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Le Fruit de la Vengeance

Une fiction écrite par Usui.

Chapitre 20 : Rien n'est bon ou mauvais en soi, tout dépend de notre pensée (Manelet, acte II, scène 2)

J’examinais mon reflet avec attention dans la glace. Il n’y avait pas à dire, j’avais de l’allure, vêtu de la sorte. Ce gilet à rayures bleues et ce canotier n'allaient à merveille et paraissaient souligner la teinte pourpre de ma robe. Je tripotais ma moustache noire d’un air satisfait, incapable d’ôter mon regard de mon reflet. C’en était au point que j’en avais presque oublié l’existence de la jument à côté de moi. Cette ponette terrestre, plutôt jeune et svelte, était dotée d’un pelage brun qui mettait en valeur sa crinière blonde platine. Sa cutie mark représentait quant à elle un mètre ruban. Elle semblait donc tout à fait à sa place dans l’environnement présent : une boutique de prêt-à-porter. Pas très grande, celle-ci avait néanmoins quelques rayons proposant un choix assez conséquent d’articles et plusieurs boxes d’essayage, offrant suffisamment de place pour deux poneys. La vendeuse attendait avec une impatience mal dissimulée ma décision. Si mal dissimulée en fait, qu’elle finit par m’extirper de ma rêverie :

 

“Monsieur, prendrez-vous donc ces articles ?”

 

La façon dont elle m’avait interpellé me fit légèrement tressaillir. Cela me faisait tout drôle d’être appelé de la sorte. C’était comme si on m’accordait le droit de porter un titre de noblesse. Ridicule, je sais, et pourtant c’était l’effet que cela produisait pour un changelin commun, tellement habitué à être traité sans la moindre déférence qu’un simple “monsieur” équivalait pour lui à un titre de “duc”. J’ôtai alors mon regard du miroir pour le poser sur la demoiselle. Ma bouche se fendit alors d’un sourire tandis que je prononçai ces mots :

 

“Ce chapeau comme cette veste sont parfaites. Je vous les achète volontiers.”

 

La vendeuse tapa alors légèrement dans ses sabots, apparemment ravie d’avoir conclu une vente. Elle me fit signe de la suivre en caisse, et je marchai en me maintenant à une distance raisonnable d’elle et en retirant dans la foulée mon habit. Nous fûmes bientôt face à face, moi devant le comptoir, elle derrière la caisse. Elle calcula le montant des deux articles avant de donner le prix, d’une trentaine de Bits. Je récupérais la bourse de Fancypants et en sortit la somme convenue, qui fut aussitôt encaissée la jument avant de me confier dans un sac ce que j’avais payé. Je fis ensuite une petite révérence pour montrer ma gratitude, ce qui fit légèrement glousser la ponette. Je sortis ensuite de la boutique.

 

Lorsque je me retrouvai une nouvelle fois encore à arpenter les rues pavées des beaux quartiers de Manehattan, je respirai délicatement le délicat parfum des arbres pavant les trottoirs. Cette ville me plaisait particulièrement, surtout au début en fait. Les riches avenues de certaines zones de la ville terrestre avait produit sur moi un effet d’admiration, étant épaté par les compétences des charpentiers et des maçons poneys. Toutefois, à cette liesse succéda une grande déception en m’apercevant que seule une partie de Manehattan était ainsi. La cité était comme scindée en deux. Quand j’avais exploré les lieux à la recherche de la boutique, j’avais dû couper par le quartier portuaire. Et là, la différence était flagrante : les pavés avaient cédé leur place à la boue, les arbres aux lampadaires mal entretenus. J’en avais donc tiré la conclusion que Manehattan était une cité où le clivage entre les différents poneys se faisaient vraiment sentir.

 

Aussi, bien que j’avais envisagé un temps de m’y installer, je rejetais avec fermeté cette option. Je n’avais pas la moindre envie de me balader nuit et jour dans la boue. Cela me rappelait trop ma vie sur les terres de Chrysalis. D’ailleurs, pour bien trancher avec mon ancien vécu, j’avais décidé d’arrêter de l’appeler “reine”. Je considérais à présent que je n’avais plus de comptes à lui rendre et que les seules auxquelles je devais le respect étaient les trois princesses.

 

Tandis que je marchais, je pensais que ma vie avait opéré un revirement des plus drastiques en l’espace d’une ou deux semaines. Cela n’était pas pour me déplaire, car j’y voyais le signe que je m’étais parfaitement mêlé à la population équestrienne. Oublié les deux accidents à l’hôtel de Las Pegasus et dans le train menant à Dodge Junction ! On ne m’y reprendrais plus. J’étais devenu un pégase nommé Nameless. C’était aussi simple que ça.

 

Bref, je décidai qu’il était temps pour moi de laisser Manehattan. J’y avais trouvé ce que j’étais venu y chercher , les vêtements de ce commerçant itinérant et la ville en elle-même avait fatalement perdu de son attrait. En me dirigeant vers la gare, je comptais ce qu’il me restait. Juste de quoi faire un dernier voyage. Il faudrait donc que je choisisse bien. Tandis que mes sabots résonnaient contre le sol, je me mis à énumérer quelques critères.

 

Pour moi, la ville ponette idéale serait une relativement isolée, dont les fondations étaient situées près de vastes prairies, voire d’une forêt. Il n’y aurait pas beaucoup d’habitants, une centaine tout au plus. Aussi, ce serait un village où tout le monde se connaîtrait au moins de vue. Bref, un endroit où il faisait bon vivre.

 

Par conséquent, hors de question de recourir au hasard devant la pancarte de la gare. Cette fois, je devais faire un choix et je devrais m’y tenir. Je n’avais aucune idée en songeant à cela à quel point cela serait déterminant. Si j’avais su en cet instant ce que j’allais provoquer, jamais je n’aurais opté pour ce lieu.

 

Parce qu’une fois devant la carte, examinant avec attention les différentes localisations d’Equestria, je tombais au final sur un endroit nommé “Ponyville”. Pas bien original comme nom, mais peut-être était cela la marque d’authenticité profonde que je recherchais. Un lieu si banal en apparence qu’on y trouverait le calme et la chaleur que je désirais. Je contemplais avec attention la zone autour de la ville et elle semblait parfaitement convenir à mes critères. J’avais beau triturer la carte dans tous les sens, aucune autre place que Ponyville ne contenait tout ce que j’avais institué dans mon cahier des charges. Pour résumer, il n’y avait plus besoin de se creuser les méninges, Ponyville était ce que je cherchais pour m’installer de façon durable.

 

Ceci étant fait, je répétais un geste qui était devenu naturel depuis quelques temps, l’achat de mon billet. Mais cette fois, c’était différent car j’avais utilisé les derniers Bits qu’il me restait. J’étais à nouveau sans le sou. Fini les voyages et ce qui allaient avec. Je troquais cette vie pour une autre. Ce fut pour cette raison qu’en m’installant dans le train, je posai ma tête contre la vitre pour réfléchir à ce que je pourrai faire comme emploi, surtout avec ce que j’arborais en guise de Cutie Mark. Dans un premier temps, je me disais qu’il me suffirait simplement de la remplacer par une autre à la volée. Cependant, ça ne ferait pas très “poney”. Tout ce qui était de l’ordre de la transformation devrait donc être proscrit.

 

Au bout d’une heure de réflexion, me rendant compte que je n’arrivais à rien, je décidai de laisser tomber et de laisser le destin gouverner tout simplement ma vie. Le contact avec la vitre délivrait une dose de fraîcheur qui me tranquillisa. Je m’endormis peu à peu, ce qui ne m’était pas encore arrivé dans un wagon. Je devais commencer à m’y accoutumer, c’était bien…

 

Je me mis alors à rêver. Ponyville commençait à se former derrière une brume, indistincte. Je m’approchais de cette silhouette qui prenait corps petit à petit. Je pus alors constater toute la beauté rurale de cette bourgade. Tout était tel que je l’avais imaginé : maisons, boutiques, arbres. Là, d’innocents poulains jouaient à la balle. Ailleurs, le marché prenait place : la rue était bondée de poneys tous souriants, naturellement enclin à aider leur prochain comme l’était Fancypants. A proximité du village, des animaux gambadaient sans la moindre peur. Voilà la ville ponette idéale. La Ponyville de mes fantasmes.

 

Le sifflement du train arrivant en gare me tira brutalement de ma rêverie. J’étirai les pattes en l’air avant de me lever de mon siège, sans oublier de récupérer mon sac. Je m’aperçus que je portais encore les habits de noble, aussi allai-je rapidement me changer aux toilettes. Je troquai ces vêtements contre ceux de Manehattan qui siéraient davantage à ceux de ma nouvelle existence.

 

En descendant du wagon, je vis qu’un brouillard s’était installé sur le village. Je jetai ensuite un coup d’oeil à l’horloge de la gare. Il était encore bien matinal. J’ai dû m’assoupir longtemps, vu que la nuit n’était pas encore tombée à ce moment là. Au moins, je prenais à présent le train de vie d’un poney lambda. Je partis par conséquent à la découverte de la ville d’un pas tranquille.

 

Ponyville était très proche de ce que j’avais fantasmé dans mon rêve. Il s’agissait bel et bien d’une petite bourgade dotée de multiples maisonnettes. La plupart d’entre elles avaient des balcons auxquels étaient suspendus des fleurs. Toutefois, la ville manquait un peu de vie, ce qui était en soi normal. Il était si tôt que seuls les insomniaques pourraient déjà être levés. Je me mis alors à explorer un peu le village. En son centre se situait l’hôtel de ville, qui paraissait avoir subi de nombreux dégâts, comme l’attestaient ses multiples réparations. Un peu plus loin, on avait une petite boutique toute rose, autre part une autre qui présentait une certaine forme d’élégance. D’une façon assez curieuse, je notais l’existence d’une maison en forme d’arbre. Je me demandais comment il avait été possible d’en arriver à cela. Ce village paraissait me réserver encore d’autres surprises.

Préférant les conserver pour plus tard, je pris la décision de me promener un peu le long d’un petit sentier un brin cahoteux. Ce fut l’occasion de découvrir un peu les environs. J’avais le sentiment de noter de façon calculatrice tout ce que je découvrais, comme si je savais que je demeurerais à tout jamais là-bas. J’avançai lentement, regardant un coup à droite, un coup à gauche, prenant de temps à autre une bouffée d’inspiration pour savourer l’air de la campagne.

 

Au bout d’un moment, je remarquai la présence d’une forêt sur le côté gauche. Celle-ci présentait une apparence plutôt sinistre. Chrysalis n’aurait pas rechigné à en faire son antre. C’était toujours mieux que le désert vierge de toute autre présence que changeline, pensai-je en ricanant légèrement. Pour moi, il était clair que j’avais réussi à me débarrasser de ma condition de changelin. Plus que ça encore, je l’avais détruite !

 

Je continuais de progresser sur le sentier, sans savoir encore que mon arrogance allait causer ma perte. La route serpentait de plus en plus, comme si elle souhaitait me prévenir, voire absolument me faire rebrousser chemin. Pourtant, je marchais encore, tout sourire, appréciant la beauté du paysage qui s’offrait de tout son être à moi. Et arriva un moment où je la vis.

 

Une ferme, qui surplombait des champs de pommiers. A ses côtés trônait une grange qui en avait vu de toutes les couleurs. Cette vue me plût énormément. Ceux qui devaient s’occuper de cueillir ces pommes étaient sans aucun doute heureux, j’en étais persuadé. Certes, ce travail devait être pénible par moments, mais quel plaisir cela devait être de se réveiller avec un tel panorama !

 

Heureux. Voilà le terme qui fâchait. Je désirais être heureux. Cependant, j’aurai dû éviter les lieux où le bonheur coulait de façon naturelle. Cette réflexion aurait dû constituer le dernier avertissement à mon égard. J’aurais dû l’écouter. Si je n’avais pas poursuivi ma route, rien de tout ça ne serait arrivé. On n’essaierait pas de me tuer, et je n’aurais pas eu à me cacher dans un lieu éloigné de toute civilisation.

 

Mais j’avais continué de progresser sur le sentier, mes yeux louchant avec une étonnante avidité sur les pommes, qui n’étaient pas encore tout à fait mûres. La ferme se rapprochait de plus en plus, et je pouvais à présent distinguer chacune des planches de bois ayant contribué à sa construction. Le sentier prenait fin juste devant le petit jardin de la bâtisse. En levant les yeux en hauteur, je vis de la fumée. Cela prouvait que la famille habitant à l’intérieur était déjà levé, tout du moins une partie. Quoi de plus normal pour des fermiers ?

 

A cet instant, ma curiosité me poussa à me rapprocher de la ferme. Autrement dit, je rasais les murs comme un vulgaire voleur. Je voulais absolument savoir comment vivait une famille de fermiers. Il se pouvait que j’embrasse ce genre de carrière après tout. Je vis alors une fenêtre ouverte d’où s’échappait un fumée délicate. Je rampais jusqu’au bord de celle-ci et fureta rapidement à l’intérieur. Une petite famille, toute simple, toute banale prenait ensemble leur petit-déjeuner avant de se mettre au travail.

 

Ils étaient au nombre de trois : une petite pouliche jaune à la crinière rouge mise en valeur par un ruban en forme de papillon qui n’arborait pas encore de cutie mark, un étalon musculeux à la robe rouge avec une crinière auburn portant comme un collier un attirail de trait, et enfin une jument à l’automne de sa vie, comme l’attestait ses nombreuses rides, vert pomme avec un foulard tacheté de poids. Tous trois terrestres, ils se délectaient de tartines à la confiture, sans aucun doute aux pommes, vu qu’il s’agissait visiblement de leur spécialité. Il me paraissait être de fort belle humeur. La petite pouliche s’exprima alors soudainement, la bouche pleine de miettes fourrées :

 

"Ch’est auchourd’hui qu’Applechack devrait revenir d’Appleloocha, hein ? Vu qu’elle est partie depuis prechque une chemaine.”

 

Très alerte malgré son âge, la vénérable jument se saisit d’une cuillère en bois et en asséna un léger coup sur le sabot de la petite, que je présumais être sa petite-fille. Cette dernière sursauta légèrement, mais n’avait pas eu mal.

 

“Combien de fois je t’ai dit de pas parler la bouche pleine ? lui reprocha la vieille terrestre d’une voix terriblement éraillée. Mais oui, c’est bien aujourd’hui, il me semble. Ou peut-être demain ? Voire après-demain ? Je sais plus où j’en suis moi avec ce calendrier !

-Ouep, répondit simplement l’étalon rouge”

 

La plus jeune était visiblement des plus débrouillardes, car elle leur rappela que c’était effectivement ce jour-là qu’une dénommée Applejack revenait. Peut-être sa grande soeur, car il me semblait bizarre qu’elle puisse appeler sa mère par son nom. Prenant cette fois la peine d’avaler sa bouchée pour ne pas se faire réprimander une nouvelle fois, la pouliche proposa avec enthousiasme :

 

“Et si on organisait une fête pour célébrer son retour ? On demanderait à Pinkie Pie et aux Cutie Marks Crusaders, et même à Twilight, Rainbow, Fluttershy !”

 

Sa famille contempla l’idée un moment avant d’acquiescer. Toutefois, j’étais devenu incapable de comprendre le moindre mot qui fut dit juste après. Pas étonnant, je me tordais de douleur sur l’herbe. Ma souffrance intérieure était revenue, plus virulente que jamais. Je me tordais dans tous les sens, me frappant du sabot, comme si cela apaiserait mes tourments.

 

Et là, ce fut le noir, je perdis connaissance…. Quand je repris conscience, une vision des plus agréables pour un changelin, mais des plus cauchemardesques pour un poney s’offrit à moi : les trois poneys, oui, les trois, gisaient sur le sol de la cuisine, inertes. Et moi, j’étais dans la pièce également, et en levant en tremblant la patte droite, je vis qu’elle était noire. J’étais sous ma forme… de changelin.

 

Le grand étalon rouge était étalé au bord de l’encadrure de la fenêtre, ses yeux verts révulsés. La vieille jument était inconsciente mais elle n’avait pas bougée de son rocking chair. La petite, elle… elle était à l’entrée de la cuisine, étendue sur le dos et derrière moi. La cuisine était devenue complètement dérangée, de la confiture s’était renversée sur la nappe de la table, une photo encadrée était tombée de son support, les deux autres chaises avaient été basculé sur le côté, une casserole se trouvait non loin de mes sabots... Même si je craignais fort de savoir ce qu’il s’était passé, je refusais de l’admettre. Je ne pouvais pas avoir commis un tel acte. Pas moi…

 

Je reculai, dégoûté par la scène. Je repris mon apparence de Nameless, et m’approchai du corps musclé de l’étalon. Je le secouai, l’intimant à reprendre conscience. Il me suffirait de dire que je passais par là, et je gagnerais de la sorte leur confiance. Mais il ne revint pas à lui, de même que la grand-mère. Même la pouliche. Tous respiraient, mais ils n’étaient pas vivants pour autant. J’avais beau tout essayer, c’était comme si on leur avait dérobé leurs âmes.

 

Quand je parvins à cette constatation, j’eus terriblement mal à la tête. Tout ce qui s’était passé pendant que j’étais prétendument évanoui me revint de la façon la plus brutale qui soit. Cette fois, il était impossible de nier ma faute. J’étais le seul responsable de ce cauchemar. Et je m’en souvenais dans les moindres détails.

 

Le premier à avoir fait mes frais… c’était cet étalon. Tandis que je convulsais, les bruits que j’avais émis avait attiré son attention. Lorsque mes yeux croisèrent les siens, il y eut un flash de lumière verte. Ce fut à cet instant que j’avais repris mon apparence initiale. Poussant un rugissement telle la plus sauvage des bêtes, j’avais bondi sur lui à peine relevé. J’avais mis une telle force dans ce saut que même un étalon aussi athlétique que lui fut renversé sur le côté, sous le regard médusé des juments. Terrifiée, la grand-mère était restée collée à sa chaise. La pouliche hurlait, hurlait à vous en percer les tympans. Puis elle essaya de se reprendre en bondissant sur la table, faisant chuter le bocal de confiture. Elle alla à l’autre bout du meuble et s’empara d’une casserole qu’elle tint fermement avec ses dents.

 

Pendant ce temps, j’appuyais fermement le corps de l’étalon contre le sol. Celui-ci se débattait de toutes ses forces, alors que je claquais brutalement des dents, cherchant la moindre ouverture pour sucer méthodiquement l’amour qu’il portait en lui. Néanmoins, il reprit l’avantage en intervertissant nos positions. Cependant, la pouliche n’avait pas réfléchi à la position de son proche avant de frapper avec la casserole, si bien que ce fut lui qui se prit le coup.

 

Complètement étourdi, il était devenu une proie facile pour moi. J’aspirais le sentiment d’amour qu’il abritait, n’en laissant rien en lui. Devant ces assauts à la fois mentaux et physiques, il s’écroula sur moi. Les deux juments, regardèrent avec appréhension la scène, la pouliche pleurant à chaudes larmes devant sa bévue. Le poids de l’étalon inconscient m’avait vraiment bloqué dans ma position, mais je m’extirpais pourtant lentement du corps étranger. Rassemblant son courage, la pouliche s’arma plus fermement de la casserole, prêt à donner un coup si ma tête dépassait d’un seul centimètre.

 

J’examinais la situation de façon instinctive : la pouliche, malgré son jeune âge, était particulièrement vaillante. Sa grand-mère, même si elle avait pu présenter ses traits de caractère dans sa jeunesse, n’en demeurait pas moins vieille et fragile. Ce serait elle ma prochaine cible. J’arrivais finalement à me débarrasser du musclé et comme prévu, la petite frappa de toutes ses forces. Je titubais sous la violence du choc, mais la faim avait vite repris le dessus et je fonçai sur la vieille jument qui hurla de terreur. Ce fut plus aisé de lui pomper ses réserves d’amour, malgré la petite qui avait sauté sur mon dos, continuant de porter des coups de casserole qui commençait à se cabosser devant tant de maltraitance. Elle s’acharnait à m’attaquer, tentant vainement de me raisonner en marmonnant entre ses dents :

 

“Lâche Granny Smith, sale monstre !”

 

Pourtant, cela ne changeait rien. Cette “Granny Smith” avait fini par subir le même sort que l’autre, perdant connaissance. Réalisant son incapacité à me vaincre, la pouliche avait lâché la casserole et essayait à présent de s’enfuir. Je ne lui laissai pas cette chance, en sautant sur elle et en la plaquant sur le dos. Jamais deux sans trois qu’on disait, et la famille était à présent liée dans l’inconscient… par ma faute…

 

Maintenant que je remémorais cela, je ne pouvais plus faire comme si j’avais rien vu. Je connaissais ma part de responsabilité et je souhaitais maintenant savoir comment j’en étais arrivé là. La réponse ne se pria pas longtemps pour se former dans mon esprit : un changelin se nourrissait d’amour. Pas de nourriture de poneys. Il était en vérité impossible de défier la barrière des espèces. Mon instinct avait repris le dessus et m’avait commandé de dévorer leur amour sans en laisser la moindre trace.

 

Il y avait tant d’amour dans cette maison qu’un changelin ne pouvait se retenir plus longtemps devant ce mets de choix. Ainsi, la famille que j’espérais prendre pour modèle avait fait office de repas. Je leur avais tout pris… jusqu’à leurs âmes. Mes yeux se posèrent alors sur la photo qui était tombée. Je la soulevai pour y découvrir les trois fermiers en compagnie d’une autre jument, orange, de taille moyenne, la crinière et la queue couleur paille, le visage constellé de tâches de rousseur et coiffé d’un chapeau. Il s’agissait sans doute de l’”Applejack” mentionnée par la pouliche.

 

Comment réagirait-elle en découvrant le sort de sa famille ?

 

Je ne le savais pas. Mais elle ne serait pas joyeuse, c’était sûr et certain. Il fallait que je trouve un moyen de lui rendre ce qu’elle avait perdu. Sauf que je ne savais pas comment faire. Et je ne pouvais en parler à personne. Je ne voulais pas mourir, et c’était pour ça que j’avais agi de la sorte. Mais ce faisant, je m’étais exclu des poneys. Et je n’avais plus de terre où retourner, en sachant que Chrysalis avait souhaité ma mort. C’était comme si j’étais piégé au beau milieu d’un carrefour.

 

Je ne pus réfléchir plus longtemps à ce genre de considération. En effet, en regardant par la fenêtre, je vis une petite pouliche blanche au loin, du même âge que celle que j’avais attaqué sauvagement. Si on me trouvait ici, en tant que “Nameless”, il ne faudrait pas longtemps pour découvrir que celui-ci était en réalité un changelin. Aussi, je pris la première apparence qui me vint en tête. Ce fut celle de ce marchand itinérant moustachu que j’avais croisé à Dodge Junction. Je sortis ensuite par la fenêtre, m’éloignant d’un pas lent et hésitant, tandis que je laissais derrière moi mes infortunées victimes. Un chien se mit alors à aboyer avec force. Il devait sans doute être ailleurs au moment des faits.

 

Alors que je m’éloignais de plus en plus de cette ferme, un cri déchirant parvint à mes oreilles. Cette pouliche avait dû découvrir les fermiers. Revenu après un détour sur le sentier, je me demandais à combien de gens j’allais faire du mal par ce seul acte. Il me fallait un endroit où me cacher, le temps de trouver une solution. Et je songeais alors que le meilleur endroit pour cela était le plus peuplé d’Equestria… Canterlot.

 

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Un paysage aride, désolé, stérile s’étendait sous le regard des six voyageuses provenant de Ponyville. On aurait pu penser au premier abord que le soleil était plus fort encore ici que dans le désert mais en réalité, rien ne pouvait être plus faux. L’astre ne brillait pas ici, entièrement recouvert par des nuages grisâtres. C’en était au point qu’il était impossible de juger si la chaleur des rayons solaires avait un jour baigné ces terres.


Conséquence de cette absence, un vent glacial se répandait à sa guise dans cette zone. La poussière ne cessait de s’envoler pour retomber un peu plus loin sur le sol. Ce dernier n’était pas doré, comme le sable du désert qui le précédait, mais d’un gris qui tendait davantage vers le kaki. Il était inutile d’espérer davantage de couleurs : le reste n’était qu’ossements d’une pâleur blafarde ou des roches d’un gris noirci par les grains de poussière. Si l’on devait résumer cet horizon en une seule proposition, ce serait sans aucun doute celle-ci : un endroit abandonné par la vie.


Aussi, le groupe mené par Twilight Sparkle détonnait au sein de cet environnement. Cela ne décourageait pas pour autant Pinkie Pie qui était en train d’examiner les lieux par l’intermédiaire de ses sabots avants, qui formaient ainsi une sorte de cadre par lequel elle semblait voir le monde d’un oeil différent. Tant et si bien qu’elle finit par constater d’une voix résolue :


“Ça manque quand même de couleurs par ici, mine de rien.”


Rainbow Dash se plaça presque aussitôt dans son champ de vision avant de lui rétorquer avec ironie :


“Félicitations, Pinkie. T’as deviné ça toute seule ?

-Ben, oui ! répondit la terrestre frisée, n’ayant pas saisi le ton moqueur de la pégase. Je sais pas qui s’occupe de la déco ici, mais je lui conseillerais bien de mettre un peu de rose par ci, par là…

-T’auras qu’à lui dire quand on sera en face d’elle… finit par lâcher Rainbow, laissant manifestement tomber devant l’insouciance de la fêtarde.”


Le groupe reprit alors la marche, mais Applejack s’arrêta bien vite, comptant seulement cinq ponettes. Elle se retourna et vit Fluttershy, figée comme une statue, avec pour seul mouvement le claquement répété de ses dents. La fermière s’en doutait : la peureuse pégase avait déjà pris beaucoup sur elle durant toute la durée du voyage et ce qu’elle voyait en face était trop pour elle. Applejack s’approcha d’un air compatissant de Fluttershy et posa avec délicatesse le sabot gauche sur l’épaule de la jument jaune :


“Ça va, sucre d’orge ?

-J’ai… j’ai peur… marmonna-t-elle de façon presque inintelligible entre deux claquements. Je veux… je veux rentrer à Pony...ville.

-J’sais, fit simplement la cow-pony. Mais tu peux pas rentrer maintenant. Tu es déjà épuisée à cause de l’aller. Tu pourras jamais rentrer toute seule. Déjà qu’il a fallu t’aider à transporter une partie de tes bagages.

-Dans ce cas… laissez-moi ici, suggéra d’un ton plaintif la pégase.”


Applejack secoua la tête de façon négative et lui expliqua que si elle demeurait ici, elle aurait davantage peur, sans personne pour la rassurer cette fois. Elle continua son argumentation en lui révélant qu’elle était toutes là pour l’aider si besoin était. Et en guise de conclusion, elle lui rappela ce pourquoi il fallait s’aventurer dans cet endroit dévasté. Peu à peu, la fréquence du son de la mâchoire se fermant et s’ouvrant ralentit, avant de cesser complètement. Quelques instants plus tard, Fluttershy se rapprocha lentement du reste du groupe, ce qui arracha un sourire à la fille Apple.


Lorsque le corps expéditionnaire se mit à nouveau en marche, Twilight conseilla à tout le monde de parler le moins possible, seulement si cela était nécessaire. Puis, sentant de plus en plus le poids de son propre sac, elle fit une proposition à ses amies :


“Sachant qu’il faut qu’on se fasse les plus discrètes possibles, et que ce qu’on porte nous ralentit énormément, que diriez-vous qu’on vide une partie du contenu en prenant soin de le mettre dans un recoin de façon à le récupérer par la suite ?”


Tout le monde la regarda d’un air perplexe, comme si elle avait dit une énormité. Applejack, en tant que principale intéressée dans ce voyage, se chargea de porter la parole de tous :


“Twala, c’est pas une mauvaise idée en soi, mais t’as vu où on est ? Si on était dans Everfree, ça aurait été une idée sympa, mais là, on est littéralement en territoire ennemi. T’es sûre que t’es une surdouée ?

-Roh, AJ ! lui répliqua la licorne mauve, avant de se reprendre en s’éclaircissant la gorge. Il me suffira de lancer un sort de camouflage sur ce qu’on laisse dans le coin, rien de plus facile. Pourquoi créer des problèmes là où il n’y en a pas ?”


Les autres restaient malgré le ton rassurant de la disciple de Celestia dans l’expectative. Aussi, cette dernière ne s’embarrassa pas plus de mots et se contenta de faire signe à ses amies de la suivre dans le plus grand calme. La magicienne s’arrêtait quelquefois pour contempler l’étendue desséchée avant de reprendre la route. Ce petit manège dura une dizaine de minutes, jusqu’à ce qu’elle baisse la tête pour constater que le rocher sur lequel elles se trouvaient formait en réalité une vague. Ce serait le point de repère idéal pour elle.


Twilight bondit du rocher et le désigna avec empressement au restant du groupe, leur enjoignant vivement de déposer le plus gros de leurs affaires dans le renfoncement créé par le rocher. Ses amies s'exécutèrent et la cavité fut bientôt comblée grâce à leurs bagages. Elles ne portaient désormais sur leurs dos que l’équivalent d’une à deux journées de vivres. La surdouée leur demanda alors de se pousser tandis que sa corne commençait à luire d’une couleur rosâtre. Peu après, un rayon de la même teinte frappa les affaires du groupe qui se flouèrent, avant de laisser place à de nombreuses petites pierres. Tout du moins pour un observateur extérieur au groupe. Car pour les ponyvilliennes, rien n’avait changé. Devant leur incompréhension, Twilight les rassura en révélant que le sortilège n’aurait aucun effet sur les propriétaires légitimes. La fille Apple, bien qu’étant non versée dans la magie par sa nature, lui posa la question suivante :


“Et ça durera longtemps ?

-Et bien, songea Twilight, ce n’est pas un sort très compliqué. Même Rarity n’aurait aucun mal à le lancer et à le faire tenir sur la durée.”


L’élégante licorne parut très offensée de la réflexion de son homologue mauve. Certes, elle n’avait pas étudié la magie comme l’avait fait la disciple de Celestia, mais de là à dire qu’elle était presque totalement ignare en la matière, car c’était ce qu’elle entendait implicitement jusqu’à preuve du contraire, c’était pousser le bouchon un peu loin ! Néanmoins, elle n’en tint pas rigueur à Twilight, préférant passer ses nerfs sur le sol poussiéreux. Quant à Applejack, même si elle n’avait pas eu une réponse très précise à sa question, elle choisit de faire confiance au talent de son amie.


Cette dernière attira à nouveau l’attention du petit groupe sur elle, de façon à leur rappeler les conditions du périple sur les terres appartenant aux changelins. Le premier conseil qu’elle leur donna était d’observer le plus grand silence au cours de leur progression. Ses iris se tournèrent en particulier sur l’excitée de la bande. Celle-ci avait bien compris le message et avait entrepris de mimer la fermeture de sa bouche à l’aide d’une clef qu’elle dissimula dans le sol, et etc, etc… Ensuite, la disciple de Celestia leur rappela la faculté de métamorphose de leurs opposants et leur expliqua qu’il était probable qu’ils en fassent usage pour la chasse.


“Donc, ne faites confiance à aucun animal, conclut la jument mauve. On ne sait pas ce qu’il pourrait être vraiment.”


Elle passa à son conseil suivant, qui était plutôt un rappel pour le coup. Le groupe ne devait sous aucun prétexte déclencher les hostilités avec le peuple de la reine Chrysalis. Leur objectif consistait simplement à atteindre le coeur de l’équivalent du palais de la souveraine insectoïde de façon à lui demander audience, et rien d’autre. Et pour faire un exemple, elle leur désigna la contrée sans vie du sabot :


“Ça, c’est le résultat de ce que les changelins ont fait à leurs propres terres. Essayez d’appliquer cette image sur Equestria. C’est fait ? Et bien, ce que vous venez d’imaginer sera sans aucun doute le résultat d’une guerre ouverte entre nos deux peuples. Bref, tenez-vous à carreaux et pas de défouloir comme au mariage.”


Les membres du groupe qu’elle dirigeait opinèrent du chef avec un hochement de tête. Elles gardaient en mémoire que ce n’était pas un assaut qu’elles faisaient, mais simplement une visite de courtoisie. Les précautions qu’elles étaient obligées de prendre étaient simplement imputables à la nature terriblement agressive de leurs hôtes involontaires. C’était une expédition des plus risquées, mais également la dernière chance de trouver un remède au coma des Apple. Peut-être Chrysalis y était-elle directement mêlée ou au contraire elle y était totalement étrangère. La seule façon de démêler le vrai du faux était d’avoir une simple conversation avec elle. Chose plus facile à écrire qu’à faire, cela se concevait aisément.


Twilight repensait, tandis que le groupe la suivait en file zébrienne, au cadeau de sa mentor. Avec un sort pareil, le fait même d’être capturée ne posait plus problème. Si elles étaient emprisonnées, il suffirait juste de faire parler Chrysalis avant de se téléporter tranquillement à Ponyville. Elles n’en avaient pas encore parlé au reste de l’équipe, car elle souhaitait préserver la plus grande tension, notamment à cause d’Applejack. Elle savait de quoi était capable la fermière s’il n’y avait pas un risque équivalent à son attitude casse-cou. Mais pour l’heure, la cow-pony fermait la marche, jetant à de nombreuses reprises des regards en arrière, vérifiant qu’aucune créature ne suivait le groupe. Au moins, Applejack restait prudente malgré tout, songea la protégée de Celestia tout en ramenant son regard droit devant elle.


A vrai dire, toutes les juments du groupe faisaient terriblement attention, y compris Pinkie Pie. Dans son cas, elle regardait le ciel nuageux. Toutefois, elle eut une petite arrière-pensée de regret en songeant que ce n’était pas les nuages en barbe à papa de Discord. Les trois juments restantes regardaient alternativement à droite et à gauche. De cette façon, il n’y avait pas d’angle-mort.


Enfin, même si elles essayaient de se mettre en file zébrienne, la réalité était plus chaotique, un chaos que n’aurait pas même renié le draconnequus. La structure du sol du royaume changelin rendait impossible la formation d’une ligne droite parfaite. Il n’y avait presque aucun aplat du relief et les filles étaient souvent contraintes d’escalader des piles d’ossements, parfois gigantesques, tel celui d’un animal aussi grand qu’une petite colline arborant de longues défenses. Il était difficile en voyant ces restes de dire ce qui l’avait tué. Les changelins ? Un autre prédateur ? Mort de faim ? De vieillesse ? De tristesse ? Impossible de trancher.


Au bout d’une heure ou deux de marche, ponctuées d’autant de silence de la part de la fine équipe, le paysage commença lentement à changer. Désormais, le sol se divisait en de multiples fractures, suffisamment grandes pour permettre aux juments de s’y installer. Twilight en fut ravie, car il serait devenu dangereux à plus ou moins court terme de progresser à terrain découvert. L’inconvénient majeur à ce mode de progression était que les parois étant très rapprochées les unes des autres, les pelages des habitantes de Ponyville se frottaient assez durement contre la roche. Les moins habituées à ce genre de rigueurs, Fluttershy et Rarity, poussaient parfois de petits gémissements de douleurs heureusement étouffés par le son des petits gravats qui leur tombaient dessus. Quoique cela n’était pas une bonne chose également…


Jusqu’à présent, leur exploration s’était déroulée sans accrocs. Pas de changelins en vue, pas d’obstacles infranchissables. Seul souci qui se présentait à elle : il était devenu ardu de se repérer dans ces sentiers sinueux dont les parois s’agrandissaient, sans pour autant s’écarter. Comme aucune carte de cette zone n’existait à Equestria, Twilight était obligée de mener le groupe au jugé. Cela n’avait pas échappé à Applejack, mais vu qu’elle était reléguée en bout de file, elle ne pouvait pas en faire part à la licorne mauve.


Une heure encore s’écoula. Des gouttes de sueur perlèrent sur le front de la protégée de Celestia, ainsi que sur les autres. La route serpentait de plus en plus sans pour autant qu’une sortie se dévoile. Toutefois, Twilight fit signe au groupe de s’arrêter, en leur bloquant au passage le chemin. Les juments faillirent se rentrer les unes des autres. Applejack s’emporta dans un murmure de colère :


“Qu’est-ce tu fiches, Twilight ?!”


Twilight avança, sans pour autant demander à ses amies de reprendre la marche. Lorsqu’elle fut un peu plus loin, elles purent voir ce qui avait provoqué la halte de Twilight. Il y avait au bout une autre paroi, mais un trou l’accompagnait. Ce dernier semblait s’être formé naturellement. Twilight pensait sans doute qu’il s’agissait d’une voix d’accès qui pouvait à terme rapprocher tout le monde du but fixé. Toutefois, elle prenait toutes ses précautions avant de faire entrer le groupe là-dedans. Le lieu était peut-être surveillé par une patrouille de changelin, aussi partit-elle en éclaireuse afin de s’en assurer en faisant luire sa corne le plus faiblement qu’elle put.


Pendant ce temps, les juments restées en arrière patientaient et sentaient peu à peu une boule se former dans leurs gorges. Bien entendu, elles n’étaient pas toutes égales sur ce point, certaines d’entre elles commençant à être habituées à ce genre de situations. Applejack, Rarity et Rainbow Dash notamment. Dans le cas de Pinkie Pie, ce n’était pas vraiment de l’appréhension, mais plutôt de la fébrilité qui l’envahissait peu à peu. Rarity se rapprocha d’Applejack et lui posa le sabot à l’épaule pour la détendre un peu, mais cette dernière la repoussa légèrement sans dire un mot.


Un quart-d’heure s’ensuivit sans nouvelles de la licorne surdouée. Et finalement, elle fit son retour, intacte. En tant que chef de file, elle se chargea de rompre le silence qui régnait jusque là :


“J’ai pas été jusqu’au bout de ce tunnel, mais il semble vide et il s’étend de manière uniforme sur quelques kilomètres, on devrait déboucher à proximité du palais de Chrysalis.”


Le groupe se replaça en file mais Twilight les stoppa immédiatement. La licorne demanda ensuite à Rarity et Applejack d’intervertir leurs positions de façon à ce que la jument puisse éclairer l’arrière de la file avec sa corne. Réprimant un juron, Applejack se fraya un passage vers l’avant, sautant par dessus Pinkie Pie et Fluttershy, tandis que Rarity en fit autant, mais en longeant la paroi néanmoins. Quant les exigences de Twilight furent satisfaites, le corps expéditionnaire s’’engouffra finalement dans le tunnel.


A mesure qu’il progressait dans le sombre couloir, le groupe put à nouveau entendre des claquements de dents. La craintive pégase était à nouveau victime de crises d’angoisses. Connaissant bien son amie, Rainbow Dash se chargea de la rassurer en chuchotant autant que faire se peut. A partir de maintenant, il était devenu considérablement risqué d’émettre le moindre bruit. Ce fut l’argument émis par l’athlétique pégase pour calmer une bonne fois pour toutes Fluttershy. Cette dernière usa alors d’auto-persuasion en murmurant “je n’ai pas peur” en boucle. Comme elle disait cela avec une voix quasi-imperceptible, personne ne lui reprocha de recourir à cela.


L’avancée se poursuivit d’un pas lent. Au bout d’un moment, Twilight expliqua d’une voix étouffée qu’elle s’était stoppée là et que la suite du périple était inconnu. Le groupe se remit en route avec une vigilance accrue. Ce tunnel était si long qu’il paraissait inconcevable qu’il ne fut pas creusé par des changelins. Pourtant, c’était bel et bien le cas : des gravats tombaient d’un plafond où se formait des stalactites tandis que des stalagmites se formaient sur le sol. Les juments prirent bien soin d’enjamber les pics tout en poursuivant leur route sous les pâles lueurs des deux licornes.


Puis, après de longues minutes de marche, si longues que le groupe commençait à perdre la notion de temps, celui-ci déboucha sur une vaste caverne qui ne trompait pas sur son appartenance au peuple de Chrysalis. Les parois suintaient d’une substance verdâtre caractéristique des changelins et étaient considérablement trouées. On aurait dit, en moins peuplé néanmoins, l’intérieur d’une ruche d’abeilles, de guêpes ou de frelons. Rien d’étonnant à cela, quand l’on considérait la nature intrinsèque du changelin, proche de l’insecte, mais une vision d’une telle ampleur procurait un effet incroyable sur les juments de Ponyville.


Passée la surprise initiale, Applejack s’avança, brisant par la même occasion la file, et asséna d’un ton sec que si elles n’étaient pas en territoire ennemi jusqu’à présent, c’était maintenant le cas. Twilight hocha la tête en signe d’assentiment, et expliqua qu’elles étaient à présent bien dans les terres des changelins. En réponse à cela, Rainbow Dash tourna en voletant autour de la licorne mauve en lui demandant où elles devaient aller. La disciple de Celestia réfléchit un bon moment avant faire la suggestion suivante :


“Je suis aussi perdue que vous, mais je crois pouvoir affirmer sans me tromper que les plus petits renfoncements sont des chambres pour les changelins tandis que les trous plus larges sont des tunnels, comme celui que nous venons d’emprunter, à l’exception du fait que cette fois, ce sont des constructions changelines.

-Ça restreint le champ, jaugea Applejack. Y a que trois trous comme celui-là. On devrait se séparer en groupes de deux.

-Non, non, la contredit Twilight. On reste ensemble jusqu’au bout.

-Qu’est-ce qui te gêne là-dedans ?”


Twilight lui désigna alors Rarity, qui s’occupait du mieux qu’elle pouvait d’une Fluttershy terrorisée. Elle lui rappela que la présence de tout le monde autour d’elle était son seul réconfort dans ce territoire hostile.


“Tu l’as dit toi-même plus tôt dans la journée, acheva Twilight. Plus on sera nombreuse autour d’elle, moins elle aura peur et par conséquent, moins elle sera un obstacle à notre mission. C’est une simple affaire de logique.”


Applejack ronchonna un peu mais accepta néanmoins les arguments de la licorne mauve avant de faire signe au restant de la bande de la suivre. Twilight émit un soupir de soulagement. S’il était vrai que le bien-être de Fluttershy était une raison valable, la protégée de Celestia avait une autre idée derrière la tête : la surveillance d’Applejack. Elle n’oubliait pas que son amie était la principale intéressée et qu’elle était capable de faire des actes moralement condamnables. Même si elle était calme ces derniers temps et ne parlait plus trop de sa vengeance, Twilight savait qu’elle y pensait encore et que c’était son deuxième objectif, juste après le retour de sa famille. Par conséquent, un duo avec la cow-pony, même formé des juments les plus prudentes, étaient une très mauvaise idée. Ça lui laissait trop de champ libre pour faire de nouvelles bêtises.


Au moins, la jument à la crinière paille avait pu choisir l’itinéraire qu’elle souhaitait. A la demande de Twilight, elle était repassée à l’arrière, se tenant juste devant Rarity qui continuait d’éclairer l’arrière du groupe, même si elle commençait à montrer des signes de fatigue, au contraire de la magicienne émérite de la bande. La file s’était par conséquent reformée et s’avançait dans ce nouveau tunnel des plus obscurs, bien qu’éclairé par une très faible lueur verdâtre.


Les juments étaient peu à peu contaminées par l’angoisse de la pégase jaune. Même si le chemin était sécurisé, l’air lourd leur pesait particulièrement. Sans doute n’était-ce qu’une impression, mais le simple constat d’être dans la tanière des changelins leur était désagréable. Certaines y étaient extrêmement sensibles, parfois au point de se sentir partir. Rainbow Dash se chargeait de secouer la principale concernée par ce souci et parvint ainsi à en extirper quelques mots confus de gratitude.


Les six ponettes avançaient à présent à pas feutrés, de façon à ce qu’elles seules puissent les entendre, puis bientôt elles n’entendirent plus rien, si ce n’est un grondement assourdissant, qui fut suivi d’une puissante secousse. Elles se bouchèrent les oreilles de leurs sabots avant de se recroqueviller sur elles-mêmes. Toutefois, le regard émeraude d’Applejack s’était posé sur le plafond du tunnel qu’éclairait encore la styliste. Celui-ci menaçait de s’effondrer sur le corps blanc de licorne. N’écoutant que son courage et aussi un peu sa folie, la cow-pony se remit sur ses jambes et bondit derrière Rarity, toujours repliée sur elle-même avant de l’expédier d’un violent coup de sabot en direction de Rainbow Dash qui hurla de douleur.

Il fut difficile ensuite pour les juments de décrire ce qui s’était produit. Twilight avait certes jeté un regard affolé en direction de la fille Apple, mais celui-ci fut bientôt obstrué par la multiple chute de rochers. De plus, les autres étaient tellement prises au dépourvu qu’elles n’avaient vu rien d’autre que le noir de leurs paupières fermées. Le tremblement souterrain dura encore une trentaine de secondes, durant lesquelles les jeunes ponettes hurlèrent de tout leur saoul. Évidemment, personne ne pouvait les entendre, mais elles criaient si fort qu’elles auraient pu avec un effort supplémentaire, couvrir le son de la secousse.


Lorsqu’enfin cette dernière daigna s’arrêter, les juments restèrent figées dans leur position, craignant une reprise de l’assaut terrestre. Puis, lentement, elles se relevèrent, les paupières toujours closes, avant de les relever doucement. Twilight, Pinkie, Rainbow, Fluttershy et Rarity se regardèrent les unes les autres, l’air soulagées de voir qu’elles allaient toutes bien. Seulement après, leurs pupilles se posèrent sur l’endroit où Applejack avait secouru vigoureusement la blanche licorne. Et en lieu et place de la fille Apple se trouvait un nouveau mur de roches.


Personne ne dit rien pendant une quinzaine de secondes. Il fallait laisser le temps à leurs rétines d’imprimer la vision. Elles étaient médusées. Tout simplement. Elles regardèrent ensuite derrière elles, comme si elles espéraient qu’elle se trouvait là. Seulement après avoir exécuté tous ces différents gestes, deux d’entre elles se dirigèrent vers les gravats, commençant à les frapper d’un sabot désespéré.


“APPLEJACK !!! hurlèrent d’une voix unie Rainbow Dash et Rarity.”


Elles frappaient, cognaient, heurtaient les roches à s’en faire saigner le sabot, tout en appelant leur amie. C’était inconcevable, elle ne pouvait pas finir comme ça, pas après tout ce qu’elle avait déjà traversé, ce n’était absolument pas possible. Les trois autres les regardaient faire d’un air absent. Cela finit par énerver Rarity qui s’emporta alors à l’encontre des trois juments :


“Venez aider, bon sang !”


Mais seule Twilight lui fit écho, lui parlant tandis que la blanche licorne et la pégase azur s’évertuaient à déplacer les gravats :


“Avec tout le bruit que vous êtes en train de faire, vous allez attirer les changelins. Laissez tomber, on peut rien faire pour elle maintenant.”


Rainbow lâcha la roche qu’elle transportait avant de foncer avec violence en direction de Twilight la prenant brutalement entre ses sabots. Elle lui reprocha alors avec colère d’abandonner Applejack à son sort, de faire comme si elle était déjà morte. A cela, l’élève de Celestia la repoussa avec la même force, avant de lui rappeler qu’elles devaient avant tout parvenir à Chrysalis et que la cow-pony n’était pas morte. Ce n’était pas envisageable pour elle non plus mais...


“... Tu la connais. Elle reviendra plus vite que tu ne le crois parmi nous. Elle veut sauver sa famille par elle-même, acheva-t-elle.

-C’est aussi pour ça qu’on doit être à ses côtés en permanence, Twilight ! lui rappela Rarity, en tombant sur la roche, épuisée.”


Elles n’eurent plus l’occasion de poursuivre cet épineux débat, étant donné qu’un son strident, presque similaire au claquement de dents de Fluttershy, se fit entendre derrière le trio composé de Pinkie, la pégase jaune et de Twilight. Cette fois, c’était sûr : elles étaient découvertes. Il fallait s’enfuir, maintenant. La licorne mauve conjura ses deux amies de les suivre au plus vite, la mission passait avant tout. Rarity et Rainbow Dash regardèrent encore le mur, avec un air où disparaissait l’espoir, avant de se retourner et de commencer à galoper en compagnie de leurs compagnes.


Il avait suffi d’une simple secousse pour accélérer dramatiquement le rythme de leur progression. Twilight et Rainbow Dash étaient à l’avant tandis que les premiers changelins firent leur apparition. Les créatures noires, voisines de l’insecte, les attendaient au bout du tunnel, où paraissait déjà les lueurs vertes annonçant une autre ruche. Elles bavaient abondamment sur la roche, comme si elle savourait déjà un festin qu’elles savaient proches. Sachant qu’elles étaient coincées si elles ne faisaient rien, Twilight arma sa corne, qui luisait déjà de manière sinistre, tandis que la pégase athlétique fonça dans la marée noire et expédia une bonne partie du mur bloquant l’accès à la ruche. Twilight se chargea des rescapés en les rendant inconscients. Précaution inutile, mais Rarity faisait déjà léviter des morceaux de roches qu’elle réservait pour les derniers survivants, tandis que Pinkie faisait tout son possible pour faire avancer malgré tout Fluttershy, qui venait d’avoir suffisamment d’émotions fortes pour toute une année.


Ainsi, ce qu’il restait du corps expéditionnaire de Celestia déboucha dans une nouvelle ruche. Mais si la précédente était vide, sa voisine ne l’était pas. Une nuée de changelins tournoyaient dans les airs, formant de la sorte un nuage orageux, certains s’arrangeant même pour bloquer les issues. Les juments eurent alors l’impression de revivre l’incident du mariage. Elles savaient par conséquent qu’elles ne l’emporteraient pas. En tout cas, pas sans éléments. Tout du moins, elles étaient si furieuses d’avoir été séparé si abruptement d’Applejack qu’elles ne se laisseraient pas capturer sans avoir vaincu un maximum de sbires de la reine Chrysalis. Il était bizarre que quelqu’un qui avait autant insisté sur la discrétion quelques heures auparavant en arrive à penser cela, mais Twilight était tellement énervée par la tournure des récents événements qu’elle ne parvenait plus à réfléchir convenablement.


Pinkie Pie, ayant été contrainte de laisser dans la cachette son armement de prédilection, à savoir son canon spécial fêtes, ainsi que ses cadeaux piégés, n’avait strictement rien pour vaincre les changelins. Aussi appliqua-t-elle une autre stratégie : la protection de Fluttershy, encore plus démunie qu’elle. Rarity, Rainbow et Twilight se chargeaient de leur côté de vider les rangs d’insectes. A chacune leur spécialité : si Twilight faisait étalage de tout ses talents en matière de magie, désorientant les changelins par ses fréquentes téléportations, systématiquement suivis de rayons magiques, parfois agrémentés de nouveaux enchaînements, comme par exemple apparaître juste au dessus d’une pile de créatures aux yeux vitreux pour les écraser copieusement, l’athlétique pégase se contentait pour sa part de frapper dans le tas en comptant majoritairement sur sa vitesse pour les faire tourner en bourrique. La licorne blanche tirait quant à elle un grand avantage de son environnement pour mitrailler de cailloux les insectes. La difficulté cependant était de ne pas toucher ses amies dans le processus.


Quelques changelins, plus malins que leurs congénères, avaient noté la présence de Pinkie et de sa protégée et foncèrent en poussant un hurlement strident dans leur direction. La bondissante terrestre n’en perdit pas pour autant son grand sourire et prit appui sur ses sabots pour sauter de changelin en changelin, leur faisant par là-même dévier de leur trajectoire. Tout en riant à gorge déployée, elle conseilla à Fluttershy de reculer en direction du tunnel. Voyant qu’elle ne bougeait pas, elle insista en répétant en boucle son injonction. Il fallait croire que la pégase en eut assez, car elle finit par obéir, le corps tremblotant.


L’affrontement se renforçait avec la présence d’une participante supplémentaire. Les nuées de changelins commençaient à se réduire, laissant entrevoir un mince espoir de victoire pour les envoyées de Celestia. Toutefois, les bestioles aux couleurs des ténèbres ne perdaient pas pour autant leur principale force, basée sur le nombre. Comme s’ils étaient un seul et même être, ils commencèrent à se séparer en deux essaims distincts empruntant un chemin similaire, les faisant ressembler ainsi aux mandibules d’un gigantesque scarabée noir. Les quatre combattantes se retrouvèrent alors dos à dos et observèrent avec une grande appréhension leurs mouvements. Tout à coup, les mandibules se rapprochèrent du centre de la ruche, où se trouvaient les ponettes. Twilight et Rarity essayèrent de multiplier les tirs dans les deux directions, mais même si elles parvinrent à éliminer quelques changelins, elles s'arrêtèrent en constatant que deux d’entre eux avaient capturé la pégase jaune, qui s’était évanouie devant la peur accumulée depuis le début de la journée. Pinkie et Rainbow Dash tentèrent de vaincre leurs adversaires au corps à corps, mais elles furent elles aussi submergées devant les vagues noires.


C’était à prévoir, mais elles avaient perdu, principalement à cause du nombre. Pour l’instant, le scénario du mariage se répétait inexorablement. Il restait à découvrir si la fin serait identique. Twilight s’abandonna à ses pensées, avant de s’écrouler d’épuisement dans les pattes trouées des sous-fifres de Chrysalis. Ces derniers, ayant capturé les intrus, s’envolèrent à nouveau, transportant les équestriennes à travers de multiples tunnels. La quantité de changelins impliquée dans le processus donnait l’impression d’avoir affaire à un véritable raz-de-marée. Au bout de quelques minutes, ils débouchèrent sur une zone vierge de ruches. L’endroit était constituée d’une gigantesque bulle verdâtre avec un trou sur le dessus. Elle ne paraissait pas bien solide de premier abord, mais la vérité était tout autre, étant donné que les changelins se posèrent dessus sans que la moindre marque d’abîmement n’apparut sur la bulle. Les créatures noires volèrent au-dessus du trou et jetèrent tour à tour les cinq juments dans la bulle, toutes inconscientes. Puis ils se mirent à baver de façon à cracher leur mucus verdâtre qui scella de la sorte la bulle de manière complète. Enfin, ils repartirent d’où ils étaient venus, une fois leur tâche accomplie.


Les amies restèrent endormies pendant une bonne demi-heure avant que l’une d’entre elle ne s’éveilla. Ce fut Rainbow Dash, qui avait été également la dernière à perdre connaissance. La pégase s’envola pour faire le tour des lieux et essaya de cogner la bulle en divers endroits. Aucune réaction. Elle remarqua ensuite le mucus récemment ajouté et essaya de prendre de l’élan depuis le sol. Elle fit décoller légèrement la bave, mais celle-ci, à l’instar du caoutchouc, la repoussa violemment en direction de la roche. Elle retomba alors sur Rarity, lui transmettant au passage une partie du mucus sur le visage, ce qui l’extirpa de son sommeil.


L’élégante licorne se passa le sabot sur les paupières et poussa un hurlement en examinant ce que c’était. Elle se frottait avec force le visage et renvoyait la bave sur la crinière arc-en-ciel de Rainbow. Cette dernière s’emporta alors :


“Fais pas ta chochotte, Rarity ! Viens m’aider à trouver un moyen de sortir plutôt !

-Je voudrais bien t’y voir, toi ! se plaignit la styliste. C’est répugnant !

-Comme les changelins, quoi ! lui rappela la pégase.”


Elles se disputaient si fort qu’elles ne tardèrent pas à réveiller les autres membres du groupe. Pinkie Pie, en les voyant s’entre-déchirer de la sorte, ne put s’empêcher d’avoir un sourire, songeant qu’il était amusant de constater que ces deux-là faisaient la paire, lorsqu’il s’agissait de retrouver Applejack, alors que maintenant, elles se prenaient la tête comme des chiffonniers.


Fluttershy de son côté, était à présent débarrassée de ses craintes, étant donné que rien ne pouvait être pire que la situation actuelle. Elle partit à la rencontre de Twilight, qui examinait quant à elle la bulle avec attention. Pendant ce temps, Pinkie Pie, ne voyant rien d’autre à faire, récupéra une balle rebondissante de sa sacoche et se détendit en la lançant sur le mur, et en la renvoyant lorsqu’elle revenait sur elle. Au moins, elle s’amusait. Tandis que Rarity et Rainbow Dash continuaient leur petit différend, la timide pégase demanda à Twilight :


“Est-ce que tu aurais un moyen de nous faire sortir ?

-Peut-être, répondit tout de go la disciple de Celestia. Mais je ne souhaite pas tenter le coup tant qu’on a pas Applejack à nos côtés.

-Tu crois qu’elle est… je veux dire…”


La disciple de Celestia haussa les épaules avant de secouer la tête tout en déclarant à son amie :


“Je ne peux rien affirmer pour le moment. Si elle est en vie, elle ne devrait pas tarder à nous rejoindre. Si on a rien pu faire à cinq, je te laisse imaginer elle toute seule.

-Et si elle est…

-Je préfère ne pas penser à cette éventualité.”


Rarity, à présent nettoyée, arrêta son échange houleux avec la pégase azur, préférant écouter celui de la licorne mauve et de la pégase jaune. Elle se rappela alors qu’il y avait quelque chose dont elle n’avait toujours pas parlé à la jument, alors qu’elle s’était jurée de lui dire dès que possible. Au vu de la situation, elle songea que c’était le moment ou jamais d’en parler à son amie. Aussi se rapprocha-t-elle et interrompit la discussion d’une voix faussement désolée :


“Twilight, désolée de te couper, mais je dois te parler de quelque chose au sujet d’Applejack. C’est au sujet de sa demi-pomme.

-Tu ne crois pas qu’il y autre chose dont on devrait s’occuper que de sa promesse ?

-Je suis sérieuse, lui annonça la styliste, c’est peut-être une des clefs du problème.”


Devant la mine grave de son amie, la magicienne se laissa fléchir et écouta ce que Rarity avait de si important à lui dire. Les autres ne tardèrent pas à se rapprocher également, hormis Pinkie Pie, qui continuait de jouer avec sa balle, mais qui prêtait néanmoins une oreille étonnamment attentive à la scène…

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La lumière réchauffante issue des cornes de Twilight et Rarity avait abandonné Applejack au moment où elle se réveilla. En prenant la place de la licorne blanche, elle avait été au devant de grands risques pour sa vie. Une grande partie des gravats était tombée sur elle au cours de la secousse, et sous l’accumulation successive de douleur, son esprit avait fini par ployer. Elle n’avait pas entendu la blanche licorne et la pégase azur l’appeler avec l’énergie du désespoir. Ce qui lui avait fait reprendre connaissance était ce grésillement strident et constant, caractéristique des changelins.


Elle sentait le poids des pierres sur ses sabots arrières. Le reste de son corps n’avait fort heureusement eu droit qu’à des cailloux très fins. Par contre, il lui fallait dégager ses membres emprisonnés de l’éboulement. Dans l’obscurité, il lui était impossible de voir ce qu’elle faisait, mais elle essaya quand même d’atteindre ce qui restait dans sa sacoche. Lorsqu’elles étaient dans le train, Fluttershy leur avait confié un nécessaire de premiers soins, parmi lequel figurait une planche en bois, pour se faire une attelle. Si elle parvenait à la retrouver, elle pourrait s’en servir comme levier et ainsi se sortir de là. Elle tâtonna dans le noir, mais parvint néanmoins à ouvrir la sacoche avec sa bouche. Il ne lui restait plus qu’à récupérer la planche dans le sac. Plus facile à dire qu’à faire. Il lui fallut deux bonnes minutes avant de la sentir et une supplémentaire pour la saisir entre ses dents.


Ceci étant fait, la fille Apple se tourna autant qu’elle put, au point d’atteindre une position guère confortable pour son corps. Elle approcha sa tête au maximum et donna quelques coups au hasard avec la planche pour dénicher l’interstice qui lui permettrait de dégager la roche bloquant ses jambes arrières. Au bout d’un moment, elle y arriva. Elle appuya ensuite de toutes ses forces pour pousser le gravat, qui consentit après une courte lutte à changer de position. La fermière en profita aussitôt pour dégager ses membres.


Elle se releva et sentit que sa jambe arrière gauche avait été blessé dans l’éboulement. Elle avait par chance fait office de contrepoids pour sa collègue. Aussi, Applejack récupéra la planche en bois et s’empara ensuite avec plus d’assurance d’une corde qu’elle rompit sèchement sans autre forme de procès. Elle se coinça contre la paroi du tunnel de façon à bloquer la planche et noua non sans mal la planche contre sa jambe. Une fois qu’elle eut prodigué les premiers soins, la cow-pony bougea pas un peu sa jambe pour vérifier que l’attelle tenait.


Elle se gratta alors la crinière et vit que son stetson avait disparu. Sachant pertinemment qu’il ne pouvait qu’être dans les décombres, elle fouilla les gravats dans le noir, jusqu’à atteindre une matière plus douce. Elle traça du sabot les contours du chapeau avant de vérifier que la demi-pomme était encore à l’intérieur. C’était le cas. Néanmoins, le chapeau avait pas mal subi les affres des pierres, mais elle pouvait encore le porter. Elle remit par conséquent ses biens les plus précieux sur sa tête et repartit en arrière, le chemin étant désormais obstrué. Il fallait qu’elle trouve un autre moyen de rejoindre ses amies, tout en conservant à l’esprit qu’au vu de la secousse, les changelins étaient sans doute plus actifs. Et par conséquent, elles avaient peut-être déjà été capturé…


Elle avançait en longeant la paroi, cherchant à retrouver la vaste salle qui faisait office de ruche aux nuées de Chrysalis. Toutefois, elle sentit qu’un trou s’était formé sur le côté qu’elle longeait. Elle se plaça devant et posa le sabot en avant. La piste descendait. Applejack se demanda alors si elle devait suivre ce nouveau chemin, où revenir dans l’ancienne salle. Étant consciente que cette dernière était peut-être déjà rempli de métamorphes, la fermière n’hésita pas très longtemps et emprunta la route nouvellement formée.


Avec prudence, elle s’avança dans cette voie, tout en pensant que le palais de Chrysalis n’était en vérité qu’un véritable gruyère, avec ses chemins se fermant et s’ouvrant devant les caprices de la terre. Cela correspondait néanmoins au style de cette espèce. La route descendait de plus en plus, au point que la pente était devenue raide. Ce chemin était devenu très ardu pour Applejack, qui non seulement ne voyait rien, mais qui était en plus blessée. Elle avança tout doucement, mettant un sabot après l’autre. Le sol redevint plat au bout d’une centaine de mètres. La cow-pony accéléra alors légèrement le rythme de ses pas, étant donné qu’elle voyait de la lumière, toujours aussi verdâtre cependant. Un son, aussi strident que celui des changelins, résonna bientôt dans ses tympans. Une autre voix, compréhensible de son côté lui fit écho. Celle-ci n’était pas inconnue à Applejack, qui s’adossa contre la paroi avant de jeter un coup d’oeil.


La caverne qu’elle contemplait était circulaire, ses murs troués en maints endroits. Au centre se trouvait une montagne d’ossements, tous des changelins au vu de la forme. Et pas n’importe lesquels : des reines. Et au sommet se trouvait la dernière en date, grande et terrifiante, majestueuse et redoutable, intelligente et machiavélique, dont l’opulente crinière bleue sombre peinait à cacher l’éclat de ruse de ses pupilles vertes. D’abord couchée sur les ossements de ses ancêtres, Chrysalis se leva pour répondre aux deux, trois sujets qui venaient lui faire un rapport :


“Elles n’avaient pas les éléments sur elles ? Étrange… Combien étaient-elles ?”


De petits rugissements firent office de réponse. La reine insecte se passa la patte dans sa crinière, l’air pensive, avant d’annoncer à ses minions :


“Elles devraient être six. Pas cinq. L’une d’elle court encore. Que tous les changelins disponibles la retrouvent ! Elle peut encore secourir ses amies et j’aimerais d’abord avoir une conversation avec elles.”


Les changelins repartirent dans le tunnel derrière eux, laissant Chrysalis perdue dans ses réflexions. Depuis sa cachette, Applejack essayait de démêler le sens de ce qu’elle avait entendu. Visiblement, Twilight et les autres avaient été découvertes par les changelins, et capturées. Seule la cow-pony y avait échappé, grâce à l’éboulement. Chrysalis pensait qu’elle irait secourir ses amies, ce qui n’était pas faux. Excepté qu’elle était blessée et qu’elle ignorait où elles étaient gardées.


Une autre idée se forma alors dans l’esprit de la fermière, beaucoup plus risquée, mais où tout le monde y gagnerait au final. Elles étaient venues pour demander des explication à Chrysalis, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est ce qu’elle allait faire, toute seule. La reine des changelins était seule sur son trône d’ossements, par conséquent, c’était le moment ou jamais. Aussi, Applejack sortit du tunnel et avança en boitant vers la reine. Le bruit de ses sabots fit se dresser Chrysalis, qui se retourna pour voir la cow-pony qui s’exprima d’une voix claire et puissante tout en exécutant une révérence devant la puissante souveraine :


“Vous me vouliez, pas vrai ?! Me voilà d’vant vous !”


La reine insecte écarquilla les yeux de surprise devant l’inattendu de la situation. Elle n’aurait jamais cru qu’une équestrienne s’incline de la sorte devant elle. Elle se mit à rire nerveusement, avant de se reprendre en faisant mine d’appeler les gardes. Applejack la conjura de n’en rien faire et d’écouter ce qu’elle avait à lui dire. Chrysalis s’exprima alors d’un ton presque diplomatique :


“Pourquoi Celestia vous a envoyé ici ? Est-ce une déclaration de guerre ?

-Tout l’contraire, majesté, avoua la fille Apple. C’est moi qui voulait vous rencontrer, pour simplement discuter.

-Discuter ? reprit la reine, ne sachant que penser de la déférence et de l’arrogance de la jument orange.

-Exact. Ecouterez-vous c’que j’ai à vous dire ?”


Chrysalis examina longuement la terrestre, qui avait toujours la tête penchée, n’attendant qu’un ordre de la souveraine pour la relever. Cette dernière était totalement prise au dépourvu. D’abord la capture des protégées de Celestia, puis la dernière d’entre elle qui vient s’adresser à elle en personne. Vraiment très étrange… Était-ce un stratagème de Celestia pour lui faire payer son outrecuidance lors du mariage ? D’un autre côté, en examinant celle qui lui faisait face, elle se rappela qu’elle était censée être garante de l’honnêteté. Elle n’en avait aucune certitude cependant, car la seule chose dont elle était sûre était que ses gâteaux étaient affreux. La curiosité de la reine fut la plus forte, car elle décida d’accorder sa confiance à la jument en dessous d’elle :


“J’accède à ta requête, équestrienne. Lève la tête et raconte-moi ton histoire. Mais ne n’attends à rien d’autre de ma part. Je n’accepterai rien de plus.”


Applejack remercia la reine pour sa bonté et se releva difficilement. Elle la regarda ensuite droit dans les yeux et la dévisagea comme si elle était son égal, et ce en dépit de la hauteur qui les différenciait. Les yeux émeraudes de la cow-pony brûlait d’une lueur aussi ardente que les sortilèges de la reine changeline. Finalement, elle se décida à narrer ce qui l’amenait en ces lieux sinistres :


“Il y a environ deux mois de cela, les membres de ma famille ont été plongé dans un profond coma.

-Triste histoire, rétorqua Chrysalis d’un ton faussement compatissant. Mais en quoi cela me concerne ?

-A force d’enquêter, mes amies et moi savons que le problème est d’origine magique et qu’un changelin en est l’auteur. Ma question est : en êtes vous responsables ?”


Une fois que la jument eut prononcée sa question, Chrysalis partit dans un fou rire qui glaçait le sang d’Applejack. La reine rit de plus belle durant presque une minute, trouvant hilarante la franchise de la question de la campagnarde, tandis que celle-ci la fixait intensément du regard. Lorsqu’enfin elle se calma, elle énonça les propos suivants à Applejack :


“Crois-tu que je n’ai que ça à faire de m’attaquer à des fermiers ? Si je devais me venger de quelqu’un en particulier, ce serait de Twilight Sparkle. Si elle n’avait pas été présente, tous les poneys et non seulement toi se prosterneraient devant moi !”


Applejack ne plia pas devant l’air moqueur de la souveraine, même si elle sentait que Chrysalis disait la vérité. Mais dans ce cas, qu’était donc que ce changelin qu’elle avait vu au Carmanegie Hall ? Il lui fallait tirer ça au clair. La reine insecte cessa de se moquer de la jument, se rappelant d’un détail qui allait changer considérablement la donne :


“Toutefois, j’ai un de mes sujets qui doit se balader dans votre pays.

-Comment ça ? demanda Applejack avec un grand intérêt.

-Il s’agit d’un être que j’ai tenté sans succès d’éliminer. Vois-tu, je suis la souveraine de mes sujets. Je suis en quelque sorte leur conscience. Ils ne peuvent penser par eux-mêmes. Néanmoins, il existe des exceptions. Des changelins qui se découvrent une personnalité individuelle. Ces créatures ont une différence par rapport à leurs congénères : la présence d’une crinière.”


Maintenant qu’elle le disait, Applejack se souvenait que lors de son affrontement contre le changelin, ce dernier arborait une fine crinière. Et aussi loin qu’elle s’en souvienne, le seul autre changelin à crinière qu’elle avait vu n’était autre que Chrysalis elle-même ! Cette dernière poursuivit son récit, prenant un plaisir sadique à observer la réaction d’Applejack :


“Ces changelins ont une autre particularité : ce sont des Alphas. Ils sont en mesure de me disputer le droit à la souveraineté. Ma prédécesseur m’avait expliqué que seule la lignée des reines devait être au courant de ce secret pour assurer une descendance à notre peuple. Lorsque ce changelin apparemment responsable du sort de ta famille est venu me voir, j’ai demandé à ce qu’on le tue, car je craignais qu’il ne souhaitait prendre ma place. Cependant, il nous a échappé et s’est enfui vers Equestria. Je ne souhaitais pas provoquer Celestia impunément, aussi ai-je laissé ce changelin Alpha faire ce qu’il souhaitait.”


Beaucoup de questions commençaient à trouver réponse aux oreilles de la fille Apple, mais d’autres devenaient encore plus inexplicables devant le récit de Chrysalis, que cette dernière continua :


“Par sécurité, j’ai regardé grâce à l’un des trésors changelins, ce que cet être faisait. Il semblerait qu’il essayait de mener sous un autre nom la vie d’un poney. Il fallait croire que Canterlot lui avait forte impression et avait déclenché sa mutation. Je ne peux qu’émettre des hypothèses à mon niveau. Comme il ne me posait aucun souci, j’ai décidé de le laisser faire. Pourtant, j’ai vraisemblablement fait preuve de négligence en sous-estimant la faim changeline.

-La faim ?

-Oui. Comme tu le sais, nous nous nourrissons d’amour. Il semblerait que cet Alpha ait adopté l’existence d’un poney jusqu’à son mode de vie. Il a donc abandonné la soif d’amour.

-Il est donc innocent ? s’enquit la fille Apple.

-Non, répliqua de suite Chrysalis. Ce qu’il faut savoir, c’est que la soif grandit au fur et à mesure du temps passant. On peut y résister dans un premier temps, mais plus la présence d’amour devient importante, plus nous pouvons perdre le contrôle. Il existe deux moyens d’y remédier : ou bien dévorer de l’amour, dans ce cas la faim reviendra ou alors prendre jusqu’aux âmes de ses victimes et alors plus de faim changeline, même si nous pouvons dérober encore de l’amour.”


C’était donc ça, la vérité. Le changelin ne lui avait pas paru si mauvais à l’opéra et pour cause : il ne l’était pas ! Il souhaitait juste acquérir la vie simple et sans histoire de n’importe quel poney. Sa faim avait dû le ronger de l’intérieur de plus en plus, tant et si bien qu’une simple famille de fermiers vivant un bonheur simple était devenue une torture pour lui. Au point de laisser son corps étancher son mal en prenant l’âme de Big Mac, Granny Smith et Applebloom. Pour le coup, la vengeance avait désormais un goût amer sur la langue d’Applejack. Comment pouvait-elle en vouloir à un être qui désirait à peu de choses près la même chose qu’elle ? Elle voulait retrouver le bonheur qu’elle avait perdu, lui voulait conserver celui qu’il avait obtenu. La fille Apple ne savait plus quoi faire à présent. La vérité était d’une ironie presque tragique. Elle demanda néanmoins à la reine des changelins :


“Comment j’fais pour récupérer ce qu’il a pris à ma famille ?

-Très simple : tu dois le tuer.”


Alors même qu’elle songeait à abandonner la vengeance, le destin ne la laissait pas s’en tirer aussi facilement. Il avait suffi de quelques révélations pour ébranler totalement les convictions qu’elle s’était forgée ces dernières semaines. Toutes les pièces se mettaient en place pour que cette histoire devienne une tragédie Shakeshoovienne : l’un des deux périrait forcément. Si Applejack ne récupérerait pas sa famille, elle mourrait de tristesse. Si ce changelin se laissait abattre, il perdrait tout ce qu’il avait acquis. Chrysalis se délectait de l’expression de la fermière, complètement déchirée par ses tourments. Cependant, elle voulait être sûre qu’elle était sur la bonne voie :


“Qu’est-ce qui me dit que vous mentez pas ?

-Parce que j’ai presque autant d’intérêt que toi à le voir manger les pissenlits par la racine, répliqua la souveraine avec gravité.

-Dans ce cas, où est-il ?

-Je crois que tu as épuisé les informations gratuites, annonça avec un grand sourire Chrysalis. A partir de maintenant, il va falloir échanger.”


La cow-pony avait presque oublié au cours de cette conversation à qui elle avait affaire. La reine des changelins était une véritable professionnelle des plans et autres projets. Même une situation apparemment défavorable pour elle pouvait lui servir d’un simple coup de sa patte trouée. Et c’est ce qu’elle faisait en ce moment même : elle avait compris qu’Applejack était prête à tout pour secourir sa famille, aussi en tira-t-elle parti en demandant à la jument d’énoncer les termes du marché. Cette dernière avait bien réfléchi à ce qu’elle devait demander, le moindre oubli pouvant lui être fatal. Aussi, mit-elle un certain temps à poser ses conditions.


“La localisation du changelin Alpha, un moyen de le discerner des poneys et la libération de mes amies, annonça finalement Applejack.

-Tu sais ce que tu veux, ma jolie, s’amusa Chrysalis. Ça tombe bien, car moi aussi : je veux en échange de cela la totalité, j’ai bien dit la totalité des sentiments d’amours qu’éprouvent ta famille proche à ton encontre.”


Applejack voulut répliquer quelque chose, mais aucun son ne sortit. Elle voulait avant tout sauver sa famille du coma où ils étaient, et ainsi pouvoir vivre à nouveau heureuse avec elle, ainsi que ses amies. En acceptant l’exigence de Chrysalis, elle perdrait une grosse partie de ce pourquoi elle s’était battue. Mais le problème était qu’elle se retrouvait actuellement dans une impasse. Au ton de Chrysalis, elle savait qu’il n’y avait aucun moyen permettant de récupérer l’âme des Apple que le meurtre de l’Alpha. Sans l’information de la reine, il serait presque impossible de le retrouver. Et le plus important pour Applejack, c’était que sa famille soit sur sabots. Le sacrifice qu’elle s’apprêtait à faire était douloureux, elle en avait conscience, mais le bonheur de sa famille passait avant le sien. Aussi, elle répondit à contrecoeur :


“J’accepte…”


Chrysalis éclata de rire, songeant au futur plat de choix que sa progéniture et elle allaient pouvoir dévorer. En la voyant aussi réjouie et en extase, Applejack eut le sentiment d’avoir noué un pacte avec le seigneur du Tartare. Mais elle en avait assez de cette histoire, elle souhaitait simplement que ça finisse, et tant pis pour son bonheur à elle ! La situation ne pouvait empirer davantage. Lorsque Chrysalis eut fini, elle tint parole en s’’éloignant quelques minutes le temps d’aller chercher un petit globe d’un verre verdâtre dont l’intérieur était composé d’une fumée verte entre ses mains. Quand elle le donna à Applejack, l’intensité de la fumée diminua :


“Voilà ton moyen de repérer l’Alpha, lui expliqua Chrysalis. Quand il sera mort, il absorbera l’amour que l’on te portait avant de revenir à moi. Passons à la localisation de notre ami chevelu : il a décidé de vivre en ermite, dans un endroit forestier, montagneux, dont le sommet est bordé d’arcs-en-ciel.

-Winsome Falls, sût aussitôt Applejack.”


Elle connaissait bien cet endroit pour y avoir souvent été en randonnée et en camping. C’était assez proche de Ponyville et elle comptait y emmener Applebloom un de ces jours. Ainsi, il était là. Drôle de choix, mais Applejack n’aurait jamais été le chercher là-bas. Elle eut un sourire de soulagement en voyant que Chrysalis tenait parole. La reine la conduisit alors jusqu’à ses amies. Sur le chemin, Applejack ajouta une clause supplémentaire au pacte qui la liait à la souveraine changeline :


“Ne les libérez que quarante-huit heures après mon départ. Si vous ne le faites pas, je demanderais aux princesses de s’occuper personnellement de vous.

-Oublierais-tu qui a l’ascendant dans ce marché ? la menaça la reine.

-Non, mais j’sais que vous savez ce que vous pourriez y perdre, rétorqua sereinement Applejack.”


Chrysalis désigna à la fermière les cachots, avant de repartir en direction de son trône, passablement énervée. Si elle ne savait pas ce qui viendrait tout seul à elle d’ici quelques jours, sa journée en aurait été gâchée. Bien entendu qu’elle savait que les princesses tenaient énormément à ce groupe de poneys ! Même si ça lui déplaisait de le faire, elle en profita également pour assigner une escorte à la jument orange pour la ramener à la surface. Applejack boita donc jusqu’à la cellule de ses amies, une grosse bulle verte. Elle eut un petit sourire ironique lorsqu’elle les interpella :


“Les positions sont inversées, on dirait.”


Twilight et les autres se retournèrent lorsque le son de la voix d’Applejack parvint dans leurs tympans. Elles se précipitèrent alors avec une joie non dissimulée vers la fille Apple, dont le sourire commençait à afficher des traces de gênes. Ses amies s’exclamèrent alors en parfaite union :


“Applejack, tu es vivante !

-Ben quoi ? C’est pas un éboulement qui aura raison de moi.

-Arrête de te vanter ! se moqua gentiment Rainbow Dash. Tu devrais voir ton état avec ta jambe boiteuse ! Allez, libère-nous !

-C’est déjà fait, assura cow-pony. Vous serez libres. Dans deux jours.”


En entendant ces mots, le sourire des prisonnières s’évanouit. Twilight s’approcha du mur translucide pour se placer juste devant Applejack.La licorne commençait à comprendre ce qu’il s’était passé durant les dernières heures. Elle lui demanda alors avec gravité :


“Tu es en train de trahir les termes de ta libération conditionnelle, tu es au courant ?

- Je sais tout, maintenant, les filles. Je sais qui est vraiment celui qui a fait ça à ma famille et pourquoi il en est arrivé là. Je sais aussi la seule manière de secourir ma famille. Et mes intérêts et les leurs se rejoignent

-Donc, tu accompliras ta vengeance, résuma Twilight. Et c’est pour cette raison que nous serons libérées dans deux jours, le temps que tu files au loin.

-C’est ça. Ce sera entre lui et moi. Là où il est, personne ne pourra nous déranger. Comme ça, les choses se passeront telles qu’elles auraient dû l’être depuis tout ce temps.

-Je sais pas ce que tu as marchandé avec Chrysalis, et à vrai dire, je m’en fiche pas mal à présent. Je n’aurais jamais pensé que toi, parmi nous toutes, aurait le cran de nous abandonner ici. Tout ce que je peux affirmer, c’est que tu y as davantage perdu que gagné.”


Applejack tourna les sabots, et s’éloigna à pas lents, sans prendre la peine d’écouter les supplications de Fluttershy et de Rarity, qui la suppliait de ne pas faire ce qu’elle s’apprêtait à commettre. Passée quelques mètres, elle répondit à la disciple de Celestia les mots suivants:


“Ça, je le sais qu’trop bien.”


Elle recommença à partir quand Twilight lui posa une dernière question, non sans une certaine ironie dans la voix:


“Ton fruit, il se porte bien ?”


Surprise par cette demande, Applejack ôta aussitôt son stetson et récupéra sa demi-pomme au fond. Elle l’examina. Elle était maintenant totalement noire, même les flétrissures de la peau avaient perdu leur teinte rouge sang. La fermière éleva sa demi-pomme bien haut dans les airs de façon à ce que la licorne la vit :


“Il est bon pour la poubelle, fit simplement Applejack”.


La licorne mauve ne répondit rien à cela. Seul un sourire désabusé se forma sur ses lèvres, comme si elle prenait conscience qu’elle venait de perdre une amie très chère. Quant à Applejack, elle quitta les cachots pour de bon et rencontra finalement son escorte, deux changelins comme les autres. Ces derniers lui montrèrent le chemin de la sortie qu’elle mit plusieurs heures à atteindre à cause de son handicap. Quand elle vit à nouveau l’air libre, elle s’aperçut qu’il faisait déjà nuit noire. Elle avança néanmoins, jusqu’à ce qu’elle parvint à l’ossement gigantesque qu’elles avaient rencontré à l’aller. Elle s’endormit là, sans se préoccuper de ce qui pouvait lui arriver.


Le lendemain matin, elle pressa le pas, sachant que l’horloge tournait pour prendre un maximum de distance. Elle avait déjà moins mal à la jambe, mais elle n’avait pas recouvré la totalité de ses capacités. Elle parvint le midi à l’endroit où elles avaient laissé leurs sacs. Même si le sortilège ne marchait pas sur elle et malgré le fait qu’elle soit terrestre, Applejack sentit que le sort était actif. Elle siffla d’admiration devant les compétences de Twilight, avant de récupérer ce dont elle avait besoin et de laisser le reste pour ses amies. Elle s’élança dans le désert, l’esprit tourmenté. Chrysalis allait-elle tenir parole pour sa famille ? Le meurtre du changelin Alpha était-il la seule solution ? Que ferait-elle lorsque sa famille ne l’aimerait plus ?


Pour l’heure, elle ne pouvait y répondre. Elle détacha son attelle et progressa dans l’étendue sablonneuse, en direction du refuge du changelin, Winsome Falls…


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