Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Cinquième partie : Flammes

De l'extrémité de son sabot, celle que toute la Noble République de l'Elysium ne connaissait plus que sous le nom, et titre, d'Alma Mater, caressa le joyau inerte. Lui qui avait été autrefois débordant de magie, comme les autres Éléments, il était désormais vide.

Pourtant, si elle fermait les yeux, si elle se concentrait, l'Alma Mater pouvait encore sentir l'extraordinaire puissance de l’Élément. Ce n'était que du vide, mais un vide vertigineux, qui laissait clairement entrevoir de quoi l'artefact était capable, au fait de sa puissance. L'Alma Mater l'avait vu, sept ans auparavant, ce que pouvaient faire les Six. Et comme toutes les alicornes de l'Elysium, elle avait alors espéré que plus jamais, ils n'aient à s'en resservir.

De toute façon, même s'ils l'avaient voulu, ils auraient été incapables de déchaîner à nouveau le pouvoir de l'Harmonie. Pour cela, il aurait fallu les Six. Et des Éléments, l'Elysium en avait perdu deux.

Un seul en fait, très techniquement, mais l’Élément de la Magie, qui ne pouvait apparaître que quand les Six étaient ensemble, s'était volatilisé au moment où ils avaient perdu l’Élément de la Loyauté.

Depuis, les alicornes ne possédaient plus que quatre Éléments, ombres d'eux-mêmes, qui s'étaient affaiblis avec le temps. La dernière parcelle de magie s'était envolée de l'ultime joyau encore actif, il y a deux semaines. Et l'Alma Mater connaissait trop bien les Éléments pour savoir que ce n'était pas l'usure du temps, qui avait causé cette extinction, mais une utilisation délibérée. Désespérée aussi, parce que personne n'aurait fait appel à son pouvoir sans raison.

Le pouvoir des Éléments était illimité, l'Alma Mater le savait. Mais pour cela, ils devaient être réunis. Ils devaient être Six.

Celui ou celle qui avait épuisé les ressources des Éléments, n'avait eu le soutien que de quatre Éléments. Et encore, un seul, serait déjà plus juste. Un Élément moribond, l'ombre de lui-même.

Quand la minuscule lueur au fond du joyau s'était éteinte, l'Alma Mater avait su qu'un de ses neveux, ou une de ses nièces, était tombé pour ne plus se relever.

L'Elysium perdait un Enfant de plus. La race des alicornes s'affaiblissait encore.

L'Alma Mater laissa échapper un sourire triste. Et dire qu'autrefois, les corridors de la Cité de Cristal répercutaient par dizaines, les rires et les paroles des alicornes. Désormais, c'était le silence qui se répercutait en écho sous les hautes voûtes de l'Elysium. Un silence qui n'aurait pas déplu à Alkhali d'ailleurs.

Penser au draconequus fit remonter des souvenirs amers dans l'esprit de l'Alma Mater.

Les esprits du chaos n'avaient pas marqué les survivants que dans leur chair, mais aussi dans leur âme. En tant que première responsable de l'Elysium, c'était le devoir de l'Alma Mater de montrer l'exemple, de serrer les dents, et de tirer un trait sur le passé.

Mais la page pouvait se montrer des plus lourdes à tourner quand des milliers de cadavres reposaient dessus.

En un sens, l'Alma Mater n'en avait jamais voulu à celles et ceux qui avaient quitté la Cité de Cristal après les événements. Tous avaient perdu quelqu'un au cours de la Semaine Sanglante.

Un parent, un époux, un enfant...et le pire, c'était que tous les survivants avaient gagné quelque chose en retour.

L'âcre crachat de la vérité, en plein dans le museau : la réalité qui hurlait aux oreilles de tous qu'en six jours, une société éduquée, cultivée, et infiniment respectable, avait pu sombrer dans les ténèbres les plus infinies. Tout ça parce que personne se s'était dressé avant qu'il ne soit trop tard. Personne pour enrayer la machine.

Des siècles, et des siècles d'Histoire et de développement, ruinés par six jours de dictature.

Ça donnait le vertige quand on y repensait.

En un sens, l'Alma Mater se disait que les Elements étaient une bonne métaphore de l'état de l'Elysium lui-même. Autrefois si grand, et si puissant, désormais, à peine l'ombre de lui-même.

L'âge d'or était passé. Ils vivaient désormais le temps du crépuscule, et s'ils avaient échappé aux ténèbres sept ans auparavant, l'Elysium avait été blessé mortellement. La Cité de Cristal se mourait. A chaque alicorne qui poussait son dernier soupir, la noble république répondait par un sanglot.

Et l'Alma Mater savait qu'ils n'avaient guère plus de larmes à verser.

_Tante Alma ?

A ces mots, l'Alma Mater sourit. En théorie, on ne devait s'adresser à elle qu'en disant « Mère », tout comme elle-même ne devait répondre qu'à ses « Enfants ». Mais elle était une alicorne avant tout, et des siècles d'habitude ne s'effaçaient pas comme cela.

_Oui ma nièce ?

L'alicorne qui venait d'entrer dans la salle était plus petite que l'Alma Mater, plus claire aussi. Alors que la robe de l'Alma Mater était lie de vin, celle de son interlocutrice évoquait la menthe bleue.

Leurs crinières aussi, étaient diamétralement opposées, violet pour la plus âgée, et vert sombre, pour la plus jeune. Et bien sûr, là où cette dernière était nue, l'Alma Mater portait les attributs de sa charge, soit une toge blanche à la bande pourpre.

_Tes cousines se sont réveillées, c'est cela ? demanda l'Alma Mater.

_La plus jeune seulement. L’aînée aussi mais par à-coups, comme depuis le début. Elle crie dans son sommeil, se réveille, et se rendort juste après. Je crois qu'elle fait des cauchemars.

L'Alma Mater hocha silencieusement la tête, sa manière à elle de réfléchir.

_Je vais voir si la cadette peut nous dire ce qu'elles font ici alors. Pendant ce temps là, veillez votre cousine, entendu ?

_C'est compris, tante Alma.

D'un petit signe du museau, l'Alma Mater fit signe à sa nièce qu'elle pouvait se retirer. La jeune alicorne fit une rapide révérence, et s'en alla. L'Alma Mater reporta son regard quelques secondes sur l’Élément déchargé, le caressa du sabot une dernière fois, souffla par les naseaux, et quitta la pièce à son tour.

Le bruit de ses sabots qui résonnaient dans les immenses couloirs que l'Alma Mater traversait, donnait l'impression à l'alicorne d'être dans un édifice religieux. Ce n'était pas entièrement faux en ce qui la concernait, après tout, en tant qu'Alma Mater, elle était la figure spirituelle sur laquelle s'appuyaient la plupart des élysiuméens, mais en tout et pour tout, elle ne restait qu'une alicorne. Oui, elle était plus âgée que les autres, oui, elle avait une certaine forme d'autorité sur eux, mais cela s'arrêtait là.

C'était plus dur pour elle encore, car elle, elle n'avait personne sur qui se reposer. Le conseil des Six avait été dissous dans le sang, sept ans auparavant, et c'était à elle que revenait depuis, la lourde tâche d'administrer la Cité de Cristal. Enfin, s'il y avait encore quelque chose à administrer.

L'Alma Mater se gifla mentalement pour cette pensée. Bien sûr qu'il y avait encore quelque chose à administrer. Le simple fait que des alicornes vivaient encore, prouvait bien que l'Elysium n'était pas mort. Et que deux d'entre elles se soient présentées à la Cité de Cristal, était le signe le plus probant que la noble république n'était pas condamnée au néant. Pas encore du moins.

L'Alma Mater descendit un long escalier en colimaçon, et sortit de la Tour des Elements. S'engageant sur la grande passerelle qui reliait le bâtiment avec le reste de la Cité, l'Alma Mater prit quelques secondes pour regarder autour d'elle. Les nuages étaient bas ce matin, et entouraient l'Elysium de leur cocon protecteur. On distinguait le soleil, mais on ne le voyait pas.

Tout juste une lueur jaune derrière d'épais voiles blancs. L'Alma Mater se demanda s'ils ne devraient pas dégager un peu le ciel ces prochains jours. Elle avait envie de voir l'horizon. Et elle était à peu près sûre que ses neveux et nièces eux aussi, ne seraient pas contre un peu de panorama.

L'alicorne reprit sa route, après avoir rejeté un des pans de sa toge sur son épaule. Fichue tenue, elle n'arrêtait pas de glisser. Elle devrait peut-être se forcer à porter une broche, en dépit de son rejet presque maladif des bijoux. Même avant qu'elle ne devienne Alma Mater, elle avait toujours déprécié les objets qui mettaient en valeur. C'était une alicorne simple, et le fait d’accéder aux plus hautes fonctions depuis sept ans, n'avait rien changé à l'affaire. Déjà qu'elle ne portait la toge que par respect envers celles qui l'avaient précédées à ce poste...si elle s'était écoutée, vraiment écoutée, elle aurait roulé la tenue en boule quelque part dans sa chambre, et l'aurait laissée pourrir là.

Ses pas conduisirent l'Alma Mater à une pièce centrale, qui s'ouvrait sur un entrelacs de corridors. L'alicorne prit la direction de la zone résidentielle.

Au fur et à mesure qu'elle progressait dans les couloirs, les murs prenaient une teinte verte. C'était une des grandes particularités de l'Elysium : si de l'extérieur, on ne voyait de la ville, que des bâtiments de verre et de cristal, et donc, transparents, l'intérieur de la cité avait été remarquablement bien pensé. Les cristaux qui composaient la majeure partie de la ville, lui donnant d'ailleurs son surnom de Cité de Cristal, avaient tous été traités pour qu'ils ne décomposent la lumière que d'une certaine façon. Ainsi, une zone de l'Elysium se teintait de rouge sous l'effet du soleil, tandis qu'une autre, prendrait une couleur orange.

Toutes les alicornes avaient appris à aimer ces déclinaisons de couleur. Sauf le jaune. Le jaune était trop attaché aux Événements. Ce n'était pas la faute de cette pauvre couleur, qui n'avait rien demandé à personne d'ailleurs, mais les faits étaient là. Plus personne ne vivait dans les quartiers jaunes. Trop de mauvais souvenirs y étaient liés. Les fantômes des milliers de morts hantaient leurs salles de verre et de cristal.

La zone résidentielle consistait en une grande aile de l'Elysium, qui n'abritait non pas des maisons, mais une multitude d'appartements individuels. Les plus grands étaient destinés à accueillir des familles entières, tandis que d'autres, plus modestes, suffisaient largement pour une alicorne seule.

Presque toutes les alicornes vivaient dans cette partie de la cité, à quelques exceptions près, comme l'Alma Mater elle-même, qui avait ses appartements dans une dépendance de la Tour des Elements.

Il y avait au moins un avantage évident au dépeuplement de la Cité de Cristal : les alicornes avaient largement eu la place pour recueillir leurs deux invitées.

Ce qui avait surpris l'Alma Mater, ainsi que ses neveux et nièces, c'était la jeunesse de leurs hôtes.

A vue de museau, l'Alma Mater ne donnait pas plus de vingt ans à la plus âgée, et guère plus de dix pour la plus jeune. Pour la race des alicornes, capable de vivre en pleine santé durant des milliers d'années, c'était encore d'autant plus jeune.

L'Alma Mater stoppa devant une des portes, gardée par une alicorne mâle à la robe miel, et à la crinière charbon. Un anneau, glissé dans ses cheveux, faisait chuter une de ses mèches, juste devant le côté droit de son visage, tandis que le reste de sa crinière, était aussi évanescente que celle des autres alicornes. L'Alma Mater savait qu'il ne portait pas cet anneau par volonté de se distinguer, mais simplement parce que tout ce qui se trouvait à droite de son museau, n'était plus qu'un amas de chairs brûlées, et cicatrisées. Souvenir des Événements d'il y a sept ans.

_Tante Alma, salua t-il en baissant respectueusement la tête.

_Bonjour Japet, répondit-elle avec un sourire. Erèbe m'a dit que la plus jeune était réveillée ?

_Depuis une heure ou deux. J'ai pris la liberté de lui faire apporter à manger.

_Tu as bien fait, lui dit l'Alma Mater en franchissant la porte de verre.

La chambre dans laquelle ils avaient installé la petite alicorne, ressemblait à la pièce lambda de la zone résidentielle : une excavation oblongue, taillée dans du cristal opaque, avec un lit confortable, un bureau, et quelques coussins pour s'allonger.

Leur hôte était assise tout au début du lit, les fesses posées sur l'oreiller, les couvertures en désordre. Un plateau-repas composé d'un bol de flocons d'avoine, et de quelques fruits, avait été déposé à ses sabots, mais la petite alicorne ne semblait pas y avoir touché.

_Tu n'as pas faim ? demanda l'Alma Mater en s'approchant doucement du lit.

_Non, répondit la pouliche.

Aussitôt, un grognement sourd se fit entendre, qui venait des tréfonds de son estomac. Elle plaqua ses petits sabots sur son ventre, sûrement dans le but d’étouffer le bruit. Le grondement dura bien dix longues secondes complètes. Ce laps de temps passé, la jeune alicorne s'adressa à nouveau à l'Alma Mater.

_P'tet un peu. Mais maman nous a dit de ne jamais accepter du manger des inconnus.

_Ta mère a tout à fait raison, dit l'Alma Mater en s'approchant à petits pas du lits, pour ne pas effrayer l'enfant. Mais si ça peut te rassurer, regarde...

L'alicorne baissa le museau vers le bol de flocons d'avoine, et en prit une petite bouchée. Elle mâcha lentement, et avala. Elle releva la tête vers son hôte, lui sourit pour lui montrer que tout allait bien, et poursuivit sa démonstration en avalant une framboise.

Elle se recula ensuite d'un pas.

La petite alicorne regarda le contenu du plateau-repas avec circonspection, et le renifla plusieurs fois. Puis la faim l'emporta sur la méfiance, et elle se jeta sur les flocons d'avoine.

L'Alma Mater la regarda faire en réprimant un gloussement de rire. C'était comique de voir à quel point cette petite avait un solide appétit, en dépit de sa taille.

_Comment est-ce que tu t'appelles ?

_Comment est-ce que tu t'appelles, toi ? lui répliqua la petite alicorne, la bouche pleine de flocons d'avoine, en en projetant sur le lit.

Nouveau sourire de la part de l'Alma Mater.

_Tu peux m'appeler tante Alma si tu veux.

_T'es notre tatie ? demanda la pouliche avec des yeux ronds.

_Pour faire simple oui, dit l'alicorne, qui n'avait pas spécialement envie d'expliquer à une enfant, les tenants et les aboutissants de son titre.

_C'est vrai que t'as des ailes et une corne. Comme maman, papa, Tia, ou nous.

_Qui est Tia ?

La petite alicorne la regarda avec de grands yeux.

_C'est juste genre la meilleure grande sœur au monde de l'univers ! s'exclama t-elle, écartant les pattes en signe d'évidence, envoyant valdinguer le bol de céréales sur le lit.

_J'en suis sûre, répondit une Alma Mater toute sourire, qui rattrapa in extremis le bol de sa magie, et le reposa doucement, sur le plateau-repas.

Nullement dérangée par l'incident, la jeune pouliche repartit à l'assaut de plus belle.

_Tu ne m'as toujours pas dit ton nom, fit remarquer aimablement l'Alma Mater.

_Luna, répondit l'enfant entre deux bouchées de flocons d'avoine.

L'Alma Mater fronça les sourcils. Le nom lui semblait familier. Mais c'était peut-être juste une impression.

_D'accord Luna, dit l'alicorne adulte en s'approchant de la petite pouliche. Et si tu me disais comment tu t'es retrouvée ici, hein ?

Luna releva la tête pour répondre, des miettes de céréales, collées sur son museau.

_Bah euuuuuh, on était tous dans le grand jardin avec les poneys en robe, et tout le monde, il était bien habillé, parce que c'était le mariage de Tia, et même qu'elle se mariait avec un zèbre, et que comme ça, elle allait gagner plein de quartiers mademoiselle Lavande elle m'a dit.

L'enfant stoppa net sa phrase, et plissa les yeux. Visiblement quelque chose qu'elle venait de dire l'avait marqué.

_Mais je comprends pas comment Tia elle peut gagner des quartiers, parce que je la bats toujours au monopony.

Luna agita son petit sabot dans le vent, sûrement pour dissiper physiquement sa réflexion.

_Bon, et puis on était tous là, et là, y a une dame qui est arrivée, et elle a dit que c'était elle la reine des licornes, alors nous on a dit, non, c'est pas toi, c'est maman la reine des licornes, et que Tia et nous, on est des princesses, et que à cause de ça, ben on doit suivre une étiquette, et c'est dur des fois, mais faut le faire elle nous a dit mademoiselle Lavande.

Les choses commençaient à s'embrouiller dans l'esprit de l'Alma Mater. Tout se faire expliquer par une pouliche de sept ou huit ans, n'aidait pas à la clarification des faits.

_Et après, y a Discord qu'est venu et...

_Discord ? C'est quelqu'un de ta famille ?

Luna regarda à droite et à gauche, visiblement soucieuse que personne ne soit à proximité. Pour la forme, elle regarda aussi au dessus, et au dessous d'elle. D'un geste du sabot, elle fit signe à l'Alma Mater de se rapprocher.

_On te le dit seulement si tu jures de pas le répéter, murmura l'alicorne à l'oreille de l'Alma Mater.

_Je te le promets, assura la jument lie-de-vin.

Luna fit la moue.

_Dans le vent ça compte pas. Jure sur ça ! dit-elle en lui mettant une framboise du plateau repas dans le sabot.

_Tu veux que je jure...sur un fruit ? demanda l'Alma Mater, interloquée.

D'après le regard que lui jeta l'enfant, l'Alma Mater comprit que Luna prenait l'affaire très au sérieux.

_Je te promets de ne rien dire, jura l'alicorne.

_Mange la framboise, lui demanda Luna.

L'Alma Mater eut un haussement d'épaules de pensée, et engloutit le fruit. La petite alicorne violette parut se détendre.

_Bon, ok, on te le dit. Discord, c'est l'amoureux de Tia.

_Celui avec qui elle se mariait ?

_Non, non, répondit Luna en secouant la tête, son vrai amoureux ! Y se faisaient des bisous et tout.

La petite pouliche déglutit, comme si ce qu'elle s’apprêtait à révéler était particulièrement difficile à avouer.

_Et même des vrais de vrais, sur la bouche, des fois. T'imagines ? Embrasser un garçon ? Beurk !

Luna ferma les yeux, grimaça, et tira la langue pour souligner son dégoût. L'Alma Mater s'autorisa une prédiction comme quoi, dans une dizaine d'années, l'adolescente que serait Luna, ne trouverait plus ça si écœurant.

_Mais c'est un secret. Tu le répètes pas, hein ? Même Tia elle sait pas qu'on sait.

_J'ai juré non ?

_Ouais ben t'as mangé la framboise de la vérité. Alors, si tu as menti d'abord, ben y a un arbre y va te pousser dans le ventre, et après, tu seras toute malade. Et ça sera bien fait, parce que t'auras été une menteuse !

L'Alma Mater se demanda sérieusement si la petite alicorne croyait à son histoire de « framboise de la vérité ». Mais à en juger par l’assurance avec laquelle Luna venait d'asséner sa dernière phrase, c'était le cas.

_Et donc, qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? questionna l'alicorne à la crinière violette, soucieuse de comprendre un minimum.

_Bah on a pas tout compris. Discord, il a pointé sa patte sur un zèbre en habit rigolo, puis le zèbre, il est tombé tout endormi. Et après y a plein de choses qui se sont passées, mais maman elle nous a prise dans ses pattes, alors, on a pas vu. Et puis maman, elle nous a donné à Tia, elle nous a fait un bisou sur le front, et puis on est partie avec Tia.

L'Alma Mater hocha silencieusement la tête. Un premier schéma semblait prendre forme : pour une raison ou pour une autre, quelque chose semblait s'être passé à ce mariage, et la mère de Luna avait confié la petite alicorne à sa grande sœur.

Si on faisait le lien avec la dernière parcelle de magie des Elements qui avait été utilisée à peu près au même moment, ça pouvait se recouper. Ça pouvait aussi n'être qu'une coïncidence, mais l'Alma Mater croyait peu au hasard.

Luna, voyant son interlocutrice perdue dans ses pensées, décida qu'il était temps pour elle de reprendre son repas. Elle finit les flocons d'avoine, et se jeta goulûment sur les fruits. Elle mangea jusqu'à finir tout ce qui restait sur le plateau. Puis, elle releva un museau rougi de pulpe écrasée.

_Je...

Elle stoppa brusquement sa phrase, et plaqua ses sabots sur sa bouche. Elle ne les éloigna qu'au bout de quelques secondes.

_Nous. Quand est-ce qu'on pourra voir Tia ? Et papa ? Et maman ?

L'Alma Mater cligna plusieurs fois des yeux.

Est-ce que la petite alicorne venait de se reprendre juste après avoir employé la première personne du singulier ?

_Ta sœur dort encore. Et pour vos parents...je t'expliquerai un peu plus tard. Pour l'instant, tu peux considérer que tu es en vacances.

_En vacances ? répéta Luna.

Elle jeta brusquement ses pattes en l'air, en signe de victoire.

_Ouaaais, pas d'école !

Bon, au moins on peut pas dire qu'elle prend la vie du mauvais côté, se dit l'Alma Mater.

_Je te laisse Luna, dit l'alicorne en s'éloignant du lit. Pour l'instant, je te demanderais de ne pas quitter la chambre.

_Nous sommes punie ?

_Non. Bien sûr que non. C'est juste que c'est très grand ici, je ne voudrais pas que tu te perdes. Mais si tu as besoin de quelque chose, Japet est devant la porte.

La vraie raison était plus que l'Alma Mater refusait que quiconque ne se promène dans l'Elysium sans qu'elle ne sache tout sur cette personne. Et encore trop de flou entourait le récit de la petite Luna. Elle devait s'entretenir avec sa grande sœur, et recouper des informations.

L'Alma Mater resta silencieuse jusqu'à ce qu'elle ne passe la porte de cristal. Japet la regarda l'air visiblement soucieux de savoir ce que la petite alicorne avait révélé.

_Je te dirais tout ce que tu as besoin de savoir plus tard, l'assura t-elle. En attendant, j'aimerais que tu gardes un œil sur notre petite invitée. Si elle demande quelque chose, à manger, à lire, des jouets, tu lui fournis. Elle a juste interdiction de sortir.

_Compris, tante Alma.

L'Alma Mater savait que Japet brûlait de la bombarder de questions, mais que par respect pour elle, il ne le ferait pas. L'alicorne lui fit un signe engageant de la tête, et s'éloigna de lui.

Elle déploya ses ailes, et en quelques battements, atteignit les étages supérieurs.

Au début, ils avaient mis les deux sœurs ensemble, mais il était vite devenu clair, que la plus âgée, ne souffrait pas que de la fatigue. Ils l'avaient donc isolée, pour pouvoir la soigner directement, et plus prosaïquement, pour que ses cris n'empêchent pas le reste de l'aile résidentielle de dormir.

Erèbe ouvrit la porte à sa tante, et les deux alicornes pénètrent dans la pièce. A peine y avait-elle posé le sabot, que l'Alma Mater eut un mouvement instinctif de recul. La chambre sentait mauvais. Très mauvais. L'atmosphère était lourde, l'odeur de la transpiration emplissait toute la pièce. L'alicorne adolescente à la robe blanche qu'ils avaient recueillie sur une des terrasses de l'Elysium était allongée sur le flanc, en travers du lit, la crinière terne, et immobile. La sueur faisait reluire son pelage, et les gouttes de transpiration coulaient régulièrement jusque dans le lit, fonçant les draps.

La bouche de la malade – Tia, c'était bien comme ça que l'avait appelée sa sœur déjà ? -, était tordue dans un rictus de souffrance, laissant apparaître des dents crispées, qui laissaient échapper un filet de bave sur l'oreiller.

Erèbe s'approcha de l'alicorne, et dégagea doucement une mèche de son front collé de sueur. Sans même la toucher, l'Alma Mater devinait que Tia était brûlante.

_Elle va vraiment mal, annonça Erèbe, continuant sa caresse sur le front de l'adolescente. Au début, je pensais que c'était juste de la fatigue, mais y a quelque chose d'autre.

L'Alma Mater était d'accord. S'il n'était pas si rare que lors d'une arrivée à l'Elysium, le visiteur s'effondre de fatigue, surtout à cause de l'altitude incroyablement élevée de la Cité de Cristal, passer plus d'une semaine au lit, c'était rare. A la limite, dans le cas de Luna qui était une enfant, et qui avait moins de résistance qu'une alicorne adulte, ça pouvait se comprendre, mais pour sa grande sœur ?

_Tu sais tante Alma, annonça Erèbe, qui passait un linge humide sur le cou gluant de sueur de la malade, c'est pas la première fois que je vois ça. On a déjà eu des cas semblables. Juste après...

L'alicorne couleur menthe bleue prit une profonde inspiration pour finir sa phrase.

_Juste après les Événements.

Oui, maintenant qu'elle y repensait, l'Alma Mater était d'accord avec sa nièce. A la chute de Lucimare, des dizaines, et des dizaines d'alicornes survivantes s'étaient écroulées, fauchées par la fatigue, et le traumatisme. Certaines avaient pu sortir de cet état rapidement, d'autres moins. Et puis il y avait celles qui ne s'étaient jamais réveillées.

L'Alma Mater se rapprocha de la malade haletante.

_Qu'est-ce que tu as pu voir pour que ça te mette dans un état pareil, ma pauvre ? demanda t-elle à haute voix.

Bien évidemment, l'adolescente ne lui répondit pas. Mais l'expression de son visage, était des plus éloquentes.

Tia avait mal.

¤¤¤

Le Commandant Haboob laissa son regard balayer la carte d’État-Major que ses aides avaient déployée devant lui, et surtout, les feuillets posés sur celle-ci.

Ils n'étaient plus guère d'une dizaine sous le toit de nuage du quartier général pégase. Les capitaines des grandes compagnies, tous en armure de combat, avaient leur casque calé sous le bras, et attendaient les instructions de leur supérieur.

Haboob n'était pas idiot, il savait bien que la plupart des officiers présents dans cette salle ne l'aimaient pas. Ils avaient tous combattu aux côtés de Tramonstane, et rare était un pégase à ne pas lui devoir la vie. Soit parce que l'ancien Commandant les avait personnellement sauvés sur le champ de bataille, par la force de ses armes, ou plus indirectement, par une décision tactique prise au bon moment.

La personnalité du pégase, et son côté grande-gueule, n'avait fait que renforcer ce sentiment de profond respect, et même d'amour, de la part de la troupe. Haboob n'allait pas le nier, lui aussi avait toujours estimé Tramonstane.

Mais la roue du destin tournait. Tramonstane était mort pendant le putsch de la Veillée Chaleureuse, et il avait fallu qu'un nouvel étalon prenne la place de Commandant Suprême. C'était ainsi.

Haboob avait remporté l'épreuve du puits, et c'était lui désormais, qui portait les armes qui faisaient de lui un des trois premiers poneys de la nation. Quoique depuis deux semaines, il pouvait se dire premier poney tout court.

Personne ne savait bien ce qui c'était passé, mais le mariage de la princesse Celestia, fille du roi Hélios, avec le prince impérial des zèbres, avait tourné au massacre. L'abbaye des Trois Sabots, qui hébergeait la cérémonie, avait été aux trois quarts détruite, et les victimes se comptaient par brassées. Et surtout, le roi Hélios, et le Chancelier Strawberry, étaient du nombre.

Un mois et demi après la mort de Tramonstane, deux des membres de la Troïka qui l'avaient connu, disparaissaient à leur tour.

Le Conseil des Trois était un régime bâti sur la complémentarité. Trois races, trois titres, trois formes de gouvernement différents. En théorie, le trône des licornes devait revenir à la princesse Celestia, fille aînée d'Hélios. Mais l'adolescente avait disparu. Sa jeune sœur aussi.

La famille royale licorne décimée, il n'y avait par définition, plus personne, pour reprendre les rênes du pouvoir. Les barons se déchiraient depuis deux semaines, chacun remontant le plus haut possible dans son arbre généalogique pour promulguer son droit à la couronne. Mais aucun n'était légitime.

L'ironie de l'histoire voulait que la duchesse Ira, dernière héritière de la princesse Platinium, meure dans l'abbaye avec le roi Hélios, et les autres invités. La seule qui avait un droit solide sur le trône n'était plus là.

En un mot, à moins de remettre le sabot sur la princesse Celestia, ou Luna, la couronne était non seulement vacante, mais surtout, ne pouvait plus revenir à personne.

Du côté des poneys terrestres, ce n'était pas au mieux non plus. La seule démocratie d'Equestria avait fait la seule chose qu'elle pouvait faire suite à la mort de son Chancelier : en appeler à des élections anticipées. Haboob ne connaissait pas en détail la politique terrestre. Mais il en savait assez pour pouvoir dire qu'elle était lente à se mettre en marche. Le prochain Chancelier ne serait pas élu avant plusieurs mois, et tous les candidats étaient bien trop occupés à faire campagne, qu'à chercher à gouverner par intérim.

Le pégase à la couleur sable en arrivait donc à une seule conclusion, peu importait le nombre de fois où il retournait la question : il restait le seul dirigeant légitime d'Equestria. Et les nuages savaient que la nation avait besoin d'un chef : on avait signalé une créature monstrueuse, patchwork de poneys et d'animaux, qui se serait réfugiée dans la forêt Evercon, non sans avoir ravagé le territoire sur son passage. Ajoutez à cela la crise diplomatique zèbre, causée par la mort du Négus, et de son fils, sur le territoire équestrien, et l'avenir de la nation était plus que jamais dans la balance.

C'était son devoir de Commandant de réagir.

Après un dernier regard sur les feuillets, Haboob les parapha avant de les tendre à un de ses aides.

_Messieurs, déclara t-il, à compter de maintenant, la loi martiale est déclarée en Equestria. A ce titre, nous disposons des pleins pouvoirs, jusqu'à la fin de crise. Les élections terrestres sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, et l'Armée déclare caduc le titre de roi des licornes.

Certains pégases hochèrent la tête pour montrer qu'ils avaient compris, d'autres se tinrent silencieux.

_A compter d'aujourd'hui, l'Armée est la seule autorité reconnue en Equestria. Les forces de défense non pégases sont dissoutes.

_Mon Commandant ? hasarda un des officiers. Qu'est-ce qu'on fait avec les zèbres ?

_Vous me renvoyez les rayés chez eux. Blindez la frontière sud des fois qu'ils décident de devenir un peu agressifs.

Haboob sécurisait le sud de la nation pour la forme. Il n'imaginait pas l'Empire zèbre, sûrement aussi déstabilisé qu'eux, se lancer dans une guerre. Mais Haboob était un pégase. La guerre lui avait enseigné la prudence.

_Qu'il soit bien clair que toute provocation, ou insubordination de la part des civils, devra être réprimée, poursuivit le Commandant Suprême.

_Si je comprends bien monsieur, nous devenons une dictature militaire ? questionna un autre pégase.

Haboob se leva.

_Nous devenons surtout le seul rempart entre Equestria, et le gouffre. Il arrive que dans l'histoire d'une nation, une crise exceptionnelle survienne, et demande des réactions exceptionnelles. Et bien messieurs, cette crise, nous y sommes.

Il se racla la gorge.

_Le peuple va nous traiter de salopards. Qu'il crie. S'il est trop bête pour comprendre que nous devons parfois suspendre sa liberté pour le défendre, peut-être qu'il ne la mérite pas. Rompez messieurs. Nous avons une nation à défendre.

Les officiers saluèrent, et quittèrent la pièce. Resté seul avec ses aides, le militaire se rassit, prit une plume, et de l'encre.

Puis, Haboob, Commandant Suprême des pégases, et chef de la toute nouvelle Junte Militaire de Salut Public se mit à rédiger les noms d'opposants à faire arrêter immédiatement.

La sauvegarde d'Equestria ne pouvait pas perdre de temps.

¤¤¤

Roulé en boule au fond de sa grotte, tenant sa tête entre ses mains, Discord gémissait. Il avait mal. Et ça durait depuis deux semaines.

Depuis quinze jours, les événements de la St Galopin passaient, et repassaient en boucle dans sa tête. Il ne pouvait s'empêcher d'y songer en permanence. Même quand il arrivait à trouver un peu de sommeil, il cauchemardait. Enfin, pouvait-on qualifier des souvenirs de cauchemars ?

Il revoyait l'abbaye partir en miettes, il revoyait Ira lui donner des ordres auxquels il ne pouvait qu'obéir, il revoyait le roi Hélios, et la reine Aztarté mourir de sa patte. Il revoyait Celestia pleurer en lui crachant sa haine au visage.

Discord avait pensé que soutenir le coup d’État d'Ira serait mieux pour tout le monde, mais le draconequus avait eu faux sur toute la ligne. Il ne s'était jamais aussi lourdement trompé.

Il s'en voulait d'avoir écouté la duchesse, d'avoir collaboré avec la licorne, de s'être transformé en pantin à cause d'elle.

Il s'en voulait de ne pas avoir pensé à la neutraliser en scellant ses lèvres avant. S'il y avait songé à temps...les choses auraient été différentes.

Peut-être que...peut-être que s'il avait fait ça, il aurait pu sauver des gens. Peut-être qu'il aurait pu protéger Hélios, au lieu d'Ira. Peut-être que Celestia ne le détesterait pas en ce moment.

Il l'avait vu dans les yeux de l'adolescente. Ces yeux magenta qui l'avaient envoûté. Ces yeux dans lesquels il s'était noyé, ces yeux qui l'avaient baigné d'amour. Il avait vu la flamme glacée de la haine se fixer dans les pupilles de celle qu'il aimait.

Le pire n'était peut-être même pas de savoir que Celestia brûlait de colère, et de rage. Mais de savoir que c'était lui, Discord, l'objet et la cause de cette haine. Plus il y repensait, moins il comprenait. Comment tout avait pu mal tourner à ce point ? Comment est-ce-qu'il avait pu tout perdre en quelques minutes ? Pas seulement l'amour de Celestia, même si c'était clairement la blessure la plus profonde, mais aussi l'estime que lui portait le roi Hélios, la confiance qu'avait fini par lui accorder la reine Aztarté.

Quand la mère de Celestia lui avait parlé des draconequus, Discord avait été horrifié. Il s'était répété qu'il n'avait rien à voir avec eux, qu'il ne sombrerait jamais dans l'horreur décrite par la reine. Il se l'était martelé jusqu'à ce que cela devienne une vérité. Mais maintenant, il avait l'impression que la vérité venait de le gifler. Il pouvait bien se persuader qu'Ira était la vraie responsable ou pas, au final, il arrivait à une seule et unique conclusion. Celle qui disait que les draconequus étaient nés pour le mal.

Cela, il l'avait toujours su. Il avait toujours eu ces pulsions de destruction, d'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir. Mais quand le père de Celestia lui avait sauvé la vie, quand il lui avait offert une chance de vivre au grand jour...il avait combattu ses instincts. Pour Celestia avant tout, pour sa famille aussi. Parce qu'il se disait que faire du mal à ceux qui l'avaient aidé, ce n'était pas juste.

Hélios lui avait tendu le sabot. Et Discord l'avait trahi.

Dans les minutes qui avaient suivi les événements du mariage, Discord avait désespérément essayé de réparer ses erreurs. Il s'était dit qu'après tout, il était un esprit du chaos, qu'il pouvait modeler la réalité comme il l'entendait. Alors peut-être pouvait-il, d'une manière ou d'une autre, faire en sorte de corriger ses fautes. Mais il avait eu beau essayer, et essayer, modifier la réalité aussi fort qu'il le put, il n'avait pas pu ramener Hélios, et Aztarté à la vie.

A croire qu'un draconequus avait tout pouvoir, sauf celui de vaincre la mort.

Discord avait fini par baisser les bras, et décidé de trouver refuge dans sa grotte, là où il avait grandi et vécu pendant des années, avant que Celestia ne le sorte de là. Le draconequus s'était coupé du monde, en se disant que peut-être, avec le temps, la douleur passerait. Mais il s'était vite détrompé. Au contraire, claquemuré dans sa caverne, l'esprit du chaos n'avait pas eu d'autre occupation que de repenser à son erreur, et à s'en vouloir.

Le troisième jour, la douleur avait été telle qu'il avait essayé de mettre fin à ses souffrances, en se fracassant le crâne contre une des parois de la grotte. Mais il avait beau frapper aussi fort qu'il le pouvait, à s'en ouvrir le crâne, il restait toujours en vie. Et toujours aussi mal.

Discord éloigna ses mains de son visage, et se releva lentement. Il devait encore avoir un moyen de s'en sortir. Il n'avait pas pu tout gâcher comme ça.

Le draconequus repensa à la duchesse Ira. Il regrettait presque de l'avoir tuée. Elle n'avait eu le temps de souffrir qu'une fois, alors que sa propre corne lui broyait le cerveau, et même si son agonie avait été délicieuse à regarder, elle n'avait pas ramené le roi Hélios, et la reine Aztarté. Mais songer à la licorne, remémora quelque chose à Discord. Dans le fiacre, juste avant le mariage. Elle avait dit qu'elle avait mérité son pouvoir de contrôle. Ce qui indiquait clairement qu'elle l'avait obtenu, d'une façon ou d'une autre. Cela voulait dire qu'il y avait peut-être une chance pour qu'elle ait chez elle, un livre qui traitait des draconequus, ou quelque chose du genre.

Et si un sort de contrôle des esprits du chaos existait, pourquoi ne pas imaginer qu'un certain charme permettait de changer encore plus en profondeur la réalité ? Ou de maîtriser le cours du temps ? Discord pourrait revenir en arrière, s'empêcher de passer son accord avec la duchesse, sauver la vie des parents de Celestia !

Le draconequus se releva, le regard un peu hagard, un sourire d'espoir relevant les commissures de ses lèvres. Il avait une chance ! Il avait une chance !

Sans perdre une seconde, Discord se changea en pégase, et s'échappa de sa grotte.

¤¤¤

Maniant le plumeau avec application, Alfred déplaça un pan de rideaux pour mieux épousseter. Renvoyant le velours bordeaux sur la gauche, le majordome dévoila les fenêtres à croisillons, et ne put s'empêcher de regarder au travers. Dans les rues de Canterlot, en contrebas, une demi dizaine de pégases, lance au sabot, patrouillait d'un air martial. Ce qui était plutôt à propos pour des soldats, en fait, songea le domestique.

Ces patrouilles se faisaient de plus en plus nombreuses depuis peu de temps. Depuis que la loi martiale avait été déclarée en fin de compte, et que les pégases tenaient le haut du pavé en Equestria. Canterlot s'était pourtant réveillée ce matin là plutôt en forme, comme n'importe quel autre jour. Bien sûr, le terrible accident des noces de la princesse Celestia, où à peu près tout ce que la nation comptait de dirigeants, avaient trouvé la mort, restait dans toutes les têtes, mais la ville ne s'était pas inquiétée plus que ça. Peut-être parce que le dernier événement tragique ne datait que d'un mois et demi, peut-être parce que la cité s'était dit qu'en fin de compte, les accidents, ça arrivait. Mais personne ne s'était attendu à ce que le Commandant Haboob se saisisse du pouvoir.

Sur un plan technique d'ailleurs, avait remarqué Alfred, on ne pouvait pas vraiment dire qu'il s'était emparé du pouvoir pour la simple et bonne raison qu'il l'avait déjà, en temps que membre de la Troïka. Mais c'était vrai, Equestria était en situation de crise : la famille royale balayée, le Chancelier Strawberry tué, lui aussi. Tout Equestria avait compris que quelque chose s'était mal passé, quand le soir de la St Galopin, le soleil ne s'était pas couché. Il était resté en l'air, haut dans le ciel, à briller, et la lune ne s'était pas plus levée. Oublier de coucher le soleil, et de dresser la lune, ça arrivait parfois, même aux meilleurs monarques, mais tout de même, le roi Hélios, et sa femme géraient bien les astres depuis leur sacre. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ? Ce n'était qu'après, qu'on avait fait le lien avec l'abbaye saccagée des Trois Sabots, et tous les morts qu'on y avait trouvé. Equestria avait été choquée par toutes ces illustres morts, sans bien comprendre les circonstances exactes du drame.

Alfred lui, savait. Ou du moins un peu. D'abord parce qu'il avait été sur les lieux, en conduisant mademoiselle, et ce Discord, à l'abbaye. Il avait confiance en sa maîtresse, et il savait que mademoiselle ne serait pas longue à revenir, devenue officiellement reine des licornes, ce qui le propulserait lui, ipso facto, premier majordome du royaume. Mais il s'était attendu à tout sauf à la terrible explosion magique qui avait dévasté le bâtiment, à ces éclairs terrifiants qui transformaient les choses en d'autres, et qui brisaient tout : s'il n'avait pas déplacé immédiatement le fiacre, Alfred était sûr qu'une des pierres de l'abbaye l'aurait broyé.

Il était ensuite resté de longues minutes, à attendre mademoiselle, qui ne revenait toujours pas. Alors il avait fini par prendre son courage à deux pattes, et s'était aventuré prudemment, très prudemment, par un pan de l'abbaye éventrée. Et ce qu'il avait vu...par le Tartare !

Alfred était au service de la duchesse Ira depuis toujours. Et depuis que mademoiselle était devenue adulte, il avait dû s’acquitter d'un certain nombre de tâches, qui ne correspondaient pas forcément à ce qu'on avait à l'esprit quand on évoquait le métier de majordome. Ce n'était pas que gérer les autres domestiques, faire le ménage, ou la cuisine pour mademoiselle. C'était aussi l'aider dans son objectif de récupération du trône licorne. Alfred savait qu'en tant que poney terrestre, il ne collait pas au tableau racial parfait de sa maîtresse. Mais il s'était toujours efforcé de se rendre indispensable à mademoiselle, au point que cette dernière avait fini par lui accorder une confiance pleine et entière. N'était-ce pas lui qui s'était occupé du corps de monsieur le marquis Nobilitas ? Pour la maison qu'il servait, Alfred avait dû plonger les sabots dans la fange, mettre mademoiselle en contact avec des gens peu recommandables, protéger l'honneur de sa maîtresse, quand on colportait des rumeurs sur elle. Alfred avait fini par se dire que rien ne le surprendrait jamais. Il avait tort.

Quand il était entré dans la petite cour intérieure de l'abbaye...le domestique en frissonnait encore. Un paysage de cauchemar, défiguré, incohérent. Des prêtres de l'Ordre des Trois Sabots, tout gris, qui se comportaient de façon étrange. Un semis de cadavres : le majordome avait reconnu la reine Aztarté, au corps lacéré, le Chancelier Strawberry, à la trachée écrasée, le roi Hélios, qui ne ressemblait plus à rien de poney.

Et puis bien sûr, mademoiselle.

Alfred ne l'avait pas vue tout de suite, la robe gris perle de la jument, se fondant contre un bloc de pierre, auprès duquel elle était allongée. Le domestique s'était approché d'elle, persuadé qu'elle n'était que blessée. C'était la duchesse Ira, l'héritière d'une noble lignée, elle ne pouvait pas mourir ! Mais Alfred s'était hélas vite détrompé : le visage de mademoiselle, n'était plus qu'une infâme bouillie de sang, et d'os, comme si son crâne avait été enfoncé par quelque chose. La bouche de la licorne, tordue dans un rictus de souffrance atroce, traduisait sans mal la peine qu'elle avait du ressentir.

Devant le cadavre, Alfred s'était senti extrêmement bête.

Il s'attendait presque à ce que mademoiselle se relève, et parte dans une de ses diatribes bien à elle contre...contre les terrestres, les pégases, contre n'importe quoi qui prouverait qu'elle était là, bien en forme, comme toujours.

C'était peut-être plus le fait de s'en rendre compte que la duchesse ne crierait plus jamais contre quoi que ce soit, que sa mort au sens propre qui avait choqué le majordome.

Le silence ne seyait pas à mademoiselle.

Alfred avait alors pris les choses en sabot, en récupérant le corps de mademoiselle, en le transportant jusque dans le fiacre, et en filant à l'hôtel particulier, avant qu'on vienne fouiner dans les ruines de l'abbaye. A ce moment là, l'avenir d'Equestria lui importait bien moins que de sauvegarder ce qu'il restait de mademoiselle. Il avait traversé Canterlot à bride abattue, et ne s'était arrêté qu'à l'abri de la cour intérieure de l'hôtel particulier.

Ensuite, il avait pris mademoiselle, et l'avait rapidement inhumée, dans le petit cimetière privé de la famille, juste derrière le bâtiment. Pas de cérémonie, ou de grands discours.

Alfred avait enterré mademoiselle auprès de ses ancêtres, à la fois vite et bien. Il n'avait pas pu s'ôter de la tête, que la vraie place de la duchesse, aurait été dans la crypte des rois, là où Platinium elle-même reposait. Mais Alfred savait surtout que mademoiselle était quelque part responsable des événements qui avaient dévasté l'abbaye, et causé tant de morts. Il se devait de sauvegarder sa mémoire, à tout prix.

Puis, la vie avait repris son cours, en Equestria. Si on mettait de côté le fait que la nation était désormais aux sabots des pégases, tout était plutôt normal. Alfred continuait de tenir l'hôtel particulier, même si mademoiselle n'était plus là. Après tout, d'une, il avait toujours été le majordome des lieux, avant même la naissance de mademoiselle, et ses parents avant lui. Il était attaché à cette maison. Elle faisait partie de lui, il ne pouvait pas la quitter. Et de deux, d'un point de vue plus prosaïque, si les soldats avaient maintenant le pouvoir en Equestria, il y avait des chances pour qu'un officier de la Junte vienne s'installer à Canterlot. Ils ne pouvaient quand même pas tout contrôler depuis Stormpit. Et dans ce cas, quoi de mieux pour le militaire pégase, que le confort de l'hôtel particulier ? Alfred n'avait pas l'impression de trahir les idéaux de mademoiselle, en tenant prêt le bâtiment pour un occupant non licorne. Il était persuadé qu'elle aurait accepté que ses murs abritent un dirigeant équestrien. Le seul détail, c'était que ce chef serait pégase désormais, mais enfin, Alfred savait s'adapter aux petites contrariétés de la vie. C'était avant tout ça, la première qualité d'un domestique de maison : la flexibilité.

On sonna à la porte. Le carillon résonna jusqu'au premier étage, où Alfred nettoyait les rideaux. Il laissa le velours bordeaux reprendre sa position initiale, sauta au bas de son escabeau, et se mit en marche. Il descendit l'escalier, arriva dans le hall, s'approcha de la porte, et jeta un rapide coup d’œil par le judas. L'ouverture ne permettait pas de bien voir, mais il distingua tout de même un pégase brun, qui se tenait sur le seuil. Alfred prit cela comme un bon présage.

Peut-être l'aide de camp d'un officier de la Junte, qui venait prendre possession des lieux pour son supérieur ?

Alfred lui ouvrit la porte.

_Bonjour, déclara t-il souriant au poney volant, puis-je vous aider ?

Avant que le majordome n'ait eu le temps de faire un geste, le pégase s'était jeté sur lui, le poussant en arrière, et lui faisant perdre l'équilibre. Alors que le mécanisme de la porte, la faisait se refermer seule, Alfred se rendit compte que le pégase le maintenait plaqué au sol, pattes avant sur les épaules, et un de ses sabots posé sur son ventre. Maintenant qu'il se trouvait museau à museau avec lui, le domestique reconnut le pégase qu'il avait conduit à l'abbaye avec mademoiselle. Alfred avait supposé qu'il avait été du nombre des victimes de l'incident. Et bien il semblerait qu'il se soit trompé.

_Je répète ma question, monsieur, en quoi puis-je vous aider ?

Le calme d'Alfred n'était pas de façade. Enfin, pas que. Une vie entière au service de la duchesse l'avait accoutumé à des comportements violents, et l'expérience lui avait enseigné de toujours garder son sang-froid. Même si c'était plus facile à dire qu'à faire quand deux yeux jaunes et rouges vous foudroyaient de colère.

_Tu vas me dire tout ce que ta maîtresse savait sur les draconequus, gronda le pégase. Et maintenant !

_Vous m'en voyez désolé monsieur, mais je ne suis pas autorisé, à...

Alfred fut coupé par le violent coup de sabot que le pégase lui donna dans le ventre. La patte écrasa son estomac, lui donnant brusquement l'impression que tout l'air qu'il avait dans le corps venait d'être expiré en un instant.

_Maintenant, répéta le pégase, sur un ton plus sec.

Alfred toussa. Il savait qu'il aurait dû insister auprès de mademoiselle, pour qu'elle engage un garde pour la maison !

_Alors ? demanda le poney brun.

_Je ne sais rien là dessus ! répondit Alfred. Mademoiselle ne me parlait pas de...

_Tu étais son domestique, tu la conduisais, c'est à moi que tu as remis la lettre au chantier, alors ne me fais pas croire que tu ne savais rien d'elle !

_C'est la vérité monsieur !

En fait, non, ce n'était pas la vérité. Mais il refusait de compromettre mademoiselle, en livrant ses secrets, surtout sous la menace.

Le pégase le regarda, et souffla par les naseaux. Puis, il se transforma. Sous les yeux ébahis du majordome, le corps de son agresseur, changea, se déforma, s'allongea. En quelques secondes, ce n'était plus un poney volant qui tenait en respect le domestique, mais une créature hétéroclite, dans laquelle Alfred reconnaissait pèle mêle, le serpent, le bouc, ou encore le cerf. L'assaillant avait incommensurablement grandi. Et ce n'était plus des sabots qui plaquaient les épaules du terrestre au sol, mais une patte de lion, et une serre de rapace.

_Je vais répéter ma question, une dernière fois, annonça le monstre. Ta maîtresse savait des choses sur les draconequus. Sur comment les contrôler. Où a t-elle appris ça ?

Le flegme d'Alfred diminuait au fur et à mesure que la créature basculait lentement les pattes en avant, enfonçant ses griffes dans les épaules du poney. Le domestique cria de douleur alors que ces dernières déchiraient sa livrée, et sa chair.

_Je ne répondrais pas ! finit-il par articuler.

La créature le regarda avec un air de surprise.

_Et pourquoi ça ?

_Parce que...je suis le majordome de mademoiselle la duchesse. Je garde sa demeure, je garde son nom. Et parce que les secrets de mademoiselle ne vous concernent pas !

_Mauvaise réponse, annonça le monstre en enfonçant ses griffes encore plus profondément.

Alfred ferma les yeux, et serra les dents, essayant d'ôter de son esprit que la créature l'écrasait de son corps serpentin, qu'elle avait des pattes, avec des griffes de lion, des griffes qui plongeaient dans ses épaules, qui perçaient la chair, qui raclaient les tendons, qui tailladaient les muscles, qui...

_Arrêtez ! retentit une voix féminine.

Les griffes s'immobilisèrent. Alfred rouvrit les yeux, pour voir l'image inversée de Marie, la ponette de chambre, le corps entouré de pansements, qui descendait lentement l'escalier. Juste après avoir enterré la duchesse, Alfred avait trouvé la malheureuse Marie à l'étage, couverture de brûlures, qui rampait pathétiquement sur le sol, s'éloignant le plus qu'elle le pouvait de la salle de bain. Alfred l'avait soignée avec les moyens du bord, soit raser la robe, beaucoup de pommade, et des pansements. La terrestre ressemblait désormais plus à une momie de la Nuit des Cauchemars qu'à autre chose maintenant, mais Alfred ne désespérait pas qu'elle aille mieux au fil du temps.

_La duchesse parlait souvent des draconequus ces derniers mois, poursuivit la ponette, clopinant jusqu'au monstre. Elle avait engagé beaucoup de recherches pour trouver tout ce qu'elle pouvait sur ...sur vous.

_Marie tais-toi ! lui ordonna Alfred.

_Il y a environ un mois et demi, une bonne semaine avant la Veillée Chaleureuse, elle a monté une expédition pour le sud. Vers Agrabay.

_Agrabay ? répéta le monstre sur un ton intrigué.

_Le désert des chameaux, poursuivit la blessée. Elle ne nous a pas dit tout à fait ce qu'elle allait y trouver, mais elle a failli y rester.

Puis, elle ajouta à mi-voix.

_Elle aurait probablement dû.

_Marie ! s'exclama le majordome d'un ton outré. Comment est-ce que tu peux parler de mademoiselle comme ça ?

_Oh, je n'en sais rien Alfred, peut-être parce que CETTE DINGUE M'A BALANCEE DANS DE L'EAU BRULANTE PARCE QUE J'AVAIS CASSE UN FLACON DE PARFUM !

La violence du ton, et son volume, entre cri de rage, et cri de douleur, fit même esquisser un mouvement de déplaisir au monstre.

_Et elle a même rajouté de l'eau chaude. Juste parce que...parce que c'était son truc, sanglota la ponette de chambre.

Alfred aurait bien objecté que les punitions de mademoiselle sur le petit personnel ne s'abattaient jamais sans raison, mais son instinct de survie lui conseillait de se taire. Prendre la défense de la duchesse, face à une créature qui semblait lui en vouloir, surtout quand on avait encore des griffes, et des serres fichées dans les épaules, ça ne lui semblait pas la meilleure idée du monde.

_Est-ce que vous savez exactement où est-ce qu'elle est partie ?

_Je ne connais pas l'endroit exact, répondit Marie en secouant la tête. Mais elle est revenue avec un des chameaux de l'expédition, qu'elle a gardé comme domestique. Il doit connaître la route lui.

_Vous pourriez aller me le chercher ?

_Marie, tu ne peux quand même pas collaborer avec ce monstre !

_Je me fiche que ce soit un monstre, répondit la brûlée, avant de grimper à nouveau l'escalier, et de s'engager dans l'aile des domestiques. Du moment que ça peut encore faire du mal à cette garce...

Alfred soupira tristement.

_On dirait que ta maîtresse n'était pas des plus populaires, non ? gloussa la créature.

_Détrompez-vous, mademoiselle était...aaaaaaahh !

Le monstre venait de renfoncer ses griffes de quelques millimètres dans les épaules du majordome.

_C'était une question de rhétorique, souligna l'immondice.

Ah oui, bien sûr. Répondre n'avait pas été la chose la plus maligne à faire en fin de compte.

Un long, et inconfortable moment passa. Alfred découvrit à cette occasion, qu'avoir quelque chose de planté dans les muscles, rendait l'attente encore plus longue et inconfortable.

Le laps de temps prit fin quand Marie revint dans le hall, accompagnée du guide chameau qu'elle avait mentionné un peu plus tôt.

_Voici Kamel, déclara t-elle en présentant le domestique, au monstre. C'est lui qui a ramené la duchesse du désert.

_Je retourne pas là bas moi ! blatéra le chameau d'un air horrifié. Et puis vous êtes quoi vous ?

_Je suis un draconequus, répondit simplement le monstre. Et j'ai besoin de votre aide. Vous allez me guider jusqu'à l'endroit où vous avez emmené Ira, il y a un mois et demi de ça. Quand nous serons là bas, je vous récompenserais, et vous serez libre d'aller où bon vous semble.

_Vous êtes un djinn. On passe un marché avec vous, après, vous prenez les âmes ! Je signerais pas de contrat !

_Ma proposition, déclara la créature en se relevant, et en arrachant brusquement ses griffes du majordome, n'est pas déclinable.

Toujours allongé sur le dos, suant à grosses goûtes, Alfred vit l'immondice claquer des doigts, et subitement, plusieurs fauteuils du hall, se mirent à s'envoler, et à tournoyer de façon menaçante autour du chameau.

_Je vous fais une offre que vous ne pouvez pas refuser, Kamel. A moins que vous ne préfériez mourir.

Un des fauteuils frôla une des oreilles du domestique, qui poussa un cri de peur.

_D'accord, d'accord, finit-il par crier, je vous montrerais le chemin de la madina si c'est ce que vous voulez, mais arrêtez ça !

_Ravi que nous ayons un accord, déclara le draconequus en claquant une seconde fois des doigts.

Les fauteuils stoppèrent leur mouvement, et reprirent leur place dans le hall.

_Nous partons tout de suite, annonça le monstre au chameau.

_Mais je dois prendre des affaires ! Le désert...

_Vous ne manquerez de rien avec moi, lui assura la créature, du moment que vous me conduisez là où je veux aller.

Kamel baissa le museau.

_D'accord, finit-il par dire.

Le draconequus resta silencieux un moment, puis s'adressa à Marie.

_Merci de votre aide, dit-il à la ponette de chambre. Je suis désolé pour ce qu'Ira vous a fait. Je n'ai pas le pouvoir de soigner vos brûlures mais...

Il ferma les yeux, et un minuscule éclair frappa la terrestre. Elle poussa deux cris. Un de frayeur, tout d'abord, vite suivi par un d'étonnement. Puis, un troisième de joie.

_Je n'ai plus mal...murmura t-elle, ébahie.

_Vos brûlures n'ont pas disparu, souligna Discord, mais j'ai affaibli vos nerfs. La douleur est encore là, mais à un niveau très bas. Vous ne devriez plus la sentir.

La ponette arracha un de ses pansements, et toucha sa peau nue, encore couverte d'une grande plaque rouge, pour vérifier que le miracle marchait bel et bien.

_Je n'ai plus mal...je n'ai plus mal ! rugit-elle de joie.

Pour la première fois depuis qu'il était entré dans l'hôtel particulier, le draconequus eut un ombre de sourire. Il se retourna, enjamba Alfred, toujours immobile sur le sol, et se dirigea à petits pas vers la porte, suivi par Kamel.

_Et moi ? demanda le majordome.

_Quoi toi ?

_J'ai mal...gémit-il.

Le draconequus s'immobilisa brusquement, les yeux dans le vide, ses lèvres formant un prénom que le domestique ne put saisir, mais qui débutait par un c.

_Tu n'es pas le seul, lança soudainement le monstre.

Puis, il reprit son apparence de pégase, et quitta l'hôtel particulier, Kamel sur les talons. Il avait une cité vide à visiter.

¤¤¤

A bien des kilomètres de là, si Celestia, ancienne princesse des licornes était physiquement immobile, la confusion qui régnait dans son esprit, elle, était loin d'être inerte. L'adolescente avait l'impression de cauchemarder depuis des jours, ce qui était en définitive le cas, comme si elle n'existait plus que pour ressentir la peur, la douleur, et la souffrance.

Les rêves avaient commencé à peine était-elle arrivé à l'Elysium. D'abord, les événements du mariage, encore, et encore, en boucle, qui s'enchaînaient, qui se répétaient. Son père, sous tous les angles, qui voyait des vignes vierges lui pousser sur le corps, et de la sève couler de sa bouche. Sa mère qui se sacrifiait pour ses filles, en se dressant face à l'horreur indescriptible qu'était devenu Discord. Et le plus curieux, c'était que même si Celestia n'avait pas réellement vu la mort de sa mère, dans ses cauchemars, elle était aux premières loges. A chaque fois quelque chose de différent : une fois, Discord jetait un bloc de pierre sur la reine, qui broyait les os de l'alicorne, une autre, l'esprit du chaos plongeait ses griffes dans le cou d'Aztarté. Et ça continuait, encore, et encore .

Le pire, c'était que quelquefois, la scène changeait. En pire. Quelquefois, Luna aussi tombait sous les assauts du draconequus. Discord la saisissait par une patte, et la fracassait contre un des murs de l'abbaye. Dans ces rêves, Celestia avait beau tout faire pour empêcher Discord de faire du mal aux siens, c'était peine perdue. Il se servait de ses pouvoirs pour lui complexifier la tâche : il allongeait les distances, lui jetait des projectiles, invoquait des ombres pour la ralentir. Et Celestia avait beau essayer encore, et encore, toutes ses tentatives se soldaient par un échec. A chaque fois, elle revoyait sa famille mourir.

Mais ce n'était pas le pire.

Le pire, c'était quand ils n'étaient plus que deux, elle, et lui, Celestia, et Discord, les deux adolescents au milieu d'un paysage de carnage. Alors, le draconequus s'avançait lentement jusqu'à la jument, la prenait brusquement dans ses bras, la collait contre son poitrail, et l'embrassait. Mais pas comme il avait l'habitude de le faire. Pas comme le vrai Discord le ferait.

Il franchissait de force la barrière des lèvres de Celestia, et sa langue serpentine s'introduisait violemment dans la bouche de l'adolescente...sa langue, qui donnait l'impression de la fouiller de l'intérieur, de se plaquer contre ses papilles, sa salive, âcre et acide, qui coulait le long de sa gorge.

Et ce qui se passait après...par sa crinière. Celestia avait beau savoir que ce n'était qu'un rêve, que ce n'était pas réel, elle en avait la nausée.

Son ventre se tordait, ses entrailles se retournaient. Elle se sentait souillée. Sale. Comme si l'impureté ne partirait jamais. C'était impossible à décrire avec précision, parce que Celestia ne souhaitait pas le faire. Le décrire, c'était y repenser. C'était revivre la scène.

Et la scène ne semblait pas avoir de fin. Il y avait des variantes quelques fois, mais dans sa globalité, les choses restaient les mêmes. Elle voyait sa famille se faire décimer, et ensuite, elle était violée. Celestia ne comprenait pas pourquoi est-ce qu'elle visualisait cela.

Ça n'avait pas de sens. Discord ne l'avait jamais forcée, jamais prise contre son gré.

Mais pour une raison ou pour une autre, le Discord de ses cauchemars était bien devenu ce genre de monstre. Celestia se répétait que ce n'était qu'un rêve, que Discord ne lui avait jamais fait cet outrage, mais les cauchemars successifs finissaient par la faire douter. Elle mélangeait rêve, et réalité, vérité, et mensonge.

Et même si une petite voix dans son cerveau lui chuchotait que Discord ne l'avait jamais violée, une bien plus forte, et plus autoritaire, répondait qu'il avait bel et bien tué son père. Et à cela, la petite voix n'ajoutait rien. Elle se taisait, presque honteuse devant le fait accompli.

Celestia ne dormait pas en permanence, mais c'était tout comme. Il lui arrivait d'ouvrir un œil, de repérer les lieux à la va-vite, avant de s'effondrer dans la seconde d'après, fauchée de fatigue.

C'était un cercle vicieux : elle était épuisée, et elle avait besoin de sommeil. Mais son repos était troublé par ses horribles cauchemars. Fatalement, elle ne pouvait pas dormir pour de bon, et la fatigue s'accumulait encore. Il n'y avait que quand elle était trop exténuée pour rêver, que son cerveau la laissait en paix. Mais même dans ces moments là, elle avait l'impression que les cauchemars étaient là, tapis dans les recoins de son âme, n'attendant qu'un court instant pour bondir, et la hanter à nouveau.

Quand elle était plus jeune, il lui était arrivé de faire des cauchemars. Rien d'une telle ampleur, bien sûr, mais enfin, des mauvais rêves tout de même. A cette époque là, elle allait se réfugier dans le lit de ses parents, et ne pouvait s'endormir qu'allongée entre eux deux. Quand elle avait commencé à se rendre compte qu'elle revivait la scène du mariage, le premier réflexe de Celestia, avait été de penser à ses parents. Avant de se souvenir que la scène qu'elle avait sous les yeux, si c'était bel et bien un rêve, c'était avant tout un souvenir.

Celestia releva le museau. Le Discord du rêve venait d'égorger Aztarté de sa griffe de lion. La tête de la mère de Celestia pendait misérablement, avachie sur elle-même, du sang vermeil gouttant abondamment de la blessure causée par le draconequus. Discord lâcha la reine des licornes qui s'écrasa au sol comme l'aurait fait Monsieur Sîn, le doudou de Luna, de façon complètement désarticulée.

Le Discord du rêve regarda Celestia et sourit. L'adolescente sentit une peur, glacer jusqu'au bout de ses ailes. Discord se rapprocha encore, et comme à l'accoutumée, il embrassa Celestia de force. Comme à l'accoutumée, Celestia eut la nausée d'horreur. Mais quelque chose changea cette fois. Pour la première fois en deux semaines.

La rage vint au chevet de Celestia. La colère devint son amie. La haine, nette, et bien définie, pure et limpide, pas comme un bouillonnement complexe de rouge, mais comme une virginale lumière blanche. Une lumière qui s'infiltrait dans ses os, qui l’inondait de l'intérieur, qui prenait avec elle, toute la saleté du rêve.

Elle lui dit quoi faire, la soutint, comme l'aurait fait une mère, qui consolerait son enfant. Alors Celestia écouta la mère colère. Et Celestia obéit.

D'un coup de mâchoire, elle referma sèchement les dents sur la langue du Discord du rêve, toujours dans sa bouche. Elle rencontra une faible résistance. Elle bougea les dents, déchira, arracha. Quelques secondes plus tard, elle avait sectionné la langue serpentine du Discord du rêve. Elle le repoussa d'un coup sur le poitrail, et recracha la langue sur le sol. L'organe, couvert de salive, s'écrasa sur l'herbe avec un bruit mou. Le draconequus avait sa patte plaquée contre ses lèvres, cherchant à endiguer un flot de sang. Voir Discord avoir mal, même si ce n'était qu'un Discord imaginaire, fit du bien à Celestia.

Elle se sentit heureuse.

La mère colère parla une nouvelle fois. Et Celestia répondit à son appel.

Elle se jeta sur le draconequus, corne en avant. L'appendice pénétra profondément dans le corps longiligne de l'esprit du chaos, et Celestia ne s'arrêta que lorsque la base de celui-ci, buta contre la fourrure brune. Puis, elle releva brusquement la tête. La corne suivit le mouvement, et ouvrit Discord de bas en haut. Celestia fit quelques pas en arrière, satisfaite d'elle-même.

Le Discord du rêve contemplait d'un air un peu idiot ses entrailles à l'air libre, et son sang, qui nourrissait la pelouse. Puis il chuta.

Celestia eut un sourire de triomphe. Pour la première fois depuis deux semaines, elle avait changé le cours d'un des rêves. Elle avait gagné. Et Discord avait perdu. Cette première victoire l'inonda de joie. Peu lui importait que le cauchemar se répète en boucle désormais, elle avait les moyens de s'en sortir, elle venait de le prouver.

Tout ça grâce à la colère.

L'adolescente s'apprêtait à piétiner le visage de l'esprit du chaos comme touche finale de sa réussite, quand le décor se mit à tanguer. L'abbaye s'effaça, et avec elle, ses cadavres. L'image d'une chambre de cristal, que l'alicorne trouvait familière, se stabilisa lentement devant elle.

La jeune jument prit lentement conscience qu'elle était allongée dans un lit, et qu'une silhouette féminine, à la crinière verte était penchée sur elle.

_Tu es réveillée, annonça t-elle avec douceur. C'est fini, tout va bien. Les cauchemars vont te laisser tranquille.

La silhouette passa un linge humide sur son front, et continuait de l'abreuver de paroles rassurantes, avant de l'abreuver, au sens propre cette fois ci, en lui apportant une petite bouteille d'eau. Buvant au goulot plus mécaniquement qu'autre chose, Celestia se dit que pour le coup, elle n'aurait pas été contre de dormir encore un peu.

Juste pour pouvoir tuer Discord une nouvelle fois.

¤¤¤

Le Commandant Haboob porta une cigarette incandescente à ses lèvres, mais ne tira pas dessus. Il aimait avoir le goût du tabac en bouche, mais assez peu l'idée de la fumée qui se répandait dans ses poumons. Avant tout, comme tout pégase qui se respectait, Haboob tenait à soigner son système respiratoire. C'était important pour les trois races, c'était évident, mais plus encore pour les poneys volants. Ils passaient le plus clair de leur temps, à des hautes altitudes, à fouler les nuages, et patrouiller dans le ciel. En d'autres termes, ils se devaient d'avoir des poumons d'acier pour résister aux problèmes de l'altitude. Et c'était encore plus vrai en temps de guerre. On avait jamais vu les pégases faire la guerre de façon rangée. Ce n'étaient pas des petits poneys de plombs. Non, les pégases piquaient, volaient, viraient de bord, attaquaient sur le flanc, puis remontaient en chandelle. C'était leur mobilité avant tout, qui avait donné à la nation pégase, ses plus belles victoires. Et Haboob savait, comme tous ses soldats, qu'on se battait mieux avec plus de souffle.

Dans les faits, cela n'empêchait pas les pégases d'avoir leurs petits plaisirs, et plus d'un pégase, Haboob y compris, s'en grillait une petite de temps en temps. Le Commandant avait freiné sa consommation de tabac depuis son accession au pouvoir, cela dit. Il préférait partir sur le champ de bataille, qu'à cracher ses poumons au milieu de son lit. Mais une addiction ne s'effaçait pas d'un claquement de sabot sur le sol.

Haboob pinça les lèvres, savoura encore quelques secondes le goût du tabac qui se consumait, puis, retira la cigarette de sa bouche, et l'écrasa à même son bureau. Un revers de sabot, et le mégot allait rejoindre le sol.

Le pégase fit claquer sa langue, comme s'il venait de déguster un bon vin, puis, estimant sa pause terminée, fit signe à son aide de camp, de faire entrer le capitaine Austru. Pégase blanc, assez frêle en comparaison de ses frères, Austru se distinguait surtout par son génie administratif. Haboob ne se souvenait pas d'un seul problème qu'Austru n'aurait su résoudre.

Pour son malheur, à l'époque, Austru s'était opposé à plusieurs reprises au Commandant Tramonstane, estimant que le pégase, faisait complètement fausse route sur plusieurs points de politique interne. Tramonstane avait réagi avec sa délicatesse habituelle : il avait copieusement insulté son subordonné, et gelé sa carrière, non sans lui avoir expédié son sabot dans le museau auparavant.

Austru était donc resté au placard de Stormpit, jusqu'à ce qu'Haboob ne remplace Tramonstane, et ne le réintègre pleinement dans la vie pégase, jusqu'à en faire, son principal bras droit. Ce qui, depuis l'instauration de la Junte, confiait à Austru, rien de moins que la position de second poney le plus puissant d'Equestria.

_Mon Commandant, annonça Austru en apportant plusieurs feuilles au bureau du chef de la Junte, voilà les premiers rapports de la frontière sud. Les zèbres ont bien été reconduits à l'intérieur de leur territoire, et ils ne font pas d'histoire. Le représentant impérial a par contre prévenu qu'ils allaient cesser toute relation diplomatique et commerciale avec nous.

Haboob eut un haussement d'épaules fataliste.

_Tant pis pour eux, tant pis pour nous. C'était à prévoir qu'ils l'auraient mauvaise.

_Je peux leur donner des gages d'amitié malgré tout mon Commandant. L'idée de l'alliance avec les zèbres n'était pas si bête. Une fois la crise passée...

_Justement, il faut déjà attendre qu'elle passe la crise, le coupa Haboob. Et on a plus important à faire, que de ménager les rayés. Alors s'il doit y avoir une rupture...

Il eut un geste de sabot circulaire, l'air de dire « et bien tant pis. »

_Est-ce qu'on maintient le comptoir ? demanda le capitaine.

_Tant qu'ils empalent pas nos gars là bas, oui. Mais j'insiste là dessus, les zèbres, ce n'est pas la priorité numéro un.

_Compris Commandant. Puisque vous en parliez, voilà la déclaration signée de la noblesse licorne, qui atteste ne plus reconnaître que l'autorité de la Junte, annonça Austru en faisant glisser un papier paraphé à son chef.

_Donc, pas de risque qu'un des cornus décide de nous renverser, pour poser ses fesses sur le trône, et faire joujou avec un hochet doré ?

_Le risque zéro n'existe pas, Commandant, vous le savez. Mais le titre de roi des licornes n'existe officiellement plus, plus personne ne peut prétendre au titre. Pas même les princesses – euh pardon les anciennes princesses – Celestia et Luna, si elles sont encore en vie. Alors après, les licornes pourraient toujours essayer de s'imposer, mais vous connaissez les cornus. Ils aiment trop les titres qui brillent pour se satisfaire de « duc d'Equestria », ou de « marquis des licornes. » Du moment qu'on leur laisse les titres qu'ils ont maintenant, et leurs propriétés, ça bougera pas trop.

Haboob posa un sabot pour soutenir son menton.

_En fait, c'est limite une chance, le grand incendie de la Veillée Chaleureuse. Toutes ces licornes mortes, ça nous a mâché la tâche.

_Sans compter que nous ne serions pas à la place ou nous sommes aujourd'hui, sans la mort de Tramonstane, monsieur.

Haboob lui accorda le point mais tint à préciser quelque chose.

_Austru, je sais que vous n'aimiez pas le Commandant Tramonstane, qui vous le rendait bien d'ailleurs. Mais moi je pense que nous ne serions pas dans la merde où nous sommes en ce moment, s'il était encore là.

_Vous pensez qu'il aurait survécu à ce qui s'est passé à l'abbaye ?

_On parle du pégase qui a chargé seul aux Trois Pics, cinq griffons, alors que sa lance était toujours plantée dans le corps d'un sixième. C'était quelqu'un Tramonstane.

La fin de la phrase du Commandant mourut de façon nostalgique. Puis, il se força à secouer la tête, et à revenir au présent.

_Quoi d'autre ? Ça se calme chez les terrestres ?

_La loi martiale a fait revenir l'ordre dans les grandes villes, mais ça s'agite encore beaucoup dans les quartiers de Manehattan. Plusieurs anciens candidats à la Chancellerie nous accusent d'être des usurpateurs, et refusent de reconnaître notre légitimité.

_Foutus démocrates, grommela le Commandant. On envoie l'armée ?

_Ça serait une erreur à mon avis. Ça serait reconnaître qu'ils sont une menace pour nous. Je propose plutôt des négociations. Les licornes pourraient nous aider à faire plier pacifiquement la ville.

_Je me tâte...je serais pas contre faire un bon exemple...

_Je maintiens que pour le moment, on devrait les laisser parler. Les leaders vraiment dangereux sont en prison, et si la situation dégénère, c'est pas les terrestres qui dureront longtemps sur le champ de bataille.

Haboob hocha la tête, approuvant ce que venait de dire son bras droit. Il avait vraiment eu raison de prendre Austru comme second.

Le Commandant jeta un œil par la fenêtre du quartier-génuage, qui dérivait lentement dans le ciel. Il grommela lorsque un rayon de soleil l'éblouit.

_Et cette saleté là ? On sait toujours pas la baisser ? Ça fait plus de deux semaines qu'il a pas fait nuit bordel !

_Les prêtres sont formels, les sorts de contrôles des astres ne se trouvaient plus sur les corps du roi Hélios, et de sa femme. Quelqu'un les en a dépouillés.

_Et les cornus peuvent pas faire quelque chose ? Genre une nuit artificielle ?

_Ils planchent dessus monsieur. Mais pour le moment, tant que nous n'avons pas remis la patte sur les sorts, on continue avec les moyens du bord.

Les moyens du bord, c'était une branche de l'armée pégase, chargée, à partir de l'heure du couvre feu, de recouvrir les grandes agglomérations d'épais nuages, jusqu'à ce qu'ils cachent complètement le soleil. Ce n'était pas la vraie nuit, bien entendu, mais c'était le meilleur moyen que la Junte avait trouvé pour pallier au problème. Haboob ne pouvait s'empêcher de penser que c'était une assez bonne métaphore de la situation de la Junte en général : elle avait hérité d'un énorme problème, et gérait comme elle le pouvait. Même si comme l'aurait dit la mère du Commandant, c'était un peu comme mettre « un pansement sur une aile en bois ».

Haboob soupira. Il avait à nouveau envie de fumer. Au moins, l'arrêt des relations diplomatiques avec l'Empire zèbre avait un avantage : sans tabac à importer, il allait freiner pour de bon sa consommation. Ses poumons pourraient toujours le remercier plus tard.

¤¤¤

Discord passa le revers de sa patte sur son front. Elle revint les poils emmêlés de sueur. Rien d'étonnant à cela, le désert d'Agrabay était l'endroit le plus chaud que le draconequus n'ait jamais connu. Quand, en compagnie de Kamel, il avait pénétré en territoire agrabayéen, Discord s'était transformé en chameau, pour mieux supporter les températures folles du désert. Cela avait bien marché, jusqu'à un certain moment. Au fur et à mesure qu'ils progressaient, foulant le sable, Discord s'était rendu compte que ses pouvoirs se déclenchaient aléatoirement. Sans prévenir, il pouvait se mettre à tordre, ou à changer la réalité. Sur le coup, Discord avait eu peur que ce qu'avait fait Ira ne recommence, qu'il ne soit plus qu'un pantin entre des sabots qui n'étaient pas les siens. Mais l'expérience lui avait rapidement prouvé que les pouvoirs se déclenchaient au hasard, et rien de plus. Le seul moyen qui semblait les stabiliser un peu, c'était de rester sous sa vraie forme de draconequus. Alors Discord avait fait du mieux qu'il avait pu pour supporter la chaleur. Il avait réussi à transformer un tas de sable en ombrelle, mais cette dernière était inversée, par rapport à une ombrelle ordinaire, toile tournée vers le haut. Mais c'était toujours mieux que rien, et Discord s'en accommodait.

Kamel n'était pas à l'aise non plus. Pourtant en tant que chameau, il était né pour supporter les rigueurs du désert. Mais le guide semblait plus gêné par la destination, que par le voyage en lui-même. Quoique puisse être cette madina Al-Khali, Kamel ne voulait vraiment pas s'y rendre. Il avait tout essayé pour convaincre Discord, en parlant de monstres, de malédiction, de l'expédition qu'il avait personnellement menée, et dont il avait été l'unique survivant, avec la duchesse Ira. Mais le draconequus avait balayé ses peurs d'un revers de patte. Au contraire, savoir qu'il y avait quelque chose dans la Ville Vide, le confortait dans ses opinions. Il savait qu'il trouverait des réponses là bas, et peut-être, le moyen de réparer ses erreurs.

Voyant que rien ne pourrait pousser le draconequus à faire demi tour, à deux reprises, Kamel avait essayé d'égarer Discord. Mais l'esprit du chaos gardait un œil sur le guide, et s'était rapidement aperçu de la supercherie. Le chameau avait appris qu'il n'était pas si simple de duper un draconequus.

Discord laissa sa patte retomber le long de son corps, crispa un peu plus sa serre sur le manche de son ombrelle, et se força à avancer. Il devait le faire. D'ailleurs, à en juger par le visage de Kamel, qui ne cessait de se décomposer à chaque pas qu'ils faisaient, l'esprit du chaos soupçonnait que leur but était bien plus proche désormais.

Ce fut quand l'adolescent atteignit le sommet de la dune de sable qu'il la vit. Dressée au milieu de rien, amas de ruines éparses. Discord ne pouvait pas y croire. Après avoir marché pendant des jours, et des jours, il y était enfin ?

_Voilà la madina, annonça Kamel. J'ai rempli ma part du contrat. Maintenant, je vais partir. Mais avant, je veux ma récompense.

Discord hocha la tête.

Il avait envisagé à un moment, de se débarrasser de Kamel une fois que ce dernier ne lui servirait plus à rien, mais il s'était ravisé pendant le voyage. Peut-être parce que le chameau avait en fin de compte respecté leur accord, peut-être parce que les dernières personnes qu'il avait tué, Discord en portait encore la culpabilité. Quoiqu'il en soit, le draconequus jeta une poignée de sable en l'air, claqua des doigts, et quand le sable retomba sur la dune, c'était devenu une outre. Kamel effleura le sac de son sabot, avant de s'en saisir, et de dévisser le bouchon. Il plaqua l'extrémité de l'outre contre ses lèvres, et but avec avidité.

_Comme nous en avions convenu, dit Discord alors que le guide buvait toujours, une outre toujours pleine d'eau. Avec ça, tu feras la fortune de ta tribu.

_Merci sayyid Discord, finit par articuler Kamel, entre deux gorgées.

_Ne me remercie pas, murmura le draconequus en s'avançant seul vers la madina. Je respecte ma parole, c'est tout.

Enfin, c'était vrai que pour un esprit du chaos, « respecter sa parole », sonnait faux. Mais Discord ne désespérait pas. Il avait beau savoir qu'il avait fait une terrible erreur avec Ira, il y avait encore une chance pour lui. Discord sentait le pouvoir de la madina alors qu'il s'approchait des ruines. Cette sensation de vide, comme une faim, faisait écho à ses pouvoirs du chaos. C'était un peu comme si la cité avait vu passer des draconequus, il y a bien longtemps, qu'ils étaient désormais enfouis sous les sables du temps, mais que leur empreinte était toujours là.

L'esprit du chaos n'avait plus besoin de guide de toute façon. Le pouvoir l'appelait. Il se laissait porter par lui.

Le vide que l'adolescent sentait, était un néant puissant, agressif. Comme un maelström de zéro.

C'était une tornade qui attirait et broyait ceux qui n'étaient pas assez forts pour la supporter. Mais Discord, lui, savait qu'il pouvait marcher jusqu'à l’œil du cyclone. Parce qu'il se sentait chez lui.

Il y avait eu deux autres lieux où il s'était senti bien : sa grotte, et quand il vivait au château, avec Celestia. Mais ni dans la caverne, ni au palais, le draconequus ne s'était jamais senti aussi en phase avec ce qui l'entourait.

Il était à la maison.

Ses pas le guidèrent jusqu'à ce qui semblait être des bains abandonnés. La sensation de vide se faisait de plus en plus forte. Discord nota les traces de violence une fois à l'intérieur du bâtiment. Des cadavres de chameaux, réduits pour la plupart à l'état de loques, gisaient ici et là. L'esprit du chaos se braqua. Et s'il y avait un danger ? Un danger réel ?

Après tout, Kamel n'avait pas inventé cette histoire d'expédition exterminée : il semblait bien que Discord venait de tomber sur des membres de la caravane.

Le draconequus hésita pendant presque une minute. Puis il décida de continuer à avancer. Après tout, il avait fait trop de chemin pour faire demi-tour maintenant. Il était capable de se défendre en cas de danger, il l'avait bien prouvé des mois auparavant, quand ce monstre l'avait attaqué dans sa grotte. Et surtout, si en continuant à avancer, l'adolescent pouvait gommer ses erreurs, il devait faire ce pas en avant. C'était la seule solution pour qu'il arrête de se haïr, pour ce qu'il avait fait à Celestia.

Discord, toujours attiré par la sensation de vide qui allait croissante, passa par un pan de mur effondré. Engagé dans un étroit couloir, Discord dut ramper pour que sa tête puisse passer par l'ouverture. Au loin, une lumière brillait. Discord accéléra la cadence, se jetant en avant, plus qu'il ne rampait.

Puis, il sortit du corridor. Il découvrait une grande salle ronde, dotée d'un gigantesque trou en son centre, comme une sorte de puits. C'était de cette ouverture que venait la lumière.

Alors que Discord se remettait droit sur ses pattes, il ne put s'empêcher de remarquer l'ornementation des lieux. Des draconequus. Des draconequus partout. Chacun était différent, mais ils recouvraient les murs jusqu'aux ténèbres du plafond. Discord sourit. Il avait eu raison de parier sur cet endroit, le voilà le lieu où il pourrait en savoir plus sur les esprits du chaos, et sur lui-même !

Un feulement attira son attention. A quelques pas de lui, quelque chose grognait. Discord ne pouvait pas le voir, mais il le sentait. Un animal félin semblait monter la garde. L'adolescent vit la poussière du sol se déplacer alors que la créature avançait vers lui. Il se braqua, prêt à se défendre . Le monstre invisible s'avança encore, et brusquement, bondit sur Discord. Il atterrit à ses pieds, et soudainement, se mit à se frotter contre sa patte. Discord resta interdit quelques secondes. Est-ce que la créature était en train...de ronronner ? Mais oui. A en juger par le bruit qui se dégageait du monstre qu'il ne pouvait voir, ce dernier ronronnait bel et bien. Plus par réflexe qu'autre chose, Discord abaissa sa patte de lion jusqu'où devait être la tête de la créature, et la caressa. Il eut plus l'impression de toucher une fumée glacée qu'autre chose, mais le monstre semblait apprécier.

Discord releva la tête, et nota qu'une plate-forme venait d'apparaître au milieu du puits, ainsi qu'un petit pont de pierre, pour y accéder. Il laissa là la créature invisible après une dernière caresse, et marcha jusqu'à la plate-forme. A chaque pas qu'il faisait, il sentait plus proche la force du vide.

Au centre de la plate-forme, se trouvait un livre, posé au sommet d'une colonne de pierre. Discord l'ouvrit, pensant que les informations qu'il trouverait à l'intérieur seraient utiles.

A peine avait-il effectué ce geste, qu'une voix résonnait dans sa tête.

_Tu es enfin là.

_Qui est-là ? Montrez vous ! s'écria Discord à haute voix.

_Du calme, du calme, lui répondit-on. Je ne peux pas me montrer mieux que ça Discord, tu m'en vois désolé.

_Vous savez qui je suis ?

La voix eut un ricanement un peu méprisant.

_Oui, quand même. Ça sert, des fois, l'omniscience, tu sais. Mais tu peux t'estimer heureux d'être un draconequus en tout cas, Iblis vous aime beaucoup.

_Iblis...le truc invisible, là ?

_Ne dis pas « truc », Discord, c'est insultant pour elle. Elle a fait beaucoup pour protéger ces lieux, tu lui dois un minimum de respect.

_C'est la gardienne des lieux, quoi.

_Pour faire simple oui. Elle est là pour juger ceux qui se présentent ici.

_Il y a de ça un mois et demi, dit Discord, une licorne est venue ici. Elle a passé les épreuves.

La voix sembla réfléchir un moment

_La duchesse Ira, exact ? Enfin techniquement, c'est son compagnon qui a battu Iblis, et qui lui a permis de s'adresser à moi. Dommage pour lui, contrairement à Iblis, il n'avait qu'une seule vie.

_C'est vous qui lui avez donné le pouvoir de me contrôler ?

_Et je lui ai même dit où tu étais, renchérit la voix.

Discord sentit la colère le gagner. C'était à cause de la voix. C'était à cause d'elle si Ira avait pu le manipuler de bout en bout !

_Tu as l'air contrarié Discord, dit la voix.

_Ira m'a obligé à faire des choses, murmura l'esprit du chaos, la voix vibrante de rage.

_C'est le but d'un charme de contrôle. Et je te signalerais que c'est toi qui a accepté son marché.

_Je sais ! cria le draconequus. C'est bien pour ça que je suis là aujourd'hui. Je veux réparer les erreurs que j'ai faites. Je veux faire revenir le roi Hélios, et la reine Aztarté.

_Ne me prends pas pour un idiot Discord, dit la voix. C'est moins pour eux que pour leur fille que tu t'inquiètes, n'est-ce pas ?

_Celestia.

Discord baissa la tête, et l'image de l'alicorne à la crinière rose s'imposa à lui.

_Oui. Je ne veux pas qu'elle me déteste.

La voix siffla, l'air de dire « c'est mal parti ».

_Tu as quand même assassiné ses parents, son mari...

_Je ne voulais pas faire ça !

_Je ne te parle pas de vouloir Discord, je te parle de faire. Retourne ça dans tous les sens, il n'y a qu'un seul résultat : tu as tué les parents de ton amie. Et elle t'a vu le faire.

Ce n'était pas une accusation, pas vraiment. Plus des faits. Mais Discord chercha à se disculper.

_Encore une fois, je n'ai jamais voulu les tuer !

_Et moi encore une fois, je te dis qu'on se moque de savoir si tu voulais tuer Hélios, et Aztarté, ou pas. Parce que tu l'as fait. Et pourquoi ?

_Parce que j'étais sous le contrôle d'Ira.

_Et pourquoi étais-tu sous son contrôle ?

_Parce que j'ai accepté de l'aider à prendre la couronne.

_Et pourquoi as tu aidé la duchesse ?

_Parce que...

Discord baissa le museau.

_Parce que je voulais Celestia.

_Enfin ! s'écria la voix, on avance.

Le draconequus avait la désagréable impression que la voix se moquait de lui.

_Si vous savez tout ça, gronda l'adolescent, vu que vous êtes omniscient, et tout, pourquoi est-ce-que vous me posez la question ?

_Ce n'est pas à propos de moi, dit la voix, mais de toi. J'essaye de te faire comprendre Discord. Te faire comprendre la vérité. Et on ne comprend la vérité, que si on comprend ses erreurs.

_J'ai fait une erreur en travaillant avec Ira, je l'ai compris ça mais je...

_Stop ! cria la voix. Ton erreur n'est pas là Discord. C'en est une, c'est vrai, mais ce n'est pas l'erreur majeure, que tu commets depuis que Celestia t'a tiré de ta grotte. Dis-moi Discord, tu as accepté d'aider Ira, parce que tu voulais Celestia, nous sommes d'accord ?

_Oui.

_Qu'est-ce qui t'empêchait de la prendre ?

_Pardon ?

_Qu'est-ce qui t'empêchait de la prendre ? répéta la voix.

_Je ne pouvais pas faire ça ! Elle est princesse des licornes ! Elle allait se marier avec un zèbre pour des raisons politiques ! Le roi Hélios comptait énormément sur ce mariage. Je ne pouvais pas...

_C'est donc pour le roi Hélios que tu as agi comme tu as agi ?

_Parce que je ne voulais pas lui faire de mal.

_Ahah ! Nouvelle progression Discord. C'est donc par respect, par gentillesse, que tu n'as pas enlevé Celestia, que tu n'es pas parti avec elle chez les ours ?

Discord ne l'aurait pas formulé ainsi. Il aurait plutôt parlé de loyauté. Mais l'exposé de la voix tenait.

_Oui, dit-il.

_Alors dis moi Discord, mis à part cette barrière morale, rien ne t'empêchait de prendre Celestia dans tes bras et de t'enfuir. Tu es un draconequus, tu as des pouvoirs illimités.

_Je...

_Tu pouvais très bien t'enfuir avec Celestia où tu voulais, quand tu voulais. Ne vas pas me dire que tordre la réalité est un problème pour toi.

_Je ne vois pas où vous voulez en venir.

La voix poussa un soupir exaspéré.

_Bon, on va essayer avec des exemples. Regarde le livre.

Discord s'exécuta. Sur la page, autrefois blanche, se dessinait le croquis de Kamel.

_Tu le reconnais ?

_C'est le guide qui m'a amené ici.

_Qu'est-ce que tu lui as donné avant de partir ?

_Une outre toujours pleine d'eau.

Alors que Discord finissait sa phrase, le dessin d'une outre apparut à côté du chameau.

_Pourquoi lui as tu donné cette outre ?

_Parce que je m'y étais engagé.

_Regarde ce qui se passe.

Discord fixa les dessins, qui se mirent à bouger, comme saisis de vie. Le chameau prit l'outre, et se mit à boire sans discontinuer.

_L'eau est peut-être sans fin, mais elle ne restera pas sans fin de l'eau, dit la voix. Au bout d'un moment, voici ce qui arrivera.

Le Kamel dessiné lâcha brusquement l'outre et se tint le ventre, avant de glisser à terre.

_Toute l'eau va redevenir du sable. Y compris celle qu'il a déjà bu. Et comme tu peux l'imaginer, avoir du sable plein le corps, ça n'aide pas à vivre.

_Mais...pourquoi ? Pourquoi est-ce que l'outre va faire ça ?

_Second exemple, asséna la voix, alors qu'une page se tournait, et qu'un nouveau dessin apparaissait.

Discord reconnut Marie, la ponette qu'il avait aidée avec ses blessures.

_Tu as empêché la douleur de ses brûlures de la martyriser. Mais elle est toujours là. Et un jour ou l'autre...

La Marie d'encre se jeta brusquement au sol, tordue de souffrance.

_La douleur reviendra, tout d'un coup.

Discord était abasourdi. Est-ce qu'il avait mal fait quelque chose avec sa magie ? Comment ce qu'il pensait être permanent, finirait par disparaître ?

_Quel est le point commun entre ces deux personnes ? Pourquoi est-ce que tu leur a fait ces cadeaux ?

_Parce que...parce qu'ils m'avaient aidé ? Parce que c'était la bonne chose à faire.

_Voilà !

La voix cria si fort que Discord eut un mouvement de recul.

_Voilà, voilà, voilà ! Tu y es Discord, tu poses le doigt dessus ! Tu as fait ça, parce que tu pensais que c'était bien. Mais tu es un draconequus. Tu es un esprit du chaos. Tu ne peux pas aller dans le sens des choses ! Tu n'existes que pour aller contre elles !

_Vous voulez dire que…

_Je veux dire que tu peux essayer autant que tu veux d'aider, ou de te plier aux règles, et tes pouvoirs finiront par s'annuler. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi certaines fois, ta magie dure, et d'autres fois, non ?

Discord cilla, choqué.

_Donc, si j'avais pris Celestia avec moi, sans chercher à réfléchir, tout se serait bien passé ?

_En tout cas, tu aurais gardé le contrôle de la situation de bout en bout.

Discord cilla une nouvelle fois. Cela voulait dire qu'il s'était complètement trompé. Cela voulait dire qu'en pensant bien agir, il avait hâté les catastrophes.

_J'ai encore une question, dit Discord après un blanc. Est-ce que les draconequus peuvent remonter le temps ?

_Tu tiens vraiment à réparer ce qui s'est passé à l'abbaye, hein ? Et bien oui Discord, le temps est une réalité, on peut le modeler aussi. Mais c'est un gros morceau. Et ça demandera beaucoup de magie chaotique. Tout à un prix.

_De quel prix parle t-on ?

_De vies Discord. De beaucoup de vies, et d'un grand bouleversement de la réalité.

_Et si j'arrive à faire ça, je pourrais remonter le temps ? Et changer ce qui s'est passé ?

_C'est possible en tout cas oui.

Discord se tut, et réfléchit. Il se retrouvait devant une croisée des chemins : un retournement complet de la réalité, et des morts, contre la chance de sauver Hélios, et Aztarté. Contre la chance de regagner Celestia.

La balance ne dura qu'une seconde, avant de pencher en faveur de l'alicorne.

¤¤¤

Dès les premiers temps de sa construction, l'Elysium avait été confronté à un problème aussi simple que majeur, celui du réseau d'eau. La cité, bâtie à flanc de montagne, dont l'essentiel était suspendu au dessus du vide, ne pouvait pas disposer d'une plomberie classique.

Il n'y avait pas d'égouts, pas d'eau courante non plus. Pour faire face à ce problème, les alicornes s'étaient tournées vers la montagne elle-même, et les trésors qu'elle abritait.

Les sources chaudes découvertes dans certaines grottes avaient été accueillies comme une bénédiction. Les architectes n'avaient pas été longs à exploiter ces dernières, et à les transformer pour qu'elles servent au mieux les habitants de la Cité de Cristal.

Mieux encore, un système d'aqueduc avait été tiré entre certaines sources, et l'Elysium. L'eau partait de la montagne, et finissait dans de grands réservoirs publics, où chacun pouvait aller puiser de l'eau pour sa consommation personnelle.

Bien que certaines alicornes aient fait construire des thermes dans la cité même, dans leur grande majorité, les élysiuméens les boudaient, préférant leurs traditionnelles sources chaudes. Ce n'était pas qu'un endroit où l'on venait se laver, c'était un lieu de rencontre, d'échange, de détente, à tel point que certaines sources avaient été spécialement aménagées dans ce sens.

Celle dans laquelle barbotaient Celestia, et Luna en revanche, était un modèle du genre pour ce qui était de la simplicité : un grand bassin naturel, assez large pour qu'on puisse y nager à son aise, flanqué de rives de calcaires. La température de l'eau était élevée, mais pas insupportable, et les volutes de fumée qui s'échappaient de la source n'empêchaient pas de voir plus loin que le bout de son museau.

Allongée sur le dos, ventre à l'air, Celestia essayait de se détendre un minimum, ce qui n'était pas simple quand on avait sa petite sœur qui essayait continuellement de faire le sous-marin à côté de soi, et surtout, qu'on avait l'esprit englué par la colère. La haine ne quittait plus l'adolescente. Depuis que la fureur l'avait tirée de ses cauchemars, elle refusait de partir. Celestia la sentait, tapie dans tout son corps, qui menaçait de sortir à chaque expiration, qui suait par tous les pores de sa peau. Elle aurait probablement dû être inquiète, mais au contraire, la colère l'apaisait. Sa lumière blanche effaçait tout. La haine était la réponse à son mal-être.

Et sa corne savait qu'elle en avait du mal-être. C'était plutôt logique après tout, quand dans la même journée, on avait vu mourir ses deux parents, de la patte de l'être qu'on croyait aimer.

Techniquement, l'adolescente n'avait pas vu sa mère tomber sous les coups de Discord, mais après avoir découvert que cela faisait plus de deux semaines, qu'elle et Luna étaient arrivées à l'Elysium, Celestia savait que sa mère ne les rejoindrait jamais ici. Elle s'était délibérément sacrifiée pour ses filles.

Celestia n'arrivait pas à comprendre. Pourquoi est-ce que Discord avait fait ça ? C'était...complètement irrationnel. Bon, elle n'aurait peut-être pas du s'attendre à ce qu'un draconequus soit rationnel, mais malgré tout. Elle avait assez fréquenté Discord pour savoir qu'il avait sa propre logique.

S'attaquer ainsi à sa famille...pourquoi ?

Se poser la question une fois de plus, ne la résolut pas. Tout ce que cela fit, c'est faire renaître la douleur dans le ventre de l'adolescente, et la faire pleurer en repensant à ses parents. C'était aussi pour ça qu'elle avait attendu d'être dans le bassin pour penser à tout cela : dans l'eau jusqu'aux oreilles, les larmes se voyaient moins.

_Regarde Tia, je suis un soupemersible ! s'exclama Luna, surgissant à côté de sa sœur, avant de plonger aussi loin que ses petites pattes lui permettaient.

_Un submersible, rectifia sa grande sœur, les yeux toujours fixés sur le plafond de la grotte, sans prêter grande attention à sa cadette.

L'intervention de sa petite sœur fit néanmoins naître une nouvelle question dans l'esprit de Celestia. Devait-elle lui dire pour leurs parents ? Depuis que l'adolescente s'était réveillée, et avait retrouvé Luna, la petite alicorne se croyait en vacances. C'était d'ailleurs un des mots qu'elle avait le plus à la bouche ces temps-ci. Pour l'instant, tout allait bien. Encore. Mais Celestia appréhendait le moment où Luna demanderait des nouvelles de leurs parents. L'alicorne ne savait vraiment pas quoi dire. C'était déjà tellement dur pour elle de se faire à l'idée, alors l'expliquer à une pouliche de sept ans ? Ça semblait au delà des forces de l'adolescente.

Se laissant flotter, l’œil de Celestia fut accroché par une silhouette sur un des promontoires naturels de la grotte. Robe bleue, crinière vert foncé. C'était l'alicorne qui suivait les deux sœurs à la trace depuis le réveil de l'aînée. Celestia, et Luna, avaient tout loisir de se promener dans l'Elysium, mais Erèbe les accompagnait toujours. Celestia ne l'aimait pas beaucoup. Ce n'était pas que la jument bleue n'était pas aimable, au contraire, elle se pliait en quatre pour aider les deux sœurs quand elles en avaient besoin, mais l'adolescente aurait préféré être vraiment libre de ses mouvements. Sans compter qu'Erèbe refusait de répondre aux questions de Celestia. Hormis un très bref moment après son réveil, elle n'avait toujours pas eu d'entretien avec cette mystérieuse « tante » dont tout l'Elysium parlait, et que Luna elle, avait rencontrée d'ailleurs. La jeune jument voulait comprendre. Comprendre pourquoi la ville où elle avait vu le jour, et où elle avait vécu pendant dix ans ne lui avait laissé presque aucun souvenir, hormis un vague sentiment familier, pourquoi la Cité de Cristal semblait si dépeuplée, pourquoi s'il y avait des alicornes ici, elle n'en avait jamais vu ailleurs en Equestria...Celestia avait trop de questions sans réponses. A commencer par celles sur Discord. Mais celles sur l'Elysium, au moins, trouveraient leur résolution après avoir parlé avec la « tante ». Ou du moins, Celestia l'espérait.

Erèbe se pencha vers le bassin, et sourit à Celestia. L'adolescente avait rapidement appris que ce sourire voulait dire « j'aimerais te parler ». Erèbe faisait partie de ce genre de juments qui ne brusquait jamais celles, et ceux avec qui elle parlait.

Elle donnait l'impression d'évoluer dans un monde avec du velours à la place des sabots.

Celestia se retourna sur le ventre, et battit des ailes afin de s'en servir comme palmes. Elle arriva rapidement hors du bassin, et en sortit, sa robe dégoulinante d'eau vite enveloppée dans un peignoir que lui tendait Erèbe. L'adolescente en noua rapidement la ceinture, et remercia à demi-mot quand l'alicorne enroula une serviette autour de sa crinière.

_J'aurais pas été contre rester dans l'eau.

_Tu pourras y retourner tout à l'heure si tu veux, dit Erèbe avec douceur, mais après avoir vu Tante Alma.

Celestia manqua de bondir d'impatience. Enfin !

_Sérieux ? Elle veut me voir ?

_Elle m'a demandée de te conduire à elle.

_Cool ! s'exclama Celestia. Mais...et ma sœur ?

Au moment où l'adolescente formulait ces mots, Luna nageait toujours dans le bassin, cette fois ci très occupée à essayer de tirer vers le fond un drôle de jouet, qui évoquait le croisement entre un poney, et un hippocampe. Le fait que le jouet soit taillé dans le bois, n'empêchait pas la petite alicorne de se jeter dessus avec une vigueur sans cesse renouvelée. Celestia crut entendre sa cadette crier quelque chose comme « shoobeedoo » en tentant de couler le poney-hippocampe, mais elle s'était sûrement trompée. Même une enfant comme Luna n'aurait pas prononcé des mots aussi bizarres.

_ Egéon va la surveiller, ne t'en fais pas, l'assura Erèbe en laissant un alicorne turquoise pénétrer dans la grotte.

Celestia eut un mouvement du museau. Si quelqu'un veillait sur Luna elle pouvait effectivement partir l'esprit tranquille. La relation qu'elle entretenait avec elle avait pu être houleuse quelquefois, mais Celestia faisait maintenant face à la dure réalité : Luna était tout ce qui lui restait. Et c'était à elle, en tant qu'aînée de prendre les rênes de ce champ de ruines qu'était désormais leur famille. Celestia ne savait absolument pas de quoi était fait l'avenir, mais elle se promettait deux choses. Une, Discord paierait pour ce qu'il avait fait. Le rêve qu'elle avait eu quand elle l'éventrait de bas en haut se réaliserait, et l'adolescente tremperait ses sabots dans le sang du draconequus. Et deuxièmement, Celestia jurait sur sa corne de tout faire pour épargner les souffrances de ce monde à Luna. Elle n'avait que sept ans, et elle allait devoir passer le reste de sa vie sans ses parents.

Une vie qui pouvait être très longue, quand on était alicorne.

L'adolescente emboîta le pas d'Erèbe. Les deux alicornes sortirent la grotte, foulant du sabot un des ponts de cristal qui reliaient l'Elysium à la montagne. Celestia ne connaissait pas grand chose en architecture, et ne voulait pas comprendre par ailleurs, les mathématiques lui ayant toujours donné des boutons, mais elle se demandait comment est-ce que la ville pouvait tenir sans s'effondrer. Sous l'Elysium, il n'y avait que du vide. Il devait y avoir de la magie derrière tout ça, mais c'était tout de même impressionnant.

La Tour des Éléments, vers là où les deux alicornes se dirigeaient, était le point culminant de l'Elysium. Une flèche plantée en plein centre de la cité, qui surplombait toutes les autres. Erèbe laissa Celestia au pied de celle-ci, et d'un sourire, l'invita à entrer. Celestia avait amorcé un premier pas quand l'alicorne bleue toussa poliment.

_Quoi ? demanda l'adolescente, sans grande douceur.

_Tu es encore en peignoir, dit gentiment Erèbe.

_Et ?

_Et bien...disons que ce n'est pas très poli de voir Tante Alma habillée ainsi.

_Elle se balade avec un drap.

_Une toge, rectifia la jument à la crinière verte. Et je pense que ça serait vraiment mieux si tu me laissais ton peignoir. Tu dois être sèche maintenant, non ?

Celestia finit par céder, et ôta son vêtement de bain, et sa serviette. Tant pis pour les tapis de l'Alma Mater si la crinière de la l'adolescente était encore mouillée.

Elle entra ensuite dans la Tour des Éléments. L'escalier en colimaçon fut grimpé quatre à quatre, et Celestia s'arrêta devant une double porte imposante, couverte de gravures abstraites. Celestia n'avait pas encore frappé que la porte s'entourait d'un halo, et s'entrouvrait. Elle pénétra dans les appartements de l'Alma Mater.

La pièce était plus petite que ce que l'adolescente s'était imaginé. Ronde, resplendissante de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, l'intérieur de la tour était assez sobre en fin de compte. Celestia nota un dénuement quasi total, hormis plusieurs socles de marbre. En s'approchant, elle remarqua que cinq d'entre eux étaient disposés en cercle autour d'un sixième, mais que seuls quatre socles supportaient quelque chose sur leurs chapiteaux.

On aurait dit des joyaux, mais les pierres semblaient dénuées de brillance, dénuées de vie. Elles étaient grises, et sales.

_Bonjour, annonça t-on derrière Celestia.

L'adolescente se retourna pour découvrir l'Alma Mater, assise sur un coussin de velours rouge. L'alicorne lie-de-vin arborait un visage aimable, comme Erèbe, mais son sourire semblait plus forcé, comme si elle n'en avait pas l'habitude. Un second coussin, identique au premier à l'exception près qu'il était bleu, était posé au sol juste en face de l'Alma Mater.

La jument à la toge pointa le sabot en avant, invitant visiblement Celestia à s'asseoir devant elle. Celle qui avait porté le titre de princesse des licornes s’exécuta.

_Je suis contente de voir que tu vas mieux.

La voix de l'Alma Mater était pétrie de douceur, mais incroyablement lasse. Comme si l'alicorne était tellement fatiguée qu'elle pouvait s'effondrer à tout instant.

_C'est pas encore la joie, mais ça peut aller, ouais.

L'Alma Mater croisa les pattes devant elle.

_J'ai un peu discuté avec ta sœur, pendant que tu dormais. J'aimerais que tu me racontes ce qui s'est passé à ton mariage. Avec Discord.

_Luna vous a parlé de Discord ?

La question franchit les lèvres de Celestia comme un reproche. L'Alma Mater lui renvoya un regard apaisant.

_Ta sœur a eu la gentillesse de répondre à mes questions. C'est donc à moi que tu peux en vouloir, pas à Luna.

_Vous aviez pas à vous en mêler, cracha Celestia sur le même ton. C'est ma vie privée, ça me regarde moi. Et pas vous.

_Celestia, dit l'alicorne lie-de-vin avec une certaine fermeté dans la voix, à partir du moment où quelqu'un pose le sabot dans la cité dont j'ai la charge, je me dois de savoir ce qui amène cette personne ici. Surtout si la personne arrive avec une robe en lambeaux, et une enfant sur le dos, pour s'écrouler, et cauchemarder pendant des semaines. Ce n'est pas de la curiosité mal placée.

C'est mon devoir.

_Votre devoir ? Vous vous prenez pour ma mère ou quoi ?

La douleur serra la gorge de Celestia sur la fin de sa phrase.

_Celestia, demanda calmement l'alicorne lie-de-vin, est-ce-que tu sais ce que veux dire mon titre ?

L'adolescente grommela un « non » peu audible. L'Alma Mater semblait pourtant l’avoir entendu puisque elle continua sur sa lancée :

_Ça veut dire « mère nourricière » dans la langue des ancêtres. Ce titre est mon nom. Je n'ai plus d'identité mis à part celle de ma charge. Et je me dois de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger cette ville, et ses habitants. Tu es une alicorne Celestia, tu es née ici. Ça veut dire que tu fais partie de ceux dont j'ai la charge, que ça te plaise ou non.

_Tu parles que je suis née ici ! s'enflamma la jeune jument. Je me souviens de rien. Que dalle. En dix ans, je suis pas censée avoir un minimum de souvenirs du coin ?

L'Alma Mater soupira.

_Celestia, je suis tout à fait disposée à t'expliquer ce que tu veux. A t'aider à comprendre certaines choses. Mais il faut faire les choses dans l'ordre, et je vais donc répéter ma demande. J'aimerais que tu me dises ce qui s'est passé il y a quelques semaines, à ton mariage.

_Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? s'étrangla Celestia. Que le draconequus que je considérais comme mon petit ami, que j'aimais, a massacré mes parents le jour de mes noces ?

Celestia baissa le museau, des larmes au goût amer coulant de ses yeux.

_C'est ça que vous voulez entendre ?

L'adolescente renifla, tentant de ravaler ses sanglots. Craquer, et pleurer devant l'autorité suprême de la Cité de Cristal était une humiliation qu'elle refusait d'endurer. Peut-être pour elle-même avant tout. Elle se devait d'être forte maintenant que ses parents étaient partis.

Quand elle releva le museau, elle fut surprise de l'expression qu'arborait l'Alma Mater. Elle n'avait plus cet air aimable, ou même dur. Elle avait tout simplement l'air effarée. La gueule entrouverte, les yeux légèrement écarquillés, les sourcils relevés. Même sa robe semblait avoir pâli. Son pelage lie-de-vin avait viré au pourpre. A moins que ça ne soit qu'un effet de lumière.

Les lèvres de l'Alma Mater bougèrent, mais aucun son ne sortit de sa bouche. La jument se força à se reprendre.

_Tu as bien dit « draconequus » ?

Celestia cilla, surprise. Il y avait de la peur dans la voix de l'Alma Mater. Une peur panique. Ça semblait tellement anormal que l'alicorne qui dégageait il y avait encore cinq minutes une telle autorité se mette à être aussi terrifiée.

L'adolescente hocha la tête. La bouche de l'Alma Mater s'étira en une moue, et elle se dressa lentement sur ses pattes.

_Je dois prévenir les autres. Le plus vite possible. Est-ce que tu accepterais de répéter tout ça dans une heure environ ?

_Euh oui, hésita Celestia. Mais vous connaissez Discord ou quoi ?

_Je te répondrais plus tard, dit l'alicorne visiblement très nerveuse.

Avant que Celestia n'ait pu faire quelque chose, l'Alma Mater la raccompagnait à la porte, lui expliquant qu'elle enverrait quelqu'un la chercher dans une petite heure. L'adolescente était tellement surprise, qu'elle dut poser les fesses quelques secondes sur l'escalier en colimaçon pour retracer le cours de événements. L'Alma Mater avait demandé à savoir ce qui s'était passé au mariage, et il avait suffi que Celestia parle de Discord pour que le masque de tranquillité de la jument lie-de-vin s'effondre.

D'une manière ou d'une autre, l'Alma Mater connaissait le draconequus. Et Celestia était prête à mettre son sabot au feu que la réputation de l'esprit du chaos ne devait pas être des meilleures auprès de la maîtresse de la Cité de Cristal.

¤¤¤

Discord s'engagea dans une des rues étroites de Canterlot. C'était une de ces allées bordées de grands bâtiments de bois et toile, dans laquelle deux poneys ne pouvaient pas se croiser. La capitale licorne avait un souci de place, c'était indéniable. La ville était entassée sur elle-même, sans cesse croissante, approchant de plus en plus le bord du précipice à côté duquel on l'avait bâtie. Le draconequus avait appris à aimer cette ville, après tout, c'était celle de Celestia et du roi Hélios, mais il n'aimait pas ses avenues étroites, et cette impression d'étouffement.

Peut-être que cela venait du fait qu'il avait passé pratiquement tout sa vie enfermé dans une grotte.

Un des grands projets du roi Hélios avait été de nommer le baron Haussmane, grand ingénieur licorne, afin de redessiner les plans de la cité, de l'assainir, et de l'embellir. Mais la mort du noble lors de l'incendie de la Veillée Chaleureuse avait mis fin à toute tentative de transformation.

A l'opposé de Discord, une licorne turquoise, portant haut de forme, et monocle fit son apparition. Discord grommela. Il allait encore devoir se plaquer contre le mur, au risque de se piquer avec une écharde pour que l'autre passe. Mais la licorne réagit de façon surprenante : à la seconde où elle vit Discord, elle sursauta, et s'écrasa d'elle-même contre le bois qui jouxtait la rue. Discord se demanda un instant s'il n'avait pas oublié d'abandonner son apparence de draconequus. Mais non, il était bien en pégase brun comme à l'accoutumée.

Qu'est-ce qui pouvait inquiéter la licorne turquoise comme cela ? Le plus surprenant étant que le poney, bien que plaqué contre le mur, se donnait du mal pour s'y écraser encore plus.

Discord poursuivit son chemin. Quand il croisa le poney bleu-vert, ce dernier baissa les yeux pour ne pas croiser le regard du draconequus. Le faux pégase haussa les sourcils. C'était vraiment étrange. Le plus bizarre, c'était que ce n'était pas le premier poney qu'il croisait à agir ainsi. Depuis qu'il était revenu d'Agrabay en fait. Les licornes, et les terrestres agissaient de façon curieuse. Ils semblaient gênés, comme s'ils avaient peur que Discord ne les massacre dans l'instant. Il en était capable du reste, mais ça ne répondait pas à l'interrogation du draconequus : pourquoi ?

Discord obtint sa réponse en sortant de la ruelle. Ses pas le conduisirent sur une grande place circulaire, au centre de laquelle on avait dressé un panneau de bois. Ce panneau était recouvert d'avis, et d'affichettes diverses, qui informaient les canterlotiens, ou qui leur proposaient un travail. A l'époque où il se promenait dans la ville avec Celestia, Discord se souvenait même avoir vu des écrivains à la petite semaine placarder leurs récits en place publique, sûrement dans l'espoir de se faire connaître.

Dos au draconequus, un petit attroupement de licornes, et de quelques terrestres s'était massé devant le panneau, commentant à haute voix ce qui devait être le dernier avis affiché. Discord s'approcha de la foule.

_Et encore un nouvel impôt à verser. Ca devient n'importe quoi, commenta une licorne en secouant la tête en signe de désapprobation.

_On est pas si mal lotis, répliqua un terrestre couleur pomme. Mon frère vit à Manehattan. Y a des contrôles tous les jours là bas.

_La faute à qui ? demanda une autre licorne, qui portait de fins lorgnons cerclés d'or. Si vous vous étiez conformés aux instructions des autorités...

_On a un peu de mal à obéir quand les plumés décident de suspendre les élections, vous voyez.

_La fin des élections, formula la seconde licorne avec un air de dédain, voilà bien la seule chose de bien que la Junte nous ait apporté. Ne le prenez pas mal, mais enfin, si c'était pour se retrouver avec des invertis comme Strawberry à la tête de l’État...

_Je vous permets pas, s'exclama le poney terrestre. Le Chancelier Strawberry était quelqu'un de bien.

_Bien pour un terrestre, oui, sans doute.

_Qu'est-ce que vous voulez dire, là ?

La licorne émit un rictus.

_Quand je vous disais que les terrestres étaient un peu lents à la détente. Ce que je veux dire mon ami, c'est que...

Bougeant la tête pour appuyer son propos, la licorne croisa le regard de Discord. Elle écarquilla les yeux.

_...que la Junte est la meilleure chose qu'il soit jamais arrivée à Equestria, dit-elle en haussant la voix.

_Vous plaisantez là ? demandèrent les autres poneys de la foule, qui tournaient eux, toujours le dos au draconequus.

_Pas du tout, poursuivit la licorne en souriant malhabilement. Où en serions nous sans les pégases, je vous le demande ?

_Tranquilles ? hésita le poney terrestre. Et depuis quand vous aimez les plumés vous ?

_Mais depuis toujours ! dit la licorne avec force, suant de plus en plus alors que son sourire s'élargissait. J'ai toujours rêvé d'être un pégase moi-même.

La foule partagea un regard, entre l'incompréhension, et la surprise. Un des poneys se frappa discrètement la tempe de la corne du sabot avant de pointer la patte vers la licorne qui faisait face à Discord.

_Je voulais d'ailleurs rajouter que le Commandant Haboob est le meilleur dirigeant d'Equestria depuis nos fondateurs.

_Ca suffit, déclara le poney terrestre en tournant les talons, je refuse d'écouter ces conn...

Il vit Discord, et se glaça également.

_Parce que c'est évident que le chef de la Junte Militaire de Salut Public est encore plus grand que nos fondateurs ! balbutia t-il maladroitement.

Lassé de ce jeu, Discord toussa pour attirer l'attention des autres poneys de la foule. A peine s'étaient-ils retournés, qu'ils sursautaient tous ensemble, et se confondaient en excuses.

_Dégagez. Tous. Sauf toi, dit-il en pointant du sabot la licorne qui avait été la première à l'apercevoir.

Le poney aux lorgnons grimaça alors que Discord se rapprochait de lui. Le faux pégase n'avait pas fait deux pas que le reste de la foule s'était dispersé dans les rues avoisinantes.

_Je ne voulais pas être impoli monsieur, assura la licorne au draconequus qui se rapprochait encore d'elle. J'aime beaucoup les pégases. Ma propre femme est pégase au douzième degré, et je suis allé voir la caserne de Las Pegasus une fois, c'est très joli...

_Pourquoi est-ce que vous avez peur de moi ? le coupa Discord.

_Je n'ai pas peur de vous monsieur, je vous le répète, j'adore les poneys volants, et...

_Réponds à ma question, gronda le draconequus.

La licorne aux lorgnons baissa tristement le museau.

_C'est juste que depuis que la Junte est là monsieur, tout le monde a peur des pégases. Des rumeurs courent, sur des arrestations arbitraires, des prisons secrètes où le Commandant Haboob ferait jeter ses opposants. Mais je suis sûr que ce ne sont que des bruits sans fondement, et...

_La Junte ? répéta l'esprit du chaos.

_Et bien oui, répondit la licorne, visiblement surprise de devoir expliquer ce qui semblait être la chose la plus simple au monde. La Junte Militaire de Salut Public, dirigée par le Commandant Haboob, et le capitaine Austru. Entre autres.

Discord se rendit soudainement compte qu'entre sa fuite de l'abbaye après les événements, son repli dans sa grotte, et son expédition pour Agrabay, il n'avait même pas pris le temps de savoir comment les choses avaient évoluées en Equestria. Le pire, c'était que ça semblait logique qu'une autorité se soit dressée après la mort du Chancelier Strawberry, et du roi Hélios. C'était juste que Discord ne s'attendait pas à ce que les militaires pégases prennent le pouvoir.

_Les pégases ont les pleins pouvoirs ?

_A peu de chose près, oui, confirma le poney. Mais sans vouloir être impoli, comment est-ce que vous ne pouvez pas savoir ça ? Ça va bientôt faire un mois.

_J'étais loin d'Equestria, répondit le faux pégase.

Le mensonge passa tout seul. Sans doute parce que Discord s'efforçait de se comporter en draconequus digne de ce nom. Et sans doute aussi que la licorne était si terrifiée devant l'esprit du chaos que s'il lui avait dit que le chaînon manquant entre le poney moderne, et celui des cavernes, était le flamand rose, elle l'aurait cru sur parole.

_Donc, la seule autorité qu'il reste en Equestria, c'est la Junte, exact ?

_Jusqu'à la fin de la crise, oui. Mais je suis sûr que le Commandant Haboob renoncera à ses pleins pouvoirs quand les choses seront revenues à la normale et que...

Discord n'avait pas attendu la fin de la phrase de la licorne pour déployer ses ailes, et s'envoler. Sous lui, la cité de toile, et de bois s'éloignait à vue d’œil. Le draconequus attendit d'être haut dans le ciel, et mit le cap sur Stormpit.

Depuis qu'il était sorti d'Al Khali, Discord savait ce qu'il devait faire. Briser Equestria. Noyer la nation dans une tempête de chaos jamais vue. Et quand il aurait assez provoqué de dégâts, il pourrait obtenir ce pouvoir temporel, revenir en arrière, effacer ses erreurs, et sauver le roi Hélios. Garder Celestia aussi.

Discord s'était trouvé ennuyé, ne sachant pas vraiment par où commencer. Equestria était grand, et il doutait que remplir le ciel de choses étranges ne serve vraiment sa cause. Alors il avait échafaudé un plan : il devait briser toute forme d'autorité en Equestria, et la replacer par la sienne. Discord allait prendre le pouvoir, et faire ce qui devait être fait.

En fin de compte, c'était même plutôt logique qu'il doive se battre contre des pégases. Quoi de plus ordonné que l'armée ? L'ordre militaire contre la chaoscratie discordienne.

C'était si motivant que le faux pégase battit des ailes encore plus vite pour atteindre Stormpit.

La cité militaire pégase semblait en ébullition. Partout dans le ciel, des poneys volaient, donnaient des ordres, faisaient des exercices. Avec toute cette foule, Discord n'eut aucun mal à se glisser dans Stormpit sans qu'on le remarque. Le faux pégase n'eut pas à réfléchir une seconde pour savoir où aller. Il savait qu'il fallait qu'il se rendre au centre de la ville. Il le sentait. C'était comme si son instinct guidait ses pas.

Il en eut la confirmation quand il vit le puits des tempêtes qui donnait son nom à la cité. L'unique tache sombre dans les nuages immaculés de Stormpit. Un magnifique concentré de chaos, qui ne demandait qu'à être exploité.

Discord envisagea d'agir discrètement, puis il se ravisa. Ou serait le plaisir ?

Il reprit son apparence de draconequus au milieu des soldats médusés. Puis, avant que quiconque n'ait pu bouger un sabot, Discord sourit.

Et il descella le puits des tempêtes.

¤¤¤

L'Alma Mater leva le museau vers l'assemblée des alicornes, qu'elle avait fait venir à elle. Du temps où l'Elysium croulait sous le nombre, ces grandes réunions se faisaient dans des lieux appropriés, d'immenses salles, avec des tables gigantesques, et de la place pour tous. Depuis les évévenements de Lucimare, tenir les réunions dans des lieux pareils n'aurait eu aucun sens. Les alicornes n'étaient plus qu'un tout petit nombre. Se réunir dans les grandes salles n'aurait fait qu'ajouter au malaise.

L'Alma Mater avait préféré convoquer toutes les alicornes dans les jardins de la Cité de Cristal. De par la nature de l'Elysium, ils tenaient plus de la serre, ou des jardins d'hiver qu'autre chose, mais c'était tout de même agréable de pouvoir s'attabler dans un décor végétal. L'Alma Mater compta cinquante alicornes présentes. Par sa crinière, que c'était peu. Et le nombre continuerait à baisser. Contrairement à une croyance populaire, les alicornes n'étaient pas immortelles. Elles vivaient bien plus longtemps que les autres races, elles résistaient mieux à la maladie, elles étaient plus douées en magie, mais elles ne pouvaient battre la mort. De temps en temps, une alicorne s'endormait pour ne jamais se réveiller. Ajoutez à cela le fait que l'alicorne, en raison de sa longévité, n'avait qu'un taux de fécondité très faible, et le déclin de l'Elysium semblait inéluctable.

Et le pire, c'était qu'il y avait encore plus grave.

Toute l'assemblée était pendue aux lèvres de la jeune Celestia, qui racontait en détail ce qui s'était passé à son mariage. L'adolescente pleurait, et quelquefois sa voix se cassait, mais elle s'efforçait de ne jamais perdre le fil. L'Alma Mater ne put s'empêcher de noter que cette petite avait de la volonté. Et c'était tant mieux pour elle, elle en aurait besoin.

Pour autant, les alicornes assemblées ne retenaient qu'un seul mot. Un mot qu'elles avaient toutes enfermé au fin fond de leur mémoire, en jetant la clé par dessus les ponts de cristal. Un mot que toutes auraient préféré ne jamais connaître. Ce mot, c'était « draconequus ».

Quand Celestia termina son récit, les murmures fusèrent parmi les alicornes. Des murmures de dénégation, de refus de la réalité. De peur aussi.

L'Alma Mater s'éclaircit la gorge, et prit la parole.

_Ce que vient de nous apprendre la jeune Celestia, aussi douloureux que ce soit, est quelque chose dont nous devons nous occuper.

_C'est impossible, s'exclama t-on, il n'y a plus de draconequus. Plus aucun. On a payé leur fin assez cher.

_Alkhali, rappela l'Alma Mater. Brouille. Confusion. Cela vous semble t-il si incohérent que le draconequus dont parle Celestia porte un nom en D ?

_Tu me sembles bien rapide à accorder du crédit aux paroles de cette enfant, lâcha un alicorne mâle placé en bout de table. Qui te dit qu'elle ne ment pas ?

_Retire ça tout de suite si tu veux encore bouffer quelque chose de solide avant ta mort ! s'exclama Celestia qui dressa le sabot en direction de l'alicorne qui l'avait mentionnée. Je ne suis pas une menteuse !

_Celestia, dit l'Alma Mater en touchant doucement l'adolescente du bout de son aile, du calme s'il te plaît. Et toi, Alcyonée, je te demanderais d'être un peu plus respectueux envers notre hôte.

Alcyonée émit un soufflement des naseaux qu'on pouvait interpréter comme une forme d'excuse. Celestia elle, ne décolérait pas, mais s'efforçait de se contrôler. Casser le museau à un alicorne adulte devant l'Alma Mater ne devait pas être des plus conseillés.

_Je vais poser la question honnêtement, dit l'Alma Mater. Nous avons un nouveau draconequus en liberté. Que faisons nous ?

_Rien, proposa une alicorne blonde. Que je sache, ce Discord est en Equestria ? Qu'il y reste.

_Tu laisserais ce monstre dévaster un pays entier sans rien faire ? demanda sa voisine.

_Equestria n'a rien fait pour nous quand on a dû gérer nos draconequus. Je vois pas ce qu'on a à gagner à s'y mêler.

_Empêcher des milliers d'innocents de mourir, peut-être ? ironisa Japet. Tu sais, pour que ce genre de chose, dit-il en touchant du sabot son visage à demi caché par sa crinière, ne se reproduise jamais.

_Discord ne nous menace pas, reprit l'alicorne blonde. Tant que l'Elysium n'est pas en danger, nous n'avons aucune raison de bouger.

_Mélissée, objecta Japet, tu crois qu'un draconequus se satisfait d'un seul repas ? Surtout que d'après ce que j'ai cru comprendre, il est encore plus fort, et dangereux que ses frères. Il viendra forcément un jour ici finir ce que les autres ont commencé.

Celestia ne comprenait pas tout. Il y avait d'autres draconequus, c'était ça ? Est-ce que c'étaient eux qui avaient forcé sa famille à prendre la fuite de l'Elysium, sept ans plus tôt ? Ah, tout était si flou dans sa tête...

_Nous sommes une nation isolationniste, maintint Mélissée. Intervenir en Equestria, ça serait remettre en cause tous ces principes.

_Je crois qu'on s'éloigne du problème, intervint une autre alicorne, assise au centre. Est-ce qu'on a les moyens de s'occuper de ce Discord s'il vient ici ? Ou si nous on décide d'aller le chercher ?

Tous les yeux se tournèrent vers l'Alma Mater.

_Les Éléments sont vides. Totalement.

Un juron parcourut l'assemblée.

_On est censés faire quoi alors s'il se ramène ? s'emporta Japet. Lui jeter des cailloux ?

_J'm'excuse, dit Celestia, mais c'est quoi les Éléments ? Un genre d'arme ?

_C'est l'arme magique la plus puissante qu'il existe, lui dit l'Alma Mater. Il y a six Éléments d'Harmonie, qui rassemblés, peuvent accomplir des choses incroyables. Tu as du les voir tout à l'heure quand tu es venue me voir. Ce sont les pierres grises. Normalement, elles sont resplendissantes. Mais là, elles n'ont plus aucune énergie en elles.

_Et y a pas moyen de les recharger ?

_A moins que tu t'avales le Tartare pour récupérer la Loyauté qu'on a perdu y a sept ans, je pense pas non, gloussa Mélissée.

Celestia cligna des yeux. Le Tartare ? C'était bien cette prison où on enfermait les monstres, et les poneys les plus dangereux d'Equestria ? Et ils avaient perdu leur meilleure arme là dedans ? Les alicornes étaient manchotes ou quoi ?

_Et si on lançait le grand sort de protection autour de la cité ? proposa Alcyonée. Vous savez, celui qui dissimule l'Elysium aux yeux de tous pendant dix ans ? Y a pas besoin des Éléments pour le faire, pas vrai ?

_Le sort nécessite beaucoup d'énergie magique, objecta l'Alma Mater. Nous ne sommes plus assez nombreuses pour le faire vraiment durer. Au mieux, il tiendra deux semaines. Et vous savez que le contrecoup quand il disparaît est violent. Là, nous serons sûrs d'attirer Discord ici. Le seul moyen de l'appliquer, ça serait de s'aider des Éléments.

_On en revient au même problème quoi, grommela Japet.

Un silence de plomb suivit cette remarque. Toutes les alicornes cherchaient une solution. Celestia réfléchit elle aussi, avant de prendre la parole.

_Je vais le faire.

_Pardon ? demanda t-on dans l'assemblée.

_Aller chercher votre truc.

L'adolescente déglutit.

_J'irais au Tartatre récupérer votre Loyauté ou je sais pas quoi.

_Tu sais dans quoi tu t'engages là, petite ? demanda Mélissée.

_Du tout, répondit franchement la jeune jument. Mais si vos Éléments c'est le seul moyen de casser la gueule à Discord, faut pas hésiter. Il doit payer. Je vais au Tartare, dit-elle avec conviction.

Les alicornes échangèrent des regards. Certains étaient emplis de fierté, d'autres indiquaient clairement qu'ils n'imaginaient pas une seconde Celestia réussir son entreprise.

L'Alma Mater ferma les yeux, et sentit une douce chaleur l'envahir. Tout n'était peut-être pas perdu en fin de compte. Si Celestia triomphait du Tartare, les Éléments seraient rassemblés. Ils pourraient tenir Discord en échec. Ils pourraient rebâtir la Cité de Cristal.

La race des alicornes avait encore de la grandeur à revendre en fin de compte.

Le raclement de gorge de Celestia la tira hors de ses pensées.

_Et au fait, si quelqu'un pouvait me montrer le chemin pour aller chercher votre machin, ça serait grave sympa en fait.

L'Alma Mater rouvrit les yeux, et sourit. Elle aurait peut-être préféré une championne qui s'exprimait un peu plus correctement. Mais bon, avoir une chance de rebondir pour l'Elysium c'était déjà ça. Il ne fallait sans doute pas trop en demander.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

Aucun commentaire n'a été publié. Sois le premier à donner ton avis !

Nouveau message privé