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Le Fruit de la Vengeance

Une fiction écrite par Usui.

Chapitre 15 : Un opéra enflammé (deuxième partie)

« Est-ce que j'suis une fidèle spectatrice si je fais : « gné ?! » »


Applejack faillit tomber à la renverse à la suite des paroles de Rarity. Pour plus de sûreté, elle demanda à cette dernière de répéter.


« Il y a deux étalons arborant les traits de Fancypants dans la salle, annonça une nouvelle fois Rarity. »


La fermière semblait complètement désemparée. Elle se reprit en serrant très fort l'un de ses sabots, avec une voix où transparaissait la colère :


« Si c'est encore c'te tapette de Blueblood qui s’fait passer pour Fancypants, je l'éclate !

-Surveille un peu ton langage ! rétorqua vivement Rarity avant de reprendre d'une voix plus douce. Ça m'étonnerais que ce soit lui, l'autre Fancypants. La dernière fois, ça pouvait passer avec les masques, mais là, c'est juste impossible. On le reconnaîtrait entre mille...

-Dans c'cas, Fancypants a un frère jumeau ! tonna Applejack en tapant du sabot.

-Ne sois pas ridicule, répliqua la licorne. On le saurait s'il avait un frère.

-Pas s'il était caché ! se défendit la fermière. »


Rarity soupira un peu en regardant le sol avant de déclarer :


« J'ai bien une explication au problème mais elle est un brin tordue.

-Dépêche-toi, ça va pas tarder à reprendre, annonça Applejack en entrouvrant la porte de la salle.

-Il y a bien une espèce qui serait capable d'un tel prodige, expliqua la licorne blanche. Une créature pouvant changer d'apparence à son gré. Un changelin. »


Applejack demeura interdite devant les propos tenus par son amie. Presque toutes les pièces du puzzle venaient de se mettre en place dans sa tête. Sweetie Belle avait juré avoir croisé Flam à Sweet Apple Acres le matin de l'incident. Les frères avaient parlé à quelqu'un ressemblant à Fancypants qui leur avait demandé où se procurer leurs vêtements. Il y avait deux Fancypants dans la salle. Le scénario se mit très vite en place dans la tête de la fermière : un changelin, probablement même leur reine Chrysalis, avait pris l'identité de Fancypants, s'était renseigné sur la famille Apple et leurs ennemis, avant de s'en prendre à eux pour que Flim et Flam soient soupçonnés. Même la méthode du crime se résolvait d'elle-même : après tout, les changelins étaient capables de dérober les sentiments d'amours des êtres vivants afin de s'en délecter. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils soient également capables de plonger une famille entière dans le coma. Non, rien d'étonnant, surtout venant de Chrysalis.


En fait, le seul élément qui restait inexpliqué par cette théorie était le motif : pourquoi les changelins auraient-ils voulu s'en prendre spécifiquement aux Apple ? Chrysalis avait des projets bien plus ambitieux en tête, comme elle l'avait prouvé lors du mariage de Shining Armor et de Cadence. Était-ce par vengeance contre Twilight ? Impossible, elle s'en serait prise également au restant de la bande. Quoique, cela n'était pas si inenvisageable. Applejack se rappela de ce que lui avait révélé Rarity : son départ avait provoqué un véritable chaos dans le groupe. La bande d'amies avait bien failli totalement éclater.

La musique commençait à se faire entendre. Le troisième acte de l'opéra venait de débuter. Rarity ne bougea pas cependant. Elle attendait, anxieuse, la réaction de son amie à ses dires. La fermière paraissait troublée, mais finit par relever la tête en disant d'une voix déterminée :


« T'as une idée ? J't'avoue que je suis un peu à sec, en ce moment... »


La licorne blanche eut un léger sourire et répondit d'un ton serein :


« Il y a moyen à mon avis de différencier les deux. Le vrai doit avoir sa compagne Fleur de Lys avec lui. Il ne va nulle part sans elle à ses côtés.

-En gros, si on voit Fleur de Lys à côté de l'un, l'autre sera forcément le changelin, réalisa Applejack.

-Exact, fit Rarity. Ah, et inutile de te le dire, je pense, mais s'il s'avère bien que l'imposteur est un changelin, tu auras parfaitement le droit de jouer un peu avec. Sans trop l'amocher cependant, il faut qu'il soit présentable pour son interrogatoire. Déjà que les changelins sont laids au naturel... »


La ponette terrestre orange éclata de rire à la réflexion de Rarity. C'était bien elle de se préoccuper de l'aspect physique d'un changelin. Du moins, si c'en était bien un... Applejack préféra ne pas envisager cette éventualité. Elle se sentait moins coupable à l'idée de frapper un sbire de Chrysalis, voire la reine des changelins elle-même. Et au moins, elle aurait certainement l'appui de ses amies. Si c'était bien les changelins qui étaient derrière cette affaire, tout serait fini ce soir. Voilà la pensée qui animait Applejack tandis que la partition suivait son cours à l'intérieur de la salle de ses notes sibyllines.


Les deux amies ouvrirent délicatement la porte, et retournèrent s'asseoir le plus discrètement possible à leurs places. A peine installée, la fermière leva les yeux en direction de la loge où Rarity affirmait avoir vu un autre Fancypants. Et la blanche licorne avait raison. La fille Apple n'en avait pas douté, elle savait que son amie n'était pas le genre à plaisanter sur des choses pareilles, mais elle voulait absolument s'en assurer de ses propres yeux. Son regard partit en direction de la loge où se tenait le Fancypants qu'elle avait aperçu plus tôt. Ce dernier admirait encore le spectacle à l'aide d'une paire de jumelles fixée à une tige en fer. Plus aucun doute : il y avait bien en deux exemplaires la coqueluche de la haute-société équestrienne.


Seulement, la jument à la crinière paille remarqua un détail frappant : l'un comme l'autre était seul dans sa propre loge. Il n'y avait strictement aucune trace de Fleur de Lys, la compagne de Fancypants qui la suivait comme son ombre. Applejack réprima un juron : comment allaient-elles bien pouvoir faire afin de différencier les deux étalons au riche apparat ? Sentant une tension apparaître chez son amie, l'élégante licorne pencha la tête vers elle afin de lui chuchoter à l'oreille :


« On verra ce qu'on fera comme d'habitude à l'entracte. Pour l'instant, concentre-toi sur l'opéra. On arrive à la scène la plus réputée de la tragédie originelle. »


La jument à la soyeuse robe noire soupira et orienta ses yeux émeraudes vers la scène où conversaient Jester et Pridehoof dans un dialogue harmonieux parlant de provoquer une rencontre faussement fortuite entre le prince de Trottseneur et Madmare. Manelet fit alors son grand retour. Un silence total fut observé par les spectateurs à cette apparition tandis que les musiciens de l'orchestre arrêtaient de jouer, hormis le pianiste, Frédéric Horsechoppin qui entama une sombre mélodie.


Cette fois, on y était. Le succès de cet opéra dépendrait en grande partie de la performance de Pinkie Pie. Au final, très peu de personnes pouvaient se targuer d'avoir vu Manelet en intégralité. Mais il y avait au moins une scène, une tirade, un monologue dont l'on avait presque forcément entendu parler : « Être ou ne pas être... ». Cela devait sembler dur pour la troupe ayant fignolé le spectacle, mais les spectateurs retiendraient essentiellement cette scène parmi toutes les autres. Manelet n'avait pas tant de popularité aux yeux du grand public qu'une autre tragédie de Shakeshooves, Hearts & Hooves, au dénouement tout aussi tragique, mais beaucoup plus axée sur la romance s'établissant entre les deux personnages éponymes. Et ça, les poneys en raffolaient...


Néanmoins, la prestation fit visiblement son petit effet, étant donné que les spectateurs semblaient ne plus pouvoir détourner leurs visages de celui de Pinkie Pie, déclamant ce monologue pratiquement mythique. A sa grande honte, Applejack ne saisissait pas tout les enjeux de cette réflexion, mais elle suivit cependant du mieux qu'elle pouvait les paroles de l'interprète de Manelet, bien qu'il était très tentant de lever les yeux vers les deux loges.


Le monologue s'acheva comme prévu sur l'arrivée de Madmare. Les spectateurs auraient bien souhaité applaudir à tout rompre, mais le dialogue entre les deux amants aux sentiments voilés s'enchaîna immédiatement. Applejack profita de cet instant pour contempler à nouveau le Fancypants dévoilé par son amie. Elle constata à ce moment que ce dernier n'était plus seul. Toutefois ce n'était pas vraiment la personne qu'elle se serait attendu à voir. Le second Fancypants se trouvait en compagnie d'une autre licorne mâle à la robe bleue et à la crinière turquoise vêtue d'un élégant costume de soirée où était fichée un rose rouge en bouton. Elle aurait juré l'avoir déjà vu quelque part. Elle essaya de se concentrer sur ce mystérieux étalon et réprima une exclamation qui ne demandait qu'à sortir lorsqu'elle comprit qui était cette licorne.


Elle ne pensait pas revoir ce visage de sitôt, et certainement pas lors de cette soirée. Elle espérait surtout ne jamais à revoir le visage de cette canaille. Ce type était certainement l'une des pires erreurs qu'elle avait faite en se lançant dans cette histoire. Il s'agissait de Greedy Jewel, le banquier qui avait tenté sans grand succès de l'arnaquer il y a plus d'un mois à Fillydelphia alors qu'elle venait de quitter Ponyville.


Visiblement ce dernier avait réussi à se faire un nom dans la bourgeoisie équestrienne après que la fermière l'ait laissé partir avec le rubis. En tout cas, il était au moins parvenu à se faire remarquer de Fancypants. Cela l'étonnait un peu par ailleurs, car de ce qu'elle avait pu en voir, le noble étalon n'était pas le genre à se laisser abuser par l'apparence. Mais s'agissait-t-il vraiment du vrai Fancypants ou de son imposteur ? On en revenait à chaque fois au même problème : le doute.


Applejack préféra arrêter de s'embrouiller davantage l'esprit. Ca ne servait à rien pour l'instant car elle ne se trouvait pas en position d'agir. Elle se frotta les sabots d'impatience, n'attendant qu'une chose : la venue du prochain entracte. Son amie perçut cette agressivité en elle et commença à se demander si ce n'était pas une mauvaise chose de lui avoir parlé de l'imposteur.


Pendant ce temps, le ton montait sur scène. En effet, l'orchestre entonnait une mélodie des plus violentes, en symbiose avec les dures paroles qu'assénait Manelet à Madmare,qui souhaitait s'assurer de ses sentiments, cette dernière esquissant plusieurs mouvements de recul, mouvements ne servant pas à grand chose, car le prince revanchard s'approchait de plus en plus de la fille du conseiller :


« Vous n'auriez jamais dû me croire

Car la vertu ne peut se greffer sur notre bonne vieille souche

Au point d'en changer la saveur.

Je ne vous ai jamais aimé.


-Je n'en étais que plus abusée.

 

-Va t'enfermer dans un cloître !

Voudrais-tu donner naissance à des démons ?

Moi-même, je suis passablement honnête

Pourtant je pourrais m'accuser de telles choses

Que ma mère aurait mieux fait de ne jamais me donner la vie.

Je suis orgueilleux, rancunier, ambitieux

Et je porte plus de crimes à commettre

Que je n'ai de pensées où les loger,

Que je n'ai d'imagination pour les ourdir,

Et ni de temps pour passer à l'acte ?

Que font les gens de mon espèce à se traîner entre ciel et terre ?

Nous sommes tous de fieffées crapules,

Ne crois aucun d'entre-nous.

Va t'enfermer dans un cloître !

Où est ton père ?

-A la maison.

 

-Qu'il y reste enfermé, cela lui évitera de jouer les bouffons ailleurs que chez lui.

Adieu !

 

-Secourez-le, grande Celestia !

 

-Si tu te maries, je te donne ce fléau en tant que dot :

Serais-tu aussi chaste que la glace,

Serais-tu aussi pure que la neige,

Tu n'échapperais pas à la calomnie

Va t'enfermer dans un cloître, adieu !

Ou si tu tiens à te marier,

Épouse un imbécile !

Les poneys avisés savent suffisamment quels monstres vous faites d'eux !

Au cloître, vite !!!

 

-Celestia, guérissez-le !


-J'en assez entendu de vos peintures :

Celestia vous a donné un visage et vous vous en faites un autre.

Vous dansez, vous vous trémoussez, vous zézayez, vous inventez des surnoms aux créatures du Tartare

Et faites passer votre impudeur pour de l'innocence !

Allez, j'en ai tant vu que cela m'a rendu fou !

Je dis qu'il ne faut plus de mariages. Tous ceux qui sont déjà mariés,

Tous, excepté un, auront la vie sauve.

Va au cloître ! »


Cet échange sévère dura encore quelques instants avant qu'une Madmare en pleurs ne quitte la scène. Depuis sa position en hauteur, la fermière paraissait un brin dubitative. Jusqu'à présent, elle s'identifiait sans mal au personnage, mais son attitude vis à vis d'une jument qu'il était censé aimer la révulsait. Jamais elle n'aurait osé envoyer promener ses amies de la sorte ! Pas même au nom de la vengeance !


Puis elle se ravisa. Elle n'avait pas fait mieux que Manelet, réflexion faite. Elle était partie sans prévenir au préalable ses amies. Elle le savait pourtant que celles-ci ne la lâcheraient pas d'un sabot. Elles tenaient trop à elle. Et elle l'avait fait quand même, les précipitant dans de multiples ennuis. Manelet avait eu au moins la décence de faire en sorte de couper les ponts avec Madmare. Au final, quelle attitude pouvait-être considérée comme la meilleure ? Celle d'Applejack ou celle du prince incarné par Pinkie Pie ?


L'orchestre commença à ralentir le rythme tandis que le roi Pridehoof s'entretenait avec Jester sur l'attitude de son neveu. Il commençait finalement à ressentir un certain malaise à ce stade de l'intrigue. Quelque chose clochait chez Manelet, mais il ne savait pas quoi. Il décida à ce moment qu'il était temps de le surveiller davantage.


La musique s'envola alors vers un ton plus joyeux lorsque les préparatifs de la pièce de théâtre, dont le premier objectif s'avérait de confondre Pridehoof, se mirent en place. Cette scène était également un passage d'envergure de la pièce originelle dans le sens où elle représentait une véritable mise en abyme théâtrale. En effet, dans Manelet, Shakeshooves parvenait à représenter sur la scène une autre tragédie parlant de vengeance, dans une pièce traitant du même thème! Et l'on pouvait rajouter également grâce à cette soirée qu'un autre spectacle parlant de ce sentiment se jouait à la fois dans les coulisses et parmi les spectateurs. Bien entendu, Shakeshooves n'avait pas planifié les choses jusque là ! Et il était rigoureusement impossible que les spectateurs aient pris conscience de ce qui se tramait hors-scène ! En vérité, il ne devait y avoir que deux poneys, plus précisément deux licornes dans la salle, qui comprenaient parfaitement la symbolique derrière l'opéra : Rarity et Twilight.


Cette dernière venait de faire son retour sur la scène, toujours dans le rôle de Wellmouth, le seul véritable ami et confident de Manelet. S'ensuivit un dialogue entre les deux actrices soutenu par une musique aux accents mystérieux où transparaissait une certaine tension. Le changement d'ambiance fut d'ailleurs relativement brutal lorsque la musique se transfigura quasi-instantanément en un air des plus joyeux annonçant la venue des comédiens et de leur spectacle.


C'était impressionnant. On s'était arrangé en coulisses afin d'assembler discrètement et progressivement une petite estrade qui ferait office de théâtre dans le théâtre. Les personnages principaux de la pièce de Shakeshooves s'étaient rassemblés dans un coin où avait été aménagé quelques sièges afin qu'ils puissent assister à la pièce d'une manière crédible.


Pendant ce temps, Manelet, simulant toujours la folie, était couché aux sabots de Madmare, caressant sa crinière avec douceur comme si la dispute n'avait jamais eu lieu. Pinkie Pie s'arrangea pour rapidement faire oublier aux spectateurs cette idée en rappelant à Madmare ses précédents avertissements. Et finalement la pantomime se lança sur une musique volontairement superficielle.


Le prince interprété par Pinkie se chargea de commenter les diverses scènes et personnages qui prenaient vie sous leurs yeux, étant donné que les comédiens devaient tout faire passer par le geste. Très vite commença à se dessiner la scène décisive : le meurtre du frère. A cet instant, Pinkie Pie fixa d'un regard dur la princesse Luna qui gardait ses yeux en direction de l'estrade, tandis qu'un comédien s'approcha d'un étalon allongé avant de verser quelques gouttes d'un liquide à l'oreille de ce dernier. Luna pâlit à vue d'oeil avant de brusquement déployer ses ailes afin de se retirer. Derpy, toujours dans le rôle du conseiller Jester, ordonna alors qu'on arrête tout.


La scène revint à la normale après quelques minutes tandis que les personnages essayaient de trouver une explication au comportement de leur seigneur Pridehoof. Mais Manelet la connaissait : Pridehoof était bel et bien le meurtrier de son père. Lorsque ce dernier fut une nouvelle fois seul, il déclama sur une musique des plus rythmées :


« Voici venu le temps de la jument berçant la nuit

Celui où les cimetières baillent

Et où le Tartare déverse ses miasmes sur Equestria.

Maintenant, je pourrais boire du sang chaud,

Et faire une si vilaine besogne que Celestia craignerait de la voir.

O cœur ! Ne perds pas ta nature !

Que jamais l'âme de Round Nose n'entre en ce sein résolu !

Il faut être cruel, non dénaturé ! »

 

Il se lança alors à la poursuite de son oncle, prêt à en finir. Toutefois, ce dernier était dans une posture inhabituelle. Il priait devant une statue à l'effigie de la princesse Celestia ! La situation devait sembler bien étrange à la princesse lunaire, qui se retrouvait par la force des choses à prier la statue de sa propre sœur. Elle adressa alors ces mots, accompagné d'une musique à la tonalité grave et seulement entendu par les spectateurs :


« Oh, mon crime est puant, il empeste jusqu'au ciel !

Il porte la plus antique des malédictions :

Le meurtre d'un frère.

Je ne puis prier

Bien que mon penchant soit vif

A l'instar de mon vouloir !

Ma faute est la plus forte et défait mon dessein !

A quoi sert la miséricorde, sinon à regarder le crime dans les yeux ?

A quoi bon prier sans cette double-force qui nous retient au bord du précipice

Et nous pardonne après la chute ?

Pouvoir relever la tête et passer sur ma faute...

Mais quelle prière trouver qui soit la bonne ?

Pardonnez-moi ce crime ignoble ?

Impossible, je profite toujours des biens pour lesquels je l'ai commis :

Ma couronne

Ma propre ambition

Ma reine.

Se voit-on pardonné si l'on garde le fruit de son crime ? »

 

Des larmes ruisselèrent sur les joues de Luna tandis qu'elle s'effondrait au pied de la statue, la touchant d'un sabot. Pendant ce temps, Manelet était juste derrière, un sabot d'acier prêt à s'abattre sur l'objet de sa vengeance. Il adressa à son attention ces quelques mots :


« Voilà qui tombe à pic : il prie.

Si je le tuais maintenant........

…....Il s'en irait au ciel.....

Et me voilà.... Vengé...

Un félon tue mon père, et pour cet acte,

Moi, son seul fils, j'envoie ce même félon au ciel.

C'est là une récompense, non une vengeance.

Il a surpris mon père impur, le ventre plein,

Avec tous ses péchés en pleine floraison.

Serai-je donc vengé si je le frappe quand il purge son âme,

Prêt et mur pour son passage ?

Non.

Attends, mon fer, tu saisiras un plus affreux moment,

Quand il cuve son vin, ou qu'il enrage,

Ou qu'il goûte à l'incestueux plaisir de son lit,

N'importe quel acte qui n'ait pas un goût de rédemption.

Ma mère attend toujours,

Ce remède prolonge ton mal et tes jours. »

La jeune fermière ne put que constater une fois encore qu'elle ressemblait beaucoup au prince. Ce dernier avait toujours une ligne de conduite bien définie, quand bien même il souhaitait se venger de Pridehoof de toute son âme. Applejack commençait à avoir l'impression de faire face à un miroir d'elle-même. Cela avait attisé sa curiosité et elle se demandait comment cela allait bien finir. Obtiendrait-t-il gain de cause ?


La scène suivante installa un nouveau décor, la chambre du couple royal. Un passage de la tragédie originelle des plus déroutants, encore sujet à de multiples interprétations : certains y voyaient le signe d'une véritable folie chez Manelet, tandis que d'autres s'évertuaient à prouver que le personnage de Shakeshooves était tout simplement amoureux de sa propre mère. Un complexe Hoedipien, en somme...


La musique se fit légère, plus intime. Après tout, seuls une mère et son enfant étaient supposés se trouver dans la pièce. A priori... En effet, Manelet s'aperçut vite que quelqu'un était caché sous une teinture et s'empressa d'abattre son fer sur celui-ci. Un cri tonitruant résonna dans la salle, en symbiose avec les cordes d'un violoncelle :


« Oh! Je suis tué! »


Une silhouette grise émergea de la teinture pourpre et tituba un peu avant de s'effondrer au sol, les yeux partant dans deux directions opposées, tâché de sang (en vérité, il s'agissait de sauce tomate comprimé dans une poche qu'avait frappé Pinkie). Manelet venait de tuer sans le vouloir Jester, le père de celle qu'il aimait. Il avait cru qu'il s'agissait de son oncle ou d'un de ses soldats. Non pas du père de son amante...


L'air doux qui s'exprimait jusque là était bel et bien révolu. Les sons des tambours, frappant tout en respectant de longs intervalles, résonnèrent dans les oreilles des spectateurs. Manelet était passé à l'action. Ce dernier commença alors à s'en prendre avec virulence à sa mère, qui tenta de l'arrêter d'une voix suppliante :


« Oh! Manelet, ne dis plus rien !

Tu me tournes les yeux jusqu'au tréfonds de l'âme

Et là, je vois des tâches si noires, si tenaces

Qu'elles ne perdront jamais de leur teinte.

 

-Non, mais vivre dans l'âcre suint d'un lit poisseux de graisse

Mijoter dans le stupr, minauder,

Faire l'amour sur cette bauge infecte...


-Oh ! Ne me dis plus rien !

Ces mots sont des fers frappant mes oreilles.

Plus un mot, Manelet !

 

-Un meurtrier, un félon,

Un manant qui ne vaut pas le vingtième du dixième de votre premier époux,

Un roi de farce,

Qui a pris le précieux diadème sur l'étagère et l'a vite empoché.

 

-Tais-toi !

 

-Un arlequin fait roi... »

 

Manelet interrompit son flot d'injures lorsqu'il aperçut une silhouette des plus familières, celle du spectre de son père. Il le salua, avec l'espoir que sa mère comprenne ses erreurs. Mais elle n'eut pour seule réponse que cela :


« Hélas ! Il est fou ! »


Voilà le problème que posait la scène auprès des admirateurs et passionnés de Shakeshooves : la mère du prince ne pouvait pas voir le spectre. Seul Manelet le pouvait. C'est à partir de cela que certains avaient émis l'hypothèse que celui-ci était dément. Après tout, il avait été le seul à réellement parler au spectre. Les autres soldats ne l'avaient pas entendu de leurs côtés, seulement aperçu.


Manelet tenta désespérément de convaincre sa mère de l'existence du fantôme de son père. Devant l'incompréhension de celle qui l'avait enfanté, il abandonna et enchaîna sur un sujet où il semblerait plus sain d'esprit. Son oncle voulait en effet l'écarter de Trottseneur en l'envoyant à Canterlot en compagnie de Lies et Joke. L'interprète de Manelet quitta alors la scène en ayant déposé un baiser sur le front de sa mère tout en traînant le corps de Derpy...


Le rideau tomba pour la troisième fois. Les acclamations se firent une nouvelle fois entendre dans la salle. Applejack applaudissait à s'en brûler les sabots, tant elle avait été épaté par le jeu des interprètes et la performance des artistes. C'était peut-être son premier opéra, mais elle en était époustouflée ! Son amie jeta un coup d'oeil vers elle tout tapant des sabots avec dignité et esquissa un sourire. Il devait bien y avoir un moyen de retrouver l'Applejack d'antan, elle en était persuadée.


Celle-ci se rappela alors qu'elles devaient une nouvelle fois sortir de la salle afin de débattre de la suite de l'opération. Elle donna alors un léger coup de hanche vers la fermière qui sortit immédiatement de sa transe. Les deux jeunes filles partirent ensemble en prenant la peine de s'excuser auprès du couple orange.


En voyant au travers de la grande fenêtre grillagée devant elles, elles réalisèrent que la nuit était déjà bien entamée. Et pourtant, le temps semblait filer à la vitesse de l'éclair. Les deux juments approchèrent de la fenêtre avant que Rarity ne prenne la parole d'un ton un peu moins serein qu'auparavant :


« Je n'ai pas vu Fleur de Lys.

-Moi non plus, fit Applejack. Par contre, j'ai croisé une vieille connaissance au n’veau du Fancypants d’lla première loge à gauche.

-Ah ?

-J'suis sûre qu'il pourra m'introduire auprès de Fancypants. I’m’ doit sa réussite, d'une c’rtaine façon, remarqua la fermière.

-On s'organise comment ?

-On se sépare : tu t'occupes de l'autre loge. Moi, j'vais attirer l'attention de mon banquier bien-aimé, suggéra Applejack. »


Rarity examina le plan de son amie d'un air circonspect. Elle n'était pas très chaude à l'idée de laisser AJ toute seule avec Fancypants. Elle avait promis à Twilight plus tôt dans la journée qu'elle surveillerait les moindres faits et gestes de la fille Apple. Néanmoins, cette dernière semblait un peu plus calme depuis que Rarity avait émis l'idée qu'un changelin puisse être le coupable. Pouvait-elle la laisser se débrouiller ? Elles pourraient sans doute gagner un temps considérable en se répartissant ainsi les tâches. Il restait seulement deux actes pour agir. Finalement, la licorne hocha la tête en signe d'assentiment, avant d'ajouter :


« Je vais me charger de l'autre dans ce cas. Cependant, je vais passer prévenir ton oncle et ta tante qu'on s'éloigne un peu, pour qu'ils ne s'inquiètent pas.

-OK, répliqua Applejack. On s’ revoit t’à l'heure ?

-Pas besoin, annonça Rarity. On éveillerait les soupçons des Fancypants. On reste avec les étalons jusqu'à la fin de l'opéra. »


Une fois qu'elle eut prononcé ces mots, Rarity reprit le chemin de la salle, tandis qu'Applejack monta à l'étage supérieur en suivant le tapis rouge. Son sang se glaça au fur et à mesure de son ascension. Son cœur battait de plus en plus rapidement à chaque pas qu'elle faisait. Elle avait le sentiment qu'elle était proche de découvrir la vérité sur ce qui était arrivé à sa famille. Elle se trouvait partagée entre deux sentiments : d'un côté, elle était excitée à l'idée d'être près du but qu'elle souhaitait atteindre, mais d'un autre côté, elle redoutait cette confrontation : qu'allait-il se passer ? Qu'arriverait-il ensuite ? Elle n'en savait rien, bien qu'elle n'avait eu de cesse d'imaginer le moment où elle trouverait le responsable à ses malheurs.


La fermière finit finalement de monter l'escalier. Elle jeta un regard en arrière, pensive. Et si elle rebroussait chemin ? Elle n'avait que peu de chance de pénétrer dans la loge sans paraître suspecte, même si elle connaissait Greedy Jewel. Elle ne pouvait tout de même pas rentrer dans une loge VIP comme une fleur ! Elle réalisa à cet instant à quel point elles s'étaient hâtées dans leurs préparatifs.


Toutefois, la chance ne l'avait pas encore abandonné. En effet, elle vit sortir de la loge qu'elle devait infiltrer Greedy Jewel. Ce dernier se pavanait d'un air suffisant en se rendant aux toilettes. Applejack devait saisir l'occasion. Elle suivit à bonne distance l'ancien banquier pour que celui-ci ne fasse pas attention à elle. Lorsqu'il pénétra dans les toilettes pour étalons, la jument se posta à l'entrée en s'adossant sur le mur en face. Elle imaginait sans peine la surprise qu'il aurait en la reconnaissant et eut beaucoup de mal à se retenir de rire.


Deux minutes plus tard, la licorne à la robe azur sortit de la pièce et tomba museau à museau avec Applejack qui plaça instantanément son sabot sur la bouche de Greedy Jewel pour l'empêcher de parler. Elle sentit l'ex-banquier trembler.


« Ca f’sait longtemps, M. Greedy Jewel, constata Applejack. Depuis Fillydelphia, si j'n'm'abuse ? »


La licorne hocha très vite la tête. La fermière continua de l'empêcher de s'exprimer :


« Ecoutez : J'vous ai vu aux côtés de Sir Fancypants depuis ma place. J'dois absolument l’rencontrer ce soir. Si vous voulez pas que j’raconte la façon dont vous avez fait fortune, z’allez m'introduire dans sa loge. C'est compris ? »


Elle délivra Greedy Jewel qui rétorqua presque aussitôt en haletant :


« Mais comment voulez-vous que je fasse ?

-Vous z’aurez qu'à m’faire passer pour une compagne ou une membre de vot' famille, Qu'sais-je encore ? Vous trouverez bien quequechose, il en va de nos deux intérêts. »


L'ancien banquier laissa échapper un soupir. Il était littéralement coincé. Cette fermière était à l'origine de sa fortune et de tout ce qui en découlait. Elle pouvait tout aussi bien défaire d'un sabot expert ce qu'elle avait créée. Il n'avait pas d'autres choix que d'accepter, il le savait. Il répondit alors en reprenant sa contenance :


« Entendu, je vais vous conduire à Sir Fancypants. Mais vous avez intérêt à vous conduire convenablement. Je n'ai pas envie que vous gâchiez mon entrée potentielle dans la haute-bourgeoisie canterlotienne. »


Applejack eut beaucoup de mal à dissimuler l'expression de triomphe qui commençait à parcourir son visage. Cependant, elle tendit l'un de ses sabots à la licorne qui comprit rapidement ce qu'il devait faire. Il empoigna ce sabot avec le sien et le couple se mit en route vers la loge du noble étalon au même instant où résonnait les toutes premières notes de l'avant-dernier acte.


De son côté, Rarity réfléchissait à la façon dont elle allait s'y prendre afin de rentrer dans la loge de l'autre Fancypants. Elle avait une chance sur deux que ce soit celui qu'elle connaissait si bien. Aussi, elle pourrait venir le saluer sans que ça pose le moins problème. Mais si c'était l'imposteur... Elle préférait ne pas penser à la suite des événements, pourtant il fallait se poser la question : que devait-elle faire ? Devait-elle s'attaquer à la fausse licorne ? Si oui, comment devrait-elle s'y prendre ?


Toutes ces questions remuaient dans son esprit tandis qu'elle avait le sabot posé sur le battant de la porte donnant sur la loge privée du noble étalon.


« Respire un grand coup, Rarity, pensa-t-elle à voix basse. »


Elle poussa alors avec lenteur la porte et se lança dans l'inconnu. La loge était plutôt restreinte. En même temps, elle était conçue pour abriter un maximum de cinq poneys. Des rideaux similaires à ceux qui se trouvaient sur scène étaient disposés sur les côtés. La blanche licorne aperçut alors l'objet de sa venue en ce lieu, confortablement installé sur son siège en velours, en train de regarder paisiblement la représentation qui avait repris sur une discussion entre le roi et la reine. Rarity s'approcha doucement, sans faire le moindre bruit et s'installa à la droite de Fancypants. Ce dernier mit quelques secondes à s'apercevoir de la présence de l'élégante licorne à ses côtés. Il détailla les traits de l'invité opportuniste et la reconnaissant s'exclama :


« Lady Rarity ! Quelle joie de vous revoir ! Que faites-vous donc ici ? »


La blanche licorne eut à cet instant le sentiment qu'elle avait bien le véritable Fancypants en face d'elle. Ce qui signifiait qu'Applejack avait affaire à l'imposteur dans l'autre loge. Elle répondit alors d'un ton chaleureux à Fancypants qu'elle désirait assister à la représentation de cet opéra en raison de la participation de nombreux habitants de Ponyville. Le noble eut l'air surpris et jeta un œil plus attentif à la scène avant de déclarer :


« Je me disais bien que certaines de ces actrices me disaient quelque chose ! J'avais bien entendu reconnu la princesse Luna, mais les autres ! En passant, ne trouvez-vous pas que notre sélène souveraine chante particulièrement bien ? Je ne l'aurais jamais cru si versée dans la comédie... »


Rarity acquiesça, trouvant elle-même que la sombre alicorne se débrouillait admirablement. Elle ne l'aurait pas cru au premier abord, connaissant sa tendance à abuser de la voix royale traditionnelle de Canterlot. Mais finalement, elle ne faisait pas du tout pâle figure en comparaison de Pinkie Pie ou de Fluttershy, loin de là !


La licorne en profita pour contempler à nouveau ce qu'il se passait sur scène. Pridehoof commençait à s'inquiéter de la disparition de Jester et s'en alla questionner Manelet sur ce sujet épineux. Ce à quoi le prince répondit le plus naturellement du monde :


« A souper.

 

-A souper, où ?

 

-Non pas où il mange,

Mais où il est mangé.

Un certain congrès de vers politiques l'entreprend

Au même instant.

Le ver est le seul empereur lorsqu'il est question de manger,

Car toute créature finit un jour par les engraisser

 

-Hélas, hélas !

 

-Un poney peut pêcher avec le ver qui a mangé un roi

et attraper le poisson qui s'est nourri de ce vers.

 

-Qu'entends-tu par là ?

 

-Rien, si ce n'est vous montrer comment un roi peut aller en procession

Par les tripes d'un mendiant

-Où est Jester ?

 

-Au ciel.

Envoyez-y quelqu'un pour voir.

Si votre messager ne l'y trouve point,

Cherchez-le vous-même dans l'autre endroit.

Mais si d'aventure, vous ne le trouviez point

Avant la fin du mois,

Vous le flairerez dans les escaliers de la gallerie. »


La licorne à la crinière mauve eut un haut-le-coeur en entendant ces paroles d'une grande poésie. Manelet pouvait parfois être si atroce dans ses propos ! Une question la chiffonnait toutefois dans certaines de ses répliques, aussi en fit-elle part à Fancypants :


« Dites-moi, n'est-il pas étrange qu'il parle de manger des poissons ?

-Il est vrai que nous nous contentons surtout de pâtisseries et autres herbes à notre époque, admit le noble étalon. Mais il fut une époque en Equestria où la famine régnait et Shakeshooves avait pris le pari d'installer Manelet en ce temps troublé. C'est pourquoi il n'y a rien d'étonnant à ce que des poneys mangent du poisson. La faim justifie les moyens, si vous voulez mon avis. »


L'étalon à la crinière bleue fut alors saisi d'un petit rire au vu de son jeu de mots. Rarity mit un certain temps à comprendre avant de se joindre à lui. Néanmoins, elle se tut rapidement, car une autre interrogation ébranlait son esprit :


« Votre compagne Fleur-de-Lys n'est pas avec vous ce soir ?

-Malheureusement non, révéla Fancypants en secouant légèrement sa tête de dépit. La pauvre a contracté une maladie lorsque nous voyagions dans le pays. Je soupçonne qu'elle a dû tomber malade lorsque nous nous sommes rendus à Manedrid.

-Et vous n'êtes pas resté à son chevet ? Demanda Rarity avec une légère pointe de déception dans la voix.

-C'est ce que j'aurais voulu faire, mais Fleur-de-Lys a insisté pour que j'assiste à la première de l'opéra, expliqua le noble étalon. Étant donné que je suis l'une des personnalités les plus en vue d'Equestria, elle s'en serait voulue si l'opéra avait été un échec imputable à mon absence.

-C'est quand même dommage de ne pouvoir veiller sur elle au moment où elle a sans doute le plus besoin de vous, rétorqua la blanche licorne.

-Je vous l'accorde, avoua l'étalon, mais c'est ce que Fleur désirait et je dois m'y plier, que ça me plaise ou non. Et je vous avouerais qu'il serait dommage qu'un opéra si intéressant sombre dans l'oubli parce que je n'y serais pas allé. Qu'en pensez-vous ? »


Rarity fut d'accord avec les paroles de son ami de haut-rang. Elle n'aurait pas apprécié que le dur labeur effectué par ses amies, les habitants de Ponyville et l'orchestre ne soit pas reconnu à sa juste valeur juste à cause de la non-présence d'une coqueluche de la Société. A présent, elle en était sûre : elle avait bien l'illustre Fancypants à côté d'elle, et non pas un vulgaire changelin. Applejack était donc probablement en train de se confronter en ce moment même au responsable de l'état dans lequel se trouvait sa famille. La blanche licorne était inquiète. Elle n'aurait jamais dû laisser la fermière seule, car elle était absolument imprévisible. Cette dernière lui avait bien promis de se comporter correctement, mais Rarity n'avait-elle pas elle-même brisée la promesse la liant à Twilight ? Applejack pouvait tout aussi bien faire de même.


Il n'y avait rien de plus aisé que de rompre une promesse...


Greedy Jewel avait réussi sans mal à introduire comme étant sa nièce la jeune jument à son illustre hôte. Voyant que ce dernier s'agenouillait devant elle, Applejack tendit un sabot à l'étalon arborant un monocle qui déposa un baiser sur celui-ci. La fermière ne savait pas trop quoi penser de ce premier contact. Cet étalon avait le sens des politesses et pourrait par conséquent très bien être Fancypants. Elle voyait mal un changelin de base se montrer aussi galant, à moins qu'il ne s'agisse de Chrysalis elle-même.


C'était là qu'était tout le problème : avait-elle en face celui ou celle qui avait causé tous ses malheurs ? Devait-elle l'attaquer dès maintenant afin qu'il se démasque ? Non. Elle devait le faire parler, l'amener à parler de sujets auquel seuls le véritable Fancypants sauraient répondre. Et aussi le conduire sur des chemins de plus en plus sinueux... jusqu'à ce qu'ils révèlent certains éléments troublants que seul le coupable pourrait savoir...


Applejack s'asseya à côté de Greedy Jewel, étant donné qu'elle était supposée être une membre de sa famille. Cela ne lui plaisait guère, vu qu'elle voulait surveiller « Fancypants » constamment. Néanmoins, elle put quand même jeter des regards de temps en temps tout en regardant l'opéra se jouer. Cet étalon paraissait très calme, bien qu'un peu perdu dans ses pensées. Il ne semblait pas vraiment apprécier la compagnie de l'ancien banquier à en juger le peu de fois qu'il lui adressait la parole. La fermière se demandait s'il n'avait pas accepté la sournoise licorne simplement afin de conserver les apparences.


Une idée lui traversa alors l'esprit, tandis qu'une étalon cornu à la robe grise et à la courte crinière noire, arborant une cutie mark en forme de huit couché. Il s'agissait de l'interprète sélectionné pour jouer le rôle de Stronghorn, prince de Vanhoover, en visite à Trottseneur. Ce dernier s'avança au son d'une musique aux consonances martiales en s'adressant à l'un de ses soldats, :

« Allez capitaine, saluez pour moi le roi danois.

Dites-lui qu'avec sa permission Stronghorn implore une escorte pour marcher,

Tel qu'il était convenu,

Par son royaume.

Vous connaissez le rendez-vous.

Si sa majesté désire nous parler,

Nous lui ferons nos devoirs en personne.

Veillez à le lui dire.

 

-Je le ferais, Monseigneur. »


La délégation de Vanhoover quitta la scène afin de laisser le champ libre à Manelet, accompagné de Lies and Jokes. Le trio s'apprêtait à partir pour Canterlot. Applejack se décida alors à mettre son projet à exécution : elle donna un léger coup de hanche à Greedy Jewel afin que ce dernier se penche vers elle. Parvenue à attirer son attention, Applejack lui chuchota à l'oreille :


« Lors d’l'entracte, c’serait b’en qu’ vous vous absentiez...

-Décidément, je suis un véritable esclave, se plaignit l'ancien banquier.

-Voilà c’qui arrive quand l'on n'est pas honnête, résuma la fille Apple.

-Vous ne valez guère mieux que moi, rétorqua-t-il d'un ton doucereux. Menacer les gens est sans doute pire que de les escroquer.

-Ptêt’ bien, déclara Applejack. En attendant, c'est moi qui vous tiens en laisse, donc vous allez m'obéir, n'est-ce pas ? »


La licorne sournoise ne prononça plus un mot et se contenta de reprendre sa confortable position. Toutefois, la jument put constater que Greedy Jewel transpirait, ce qui signifiait qu'elle avait remporté la joute verbale. Elle avait réussi à s'imposer : l'ancien banquier la laisserait tranquille à la fin du quatrième acte, elle pourrait alors s'entretenir avec « Fancypants »...


Pendant ce temps, l'opéra se poursuivait sur scène avec le retour sur scène de Quicksilver, le frère aîné de Madmare, rappelé afin qu'il assiste à l'enterrement de Jester. La musique se montra des plus sombres tandis que le jeune étalon apprenait une nouvelle des plus graves : Madmare avait sombré dans la folie. Voyant qu'il refusait d'y croire, Pridehoof demanda à ce qu'on la fasse entrer. Lorsque la jeune jument entra sur scène, avec une crinière complètement décoiffée et sale, l'air adopta un rythme des plus erratiques, qu'elle accompagna de ses paroles démentes :


« L'ont mis le visage nu en bière,

Lon, la, la, lon laire, lon, la,

Leurs armes ont fait une pluie amère,

Adieu, ma colombe. »

 

En entendant les propos tenus par sa sœur, Quicksilver, interprété par Rainbow Dash, s'empara avec violence du corps de la jument à la crinière rose, la secouant de toutes ses forces :


« Si tu avais tes esprits et prêchais la vengeance

Ton pouvoir serait moindre.

 

-Vous devez chanter : « En bas, en bas »,

Et vous : « Appelez-le en bas. »

Oh ! Comme ce refrain est à propos !

C'est l'intendant fourbe qui a volé la fille de son maître.

 

-Ce rien est plus que sensé.

 

-Voilà du romarin, c'est pour le souvenir. Je vous en prie, mon amour,

Souvenez-vous.

Et voici des pensées, c'est pour la pensée.

 

-Pensées tristes, chagrin souffrance, l'enfer même :

Elle change tout en grâce et en beauté.

 

-Et il ne viendra plus jamais ?

Et il ne viendra plus jamais ?

Non, non, il est mort,

Gagne ton lit de mort,

Il ne viendra plus jamais.

Il a passé, il a passé,

Il ne sert à rien de pleurer,

Je prie Celestia ! Que l'alicorne diurne soit avec vous !

 

-Voyez-vous cela, O Celestia ? »

 

Incapable de supporter plus longtemps cette horrible vision, la mère de Manelet éloigna Madmare de son frère. Ce dernier s'effondra sur la scène tandis que la silhouette de Pridehoof se posa sur lui. Le monarque félon ne lui fit grâce d'aucun détail, il lui raconta comment Manelet avait éliminé de sang froid son père, comment il avait projeté de l'éliminer en l'envoyant à Canterlot, et comment cette tentative avait échoué au détriment de la vie de Lies et Jokes. Une fois ce récit achevé, Pridehoof s'exprima d'une voix grave, presque caverneuse :


« Quicksilver, aimiez-vous votre père ?

 

-Pourquoi cette question ?

 

-Car ce que nous voulons faire,

On doit le faire dès qu'on le veut,

Car ce « vouloir » change.

Manelet est de retour.

Qu'êtes-vous prêt à entreprendre

Pour vous montrer le fils de votre père

En actes plus qu'en paroles ?

 

-Lui couper la gorge en plein temple.

 

-Nul lieu en effet ne doit être un sanctuaire pour le meurtre,

La vengeance doit être sans limites. »


Le souverain poursuivit son discours , expliquant sereinement à Quicksilver qu'il devait se tempérer pour accomplir sa revanche, que cela demandait du temps et de la préparation. Toutefois, depuis la loge, Applejack ne retenait qu'une seule chose : Manelet était en réalité un faible. Il n'était pas tant enclin à se venger que ça au final. Pour preuve, il avait reporté son courroux alors qu'il avait une occasion parfaite de se venger ! Et par un étrange concours de circonstances, Quicksilver était prêt à tuer quelqu'un tandis qu'il priait. En ce sens, il faisait un bien meilleur vengeur que le prince de Trottseneur !


La jument issue de Sweet Apple Acres devait faire fi de toutes considérations à l'égard du coupable. Que ce soit un changelin ou un poney, il subirait le même sort, même s'il la suppliait. Depuis le début, ses scrupules et ses amies ne faisaient que la ralentir dans sa tâche ! En parallèle à sa nouvelle résolution, la mère de Manelet revint, interrompant par ses pas précipités la musique aux accents mystérieux qui se jouait jusque là. Elle annonça d'une voix désespérée :


« Un malheur marche aux sabots de l'autre,

Tant ils se suivent de près.

Votre sœur s'est noyée, Quicksilver.


-Noyée ?! Où ?! »


La mère du héros vengeur détailla la scène : Madmare était partie cueillir des feuilles grises qui ne poussaient que sur un saule planté au bord de la rivière bordant le château, afin de tisser des couronnes fleuries. Cependant, la branche sur laquelle elle s'était posée avait cédé sous son poids. Ne cherchant même pas à se débattre, elle avait laissé l'eau envahir ses poumons tout en continuant de chanter.

Toujours sous le choc, le frère de l'infortunée jument demanda confirmation du trépas de cette dernière. A présent sûr de cette cruelle vérité, il s'exclama d'un ton déterminé :


« Tu n'as que trop d'eau déjà, pauvre Madmare,

Aussi je m'interdis les larmes.

Et pourtant, c'est notre lot,

La nature tient à ses coutumes, la honte en dira ce qu'elle veut ! »


Il se mit alors à pleurer à chaudes larmes avant de poursuivre, d'une voix presque étouffée par les sanglots :


« Quand ces pleurs cesseront,

La jument en moi ne sera plus.

Adieu, monseigneur,

J'ai des paroles de feu qui voudraient bien flamber

Mais cette folle peine les éteint. »


Il s'inclina devant Pridehoof et son épouse avant de quitter la scène, en même temps que tomba le rideau sur le quatrième acte, aussitôt acclamé par les spectateurs. Aux côtés de Sir Fancypants, Rarity dût sortir un mouchoir afin de sécher les larmes qui commençaient à perler sur ses joues blanches. Elle avait eu une réflexion entièrement différente de son amie. Elle pensait qu'à présent on ne pouvait plus rien faire afin d'empêcher une tragédie de se mettre en place. Les actions de Manelet conduirait fatalement à un bain de sang. En réalisant cela, elle eut un pincement au cœur : et si en laissant Applejack se débrouiller, elle n'avait pas été l'engrenage amenant à une tragédie similaire ? Devait-elle la rejoindre au plus vite ou lui faire confiance ? La licorne posa son sabot sur la poitrine afin de se calmer. Elle devait croire en Applejack, c'était vital. Elle était la gardienne de l'élément d'honnêteté, elle ne lui mentirait pas. Pas à elle.


« Lady Rarity, vous sentez-vous mal ? S'enquit Fancypants.

-Ce n'est rien, affirma la blanche licorne. Je suis simplement émue par cette histoire.

-Je vous comprends, compatit l'étalon. Cette tragédie est des plus poignantes, surtout juste avant l'acte final car nous sommes certains à ce moment que les personnages sont soumis à la cruelle fatalité. Et il est nécessaire d'apprendre de leurs erreurs pour que plus jamais un drame pareil ne se produise. »


Rarity se frotta nerveusement les sabots, se demandant si son amie allait se rendre compte que le chemin qu'elle empruntait était sans issue. Cette dernière était finalement parvenue à s'asseoir juste à côté de l'autre Fancypants, profitant du départ de Greedy Jewel, mais elle ne savait pas comment engager la conversation avec l'étalon. Elle hésita un moment en se triturant le chignon, avant de se lancer avec une question somme toute banale :


« Assistez-vous souvent à des opéras ? »

L'étalon parut surpris en entendant la voix franche de la jeune jument au point qu'il dut rattraper son monocle qui ne demandait qu'à tomber. Toutefois, il eut de bons réflexes et parvint à remettre celui-ci en place. Il lissa de façon maladroite sa moustache et répondit d'une voix un peu tremblante :


« Cela m'arrive souvent, en effet. Même si je dois admettre que celui-ci sort nettement du lot, vous ne trouvez-pas ?

-Je ne saurais dire, c'est la première fois que j'assiste à un opéra, déclara la jument à la robe noire. Mes parents ont longtemps tenu à ce que je sois préservée des mondanités.

-Je pense qu'ils ont bien faits, remarqua la licorne. La haute-société n'est qu'un lieu où règnent en maître les déguisements et les masques. Tout le monde ne fait qu'interpréter un rôle.

-Mais n'est-ce pas le cas de n'importe quel poney ? Interrogea Applejack. Nous avons tous un visage de façade que l'on montre en public, tout comme une autre facette que l'on n'exhibe qu'aux proches, voire qu'à soi. »


L'étalon toussa un peu en entendant les propos de la jument. Il s'excusa pour son impolitesse avant de reprendre :


« Vous êtes, ma foi, très intelligente, jeune fille, complimenta la licorne. J'ai eu l'occasion de voyager à travers tout Equestria au cours des derniers mois et je crois bien n'avoir jamais croisé une ponette ayant une réflexion aussi poussée sur l'identité.

-Je n'étais pas aussi « calée » sur le sujet avant ce soir, annonça-t-elle. J'ai eu simplement le temps de réfléchir à la question en voyant autant de jeux sur les mensonges et les masques.

-En effet, c'est bien l'un des thèmes majeurs de cette pièce à mon avis, déclara la licorne en continuant de lisser sa moustache.

-Dites-moi, vous qui avez voyagé dans tout le pays, qu'avez-vous vu d'Equestria ? demanda Applejack. Je dois vous avouer que je n'ai jamais quitté Manehattan, à mon grand regret.

-Si vous voulez, nous pouvons en parler à l'extérieur, suggéra l'étalon. L'acte final s'apprête à débuter. Nous connaissons de toute façon le dénouement, il n'y a plus vraiment de surprises. Tant qu'à faire je préférerais éviter de troubler le plaisir des autres spectateurs par nos bavardages incessants. »


La jument à la crinière paille crut bondir de joie en entendant cela. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que cet imposteur lui propose de s'éloigner de la salle. Oui, imposteur ! Elle en était certaine maintenant. Fancypants l'avait déjà vu par le passé, et si l'on considérait son caractère, il n'était pas étalon à oublier le visage de quelqu'un. C'est pourquoi elle était intimement convaincue qu'elle avait l'imitation à ses côtés. Et en faisant cette suggestion, il donnait l'occasion qui manquait à Applejack afin de tirer tout cela au clair.


Néanmoins, elle fit bonne figure et accepta poliment :


« Ce sera avec grand plaisir, Sir Fancypants. Le destin de cette pièce est de toute manière inscrite dans la pièce.

-Qu'attendons-nous, alors ? Fit remarquer la licorne avec un petit rire. Que le pince-sans-rire qui vous sert d'oncle revienne ? »


Le couple se leva de son siège et sortit de la loge pile au moment où le rideau s'ouvrit sur le dernier acte, qui dévoilait deux fossoyeurs en train d'accomplir leur basse besogne. La jument et l'étalon se promenait dans les couloirs de l'opéra un peu au hasard, en prenant bien soin d'esquiver les toilettes où étaient partis Greedy Jewel. Ils finirent par arriver dans une grande galerie avec une une magnifique et gigantesque fenêtre à leur gauche. Applejack se dirigea instinctivement en face de celle-ci et admira l'éclat de la pleine lune qui brillait de mille feux. Il était difficile de croire que la princesse Luna avait pu être jalouse de sa sœur quand on voyait la beauté de l'astre lunaire.


« Cela m'apaise de contempler la lune. »


Applejack tourna sa tête vers le côté et vit l'étalon juste à côté d'elle, également en train de regarder le satellite naturel d'Equestria. Son corps ne tarda pas à suivre et elle s'empressa de déclarer :


« Cette vision détend en effet lorsque le silence s'installe. J'aime aussi contempler les étoiles lors de la nuit. Des fois, je me plais à penser que mes parents veillent sur moi depuis là-haut.

-Vos parents sont... morts ? se demanda la licorne d'une voix faible. Je suis désolé.

-Vous n'avez pas à l'être, rétorqua sèchement la fermière. Ce n'est pas comme si vous étiez responsables de leurs disparitions. Je devais avoir une dizaine d'années lorsque c'est arrivé.

-Qui s'est chargé de vous élever les années suivantes ?

-Mon oncle, mentit de suite Applejack

-Étonnant que vous soyez devenue une demoiselle si respectable avec un être tel que lui, remarqua l'étalon. Il ne m'a même pas demandé mon avis avant de s'immiscer dans ma loge. Néanmoins, je ne vais pas me plaindre, étant donné que cela m'a permis de faire votre connaissance.

-Il n'était pas le seul à veiller sur moi, révéla-t-elle. J'avais aussi ma grand-mère, mon grand frère et ma petite sœur qui s'occupaient de moi. »


Elle n'avait pas placé cette dernière phrase au hasard et elle fut ravie de constater que cette dernière avait produit son petit effet. Immédiatement, les traits de l'étalon étaient devenus raides. Quelques gouttes de sueurs étaient apparues sur son front. Elle n'avait quasiment plus aucun doute : c'était lui qu'elle cherchait depuis le début.


« Ils... ont fait du bon travail, déclara-t-il après quelques secondes de silence. Vous êtes une dame digne d'éloges. »


Toutefois, quand elle l'entendait s'exprimer de la sorte cet imposteur, elle peinait à croire qu'il était bel et bien le responsable à ses malheurs. Elle voulait toujours lui accorder le bénéfice du doute. Elle eut une idée afin de le forcer à avouer s'il était coupable. C'était risqué, mais elle était prête à tout afin de connaître la vérité. Après quelques instants passés à regarder les étoiles, elle regarda l'imposteur droit dans les yeux et déclara d'un ton résolu :


« Embrassez-moi. »





La tension montait sur scène à l'approche du grand final. Pourtant depuis l'extérieur, on ne l'aurait jamais cru au son des cordes, d'une mélancolie et d'une tristesse infinie tandis que l'enterrement de Madmare se déroulait. Manelet venait de faire son grand retour, après avoir été tourmenté par de sombres pensées sur le sens de la mort. Apprenant le trépas de sa bien-aimée, il était sorti de sa cachette pour pleurer la jeune jument, provoquant la fureur du frère de cette dernière, qui commençait à l'étrangler. Il se défendit en répliquant :


« Tu pries fort mal.

Ote tes sabots de ma gorge, s'il-te-plaît.

Car bien que je ne sois ni bilieux, ni emporté,

Je crois avoir en moi quelque-chose de suffisamment dangereux

Qu'il te faut craindre.

Alors, ôte ton sabot !


-Séparez-les, ordonna le roi.


-Manelet! Manelet ! Cria simplement sa mère


-Mon cher seigneur, calmez-vous, conseilla Wellmouth.


-Ah, mais je veux lutter avec lui sur ce thème

Jusqu'à ce que mes paupières refusent de battre ! Rugit Manelet.

 

-Oh, mon fils, quel thème ? S'enquit sa mère.


-J'aimais Madmare.

Quarante-mille frères réunis ne pourraient

Même avec la somme de tout leur amour

Egaler le mien. Que feras-tu pour elle ?

 

-Quicksilver ! Il est fou ! Lui rappela Pridehoof.


-Pour l'amour de Celestia, laissez-le ! conjura son épouse.


-Par Tarnation, montre-moi ce que tu ferais, répliqua Manelet à l'attention de son rival

Tu veux pleurer ? Te battre ? Jeûner ?

Te déchirer le corps ? Avaler du vinaigre ? Manger un crocodile ?

Je le ferai.

Viens-tu ici pour geindre,

Pour me braver en sautant dans sa tombe ?

Fais-toi enterrer vif avec elle, j'en ferais autant. »


Ces mots résonnèrent comme une véritable déclaration de guerre aux oreilles de Quicksilver qui releva avec fierté le duel. L'ultime affrontement de la pièce allait démarrer...


Rarity observait cela en compagnie de Fancypants. Elle était réellement impressionnée par la performance de ses amies, mais elle ne cessait de se ronger les sabots en songeant à Applejack. Elle pouvait être en train de faire tout et n'importe quoi en ce moment même ! Elle ne tenait plus, il fallait absolument qu'elle jette un coup d'oeil à l'autre loge pour se rassurer. Elle se demanda d'ailleurs pourquoi elle n'y avait pas pensé plus tôt.


La loge se trouvait sur sa droite, elle se pencha légèrement sur le côté et se sentit partir. Il n'y avait plus que l'autre licorne dans la loge du second Fancypants ! Applejack avait réussi à isoler l'imposteur ! La blanche licorne commençait vraiment à paniquer. Elle savait ce dont la fille Apple était capable. Il fallait immédiatement qu'elle la retrouve !


« Sir Fancypants, vous m'en voyez vraiment désolée, mais je dois prendre congé de vous, fit Rarity.

-J'en suis profondément chagrinée, annonça le noble étalon. Rarity, j'espère que nous nous.... »


La licorne pure comme la neige ne l'avait même pas laissé terminé ses paroles... Elle avait peu de temps devant elle pour arrêter Applejack.

« Comment ?

-Embrassez-moi, vous dis-je, répéta Applejack tout en se rapprochant de l'étalon. Je suis tombée amoureuse de vous dès que je vous aie aperçu.

-C'est que j'ai déjà une compagne, se défendit la licorne.

-Allons, de vous à moi, nous savons que vous l'auriez fait assister à la représentation si vous teniez un tant soi peu à elle, répliqua sèchement la fermière. »


L'imposteur était piégé. Il n'avait aucun moyen de justifier l'absence de Fleur-de-Lys, contrairement au véritable Fancypants. Il devrait accéder à la requête de la ponette orange.


« Je n'ai pas ce genre de sentiments pour vous, affirma l'étalon.

-Embrassez-moi ou j’hurle, posa la fille Apple en guise d'ultimatum. »


Applejack savait qu'il ne pouvait pas se permettre de refuser. Sinon, tout le monde s'apercevrait que deux Fancypants avaient assisté à la pièce. Il devait accepter. Pourtant, il semblait toujours réticent au vu de sa réaction. Réaction plutôt étrange par ailleurs, car on n'y lisait pas le dégoût, la colère ou la honte, seulement la peur. Un simple baiser pouvait-il effrayer autant quelqu'un d'innocent ?


Sentant que ses mots ne parviendraient pas à faire changer d'avis l'étalon, la jument se jeta sur lui, le renversant et l'embrassa de force. C'était la première fois qu'elle embrassait un étalon sur la bouche, et elle devait avouer que ce n'était pas désagréable du tout. Mais au bout de quelques secondes, elle sentit un frisson parcourir son corps. Elle essaya de retirer son visage de celui de l'étalon, mais c'était comme si ce dernier était fixé à celui de l'étalon. Elle avait l'impression qu'on lui aspirait quelque chose, mais elle n'arrivait pas à comprendre quoi.


Les derniers doutes subsistaient en elle fondèrent comme neige au soleil : le coupable était bel et bien un changelin Dommage pour elle, elle ne pouvait plus rien faire. Elle était complètement paralysée par les capacités de la créature et n'allait pas tarder à subir le même sort que les membres de sa famille. Elle ne pouvait même plus pleurer... Applejack se demandait ce qui l'attendait : allait-elle rejoindre sa famille ailleurs ? Allait-elle devenir simplement une coquille vide ? Existerait-elle encore sous une forme ou une autre ?


« APPLEJACK !!!! »


Quelqu'un arrivait à toute allure dans la galerie, le son de ses sabots se répercutant dans tout les murs. Peu importait l'identité de cette personne, elle arrivait trop tard pour sauver Applejack. Ou peut-être pas...


Un bris de verre se fit entendre, suivi du bruit caractéristique émis par la magie des licornes. Les morceaux de verre allèrent se ficher dans le corps de l'étalon, qui gémit de douleur. La fille Apple en profita pour s'extirper de l'emprise de l'étalon. Peinant encore à retrouver son souffle, elle vit qui l'avait sauvé... Il s'agissait de Rarity. La licorne semblait complètement paniquée et avait agi dans l'urgence. Elle se jeta aussitôt dans les sabots d'Applejack en pleurs :


« Tu es complètement inconsciente, AJ ! Pourquoi as-tu pris autant de risques ?! »


Applejack ne répondit rien et se contenta de frotter la crinière de la licorne sans éloigner son regard du corps inanimé de l'étalon. Une espèce de liquide vert fluo coulait de celui-ci. Peu à peu,la créature perdit l'apparence de Fancypants qu'elle avait emprunté et laissait place à une forme d'insecte noir, percée de part en part, arborant une petite corne et une courte crinière verte sombre. Bientôt, ses yeux s'ouvrirent, vierges de toutes pupilles. Ce n'était plus une licorne. C'était un changelin. Mais ce n'était pas la reine Chrysalis, comme l'avait pensé Applejack.


La créature remua un peu et arracha un à un à l'aide de ses crocs aiguisés les nombreux morceaux de verre ayant élu domicile dans son corps. La vision était répugnante, et la fermière prenait bien soin de préserver Rarity de celle-ci en la conservant blottie entre ses sabots. Mais elle réalisa au bout d'un moment qu'elle devait intervenir. Elle murmura à l'attention de son amie :

« Va chercher les autres. Ça va barder ici.

-Mais l'opéra n'est pas terminé... fit remarquer Rarity.

-On s'en contrefout de l'opéra ! Rugit la fermière. Y a une saloperie de changelin ici ! Et c'est lui qu’a mis ma famille dans ct’état ! VA CHERCHER TWILIGHT ET LES AUTRES !!!! »


La licorne sursauta et repoussa violemment Applejack avant de s'enfuir au galop. Cette dernière était consciente qu'elle l'avait blessé, mais elle s'excuserait plus tard. Pour l'heure, il était temps d'en finir !


La fermière approcha de la créature insectoïde qui cessa tout de suite d'arracher les débris de verre pour fixer la jument de ses globes oculaires vides de toute expression. Il commençait à reculer en tremblant tandis qu'Applejack lui adressait ces quelques mots :


« Si tu savais d’puis combien d’ temps j'rêve de cet instant... J'compte même plus les nuits qu’j'ai passé à visionner c'te scène dans ma tête. J't'avais dit tout à l'heure que nous portions tous un masque. Vous, les changelins, êtes pires ! Vous en portez deux ! »


Le changelin ne répondit rien et continua de reculer, avant de se retourner subitement et de s'enfuir à toute vitesse. Applejack se lança à sa poursuite. Le changelin arrivait encore à se déplacer rapidement malgré ses blessures, il commença à grimper l'escalier conduisant au dernier étage. Il espérait s'enfuir par le toit. La jument ne le laisserait pas faire. Elle s'empara d'un des chandeliers allumés près du mur à l'aide de sa bouche et monta à son tour l'escalier.


Elle parvint à le rattraper tandis qu'il essayait désespérément d'ouvrir la porte de l'escalier de service. Elle se rua sur lui et tenta de le brûler à l'aide du chandelier. Elle essaya de bredouiller quelques mots que l'on aurait pu vaguement comprendre comme un :


« Tu vas payer pour ma famille ! »


Le changelin essayait de résister à la pression exercée par la terrestre, mais c'était très ardu. La jument n'y allait pas de sabot mort avec lui ! La créature puisa alors dans les quelques ressources qui lui restaient, ce que certains appelaient « l'énergie du désespoir », et parvint à projeter Applejack contre le mur. Cette dernière, dont le chignon s'était défait, faisant tomber une cascade de cheveux blonds, lâcha sous le choc le chandelier qui tomba sur le tapis rouge, qui s'embrasa instantanément.


Un incendie venait de se déclarer dans le Carmanegie Hall...


De son côté, Rarity était parvenue à se faufiler dans les coulisses. Le souffle court, elle chercha une de ses amies. Peu lui importait laquelle du moment qu'elle parvienne à raisonner Applejack. Elle finit alors pas tomber sur Fluttershy, qui n'avait plus à apparaître sur scène pour le restant de l'opéra. La pégase faillit s'évanouir en apercevant Rarity, mais se rappela au dernier moment qu'il était normal qu'elle soit présente.


« Fluttershy, vite ! Il faut que tu m'aides ! ordonna la blanche licorne en nage. Applejack est en train de péter les plombs ! Pas le temps de t'expliquer !!

-Mais... je n'arriverais jamais à la calmer, si même toi tu n'y arrives pas... constata la jument à la robe jaune.

-Alors va chercher Twilight et Rainbow Dash ! Mais fais quelque-chose ! On court à la catastrophe ! conjura Rarity.

-Ok ! fit Fluttershy avec une grande énergie. »


Elle se mit à voler en direction de la scène, mais lorsqu'elle vit que l'on était arrivé à la scène du combat entre Manelet et Quicksilver, elle se figea dans les airs. Elle ne pouvait pas tout ficher en l'air maintenant... D'un autre côté, la vie de son amie était en danger... Fluttershy respira profondément et fit le tri dans ses pensées. Pourquoi avait-elle proposé l'idée de l'opéra en premier lieu ? Réponse : pour attirer Applejack en ce lieu et lui faire entendre raison. Pas pour jouer les divas.


La pégase jeta un dernier coup d'oeil en arrière, et, voyant l'expression de détresse dans les yeux cobalts de Rarity, elle rassembla son courage et fit son retour sur scène. Son apparition ne passa pas inaperçue, étant donné qu'elle chamboulait totalement le scénario de la pièce de Shakeshooves ! Néanmoins, elle ne se dégonfla pas et fit d'une voix chantante, comme si elle voulait éviter de rompre l'action de l'opéra :


« Mon frère, Manelet, cessez de vous battre !

Ne voyez-vous pas que l'esprit de vengeance

Vous précipite tout droit à votre perte ?! »


Pinkie Pie et Rainbow Dash cessèrent instantanément leur affrontement, bien que la jument rose avait son sabot de fer tout droit pointé sur la gorge de Rainbow Dash. Fluttershy se tourna ensuite vers Twilight :


« Quant à toi, Wellmouth !

Ne devais-tu pas remettre ton meilleur ami

Sur le droit chemin ?!

Car là, le seul chemin que je vois s'étendre à l'horizon,

Est une voie dorlottée par les ténèbres ! »


La protégée de Celestia réalisa alors le sens caché des mots de la pégase qui continuait de la fixer d'un air grave depuis les airs. Elle s'apprêtait à annoncer quelque chose lorsqu'une odeur de fumée âcre parvint à ses naseaux. Elle regarda autour d'elle et constata que tout le monde était plongé dans le même trouble qu'elle. Un étalon qui assistait à la représentation se mit alors à hurler de toutes ses forces :


« AU FEU !!!! IL Y A LE FEU DANS L'OPÉRA !!!! »


Tout les spectateurs commencèrent à paniquer et à se lever de leurs sièges. Luna, qui était présente sur scène, employa alors la voix royale traditionnelle de Canterlot :


« GARDEZ TOUS VOTRE CALME !!!! VOUS DEVEZ TOUS ÉVACUER PAR LES SORTIES DE SECOURS DEPUIS LES COULISSES !!! NE VOUS BOUSCULEZ PAS ET CONSERVEZ VOTRE SANG-FROID !!!! »


La puissance et la dignité de la voix de Luna parvint à tranquilliser tant bien que mal le public qui commençait à évacuer la salle en passant par la scène. Les acteurs présents sur scène s'écartaient sur leurs passages.

Quant au feu, il se propageait à vive allure...


La chaleur étouffante de l'incendie amena Applejack à déchirer sa robe noire. Sans ses frous-frous, elle se sentait beaucoup plus à l'aise, en mesure de se confronter à celui dont elle souhaitait se venger ardemment. Ce dernier était toujours en train d'essayer de forcer la porte de service menant au toit. La terrestre galopa une nouvelle fois vers lui et parvint cette fois à le plaquer avec violence au sol. La créature laissa échapper un hurlement de douleur.


La fille Apple ne s'arrêta pas à ce seul geste. Elle mordit la créature de toutes ses forces et la projeta contre la porte d'une des loges privées, désormais déserte, tandis que les occupants s'enfuyaient . La porte s'ouvrit avec fracas et Applejack pénétra dans la petite pièce, mais ne vit pas pour autant le changelin. La rambarde était d'ailleurs brisée. Elle avait mis tant de puissance dans son lancer que l'insecte avait fini en contrebas. Elle regarda le bas de la salle, mais ne vit pas le corps de la créature. Il était impossible de distinguer quoi que soit dans la confusion générale. Soit le changelin était inconscient et en train de se faire piétiner par les spectateurs, soit il en avait profité pour prendre l'apparence d'un de ces derniers afin de s'échapper.


La fermière laissa échapper un juron, et tenta de rebrousser chemin. Mais l'incendie l'avait piégé dans la loge. Il ne lui restait plus qu'une alternative : sauter. Elle risquait de se briser quelques os dans la procédure, mais cela valait mieux que de périr carbonisé. Elle se jeta dans le vide en criant :


« Gerhoonimo !!!!! »


Elle s'attendait à atterrir brutalement sur le sol, mais il n'en fut rien. Une bulle mauve s'était formée autour d'elle, agissant comme un coussin amortisseur. Elle vit à quelques mètres devant elle la licorne ayant lancé le sort... Twilight. Aussitôt, Applejack se reprit et raconta ce qu'elle avait découvert :


« Twilight ! C'est Chrysalis qui est derrière l'état de ma famille ! C'est elle !!! Il faut qu'on retrouve ce changelin pour lui faire cracher la vérité !

-Ferme-là... FERME-LA !! »


Twilight avait dans le regard une lueur furieuse que la terrestre n'avait jamais vu, pas même lorsqu'elle s'était emportée contre le « pinkie sense » de la ponette éponyme. Furibonde, Twilight ajouta :


« Te rends-tu comptes du danger que tu as provoqué !? Tu aurais pu tuer les spectateurs avec ta vengeance stupide !!! Heureusement que l'on s'était préparé à ce genre d'éventualités !!! Regarde autour de toi les conséquences de tes actes idiots, regarde-toi, tu es lamentable !!! »


La jument orange s'exécuta et examina les lieux autour d'elle. Le Carmanegie Hall était méconnaissable. L'incendie se répandait partout. Une par une, les loges cédaient sous la chaleur des flammes et s'écroulaient au sol. L'une d'elles passa même quelques mètres à côté des deux amies. Applejack contempla avec une mine de dégoût les conséquences de ses actes. La disciple de Celestia se retourna et fit alors signe à la fermière de la suivre. Il fallait évacuer au plus vite...


Une fois parvenue dans l'avenue culturelle, les deux amies purent seulement apercevoir un énorme brasier devant elles. Ce n'était plus un opéra. C'était une ruine. Les pompiers venaient à peine d'arriver sur les lieux du sinistre. Twilight conduisit Applejack au restant du groupe. Pinkie Pie, Fluttershy, Rainbow Dash et Rarity assénèrent chacune un regard chargé de reproches à leur amie. Tout ce qu'Applejack trouva à répondre à cela fut :


« J'crois que j'ai gâché la fête... »


Les larmes coulaient toutes seules sur ses joues. Elle déclenché une véritable tragédie, au sens propre. Ses amies, contre toute attente, l'enlacèrent dans leurs sabots. La pégase azur ajouta même :


« Pourquoi faut-il que tu sois si obstinée ? Tu ne rends jamais les choses simples... »


Applejack eut un léger sourire forcé en entendant cette remarque. Le câlin de groupe dura encore de longues minutes, jusqu'à ce qu'une voix grave les interrompit :

« Je la reconnais ! C'est elle qui a déclenché l'incendie ! »


La fermière se retourna, seulement pour voir Greedy Jewel, qui arborait un air de triomphe sur le visage. Ce dernier était accompagné de deux policiers en uniformes. L'un d'eux s'approcha de la jument orange et la saisit par le sabot en déclarant d'une voix solennelle :


« Mademoiselle, vous êtes en état d'arrestation. »


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