Epilogue

Sweet Apple Acres n’est plus, ne reste à la place qu’une surface désolée de roches à nu. Lorsque la créature a été bannie, l’ensemble de la surface contaminée a commencé à tomber en cendres. Que ce soient les arbres, les bâtiments et les terres arables, tout a été soufflé par le vent, ne laissant qu’une étendue sans vie et qui le restera durant des siècles. J’espère de tout mon cœur qu’aucun germe de la corruption qui s’était abattue ici n’a pu survivre et s’envoler dans une nouvelle terre où le cycle maudit recommencera.

Cette terrible expérience nous a laissé à tous des marques impérissables, jusque dans le cœur des princesses Celestia et Luna. La plus jeune des deux sœurs semble même désormais traîner un intense sentiment de culpabilité, convaincue que c’est elle qui a attirée l’attention des Anciens sur notre terre. Mais son aînée n’est pas non plus restée sans séquelles et bien que seuls ceux qui lui sont le plus proche peuvent voir les discrètes fêlures qui percent sous sa réconfortante carapace, je peux sans problème ressentir le spectre de l’obsession qui la ravage doucement. La découverte de la cauchemardesque menace qui plane sur le peuple qu’elle aime tant lui a laissée une blessure qu’elle n’osera jamais admettre, si ce n’est auprès de sa sœur.

Et si de telles souffrances assaillent les deux plus puissants et sages poneys vivant à Equestria, on peut sans problème imaginer l’impact qu’ont eut les évènements honnis sur les plus faibles. Comme Discord l’avait prévu, le traumatisme a été le plus fort sur Fluttershy et la pégase refuse désormais de sortir de chez elle, son esprit brisé et continuant de s’émietter doucement alors qu’elle prend peu à peu conscience de la réalité de cette corruption venue du fin fond d’abîmes perdus entre les étoiles. Le draconequus reste maintenant constamment à son chevet de peur qu’elle ne se fasse du mal et je ne sais qui de l’horreur venue d’outre monde ou du spectacle de la désagrégation de sa plus proche amie est le principal responsable de la détresse qui emplit dorénavant son regard.

Les conséquences ont été plus étonnantes sur Rarity et un observateur inattentif pourrait croire qu’elle s’est parfaitement remise de la sordide expérience. Pourtant, la pulsion créatrice dont elle est prise depuis que Sweet Apple Acres s’est dissout dans le vent du matin est d’une intensité jamais vu auparavant, au point d’en négliger son apparence et son bien être à un niveau intolérable pour une lady. Quant à son ouvrage, il a pris une apparence résolument avant-gardiste, perclus de motifs indistincts et irréels. On ne peut nier leur originalité mais je ne suis pas certaine que cela corresponde aux tendances actuelles de la mode et il y a fort à parier que leur destinée sera de moisir dans un coin du Carrousel. Toutefois, la licorne commence réellement à m’inquiéter depuis qu’elle m’a évoquée son projet de créer des teintures d’une couleur jamais vue auparavant, une lueur malsaine dans le regard.

Rainbow Dash s’est quant à elle mise à porter des robes. Cette image peut paraître absurde pour ceux qui connaissent ce véritable étalon manqué mais la raison cachée derrière son inattendue coquetterie est sa volonté de cacher à tous jamais sa cutie mark. Comme elle me l’a avouée à mi-voix, la pégase ressent désormais une crainte viscérale pour tout ce qui s’approche des orages et la vision permanente de deux éclairs a été finalement trop dur à supporter. Et alors que je m’étonnais de l’importante perte en aérodynamisme qu’amène un tel accoutrement, elle me confessa sur un ton brisé que plus jamais elle n’oserait effectuer de sonic rainboom, de peur que de la déflagration ne sorte un son maudit. Il m’est ainsi douloureux de voir que non content de lui retirer sa meilleure rivale, l’exécrable rejeton des dimensions infernales ait aussi réussi à prendre ce qui forgeait l’identité de Rainbow Dash.

Etrangement, Pinkie Pie est celle qui semble relativement bien se remettre de l’expérience. Sans doute la particularité de son esprit lui a permis d’absorber sans trop de dommages l’expérience insensée que nous avons tous vécue. Mais le soutien sans faille de Maud Pie envers sa sœur a sans conteste été un élément déterminant. La jument a passé beaucoup de temps à Ponyville, entre autre pour aider Pinkie à surmonter les évènements. Celle qui personnifie maintenant l’élément du rire prend désormais son rôle encore plus à cœur qu’avant. Selon elle, le rire est une arme que nous devons utiliser à l’encontre des Anciens pour leur montrer qu’ils ne nous ont pas vaincus. Bien entendu, je synthétise ses propos mais je dois bien dire qu’elle n’a pas tort. Et son support moral est désormais essentiel pour nous éviter de trop nous morfondre sur l’horrible réalité qui guette, tapie dans les ténèbres.

Mais si Maud Pie est si souvent présente à Ponyville, ce n’est pas que pour sa sœur. Je m’étonnais de l’absence de nouvelles depuis la disparition du dernier échantillon et j’ai encore du mal à réaliser que c’est elle qui soit intervenue pour nous sauver quand tout était perdu. Tout comme je n’arrive pas à comprendre comment elle s’y est prise. Mais il semble qu’elle soit partie en voyage durant de longs mois où elle a accumulé le savoir cryptique et blasphématoire qui nous a permis d’être encore là aujourd’hui. Elle refuse cependant de dire où l’ont portée ses sabots et qui lui a transmis cette connaissance, y compris face à Celestia et Luna. Après quelques vaines tentatives, les princesses ont cessées d’essayer de faire parler la stoïque jument et nous nous concentrons désormais sur l’apprentissage de l’odieuse sagesse que renferment les ouvrages séculaires écrits dans des langues disparues ramenés par Maud de ces lieux inconnus. Zecora vient elle aussi régulièrement prendre part à notre travail hérétique et je renferme le fol espoir qu’à nous cinq, nous finissions par trouver les armes qui nous mettront à jamais hors de portée des Anciens.

La figure journalière de celle qui était autrefois une amie chérie et qui n’est désormais plus qu’un emballage terne et vide m’est ainsi un rappel constant de la nécessité d’empêcher à tout jamais pareil horreur de se reproduire. Et au risque de finir par m’effondrer d’épuisement, je conserve toujours l’objectif insensé de réussir à lui faire retrouver sa personnalité d’antan. Mais pour l’instant, le corps sans âme d’Applejack ne fait que passer ses journées à regarder d’un œil vitreux en direction de ce qui était auparavant sa maison. Néanmoins je ne peux m’enlever la désagréable impression que lorsque vient le crépuscule et que personne ne la surveille, ses yeux se lève secrètement vers le ciel. Vers les étoiles. Vers ces abîmes maudits où se terrent la haine et la folie.