sa main était imbattable : elle fit tapis. Ses amies la regardèrent avec de grands yeux, même Rainbow Dash leva ses pupilles au-dessus de ses verres. AJ eut un léger sourire en coin qui semblait dire “je vous attends”. Tout le monde replongea les naseaux dans ses cartes, se demandant si cela serait apte à défier la cow-pony. Pinkie Pie trouvant la situation excitante, fut la première à relever le pari et mit donc en jeu tous ses jetons. Avait-elle seulement conscience du risque engendré par ce geste. Probablement pas. Il n’empêchait qu’elle le fit.
Peu à peu, les autres se couchèrent, à commencer par la pégase à la crinière rose. Rarity prenait trop plaisir à se détendre pour risquer de perdre le droit de jouer, tandis que les calculs de Twilight lui intimèrent de ne pas plonger à la suite d’une folle. Il ne restait donc plus que l’athlétique pégase qui paraissait complètement absorbé sur son jeu. Tous les regards convergèrent vers elle et au bout d’une minute, Pinkie Pie la pressa un peu :
“Bon, tu suis ou non ? On a pas toute la journée !
- Justement si, Pinkie, rétorqua Rainbow Dash, mais oui, je suis.”
Trois candidates se mettaient ainsi en position de dévoiler leurs cartes. Un profond silence s’instaura autour des participantes. Un sourire de triomphe apparut sur les lèvres d’Applejack tandis que Pinkie restait fidèle à sa réputation. Seule Rainbow Dash demeura imperturbable, bien qu’une goutte de sueur sur sa joue trahissait en partie sa nervosité. Ce fut elle qui prit la parole :
“A trois, on dévoile, ok ? Un, deux … trois.
-Couleur, annonça Applejack.
-Paire de deux, lança Pinkie.
-Quinte flush royale, déclara tranquillement la pégase.”
La jument à la crinière paille ouvrit grand la bouche de surprise. Elle ne s’attendait pas à ce que sa principale rivale eut une telle main en jaugeant sa réaction. Dépitée, elle tendit ses jetons à Rainbow Dash. Pinkie en fit autant, mais prenait davantage la chose avec le sourire. Rainbow Dash exulta. Avec ceci, la première place serait sans doute sienne jusqu’à la fin. Elle fit alors à sa malchanceuse adversaire :
“C’est le jeu, ma vieille, t’en fais pas.
- Un jeu où faut savoir mentir pour gagner, tu parles si c’est intéressant ! jugea Applejack. Je préfère encore lire le bouquin que Twala m’a filé, ce sera sans doute plus divertissant !
-Fais pas ta mauvaise perdante, allez, essaya la pégase azur.”
Mais Applejack n’écoutait déjà plus et avait sorti l’exemplaire de Manelet prêté par Twilight avant le départ et se plongeait déjà dedans. Les autres la regardèrent avec une légère appréhension, mais la voyant tranquille dans sa lecture, elles furent rassurées. La partie reprit alors son cours, même s’il était devenu très ardu de la poursuivre avec une Pinkie Pie qui avait désormais accès aux cartes de tout le monde et semblait intenable à leur sujet. A tel point qu’il était en vérité devenu impossible de jouer dans ces conditions et décision fut prise à l’unanimité de jouer à un autre jeu pour que l’hyper-active puisse à nouveau jouer. On proposa également à Applejack de se joindre à la fête, mais cette dernière déclina poliment l’invitation, arguant que le livre lui plaisait bien. Ses amies n’insistèrent pas davantage.
Le soir tomba bien vite aux goûts des juments, et celle-ci se couchèrent presque aussitôt après avoir mangé. Néanmoins, Applejack ne dormit pas de la nuit, se demandant sans cesse quels genre de réponse l’attendrait auprès de la reine Chrysalis. Enfin, c’était pour elle l’excuse parfaite pour ne pas avoir à trouver le sommeil. Elle redoutait ses propres rêves et ne souhaitait pas y être à nouveau confrontée. Comme elle ne pouvait pas allumer la lumière pour éviter de réveiller ses amies, elle ne pouvait pas poursuivre sa lecture. Aussi se laissa-t-elle aller à la contemplation du paysage nocturne.
Elle n’en détourna pas une seule fois le regard, sans une seule fois s’endormir. Personne ne remarqua cela, exceptée Rainbow Dash entre deux séances de ronflements. Cette dernière n’alla pas parler à Applejack et se contenta de se rendormir à nouveau l’air pensive. La fille Apple, tellement absorbée à regarder défiler les terres, ne s’en aperçut pas.
Le lendemain matin, le train arriva à destination comme prévu. Les juments récupérèrent leurs affaires et descendirent à terre. Rainbow Dash regarda alors la ville de Las Pegasus s’étendre devant elle d’un air vaguement nostalgique. Elle se tourna ensuite vers Pinkie Pie et Fluttershy pour leur demander :
“Cet endroit ne vous a pas manqué ?”
Les deux intéressèrent répondirent par la négative, se rappelant encore le fiasco que cette ville représentait pour elles. Même Applejack pensait qu’il n’y avait que des mauvais souvenirs assemblés ici et qu’il n’y avait nul besoin de s’y attarder. Toutefois, tandis qu’elle commençait à s’engager vers le désert avec son fardeau sur le dos, elle ajouta :
“T’auras tout le temps d’jouer au poker ou c’que tu voudras à notre retour, quand on aura sauvé Big Mac, Applebloom et Granny Smith.”
Elle avait dit cela sans aucune agressivité, comme pour poser une condition afin de la motiver dans leur quête. Ces mots semblèrent créer l’effet escompté, étant donné que la pégase azur rattrapa aussitôt son amie et formèrent l’avant-garde. Les autres suivirent le pas jusqu’à la sortie de la ville.
Car une fois hors de la cité, ce n’était plus à Applejack de guider le groupe, mais à Twilight. Cette dernière sortit de sa sacoche l’ancienne carte qu’elle avait cherché dans les rayons de la bibliothèque avant le départ , la déplia, puis l’examina avec attention. Elle la rangea, avant d’expliquer au reste du groupe :
“Si nous nous débrouillons bien, nous devrions atteindre une oasis d’ici la fin de la journée. Nous camperons là-bas dans le meilleur des cas. Autrement, nous dormirons dans le premier coin venu qui saura nous abriter des tempêtes de sable.”
Elle commença à s’avancer et fit peu après demi-tour pour donner un avertissement qui coulait de source :
“Et cela va sans dire, ne gaspillez pas l’eau.”
Ces derniers mots prononcés lancèrent le voyage dans le désert des protégées de Celestia, périple fastidieux à la recherche de réponses par rapport au mal des Apple. Cela s’avérait difficile, mais les juments savaient que cela n’était rien en comparaison de ce qui les attendaient sur les terres de Chrysalis. Au bout de quelques minutes, Rarity enfila les vêtements qu’elle avait prise avec elle. La marche se devait être d’un rythme régulier, et il était difficile de la maintenir au fur et à mesure de la progression du soleil dans le ciel. Twilight en vint un moment à souhaiter que la princesse Celestia passe le relais à sa cadette plus tôt.
Il n’en était rien. Celestia respecterai la durée de sa tâche à la lettre et ne s’abaisserait pas à modifier cela par égard pour sa disciple favorite. Pinkie Pie avait décidé d’agrémenter le trajet d’histoires drôles de son cru, mais fut vite interrompue par Applejack qui lui conseilla de ne parler que si nécessaire.
“Ou bien t’auras soif terriblement plus vite, acheva-t-elle”
Ces simples paroles eurent le don de maintenir dans un état de mutisme prolongé, bien qu’elle fut agitée de temps en temps de quelques spasmes inhérents à son agitation normale. Les six ponettes continuèrent d’avancer, même si elles commençaient à être ralenties par des rafales de vent accompagnées de sable. Elle s’en protégèrent du mieux qu’elles le pouvaient à l’aide de leurs sabots avants, mais cela les stoppaient momentanément. Aussi, au bout d’un moment, Twilight s’arrêta et se concentra afin de conjurer un léger champ de force.
Quand celui-ci fut apparu, englobant les exploratrices, Twillight leur expliqua :
“Cela n’arrêtera pas grand chose, mais cela bien assez pour ces rafales ! On ne doit pas perdre le rythme : on avance !”
L’avancée se poursuivit longtemps encore. Au bout de quelques heures, Fluttershy flancha et tomba durement sur le sable. Applejack s’approcha d’elle et la releva avant de lui proposer de transporter une partie de ses bagages. La timide jument accepta après avoir demandé à la fille Apple si cela la dérangeait.
Applejack repartit donc plus chargée qu’au départ, mais toujours aussi motivée à poursuivre son voyage. Une réponse, aussi douloureuse qu’elle fut. C’était tout ce qu’elle demandait à présent. Elle ne pouvait plus faire marche arrière à présent, cela leur avait déjà trop coûté.
Quelques temps après, ce fut autour de Rarity de trébucher. Étant donné qu’Applejack portait déjà trop de bagages, ce fut Rainbow qui se proposa pour cela, même si elle soupçonnait que la licorne jouait la comédie. Lorsqu’elle prit les bagages, elle posa discrètement une question à Rarity :
“AJ n’a pas dormi au Carrousel, pas vrai ?”
La licorne blanche hocha la tête de manière affirmative. Rainbow Dash se remit alors en route sans dire un mot. La traversée du désert se poursuivit sans autre incident majeur. Les ponettes ne firent aucune pause. Si elles avaient besoin de boire ou de manger, elle le faisaient en marchant. Twilight et Applejack en profitaient pour voir si elles rationnaient bien la nourriture et l’eau.
Ces multiples sacrifices portèrent leurs fruits. En début de soirée, tandis qu’elles purent admirer un beau coucher de soleil, elles virent devant elles l’oasis. Le rythme de leur marche s’accéléra et elles lâchèrent leur bagage dans les fourrées avant de s’étendre à côté de l’eau en poussant un soupir de soulagement. Une fois remises de leurs émotions, elle se levèrent et commencèrent à se répartir les tâches : AJ devait s’occuper avec Rarity de monter les tentes, tandis que Pinkie Pie et Fluttershy remplissaient les gourdes d’eau et que Twilight et Rainbow allumaient un feu. La magie de la disciple de Celestia s’avéra utile sur ce dernier point.
Il leur fallut une demi-heure pour cela. Les six amies se rassemblèrent autour du feu pour se réchauffer et commencèrent à se faire cuire une bonne tisane à la menthe tout en mangeant copieusement des sandwichs qu’elles avaient préparé la veille à Ponyville. C’était frugal mais au moins elles étaient en sécurité pour la nuit.
Twilight consulta à nouveau sa carte consciencieusement avant d’expliquer au restant du groupe qu’à cette allure, elles atteindraient demain la terre des changelins. Applejack fut la seule à ne rien répondre, regardant une nouvelle fois l’objet de sa promesse, toujours identique depuis son arrestation à Manehattan.
Le restant du repas se passa paisiblement, même si une certaine nervosité planait à l’intérieur du groupe. Fluttershy tremblait déjà à l’idée de devoir affronter la reine Chrysalis. Devant ces paroles, Rarity la rassura :
“On aura peut-être pas à l’affronter si elle n’est pas mêlée à tout ça.
-Elle a sans doute une part de responsabilité là-dedans, contredit sévèrement la fille Apple.
-Ne vous disputez pas, c’est pour savoir cela que nous nous infiltrerons, rappela Twilight”
Le début de querelle s’estompa rapidement devant les paroles de la licorne mauve. Néanmoins, même si rien n’avait été dit à ce sujet, la peur que ce voyage périlleux ne soit en vérité parfaitement inutile planait sur leur tête. Le résultat de cette quête était totalement incertain et rien ne serait plus désespérant pour les ponettes que d’avoir fait cela pour du vent.
Pourtant, Applejack croyait dur comme fer à cette hypothèse, car c’était tout ce qu’il lui restait désormais. La cow-pony termina de manger son sandwich avant d’approcher ses sabots avants du feu pour se réchauffer, l’atmosphère s’étant considérablement refroidie dans le coin. Elle fut peu à peu imitée par ses amies.
Seul le crépitement du feu put être entendu pendant quelques minutes. Les six amies ne savaient plus trop quoi dire pour agrémenter la conversation sans pour autant tourner en rond. Puis Pinkie Pie se cabra brusquement, faisant sursauter Fluttershy qui était assise à côté d’elle.
“Qu’est-ce qu’il y a Pinkie ? l’interrogea Rainbow Dash
-Ce serait sympa si on se racontait des histoires, exactement comme on fait en camping.”
Les autres accueillirent l’idée avec un enthousiasme non dissimulé. Et quelques instants plus tard, voilà qu’elles commençaient à narrer des récits terrifiants ou des contes. Les légendes des maraudeurs du désert, du ver des sables, de la tornade éternelle, de Star Swirl le barbu ne furent que quelques exemples parmi d’autres de ce qu’elle se racontèrent ce soir-là. Le temps de quelques heures, leurs tracas s’étaient envolées. Puis Twilight annonça avec fermeté qu’elles devaient à présent aller se coucher, la journée qui les attendait demain serait longue et pénible.
Pinkie Pie soupira de déception tandis que Fluttershy parut soulagée. La discrète pégase n’aurait sans doute plus supporté une histoire de plus. Le groupe partit donc se coucher dans leurs tentes, avec la répartition suivante : Applejack et Rainbow Dash, Twilight et Rarity, Pinkie Pie et Fluttershy.
Les ponettes s'endormirent assez rapidement, au vu de la fatigue accumulée durant la journée. Cependant, Applejack ne parvenait pas une fois encore à se reposer et ce n’était pas pour une fois dû aux ronflements de Rainbow Dash, la pégase azur étant assez étonnamment silencieuse. La fille Apple se tourna et se retourna à de multiples reprises dans son sac de couchage, mais rien n’y faisait.
Une heure s’écoula ainsi, avant que la jument à la crinière paille ne décide de sortir prendre un peu l’air. Elle s’extirpa doucement de son duvet avant d’enjamber discrètement son amie, pour enfin ouvrir lentement la tente. Dehors, elle la referma avant de s’avancer en direction d’un palmier situé à l’autre extrémité de l’oasis. Elle s’adossa contre son tronc avant de fixer l’horizon de ses yeux émeraudes. Devant elle résidait son unique espoir d’avoir une réponse. Sa fébrilité et son appréhension l’empêchaient de trouver le sommeil. Du moins souhaitait-elle le croire.
“Toujours debout, hein ?”
Applejack sursauta avant de tourner la tête à sa droite. Rainbow se tenait à ses côtés, un air de curiosité dans le regard. La cow-pony posa à nouveau ses yeux sur le lointain avant de répondre à son amie :
“Ouep. J’aurais dû me douter que le fait de ne pas t’entendre ronfler était de mauvais augure.
-Roh, tu plaisantes ?! Je ronfle pas si fort que ça quand même !
-C’est que tu t’es pas entendue .”
Les deux amies se dévisagèrent un moment avant d’éclater de rire. Lorsque celui-ci fut terminé, l’athlétique pégase redevint sérieuse et révéla à Applejack qu’elle savait que cette dernière n’avait pas dormi depuis sa libération. La fille Apple hocha affirmativement la tête, avant que Rainbow ne lui en demande la raison :
“J’arrête pas de penser à tout ce qu’on a appris et tout ce qu’on sait pas encore, déclara Applejack. Tu sais, j’me demande si on a fait les bons choix jusqu’à présent.
-Ma vieille, tu te poses trop de questions ! Relaxe !”
La pégase déploya ses ailes et atterrit en face de son amie avant de lui proposer avec une lueur de défi :
“Je vais te fatiguer, moi ! Toi et moi, une course de trois tours autour de l’oasis, ça marche ?
-Sans ailes ? l’interrogea la cow-pony.
-Oui, sans mes ailes ! jura l’athlétique pégase. Ça roule ?”
En prononçant ces derniers mots, elle avait tendu son sabot droit à son amie. Celle-ci cracha dans le sien avant de saisir le sabot de Rainbow Dash. La pégase proposa qu’on aille chercher une corde pour emprisonner ses ailes mais la terrestre refusa, arguant qu’elle avait confiance en elle. Le duo chercha ensuite une repère simple à voir pour définir la ligne d’arrivée et opta pour le palmier où elle avait conclu leur accord. Rainbow Dash plaça également une pierre assez lourde afin de tracer une ligne entre les deux points.
Ces préparatifs achevés, les deux rivales se placèrent derrière la ligne. Rainbow récapitula les modalités de la course, histoire d’être sûre que son amie ne se trompait pas sur le nombre de tours. Comme il leur manquait un arbitre, les deux juments se chargèrent de lancer le départ à l’unisson :
“Un, deux, TROIS !”
Les deux concurrentes s’étaient élancées à toute vitesse et galopait à peu de choses près à la même vitesse. Pour le moment, il était impossible de les départager au vu de la ligne droite qui s’étendait sur quelques dizaines de mètres. Une fois parvenus au premier virage, un premier écart se fit entre la pégase et la campagnarde, cette dernière l’ayant pris à la corde. En réaction à cela, Rainbow Dash accéléra davantage dans la ligne suivante, quitte à se fatiguer plus vite. De son côté, Applejack ralentissait le pas, conservant des forces pour le sprint final.
Ce fut ainsi qu’au début du deuxième tour, la pégase azur avait repris la tête et ne diminua pas la cadence. Elle avait une totale confiance en ses capacités et était persuadée qu’elle préserverait la même allure durant le restant de la course. Quant à la fille Apple, elle regagnait petit à petit du terrain sur son adversaire en prenant de façon plus serrée les virages. Cependant, l’écart entre les deux juments n’était pas négligeable, si bien que le dernier tour entamé, il n’était pas facile d’envisager la victoire d’Applejack.
Pourtant, la cow-pony se mit à accélérer à peine franchi la ligne et commença à se déporter sur la gauche, juste là où Rainbow Dash galopait. Elle prit exactement la même trajectoire que la pégase lors des virages et petit à petit rattrapait le retard qu’elle avait accumulé. Rainbow jeta un coup d’oeil derrière elle et voyant qu’elle perdait son avance, se mit à pousser davantage sur ses jambes. Toutefois, elle avait déjà trop forcé et ne pouvait aller plus vite. Voyant sa faiblesse, Applejack accéléra de toutes ses forces et le résultat final fut…
...Une nouvelle égalité.
A vrai dire, les deux juments ne cherchèrent même pas à voir plus loin. S’il y avait eu un arbitre, on aurait peut-être pu décider d’un vainqueur, mais dans le cadre d’une course organisée à la va-vite, c’était impossible. Et puis, Applejack et Rainbow Dash étaient trop épuisées pour se chamailler et contester la victoire. Au moins, cette course avait réussi son objectif premier : fatiguer considérablement la cow-pony.
Les deux amies retournèrent à leur tente commune, se complimentant mutuellement sur les performances de l’autre. Rainbow Dash affichait encore une légère arrogance, mais comparée à son attitude habituelle, cela allait. Elle regagnèrent chacune leur tour leur sac de couchage. A peine enveloppée, la pégase se mit à ronfler. Pendant quelques minutes, Applejack pensa que tout ceci avait été inutile, mais elle commença à se sentir partir. Pour le pays des rêves, espèrait-elle.
Elle reprit connaissance dans un lieu entouré de flammes et de fumée. C’était ces émanations qui l’avait éveillé. Il lui fallut quelques minutes pour entièrement voir ce qui se trouvait autour d’elle. Quand elle vit les flammes ronger les murs et les poutres, elle haussa les épaules en murmurant :
“Encore le Carmanegie Hall…”
Sachant qu’elle ne pourrait pas se réveiller de suite, Applejack s’avançait le long d’un couloir qu’elle avait déjà arpenté en rêve et en réalité. Elle ne chercha même pas à galoper, considérant qu’elle n’était que dans un songe. En fait, ce rêve était la raison même pour laquelle elle ne parvenait pas à trouver le sommeil de façon naturelle. Elle le faisait quasiment systématiquement depuis son arrestation. Le déroulement était toujours le même : elle avançait le long d’un couloir qui semblait ne pas en finir tandis qu’un incendie le ravageait, puis elle arrivait sur la scène où l’attendait le changelin qui l’accusait d’être responsable de tout.
Blasée, la cow-pony avança une fois encore, pensant que plus vite elle rencontrerait le changelin, plus vite elle serait dans son sac de couchage. Elle se remit alors à galoper, esquivant les multiples flammes. Puis elle arriva devant la porte en bois. Elle s’apprêta à la pousser lorsqu’elle vit une ombre massive portée par les flammes se refléter sur celle-ci. Elle se retourna brusquement et vit une alicorne sombre comme la nuit dont la crinière semblait refléter le ciel étoilé.
“V’là t’y pas que j’me mets à rêver de la princesse Luna maint’nant !”
A ces mots, l’émanation de Luna secoua négativement la tête avant de déclarer à Applejack :
“Nous sommes la véritable Luna. En tant que souveraine de la nuit, nous avons la capacité de visiter à loisir les songes de nos sujets. Quand ces derniers dorment, il s’entend.”
Ces derniers mots laissaient entendre qu’elle avait déjà tenté de s’immiscer dans les rêves de la fille Apple, mais qu’elle n’avait pu en raison de l’éveil forcé de la jument. Cette dernière se plaignit alors :
“J’ai donc pas l’droit d’avoir un p’tit jardin secret ?”
La sélène alicorne se rapprocha, jusqu’à ce qu’elle ne fut plus qu’à quelques centimètres de son hôte involontaire, avant de lui murmurer avec sévérité :
“Étrange jardin secret s’il en est. A ta réaction de tout à l’heure, ce n’est pas la première fois que tu rêves de cet endroit. Ne penses-tu pas qu’il y aurait comme un problème ?
-Et alors, que pourriez-vous y faire ? questionna Applejack.
- Si tu crois que nous possédons ce don pour violer l’intimité de nos sujets, tu as tort. Nous ne sommes censés intervenir dans les rêves d’autrui que si ces derniers ont leur sommeil troublé. Et dans ton cas, Applejack, ce n’est pas seulement ton sommeil qui est dans l’embarras, mais ton coeur.
- Mon coeur ?
- Tu te débats avec des émotions contradictoires. D’un côté, tu souhaites retrouver le bonheur que tu as perdu alors que de l’autre, ce sont tes actes qui t’en éloignent de plus en plus. Notre soeur et nous mêmes ne pouvons remédier à cela, la seule qui en soit capable… c’est toi.”
Les flammes crépitaient de plus en plus, à mesure qu’elles dévoraient le couloir du Carmanegie Hall, tandis qu’Applejack soutenait sans ciller le regard de la princesse Luna. La cow-pony attendit patiemment la suite du discours de l’alicorne :
“A notre niveau, tout ce que nous pouvons faire est de t’aiguiller dans ton choix. Sans te forcer. Au final, ce choix et ses conséquences seront entièrement tien. Comprends-tu ?”
Applejack hocha la tête et demanda alors à Luna quels conseils elle était en mesure d’apporter pour l’aider. Ce à quoi elle déclara :
“Tu suis actuellement une pente dangereuse. Je pense que tu en as conscience. Toutes tes actions jusqu’à présent annoncent un seul dénouement : celui d’une tragédie. Les événements semblent tous dûs au destin, exactement comme ceux d’une pièce de théâtre. Et surtout, tu es l’esclave d’une passion. Tant qu’il en sera ainsi, le bonheur t’échappera. C’est pourquoi notre seul conseil sera le suivant : renonce à ta vengeance. Si tu continues de ronger ton coeur de la sorte, cela ne sera plus seulement toi ou ta famille qui n’aurez plus de joie de vivre, mais également tes amies. Tous ceux qui te sont chers seront malheureux si tu poursuis cette voie.”
La fille Apple attendit respectueusement que son aînée eut fini de prodiguer ces enseignements. Elle demanda alors si c’était tout en pressant son sabot contre la porte. Luna ne répondit rien pendant un moment avant de prendre à nouveau la parole :
“Si tu ouvres cette porte, tu seras cette fois confrontée à ton dilemme. Nous ne serons plus en mesure de t’aider si tu la franchis. Tu seras seule pour le défier. Es-tu prête, Applejack ?”
Cette dernière ne prononça alors plus un mot et ouvrit le battant de la porte, puis entra dans la deuxième pièce de son rêve, l’air farouchement déterminée. Cette fois, tout semblait différent. Il semblait bien s’agir de la scène de l’opéra, mais il n’y avait plus d’incendie. Une première, songea Applejack. Le centre de la pièce était éclairé par un projecteur, mettant en valeur une forme sombre à la longue crinière verte. Sur le coup, la fille Apple crut qu’il s’agissait de Chrysalis.
A mesure qu’elle approchait du centre, un autre projecteur s’alluma avant de se braquer sur elle. Elle n’y prêta aucune attention, ses yeux émeraudes seulement focalisés sur l’être au milieu de la scène, qui était bien un changelin, mais ce n’était pas pour autant la reine. Il s’agissait ni plus ni moins d’une version changeline d’Applejack.
Celle-ci eut un sursaut de dégoût en se voyant grimé de la sorte. Elle paraissait monstrueuse avec cette crinière qui lui descendait du visage, cachant presque ses yeux vitreux. Néanmoins, sa peau trouée de partout se voyait bel et bien, de même que son stetson bien rapiécé.
Lorsque les deux faisceaux de lumière se croisèrent finalement, la forme leva les yeux en direction de son modèle d’origine qui n’exprimait actuellement que du dégoût envers cette chose. Cette dernière se redressa alors et tapa dans ses pattes. La salle se fit alors d’un coup plus claire révélant l’assistance composée uniquement de Twilight, Rarity, Pinkie Pie, Fluttershy et Rainbow Dash. Les juments étaient attachées à leurs sièges au niveau des sabots via le mucus caractéristique des changelins.
La version changeline de la cow-pony s’adressa alors aux infortunées spectatrices :
“Il est temps de finir ce qui avait été commencé… Temps de finir cette grande tragédie qu’est Manelet !!! Et dans les rôles de Manelet et de Quicksilver nous avons donc Applejack et moi, son double changelin !!!”
Des applaudissements, chose surprenante, compte tenu de l’inconfortable position des seules ponettes se firent entendre dans toute la salle. Une fois la clameur tue, l’Applejack changelin se tourna vers la véritable tout en lui désignant un étal à côté :
“Prends les armes.
-Et si je refuse ?
- Tes amies en paieront le prix.”
La salle se métamorphosa peu à peu en ce qu’elle était habituellement : l’incendie reprit de plus belle et les flammes se rapprochaient dangereusement des amies d’Applejack. Cette dernière n’en fut pas pour autant désarçonné et continua de défier sa double :
“Ce n’est qu’un rêve, de quoi devrais-je avoir peur ?
-Qui est en mesure de dire ce qui est véritable ou non ? répliqua la copie. On dit parfois qu’un rêve n’est qu’une ombre. Imagine un peu ce qu’il pourrait se produire dans la réalité tandis que tu reportes ton duel avec moi.”
Applejack faisait de son mieux pour tenir tête à sa double changeline, mais une part d’elle-même craignait le fond de vérité que pouvait avoir les paroles de la créature, aussi s’approcha-t-elle de l’étal et empoigna, après avoir posé son chapeau, une paire de sabots en fer avec deux pointes dépassant de chacun d’entre eux. Le changelin s’exécuta également. Pourtant, l’incendie ne s’éteignit pas. Devant la réaction révoltée d’Applejack, son double expliqua :
“C’est pour rajouter un peu de piment à cet affrontement. Je t’explique les règles : tu dois m’éliminer avant que l’incendie brûle tes amies. Si tu péris avant ou si les flammes en finissent avec tes copines, c’est moi qui gagne.
-Luna m’a bien eu, marmonna Applejack. En vérité, j’ai absolument pas le choix dans tout ça.”
Les deux adversaires se mirent à deux mètres de distance l’une de l’autre, sabots de fers bien tenus. La version changeline d’Applejack annonça alors, après avoir jaugé celle qu’elle devait abattre :
“En garde, Applejack ! Surpasse-toi !”
Les deux combattantes se jetèrent l’une sur l’autre, sabots en avant. Les huit lames s’entrechoquèrent, quatre d’entre elles étant pointées sur la gorge de l’une de l’autre. La changeline se mit alors à narguer son adversaire :
“C’est tout ce dont t’es capable ?! Tu seras incapable de te venger si c’est ton maximum !”
En réaction à cette provocation, Appplejack asséna un coup d’épaule à sa réplique tout en esquivant de justesse l’une des lames de cette dernière, qui se renversa sur le côté sous le choc. N’hésitant pas une seule seconde, la fille Apple se cabra en arrière pour expulser au loin la changeline. Elle profita ensuite du laps de temps accordé par sa combinaison pour jeter un bref coup d’oeil à la progression de l’incendie. Elle put alors constater qu’elle avait encore de la marge.
Toutefois, cet instant d’inattention faillit lui être fatal. Son adversaire s’était relevé et avait plongé en avant, les lames menaçant de plonger dans son visage. Elle s’abaissa et sentit les lames effleurer sa crinière paille. Son adversaire se releva derrière elle et profita de la situation pour enchaîner les assauts, obligeant Applejack à multiplier les roulades sur le côté. A chacun des coups qu’elle donnait sur scène, la changeline se moquait d’elle :
“Cet instant d’inattention t’aurait été fatal contre Chrysalis ou ce changelin. C’est comme ça que tu comptes les tuer ?!
-Qui t’as dit que j’voulais les assassiner ? rétorqua Applejack.
-Mais voyons, ma chère, tu n’as plus d’autre choix que d’en arriver là. Après tout ce que tu as fait, c’est la suite logique des choses. Alors prends un bon départ et TUE-MOI !
-J’ai encore… le choix… qu’on m’a dit !”
Elle peinait à dire ces paroles tout en échappant aux assauts répétés de sa rivale. Néanmoins, elle profita d’une ouverture pour asséner un coup à l’aide des sabots arrières qui repoussa en arrière la changeline. Applejack put enfin se relever et laissa l’opportunité à son adversaire d’en faire autant . Celle-ci avait abandonné son assurance des débuts pour laisser place à une rage totalement visible :
“Quoi ?! T’es train de me dire que tu veux abandonner ta vengeance ?! RIDICULE !”
Avec une expression de sauvagerie sur le visage, elle se mit à attaquer de plus belle une Applejack qui commençait à comprendre le schéma de ses assauts, aussi peinait-elle beaucoup moins à éviter les attaques. Enfin, l’occasion pour elle d’en finir se présenta : elle évita un assaut sur sa droite et contre-attaqua immédiatement en mordant la patte qui venait de l’attaquer. Pris dans son élan, le reste du corps ne tarda pas à suivre et la changeline se trouva alors sur le dos… les lames d’Applejack pointées sur la gorge.
“C’est fini, annonça cette dernière.
-Pas encore, tu dois m’achever, c’est dans le script de cette tragédie.
-Je n’ai encore tué personne et c’est là que réside encore mon choix, comprit Applejack. Cela ne deviendra une tragédie que si je tue la personne dont je veux me venger. Je n’abandonne pas ma vengeance, détrompe-toi. Simplement, je n’ai pas besoin de devenir ce que je pourchasse pour en finir.”
Au cours de son explication, les flammes diminuèrent d’intensité pour finalement s’éteindre. Pendant ce temps, Applejack enleva ses armes avant de les ranger sur l’étal. Puis elle récupéra son chapeau tout en tournant le dos à la changeline qui fit mine de vouloir la transpercer de dos.
“T’en feras rien, l’arrêta la cow-pony. Tu ne peux pas me tuer de même que je ne peux pas te tuer. Car comme tu l’as dit dans un rêve précédent, tu es moi. T’es c’que j’suis en train de devenir et ce que j’deviendrais si je fais c’que tu m’dis. T’es bien à plaindre, si tu veux mon avis.”
Le double changelin d’Applejack lâcha ses armes qui firent un bruit strident en s’écrasant sur la scène. La fille Apple ne se retourna pas et commença à repartir d’où elle était venue. Elle s’arrêta en entendant des gouttes tomber sur le sol.
“Quand j’disais que t’étais moi.”
Elle laissa la scène pour le couloir où elle retrouva la princesse Luna, qui avait attendu depuis tout ce temps. Elle parut ravie de revoir Applejack telle qu’elle l’avait laissé et lui demanda si elle s’était décidée.
“Oui, les derniers doutes qui restaient en moi ont disparu.”
L’alicorne s’évapora alors avec un léger sourire aux lèvres tandis que les murs autour d’Applejack commencèrent à devenir flous. Elle se sentit alors attirée par une voix, indistincte mais de plus en plus claire au fil du temps.
“APPLEJACK ! C’est l’heure !”
La jument à la crinière paille ouvrit brusquement les yeux et vit le visage de Rainbow Dash qui lui hurlait dessus. Elle récupéra à sa gauche son stetson et en asséna un coup à la pégase en lui rétorquant qu’elle n’était pas sourde, loin s’en fallait. Elle partit s’asperger le visage d’un peu d’eau de l’oasis et vit que les autres avaient déjà fini de remballer les tentes et de ravitailler l’eau. La cow-pony se dépêcha alors de donner un coup de sabot à Rainbow pour démonter leur propre tente.
Une demi-heure plus tard, le groupe était fin prêt, passé les excuses d’Applejack, à partir. Il était encore tôt, aussi leur avance dans le désert fut facilité. Cependant, il leur fallut cette fois composer avec de hautes dunes à monter, ce qui fatiguait rapidement leurs jambes. Néanmoins, il n’y eut nul besoin de se diviser à nouveau les sacs, ces derniers étant allégés.
Et finalement, au bout d’une matinée, un horizon désolé et lugubre s’offrait à elles. Twilight la désigna à ses amies du sabot :
“Voici les terres des changelins. Voici le royaume de Chrysalis.”
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